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A-779-80
VIA Rail Canada Inc. (requérante)
c.
Marilyn Butterill, David J. Foreman et I. Cyril Wolfman (intimés)
et
La Commission canadienne des droits de la per- sonne (intervenante en première instance)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Ryan et juge suppléant MacKay—Toronto, 14 octobre et 14 décembre 1981.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Droits de la personne Le tribunal des droits de la personne a conclu que VIA Rail était coupable d'un acte discriminatoire en refusant d'embaucher les intimés en raison de déficience de la vue Le tribunal a ordonné à VIA Rail d'offrir aux intimés des emplois, pourvu qu'ils puissent satisfaire aux normes d'acuité visuelle Aucune indemnité n'a été octroyée, ni a-t-on constaté des pertes de salaire ou un préjudice moral L'art. 41(2)c) de la Loi prévoit une indemnité pour pertes de salaire et dépenses entraînées par un acte discriminatoire L'art. 41(3)b) prévoit une indemnité pour préjudice moral La Commission a interjeté appel au motif que les intimés auraient da être indemnisés L'art. 42.1(5) autorise le tribu nal d'appel à recevoir de nouveaux éléments de preuve compte tenu de la bonne administration de la justice Le tribunal d'appel a déclaré recevable la preuve d'événements qui s'étaient passés après que le tribunal des droits de la personne eut rendu sa décision â l'égard de pertes pécuniaires, statuant qu'il était indispensable à la bonne administration de la justice de le faire, étant donné que les éléments de preuve soumis au tribunal initial n'étaient pas satisfaisants De nouveaux éléments de preuve â l'appui de la demande d'indemnisation ont été déclarés recevables, sous réserve du droit d'opposition de VIA et du droit de celle-ci de rapporter la preuve contraire
VIA ne s'est pas prévalue de son droit d'opposition L'intimé Wolfman n'a pas témoigné devant le tribunal d'appel
Le tribunal a jugé que les intimés étaient en droit d'être indemnisés des pertes financières et, en vertu de l'art. 41(3)b), du préjudice moral subi Aucune somme n'a été fixée Le tribunal d'appel a-t-il commis une erreur de droit en autori- sant la Commission à administrer la preuve relative au préju- dice moral? Allouer des dommages-intérêts aux intimés Butterill et Foreman avant l'administration de la preuve con- traire par VIA Rail constituait-il un déni de justice naturelle?
Est-ce à tort que le tribunal a accordé des dommages-inté- rêts à Wolfrnan pour préjudice moral alors que ce dernier n'a pas administré devant le tribunal la preuve sur laquelle celui-ci pouvait fonder cette indemnité? Il faut déterminer si le tribunal a commis une erreur en accordant des domma- ges-intérêts alors qu'il ne lui a pas été prouvé que les intimés pouvaient satisfaire aux exigences moins rigoureuses d'acuité visuelle, ce qui était une condition préalable à la réparation Est infirmée la partie de la décision portant que les intimés ont droit à l'indemnité prévue à l'art. 41(3)b) Statuer sur la
question de la responsabilité avant de permettre à VIA de rapporter la preuve contraire constitue un déni de justice naturelle L'administration de nouveaux éléments de preu- ves est indispensable à la bonne administration de la justice Le dossier permet de conclure que Wolfman a droit à l'indem- nité prévue à l'art. 41(3)b) La preuve de l'aptitude à subir avec succès l'examen de la vue n'est pas un élément nécessaire à l'appui de la demande d'indemnité Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi cana- dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, art. 14a), 41(2)c),(3)b), 42.1.
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation de la décision provisoire rendue par un tribunal d'appel à la suite d'un appel formé par la Commission canadienne des droits de la personne contre la décision d'un tribunal des droits de la personne. Le tribunal des droits de la personne a jugé que VIA Rail était coupable d'un acte discriminatoire en refusant d'embaucher les intimés en raison de leur handicap physique— déficience de la vue—et que les normes établies par VIA Rail pour les nouveaux employés n'étaient pas fondées sur des exigences professionnelles normales au sens de l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le tribunal a enjoint à VIA Rail de réviser ses exigences d'acuité visuelle et d'offrir des emplois aux intimés, pourvu qu'ils puissent satis- faire aux normes d'acuité visuelle en vigueur en matière de promotion et de réexamen. L'alinéa 41(2)c) de la Loi prévoit qu'un tribunal peut ordonner qu'une victime soit indemnisée de ses pertes de salaire et de ses dépenses entraînées par l'acte discriminatoire. En vertu de l'alinéa 41(3)b), un tribunal peut ordonner le versement d'une indemnité maximale de cinq- mille dollars à une victime d'un acte discriminatoire pour préjudice moral par suite de l'acte. Le tribunal n'a octroyé aucune indemnité, ni a-t-on constaté que l'un quelconque des intimés avait subi des pertes de salaire ou des dépenses ou avait souffert un préjudice moral. La Commission a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal au motif que les intimés auraient être indemnisés de la perte de salaire et du préju- dice moral soufferts du fait d'actes discriminatoires. En vertu du paragraphe 42.1(5), un tribunal d'appel peut, compte tenu de la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve. Le tribunal d'appel a donc jugé que, compte tenu de l'état incomplet des éléments de preuve soumis au tribunal initial, et de l'incertitude de la procédure devant une loi relativement nouvelle, il était indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir la preuve de ce qui s'était passé après que le tribunal des droits de la personne eut rendu sa décision à l'égard de pertes pécuniaires. Il a également autorisé l'introduction de nouveaux éléments de preuve à l'ap- pui de la demande d'indemnité, sous réserve du droit d'opposi- tion de VIA et du droit de celle-ci de rapporter la preuve contraire à une audience ultérieure du tribunal d'appel. L'avo- cat de VIA ne s'est pas opposé aux questions posées aux témoins et il a contre-interrogé l'un des deux témoins. Le troisième intimé, Wolfman, n'a pas témoigné devant le tribunal d'appel. Le tribunal a décidé que les intimés avaient droit à une indemnité pour pertes financières et à une indemnité addition- nelle prévue à l'alinéa 41(3)b). Toutefois, il n'a pas fixé de montant pour aucun des trois intimés. La requérante fait valoir (1) que le tribunal d'appel a commis une erreur de droit pour avoir autorisé la Commission à administrer la preuve relative au préjudice moral, preuve dont elle disposait avant le tribunal
d'enquête; (2) qu'allouer des dommages-intérêts aux intimés Butterill et Foreman avant l'administration de la preuve con- traire par VIA Rail constituait un déni de justice naturelle; (3) que la preuve produite devant le tribunal d'appel ne lui permettait pas d'accorder des dommages-intérêts à l'intimé Wolfman pour préjudice moral; et (4) que la preuve produite devant le tribunal d'appel ne lui permettait pas de conclure que les intimés Butterill et Wolfman pouvaient satisfaire aux exi- gences moins rigoureuses d'acuité visuelle, ce qui était une condition préalable à la réparation.
Arrêt: est infirmée la partie de la décision portant que les intimés Butterill et Foreman ont droit à l'indemnité prévue à l'alinéa 41(3)b) de la Loi. A tous les autres égards, la demande est rejetée. Pour ce qui est du premier moyen de la requérante, le tribunal d'appel a estimé, pour des motifs inattaquables, qu'il était indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir la preuve de ce qui s'était passé après que le tribunal des droits de la personne eut rendu sa décision. Ne s'étant pas opposée aux questions posées par l'avocat de la Commission, la requérante ne devrait pas pouvoir formuler des objections main- tenant, plus particulièrement à la lumière de la déclaration de son avocat qu'il a décidé de laisser faire le témoin et de discuter de la question. La requérante a renoncé à son droit de s'opposer à la réception des éléments de preuve, et la présente objection voulant que le tribunal d'appel ait commis une erreur en recevant ces éléments de preuve doit être repoussée. Quant au deuxième moyen, en se prononçant sur la question de la respon- sabilité avant de permettre à VIA de produire des éléments de preuve à ce sujet pour réfuter les témoignages de Butterill et de Foreman, le tribunal d'appel a agi prématurément et a omis d'observer un principe de justice naturelle. La décision portant que les intimés ont droit à une indemnité doit être infirmée, et l'affaire renvoyée au tribunal d'appel pour nouvelle décision tant sur la question de la responsabilité que sur toutes questions touchant le quantum. Pour ce qui est du troisième moyen, le dossier contient suffisamment d'éléments de preuve pour per- mettre de conclure que Wolfman avait souffert un préjudice moral pour s'être fait refuser l'emploi qu'il cherchait à cause de sa vue. Finalement, quant au quatrième moyen, la preuve de l'aptitude des intimés à subir avec succès l'examen de la vue ne constituait pas un élément qu'il leur incombait de prouver à l'appui de la demande d'indemnité. Ils ont établi le bien-fondé de leur plainte lorsqu'ils ont prouvé qu'on avait refusé de les engager par suite d'un acte discriminatoire illégal. De cette preuve et des autres faits en preuve concernant chacun des intimés, le tribunal pouvait déduire que ceux-ci avaient perdu les salaires qu'ils auraient autrement gagnés. Si VIA pouvait repousser cette conclusion en établissant des faits indiquant que les intimés ne pouvaient satisfaire aux »exigences professionnel- les normales» quant à leur vue, c'était à elle qu'il appartenait de rapporter la preuve de tels faits devant le tribunal. Une telle preuve n'ayant pas été faite, son objection ne saurait être retenue.
DEMANDE de contrôle judiciaire. AVOCATS:
I. Scott, c.r. et R. Anand pour la requérante. I. J. Collins pour l'intimé I. Cyril Wolfman.
R. G. Juriansz pour les intimés Marilyn But- terill et David J. Foreman et pour l'interve- nante la Commission canadienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour la requérante.
Kerekes, Collins, Toronto, pour l'intimé I. Cyril Wolfman.
Russell G. Juriansz, conseiller juridique, Commission canadienne des droits de la per- sonne, Ottawa, pour les intimés Marilyn But- terill et David J. Foreman et pour l'interve- nante la Commission canadienne des droits de la personne.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Cette demande, fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, tend à l'examen et à l'annulation de la décision provisoire rendue par un tribunal d'appel. Ce dernier a été constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33, pour entendre et juger l'appel formé par la Commission canadienne des droits de la personne contre la décision d'un tribunal des droits de la personne constitué sous le régime de la même Loi pour entendre et juger les plaintes déposées par les intimés. L'objet de la contestation fondée sur l'ar- ticle 28 est décrit comme suit dans l'avis introduc- tif de requête:
[TRADUCTION] ... la décision provisoire ... concernant le pouvoir du tribunal d'appel de substituer sa décision relative aux dommages-intérêts à celle du premier tribunal, et l'octroi d'une indemnité en vertu des articles 41(2)c) et 41(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne'.
' Une requête, introduite par la Commission, tendant à l'an- nulation de la demande fondée sur l'article 28 au motif que la «décision provisoire» du tribunal d'appel n'était pas une «déci- sion ou ordonnance» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, a été rejetée le 13 mai 1981 [non publiée], la Cour ayant jugé que la décision provisoire [TRADUCTION] «a clairement statué sur certaines des questions que le tribunal avait le pouvoir de trancher» et n'était pas une simple expres sion d'opinions qui ne serait pas susceptible d'examen sous le régime de l'article 28.
Dans sa décision, le président du tribunal des droits de la personne avait jugé que VIA, la requé- rante dans la présente instance, avait violé la Loi canadienne sur les droits de la personne en refu- sant d'embaucher les intimés en raison de leur handicap physique—déficience de la vue—et que les normes établies par VIA Rail pour les nou- veaux employés n'étaient pas fondées sur des exi- gences professionnelles normales, au sens de l'ali- néa 14a) de la Loi. Ces conclusions n'étaient pas contestées devant le tribunal d'appel. Ayant ainsi conclu, le tribunal rendit une ordonnance:
a) enjoignant à VIA de réviser ses exigences d'acuité visuelle en question,
b) portant que les exigences d'acuité actuelle- ment en vigueur en matière de promotion et de réexamen continueront à s'appliquer entre- temps aux nouveaux candidats, et prévoyant ce qui suit en ce qui concerne les trois plaignants (intimés):
(c) Via Rail devra offrir un emploi de serveuse à Marylin [sic] Butterill, dès que le prochain poste devien- dra disponible à Winnipeg, à condition qu'elle puisse satisfaire aux normes d'acuité visuelle actuellement en vigueur à l'égard des promotions et des ré-examens [sic].
(d) Via Rail devra offrir un emploi de porteur à M. Cyril Wolfman pour les mois d'été à condition qu'il puisse satisfaire aux normes d'acuité visuelle actuellement en vigueur à l'égard des promotions et des ré-examens [sic].
(e) Via Rail devra offrir un emploi de serveur/somme- lier à M. David Foreman, à condition qu'il puisse satis- faire aux normes d'acuité visuelle actuellement en vigueur à l'égard des ré-examens [sic] et des promotions.
Aucune indemnité 2 n'a été octroyée en vertu de l'alinéa 41(2)c) ou de l'alinéa 41(3)b). Ni a-t-on constaté que l'un quelconque des intimés avait subi des pertes de salaire ou des dépenses au sens de l'alinéa 41(2)c), ou avait souffert un préjudice moral au sens de l'alinéa 41(3)b).
2 41....
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire
Ce n'est pas par inadvertance que le tribunal n'a pas accordé une indemnité. Dans ses motifs, le président du tribunal s'exprime en ces termes:
Compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, je ne pense pas justifié d'accorder des dommages généraux. La com pensation principale est le respect de la Loi canadienne des droits de la personne par Via Rail, et plus spécifiquement à l'égard des plaignants.
L'appel contre la décision rendue par un tribu nal des droits de la personne est prévu à l'article 42.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet article porte:
42.1 (1) La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l'ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l'avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l'avis prévu au paragraphe 40(1), dans les trente jours du prononcé de la décision ou de l'ordonnance.
(2) La Commission doit, dès la signification de l'avis d'appel, si elle interjette appel, ou, dès la réception de l'avis d'appel, constituer un tribunal d'appel de trois membres à partir de la liste prévue au paragraphe 39(5), à l'exclusion des membres du tribunal qui ont rendu la décision ou l'ordonnance visée par l'appel.
(3) Sous réserve du présent article, les tribunaux d'appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l'article 39 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 39(4).
(4) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.
(5) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les arguments des parties intéressées mais il peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte; et
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu
a) que la personne a commis l'acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou
b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l'acte discriminatoire,
peut ordonner à la personne de payer à la victime une indem- nité maximale de cinq mille dollars.
(6) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus au présent article peut
a) les rejeter; ou
b) y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles du tribunal dont la décision fait l'objet de l'appel.
Exerçant le droit conféré par cette disposition, la Commission a interjeté appel de la décision du tribunal au motif, ainsi qu'il est énoncé dans son avis d'appel, que:
[TRADUCTION] Le tribunal aurait ordonner à l'intimé d'in- demniser les parties plaignantes pour perte de salaire et préju- dice moral soufferts du fait d'actes discriminatoires.
Au début de l'audience devant le tribunal d'ap- pel, l'avocat de la Commission et des trois plai- gnants avait demandé et obtenu l'autorisation d'administrer la preuve d'événements qui s'étaient passés après que le tribunal eut rendu son ordon- nance; il avait également été autorisé, sous réserve de tout motif d'opposition que pourrait faire valoir l'avocat de VIA et du droit de celle-ci de rapporter la preuve contraire, à produire de nouveaux élé- ments de preuve à l'appui de la demande d'indem- nisation des plaignants. Les plaignants Butterill et Foreman ont donc témoigné. Puis suivit une dis cussion au terme de laquelle le président dit ceci:
[TRADUCTION] Alors, si vous voulez bien, nous allons procé- der ainsi à l'audition des plaidoiries sur toutes les questions que vous désirerez soulever, sans préjudice du droit de M. Allen de produire des preuves supplémentaires s'il le juge utile. Il se peut qu'après notre décision cela ne soit plus nécessaire, ou encore, que vous ne vouliez pas continuer. Du moins, nous pouvons procéder à l'audition des arguments ce matin, et laisser en suspens la question de savoir si nous devons entendre les nouveaux éléments de preuve. Cela vous convient-il?
L'avocat de la Commission et des plaignants tomba d'accord, et les plaidoiries furent entendues. Lorsque celles-ci prirent fin, le président annonça:
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT: Messieurs, le tribunal s'ajourne maintenant. Il y a plusieurs choses dont nous devons discuter entre nous. A part les questions de fond, nous devrons égale- ment statuer sur la question de savoir s'il y a lieu de tenir une autre audience. A moins que vous ne suggériez autre chose, nous proposons que le tribunal s'ajourne maintenant, et nous vous ferons part de nos délibérations sur la question.
Cela vous convient-il? Et nous ne fixons pas de délai ni de procédure future?
M. JURIANSZ: Oui, cela me convient. M. ALLEN: Moi aussi.
Deux mois plus tard et sans aucune nouvelle audience, le tribunal d'appel a rendu la décision provisoire qui fait l'objet de la présente demande. Le tribunal d'appel y a jugé qu'il ressortissait clairement des éléments de preuve produits devant le tribunal des droits de la personne que les plai- gnants avaient tous trois subi, par suite de l'acte discriminatoire, des pertes financières sous forme d'une baisse de revenu, et que la requérante VIA devrait être tenue de les indemniser de ces pertes. Le tribunal d'appel a également examiné l'alinéa 41(3)8): il a conclu qu'il y avait lieu d'accorder des indemnités additionnelles dans un cas comme celui de l'espèce et a déclaré qu'il était disposé à accor- der des indemnités en vertu de cette disposition. Il a en outre abordé la question de la période pour laquelle les indemnités devraient être accordées et les principes de fixation du quantum, mais n'a pas fixé de montant pour aucun des trois plaignants. Le tribunal d'appel semble avoir eu l'impression qu'aucune indemnité n'avait été demandée devant le tribunal des droits de la personne, mais il ressort de la transcription des débats devant ce tribunal que des demandes d'indemnités avaient été formu- lées: $1,000 pour la plaignante Butterill et $500 pour chacun des deux autres plaignants.
La décision provisoire se termine par ce paragraphe:
Le tribunal s'ajourne indéfiniment mais siégera à nouveau si la demande en est transmise au président par l'une des deux parties en cause.
Le premier moyen exposé dans l'avis introductif de requête, quoique soulevé dans le mémoire de la requérante, n'a pas fait l'objet d'une argumenta tion. J'ai conclu à son abandon, mais, en tout état de cause, eu égard à l'alinéa 42.1(6)8) de la Loi, je ne pense pas qu'on puisse soutenir que le tribunal d'appel n'est pas habilité à substituer son jugement à celui du tribunal des droits de la personne.
Pour ce qui est du second moyen, quatre points ont été soulevés, savoir:
[TRADUCTION] (i) Que le tribunal d'appel a commis une erreur de droit pour avoir autorisé la Commission à adminis- trer la preuve relative au préjudice moral, preuve dont elle disposait avant le tribunal d'enquête;
(ii) qu'allouer des dommages-intérêts aux plaignants Butte - rill et Foreman avant l'administration de la preuve contraire par Via Rail constituait un déni de justice naturelle;
(iii) que la preuve produite devant le tribunal d'appel ne lui permettait pas d'accorder des dommages-intérêts au plai- gnant Wolfman pour préjudice moral;
(iv) que la preuve produite devant le tribunal d'appel ne lui permettait pas de conclure que les plaignants Butterill et Wolfman pouvaient satisfaire aux exigences moins rigoureu- ses d'acuité visuelle, ce qui était une condition préalable à la réparation.
Les faits concernant le premier de ces points sont résumés comme suit dans les motifs du tribu nal d'appel:
Au début de l'audience de ce tribunal d'appel, l'avocat des plaignants et de la Commission désirait verser au dossier des pièces supplémentaires à l'appui de la question d'indemnisation, mais l'avocat du défendeur s'y est opposé, en prenant comme motif, entre autres, qu'il n'en avait pas été préalablement averti et que par conséquent il n'était pas préparé à les réfuter.
Nous avons décidé, en vertu de l'article 42(5) [sic] de la loi qu'il était «indispensable à la bonne administration de la jus tice» de recevoir ces pièces supplémentaires comme éléments de preuve, du moins celles afférentes aux pertes pécuniaires subies entre la date de la décision du tribunal initial et la date de réintégration. En ce qui concerne les autres éléments de preuve pouvant être présentés à l'appui de la demande d'indemnités, nous avons fait savoir que nous déciderions de les admettre ou non, en réponse aux objections soulevées par l'avocat du défen- deur, au fur et à mesure de l'audition des témoins. Nous avons ensuite entendu le témoignage de deux des plaignants, Marilyn Kube (née Butterill) et David Foreman. L'avocat n'a soulevé qu'une objection - à propos d'une déclaration de M. Foreman qui dépassait de beaucoup son cas personnel - et nous avons admis cette objection. D'autres éléments de preuve fournis par Mme Kube et M. Foreman n'ont pas soulevé d'objections, bien que certains se soient rapportés à des questions autres que les pertes financières subies entre la date de la décision et celle de la réintégration des employés.
Nous avons donné l'assurance à l'avocat du défendeur qu'il aurait l'occasion de réfuter ces éléments de preuve, s'il le souhaitait, à une séance ultérieure du tribunal d'appel.
L'argument avancé par l'avocat de la requé- rante, si je comprends bien, est le suivant. Le tribunal d'appel n'était pas en droit d'entendre les preuves supplémentaires, à moins qu'il n'estimât qu'il était indispensable à la bonne administration de la justice de le faire. Comme la preuve produite devant lui ne lui permettait pas d'arriver à une telle conclusion et comme il semble que le tribunal d'appel n'était pas satisfait de la preuve, jugeant insuffisante au moins celle des faits survenus avant ou au moment de l'audience tenue devant le tribu nal des droits de la personne, le tribunal d'appel a commis une erreur en recevant ces preuves supplémentaires.
Il convient de souligner plusieurs points. En premier lieu, le tribunal d'appel a estimé, pour des motifs inattaquables, qu'il était indispensable à la bonne administration de la justice de recevoir la preuve de ce qui s'était passé après que le tribunal des droits de la personne eut rendu sa décision. En second lieu, bien qu'il ressorte du dossier que l'avocat de la Commission a posé aux deux témoins des questions se rapportant vaguement à leur droit à une indemnité en vertu de l'alinéa 41(3)b) pour préjudice moral par suite du refus de les engager, aucune objection n'a été soulevée au moment ces questions ont été posées, bien que le tribunal d'appel ait antérieurement suggéré à l'avocat de VIA de le faire à ce moment, s'il avait une objec tion à soulever, et le deuxième de ces témoins a été contre-interrogé assez longuement sur la question par l'avocat de VIA.
De plus, il appert qu'au cours des plaidoiries devant le tribunal d'appel, le dialogue suivant a eu lieu:
[TRADUCTION] M. LEDDY: Serait-il juste de laisser dire que le témoin s'est peut-être écarté du premier point pour aborder le second, du moins en partie.
M. ALLEN: Il a effectivement abordé le second point, et j'aurais pu m'y opposer, mais j'ai décidé de le laisser faire et de discuter de la question.
Il ressort enfin de ses motifs que le tribunal d'appel semble être arrivé à la conclusion, compte tenu de la preuve produite devant lui, qu'il était indispensable à la bonne administration de la jus tice de recevoir des preuves supplémentaires. Dans un passage qui suit immédiatement celui qui est cité ci-dessus, le tribunal dit ceci:
Les éléments de preuve concernant les indemnités en restent à présent à cet état incomplet et regrettable. Si les parties ne peuvent parvenir à s'entendre sur l'importance des indemnités à verser à chaque plaignant, il faudra à nouveau citer les parties devant le tribunal pour permettre à celui-ci d'approfondir la question. Bien qu'il ne soit en général pas souhaitable d'autori- ser l'introduction de nouveaux éléments de preuve en appel, s'il s'agit de questions qui auraient pu être présentées au cours de la première audience, nous avons jugé, devant l'insuffisance des éléments soumis au tribunal initial et l'incertitude étaient placés les deux avocats face à la procédure, et devant cette loi relativement nouvelle, nous avons jugé «indispensable à la bonne administration de la justice» d'autoriser les parties à présenter les éléments de preuve supplémentaires concernant l'importance à accorder aux indemnités, si elles le souhaitaient.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire en l'espèce d'examiner les principes sur lesquels se fondent les
cours d'appel pour statuer sur les demandes d'au- torisation de produire, en appel, des preuves sup- plémentaires. Le critère en est fourni par la loi. Je ne pense pas non plus qu'il soit nécessaire d'exami- ner quel type de document doit être produit devant le tribunal d'appel à l'appui d'une telle demande pour lui permettre de rendre sa décision motivée. Le tribunal d'appel s'est manifestement prononcé en fonction de sa perception du dossier. De même, il est inutile d'examiner si le dossier était cette décision. Ne s'étant pas opposée aux questions particulières posées par l'avocat de la Commission et des plaignants, et ayant contre-interrogé l'un des deux témoins sur ce point, à mon avis, la requérante ne devrait pas pouvoir formuler des objections maintenant, plus particulièrement à la lumière de la déclaration de son avocat qu'il a décidé de laisser faire le témoin et de discuter de la question.
A mon avis, la requérante a effectivement renoncé à son droit de s'opposer à la réception des éléments de preuve, et la présente objection vou- lant que le tribunal d'appel ait commis une erreur en recevant ces éléments de preuve doit être repoussée.
Le second point soulevé est que le tribunal d'ap- pel n'a pas observé les principes de justice natu- relle en concluant au droit des plaignants Butterill et Foreman à une indemnité pour le préjudice moral subi avant que la requérante VIA n'ait eu l'occasion de réfuter les éléments de preuve pro- duits par ces plaignants devant le tribunal d'appel.
Au cours d'une longue discussion de la question, le tribunal d'appel jugea qu'il convenait, dans un cas de ce genre, d'accorder une indemnité sous le régime de l'alinéa 41(3)b); que l'absence de mau- vaise foi de la part de VIA n'était pas pertinente à cet égard; que l'indemnité considérée devrait être accordée automatiquement lorsque la condition prévue à cet alinéa est remplie, à moins qu'il n'existe de bonnes raisons de refuser ce dédomma- gement; que malgré le défaut par l'avocat des plaignants de réclamer cette indemnité devant le tribunal des droits de la personne, les plaignants avaient toujours le droit d'en faire la demande en appel, et que la période visée par l'indemnité s'étendait de la date de refus d'embauchage à ce qu'on a appelé la date de réintégration, ou la date
à laquelle le plaignant cessait d'être disponible pour cette réintégration, selon la première de ces deux dates. Alors que les autres points tranchés ont un caractère général, le dernier point ci-dessus semble avoir été tranché eu égard à l'affaire parti- culière dont était saisi le tribunal. Ce dernier discuta ensuite du quantum des indemnités, jugea que le principe applicable était que «la partie lésée doit être remise dans la position elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s'était pas produit, dans la mesure l'argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes.« Il dit ensuite ceci:
Le niveau de compensation à accorder à chaque plaignant dépendra des preuves que l'on aura sur la situation de chacun et des déductions que l'on veut raisonnablement en tirer. Malheu- reusement, les éléments de preuve soumis au tribunal initial ne sont pas aussi satisfaisants qu'ils auraient pu l'être. En fait, une grande partie des renseignements qui nous sont parvenus sur les indemnités a été fournie en cours de plaidoirie par l'avocat des plaignants plutôt qu'à titre de pièces constituant, des éléments de preuve. L'avocat du défendeur a contesté l'exactitude de certains des renseignements produits par les plaignants et leur avocat, mais sans offrir de preuve du contraire.
Dans ce passage, le tribunal d'appel semble se reporter à ce qui s'était passé devant le tribunal des droits de la personne. Ce passage est suivi de ceux qui ont déjà été cités, décrivant le déroule- ment de l'audience tenue devant le tribunal d'ap- pel. Dans l'extrait suivant, le tribunal se livre à cette analyse:
Nous espérons néanmoins que les parties ne jugeront pas nécessaire de demander au tribunal d'appel de siéger à nou- veau. Bien que les avocats aient déclaré à l'audience qu'ils doutaient fort de ce que les parties parviennent s'entendre] sur l'importance des dommages-intérêts, nous leur demandons instamment de tenter de se mettre d'accord. La majorité des calculs à faire est surtout arithmétique et il devrait être possible à des avocats d'expérience de parvenir à une estimation relati- vement précise sur les indemnités qu'accorderait ce tribunal d'appel en appliquant les principes généraux que nous avons énoncés aux faits concernant les plaignants portés à la connais- sance des avocats. S'il était nécessaire cependant de demander aux avocats de siéger à nouveau, le coût qui se répercuterait sur le contribuable canadien, le défendeur, la commission et peut- être même les plaignants serait important. Pour éviter de telles dépenses dans la mesure du possible, nous demandons aux deux avocats de chercher par tous les moyens à s'entendre sur le montant des indemnités à accorder.
Le tribunal s'ajourne indéfiniment mais siégera à nouveau si la demande en est transmise au président par l'une des deux parties en cause.
A mon avis, il ressort de tout ce qui précède que le tribunal d'appel a conclu que les plaignants étaient en droit d'être indemnisés sous le régime de l'alinéa 41(3)b), mais que la preuve était si peu satisfaisante qu'il serait nécessaire de recevoir des preuves supplémentaires, et que c'est pour cette raison que la procédure a été ajournée indéfini- ment, dans l'espoir que les parties pourraient par- venir à s'entendre. Il en ressort clairement qu'on doit donner aux parties l'occasion d'introduire des éléments de preuve relativement au quantum des dommages-intérêts à accorder si les parties ne peuvent se mettre d'accord. Mais il a été décidé que chacun des plaignants a droit à l'octroi de dommages-intérêts. C'est cette décision que vise l'objection.
Dans l'examen de la prétention de la requérante, on doit se rappeler ceci: qu'il y ait eu ou non devant le tribunal des droits de la personne des éléments de preuve à partir desquels il aurait pu accorder une indemnité en vertu de l'alinéa 41(3)b), le tribunal n'avait nullement décidé que l'un quelconque des plaignants avait souffert un préjudice moral par suite de l'acte discriminatoire de VIA, et n'avait accordé d'indemnité à aucun d'entre eux. La demande d'indemnité a ainsi sou- levé devant le tribunal d'appel la question de savoir si les plaignants avaient souffert un préjudice moral et avaient droit à une indemnité, ainsi que celle de savoir quel serait le quantum de cette indemnité, s'ils étaient en droit d'être indemnisés. Il incombait au tribunal d'appel de trancher ces questions à partir des éléments de preuve consignés dans le dossier du tribunal des droits de la per- sonne et à partir des éléments de preuve supplé- mentaires qu'il jugerait recevables.
A mon avis, le tribunal d'appel a tranché la question d'indemnisation en faveur des plaignants et a laissé aux parties le soin d'en déterminer, d'un commun accord si possible, le quantum, à défaut de quoi il s'en occuperait lui-même après une nouvelle audition des preuves supplémentaires seraient recevables. Ce qui semble équivaloir à rendre un jugement accordant des dommages-inté- rêts en en reportant l'évaluation. Si tel est bien l'effet de ce qu'a fait le tribunal d'appel, il me semble qu'en se prononçant sur la question de la responsabilité avant de permettre à la requérante VIA de produire des éléments de preuve à ce sujet
pour réfuter les témoignages des plaignants Fore man et Butterill, le tribunal d'appel a agi prématu- rément et a omis d'observer un principe de justice naturelle. Par conséquent, la décision portant que ces deux plaignants ont droit à l'octroi d'une indemnité doit être infirmée, et l'affaire renvoyée au tribunal d'appel pour nouvelle décision après que la requérante VIA aura eu l'occasion de pro- duire des éléments de preuve pour réfuter la preuve des plaignants Butterill et Foreman, tant sur la question de sa responsabilité envers ceux-ci sous le régime de l'alinéa 41(3)b) que sur toutes questions touchant le quantum des dommages- intérêts à leur verser.
Le même moyen n'a pas été invoqué à l'égard de la décision concernant le plaignant Wolfman. Dans son cas, la requérante a fait valoir que le tribunal d'appel ne disposait d'aucun élément de preuve pour conclure que Wolfman avait souffert un préjudice moral par suite de l'acte discrimina- toire. Comme Wolfman n'a pas témoigné devant le tribunal d'appel, ce dernier ne disposait que du dossier de la procédure devant le tribunal des droits de la personne.
Je ne suis pas d'accord avec la requérante à ce sujet. Bien qu'il n'y ait aucune preuve directe à cet égard, le dossier contient, à mon avis, la preuve de suffisamment de faits pour permettre de conclure que Wolfman avait souffert un préjudice moral pour s'être fait refuser l'emploi qu'il cherchait à cause de sa vue. Sera donc confirmée cette partie de la décision du tribunal d'appel portant que Wolfman a droit à l'indemnité prévue à l'alinéa 41(3)b).
Le dernier point soulevé par la requérante VIA est que la preuve au dossier ne permettait pas au tribunal d'appel de conclure que les plaignants Butterill et Wolfman pouvaient satisfaire aux exi- gences moins rigoureuses d'acuité visuelle pour promotion ou réexamen mentionnées dans l'ordon- nance du tribunal. Il n'est pas prouvé que l'un ou l'autre plaignant a subi avec succès ce test puis- qu'ils ont tous deux refusé l'offre d'emploi que leur a faite VIA quelques mois après l'ordonnance du tribunal, pour des raisons personnelles qui étaient intervenues entre-temps. L'argument, tel que je le vois, est que, puisqu'on n'a pas prouvé l'aptitude à
subir avec succès l'examen, il n'a pas été établi que les plaignants avaient subi une perte de salaire par suite de l'acte discriminatoire.
Tenant compte de la preuve administrée, le tri bunal d'appel a conclu:
Bien que les avis diffèrent sur les montants précis que cela représente, il ressort nettement des pièces présentées au tribu nal initial que les trois parties plaignantes ont subi des pertes financières sous forme d'une baisse de revenu, par suite de l'acte discriminatoire dont elles ont été victimes, du fait du défendeur. Ce dernier aurait-il être tenu de les indemniser de ces pertes? A notre avis, il le devrait sans aucun doute.
A mon avis, la preuve de l'aptitude des plai- gnants à subir avec succès l'examen de la vue mentionnée dans l'ordonnance du tribunal des droits de la personne ne constituait pas un élément qu'il leur incombait de prouver à l'appui de leur demande d'indemnité pour la perte de salaire subie par suite de l'acte discriminatoire. A mon avis, ils ont établi le bien-fondé de leur plainte lorsqu'ils ont prouvé qu'on avait refusé de les engager par suite d'un acte discriminatoire illégal. De cette preuve et des autres faits en preuve concernant chacun des plaignants, le tribunal pouvait déduire que ceux-ci avaient perdu les salaires qu'ils auraient autrement gagnés. Cela étant, si la requé- rante VIA pouvait repousser cette conclusion en établissant des faits indiquant que les plaignants, ou l'un d'entre eux, ne pouvaient satisfaire aux «exigences professionnelles normales» quant à leur vue (voir l'alinéa 14a) de la Loi), c'était à elle qu'il appartenait de rapporter la preuve de tels faits devant le tribunal. Une telle preuve n'ayant pas été faite, son objection ne saurait être accueillie.
J'estime donc qu'il y a lieu d'infirmer cette partie de la décision portant que les intimés But- terill et Foreman ont droit à l'indemnité prévue à l'alinéa 41(3)b) de la Loi et de renvoyer l'affaire au tribunal d'appel pour qu'il statue à nouveau après avoir donné à VIA l'occasion de produire des éléments de preuve pour réfuter la preuve des intimés. A tous les autres égards, la demande sera rejetée.
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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