Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1401-81
Thomas Elliot Young (demandeur)
c.
Le secrétaire d'État (défendeur)
Division de première instance, juge Cattanach— Toronto, 30 mars; Ottawa, 7 avril 1982.
Citoyenneté Action en jugement déclarant que le deman-
deur est citoyen canadien Le demandeur, citoyen canadien, désirait pratiquer la médecine aux États-Unis La pratique
de la médecine est réservée aux citoyens américains N'étant frappé d'aucune incapacité, le demandeur est devenu citoyen
américain par suite d'une demande de naturalisation La Cour doute du témoignage rendu par le demandeur et selon lequel il n'avait pas l'intention de renoncer à la citoyenneté canadienne L'intention est déterminée à la lumière d'actes dont on présume que l'auteur désire les conséquences Présomption selon laquelle nul n'est censé ignorer la loi L'art. 15(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne disposait qu'un citoyen canadien qui, n'étant pas frappé d'incapacité, acquérait, par un acte volontaire, la citoyenneté d'un autre
pays, cessait d'être citoyen canadien La Déclaration cana- dienne des droits prévoit que nulle loi du Canada ne doit s'interpréter comme prononçant l'exil de qui que ce soit L'exil présuppose que l'État prend les mesures pour bannir une personne du pays Le demandeur n'a pas été «exilé» Les conditions d'application de l'art. 15(1) de la loi pertinente en vigueur à l'époque ayant été réunies, cet article s'appliquait de façon automatique, et puisqu'il n'y avait aucun besoin de prononcer un jugement, la règle audi alteram partem était inapplicable Requête en jugement déclaratoire rejetée Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, c. 33, art. 15(1)
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, c. 108, art. 8, 11
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23, art. 35b) Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 (S.R.C. 1970, Appendice 1111 art. 2a),e), 5(2).
ACTION. AVOCATS:
Brent Knazan pour le demandeur. Brian Evernden pour le défendeur.
PROCUREURS:
Knazan, Jackman & Goodman, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANAcx: Le demandeur réclame dans les conclusions de sa demande un jugement le déclarant citoyen canadien.
Au début du procès, les parties se sont enten- dues sur un exposé conjoint des faits pertinents, dont j'ai permis le dépôt en preuve.
Cet exposé conjoint des faits est ainsi conçu:
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
Aux fins du procès de cette action, les parties aux présentes conviennent, par l'entremise de leurs avocats respectifs, d'ad- mettre sans autre preuve les faits suivants:
1. Le demandeur est un médecin qui réside à Kensington, au New Hampshire, un des États qui constituent les États-Unis d'Amérique.
2. Le demandeur est le 11 janvier 1923 dans la ville de Montréal, située dans la province de Québec.
3. Le 18 mars 1950 ou vers cette date, le demandeur s'est marié avec Victoria Louise Tremblay, une citoyenne des États-Unis.
4. Le 24 juin 1949, le demandeur est devenu un résident des États-Unis.
5. En 1952, le demandeur a signé une demande de naturalisa tion en vue d'obtenir la citoyenneté américaine. Cette demande de naturalisation a par la suite été déclarée périmée au motif que le demandeur n'y avait pas donné suite.
6. Le demandeur a de nouveau demandé à devenir un citoyen naturalisé des États-Unis par demande de naturalisation en date du 27 février 1957. Le 5 juin 1957, le demandeur a signé une demande d'autorisation de produire une déclaration d'in- tention et a signé une déclaration d'intention pour donner suite à sa demande de naturalisation.
7. Le 9 avril 1958 ou vers cette date, le demandeur a prêté le serment de citoyenneté et est devenu citoyen des États-Unis d'Amérique.
8. Le demandeur s'est vu conférer la citoyenneté américaine pendant qu'il résidait aux États-Unis d'Amérique et qu'il ne souffrait d'aucune incapacité.
9. Avant le 6 janvier 1981, le défendeur ignorait que le deman- deur était devenu citoyen américain.
10. Par lettre en date du 21 janvier 1981, le demandeur a demandé au défendeur de lui délivrer un certificat de citoyenneté.
11. Par lettre en date du 13 mars 1981, le défendeur a refusé de délivrer au demandeur un certificat de citoyenneté. De plus, le défendeur y déclare que le demandeur n'est pas citoyen cana- dien et qu'il a cessé d'être citoyen du Canada le 9 avril 1958 ou vers cette date.
Le témoignage du demandeur a complété l'ex- posé conjoint des faits.
Le demandeur est diplômé de la faculté de médecine de l'Université McGill et a fait son internat à l'hôpital de l'Université McGill. Il a poursuivi des études supérieures et a été interne à l'hôpital Johns Hopkins de Baltimore, au Mary-
land. Il a également fait un internat à la clinique Lahey de Boston, au Massachusetts ainsi qu'à l'hôpital New England Deaconess, également situé à Boston.
Le demandeur s'est spécialisé en pathologie, soit la science des causes et des symptômes des mala dies. La pratique de cette spécialisation s'effectue de préférence dans les régions il y a une concen tration de la population.
Ce qui signifiait que le demandeur était plus susceptible d'avoir du succès dans la pratique de sa spécialité aux États-Unis.
Certains des états qui composent les États-Unis, mais pas nécessairement tous les états, restreignent la pratique de la médecine aux citoyens améri- cains.
Comme le mentionne le cinquième paragraphe de l'exposé conjoint des faits, cela a incité le demandeur à demander la citoyenneté américaine.
Si j'ai bon souvenir du témoignage offert par le demandeur, celui-ci n'a pas donné suite à sa demande de citoyenneté parce qu'il s'était porté volontaire et a agi en qualité de médecin dans les forces armées qui ont combattu durant la guerre de Corée.
A la fin de la guerre de Corée et après sa démobilisation, le demandeur a voulu reprendre sa pratique dans l'État de New York le droit de pratique n'était accordé qu'à la condition que le requérant s'engage à demander la naturalisation à titre de citoyen des États-Unis.
Comme le mentionne le sixième paragraphe de l'exposé conjoint des faits, le demandeur a signé à Washington, D.C., le 5 juin 1957, une déclaration de son intention de devenir citoyen américain.
Le 27 février 1957, le demandeur a produit une demande de naturalisation à la Cour de district des États-Unis, siégeant pour le district de l'Est à Alexandria, en Virginie. Le 9 avril 1958, il a prononcé le serment d'allégeance aux États-Unis et, à cette date, il est devenu citoyen de cet État.
Nul ne peut contester que le demandeur n'était frappé d'aucune incapacité reconnue ou créée par la loi, ni qu'il a volontairement entrepris les démarches qui ont conduit à l'obtention de sa
citoyenneté, en sachant parfaitement ce qu'il faisait.
Au cours de l'interrogatoire subi durant son témoignage, le demandeur a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de renoncer à sa citoyenneté canadienne.
Je me formalise un peu de cette déclaration. Je ne pense pas que le demandeur ait apprécié, au moment de faire sa demande de naturalisation à titre de citoyen américain, les conséquences que pouvait avoir sa demande sur sa citoyenneté cana- dienne. S'il l'avait fait ou s'il avait demandé un avis juridique, il aurait été mis au courant des dispositions législatives qui étaient alors en vigueur, en vertu desquelles un citoyen canadien cessait immédiatement d'être citoyen du Canada dès qu'il obtenait la nationalité ou la citoyenneté d'un pays étranger. Il se peut bien qu'alors sa décision serait demeurée la même.
De toute manière, l'intention est une question de fait qu'un tribunal peut mieux trancher à la lumière d'actes manifestes dont il présume que l'auteur désire les conséquences directes, qu'à la lumière de déclarations d'intention subséquentes, faites dans des circonstances différentes. A cela s'ajoute la présomption selon laquelle nul n'est censé ignorer la loi.
La disposition législative pertinente qui était en vigueur le 8 avril 1958 est le paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, c. 33, qui énonce:
15. (1) Un citoyen canadien qui, se trouvant hors du Canada et n'étant pas frappé d'incapacité, acquiert, par un acte volon- taire et formel autre que le mariage, la nationalité ou la citoyenneté d'un pays autre que le Canada, cesse immédiate- ment d'être citoyen canadien.
Puisque la situation du demandeur correspond exactement aux dispositions de ce paragraphe, il doit en subir la conséquence énoncée: il «cesse immédiatement d'être citoyen canadien».
L'actuelle Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974- 75-76, c. 108, contient à cet égard une règle et une disposition substantiellement différentes. Un citoyen canadien peut demander à répudier sa citoyenneté s'il est citoyen d'un autre pays, s'il n'est pas sous le coup d'une incapacité et s'il ne
réside pas au Canada. Si un citoyen canadien fait une telle demande et que celle-ci est approuvée, le Ministre doit délivrer un certificat de répudiation (voir l'article 8).
L'article 11 de la loi actuellement en vigueur (précitée) prévoit que «le Ministre doit délivrer un certificat de citoyenneté à tout citoyen qui en fait la demande».
Le demandeur a fait une demande au Secrétaire d'État pour obtenir un tel certificat.
Le Secrétaire d'État a refusé de délivrer au demandeur un certificat de citoyenneté parce que celui-ci n'était pas un «citoyen» du Canada comme l'exige l'article 11 qui prévoit la délivrance d'un tel certificat. Le Secrétaire d'État explique le tout dans une lettre en date du 13 mai 1981, en réponse à une lettre des avocats du demandeur, en date du 21 janvier 1981.
Je souscris à l'exposé des dispositions législatives pertinentes que contient la lettre du Ministre, de même qu'à l'historique et l'appréciation des effets qui y en est fait.
Je souscris également à l'argument de l'avocat du demandeur selon lequel le demandeur n'aurait pas perdu sa citoyenneté canadienne si la loi actuelle avait été en vigueur le 9 avril 1958, lors- que le demandeur est devenu un citoyen des Etats- Unis, à moins qu'il n'eût demandé la délivrance d'un certificat de répudiation.
Mais la loi en vigueur à cette époque était tout autre.
Le paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyen- neté canadienne, S.R.C. 1952, c. 33, était la dispo sition législative applicable alors en vigueur. Et c'est par l'effet de celle-ci que le demandeur a cessé d'être un citoyen canadien.
Cet article a été remplacé par une loi posté- rieure, mais cette abrogation n'atteint ni l'applica- tion antérieure du texte législatif ainsi abrogé ni une chose dûment faite ou subie sous son régime (voir l'alinéa 35b) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23).
Dans l'intervalle, le 10 août 1960, la Déclara- tion canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], a toutefois été proclamée.
Il est indubitable et, d'ailleurs, le demandeur ne l'a pas contesté, que le Parlement du Canada jouissait du pouvoir législatif d'adopter la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, c. 33, de même que son paragraphe 15(1).
Il ressort clairement du paragraphe 5(2) de la Déclaration canadienne des droits qu'elle s'appli- que à toute loi du Canada, édictée avant ou après l'entrée en vigueur de la Déclaration.
En l'espèce, le paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne constitue la disposition législative applicable, et cette disposition est anté- rieure à l'adoption de la Déclaration canadienne des droits.
L'avocat du demandeur prétend que les alinéas 2a) et e) de la Déclaration canadienne des droits rendent inopérant le paragraphe 15(1) de l'an- cienne Loi sur la citoyenneté canadienne.
L'alinéa 2a) est ainsi conçu:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
a) autorisant ou prononçant la détention, l'emprisonnement ou l'exil arbitraires de qui que ce soit;
L'avocat du demandeur prétend que ce dernier a été condamné à «l'exil» du Canada parce que le défendeur lui a refusé la citoyenneté canadienne.
L'exil d'une personne du Canada implique que l'État prend les mesures pour forcer la personne à quitter son pays ou l'en bannit.
Le gouvernement du Canada n'a pas en l'espèce pris de telles mesures pour forcer le demandeur à quitter le Canada. Le demandeur a quitté le Canada de sa propre volonté et il est volontaire- ment devenu un citoyen américain. Seul le deman- deur a agi en l'espèce.
Le demandeur n'a donc pas été «exilé» du Canada, au sens le mot «exil» est employé à l'alinéa 2a) de la Déclaration canadienne des droits.
De plus, le demandeur est libre de revenir au Canada, même en qualité de citoyen américain, à la condition de respecter la loi et les règlements du Canada en matière d'immigration.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits porte:
2.... nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
L'avocat du demandeur soutient que le paragra- phe 15(1) est inopérant parce qu'il doit y avoir une audition afin de déterminer si les conditions d'ap- plication de ce paragraphe sont réunies. Il soutient en outre que nier au demandeur le droit à une audition constitue une infraction à la règle de l'audi alteram partem, parce qu'aucune audition n'a encore été tenue et que le demandeur n'a pas eu la possibilité de réfuter les allégations qui lui sont défavorables.
Un citoyen canadien de naissance, comme l'était le demandeur, doit allégeance à son souverain dès sa naissance, en contrepartie de son droit à la protection de celui-ci.
Selon la common law, un citoyen de naissance ne peut jamais s'affranchir de l'obligation d'allé- geance. L'exonération de cette obligation n'est l'ceuvre que de lois récentes.
Le paragraphe 15(1) est une de ces dispositions législatives qui permettent l'exonération.
Il est indubitable que le paragraphe 15(1) cons- titue la disposition législative applicable au 9 avril 1958. Il est également indubitable que ce paragra- phe fixe le statut du demandeur.
Le paragraphe 15(1) s'applique de manière automatique dès que sont réunies toutes les condi tions de son application. Le demandeur a perdu son statut en 1958, par l'effet automatique de la loi. Aucune audition n'est nécessaire parce qu'il n'y avait aucun besoin de prononcer un jugement et qu'aucun jugement déclaratoire n'était envisagé ou nécessaire à l'application régulière de la loi. Il n'y a pas de tribunal judiciaire ou quasi judiciaire, et la règle de l'audi alteram partem est inapplicable.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne peut donc pas être invoqué.
Par tous ces motifs, le demandeur n'a pas droit au jugement déclaratoire qu'il réclame dans les conclusions de sa demande et la Cour rejette son action avec dépens à l'encontre du défendeur.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.