Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-700-80
Le Syndicat international des débardeurs et maga- siniers, section locale 502 (requérant)
c.
Terrance John Matus et le Conseil canadien des relations du travail (intimés) *
[N ° 2 ]
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et juge suppléant Verchere—Vancouver, 9 octobre et 10 novembre; Ottawa, 24 novembre 1981.
Examen judiciaire Relations du travail Expulsion d'un membre du syndicat pour avoir adhéré à un deuxième syndicat Le syndicat permet à certains membres d'adhérer à d'autres syndicats Le Conseil canadien des relations du travail a conclu à la violation par le syndicat de dispositions du Code interdisant la discrimination Ordonnance portant réintégration et indemnisation Le Conseil a rejeté l'appel formé par le syndicat et a conclu en outre que ce dernier avait également violé une autre disposition du Code Il échet d'examiner si l'art. 185e),f) et h) du Code du travail est ultra vires du Parlement II faut déterminer si les actions syndi- cales affectent de façon fondamentale l'entreprise fédérale Il y a à examiner si le Conseil a outrepassé sa compétence Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 Code canadien du travail, S.R.C. 1970 c. L-1, art. 110(1), 122(1), 185e),f),h) Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5], art. 91.
La présente demande d'annulation d'une décision du Conseil canadien des relations du travail a été entendue, sur consente- ment, en même temps que la demande d'annulation d'une décision antérieure du Conseil [N° du greffe: A-36-81, page 549 supra]. Les faits et les points litigieux relatifs à ces deux demandes sont les mêmes et sont résumés dans le sommaire de la demande antérieure.
Arrêt: la demande est rejetée.
Le juge Pratte (le juge suppléant Verchere souscrivant): Les avocats ont eu tort de présumer que le Conseil avait modifié sa décision initiale. Le Conseil n'a pas modifié la teneur de cette décision. La décision finale du Conseil n'était rien d'autre qu'un rejet de la demande en révision du syndicat. En vertu du paragraphe 122(1) du Code, cette Cour a le pouvoir d'annuler la décision d'un tribunal fédéral seulement lorsque ce tribunal n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a refusé d'exercer sa compétence. Le Conseil n'a fait qu'exercer sa compétence, et on n'a pas fait valoir que les exigences de la justice naturelle avaient été violées.
Le juge Urie: Le Conseil a rejeté la demande en révision et, comme il lui était loisible de le faire, a modifié sa première décision. Le Parlement a compétence pour légiférer sur tous les
* Étant donné que les motifs de jugement en l'espèce et dans la cause précédente diffèrent, bien que les faits et les questions litigieuses soient les mêmes, les motifs des deux décisions ont été publiés dans leur totalité—L'arrêtiste.
aspects fondamentaux d'entreprises qui relèvent de son pouvoir exclusif lors même que cela toucherait à la propriété et aux droits civils. Bien que, de prime abord, les affaires internes d'un syndicat relèvent de la compétence des provinces, le Conseil a le droit de requérir les syndicats de se conformer aux dispositions du Code. La question est de savoir si les actions du syndicat touchent à l'essence même de l'entreprise fédérale. Comme l'a dit le juge d'appel Laskin (tel était alors son titre) dans l'affaire Papp c. Papp [1970] 1 O.R. 331, la p. 337, la question n'est pas tant de savoir jusqu'où le Parlement peut empiéter sur l'article 92 que de déterminer dans quelle mesure la propriété et les droits civils relèvent de la compétence prépondérante du Parlement. L'adhésion syndicale étant une condition préalable à l'emploi dans diverses entreprises fédérales du secteur du débardage, les règles internes des syndicats affectent l'admissi- bilité de travailleurs et, par conséquent, l'exploitation d'entre- prises fédérales. Puisqu'on ne saurait dire que l'interprétation par le Conseil de l'alinéa 185e) est déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement être soutenue, sa décision ne saurait donc faire l'objet d'un examen, ni ne saurait-on dire que le Conseil a outrepassé sa compétence en accordant au membre du syndicat le redressement sollicité.
Jurisprudence: arrêt appliqué: Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227. Arrêt approuvé: Papp c. Papp [1970] 1 O.R. 331. Arrêts mentionnés: In re la validité et l'application de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529; Orchard c. Tunney [1957] R.C.S. 436; Commission du salaire mini mum c. The Bell Telephone Co. of Canada [1966] R.C.S. 767.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
M. D. Shortt pour le requérant.
I. G. Nathanson pour l'intimé Terrance John Matus.
J. Baigent pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
W. B. Scarth, c.r., pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Shortt & Company, Vancouver, pour le requérant.
Davis & Company, Vancouver, pour l'intimé Terrance John Matus.
Baigent & Jackson, Vancouver, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail. Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La demande fondée sur l'arti- cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, tend à l'examen et à l'annulation de la décision par laquelle le Conseil canadien des relations du travail a, le 7 octobre 1980, rejeté la demande, introduite par le requérant dans la pré- sente instance, en révision et en annulation d'une autre décision rendue par le Conseil le 6 mars 1980. Dans celle-ci, le Conseil a jugé que le re- quérant avait violé l'alinéa 185h) du Code cana- dien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, en expulsant l'intimé Matus de ses rangs et, par suite de cette conclusion, a ordonné au syndicat de réintégrer ce dernier et de le dédommager de la perte financière qu'il avait subie du fait d'être expulsé illégalement.
A l'audition de la présente demande fondée sur l'article 28, qui a été entendue en même temps que la demande formée par le requérant sur le fonde- ment de l'article 28 contre la décision du 6 mars 1980, l'avocat du requérant a fait valoir que la décision attaquée avait, en fait, modifié la décision du 6 mars 1980. D'une part, l'avocat du requérant a cité un passage de la décision attaquée où, selon lui, le Conseil reconnaissait avoir commis une erreur en déclarant, dans sa décision du 6 mars 1980, que la conduite du requérant avait violé l'article 110 du Code; l'avocat a donc présumé que le Conseil avait ainsi modifié sa décision anté- rieure. D'autre part, l'avocat de l'intimé Matus et celui du Conseil ont fait état d'un autre passage de la décision attaquée où, selon eux, le Conseil aurait dit que le requérant, en expulsant l'intimé Matus, avait violé l'alinéa 185e) du Code; les avocats ont donc présumé que le Conseil avait ainsi modifié sa décision antérieure, il avait conclu à la violation par le requérant de l'alinéa 185h), en concluant en outre que le requérant avait également violé l'ali- néa 185e). A mon avis, ces deux suppositions sont erronées. La décision attaquée est une décision par laquelle a été tranchée la demande, introduite par le requérant à l'instance, tendant à l'annulation de la décision du 6 mars. Le Conseil a rejeté cette demande. Il faut se référer au dernier paragraphe de la décision attaquée. Dans la première phrase de ce paragraphe, le Conseil voit ainsi sa décision antérieure:
Conformément au préambule et à l'esprit du Code, le Conseil s'est penché sur un problème et a remédié à un tort qu'on cherchait à faire redresser par le biais du Code.
Voici sa conclusion:
Après avoir réexaminé l'affaire à fond, nous ne voyons rien qui nous convainc de revenir sur le redressement ordonné dans la décision 211, ni sur les conclusions y exprimées. En consé- quence, la requête en révision est rejetée.
Dans les dix pages précédant ce paragraphe final, les motifs invoqués par le Conseil sont simplement des motifs donnés pour appuyer sa décision de rejeter la demande en révision et en annulation; ils ne constituent pas une décision portant modifica tion de la décision du 6 mars 1980.
Si la décision attaquée est considérée comme étant simplement une décision portant rejet d'une demande en révision et en annulation, la présente demande fondée sur l'article 28 doit être, à l'évi- dence, rejetée. En vertu du paragraphe 122(1) du Code canadien du travail, les seuls motifs auxquels la Cour peut infirmer une décision du Conseil sont ceux qui sont mentionnés au paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, disposition qui donne à la Cour le pouvoir d'annuler la décision d'un tribunal fédéral lorsque ce tribunal «m'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autre- ment excédé ou refusé d'exercer sa compétence». On n'a pas fait valoir que le Conseil avait omis d'observer un principe de justice naturelle. En rejetant la demande en révision et en annulation, le Conseil n'a fait qu'exercer sa compétence.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La Cour a été saisie de deux demandes d'examen et d'annulation, fondées sur l'article 28, de deux décisions rendues par le Con- seil canadien des relations du travail («le Conseil»). Dans la première décision (A-36-81) rendue le 6 mars 1980, il a été jugé que le requérant avait enfreint l'alinéa 185h) du Code canadien du tra vail (de Code»)'. La deuxième, datée du 7 octobre
' S.R.C. 1970, c. L-1, Partie V, modifié.
1980 a été rendue par suite d'une demande en révision introduite par le requérant en vertu de l'article 119 du Code. Le Conseil a rejeté cette demande et, d'après mon interprétation de sa déci- sion, malgré un langage parfois contradictoire dans celle-ci, il a modifié sa première décision, comme il lui était loisible de le faire, en concluant en outre à la violation par le requérant de l'alinéa 185e) du Code parce que ce dernier avait mis fin à l'emploi de l'intimé Matus dans le secteur du débardage pour des raisons autres que le défaut de paiement des cotisations syndicales et des contri butions. C'est la décision du 6 mars 1980, modifiée par la décision du 7 octobre 1980, qu'on cherche à faire annuler dans la présente demande.
Le requérant (ci-après appelé parfois «section locale 502») est un syndicat au sens du Code. A toutes les époques en cause, il était signataire d'une convention collective avec la British Colum- bia Maritime Employers Association (Association des employeurs des industries maritimes de la Colombie-Britannique), qui est mandataire pour différents employeurs dans une aire géographique donnée, dont le port de New Westminster.
L'intimé Matus a été membre cotisant de la section locale 502 depuis 1965 jusqu'à son expul sion de cette section en octobre 1977. Il ne faisait pas partie d'une équipe régulière de débardeurs travaillant, par l'entremise du bureau d'embau- chage du syndicat, pour un employeur particulier. Il devait plutôt se présenter à ce bureau tous les jours pour obtenir du travail chez divers employeurs. Au cours d'une période de ralentisse- ment des activités au port de New Westminster, il obtint du travail dans une usine de la société Rayonier, tout près de chez lui. Pour ce faire, il devait devenir membre cotisant du Syndicat inter national des travailleurs de bois d'Amérique. Entre temps, il continua de verser ses cotisations au requérant. Vers la fin de l'été de 1977, il fut accusé par la section locale 502 d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article 5b) de la constitution et des règles de procédure de celle-ci; cet article prévoit notamment:
Article 5. Obligations des membres
Voici les obligations des membres:
b) n'être membre d'aucun autre syndicat.
Après avoir épuisé tous les recours au sein de l'organisation de son syndicat, M. Matus fut exclu de la section locale 502 pour cette violation. La preuve montre toutefois que le requérant autorise certains de ses membres à faire du débardage tout en étant membres d'un autre syndicat. L'expulsion eut pour conséquence de l'empêcher de travailler comme débardeur. Il adressa alors une plainte au Conseil en vertu de l'article 187 du Code et, à la suite d'une audience, ce dernier jugea:
a) Que l'intimé Matus était un employé au sens du Code;
b) Que la section locale 502 avait violé l'alinéa 185h) du Code en expulsant l'intimé Matus; et
c) Que la section locale 502 avait également enfreint l'alinéa 185f) en expulsant M. Matus.
Le Conseil ordonna à la section locale 502 de réintégrer l'intimé Matus et de lui verser une indemnité conformément à l'article 189 du Code.
Le requérant demanda alors au Conseil de révi- ser sa décision, à la suite de quoi ce dernier rendit sa décision le 7 octobre 1980. Le Conseil rejeta la demande en révision et jugea, outre les conclusions exposées ci-dessus, que le requérant avait violé l'alinéa 185e) du Code en mettant, de fait, M. Matus dans l'impossibilité d'obtenir du travail dans le secteur du débardage pour des raisons autres que le défaut de paiement des cotisations syndicales et contributions.
Les parties pertinentes de l'article 185 sont ainsi rédigées:
185. Nul syndicat et nulle personne agissant pour le compte d'un syndicat ne doit
e) exiger d'un employeur qu'il mette fin à l'emploi d'un employé parce que celui-ci a été exclu définitivement ou temporairement du syndicat pour une raison autre que le défaut de paiement des cotisations périodiques, contributions et droits d'adhésion que tous les membres du syndicat sont uniformément tenus de payer pour adhérer ou rester adhé- rents au syndicat;
J) exclure définitivement ou temporairement un employé du syndicat ou lui rc/fuser l'adhésion au syndicat en lui appli- quant d'une manière discriminatoire les règles du syndicat relatives à l'adhésion;
h) exclure définitivement ou temporairement un employé du syndicat, prendre contre lui des mesures disciplinaires ou lui imposer une forme quelconque de sanction parce qu'il a refusé d'accomplir un acte constituant une contravention à la présente Partie; ...
Pour comprendre le premier des deux points litigieux soulevés par le requérant, il est également nécessaire de prendre en considération le paragra- phe 110(1) du Code:
110. (1) Tout employé est libre d'adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites.
D'après l'avocat du requérant, les deux points litigieux dans le présent appel sont:
a) que, d'après la Constitution, les dispositions du Code canadien du travail invoquées par le Conseil, en particulier les alinéas 185e), f) et h) excèdent la compétence législative du Parlement du Canada, en ce qu'elles ont pour effet de réglementer les règles internes d'un syndicat en matière d'adhésion («La question constitution- nelle»); et
b) que si ces alinéas sont intra vires, le Conseil a outrepassé sa compétence conférée par le Code en concluant à la violation par le requérant du paragraphe 110(1) et des alinéas 185e), f) et h) de ce Code, et en accordant le redressement sollicité, censément, en vertu des articles 121 et 189 («La question d'interprétation»).
La question constitutionnelle
Le requérant soutient qu'en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], le Parlement du Canada ne peut pas adopter de lois ayant trait au règlement interne d'un syndicat en ce qui concerne l'adhésion de ses membres. D'après l'avocat, le Parlement a le pouvoir de réglementer les rapports entre employeurs et employés dans le cadre d'une entreprise fédérale (article 108) seulement dans la mesure une telle réglementation est essentielle ou vitale à l'exploita- tion d'une telle entreprise. Sinon, toujours selon l'avocat, ces rapports sont régis normalement par chaque législature provinciale comme une question de droit de propriété ou de contrat.
Depuis l'affaire In re la validité et l'application de la Loi sur les relations industrielles et sur les
enquêtes visant les différends du travail 2 , le Parle- ment a indubitablement compétence sur les entre- prises qui tombent dans le champ d'application de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord bri- tannique, 1867. Il a compétence pour légiférer sur tous les aspects fondamentaux, essentiels ou vitaux d'entreprises qui relèvent de son pouvoir exclusif, lors même que cela toucherait à la propriété et aux droits civils. A titre d'exemple, dans l'affaire Com mission du salaire minimum c. The Bell Tele phone Company of Canada 3 , le juge Martland s'exprime en ces termes au nom de la Cour:
[TRADUCTION] A mon avis, toutes les questions qui font essentiellement partie de l'exploitation d'une entreprise inter- provinciale en tant qu'affaire active sont des questions qui relèvent du contrôle législatif exclusif du Parlement fédéral en vertu de l'art. 91(29).
Il est constant qu'en l'espèce, le travail accompli par les débardeurs au port de New Westminster, dont l'intimé Matus, s'effectuait dans le cadre d'une entreprise fédérale. Les avocats des parties, ainsi que le Conseil, ont également reconnu que, de prime abord, les affaires internes d'un syndicat qui concernent ses membres tombent dans le domaine de la propriété ou des droits contractuels et relè- vent de la compétence législative des provinces; que ces matières ne sont donc pas du ressort du Code canadien du travail et que, par voie de conséquence, elles ne relèvent pas du Conseil cana- dien des relations du travail. Mais il me semble également clair que si dans ses rapports avec ses membres un syndicat enfreint certaines disposi tions du Code, le Conseil a, dans le cadre de son pouvoir, le droit de requérir le syndicat de se conformer à ces dispositions et de replacer les employés touchés par ces violations dans la situa tion ils se trouvaient auparavant. C'est parce que le Conseil a estimé que la section locale 502 avait violé au moins les alinéas e), f) et h) de l'article 185 qu'il a rendu la décision dont l'annula- tion est demandée dans la présente action. Pour déterminer, à la lumière de la jurisprudence, si le Conseil est habilité à rendre une telle décision, il faut trancher la question de savoir si les actions du requérant touchent à l'essence même de l'entre- prise fédérale. Autrement dit, il faut, en l'espèce, déterminer les limites de la compétence du Parlement.
2 [1955] R.C.S. 529.
3 [1966] R.C.S. 767 à la p. 772.
Dans l'affaire Papp c. Papp 4 , le juge d'appel Laskin (tel était alors son titre), de la Cour d'appel de l'Ontario, a formulé un critère utile pour cette détermination. La question soulevée dans cette affaire était de savoir si le Parlement pouvait, en vertu de sa compétence sur «le mariage et le divorce», réglementer la garde des enfants dans une action de divorce. Voici le critère qu'il a formulé:
[TRADUCTION] Lorsqu'il existe, comme c'est le cas ici, une compétence reconnue de légiférer jusqu'à un certain point, le problème posé par les limites (lorsque ce point est dépassé) est résolu de meilleure manière en se demandant s'il existe un rapport rationnel, fonctionnel entre ce que l'on reconnaît comme valide et ce qui est contesté.
A la page 337 du recueil, le juge Laskin fait en outre cette remarque:
[TRADUCTION] Nulle part dans la liste des pouvoirs provin- ciaux prévus à l'A.A.N.B. il n'est fait mention de garde ni même d'enfants; et lorsqu'on étudie ce qu'on appelle la réparti- tion de la totalité du pouvoir législatif touchée par l'Acte (voir Murphy c. Le Canadien Pacifique et le procureur général du Canada [1958] R.C.S. 626 la p. 643, 15 D.L.R. (2e) 145 aux pp. 153 et 154, 77 C.R.T.C. 322), nous nous retrouvons encore une fois devant la question familière de déterminer la portée d'un pouvoir fédéral énuméré tel que «le mariage et le divorce. par opposition au vaste pouvoir provincial portant sur «la propriété et les droits civils dans la province». Appliquons à l'espèce, en les adaptant, les propos tenus par le juge Rand dans Le procureur général du Canada c. Le Canadien Pacifique et les Chemins de fer nationaux du Canada, [ 1958] R.C.S. 285, à la p. 290, 12 D.L.R. (2°) 625, la p. 628, 76 C.R.T.C. 241: «il est impossible de séparer les pouvoirs afférents aux matières qui tombent normalement dans le champ de compétence provincial, la propriété et les droits civils en particulier, de certains para- graphes de l'art. 91 ... en vertu desquels l'on ne pourrait guère faire deux pas sans y toucher.» En pareil cas donc, «la question n'est pas tant de savoir jusqu'où le Parlement peut empiéter sur l'art. 92 que de déterminer dans quelle mesure la propriété et les droits civils relèvent de la compétence prépondérante du Parlement [en matière de mariage et divorce].. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'application du critère précédent, il faut se rappeler les faits de l'espèce. Le Conseil a jugé que le requérant avait enfreint les articles 110 et 185 du Code, précités, en expulsant l'intimé Matus du fait de son adhésion simultanée à un autre syndicat. L'adhésion est une condition préalable à l'emploi dans diverses entreprises fédérales du sec- teur du débardage, comme c'était le cas en l'es- pèce. Dans ce secteur, les employeurs n'engagent pas directement leurs employés. C'est plutôt le bureau d'embauchage qui leur fournit la main
4 [1970] 1 O.R. 331 aux pp. 335 et 336.
d'oeuvre. L'expulsion de M. Matus de la section locale 502 a eu pour effet de le mettre dans l'impossibilité de trouver du travail dans le secteur du débardage.
Dès lors, il me semble clair que le rapport rationnel et fonctionnel entre la réglementation des relations employeur-employé dans des entreprises fédérales et les règles internes des syndicats est la mesure dans laquelle celles-ci affectent l'admissibi- lité de personnes à un emploi dans ces entreprises. Il est concevable qu'en appliquant ces règles, un syndicat puisse, en expulsant certains de ses mem- bres pour des raisons telles que celles invoquées en l'espèce, priver un employeur donné de la totalité ou d'un nombre considérable d'employés au détri- ment de l'entreprise fédérale de cet employeur. Si tel est le cas, pourrait-on raisonnablement préten- dre que ces règles n'affectent pas manifestement, de façon fondamentale, une partie au moins de l'exploitation d'entreprises fédérales? Je pense que non. J'estime donc que le Parlement a le pouvoir d'en réglementer l'application.
Cette conclusion est renforcée par la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Orchard c. Tunney 5 , le juge Rand dit ceci à propos d'une situation il y avait un accord d'exclusivité syndicale:
[TRADUCTION] ... l'adhésion syndicale assure à chaque membre le droit de continuer dans cet emploi, à l'abri de toute ingérence indue de la part du syndicat ou de ses dirigeants. L'adhésion est le signe d'admission et de continuité et, en ce qui concerne l'employeur, enlever ce signe c'est, directement ou immédiatement, faire obstacle à ce droit.
Le droit d'adhérer à un syndicat est prévu au paragraphe 110(1) du Code. Perdre ce droit, dans le contexte des faits de l'espèce, affecte de façon fondamentale tant l'employé que l'employeur, et puisque l'emploi considéré s'inscrit dans le cadre d'une entreprise fédérale, le Conseil est habilité par une loi fédérale valide à prendre les mesures appropriées.
Par conséquent, le moyen de droit constitution- nel que fait valoir le requérant doit être rejeté.
La question d'interprétation
Pour des raisons de commodité, je répète la question formulée par le requérant.
5 [1957] R.C.S. 436à la p. 446.
[TRADUCTION] Si la réglementation des règles internes relati ves à l'adhésion syndicale relève de la compétence législative du Parlement, le Conseil canadien des relations du travail a-t-il outrepassé sa compétence, conférée par le Code canadien du travail, en décidant que le syndicat requérant avait violé les articles 110(1) et 185h) de cette loi et en accordant les redres- sements sollicités, conformément aux articles 189 et 121?
Selon les deux intimés, le Conseil n'a pas outrepassé sa compétence en l'espèce et, par consé- quent, ses décisions ne sont pas susceptibles d'être examinées par la présente Cour.
L'article 122 du Code prévoit les limites du pouvoir d'examen de cette Cour. L'article 122(1) est ainsi conçu:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale autorise cette Cour à annuler une décision rendue par un tribunal fédéral lorsque ce tribunal «n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compé- tence». On a fait valoir que l'allégation d'erreur faite par le requérant n'est pas, au fond, que le Conseil aurait excédé ou refusé d'exercer sa com- pétence, mais est, en réalité, qu'il y aurait eu erreur dans l'interprétation des dispositions du Code; cette prétendue erreur ne saurait donc faire l'objet d'un examen par cette Cour.
Je suis du même avis.
Dans l'affaire Le Syndicat canadien de la Fonc- tion publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick 6 , la Cour suprême du Canada, par l'entremise du juge Dickson, dit ceci, à la page 233, propos du recours, par des tribunaux d'instance supérieure, à de prétendues erreurs de compétence pour leur permettre d'examiner les décisions de commissions des rela tions de travail:
Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence. A mon avis, les tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l'assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu'il existe un doute à cet égard.
6 [1979] 2 R.C.S. 227.
Le juge Dickson a développé ce point de vue dans le passage suivant de ses motifs de décision, aux pages 235 et 236:
On veut protéger les décisions d'une commission des relations de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses. La commission est un tribunal spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des relations de travail. Aux fins de l'administration de ce régime, une commission n'est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.
Il a par la suite formulé, à la page 237 du recueil, un critère à l'usage des cours de justice lorsqu'il s'agit d'examiner les décisions de commis sions telles que le Conseil canadien des relations du travail:
La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?
La décision du Conseil dans cette demande a rejeté la demande en révision de sa décision du 6 mars 1980, et me semble, également, avoir modifié celle-ci en jugeant que:
En vue d'établir une norme de protection pour les employés travaillant dans des industries l'adhésion syndicale est une condition préalable, le Parlement a adopté l'alinéa 185e) du Code z .
Compte tenu du caractère particulier du secteur du débardage, le syndicat, en expulsant M. Matus pour avoir contrevenu à une disposition discriminatoire de ses statuts, a lui-même contre- venu au Code. On a mis fin à l'emploi de M. Matus dans le secteur du débardage pour des raisons autres que le défaut de paiement des cotisations périodiques, contributions et droits d'adhésion que tous les membres sont uniformément tenus de payer.
Il m'est tout à fait impossible de dire que l'inter- prétation par le Conseil de l'alinéa 185e) dans les circonstances susmentionnées est déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement être soutenue. Cela étant, le Conseil n'a pas outrepassé sa compé- tence, et sa décision ne saurait donc faire l'objet d'un examen par cette Cour. Il est donc inutile que nous examinions l'exactitude de l'interprétation des alinéas 185h) et J) donnée dans la décision du 6 mars 1980.
7 Voir supra, p. 563.
Il m'est également impossible de conclure que le Conseil a commis une erreur en interprétant ses pouvoirs d'accorder des redressements sous le régime de l'article 189 du Code; donc, encore une fois, on ne saurait dire qu'il a outrepassé sa compé- tence en accordant à M. Matus le redressement sollicité.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter la demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: Par les motifs invoqués par le juge Pratte, auxquels je souscris, j'estime qu'il y a lieu de rejeter la présente demande.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.