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A-2-81
Le Syndicat international des marins canadiens— CTC-FAT-COI (requérant)
c.
Crosbie Offshore Services Limited, la Guilde de la marine marchande du Canada, la Fraternité cana- dienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers et le Conseil canadien des relations du travail (intimés)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte et Le Dain—Ottawa, 8, 9, 10 février et 5 mars 1982.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Relations du travail Le Conseil canadien des relations du travail a excipé de son incompétence pour rejeter la demande introduite par le requérant pour être accrédité à titre d'agent négociateur d'une unité composée d'employés de l'intimée Crosbie Offshore Ser vices Limited Ces employés travaillaient à titre de marins à bord de navires qui faisaient la navette entre Terre-Neuve et des plates-formes pétrolières opérant au large et des navires, transportant principalement des approvisionnements Les autres fonctions consistaient dans la récupération et la mise en place des ancres, le remorquage, la protection contre les ice bergs et la prestation du service de secours Les navires ne s'occupaient ni de forage ni d'exploration 60% des activités de Crosbie consistaient à fournir des équipages aux navires et aux plates-formes Fournir de l'équipage aux navires occu- pait 80% des activités d'armement de la société Crosbie était l'employeuse des employés en question Demande accueillie Le Conseil avait compétence Compte tenu des dispositions précises relatives à l'application du Code conte- nues dans les art. 2, 108, 121, 125 et 126, le Conseil n'avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer La compétence dépend des faits relatifs à l'ouvrage, à l'entreprise ou affaire Une fois établi le bien-fondé d'une demande de redresse- ment sous le régime de l'art. 28, la Cour n'a pas la liberté de refuser d'intervenir L'exploitation est à bon droit qualifiée d'entreprise «maritime' et ne se limite pas à des activités à l'intérieur de Terre-Neuve, mais elle s'exerce en grande partie dans les eaux internationales Les employés travail- laient uniquement dans l'entreprise maritime internationale, secteur d'activité nettement séparable de l'entreprise Crosbie Le pouvoir qu'a le Parlement de légiférer sur l'entreprise maritime qui ne confine pas ses activités à la province, notam- ment le pouvoir de légiférer sur l'emploi du personnel canadien par un employeur canadien, relève du pouvoir que confère l'art. 91(10) de l'A.A.N.B., 1867, de légiférer sur la navigation et les bâtiments ou navires (shipping) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 ° Supp.), c. 10, art. 28 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 2, 108, 121, 125(2),(3)b),c), 126 Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice Id, 5], art. 91(10).
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a rejeté la demande introduite par le requérant pour être
accrédité à titre d'agent négociateur d'une unité composée d'employés de l'intimée Crosbie Offshore Services Limited. Le Conseil a jugé qu'il n'avait pas compétence pour connaître de la demande, le Conseil des relations du travail de Terre-Neuve s'étant déclaré compétent; que la demande introduite par le requérant devant le Conseil canadien des relations du travail constituait une manoeuvre destinée à éviter l'effet de la décision rendue par le Conseil de Terre-Neuve, et à prendre l'avantage sur le plan de la stratégie en soulevant une question constitu- tionnelle; que le rôle principal du Conseil canadien des relations du travail était de résoudre les conflits de travail et non de s'engager dans «le débat sur les épineux problèmes qui opposent les provinces au gouvernement fédéral»; et qu'«accepter de connaître des présentes affaires ou de prendre quelque mesure que ce soit pour rendre les choses encore plus compliquées ne répondrait pas aux objectifs des lois sur la négociation collec tive et ne serait pas dans l'intérêt des instances chargées de l'appliquer». Les employés en question étaient employés à titre de marins à bord de navires qui faisaient la navette entre Terre-Neuve et les plates-formes pétrolières et les navires qui faisaient de l'exploration pétrolière ou gazière dans le plateau continental, en divers endroits situés entre 12 et 200 milles au large des côtes de Terre-Neuve. Ces navires avaient pour fonction principale le transport d'approvisionnements. Les fonc- tions auxiliaires consistaient dans l'ancrage, le remorquage, la protection contre les icebergs et la prestation du service de secours. Tous ces navires étaient affrétés à temps par la société pétrolière pour laquelle s'effectuait le travail de forage ou d'exploration, et étaient à la disposition de cette société. Les navires ne s'occupaient ni de forage ni d'exploration. Soixante pour cent des activités de l'intimée Crosbie consistaient à fournir des équipages canadiens aux navires et aux plates-for- mes. Le reste de ses activités, soit 40%, consistait dans l'appro- visionnement d'une des plates-formes, dans la prestation des services de commercialisation, d'entremise et d'achats locaux aux exploitants des navires de forage et des plates-formes. Fournir de l'équipage aux navires occupait 80% des activités d'armement de la société. L'intimée Crosbie est l'employeuse des employés en question. Pour servir à bord d'un navire, ceux-ci doivent signer avec le capitaine un contrat d'engage- ment, mais ils continuent à être au service de l'intimée Crosbie. Les intimés Crosbie et le Conseil canadien des relations du travail font valoir que le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire de refuser d'exercer sa compétence pour connaître des deman- des en accréditation. Ils soutiennent également que l'octroi de redressement sous le régime de l'article 28 est facultatif. Le requérant et la Guilde de la marine marchande du Canada prétendent que les navires travaillaient les employés fai- saient partie d'une entreprise de transport qui s'étendait au- delà des limites de la province et qui relevait donc de la compétence législative fédérale. Le procureur général du Canada soutient que l'entreprise à laquelle participaient les navires et leurs équipages était l'exploration effectuée par des sociétés pétrolières sur le plateau continental. Cet argument fait valoir que la Couronne fédérale a le droit exclusif d'explo- rer les fonds marins du plateau continental et d'y exploiter les ressources minérales, et que le Parlement a le pouvoir exclusif de légiférer sur ces ressources et sur les opérations d'exploration et d'exploitation qui s'y rapportent. Le procureur général de Terre-Neuve soutient qu'il s'agit d'une entreprise de nature locale, dont les relations de travail relèvent, quant à leur réglementation, de Terre-Neuve, et que ce pouvoir demeure
entier même si les activités ou les fonctions de ces employés s'exercent en partie à l'intérieur des limites territoriales de la province et en partie à l'extérieur de celles-ci. Il échet d'exami- ner si le Conseil avait compétence pour connaître de la demande.
Arrêt: la décision est infirmée, et l'affaire renvoyée au Con- seil pour qu'il l'examine à nouveau en partant du principe que le Conseil était compétent pour connaître de l'affaire.
Le juge en chef Thurlow: Compte tenu de la portée générale des dispositions relatives à l'application du Code contenues dans les articles 2 et 108, de l'emploi des formes verbales «exerce» et «doit» aux articles 121, 125 et 126, de l'emploi de la forme verbale «peut» au paragraphe 125(2) et aux alinéas 125(3)b) et c) et de l'emploi de chacun d'entre eux dans d'autres dispositions du Code, le Conseil n'avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer. La compétence du Conseil dépendait entièrement des faits relatifs à l'ouvrage, entreprise ou affaire pour lequel les employés en question ont été embauchés à l'époque en cause. L'époque pertinente est celle le Conseil était saisi de la demande. Quant à l'argument que l'octroi de redressement sous le régime de l'article 28 est facultatif, la Cour a toujours estimé qu'une fois établi le bien-fondé d'une demande de redressement sous le régime de cet article, elle n'a pas la liberté de refuser d'intervenir. Toutefois, même si cette opinion était erronée et que l'octroi d'un redressement en vertu de l'article 28 devait être considéré comme facultatif, rien dans les faits de l'espèce, que ce soit dans la conduite du requérant ou autre chose, ne justifie que la Cour, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, refuse le redressement sollicité s'il res- sort des faits que la demande relevait de la compétence du Conseil canadien des relations du travail. L'intimée Crosbie fournit des navires destinés au service des entreprises d'explora- tion sous-marine. Même si elle est réduite à deux éléments, savoir l'exécution d'un contrat pour l'utilisation d'un navire et l'engagement d'un équipage pour ce navire, cette exploitation est exactement qualifiée d'entreprise «maritime» au sens ordi- naire du terme «maritime». L'exploitation ne se limite pas à des activités maritimes à l'intérieur des limites de Terre-Neuve. Il s'agit d'une entreprise dans laquelle les activités des navires qui y participent s'exercent en grande partie dans les eaux interna- tionales, quoiqu'en partie en Terre-Neuve également. La pres- tation des services, notamment des services de transport, se fait en grande partie dans les eaux internationales. 11 s'agit du cours normal et habituel de l'exploitation, et c'est dans cette sphère d'activité que les marins employés par l'intimée Crosbie s'acquittent de leurs tâches. Comme cette entreprise est une entreprise maritime et que son exploitation ne se cantonne pas dans la province de Terre-Neuve, le pouvoir de légiférer en cette matière, notamment le pouvoir de légiférer sur l'emploi d'un personnel canadien dans cette entreprise, sur les conditions d'emploi fixées par un employeur canadien et sur les relations de travail avec ce dernier, relève, en vertu de l'article 91, rubrique 10 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, du pouvoir qu'a le Parlement de légiférer sur la naviga tion et les bâtiments ou navires (shipping), et non de l'un quelconque des pouvoirs qu'a une législature provinciale de légiférer sur les entreprises locales, sur les droits civils ou sur les matières d'une nature locale dans les provinces. En outre, ces employés travaillent uniquement dans l'entreprise maritime internationale de l'intimée Crosbie, et il s'agit d'un secteur d'activité nettement séparable de l'ensemble de l'entreprise Crosbie.
Le juge Le Dain: S'appuyant sur l'affaire Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2e) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2e) 345 (H.C. Ont.), le Conseil a caractérisé les activités comme faisant partie intégrante de l'entreprise d'exploration pétrolière sous- marine. L'activité maritime dans la présente affaire est tout à fait différente. Elle est d'une ampleur et d'une portée différen- tes et revêt un caractère distinct et indépendant.
Jurisprudence: arrêts appliqués: Northern Telecom Limi- tée c. Les Travailleurs en communication du Canada [1980] 1 R.C.S. 115; City of Montreal c. Harbour Com missioners of Montreal [1926] A.C. 299. Décisions men- tionnées: Le Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife [1977] 2 R.C.S. 729; In re le renvoi sur la validité de la Loi sur les relations industriel- les et sur les enquêtes visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529; Seafarers' International Union of Canada c. Zapata Marine Services Inc. [1980] 2 Can LRBR 7. Distinction faite avec les arrêts: Three Rivers Boatman Limited c. Conseil canadien des relations ouvrières [1969] R.C.S. 607; Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2e) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2e) 345 (H.C. Ont.); Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations ouvrières [1969] R.C.S. 851.
DEMANDE de contrôle judiciaire. AVOCATS:
Joseph Nuss, c.r. et J. Brian Riordan pour le requérant.
Ernest Rovet pour l'intimée Crosbie Offshore Services Limited.
Raynold Langlois, c.r. et Claude Joli-Cceur pour l'intimée la Guilde de la marine mar- chande du Canada.
Personne n'a comparu pour l'intimée la Fra- ternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers.
Gordon Henderson, c.r. et Emilio Binavince pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Brad Smith, c.r. et Marc Jewett pour l'inter- venant le procureur général du Canada. W. G. Burke-Robertson, c.r., pour l'interve- nant le procureur général de Terre-Neuve.
PROCUREURS:
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour le requérant.
Rovet & Associates, Toronto, pour l'intimée Crosbie Offshore Services Limited.
Langlois, Drouin & Associés, Montréal, pour l'intimée la Guilde de la marine marchande du Canada.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour l'intimée la Fraternité canadienne des cheminots, em ployés des transports et autres ouvriers. Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intervenant le procureur général du Canada. Burke-Robertson, Chadwick & Ritchie, Ottawa, pour l'intervenant le procureur géné- ral de Terre-Neuve.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, tend à l'examen et à l'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du tra vail a excipé de son incompétence pour rejeter la demande introduite par le requérant en vertu du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, pour être accrédité à titre d'agent négociateur d'une unité composée de 116 employés de l'intimée Crosbie Offshore Services Limited. Cette unité est décrite comme suit:
[TRADUCTION] Tous les employés non brevetés travaillant à bord de tous les navires exploités par l'employeur au Canada, à l'exclusion de tous les employés brevetés ou de toute autre personne qui, de l'avis du Conseil, occupe des fonctions de direction. A partir de ports dans la province de Terre-Neuve, ces navires approvisionnent des plates-formes pétrolières ou d'autres installations, des navires et d'autres endroits au-delà des limites de la province de Terre-Neuve.
La Guilde de la marine marchande du Canada, intimée, et le procureur général du Canada soute- naient la demande d'examen et d'annulation. S'y opposaient: l'intimée Crosbie, le procureur général de Terre-Neuve et le Conseil canadien des rela tions du travail. La Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, intimée, n'a pas déposé d'exposé de moyens ni participé aux procédures.
Les points de vue adoptés par les différentes parties étaient très variés. En bref, le requérant et la Guilde de la marine marchande du Canada insistent principalement sur le fait que les navires travaillaient les employés faisaient partie d'une entreprise de transport qui s'étendait au-delà des limites de la province de Terre-Neuve et qui rele-
vait donc de la compétence législative fédérale. Le procureur général du Canada fait valoir que l'en- treprise à laquelle participaient les navires et les équipages était l'exploration effectuée par des sociétés pétrolières qui exploitaient des installa tions et des navires de forage sur le plateau conti nental à l'est de Terre-Neuve et du Labrador. Cet argument fait valoir que la Couronne du chef du Canada a le droit exclusif d'explorer les fonds marins du plateau continental et d'y exploiter les ressources minérales, et que le Parlement a le pouvoir exclusif de légiférer sur ces ressources et sur les opérations d'exploration et d'exploitation qui s'y rapportent. Tout en se réservant d'exposer la position de Terre-Neuve quant à la propriété des ressources naturelles du plateau continental au large des côtes de la province ou à la compétence législative sur celles-ci, le procureur général de Terre-Neuve soutient qu'une décision à l'égard de ces questions n'était pas requise pour trancher la présente demande, que l'entreprise dans laquelle travaillent les employés est une entreprise locale dont les relations de travail relèvent, quant à leur réglementation, de la législature de Terre-Neuve, et que ce pouvoir demeure entier même si les activités ou les fonctions de ces employés s'exer- cent en partie à l'intérieur des limites territoriales de la province et en partie à l'extérieur de celles-ci. Que le Conseil ait eu compétence ou non pour instruire les demandes en accréditation, selon les deux intimés Crosbie et le Conseil canadien des relations du travail, celui-ci avait le pouvoir discré- tionnaire de refuser d'exercer sa compétence et, en l'espèce, était fondé à se prévaloir de ce pouvoir pour rejeter la demande. Toujours selon eux, sur examen sous le régime de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, il est loisible à la Cour d'accor- der ou non le redressement sollicité et, eu égard aux faits de la cause, ce pouvoir devrait être exercé pour refuser ce redressement.
Dans sa décision à l'égard de la demande intro- duite par le requérant, le Conseil a également tranché et rejeté, pour les mêmes raisons, trois autres demandes en accréditation, l'une d'elles ayant été introduite par la Guilde de la marine marchande du Canada pour représenter une unité composée de personnel breveté travaillant sur les mêmes navires, et les deux autres, par la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers: une pour les employés brevetés
et l'autre pour les employés non brevetés. En bref, les motifs invoqués par le Conseil pour parvenir à sa conclusion étaient, si je comprends bien, les suivants. Le Conseil des relations du travail de Terre-Neuve, saisi de demandes en accréditation introduites par les mêmes syndicats à l'égard du même personnel, avait conclu à sa compétence et procédé à la tenue d'un scrutin de représentation. La demande introduite par le requérant devant le CCRT, qui avait été déposée après la tenue du scrutin, mais avant le dépouillement de celui-ci, constituait une manoeuvre procédurale destinée à éviter l'effet de la décision rendue par le Conseil de Terre-Neuve, et à prendre l'avantage sur le plan de la stratégie en soulevant une question constitution- nelle. Le rôle principal du CCRT était de résoudre les conflits de travail et non de s'engager dans «le débat sur les épineux problèmes qui opposent les provinces au gouvernement fédéral>, et qu'«accep- ter de connaître des présentes affaires ou de pren- dre quelque mesure que ce soit pour rendre les choses encore plus compliquées ne répondrait pas aux objectifs des lois sur la négociation collective et ne serait pas dans l'intérêt des instances char gées de l'appliquer». Le Conseil décida par la suite de «rejeter les présentes requêtes pour la raison que nous n'avons pas la compétence constitutionnelle».
Les motifs invoqués par le Conseil, ou quelques- uns d'entre eux, pourraient peut-être être considé- rés comme des motifs adéquats lui permettant de refuser d'exercer sa compétence pour instruire la demande du requérant, si tant est que le Conseil jouisse d'un pouvoir discrétionnaire en la matière. Mais compte tenu de la portée générale des dispo sitions relatives à l'application du Code canadien du travail contenues dans les articles 2 et 108, de l'emploi des formes verbales «exerce» et «doit» aux articles 121, 125 et 126, de l'emploi de la forme verbale «peut» au paragraphe 125(2) et aux alinéas 125(3)b) et c) et de l'emploi de chacun d'entre eux dans les autres dispositions du Code, le Conseil n'avait, selon moi, aucun pouvoir discrétionnaire à exercer. La compétence du Conseil dépendait entièrement des faits, et, à mon avis, il ne pouvait faire autrement que de prendre en considération ces faits et de décider si ceux-ci indiquaient que le Conseil avait compétence, et de déterminer, en conformité avec cette seule conclusion, s'il conve- nait d'instruire ou de refuser d'instruire cette demande.
Il s'ensuit qu'étant donné les motifs invoqués par le Conseil, le rejet de la demande ne saurait être confirmé. Je devrais ajouter qu'on a fait valoir plus d'une fois dans le passé que l'octroi de redresse- ment sous le régime de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale est facultatif, et que la Cour a toujours estimé qu'une fois établi le bien-fondé d'une demande de redressement sous le régime de cet article, elle n'a pas la liberté de refuser d'inter- venir. Toutefois, même si cette opinion était erro- née et que l'octroi d'un redressement en vertu de l'article 28 devait être considéré comme facultatif au même titre que le bref de certiorari, je ne vois rien dans les faits de l'espèce, que ce soit dans la conduite du requérant ou autre chose, qui justifie- rait que la Cour, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, refuse le redressement sollicité s'il ressort des faits que la demande relevait de la compétence du CCRT. Par conséquent, j'estime qu'il y a lieu de rejeter les prétentions de l'intimée, Crosbie, et du Conseil.
La question qui, à mon avis, doit être tranchée en l'espèce est de savoir si le CCRT avait compé- tence pour connaître de la demande du requérant. Comme je l'ai indiqué, les faits relatifs à l'ouvrage, entreprise ou affaire pour lequel les employés en question ont été embauchés à l'époque en cause constituent l'élément essentiel de cette question. L'époque pertinente était, à mon avis, celle le Conseil était saisi de la demande. Si, pour quelque raison que ce soit, le Conseil n'avait pas compé- tence au moment du dépôt de la demande, il pourrait quand même instruire celle-ci si des chan- gements dans la situation survenus avant la déci- sion du Conseil sur la demande lui conféraient compétence. D'autre part, si, malgré le fait qu'il y avait compétence au moment du dépôt de la demande, des changements intervenus entre-temps dans l'ouvrage, entreprise ou affaire avaient enlevé au Conseil sa compétence, l'exercice de sa compé- tence à ce moment ne saurait être justifié.
Les dispositions importantes du Code canadien du travail sont l'article 108 prévoyant l'application de la Partie V et l'article 2 donnant la définition d'«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale». Ces articles sont ainsi conçus:
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces
employés.
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation et des expéditions par eau (internes ou maritimes), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
c) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une province et un pays autre que le Canada;
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien; . 1) toute station de radiodiffusion;
g) toute banque;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province; et
i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
Comme il ressort du texte précédent que cette définition comprend «tout ouvrage, entreprise ou affaire' ressortissant au pouvoir législatif du Parle- ment du Canada» et comme sous le régime de l'article 108, la Partie V s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale et aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, la question qui se pose quant à la compétence du Conseil dans un cas de ce genre est essentiellement de savoir si, sur le plan de la Constitution, l'ouvrage, entreprise ou affaire pour lequel les employés sont engagés ressort au pouvoir législatif du Parlement. Dans l'affirmative, le Con- seil est compétent. Autrement, il ne l'est pas.
Les principes constitutionnels à l'aide desquels la question doit être tranchée sont résumés dans le passage suivant du jugement rendu par le juge
' Pour une discussion de la portée de cette expression, voir Le Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yel- lowknife [1977] 2 R.C.S. 729, le juge Pigeon, aux pages 736 à 738.
Dickson dans l'affaire Northern Telecom Limitée c. Les Travailleurs en communication du Canada 2 :
C'est dans l'ouvrage Canadian Constitutional Law de Laskin (4' éd., 1975) que se trouve l'énoncé le plus exact et concis des principes juridiques applicables en matière de relations de travail la p. 363):
[TRADUCTION] En matière de relations de travail entre employeur et employé, le partage des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales est fondé sur une première conclusion selon laquelle, dans la mesure elles ont un aspect constitutionnel indépendant, ces relations relè- vent de la compétence provinciale, et sur une deuxième conclusion, selon laquelle, dans la mesure elles ne consti tuent qu'un aspect de certaines industries ou entreprises, leur réglementation relève de la compétence constitutionnelle de l'organisme habilité à réglementer l'industrie ou l'entreprise dont il s'agit ...
Elaborant cette thèse, le juge Beetz a formulé dans l'arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire mini mum ([1979] 1 R.C.S. 754) certains principes que je me risque à résumer comme suit:
(1) Les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.
(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.
(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais unique- ment s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.
(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale.
(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation.
(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut consi- dérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'«entreprise active», sans tenir compte de facteurs excep- tionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pour- rait être appliquée de façon continue et régulière.
Une décision récente du Labour Relations Board de la Colombie-Britannique, Arrow Transfer Co. Ltd. ([1974] 1 Can. L.R.B.R. 29), expose la méthode retenue par les cours pour déterminer la compétence constitutionnelle en matière de relations de travail. Premièrement, il faut examiner l'exploita- tion principale de l'entreprise fédérale. On étudie ensuite l'ex- ploitation accessoire pour laquelle les employés en question travaillent. En dernier lieu on parvient à une conclusion sur le
2 [1980] 1 R.C.S. 115 aux pages 131à 133.
lien entre cette exploitation et la principale entreprise fédérale, ce lien nécessaire étant indifféremment qualifié «fondamental», «essentiel» ou «vital». Comme l'a déclaré le président de la Commission, aux pp. 34 et 35;
[TRADUCTION] Dans chaque cas la décision est un jugement à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de l'entreprise active et il ne dépend pas des subtilités juridiques de la structure de la société en cause ou des relations de travail.
Plus loin, après avoir discuté de l'entreprise de communications de Bell Canada dont il était ques tion, en tant qu'entreprise fédérale, dans la ques tion en litige, le juge Dickson ajoute la page 135]:
Sur la base des grands principes constitutionnels exposés ci-dessus, il est clair que certains faits sont décisifs sur la question constitutionnelle. De façon générale, il s'agit notam- ment:
(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de l'installation dans cette exploitation;
(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;
(3) de l'importance du travail effectué par le service de l'installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison avec ses autres clients;
(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de l'installation de Telecom et l'entreprise fédérale principale dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance de la participation du service de l'installation à l'exploitation et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement.
J'aborde maintenant les faits. Le dossier dont dispose la Cour comprend:
(1) les documents transmis à la Cour par le CCRT conformément à la Règle 1402(3), savoir la demande et les réponses à celle-ci, la corres- pondance y afférente, dont les mémoires, et, notamment, le rapport d'un fonctionnaire nommé par le Conseil pour faire enquête et rapport sur la demande;
(2) quelque 18 volumes de documents histori- ques, dont des cartes relatives à Terre-Neuve et au Labrador, déposés, sur autorisation de la Cour, par le procureur général du Canada rela- tivement à la question de la propriété et du pouvoir législatif en matière des droits d'explo- ration du plateau continental, au large de Terre- Neuve et du Labrador et d'exploitation des res- sources minérales qui s'y trouvent; et
(3) l'affidavit de Richard A. Spellacy, président de l'intimée Crosbie, et la transcription de son contre-interrogatoire sur cet affidavit, qui est
devenue une pièce du procès par suite d'une ordonnance de la Cour.
En dépit de son volume, le dossier ne donne qu'une image floue de l'ouvrage, entreprise ou affaire de l'employeur pour lequel les employés sont embauchés. Voici toutefois les faits saillants.
A l'époque en cause, les employés en question étaient employés à titre de marins à bord d'une dizaine de navires qui faisaient la navette entre St-Jean ou Botwood (Terre-Neuve) et trois plates- formes pétrolières et quatre navires de forage qui faisaient de l'exploration pétrolière ou gazière dans le plateau continental, en divers endroits situés entre douze et 200 milles au large des côtes de Terre-Neuve. Ces navires avaient pour fonctions
(1) le transport d'approvisionnements et de matériel à destination et en provenance des pla- tes-formes et des navires de forage
(2) la prestation du service de secours
(3) la surveillance des icebergs et la protection contre ceux-ci
(4) le remorquage des plates-formes en cas de besoin, et
(5) la mise en place et la récupération des ancres pour les plates-formes quand il le faut.
Aux époques en cause, tous ces navires étaient affrétés à temps par la société pétrolière pour laquelle s'effectuait le travail de forage ou d'explo- ration à partir d'une plate-forme ou d'un navire de forage, et étaient, quant aux services à rendre de temps à autre, à la disposition de cette société. Le remorquage de plates-formes était rare et repré- sentait de cinq à sept pour cent des activités des navires. Deux de ceux-ci étaient d'une plus grande dimension et ne faisaient ni de remorquage ni d'ancrage. Ils étaient simplement des navires ravi- tailleurs. La durée des voyages aller-retour à partir d'un port à la plate-forme ou au navire de forage variait entre une journée et trois semaines, la durée moyenne étant de cinq jours. La récupération et la mise en place des ancres pour les trois plates-for- mes s'imposaient lorsqu'elles se déplaçaient d'un lieu de forage à un autre. Des règlements exi- geaient qu'un navire de servitude demeure conti- nuellement près des plates-formes pour prêter assistance au besoin. Un voyage en service de secours pouvait prendre de deux à sept jours.
Parfois, les navires transportaient également le personnel des plates-formes et des navires de forage en provenance et à destination des ports lorsque ce personnel ne pouvait voyager par héli- coptère à cause du mauvais temps. La protection contre les icebergs consistait notamment à mettre une corde autour d'un iceberg et à le remorquer si cela était possible pour l'empêcher de mettre en danger une plate-forme. Ces navires ont tous été spécialement conçus à ces fins et pouvaient être utilisés pour fournir les services que comportent les opérations d'exploration et de forage sous-marins presque partout dans le monde.
A part l'assistance fournie de la manière indi- quée, le navire ne s'occupait pas de forage ni d'exploration, cette tâche étant exécutée par la société pétrolière à qui le navire a été frété à temps ou pour le compte de celle-ci. A l'expiration du contrat d'affrètement, le navire pouvait être envoyé ailleurs ou frété de nouveau à la même société pétrolière ou à une autre. A une occasion, un des navires dont le contrat d'affrètement venait d'expirer avait remorqué, jusqu'en Espagne, un navire destiné à la ferraille. Aussitôt arrivés en Espagne, les marins fournis par l'intimée revinrent au Canada.
Neuf des dix navires étaient immatriculés en Allemagne de l'Ouest et l'autre au Libéria. Tous les dix avaient été frétés par leurs armateurs alle- mands à OSA Ltd., société du Royaume-Uni qui avait cédé les contrats d'affrètement à Crosbie Enterprises Limited, société de Terre-Neuve qui possède 51% des actions de l'intimée Crosbie. Avant le 10 septembre 1980, date à laquelle la demande du requérant a été déposée, les contrats d'affrètement avaient été cédés à l'intimée Cros- bie, qui les détenait pendant toute l'époque en cause et au moment du rejet par le Conseil de la demande le 30 décembre 1980. Il n'est pas clair s'il s'agissait d'affrètements à temps ou coque nue. Il n'est pas impossible que ces contrats présentent à la fois des caractéristiques de l'affrètement à temps et de l'affrètement coque nue. Le capitaine et le maître-mécanicien de chacun des navires étaient allemands. Il n'est pas clair s'ils étaient des employés de l'armateur ou d'OSA Limited ou de l'intimée Crosbie. Ils étaient probablement em ployés des armateurs.
Depuis la décision du Conseil, le nombre des navires en cause a été réduit à huit; un navire au moins a été substitué à un autre; trois ou quatre des navires ont commencé à naviguer sous pavillon canadien, et les affrètements ont été cédés à Cros- bie OSA Limited, société de Terre-Neuve dont 51% des actions appartiennent à l'intimée Crosbie. Il me semble qu'aucun de ces changements n'in- flue sur ma conclusion. Ils ont tous eu lieu après la période en cause et, de toute façon, ils ne modifie- raient en rien la question de compétence même s'ils s'étaient produits pendant l'époque en cause.
L'intimée Crosbie n'est qu'une des nombreuses filiales de Crosbie Enterprises Limited. A l'époque en cause, 60% de ses activités consistaient à recru- ter et à embaucher des équipages canadiens pour les navires et les plates-formes. Le reste de ses activités, soit 40%, consistait dans l'approvisionne- ment d'une des plates-formes, dans la prestation des services de commercialisation, d'entremise et d'achats locaux aux exploitants des navires de forage et des plates-formes, et dans l'exploitation d'une entreprise appelée KAPPA, dont la nature n'est pas décrite. Fournir de l'équipage aux navires occupait 80% des activités d'armement de la société. Depuis le dépôt de la demande du requé- rant, le revenu tiré de ce service a baissé par rapport à d'autres revenus. On ne sait pas s'il a baissé en volume ou non. L'intimée Crosbie n'est qu'une des différentes sociétés qui approvisionnent les sept navires de forage et plates-formes dans leurs activités d'exploration et qui leur fournissent les services nécessaires. Elle est l'employeuse des employés en question. Ses affaires se concentrent à St-Jean. Elle paye les employés et leur fournit d'autres avantages sociaux et des moyens de trans port à St-Jean. Pour servir à bord d'un navire, ils doivent signer avec le capitaine un contrat d'enga- gement. Dans le cas d'un navire immatriculé en Allemagne, ce contrat serait probablement celui requis par la loi de ce pays. Bien qu'ils relèvent ainsi du capitaine et de la loi du navire, ils conti- nuent à être au service de l'intimée Crosbie.
Le dossier ne révèle pas le pays ces plates- formes et navires de forage sont immatriculés. Puisque les travaux se font dans les eaux interna- tionales, il n'y a pas lieu de présumer qu'ils sont immatriculés au Canada. Ces navires sont spécia-
lement conçus et construits pour le forage en mer, et sont équipés de dispositifs leur permettant de se maintenir sur le lieu de forage sans qu'il soit besoin de jeter l'ancre. Les plates-formes sont aussi des navires. Elles sont autopropulsées, mais pour une raison ou une autre, peuvent être remorquées jusqu'à un lieu de forage. Une fois mise en place, la plate-forme peut être en partie submergée et fonctionne tout en reposant sur le fond lorsque l'eau n'a pas plus de 120 pieds de profondeur. En eau plus profonde et en particulier dans les eaux dont s'agit, la plate-forme est partiellement sub mergée mais flotte. Elle est maintenue en position par des ancres qui, comme il a été indiqué, sont mises en place par les navires de servitude.
Compte tenu du dossier, il n'y a pas lieu de conclure que l'une quelconque des différentes per- sonnes ou sociétés fournissant les navires de servi tude ou offrant leurs services en matière d'explora- tion est, en participation ou autrement, en tant que filiale ou autrement, identique aux sociétés pétro- lières ou autres qui font ou qui font faire de l'exploration ou qu'elle est contrôlée par celles-ci.
A mon avis, ce que fait l'intimée Crosbie se fait de concert avec des entreprises étrangères fournis- sant, sur la scène internationale, des navires desti- nés au service des entreprises d'exploration sous- marine. Dans ce sens, l'entreprise de l'intimée Crosbie ne constitue qu'une partie de l'entreprise consistant à fournir des navires de servitude et les services requis, notamment les services de trans port. Cette partie de l'entreprise, dans le cas de tout navire, consiste soit à souscrire un contrat d'affrètement ou à prendre en charge l'affrètement existant du navire, à affréter de nouveau le navire, quand il le faut, à une société pétrolière qui s'adonne à des activités d'exploration, à assumer envers la société pétrolière affrétante la responsa- bilité des obligations contractées par les armateurs en vertu de l'affrètement, de fournir les services de transport ou les autres services prévus au contrat, à employer des marins brevetés et autres et à les fournir au besoin pour servir sur le navire sous les ordres de son capitaine.
A ce stade-ci, je devrais dire que même si elle est réduite à deux éléments, savoir l'exécution d'un contrat pour l'utilisation d'un navire et l'engage- ment d'un équipage pour ce navire, cette exploita tion est, à mon avis, exactement qualifiée d'entre-
prise [TRADUCTION] «maritime» au sens ordinaire du terme «maritime». J'estime que ce point de vue se trouve renforcé par le fait qu'une multiplicité de navires et de contrats d'affrètement est en cause.
L'entreprise relève-t-elle alors du pouvoir légis- latif du Parlement? Je pense que la réponse est raisonnablement claire. L'exploitation ne se limite pas à des activités maritimes à l'intérieur des limites de Terre-Neuve. Il ne s'agit pas d'activités maritimes dans les eaux intérieures d'un port terre-neuvien à un autre port terre-neuvien 3 . Il ne s'agit pas non plus d'une entreprise comportant un va-et-vient entre des ports de Terre-Neuve nécessi- tant, dans une faible mesure, eu égard à l'ensemble de l'entreprise, la navigation en eaux internationa- les pour se rendre d'un port terre-neuvien à un autre. Il s'agit d'une entreprise dans laquelle les activités des navires qui y participent s'exercent en grande partie dans les eaux internationales, quoi- qu'en partie en Terre-Neuve également. La presta- tion des services, notamment des services de trans port, se fait en grande partie dans les eaux internationales. C'est à d'autres navires exploités par d'autres dans les eaux internationales qu'est faite la livraison des approvisionnements transpor tés et que sont fournis les services. Il s'agit du cours normal et habituel de l'exploitation, et c'est dans cette sphère d'activité que les marins em ployés par l'intimée Crosbie s'acquittent de leurs tâches.
A mon sens, cette entreprise est une entreprise maritime; son exploitation ne se cantonne pas dans la province de Terre-Neuve; le pouvoir de légiférer en cette matière, notamment le pouvoir de légifé- rer sur l'emploi d'un personnel canadien dans cette entreprise, sur les conditions d'emploi fixées par un employeur canadien et sur les relations de travail avec ce dernier, relève donc, en vertu de l'article 91, rubrique 10 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], du pouvoir qu'a le Parlement de légiférer sur la navigation et les bâtiments ou navires (shipping), et non de l'un
3 Three Rivers Boatman Limited c. Conseil canadien des relations ouvrières [1969] R.C.S. 607. Comparer avec Under water Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2 e ) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2') 345 (H.C. Ont.).
4 Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations ouvrières [1969] R.C.S. 851.
quelconque des pouvoirs qu'a une législature pro- vinciale de légiférer sur les entreprises locales, sur les droits civils ou sur les matières d'une nature locale dans les provinces 5 . En tirant cette conclu sion, je ne juge pas nécessaire de chercher à faire entrer cette entreprise dans l'une quelconque des exceptions à l'article 92, rubrique 10, ou au pou- voir que le Parlement tient de l'article 91, rubrique 29.
A mon avis, le pouvoir de légiférer sur une telle entreprise relève du pouvoir conféré au Parlement du Canada par l'article 91, rubrique 10, celui de légiférer sur les bâtiments ou navires (shipping). Dans l'affaire City of Montreal c. Harbour Com missioners of Montreal 6 , le Conseil privé a jugé que le pouvoir ainsi conféré doit être largement interprété. A mon sens, une entreprise maritime de ce genre qui, parce qu'elle ne confine pas ses activités à une province, revêt donc un caractère essentiellement international, ne saurait relever du pouvoir législatif provincial. Elle doit en effet, à l'égard des éléments dans cette entreprise qui relè- vent de la législation canadienne, ressortir au pou- voir du Parlement en matière de bâtiments ou de navires (shipping) prévu à l'article 91, rubrique 10.
En outre, il ressort des faits, tels que je les vois et que je les ai décrits, que c'est uniquement dans le cadre de cette entreprise particulière de l'inti- mée Crosbie que les employés en question sont embauchés. Il s'agit de leur activité normale et habituelle dans l'exploitation de l'entreprise Cros- bie. Ils ne s'acquittent pas d'autres tâches pour l'entreprise Crosbie. Ils ne travaillent pas à terre, dans des locaux de Crosbie, ni l'exception du personnel breveté sur les mêmes navires) avec d'autres employés de celle-ci. Ils constituent donc un groupe nettement distinct d'autres personnes employées dans l'ensemble de l'entreprise Crosbie et aussi dans les autres activités commerciales de celle-ci. Un changement ou une réduction du pour- centage de revenu tiré de l'équipement de ces navires en personnel n'importe pas. Ce qui importe, c'est que ces employés travaillent unique- ment dans l'entreprise maritime internationale de
5 In re le renvoi sur la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529.
6 [1926] A.C. 299.
l'intimée Crosbie, et qu'il s'agit d'un secteur d'activité nettement séparable de l'ensemble de l'entreprise Crosbie et de l'intimée Crosbie même.
J'estime donc qu'aux époques en cause, les employés en question participaient à une entreprise maritime qui relevait du pouvoir législatif du Par- lement du Canada, que l'entreprise était une entre- prise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale au sens de la définition que donne l'article 2 du Code canadien du travail, et que le Conseil cana- dien des relations du travail, tant au moment du dépôt par le requérant de la demande en accrédita- tion qu'à celui du rejet de cette dernière, et égale- ment dans l'intervalle, avait compétence pour ins- truire et trancher la demande et aurait la juger au fond.
Puisque je suis arrivé à cette conclusion sur la base de ce que l'entreprise Crosbie à laquelle participaient les employés en question revêtait la nature d'une entreprise maritime relevant du pou- voir législatif du Parlement du Canada, il n'est pas nécessaire de prendre en considération ou de tran- cher la question de savoir s'il est possible de con- clure à la compétence fédérale sur les relations de travail des employés en question en considérant l'exploration pétrolière et gazière des sociétés pétrolières comme une entreprise fédérale, et l'en- treprise d'entretien et d'approvisionnement de la Crosbie comme une partie vitale et essentielle de cette exploration. Trancher le litige en fonction de cette position du problème nécessiterait, si l'on était persuadé que l'entreprise Crosbie pouvait être ainsi considérée, qu'on tranche en faveur de la Couronne du chef du Canada des questions relati ves aux droits et pouvoirs respectifs de Terre- Neuve et du Canada sur le plateau continental et sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales s'y trouvant. A mon avis, de telles ques tions ne doivent être étudiées ou tranchées que lorsqu'il est nécessaire de le faire et dans la mesure il est nécessaire de le faire. Donc, malgré l'exposé très soigné fait par l'avocat Smith au nom du procureur général du Canada l'appui du point de vue fédéral, ces questions ne devraient, à mon avis, être tranchées qu'au moment cela est essentiel à la solution d'un litige porté devant le tribunal.
J'estime qu'il y a lieu d'infirmer la décision et de renvoyer l'affaire au Conseil canadien des relations
du travail pour qu'il l'examine de nouveau en partant du principe que le Conseil était compétent, à l'époque du rejet de la demande introduite par le requérant, pour statuer sur le fond de celle-ci.
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à la décision et aux motifs du juge en chef.
Je désire seulement dire quelques mots à propos de la question de caractérisation soulevée dans la décision qu'a rendue le Conseil des relations du travail de Terre-Neuve dans l'affaire The Sea farers' International Union of Canada c. Zapata Marine Services Inc. [ 1980] 2 Can LRBR 7, et dans l'argumentation du procureur général du Canada. D'après le Conseil, les activités auxquelles participaient les équipages des navires ravitailleurs n'étaient pas une entreprise maritime (shipping), mais faisaient plutôt partie intégrante de l'entre- prise d'exploration pétrolière sous-marine. L'avo- cat du procureur général du Canada dit qu'il était d'accord avec cette caractérisation des activités, mais ne l'était pas, bien entendu, avec la conclu sion du Conseil de Terre-Neuve quant à la compé- tence législative. Tant le Conseil de Terre-Neuve que le procureur général du Canada ont, à l'appui de cette caractérisation, invoqué les décisions ren- dues par la Haute Cour de l'Ontario et la Cour d'appel de la même province dans l'affaire Under water Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2e) 673 (C.A.), confirmant (1960) 21 D.L.R. (2 e ) 345 (H.C. Ont.). Dans cette affaire, une demande en accréditation a été introduite pour quelque trente- neuf employés de diverses catégories travaillant dans divers secteurs d'une entreprise dont les acti- vités se déroulent entièrement à l'intérieur des limites de la province en vue de la mise en place et du service d'installations de forage gazier sous- marin dans le lac Érié. Cette entreprise nécessitait l'utilisation de navires de divers genres, et certains de ces employés faisaient partie de l'équipage des
navires; d'autres s'occupaient de divers travaux sur ceux-ci. D'autres encore travaillaient à terre et sur la plate-forme. Tant le juge Smily de la Haute Cour que le juge d'appel Aylesworth de la Cour d'appel ont jugé que les activités des navires ne constituaient pas une entreprise maritime relevant du paragraphe 91(10) de l'A.A.N.B. (bâtiments ou navires (shipping)), mais faisaient partie de l'en- treprise globale de mise en place et de service des installations de forage gazier sous-marin. A suppo- ser, avec déférence, qu'il s'agisse d'une bonne caractérisation dans cette affaire, l'espèce pré- sente, à mon avis, est tout à fait différente. L'acti- vité maritime dans la présente affaire est d'une ampleur et d'une portée différentes et revêt un caractère distinct et indépendant. Le fait que sa fonction principale soit le transport d'approvision- nements, et que les fonctions accessoires soient l'ancrage, le remorquage, la protection contre les icebergs et le secours, tous ces services étant desti- nés aux plates-formes partiellement submergées, et quelques-uns d'entre eux seulement aux navires de forage, ne diminue en rien, à mon avis, le caractère maritime (shipping) de cette activité. Même si l'on concluait à la compétence législative de la province pour réglementer l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles du plateau continental, cela ne pourrait, à mon avis, avoir pour effet de sous- traire les navires ravitailleurs au pouvoir général du fédéral de légiférer sur une entreprise maritime (shipping) dont les activités s'étendent au-delà des limites d'une province. Il se peut que ces navires ressortent à la réglementation provinciale pour ce qui est de certains aspects de leurs activités, mais les relations de travail entre les membres de l'équi- page et leur employeur relèvent complètement de la compétence législative fédérale relative aux bâtiments ou navires (shipping).
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