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T-5141-79
Le navire C. F. Todd, The Canadian Fishing Com pany Limited et John Katnic (demandeurs)
c.
Le navire Tana Warrior, British Columbia Pack ers Limited et Willis Crosby (défendeurs)
Division de première instance, juge Addy— Vancouver, 18 janvier et 10 février 1982.
Droit maritime Pratique Requête en vue d'ajouter une demande reconventionnelle à la défense malgré la prescription La Limitation Act de C.-B. ne prévoit pas de prescription en matière de demande reconventionnelle Selon l'art. 38 de la Loi sur la Cour fédérale, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur dans une province s'appli- quent à une instance en Cour fédérale dans le cas la cause de l'action a pris naissance dans la province, sous réserve d'une disposition contraire de toute autre loi Prescription de deux ans prévue par l'art. 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada en matière d'action pour avarie causée à un navire par un autre navire, mais pouvoir discrétionnaire de la Cour de proroger ce délai Abordage dans les eaux territoriales de C.-B. Avant l'introduction de l'action, les défendeurs ont notifié aux demandeurs leur intention de déposer une demande reconventionnelle en dommages-intérêts s'ils engageaient une action Deux mois après l'institution de l'action, dépôt d'une défense se bornant à nier la négligence Fourniture de tous les détails des avaries causées au navire défendeur lors d'in- terrogatoires préalables tenus plusieurs mois avant l'expira- tion du délai de prescription Dans les pourparlers en vue de transiger, les défendeurs soutiennent que les deux parties ont été négligentes Plus d'un an après l'expiration du délai de prescription, les demandeurs annoncent leur intention de s'ap- puyer sur la prescription de deux ans prévue à l'art. 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada La Limitation Act de C.-B. ne s'applique pas Principes régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire de prorogation du délai en vertu de l'art. 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada La Cour peut tenir compte des circonstances générales du cas d'espèce Requête accueillie Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38 Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 645(1),(2) Limitation Act, S.R.C.-B. 1979, c. 236, art. 4(1)a).
Les défendeurs demandent l'autorisation de modifier leur défense pour y ajouter une demande reconventionnelle, après expiration du délai de prescription de deux ans. L'abordage des deux navires a eu lieu en novembre 1978 dans les eaux territo- riales de la Colombie-Britannique. En août 1979, les avocats des défendeurs ont appris que les demandeurs avaient l'inten- tion d'engager une action et ils ont répondu qu'en ce cas, les défendeurs formeraient une demande reconventionnelle en dommages-intérêts. L'action a été engagée en octobre 1979 et une défense, se bornant à nier la négligence, a été produite en décembre 1979. Les interrogatoires préalables ont eu lieu en avril 1980 et les défendeurs ont fourni tous les détails des avaries causées à leur navire. Au cours des négociations en vue de transiger, les défendeurs ont prétendu qu'il y avait eu négligence de la part des deux parties et que toute juridiction
saisie du litige partagerait la responsabilité. La prescription extinctive a été acquise en novembre 1980. En décembre 1981, les pourparlers s'étant poursuivis, les défendeurs ont indiqué qu'ils avaient l'intention de s'appuyer sur la prescription de deux ans du paragraphe 645(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada. Les défendeurs soutiennent que, comme l'accident s'est produit dans les eaux territoriales de la Colombie-Britannique, l'article 4 de la Limitation Act de cette province s'applique. Cet article dispose que la prescription ne s'applique pas à une demande reconventionnelle. L'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale porte que «Sauf disposition con- traire de toute autre loi», les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur dans une province s'appli- quent à toute procédure devant la Cour fédérale relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province. Le paragraphe 645(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada prévoit qu'aucune action en dommages-intérêts n'est soutenable contre un bâtiment à moins que les procédures ne soient intentées dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle l'avarie a été causée. Toutefois, le paragraphe 645(2) prévoit que la Cour peut proroger ce délai dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables.
Arrêt: la requête est accueillie. La Limitation Act de la Colombie-Britannique ne s'applique pas en l'espèce puisqu'il existe une autre loi, en l'occurrence l'article 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada, relative à la prescription appli cable en l'instance. La question se pose donc de savoir quel principe général devrait fonder la décision de proroger ou non le délai selon le paragraphe 645(2). Les tribunaux n'ont pas suivi une règle de preuve étroite exigeant que la partie requé- rante fournisse d'abord un motif véritable d'écarter la prescrip tion, autre que l'erreur, l'inadvertance ou l'ignorance, avant d'examiner l'équité de la demande par rapport aux parties et les autres circonstances de l'espèce. Ils tiennent compte des cir- constances générales et, lorsque la partie poursuivie paraît ne subir aucun préjudice réel (autre que la perte du droit de se prévaloir de la prescription) que des conditions spéciales dans l'ordonnance de prorogation ne sauraient corriger et lorsque, compte tenu de tous les faits pertinents, la prorogation parait être dans le meilleur intérêt de la justice, l'ordonnance est accordée, indépendamment du fait que le motif fondamental du délai ait pu être l'inadvertance, l'erreur ou l'ignorance de la loi. Quant aux circonstances générales du présent cas d'espèce, c'est uniquement par inadvertance qu'aucune demande recon- ventionnelle n'a été incluse dans la défense. Par ailleurs, les demandeurs n'ont jamais sciemment tenté d'amener les défen- deurs à laisser le délai courir. Les demandeurs ne subiront aucun préjudice que les dépens ne pourraient réparer, si ce n'est la perte de la prescription de deux ans. D'après la demande reconventionnelle, si certains des faits allégués étaient établis, la demande reconventionnelle des défendeurs contre les deman- deurs serait probablement valide en droit et il se pourrait même que les défendeurs subissent un préjudice sérieux s'il leur était interdit de l'intenter. Les défendeurs avaient avisé les deman- deurs, avant le début des procédures, qu'en cas d'action dirigée contre eux, ils feraient une demande reconventionnelle pour leurs propres dommages-intérêts. Au cours des négociations en vue d'une transaction et avant l'expiration du délai de prescrip tion, les demandeurs avaient appris que les défendeurs s'atten- daient à un partage de la responsabilité. Il se peut que les avocats des demandeurs n'aient pas su qu'aucune demande
reconventionnelle ne figurait dans les écritures. Il y avait eu des interrogatoires préalables sur l'étendue et le détail du montant des dommages des défendeurs et des rapports d'experts mariti- mes sur le sujet avaient été déposés plusieurs mois avant qu'il n'y ait prescription.
Jurisprudence: décision appliquée: A. G. Kelloway c. Engi neering Consultants Limited [1972] C.F. 932. Décision examinée: The Llandovery Castle [1920] P. 119. Décisions mentionnées: Sarnia Steamships Ltd. c. Dominion Foun dries and Steel Ltd. [1948] R.C.E. 253; Heath c. Kane (N° 2), Hartikainen c. Kane (N° 2) (1976) 15 O.R. (2e) 262; The Arraiz (1924) 132 L.T. 715; Chemainus Towing Co. Ltd. c. Le navire ..Capetan Yiannis» [1966] R.C.É. 717. Décisions analysées: Philipp Brothers c. Torm, A/S, DIS, Cast Lines (1979) 105 D.L.R. (3e) 763 (C.F., 1t° inst.); Hijos de Romulo Torrents Albert S.A. c. Le navire ..Star Blackford» [1979] 2 C.F. 109.
REQUÊTE. AVOCATS:
Michael J. Bird pour les demandeurs. J. J. L. Hunter pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour les demandeurs. Davis & Company, Vancouver, pour les défendeurs.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: Il s'agit en l'espèce de deux navires, des bâtiments de pêche, impliqués dans un abordage en mer.
Les défendeurs demandent l'autorisation de modifier leur défense pour y ajouter une demande reconventionnelle. Il y a eu prescription, biennale. Voici les faits en cause, énoncés chronologique- ment:
(1) L'abordage eut lieu le 2 novembre 1978 dans les eaux territoriales de la Colombie-Britanni- que, à Deep Water Bay.
(2) En août 1979, les avocats des défendeurs apprenaient que les demandeurs avaient l'inten- tion d'engager une action; le 8 août 1979, ils écrivaient aux avocats des demandeurs disant que si une action était engagée, ils avaient ins truction d'accepter signification de la déclara- tion et de former une demande reconvention- nelle en dommages-intérêts au nom de leurs clients. Aussi, s'il y avait saisie du navire défen-
deur, ils verraient à faire saisir le navire demandeur.
(3) Les demandeurs intentèrent une action le 24 octobre 1979; il y eut production d'une défense deux mois plus tard, le 31 décembre 1979.
(4) La défense ne soutient pas qu'il y a eu négligence des demandeurs; elle se borne à nier qu'il y ait eu négligence des défendeurs. L'ajout proposé alléguerait la négligence des deman- deurs et, bien entendu, réclamerait des domma- ges-intérêts en demande reconventionnelle. Con clusion subsidiaire, on excipe aussi de la faute commune en défense à l'action principale.
(5) Les parties ont déposé et se sont communi- qué des listes de pièces un mois plus tard.
(6) Il y a eu interrogatoire préalable des parties en avril 1980. Lors de l'interrogatoire préalable des défendeurs, on demanda et obtint tous les détails des avaries causées au navire défendeur et les rapports d'expertise furent étudiés. Les demandeurs prétendent toutefois que ces détails ne furent exigés que dans le but de déterminer la nature et la localisation des avaries du navire défendeur afin d'établir précisément le point d'impact et les positions respectives des navires au moment du choc, non afin d'étudier les mon- tants d'une demande éventuelle en dommages- intérêts des défendeurs.
(7) Avant que la prescription extinctive ne soit acquise, le 1°f novembre 1980, les parties échan- gèrent plusieurs lettres en vue de transiger. Dans cette correspondance, les avocats des défen- deurs, le 30 juillet 1980, prétendent qu'il y a eu négligence de la part des deux parties et que toute juridiction saisie du litige partagerait la responsabilité. La lettre comporte aussi la décla- ration suivante: [TRADUCTION] «Je suis prêt à recommander que l'on transige pour % [pour- centage effacé pour les fins de la requête] parta- geant ainsi la responsabilité selon le montant des dommages approuvé par nos experts respectifs.» Après avoir accusé réception de cette lettre, le 19 août 1980, les avocats des demandeurs répon- dirent qu'ils soumettaient la chose à Ieurs clients.
(8) Le 1" novembre 1980, il y eut prescription, de deux ans.
(9) Le 24 février 1981, les demandeurs répondi- rent finalement qu'ils ne croyaient pas qu'un tribunal partagerait la responsabilité mais, afin d'éviter la prolongation du litige, ils étaient prêts à transiger en prenant pour base un certain pourcentage de responsabilité. Cette lettre tou- tefois ne mentionnait que les dommages-intérêts revendiqués par les demandeurs, ignorant ceux exigés par les défendeurs.
(10) Après avoir accusé réception de cette der- nière lettre, les avocats des défendeurs écrivirent le 5 juin 1981 qu'ils offraient de transiger en prenant en compte les deux réclamations selon un partage quelconque de la responsabilité. On évaluait expressément les dommages-intérêts des deux parties. Ne recevant aucune réponse, ils en réclamaient une le 9 septembre 1981; le 14 septembre, les avocats des demandeurs répon- daient qu'ils demandaient des instructions à leurs clients avant de répondre.
(11) Les défendeurs réclamèrent de nouveau une réponse le 16 novembre 1981, laquelle les avocats des demandeurs répondirent, le 18 novembre 1981, de nouveau, qu'ils attendaient des instructions. Enfin, le 22 décembre 1981, ils écrivirent pour refuser l'offre du 5 juin 1981 et, pour la première fois, notifier aux défendeurs qu'aucune action séparée ou demande reconven- tionnelle n'avait été engagée, indiquant qu'ils avaient l'intention de s'appuyer sur la prescrip tion de deux ans du paragraphe 645(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, contre toute demande en domma- ges-intérêts de la part des défendeurs.
En premier lieu, les défendeurs soutiennent que, comme l'accident s'est produit dans les eaux terri- toriales de la Colombie-Britannique, l'article 4 de la Limitation Act de cette province s'applique (S.R.C.-B. 1979, c. 236). Voici l'alinéa 4(1)a) de cette loi:
[TRADUCTION] 4. (1) Il n'y a pas prescription lorsqu'a été engagée une action à laquelle la présente ou toute autre loi s'applique, dans les cas suivants:
a) une demande reconventionnelle, y inclus l'ajout d'une nouvelle partie comme défenderesse reconventionnelle;
Le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédé- rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, porte:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province ....
La circonstancielle en début d'article est sans équi- voque et doit recevoir plein effet. Il existe une «toute autre loi», soit l'article 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada, relative à la pres cription; il s'ensuit que la Limitation Act de la Colombie-Britannique ne s'applique pas en l'es- pèce. Voici les dispositions pertinentes de l'article 645 de la Loi sur la marine marchande du Canada:
645. (1) Nulle action n'est soutenable aux fins d'exercer une réclamation ... contre un bâtiment ou contre ses propriétaires relativement à toute avarie ou perte causée à un autre bâti- ment, ... occasionnées par la faute du premier bâtiment, que ce bâtiment soit entièrement ou partiellement en faute, à moins que les procédures ne soient intentées dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle l'avarie ou la perte ou la mort ou les blessures ont été causées ....
(2) Toute cour compétente pour connaître d'une action à laquelle se rapporte le présent article peut, conformément aux règles de cour, proroger ce délai, dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables.....
Il ne fait aucun doute qu'en droit une demande reconventionnelle constitue essentiellement une action séparée, qui, généralement parlant, est sou- mise aux mêmes règles de prescription que toute autre action ordinaire. Il existe certaines excep tions, comme lorsque l'action principale est enga gée à la toute dernière minute et que le défendeur, qui n'a pas intenté de demande reconventionnelle, croyant avec raison que le demandeur n'avait pas l'intention d'agir contre lui, est, en raison de l'en- gagement à la toute dernière minute de l'action du demandeur, incapable d'agir avant que n'arrive la prescription prévue par la loi. Les tribunaux dans un tel cas, normalement, n'appliquent pas la pres cription lorsque le défendeur a agi promptement après avoir pris connaissance de la demande du demandeur même si la législation sur la prescrip tion est impérative et, comme dans le cas du paragraphe 645(2) de la Loi sur la marine mar- chande du Canada, n'attribue expressément à la Cour aucun pouvoir de prorogation du délai de prescription.
La question se pose donc de savoir quel principe général devrait fonder ma décision de proroger ou
non le délai selon le paragraphe 645(2).
La jurisprudence anglaise, interprétant une dis position similaire de la législation de ce pays, semble partir du principe que celui qui prétend exercer ce recours doit d'abord avoir une fort bonne raison pour ne pas appliquer la législation; cela démontré, la Cour se borne à départager les parties selon l'équité et le cas d'espèce avant de décider de proroger ou non.
Mais une règle en quelque sorte plus large et plus équitable apparaît avec l'espèce The Llando- very Castle [1920] P. 119 la page 125]:
[TRADUCTION] ... ce pouvoir discrétionnaire ne peut être utilisé au profit d'un demandeur que dans des circonstances spéciales, autorisant de ne pas donner effet à la prescription
légale.
Notons que dans la recherche d'un véritable ou justifiable motif de proroger, on ne s'attache pas uniquement à la raison qu'avait la partie en droit de poursuivre de ne pas l'avoir fait, mais bien à ces circonstances spéciales en général. Le juge Barlow, juge de district en amirauté, dans l'espèce Sarnia Steamships Ltd. c. Dominion Foundries and Steel Ltd. [1948] R.C.E. 253, approuva la règle de l'espèce Llandovery et le juge en chef Estey, qui siégeait alors à la Haute Cour, l'appliqua expressé- ment dans l'espèce Heath c. Kane (N° 2), Harti- kainen c. Kane (N° 2) (1976) 15 O.R. (2 ° ) 262.
Dans l'espèce Philipp Brothers c. Torm, AIS, DIS, Cast Lines (1979) 105 D.L.R. (3°) 763 (C.F., ire inst.), mon collègue, le juge Walsh, accepta l'adjonction d'un codemandeur après que la prescription a été acquise en se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Hijos de Romulo Torrents Albert S.A. c. Le navire «Star Black- ford» [1979] 2 C.F. 109, (1979) 26 N.R. 85, trois nouveaux demandeurs avaient été adjoints bien qu'il y ait eu prescription. Ces deux espèces auraient été fondées sur la Règle 425 qui, expres- sément, traite des corrections du nom d'une partie, même lorsque cela implique la substitution d'une nouvelle partie à l'ancienne. Mais ni dans l'une espèce, ni dans l'autre, les faits ne me semblent conformes à la Règle, interprétée littéralement, car il est difficile de comprendre comment l'adjonction d'une partie entièrement nouvelle, jamais mention- née auparavant, ni décrite faussement comme une
autre, puisse être considérée comme une correction d'écriture. Ces modifications furent accordées parce que la partie poursuivie (les défendeurs dans ces espèces) ne subissait aucun préjudice sauf la perte de la défense de prescription et n'était nulle- ment induite en erreur quant aux dommages-inté- rêts réclamés. Comme l'a dit le juge Walsh, à la page 766 de l'espèce précitée, Philipp Brothers c. Torm:
[TRADUCTION] Compte tenu de ces décisions qui font état d'efforts certains déployés en vue de régler en fonction de l'équité des réclamations qui autrement pourraient être rejetées par suite d'une erreur de la demanderesse, erreur qui ne désavantage pas réellement la défenderesse qui connaît très bien tous les faits à l'origine de l'action, je suis d'avis d'accueil- lir la présente requête en modification de l'intitulé de la cause pour y ajouter B.S. Livingstone & Co. Inc. à titre de demande- resse. Les dépens afférents à la présente requête sont à la charge de la demanderesse quelle que soit l'issue de la cause.
Dans l'espèce antérieure A. G. Kelloway c. Engineering Consultants Limited [1972] C.F. 932, ce même juge avait passé outre à la prescription que crée le paragraphe 536(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada en matière de sau- vetage, conformément au pouvoir de prorogation que le paragraphe 536(2) attribue à la Cour. Or, si l'action n'avait pas été engagée, c'était en raison du fait que l'avocat des demandeurs «était acca- paré par d'autres tâches».
Le libellé du paragraphe 536(2) dont était saisi le juge Walsh est absolument identique au para- graphe 645(2) sur le fondement duquel la présente demande est faite. A la page 934 du recueil pré- cité, le juge dit:
... mais la première partie de l'article 536(2) accorde à la cour le plus large pouvoir d'appréciation, en lui permettant de proroger le délai de deux ans dans lequel, aux termes de l'article 536(1), on doit entamer les procédures, «dans la mesure et aux conditions qu'elle juge convenables.... .
Il faisait ainsi siens les commentaires du Maître des rôles Pollock dans l'espèce The Arraiz (1924) 132 L.T. 715, à la page 716, cités aussi avec approbation par le juge suppléant Sheppard dans l'espèce Chemainus Towing Co. Ltd. c. Le navire «Capetan Yiannis», [1966] R.C.É. 717.
A la page 937 du recueil, le juge Walsh dit aussi qu'il ne constate l'existence d'aucune «raison suffi- sante», ce qu'exige la jurisprudence anglaise, mais il estime n'être pas obligé d'en constater, le pouvoir discrétionnaire de la Cour demeurant intact dans chaque espèce. Toutefois, il poursuit en donnant
trois motifs sur lesquels, de toute évidence, il fonde sa décision d'accorder la prorogation demandée; il est évident qu'il estime que la réunion de ces circonstances constitue un motif suffisant, une jus tification suffisante, d'accorder une prorogation. Ces trois motifs sont: le fait, au vu des écritures, que l'action semblait fondée de prime abord; le fait que les défenderesses avaient toujours su qu'une demande pouvait être intentée, qu'elles ne subis- saient aucun préjudice et que, par ailleurs, les demandeurs, eux, en subiraient un si la requête était rejetée; enfin, le fait que les défenderesses en puissance n'avaient pas comparu lors de l'instruc- tion de la demande.
Pour décider s'il existe une raison véritable, les tribunaux dans les espèces ci-dessus n'ont pas suivi une règle de preuve étroite qui aurait requis de la partie demandant qu'on écarte la prescription de fournir en premier lieu un motif véritable de l'écarter, autre que l'erreur, l'inadvertance ou l'ignorance, avant d'examiner l'équité de la demande par rapport aux parties et les autres circonstances de l'espèce. Ils prennent en compte les circonstances générales et, lorsque la partie poursuivie paraît ne subir aucun préjudice réel (autre que la perte du droit de se prévaloir de la prescription) que des conditions spéciales dans l'or- donnance de prorogation ne sauraient corriger et lorsque, compte tenu de tous les faits pertinents, la prorogation paraît être dans le meilleur intérêt de la justice, l'ordonnance est accordée, indépendam- ment du fait que le motif fondamental du délai ait pu être l'inadvertance, l'erreur ou l'ignorance de la loi.
Quant aux circonstances générales du présent cas d'espèce, il est admis que c'est uniquement par inadvertance qu'aucune demande reconvention- nelle n'a été incluse dans la défense. Par ailleurs, les demandeurs n'ont jamais volontairement cher- ché à induire les défendeurs à laisser le temps passer. Les demandeurs ne subiront aucun préju- dice que les dépens ne pourraient réparer si ce n'est la perte de la prescription extinctive de deux ans. D'après la demande reconventionnelle, si les faits articulés, ou à tout le moins certains d'entre eux, étaient établis, la demande reconventionnelle des défendeurs contre les demandeurs serait sans doute valide en droit; et il se pourrait fort bien que les défendeurs subissent un préjudice sérieux s'il
leur était interdit de l'intenter. Les défendeurs avaient avisé les demandeurs avant même que l'action ne soit engagée, que s'ils avaient à se défendre, ils intenteraient une demande reconven- tionnelle pour leurs propres dommages-intérêts.
Au cours des négociations en vue d'une transac tion, avant qu'il n'y ait prescription, on avait pré- venu les demandeurs que les défendeurs s'atten- daient à un partage de la responsabilité et à des dommages respectifs des parties. Au vu de l'offre de transaction expresse et détaillée, offre postérieure à la prescription, il semblerait, d'après les réponses répétées des avocats des demandeurs, disant qu'ils attendaient des instructions de leurs clients pour répondre à l'offre de transaction, qu'eux-mêmes aient ignoré, ou à tout le moins aient oublié à ce moment-là, qu'aucune demande reconventionnelle ne figurait dans les écritures. Il y avait eu des interrogatoires préalables sur l'éten- due et le détail du montant des dommages des défendeurs et des rapports d'experts maritimes sur le sujet avaient été déposés plusieurs mois avant qu'il n'y ait prescription. Si l'action avait été enga gée en Cour suprême de Colombie-Britannique, rien n'aurait pu interdire d'intenter la demande reconventionnelle.
Compte tenu des faits ci-dessus, il sera fait droit à la requête, aux conditions suivantes:
1) la modification proposée de la défense et la demande recon- ventionnelle seront produites et signifiées dans les 10 jours de la présente ordonnance;
2) les défendeurs paieront les frais de la présente requête quelle que soit l'issue de la cause;
3) advenant que les demandeurs exigent des interrogatoires préalables supplémentaires des défendeurs, ceux-ci s'y confor- meront, s'ils sont justifiés, et tous les frais de ces interrogatoi- res, y compris les honoraires d'avocats, seront aux dépens des défendeurs, quelle que soit l'issue de la cause.
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