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T-5381-81
Blossom Patricia Reece (requérante) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Guy Bachand, en sa qualité de chef du Service de l'immigration canadienne et le solliciteur général adjoint du Canada (intimés)
et
D. Lapointe en sa qualité d'agent d'immigration
(mise-en-cause)
Division de première instance, juge Walsh— Montréal, 14 décembre; Ottawa, 21 décembre 1981.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Mandamus, prohibition Demande de résidence permanente faite à l'inté- rieur du Canada Demande parrainée par le mari de la, requérante, citoyen canadien Expiration du visa de visiteur de la requérante La requérante reçoit de l'agent d'immigra- tion une lettre l'informant qu'en vertu de l'art. 9 de la Loi, sa demande de résidence permanente ne pouvait être prise en considération au Canada, et que comme elle ne justifiait d'aucun statut, un rapport serait établi conformément à l'art. 27(2)e) de la Loi En vertu de l'art. 9, les visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée La, requérante sollicite un bref de mandamus ordonnant au Ministre de rendre une décision sur la demande pendante, et un bref de prohibition interdisant la tenue d'une enquête visée à l'art. 27(3) de la Loi jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue à l'égard de la demande Il échet d'examiner si la lettre constitue une décision au fond sur la demande La Loi autorise-t-elle l'examen d'une demande parrainée faite à l'intérieur du Canada? La lettre vaut refus de prendre la demande en considération Un tel refus n'est pas susceptible d'appel Rien n'oblige à instruire une telle demande lors- qu'elle n'a pas été faite à l'étranger La demande de bref de mandamus est rejetée Il n'y a donc pas lieu à bref de prohibition La prohibition n'est pas conçue pour empêcher un fonctionnaire d'exécuter un devoir qui lui est imposé par la loi Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 6(1), 9(1), 27(2)e), 79(1),(2)b), 115(2) Règlement sur l'immi- gration de 1978, DORS/78-172, art. 19(3)e), 41(1),(2).
Jurisprudence: décisions appliquées: Gressman c. La Reine, Cour fédérale, T-5078-78, jugement en date du 9 janvier 1979; Haywood c. Le ministre d'Emploi et Immi gration Canada, Cour fédérale, T-2904-78, jugement en date du 14 août 1978; In re la Loi sur l'immigration et in re McCarthy [1979] 1 C.F. 128; Lawrence c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1980] 1 C.F. 779. Déci- sions mentionnées: Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration c. Tsakiris [1977] 2 C.F. 236; 73 D.L.R. (3') 157; Samra c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration [1981] 1 C.F. 626; (1980) 110 D.L.R. (3 e ) 693; Taabea c. Le comité consultatif sur le statut de réfugié [1980] 2 C.F. 316.
DEMANDES. AVOCATS:
J. Westmoreland -Traoré pour la requérante. N. Lemyre pour les intimés.
PROCUREURS:
J. Westmoreland -Traoré & Ass., Montréal, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La requérante sollicite un bref de mandamus enjoignant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de rendre une déci- sion sur sa demande pendante de résidence perma- nente et, accessoirement, un bref de prohibition interdisant la tenue d'une enquête, à quelque moment que ce soit, jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue à l'égard de sa demande parrainée de résidence. La requête initiale visait CLAUDE GRISSE en sa qualité de directeur de l'exécution de la loi, Centre d'immigration du Canada, 980, rue Guy, Montréal (Québec), mais comme il a été établi entre-temps que c'est GUY BACHAND, chef du Service de l'immigration canadienne, rue Jean- Talon, Montréal, qui avait signé l'ordre d'enquête, en application du paragraphe 27(3) de la Loi sur l'immigration de 1976', la requête a été modifiée à l'ouverture de l'audition pour le citer comme intimé au lieu de CLAUDE GRISSE. L'intitulé de la cause a été modifié en conséquence. Une deuxième modification a été autorisée de manière à rempla- cer, au paragraphe 4(ii) des conclusions de la requête, les mots [TRADUCTION] «prévue pour le 10 novembre 1981» par [TRADUCTION] «à quelque moment que ce soit, à la suite du rapport en date du 21 octobre 1980 de l'agent d'immigration supé- rieur E. Gilbert» car, bien que la date prévue pour l'enquête fût reportée du 10 novembre 1981 au 14 décembre 1981, la requête devait être entendue à cette dernière date, qui eût expirée avant qu'un jugement ne pût être rendu. Il ressort de l'affidavit déposé par la requérante à l'appui de sa demande qu'elle est arrivée au Canada le 24 août 1979 en
S.C. 1976-77, c. 52.
qualité de visiteuse, et que son permis de séjour a été prorogé à plusieurs reprises. Le 7 septembre 1979, elle épouse à Toronto un citoyen canadien, Richard Boyd, qui, le 11 septembre, fait savoir aux services d'immigration qu'il désire parrainer la demande de résidence permanente au Canada de la requérante. Un enfant est du mariage le 24 mars 1981. Le 21 janvier 1980 ou vers cette date, l'époux signe un engagement à l'effet de parrainer la demande de résidence permanente de la requé- rante et d'une fille de cette dernière, née le 26 avril 1968. La requérante reçoit à la même époque un permis de travail. Elle soumet sa propre demande écrite de résidence permanente et passe la visite médicale. La dernière prorogation de son visa expire le 30 avril 1980. Vers février 1981, le service d'immigration de Toronto transmet son dossier à celui de Montréal. En mai 1980, son époux reprend ses études au collège George Brown de Toronto. C'est pour cette raison et aussi à cause de sa grossesse qu'elle demeurait à Montréal chez son frère, son époux lui rendant visite chaque fois qu'il le pouvait. En juin 1981, elle reçoit de l'agent d'immigration D. Lapointe une lettre l'informant que, l'article 9 de la Loi prévoyant qu'une demande doit être faite à l'étranger, sa demande ne pouvait être prise en considération au Canada, et que comme elle ne justifiait d'aucun statut dans ce pays, un rapport serait établi conformément à l'alinéa 27(2)e). Le paragraphe 9(1) porte:
9. (1) Sous réserve des dispositions réglementaires, tout immigrant et tout visiteur doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.
Le paragraphe 27(2) porte:
27....
(2) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en posses sion de renseignements indiquant qu'une personne se trouvant au Canada, autre qu'un citoyen canadien ou un résident permanent,
e) est entrée au Canada en qualité de visiteur et y demeure après avoir perdu cette qualité,
doit adresser à ce sujet un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre, à moins que la personne concernée n'ait été arrêtée sans mandat et détenue en vertu de l'article 104.
Dans son affidavit, la requérante affirme encore que ce serait pour elle une dure épreuve que d'avoir à se séparer de son mari, à quitter le Canada et à retourner à la Jamaïque elle n'a
plus sa maison, qu'en raison du bas âge de son fils, qui est citoyen canadien de naissance, elle aurait à l'emmener avec elle, qu'il lui serait pratiquement impossible de trouver du travail à la Jamaïque et qu'elle encourrait de grosses dépenses si elle devait y retourner en attendant l'issue de sa demande de visa d'immigration au Canada. La requérante con- clut en affirmant qu'elle n'a pas reçu de décision à l'égard de sa demande parrainée de résidence per- manente au Canada, demande qui est toujours en souffrance et en sollicitant un bref de mandamus par ce motif que la décision de procéder à une enquête est ultra vires et fondée sur une erreur de droit ressortant du dossier, erreur qui consistait à juger que la Loi sur l'immigration de 1976 n'auto- rise pas l'examen d'une demande parrainée, faite à l'intérieur du Canada. La requérante soutient aussi qu'elle est traitée de façon injuste en ce qu'elle est convoquée à une enquête avant qu'une décision n'ait été prise à l'égard de sa demande de résidence et, également, de façon arbitraire et discrimina- toire, puisque sa demande parrainée de résidence permanente n'a pas été instruite de la même manière que dans les autres cas identiques de membres de la catégorie de la famille.
Les deux parties ont longuement débattu la question de savoir si oui ou non, la lettre de Mme Lapointe constituait une décision puisqu'elle ne faisait qu'informer la requérante qu'il ne serait pas donné suite à sa demande de résidence permanente au Canada. La décision Lawrence c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration 2 a été invoquée à ce sujet. Les faits de cette cause sont quelque peu différents: Mme Lawrence parrainait la demande de son époux, qui eût été inadmissible, mais ce dernier n'a pas fait sa propre demande. La lettre envoyée à cette occasion précisait que la loi n'auto- risait pas l'agent d'immigration à prendre en consi- dération un engagement séparément de la demande d'admission formulée par l'époux, cette demande ne pouvant être faite qu'à un bureau des visas à l'étranger, ce qui fait que le parrainage ne saurait être pris en considération tant que le mari de la requérante n'aura pas fait cette demande. A été également invoquée la décision Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Sleiman, rendue par la Commission d'appel de l'immigration le 26
2 [1980] 1 C.F. 779.
février 1979 sous le numéro V78-6209, à la suite de l'appel formé par Mme Sleiman contre la déci- sion du Ministère qui a rejeté, par lettre comme en l'espèce, sa demande de parrainage en faveur de son époux. Le Ministre soutenait que la Commis sion d'appel de l'immigration n'avait pas compé- tence pour connaître de l'appel interjeté par Mme Sleiman en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi, puisqu'il n'y avait pas eu rejet de la demande de droit d'établissement de l'époux, et que l'engage- ment d'un répondant ne pouvait être pris en consi- dération en l'absence d'une demande d'admission faite conformément à l'article 9 de la Loi. La Commission reconnaissait qu'elle n'avait pas com- pétence pour entendre l'appel formé par la répon- dante en faveur de son époux. Comme le juge suppléant Smith l'a souligné dans l'affaire Law- rence, pareil appel eût été vain de la part de Mme Lawrence. Il a toutefois ajouté cette précision à la page 786:
Ce que les requérants veulent obtenir en l'espèce est une décision du Ministère sur la demande de résidence permanente de Donald Wayne Lawrence. La lettre du 21 décembre 1979 ne tranche pas cette question, mais refuse simplement de donner suite à la demande de parrainage de l'intéressée jusqu'à ce que son mari ait fait une demande de résidence permanente au Canada à un des bureaux des visas du Canada à l'étranger. [C'est moi qui souligne.]
Aux pages 788 et 789, il s'exprime en ces termes:
A mon avis, il doit être donné suite à la demande de parrainage de la demande de son mari présentée par Mme Lawrence. Une fois la demande de M. Lawrence rejetée,—ce qui, en droit, sera probablement la décision rendue,—ladite demande de parrainage pourra être rejetée, au motif qu'en vertu de l'article 79(1)b), l'intéressé ne satisfait pas aux exigen- ces de la Loi ou de ses Règlements. Une des exigences prescri- tes par la Loi est en effet que celui-ci doit demander et obtenir un visa à un bureau des visas à l'étranger.
Le Ministère a envers M. Lawrence un devoir d'équité. Compte tenu de l'existence de considérations humanitaires ou de compassion qui pourraient peut-être justifier l'octroi du droit d'établissement, ce devoir signifie que le Ministère devrait statuer sur la demande de ce dernier. En outre, puisque M. Lawrence est obligé, en vertu de l'avis d'interdiction de séjour qui a été émis contre lui, de quitter le Canada au plus tard le 1" avril 1980, la décision devrait être prise dans les meilleurs délais. En toute justice, cette décision devrait du reste interve- nir assez tôt pour que ses droits d'appel et ceux de son répondant ne soient pas compromis. Une ordonnance sera rendue à cet effet.
Selon l'affidavit de Mme Lapointe, sa demande a été instruite au Canada et les autorités compéten- tes ont conclu qu'elle ne devait pas faire l'objet d'une recommandation faite à l'intérieur du
Canada, mais selon la lettre du Ministère, la loi n'autorise pas qu'une demande, comme celle de la requérante, soit faite à l'intérieur du Canada, bien que cette dernière ait épousé un citoyen canadien après son arrivée dans ce pays et qu'elle y ait donné naissance à un enfant issu de ce mariage. L'avocat de la requérante cite le paragraphe 6(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit:
6. (1) Sous réserve de la présente loi et des règlements, tout immigrant, notamment un réfugié au sens de la Convention, une personne appartenant à la catégorie de la famille et un immigrant indépendant, peut obtenir le droit d'établissement s'il établit à la satisfaction de l'agent d'immigration qu'il répond aux normes réglementaires de sélection fixées en vue de déterminer l'aptitude des immigrants à s'établir avec succès au Canada.
L'avocat de la requérante fait remarquer qu'elle est devenue une personne appartenant à la catégo- rie de la famille après avoir été admise au Canada à titre de visiteuse et pendant que son permis était encore valide; il fait valoir qu'on peut conclure du libellé de ce paragraphe que la demande pouvait être faite, dans les circonstances, à l'intérieur du Canada.
Pour ce qui est de l'applicabilité du paragraphe 9(1) de la Loi, la requérante se fonde sur le membre de phrase «Sous réserve des dispositions réglementaires» pour faire valoir qu'il existe des cas la demande peut être faite après le passage par un point d'entrée. Elle cite également le para- graphe 115(2) de la Loi, que voici:
115....
(2) Lorsqu'il est convaincu qu'une personne devrait être dispensée de tout règlement établi en vertu du paragraphe (1) ou que son admission devrait être facilitée pour des motifs de politique générale ou des considérations d'ordre humanitaire, le gouverneur en conseil peut, par règlement, dispenser cette personne du règlement en question ou autrement faciliter son admission.
La requérante soutient que son cas appelle des considérations d'ordre humanitaire qui justifie- raient l'instruction de sa demande, et fait état des arrêtés d'exemption à l'égard des règlements qui paraissent régulièrement dans la Gazette du Canada. Elle fait valoir que si, comme l'indique l'affidavit de Mme Lapointe, il y a eu effectivement instruction de sa demande malgré la lettre du 29 mai 1981 par laquelle Mme Lapointe l'a informée qu'elle ne saurait donner suite à une telle demande faite à l'intérieur du Canada, ce qui est certaine-
ment contradictoire, l'instruction n'a pas été faite de façon équitable, puisque la requérante n'a pas eu l'occasion de se faire entendre, de corriger ou d'expliquer toute erreur ou tout malentendu quant à ses lieux de résidence, quant à ses rapports avec son époux, etc., autant d'éléments qui semblent avoir été pris en considération. La requérante fait valoir que la tenue, à ce stade, d'une enquête fondée sur l'article 27 aurait pour effet de la priver de tout droit d'appel, puisque la seule conclusion à tirer serait qu'elle était entrée au Canada à titre de visiteuse et y était demeurée après avoir perdu cette qualité, ce qui est vrai d'ailleurs, et que selon la décision Sleiman (précitée), il n'y avait pas lieu à appel en pareil cas. Dans Jean c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, M79-1219, du 16 janvier 1981 il s'agissait, à la différence de la cause en instance, de l'appel formé par le répon- dant devant la Commission d'appel de l'immigra- tion, il a été jugé que, malgré le droit d'appel prévu par le paragraphe 79(2) contre une lettre plus ou moins similaire à celle que recevait la requérante en l'espèce, le Ministère était en droit de se fonder sur le paragraphe 9(1) de la Loi pour rejeter la demande de parrainage puisque cette disposition était absolue et qu'on ne pouvait y déroger par un mariage valide et contracté de bonne foi. La Com mission a toutefois envisagé d'appliquer l'alinéa 79(2)b), mais a conclu qu'il n'existait aucune considération d'ordre humanitaire justifiant une mesure spéciale. La requérante soutient qu'elle a le droit de demander une instruction de sa demande à la lumière de ces considérations, mais qu'elle en sera privée si l'enquête fondée sur l'alinéa 27(2)e) n'est pas interdite et s'il n'y a pas décision après instruction au fond de sa demande de résidence permanente, décision dont elle pourrait interjeter appel. Il y a lieu toutefois de noter que l'article 79 prévoit l'appel interjeté par le répondant, et que l'époux de la requérante, qui parrainait sa demande, n'est ni requérant ni corequérant en l'espèce.
Le litige porte principalement sur la question de savoir si la lettre du 29 mai 1981 vaut instruction de la demande ou simplement refus de la prendre en considération, cette dernière hypothèse parais- sant la plus probable, comme l'a conclu le juge suppléant Smith dans l'affaire Lawrence (susmen- tionnée), à propos d'une lettre similaire. Le Minis- tre lui-même avait fait cette affirmation à propos
d'une lettre similaire, dans l'exception d'incompé- tence opposée à l'appel de Sleiman, affirmation qui a été reprise à la page 2 de la décision en la matière de la Commission d'appel de l'immigra- tion: [TRADUCTION] «Ni la lettre en date du ler décembre 1978 Roxanne Sleiman ni la lettre en date du l er décembre 1978 Mohammed Sleiman n'était un avis de rejet d'une demande de droit d'établissement.» Il se trouve cependant que dans l'affaire Jean (précitée) entendue quelque dix-neuf mois après, la Commission d'appel de l'immigra- tion a conclu qu'une lettre semblable valait une décision susceptible d'appel. J'ai du mal à conclure que la lettre constitue en soi une décision; il s'agit plutôt d'une simple déclaration de non-recevabi- lité.
L'intimé fait valoir en outre que si le paragraphe 115(2) de la Loi (précité) habilite le gouverneur en conseil à exempter, par règlement, une personne de l'application de tout règlement pris en application du paragraphe (1), il n'autorise pas et ne peut pas autoriser l'adoption de règlements pour exempter qui que ce soit de l'application de quelque article que ce soit de la Loi. Qui plus est, dit l'avocat de l'intimé, la requérante n'a pas encore demandé l'application de la dernière partie du paragraphe 115(2) de la Loi en vue de son admission pour des raisons humanitaires, lequel paragraphe pourrait très bien s'appliquer à son cas.
A l'appui de sa thèse voulant que la lettre portant refus d'instruire la demande ne constitue pas une décision à l'égard de cette demande, l'avo- cat de la requérante invoque, par analogie, divers articles de la Loi. Le paragraphe 79(1) en matière d'appels par des répondants prévoit que «Le répon- dant doit être alors informé des motifs du rejet.» C'est seulement en cas d'appel interjeté par un répondant que cette disposition prévoit la si gnification des motifs du rejet, alors qu'il s'agit en l'espèce du refus d'entendre une requérante qui a fait sa demande à l'intérieur du Canada. Les para- graphes 41(1) et (2) du Règlement sur l'immigra- tion de 1978, DORS/78-172, prévoient que lors- qu'un agent d'immigration rejette une demande parrainée de droit d'établissement, présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille, il doit rédiger un résumé des renseigne- ments sur lesquels se fondent les raisons de son
rejet et informer, par écrit, le répondant de son droit, s'il est citoyen canadien, d'interjeter appel à la Commission en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi. Il y a lieu cependant de noter que ce règle- ment prévoit la procédure à suivre lorsqu'une demande parrainée a été instruite au fond et reje- tée, et qu'il ne prévoit nullement le droit à l'audi- tion de pareille demande, audition qui, selon l'in- timé, ne peut avoir lieu que si la demande de résidence permanente a été faite à l'étranger. La requérante soutient en outre que, par analogie, la lettre portant refus d'instruire la demande ne sau- rait être considérée comme une décision, puis- qu'une décision doit être motivée en prévision d'un appel proprement interjeté (voir, dans un autre contexte, Taabea c. Le comité consultatif sur le statut de réfugié 3 ). Toujours selon la requérante, la lettre du 29 mai 1981 ne fait qu'annoncer l'établissement d'un rapport fondé sur l'alinéa 27(2)e) pour justifier la fixation des dates de l'enquête. Il convient de noter toutefois que le membre de phrase suivant qu'on peut lire dans cette lettre: [TRADUCTION] «Comme vous vous trouvez actuellement au Canada sans aucune qua- lité», donne l'explication du rapport, et que cette lettre explique aussi l'irrecevabilité de la demande par le fait qu'elle ne pouvait se faire qu'à un bureau à l'étranger.
La requérante soutient que le rapport susmen- tionné n'est nullement justifié, puisqu'en applica tion du règlement 19(3)e), elle a obtenu un permis de travail, étant devenue une personne ayant une demande pendante de droit d'établissement. Le fait d'obtenir un permis de travail provisoire ne donne aucun droit au statut d'immigrant reçu, puisque ce permis pourrait être révoqué à l'issue de l'instruction de la demande en cours. Il n'ajoute rien non plus à l'argument selon lequel la demande n'a pas été réglée par la lettre du 29 mai 1981. Bref, bien que j'aie conclu que la lettre dont s'agit ne constituait pas une décision au fond susceptible d'appel, j'estime que rien n'oblige à instruire une telle demande lorsqu'elle n'a pas été faite à l'étranger.
Malgré l'iniquité de la décision qui déclarait irrecevable sa demande de droit d'établissement faite à l'intérieur du Canada, longtemps après que
3 [1980] 2 C.F. 316.
la requérante eut obtenu à plusieurs reprises la prorogation de son visa de visiteuse, pour une période totale dépassant un an et demi, et qu'elle eut obtenu un permis de travail dans l'intervalle, la Cour ne peut tenir compte de cette circonstance, mais doit se limiter à décider si en fait, cette décision a été rendue régulièrement et conformé- ment à la loi et aux règlements.
La demande en bref de mandamus doit donc être rejetée. Le fait que la requérante ne puisse faire appel pour demander à la Commission d'ap- pel de l'immigration de conclure, en vertu de l'ali- néa 79(2)b), à l'existence de considérations d'ordre humanitaire qui justifieraient une mesure spéciale, n'interdit pas au gouverneur en conseil d'exercer le pouvoir, qu'il tient du paragraphe 115(2) (susmen- tionné), de faciliter son admission en raison des considérations d'ordre humanitaire, si elle en fait la demande. Puisque je ne suis pas saisi de cette question, je ne me prononcerai pas sur la bonne interprétation du paragraphe 115(2). L'avocat de l'intimé fait valoir que le gouverneur en conseil peut, par règlement, exempter une personne de tout règlement pris en vertu du paragraphe (1), mais qu'il ne peut la dispenser de l'observation des dispositions de la Loi. Dans la seconde partie du paragraphe (2), l'expression «faciliter [l']admis- sion» est modifiée par l'adverbe «autrement», et, comme le souligne l'avocat de la requérante, des exemptions sont fort fréquentes.
Le second remède sollicité par la requérante est un bref de prohibition interdisant la tenue d'une enquête jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue à l'égard de sa demande parrainée de résidence. La demande en bref de mandamus ayant été rejetée, j'estime qu'il n'y a pas lieu à bref de prohibition. Quoi qu'il en soit, le juge Pratte s'est prononcé en ces termes à propos d'articles de la Loi et du Règlement anciens, qui, à cet égard, ne diffèrent pas considérablement de la Loi actuelle, dans Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Tsakiris 4 , à la page 238 [Recueils de la Cour fédérale] :
Une fois qu'un rapport en vertu de l'article 22 a été établi au sujet d'une personne cherchant à obtenir (ou considérée comme cherchant à obtenir) son admission au Canada, l'article 23(2) prévoit que l'enquêteur spécial, à moins qu'il ne décide d'ad- mettre cette personne, doit tenir une «enquête immédiate». Je
[1977] 2 C.F. 236; 73 D.L.R. (39 157.
ne vois rien dans la Loi qui laisse supposer qu'une demande de parrainage présentée en vertu de l'article 31(1)h) du Règle- ment relève l'enquêteur spécial du devoir que lui impose la loi ou le prive de son pouvoir de tenir l'enquête. La situation serait la même si la décision de tenir l'enquête avait été prise en vertu de l'article 25 conformément à un rapport prévu par l'article 18. Il me paraît évident qu'une demande présentée par un parrain n'a pour effet ni de priver le directeur de son pouvoir d'ordonner la tenue d'une enquête en vertu de l'article 25 ni de relever l'enquêteur spécial de son devoir de tenir une telle enquête une fois qu'elle a été ordonnée.
Même si cela est suffisant pour disposer du présent appel, je ne puis m'empêcher de faire observer, avant de conclure, que l'avocat des intimés ne semblait pas comprendre parfaitement la véritable nature d'un bref de prohibition. Le bref de prohibi tion permet d'éviter qu'un tribunal d'instance inférieure n'ex- cède sa juridiction; il ne doit donc pas être confondu avec une injonction ou une simple suspension des procédures.
Voir aussi le jugement Gressman c. La Reine rendu le 9 janvier 1979 sous le numéro T-5078-78, le juge suppléant Smith s'est prononcé en ces termes à la page 5:
[TRADUCTION] La prohibition est un recours par lequel une cour supérieure empêche une instance inférieure, un office ou une commission de prendre une mesure qu'il n'a pas le pouvoir de prendre, en d'autres mots de commettre un excès de pouvoir. La prohibition n'est pas conçue, et il n'est pas pertinent de l'utiliser, pour empêcher une instance inférieure ou un fonction- naire d'exécuter, de façon normale, un devoir qui lui est imposé par la loi, ce qui est le cas en l'espèce.
Mon collègue le juge Marceau a tiré la même conclusion dans Haywood c. Le ministre d'Emploi et Immigration Canada*, jugement rendu le 14 août 1978 sous le numéro T-2904-78, comme suit:
[TRADUCTION] La demande de parrainage présentée le 22 juin 1978 par l'épouse du requérant ne saurait d'elle-même ou par le jeu d'une ordonnance de la Cour, avoir pour effet de libérer le mis-en-cause de l'obligation, que lui impose la loi, de procéder à l'enquête spéciale ouverte le 4 juin 1978.
Dans l'affaire Samra c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigrations, un bref de prohibition a été sollicité pour interdire la poursuite de l'enquête fondée sur l'alinéa 27(2)e) de la Loi en attendant l'issue de l'appel formé devant la Commission d'appel de l'immigration par la répondante du requérant, référence a été faite, à la page 630 [Recueils de la Cour fédérale], à la décision In re la Loi sur l'immigration et in re McCarthy [1979] 1 C.F. 128, où, à la page 130, le juge Cattanach a
* [Motifs du jugement non fournis—l'arrêtiste.] 5 [1981] 1 C.F. 626; (1980) 110 D.L.R. (3') 693.
décidé qu'une enquête prévue par la Loi était de nature administrative et non judiciaire ou quasi judiciaire et que, par conséquent, il n'y avait pas lieu de décerner un bref de prérogative tel que le bref de prohibition, pour empêcher l'exercice d'un pouvoir administratif ou discrétionnaire. A la lumière de cette décision et d'autres citées, le bref de prohibition sollicité dans l'affaire Samra a été refusé.
Par ces motifs, la demande en bref de prohibi tion doit être également rejetée.
ORDONNANCE
Les demandes en bref de mandamus et en bref de prohibition présentées par la requérante sont rejetées avec dépens sur demande.
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