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T-500-82
Walter Kuhr, et Walter Kuhr, Charles R. Hart, Robert Allen et Walter Kuhr, fils, associés sous la raison sociale Dona Genoveva Partnership, et ladite Dona Genoveva Partnership (demandeurs)
c.
Le navire Friedrich Busse et Hochseefischerei Nordstern A.G. (défendeurs)
Division de première instance, juge Addy—Van- couver, 8 et 17 février 1982.
Droit maritime Compétence Les demandeurs doivent, par contrat, fournir du poisson en mer au navire défendeur obligé de demeurer sur certains champs de pêche spécifiés pour recevoir livraison des prises et les payer Inexécution du contrat selon les demandeurs Conclusion des défende- resses à la radiation de la déclaration et au rejet de l'action pour incompétence ou pour motif qu'une juridiction cana- dienne constitue un forum non conveniens Selon les défen- deurs, il n'y a pas d'action réelle contre le navire puisque rien dans la déclaration n'est allégué contre le propriétaire et qu'il n'y a donc pas d'action personnelle La Division de première instance est-elle compétente aux termes de l'art. 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale en matière de demande née d'un contrat de fourniture de poissons? Le litige est-il de la compétence de la Division de première instance en matière de droit maritime canadien en vertu de l'art. 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale? La Cour fédérale est-elle un forum conve- niens? Requête rejetée La fourniture de poissons est indispensable à l'exploitation du navire Matière de nature essentiellement maritime Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22(1),(2):),m).
Les propriétaires du navire défendeur, un navire-usine trai- tant le poisson, demandent la radiation de la déclaration et le rejet de l'action. Les demandeurs soutiennent que les défen- deurs n'ont pas observé le contrat par lequel les demandeurs se sont engagés à remettre leurs prises en mer au navire défen- deur, ce dernier devant demeurer sur certains champs de pêche spécifiés, prendre livraison des prises des demandeurs et en verser le prix. Les propriétaires défendeurs soutiennent que la Cour n'est pas compétente pour connaître de la demande pour trois raisons: (1) on ne peut engager une action réelle contre le navire parce que rien dans la déclaration n'est spécifiquement articulé contre le propriétaire du navire en sa qualité de pro- priétaire et qu'en conséquence aucune action personnelle ne peut être intentée contre lui; (2) la fourniture de poissons sur la base d'un contrat ne tombe pas sous l'emprise de l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale qui confère à la Division de première instance compétence en matière de toute demande née d'une convention relative à l'utilisation d'un navire, ni sous celle de l'alinéa 22(2)m) qui lui confère compétence en matière de fourniture à un navire des marchandises nécessaires à son exploitation; et (3) la matière du litige n'est pas de la compé- tence générale en matière maritime attribuée à la Cour fédérale par l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Les défendeurs soutiennent aussi qu'une juridiction canadienne est en l'espèce un forum non conveniens.
Arrêt: la requête est rejetée. Selon la déclaration, la société défenderesse doit certaines sommes et des dommages-intérêts. Les propriétaires peuvent être reconnus débiteurs de cette créance puisqu'ils ont signé le contrat et doivent en tirer profit. Lorsque le propriétaire s'engage à ce que son navire soit présent dans un certain secteur à une époque donnée et à ce qu'il effectue certaines tâches, en l'espèce prendre livraison et verser le prix des prises des demandeurs, il est, en droit, responsable de l'exécution de ce contrat. La fourniture de poissons à un navire ne saurait être considérée comme une convention relative à l'utilisation d'un navire au sens de l'alinéa 22(2)i). L'utilisa- tion dont il s'agit c'est l'utilisation que fait d'un navire un tiers autre que le propriétaire. L'alinéa 22(2)m) doit nécessairement inclure la fourniture des approvisionnements nécessaires sans y être limité. En d'autres termes, la fourniture de marchandises peut ne pas être nécessaire à l'exploitation du navire mais seulement complémentaire ou accessoire, tant qu'elle concourt, ou est destinée à concourir, à l'exploitation du navire. En l'espèce, la livraison du poisson est absolument essentielle au navire exploité pour ce qui est sa raison d'être, en l'occurrence, la pêche. Quant au troisième point, le contrat traite du trans- bordement effectif de marchandises et de leur livraison en haute mer d'un navire à l'autre. Ces marchandises doivent provenir d'un secteur marin précis et les parties contractantes sont convenues que leurs navires doivent procéder aux opéra- tions prévues et à l'exécution des stipulations du contrat dans ce secteur spécifié. Il est difficile de concevoir un cas, un contrat, qui ait un caractère plus maritime. La Cour d'amirauté d'An- gleterre, de laquelle la Cour fédérale tient sa compétence en matière maritime, se serait assurément présumée compétente. Compte tenu de la décision Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le navire «Juzan Marw. [1974] 2 C.F. 488, qui applique le critère de l'essence véritable du contrat à la lumière de tous les faits et du cas d'espèce, et de la décision Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board [1960] O.R. 416, qui applique celui des caractéristiques et objets dominants, il est clair que le caractère maritime prédomine et qu'il s'agit d'une matière de droit maritime canadien comme le prévoit le para- graphe 22(1). Quant à la question du forum non conveniens, le navire a été saisi à Vancouver alors qu'on y effectuait des réparations qui n'avaient rien à voir avec l'exécution du contrat. Les demandeurs sont américains; la société défenderesse est allemande; le navire a été immatriculé en Allemagne; le contrat a été conclu dans ce dernier pays et devait être exécuté hors de notre juridiction; paiement a été offert et accepté en monnaie américaine. Toutefois, comme l'indique l'arrêt Antares Ship ping Corporation c. Le Navire «Capricorn» [1977] 2 R.C.S. 422, la considération primordiale doit être l'existence d'un autre tribunal plus approprié à la réalisation des fins de la justice; il s'ensuit que d'autres facteurs ont un impact direct sur le litige. Une inspection a révélé qu'en toute probabilité le navire sous-rapportait les quantités de prises et que le contenu de certains blocs de poissons avait été faussement marqué. Le navire aurait quitté les eaux de pêche américaines dans le but de se débarrasser des prises et d'échapper aux poursuites. Les demandeurs soutiennent que ces actions constituent une inexé- cution du contrat de la part des défendeurs. Compte tenu de la conduite frauduleuse reprochée aux défendeurs et de la crainte que la levée de la saisie du navire, en l'absence de toute sûreté appropriée, ait pour résultat la perte de toute possibilité d'in- demnisation, la Cour constitue le tribunal le plus à même de servir les fins de la justice.
Jurisprudence: décision suivie: Western Nova Scotia Bait Freezers Limited c. Le navire «Shamrock» [1939] R.C.É. 53. Décisions appliquées: Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le navire «Juzan Maru» [1974] 2 C.F. 488; Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board [1960] O.R. 416; Antares Shipping Corporation c. Le Navire «Capricorn» [1977] 2 R.C.S. 422. Distinction faite avec les décisions: Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar» [1973] C.F. 1232; Elesguro Inc. c. Ssangyong Shipping Co. Ltd. [1981] 2 C.F. 326; Marazura Navega- cion S.A. c. Oceanus Mutual Underwriting Association (Bermuda) Ltd. [1977] 1 Lloyd's Rep. 283 (Q.B. (Com.Ct.)).
REQUÊTE. AVOCATS:
John R. Cunningham pour les demandeurs. D. G. Rae pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Macrae, Montgomery & Cunningham, Van- couver, pour les demandeurs.
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les défendeurs.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: Le navire défendeur a été saisi à Vancouver à l'instigation des demandeurs au moment de la production de la déclaration en cette action. Par suite de l'autorisation donnée de com- paraître sous condition, la présente demande a été faite au nom des propriétaires du navire défendeur; elle conclut à une fin de non-recevoir de la déclara- tion en cause et au rejet de l'action au motif d'incompétence ou, subsidiairement, au motif qu'une juridiction canadienne constituerait un forum non conveniens.
Le Friedrich Busse, immatriculé en Allemagne, est un navire-usine traitant le poisson et les demandeurs, propriétaires du Dona Genoveva, qui pêchaient au large de l'Alaska et des îles Aléou- tiennes, remettaient leurs prises au Friedrich Busse pour qu'il les traite en mer conformément à un contrat conclu et signé en Allemagne entre la société défenderesse et un représentant des deman- deurs. Dans ce contrat (au par. 2), la société défenderesse se présente comme propriétaire du Friedrich Busse. Il semble finalement, d'après la déposition sous serment qu'administra en preuve le requérant, que le navire aurait appartenu, et
appartiendrait, en fait à une filiale appartenant elle-même entièrement à la défenderesse, la Ree- derei Friedrich Busse Hochseefischerei Nordstern A.G. & Co. Kommanditgesellschaft.
Vu la similarité des noms, que les propriétaires véritables sont une filiale de la société défenderesse et que cette dernière est considérée elle-même comme propriétaire, je n'accorde aucune impor tance au fait que le contrat ne soit pas au nom du propriétaire réel. Je présume en cet état de la cause, pour les fins de la présente requête, en l'absence de preuve contraire, que le contrat a été conclu au nom des propriétaires véritables, qu'ils le savaient parfaitement et y consentaient.
Le premier moyen invoqué, que la Cour est incompétente pour connaître de la demande, com- porte trois volets.
Le premier serait qu'on ne pourrait engager une action réelle contre le navire parce qu'il n'existe- rait aucune action personnelle contre le proprié- taire du navire. L'avocat du requérant fait valoir, au soutien de cet argument, que rien dans la déclaration n'est articulé contre le propriétaire du navire en tant que propriétaire et qu'aucune créance dont le propriétaire serait débiteur ne serait reconnue en droit si elle était articulée. Le requérant invoque l'arrêt Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar» [1973] C.F. 1232. Je souscris entièrement au principe qu'approuva, le faisant sien, le juge Collier dans cette espèce: une créance réelle contre un navire dépend de l'exis- tence d'une dette de son propriétaire indépendam- ment de la législation et le Parlement n'avait pas l'intention, en attribuant à la Cour fédérale com- pétence en matière maritime, de modifier ce prin- cipe. Dans cette dernière espèce toutefois, il importe de se rappeler que, contrairement à l'es- pèce en cause, il avait été reconnu que les proprié- taires n'étaient nullement débiteurs. C'est ce que fait ressortir fort clairement le juge Collier à la page 1234 du recueil précité:
Lutz a de bonne foi reconnu qu'il n'avait jamais discuté avec les propriétaires du navire ou son capitaine de cette question d'aconage. Il a déclaré que sa compagnie ne s'est pas fondée sur le crédit du navire ou de ses propriétaires, mais qu'elle a fourni ses services au vu du crédit des affréteurs ou de leurs sous- agents. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce en cause, la déclaration articule que la société défenderesse doit le montant des prises
fournies au navire et des dommages-intérêts parce que le navire n'est pas demeuré dans les eaux de pêche de la mer de Bering ni sur les champs de pêche des îles Aléoutiennes et du golfe d'Alaska. Les propriétaires à ce titre pourraient être recon- nus débiteurs de cette créance puisqu'ils ont signé le contrat (ou, pour les raisons précitées, pour les fins de la présente requête, doivent être considérés comme l'ayant signé) et qu'ils en profiteront. Lors- que le propriétaire s'engage à ce que son navire soit présent dans un certain secteur à une certaine époque et à ce qu'il effectue certaines tâches, en l'espèce prendre livraison et verser le prix des prises des demandeurs, il est, en droit, de toute évidence responsable de l'exécution de ce contrat. Le premier argument du requérant donc ne saurait être retenu.
Le second consiste à dire qu'aucune action ne saurait être accueillie contre le navire de toute façon car la fourniture de poissons sur le fonde- ment d'un contrat ne tombe pas sous l'emprise des divers alinéas du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, plus particulièrement des alinéas i) et m) qu'invoquent les demandeurs. Ce moyen est en fait relié à un troisième selon lequel, en outre, la matière du litige ne serait pas de toute façon de la compétence générale en matière maritime attribuée à notre juridiction par le paragraphe 22(1). Je traiterai ces deux moyens comme un seul.
Voici les portions pertinentes de l'article 22:
22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
m) toute demande relative à des marchandises, fournitures ou services fournis à un navire, que ce soit, pour son exploitation ou son entretien, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à l'aconage ou gabarage;
J'admets qu'un contrat de fourniture de poissons à un navire ne saurait être considéré, simplement du fait que le navire traite du poisson et utilise le poisson fourni, comme une «convention relative ... à l'utilisation .. . d'un navire» aux termes de l'alinéa i). Il est clair que dans ce contexte, l'em- ploi du terme «utilisation» vise l'utilisation que fait d'un navire un tiers autre que le propriétaire: une convention pour son usage de même qu'un contrat de nolisement ordinaire seraient ejusdem generis.
Toutefois, la question de savoir si l'alinéa m) s'applique n'est pas aussi claire. Il se peut fort bien que le terme «exploitation» de cet alinéa vise non seulement le fait pour ce navire de naviguer mais aussi l'exploitation générale de toutes ces fonctions comme celle de recevoir livraison de poissons en haute mer et de les traiter même lorsque ce traite- ment consiste en la même opération que celle qu'effectue une usine de traitement de poissons à terre.
Nulle part dans l'énumération du paragraphe (2) de l'article 22 ne mentionne-t-on les contrats de fourniture d'équipement nécessaire au navire. Ces créances ont longtemps été reconnues comme relevant du droit maritime canadien ainsi que de la compétence de l'ancienne Cour de l'Échiquier du Canada et donc, aujourd'hui, de la Cour fédérale du Canada.
L'espèce Western Nova Scotia Bait Freezers Limited c. Le navire «Shamrock» [1939] R.C.É. 53, une décision de la Cour de l'Échiquier, l'illus- tre bien. Le navire en cause se livrait aussi à des opérations de pêche. Le contrat concernait la four- niture de bouette et de glace au navire pour lui permettre de poursuivre sa pêche. On statua que la bouette et la glace constituaient des fournitures nécessaires compte tenu de la vocation du navire. Le docte juge dit, aux pages 54 et 55 du recueil précité:
[TRADUCTION] Deux défenses sont opposées à l'action: la première, que les biens fournis n'étaient pas des «fournitures nécessaires» au sens que donnent à ce terme les juridictions d'amirauté; d'ailleurs, il n'y a aucune preuve que la bouette et la glace aient été nécessaires au moment de la livraison. Le bâtiment se livrait à des activités de pêche et la preuve adminis- trée montre que la glace et la bouette sont essentielles à cette industrie de la façon dont s'y livrait le Shamrock. Je pense aussi, indépendamment de toute preuve des faits du cas d'es- pèce, si l'on connaît l'activité à laquelle se livrait le navire, que l'on doit en conclure que la bouette et la glace lui sont
nécessaires comme approvisionnements d'équipement 'nécessai- res car la jurisprudence interprète ceux-ci comme atout ce qui convient à l'activité auquelle le navire est destiné; tout ce que le propriétaire du navire, en homme prudent, commanderait s'il était présent à ce moment-là»: le juge en chef Abbott, dans l'arrêt Webster c. Seekamp ((1821) 4 B. & E. Ald. 352; 106 E.R. 966).
Il me semble qu'on ne peut pas considérer des activités de pêche comme de la navigation et du transport maritime, comme l'exploitation d'un navire en tant que navire, au sens étroit, pas plus que l'obtention de la livraison de poissons en haute mer par achat et traitement de ceux-ci. En l'es- pèce, le navire a été conçu pour cette activité, à laquelle il se livrait, et pour nulle autre. L'obten- tion de poissons est absolument essentielle au navire exploité pour cet objet dont c'est la raison d'être. On ne saurait raisonnablement différencier les faits des deux espèces. Je crois donc, en l'ab- sence d'erreur de droit manifeste dans la décision précitée, ou d'un changement subséquent du droit depuis lors, que je dois suivre cette décision. Il n'y a là, à mon avis, aucune erreur de droit et le seul changement dans le droit opéré depuis lors a été l'adoption de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'expression «fournitures nécessaires» ne se retrouve pas dans l'énumération du paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale. En essence, toutefois, elle serait couverte par le libellé de l'ali- néa m) précité; si l'on devait chercher à distinguer les deux notions, on ne pourrait que conclure que le libellé de l'alinéa m) doit nécessairement inclure la fourniture des approvisionnements nécessaires sans y être limité. En d'autres mots, la fourniture de marchandises, de matériaux ou de services peut ne pas être nécessaire à l'exploitation mais seule- ment complémentaire, accessoire, tant qu'elle con- court, ou qu'on la destine à concourir, à l'exploita- tion du navire. D'ailleurs, mise à part l'extension apparente que l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale apporte à cette notion d'équipement nécessaire du navire, nous constatons que l'inter- prétation plutôt restrictive originale qui en avait été faite a été considérablement élargie. Dans l'Admiralty Jurisdiction and Practice of the High Court of Justice de Roscoe (5 e édition), nous trouvons ce qui suit, à la page 203:
[TRADUCTION] ... quoique désignant d'abord les réparations indispensables, les ancres, câbles, voiles et approvisionnements, le terme a acquis maintenant, de toute évidence, un sens plus
large que les exigences des temps modernes ont amplifié et amplifient encore, graduellement, comme l'indique l'espèce The Mecca l'on a statué que le péage des canaux tombait sous son emprise. On ne saurait distinguer entre l'équipement néces- saire au navire et l'équipement nécessaire au voyage; tout ce qui raisonnablement est nécessaire à l'activité particulière à laquelle s'adonne le navire doit être compris dans cette catégorie.
Ce qui est tout aussi important toutefois, c'est de savoir si un contrat intervenu entre les proprié- taires de deux navires, dont l'un doit fournir le poisson en haute mer à l'autre, qui, lui, doit demeurer sur certains champs de pêche spécifiés pour y recevoir livraison du poisson et le payer, tombe sous l'emprise des termes «droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande» du para- graphe 22(1).
Il est bien établi que la Cour fédérale du Canada, comme la Cour de l'Échiquier du Canada qui la précéda, outre toute compétence d'attribu- tion qu'elle peut avoir en matière maritime ou autrement, possède la compétence dont jouissait formellement les juridictions d'amirauté d'Angle- terre à l'époque la Cour de l'Échiquier du Canada acquit sa compétence en matière mari time. Il est évident que les navires-usines n'exis- taient pas et ne pouvaient exister à cette époque et donc, qu'en fait, les cours d'amirauté anglaises n'auraient pas pu exercer leur compétence. La question qu'il faut donc se poser n'est pas de savoir si effectivement elles ont exercé leur compétence dans de tels cas mais si elles auraient été, en droit, justifiées de le faire à l'époque si la question s'était posée.
Ce contrat ne stipule pas une simple translation de la propriété de certains biens mais traite aussi, ce qui est plus essentiel, de leur transbordement véritable et de leur délivrance en haute mer d'un navire à l'autre. Ces biens doivent provenir d'une aire de la mer dont les parties contractantes sont convenues et leurs navires doivent être exploités et ils doivent exécuter les stipulations du contrat dans cette aire spécifiée. Il est difficile de conce- voir un cas, un contrat, qui ait un caractère plus maritime. Je suis sûr que toute Cour d'amirauté anglaise saisie des mêmes faits se serait assuré- ment présumée compétente et fondée en droit à statuer sur le litige opposant les parties.
Le requérant s'est aussi appuyé sur une autre décision du juge Collier, soit l'espèce Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le navire «Juzan Maru» [1974] 2 C.F. 488; 49 D.L.R. (3 e ) 277. Dans cette espèce, la Cour déclina sa compétence manifeste- ment parce que, à l'examen de l'essence véritable du contrat, à la lumière de tous les faits et du cas d'espèce, il apparaissait que les aspects maritimes des arrangements d'affaires intervenus entre les parties étaient minimes voire accidentels (voir p. 284 du recueil précité) [[1974] 2 C.F. aux pp. 496 et 497]; l'essence de l'arrangement n'était pas maritime. Je souscris entièrement à ce principe et au critère dit des caractéristiques et objets domi nants appliqué dans l'espèce Underwater Gas Developers Ltd. c. Ontario Labour Relations Board (1960) 24 D.L.R. (2 e ) 673; [1960] O.R. 416. Ce sont précisément ces critères qui, appli- qués aux faits de l'espèce en cause, me convain- quent que son caractère maritime prédomine.
Je juge donc, indépendamment de la question de savoir si le contrat concerne la fourniture d'équipe- ments nécessaires ou s'il relève de l'alinéa 22(2)m), que de toute façon il s'agit d'une matière de droit maritime canadien comme le prévoit le paragraphe 22(1).
J'en viens maintenant à la question du forum non conveniens.
Le navire a été saisi à Vancouver alors qu'on y effectuait des réparations et, en conséquence, notre juridiction a compétence territoriale sur le bâti- ment. La question du forum conveniens est, bien entendu, une question totalement différente de celle de la compétence; elle ne se pose que si la Cour est compétente.
Les demandeurs sont américains; la société défenderesse est allemande; le navire a été imma- triculé en Allemagne; le contrat a été conclu là-bas et devait être exécuté hors de notre juridiction; paiement a été offert et accepté en monnaie améri- caine et la réparation et l'entretien du navire, qui l'ont amené dans un port canadien, et ont donc permis sa saisie, n'ont rien à voir avec l'exécution
du contrat, fondement de l'action. Il semblerait à première vue, à la lumière de ces faits, qu'une juridiction canadienne ne constitue pas un forum conveniens lorsque se pose la question d'instruire l'actuel litige.
Il existe cependant d'autres facteurs ayant un impact direct sur le litige. Bien que les opérations du navire défendeur aient eu lieu dans une large mesure à l'intérieur des limites de pêche américai- nes de 200 milles, il ne pouvait y être saisi pour une question de droit maritime à moins de se trouver dans les 3 milles d'eaux territoriales de ces limites, les 197 autres milles n'étant, entre autres choses, qu'une zone de gestion de la pêche échap- pant à la compétence territoriale générale des États-Unis.
Alors que le contrat était en vigueur, à la suite de rapports selon lesquels le navire défendeur enfreignait son autorisation ou licence de pêche lui permettant d'opérer dans la zone de gestion de pêche américaine, des inspecteurs de l'Administra- tion nationale des océans et de l'atmosphère du département du Commerce des États-Unis montè- rent à bord. D'après le rapport que prépara le procureur du gouvernement américain, lequel recommande de poursuivre le navire, l'inspection révéla qu'en toute probabilité avaient été sous-rap- portées entre 750 et 1,400 tonnes métriques de morue et que sur 100 échantillons de poissons prélevés dans les blocs étiquetés merlan, 94 étaient en fait de la morue. En cas de condamnation sur les accusations retenues, des amendes considéra- bles pouvaient s'ensuivre: $2,500 par jour à comp- ter du 13 janvier 1981, jusqu'au 13 avril 1981, jour de l'inspection, et possibilité de saisie-exécution du bâtiment. Le navire quitta les eaux américaines de pêche le jour qui suivit l'inspection et apparem- ment gagna Mexico soi-disant pour y faire des réparations mais, d'après les demandeurs, dans le but inavoué d'échapper aux poursuites et de se débarrasser de sa pêche. Les demandeurs fondent en partie leur demande sur cette inexécution du contrat que constituerait ce départ des lieux de pêche.
Le bâtiment aurait relâché à Dutch Harbour en Alaska environ cinq fois depuis le début du litige mais, apparemment, pendant des intervalles fort courts uniquement. Les demandeurs auraient été incapables de connaître à l'avance quand il allait
relâcher dans ce port et un commencement de preuve établirait que Dutch Harbour est fort éloi- gné de la Cour fédérale américaine d'Alaska et qu'il est donc fort difficile à un huissier de s'y rendre en temps utile pour procéder à la saisie d'un navire qui ne fait que s'y ravitailler. Aucune preuve n'existe que le navire réintégrera les eaux territoriales américaines à nouveau quoiqu'il ait, prétend-on, l'intention de regagner les champs de pêche au large de la côte d'Alaska pour y poursui- vre ses opérations habituelles une fois terminées les réparations auxquelles on procède ici.
Il n'existe aucune preuve que les défendeurs subiraient un préjudice s'il leur fallait fournir une caution pour obtenir la levée du navire comme ce fut le cas en l'espèce Marazura Navegacion S.A. c. Oceanus Mutual Underwriting Association (Ber- muda) Ltd. [1977] 1 Lloyd's Rep. 283 (Q.B. (Com.Ct.) ).
De plus, comme le navire ne regagnera pas l'Allemagne mais demeurera au large de la côte occidentale de l'Amérique du Nord, c'est-à-dire fort à proximité de notre juridiction, je ne puis entrevoir aucune difficulté particulière pour les défendeurs ni préjudice à leur égard du point de vue de la preuve à administrer. En outre, l'agent des défendeurs aux États-Unis ne se trouve qu'à quelques milles, à Seattle, dans l'État de Washington.
Les espèces Sumitomo Shoji Canada Ltd. c. Le navire «Juzan Maru» [précitée] et Elesguro Inc. c. Ssangyong Shipping Co. Ltd. [1981] 2 C.F. 326; 117 D.L.R. (3 e ) 105, qu'ont citées les défendeurs ne sont que de peu d'utilité et peuvent être diffé- renciées. Ni dans l'une ni dans l'autre, les causes de la demande ne portent sur le navire saisi.
L'arrêt de principe le plus récent régissant les facteurs que doit prendre en compte le juge du fond lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de forum conveniens est l'arrêt de la Cour suprême du Canada Antares Shipping Corpora tion c. Le Navire «Capricorn» [1977] 2 R.C.S. 422. Dans cet arrêt, son auteur, le juge Ritchie, au nom de la majorité de la Cour, a dit, à la page 448:
Plusieurs décisions décrivent sous différents aspects les divers facteurs qui influent sur l'application de cette doctrine, et nous en mentionnerons quelques-uns ci-dessous; parmi eux, on peut
citer les avantages réciproques pour toutes les parties intéres- sées, y compris le demandeur, l'inopportunité d'empiéter sur la juridiction d'un État étranger, l'inconvénient de juger une affaire dans un pays lorsque la cause d'action a pris naissance dans un autre, régi par des lois différentes, et ce qu'il en coûte pour réunir des témoins étrangers.
Selon moi, cependant, la considération primordiale qui doit guider la cour lorsqu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire, elle refuse d'accéder à une telle requête, doit être l'existence d'un autre tribunal, plus commode et plus approprié à la poursuite de l'action et à la réalisation des fins de la justice. Il faut évidemment juger chaque cas selon les faits en cause ....
A la page 451 du même recueil, le juge cite aussi le juge Megarry dans l'espèce G.A.F. Corporation c. Amchem Products Inc. [1975] 1 Lloyd's Rep. 601 (C.A.), il dit:
[TRADUCTION] Lorsque je prends en considération le forum conveniens, je n'oublie pas que l'on a dit que l'expression ne signifie pas le tribunal «commode», mais le tribunal «approprié» ou le tribunal «qui répond le mieux aux fins de la justice». Voir The Atlantic Star, 1973 2 All E.R. 175.
A la page 453, le juge Ritchie cite en l'approuvant la remarque suivante de lord Sumner dans l'arrêt La Société du Gaz de Paris c. La Société Ano- nyme de Navigation Les Armateurs Francais [1926] S.C. (C.L.) 13:
[TRADUCTION] Je crois qu'il faut envisager la question ainsi: la Cour doit rechercher la meilleure façon d'établir et de servir les fins de la justice en l'espèce, compte tenu des faits qui lui sont présentés et en autant qu'elle puisse les évaluer à l'avance ... Il faut lire dans l'expression «forum non conveniens» l'intention de trouver le tribunal qui se prête davantage aux fins de la justice et qui est le plus approprié parce que la poursuite du procès devant lui offre le plus de chances d'atteindre ces fins.
Il approuve aussi le commentaire suivant de lord Simon dans l'espèce The Atlantic Star [1973] 2 All E.R. 175 aux pages 197 et 198:
[TRADUCTION] Les navires se dérobent facilement. Le pouvoir de les saisir dans n'importe quel port et d'intenter une action in rem est de plus en plus nécessaire, compte tenu de la coutume de la propriété unique des navires et l'usage des pavillons de complaisance. Un grand pétrolier, naviguant avec négligence, peut causer des dommages considérables aux plages ou à d'autres navires; il évitera soigneusement les ports situés dans le ressort d'un tribunal «compétent». Si la partie lésée parvient à le saisir ailleurs, on opposera énergiquement (comme le font les appelantes en l'espèce) que: «Le défendeur n'a aucun lien avec le tribunal, si ce n'est qu'il a été saisi dans son ressort». Mais souvent, ce sera la seule façon d'obtenir justice.
Le navire aurait-il été saisi dans les eaux améri- caines ou une garantie aurait-elle été fournie à un tribunal américain que l'instruction dans cette juridiction aurait certainement été préférable.
Mais ce n'est pas le cas et, à la lumière de la conduite frauduleuse qu'on impute aux défendeurs, et que semble démontrer, jusqu'à un certain point, la preuve administrée, à la lumière aussi de la peur des demandeurs que la levée de la saisie en l'ab- sence de toute sûreté appropriée aurait fort proba- blement pour résultat la perte de toute possibilité d'indemnisation, le fait que le navire a été saisi dans notre juridiction acquiert une importance accrue.
Comme il a été dit dans l'espèce The Atlantic Star et dans bien d'autres affaires maritimes, un navire, de par sa mobilité même, se dérobe; on peut l'aliéner facilement, en quelque lieu lointain et le produit de la vente peut tout aussi facilement être mis hors d'atteinte du plaideur légitime.
Compte tenu des circonstances existant actuelle- ment, je crois que notre juridiction constitue le for le plus à même de servir les fins de la justice et en fait, semble-t-il, le seul justice peut être rendue.
La requête des défendeurs sera donc rejetée avec dépens.
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