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T-9104-82
Source Perrier (Société anonyme) (demande- resse)
c.
Fira-Less Marketing Co. Limited (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé— Toronto, 6 décembre 1982; Ottawa, 5 janvier 1983.
Marques de commerce Contrefaçon La valeur de la clientèle de la marque «Perrier.. est diminuée par la vente d'eau du robinet embouteillée sous le nom de «Pierre Eh!.. Le produit de la défenderesse est vendu comme objet de satire politique Intention de faire concurrence niée Le grand public pourrait croire que Perrier approuve le produit de la défenderesse Injonction interlocutoire accordée La con fusion dans l'esprit des acheteurs est probable La liberté d'expression ne confère pas le droit de diminuer la valeur de la clientèle attachée à des marques de commerce enregistrées Les critères relatifs au préjudice irréparable et au poids des inconvénients réciproques sont remplis Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 6(5)e), 19, 20, 22(1)— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982; chap. 11 (R.-U), art. 2b).
Droit constitutionnel Charte des droits Le droit à la liberté d'expression ne justifie pas la diminution de la valeur de la clientèle attachée à une marque de commerce enregistrée par la vente d'un article dont l'objet est la satire politique Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2b).
La demanderesse est une société française qui embouteille et distribue une eau naturelle vendue sous le nom de «Perrier». Elle demande une injonction interdisant à une société récem- ment constituée en Ontario de faire la publicité et la vente d'eau embouteillée sous le nom de «Pierre Eh!» parce que la valeur de la clientèle attachée à sa marque de commerce sera probablement diminuée par les agissements de la défenderesse. Vendu au Canada depuis 1936, les chiffres des ventes du produit de la demanderesse s'élèvent à plus de quatorze millions de dollars par année. Il a été admis que l'eau du robinet vendue par la défenderesse a été lancée sur le marché comme objet de satire politique visant le premier ministre et le gouvernement du Canada. Toute intention de faire concurrence au produit de la demanderesse a été niée. En fait, le produit de la défende- resse mentionne expressément qu'il ne doit pas être confondu avec celui de la demanderesse. La préoccupation de la deman- deresse est qu'il est possible que le public n'apprécie pas cette satire et qu'il croit que Perrier l'approuve.
Jugement: la requête devrait être accueillie et l'injonction interlocutoire accordée. La demanderesse a établi l'existence d'un commencement de preuve de contrefaçon. La confusion dans l'esprit des acheteurs était probable compte tenu du degré de ressemblance qui existe entre les marchandises. C'était l'apparence générale du produit qui importait en l'espèce. Aux yeux de l'acheteur ordinaire, la bouteille de «Pierre Eh!» res-
semble à celle de la demanderesse. Le plus important était que la confusion créée par la défenderesse diminuait la qualité de la marque de commerce de la demanderesse, portait atteinte à la réputation d'intégrité professionnelle que cette dernière s'était bâtie au fil des ans et nuisait à sa clientèle. Même la plus libérale des interprétations de la notion de liberté d'expression prévue à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés ne peut conférer le droit de diminuer la valeur de la clientèle attachée à des marques de commerce enregistrées, ni de porter atteinte à l'intégrité professionnelle du titulaire de ces marques dans le seul but de faire un canular. Les critères relatifs au préjudice irréparable et au poids des inconvénients réciproques auxquels doit se conformer la personne qui sollicite une injonction interlocutoire, ont été remplis.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & E9uipment Co. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 176 (C. de l'E.); Dallas Cowboys Cheerleaders, Inc. v. Pussycat Cinema, Ltd., et al., 201 USPQ 740 (1979); The Coca- Cola Company v. Gemini Rising, Inc., 175 USPQ 56 (1972).
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Girl Scouts of the United States of America v. Perso nality Posters Mfg. Co., Inc., 163 USPQ 505 (1969); Irving Berlin et al. v. E. C. Publications, Inc., 329 F.2d 541 (1964).
AVOCATS:
I. Goldsmith, c.r. et K. Murray pour la demanderesse.
J. Little pour la défenderesse.
PROCUREURS:
I. Goldsmith, c.r, Toronto, pour la demande- resse.
Holden, Murdoch, Finlay, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE Dust,: La présente requête sollicite une injonction visant à empêcher la défenderesse de porter atteinte aux droits exclusifs de la demande- resse sur l'une ou l'autre de ses marques de com merce, d'employer lesdites marques d'une manière susceptible de diminuer la valeur de la clientèle intéressée, de distribuer et de commercialiser l'eau embouteillée sous le nom «Pierre Eh!» dans des bouteilles similaires aux bouteilles d'eau «Perrier» de la demanderesse, d'en faire la publicité et de distribuer des livrets portant le nom «Pierre Eh!».
La requête fut entendue à Toronto le 6 décem- bre 1982. Les deux parties se sont fait entendre et l'injonction fut accordée à l'audience. J'ai exposé à ce moment-là les grandes lignes des motifs de ma décision en précisant que je les formulerais plus en détail ultérieurement. Voici donc ces motifs.
La demanderesse (appelée ci-après «Perrier») est une société française qui met en bouteilles une eau gazeuse naturelle provenant de Vergèze dans le département du Gard (France). Elle distribue cette eau sous le nom de «Perrier» dans le monde entier, y compris le Canada. Depuis 1936, l'eau Perrier est vendue au Canada par divers distribu- teurs, dans des bouteilles vertes caractéristiques arborant le nom commercial «Perrier», écrit en caractères typographiques distinctifs, et portant deux étiquettes également distinctives en haut et en bas des bouteilles. Depuis 1975 environ, l'eau Perrier se vend au Canada en bouteilles de 695 mL, 330 mL et 195 mL.
Le nom commercial «Perrier», ainsi que les diverses étiquettes et le modèle de la bouteille, sont enregistrés sous six marques de commerce cana- diennes différentes qui assurent à leur titulaire, depuis leurs dates d'enregistrement respectives, le droit exclusif à leur emploi dans tout le Canada aux termes de l'article 19 de la Loi sur les mar- ques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10.
Depuis le début des années cinquante, ces mar- ques de commerce ont fait l'objet d'une forte publicité au Canada, mouvement qui s'est amplifié depuis 1980 sous l'impulsion d'un nouveau distri- buteur canadien. En 1980 et 1981, les dépenses de publicité et de promotion ont dépassé 3 240 000 $. En 1981, des ventes de plus de 14,8 millions de dollars ont été réalisées au Canada. Il ne fait donc aucun doute que le produit «Perrier» est bien connu au Canada, ce que ne conteste d'ailleurs pas la défenderesse.
La défenderesse est une société constituée en Ontario, depuis le 7 octobre 1982 seulement. Depuis cette date, la défenderesse a fait la publi- cité, la promotion et la vente au Canada de bou- teilles vertes de 750 mL, remplies d'eau du robinet et portant le nom «Pierre Eh!» écrit en caractères typographiques très similaires à ceux qu'utilise la demanderesse. Les étiquettes apposées en haut et au bas de la bouteille verte «Pierre Eh!» paraissent,
au premier coup d'oeil, très similaires à celles de la bouteille «Perrier» bien que le texte rédigé en petits caractères soit différent. On trouve, attaché au goulot de la bouteille de «Pierre Eh!», un livret de recettes dont le titre «Pierre Eh!» est écrit en caractères typographiques très similaires à ceux utilisés par Perrier. Les textes rédigés en petits caractères sur les étiquettes du haut et du bas de la bouteille ainsi que dans le livret se veulent des commentaires humoristiques visant le gouverne- ment fédéral actuel et le premier ministre.
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat de la défenderesse admet sans difficulté que le pro- duit «Pierre Eh!» [TRADUCTION] «a été lancé sur le marché comme objet de plaisanterie ou de satire politique visant le premier ministre et le gouverne- ment du Canada». Il allègue que les bouteilles de «Pierre Eh!» ne sont pas mises en vente en vue de faire concurrence au produit «Perrier». Son affida vit, déposé en preuve, révèle que les bouteilles de «Pierre Eh!» sont mises en vente dans des étalages spécialement conçus à cette fin comportant une grande affiche de carton mettant bien en évidence une caricature du premier ministre; dans aucun des points de vente elles sont offertes, les bou- teilles de «Pierre Eh!» ne sont placées à proximité des bouteilles de «Perrier». Le prix conseillé de vente au détail du produit de la défenderesse est de 4,95 $ tandis que celui de la grande bouteille de «Perrier» est normalement de 1 $.
En outre, au dire de l'avocat de la défenderesse, divers facteurs distinguent les deux bouteilles— notamment leur forme, car la bouteille de «Pierre Eh!» a des bords rectilignes, la capsule dorée de la bouteille «Pierre Eh!» (par contraste avec la cap sule verte de la bouteille de la demanderesse), le libellé même des textes écrits en petits caractères, ainsi que le livret attaché à la bouteille—il n'y a donc, d'après lui, aucune confusion possible entre les bouteilles [TRADUCTION] «et encore moins si l'on tient compte du fait que le produit de la défenderesse indique clairement qu'il est mis en vente par cette dernière et qu'il mentionne expres- sément que ce produit ne doit pas être confondu avec celui de la demanderesse».
En revanche, l'avocat de la demanderesse sou- tient que, d'une part, le produit «Pierre Eh!» crée de la confusion et, d'autre part, qu'il pourrait aussi ternir la réputation de Perrier puisque la demande-
resse est une société française et qu'elle ne prend part d'aucune façon à la vie politique canadienne. L'avocat craint notamment qu'on en vienne à croire dans le grand public que Perrier approuve ou ferme les yeux sur ce canular politique, sans compter qu'il est bien possible qu'une partie de la population n'apprécie pas cette plaisanterie.
À mon avis, la demanderesse a établi l'existence d'un commencement de preuve de contrefaçon par la défenderesse des marques de commerce Perrier qui jouissent de la protection prévue à l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce'. Compte tenu du degré de ressemblance qui existe entre les marchandises, le produit de la défenderesse créera probablement de la confusion dans l'esprit des acheteurs. Le degré de ressemblance dont fait état l'alinéa 6(5)e) de la Loi 2 n'a pas à être à ce point élevé qu'il puisse résister à un examen minutieux et détaillé. Il ne fait aucun doute qu'aux yeux de l'acheteur ordinaire, la bouteille de «Pierre Eh!» ressemble à la bouteille de Perrier. La taille et la couleur des bouteilles, les étiquettes jaunes et leur emplacement sur les bouteilles, la ressemblance des caractères typographiques des deux marques de commerce et la similarité des noms «Perrier» et «Pierre Eh!» au plan de la présentation et de la
20. Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est censé violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion; mais aucun enregistrement d'une marque de commerce ne doit empêcher une personne
a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial, ni
b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce,
(i) le nom géographique de son siège d'affaires, ou
(ii) toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,
d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce.
(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, la cour ou le registraire, selon le cas, doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.
prononciation sont non seulement susceptibles de créer de la confusion mais ont de toute évidence été conçus dans ce but précis, car autrement il n'y aurait pas de canular. Dans des cas d'imitation aussi flagrante, il importe de s'attacher à l'appa- rence générale du produit et non à ce qui est écrit en petits caractères.
Ce qui est encore plus important toutefois, c'est que la défenderesse diminue la valeur de la clien- tèle attachée aux marques Perrier contrevenant ainsi au paragraphe 22(1) de la Loi 3 . Le fait que la défenderesse vise seulement au canular n'enlève rien à la confusion qu'elle crée dans l'esprit des acheteurs. La défenderesse tente délibérément de tirer profit de la solide réputation de Perrier. La confusion qu'elle crée a pour effet, à mon avis, de diminuer la qualité des marques de commerce Perrier, de porter atteinte à la réputation d'inté- grité professionnelle que Perrier s'est bâtie au fil des ans et de nuire à sa clientèle.
Il est évident que le client qui examinera de près les bouteilles de «Pierre Eh!» et leurs étiquettes découvrira le canular, mais le risque de confusion n'est pas le critère applicable en vertu de l'article 22, [TRADUCTION] «le critère est la probabilité d'une diminution de la valeur de la clientèle atta- chée à la marque de commerce, conséquence qui ne découlerait pas nécessairement d'une superche- rie et pourrait même exister sans cela» 4 .
Les tribunaux américains ont étudié dans les trois décisions suivantes la défense fondée sur l'in- tention de créer un canular dans des actions en contrefaçon.
Dans l'affaire Girl Scouts of the United States of America v. Personality Posters Mfg. Co., Inc.S, la défenderesse distribuait une affiche montrant une jeune fille enceinte vêtue de l'uniforme vert des Junior Girl Scouts (guides). Cette dernière souriait, les mains jointes sur son ventre arrondi. L'expression «BE PREPARED» («Toujours prêtes») complétait le tableau. La Cour de District (S.D.)
3 22. (1) Nul ne doit employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de la clientèle intéressée.
° Clairol International Corp. et al. v. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 176 (C. de l'É.), à la p. 195.
5 163 USPQ 505 (1969).
de New York a rejeté la demande d'injonction interlocutoire en concluant comme suit la page 5101:
[TRADUCTION] On peut présumer qu'il n'est jamais venu à l'esprit de ceux que l'affiche pouvait amuser que la réputation de la demanderesse était inviolable. Par contre, les personnes indignées par cette affiche continuent évidemment de respecter la réputation de la demanderesse. C'est peut-être justement parce que cette réputation est si solidement protégée contre les attaques retorses de la défenderesse qu'aucun préjudice n'a pu être démontré.
L'arrêt Girl Scouts fut cité dans l'affaire Dallas Cowboys Cheerleaders, Inc. v. Pussycat Cinema, Ltd., et al. 6 . Dans cette affaire, les meneuses de ban (cheerleaders) demandaient une injonction interlocutoire visant à interdire la production et la présentation d'un film intitulé «Debbie Does Dallas». La Cour a jugé que ce film pornographi- que de 90 minutes montrant les ébats érotiques de meneuses de ban et de joueurs de football avait clairement pour but de créer chez le spectateur l'impression que les demanderesses participaient au projet. La Cour de District (S.D.) de New York a conclu que l'intention manifeste de la défende- resse était [TRADUCTION] «de tirer profit de la bonne image de marque des meneuses de ban de Dallas, notamment l'image d'un certain idéal de beauté et de personnalité féminines». Et la Cour a ajouté: [TRADUCTION] «On conçoit aisément que l'emploi par les producteurs du film des marques de commerce de la demanderesse puisse subtile- ment laisser croire que le film est financé par la demanderesse ou encore que les meneuses de ban font elles-mêmes partie de la distribution». La Cour a conclu que la publicité du film créait une [TRADUCTION] «probabilité de confusion auprès des membres du public quant au financement du film par les meneuses de ban des Cowboys de Dallas». La Cour a jugé que la défenderesse avait volontairement détourné à son profit les noms et marques de commerce de la demanderesse et que si [TRADUCTION] «on autorise la poursuite de telles activités, il est inévitable que la réputation des noms et des marques de la demanderesse en souffrira et que la clientèle qui s'y intéresse dimi- nuera». L'injonction interlocutoire fut lancée.
L'arrêt Girl Scouts fut également examiné dans The Coca-Cola Company v. Gemini Rising, Inc. 7 par la Cour de District (E.D.) de New York. Dans
6 201 USPQ 740 (1979). 7 175 USPQ 56 (1972).
cette affaire, la compagnie Coca-Cola intenta une action visant à empêcher la défenderesse de distri- buer une affiche qui consistait en un agrandisse- ment de la marque de commerce Coca-Cola en tout point semblable à l'originale si ce n'était du remplacement du mot «Cola» par le suffixe «ine», de sorte que l'affiche disait «Enjoy Cocaine». La Cour a accordé l'injonction interlocutoire. Il con- vient de citer les observations formulées par la Cour à la page 60 de son jugement:
[TRADUCTION] À notre époque les consommateurs se mon- trent de plus en plus réfractaires aux gadgets publicitaires, il est très probable que le prétendu «canular» de la défenderesse ait pour effet de «rebuter» certains clients de Coca-Cola plutôt que de les «inciter» à acheter ses produits. Il en découlerait une perte incalculable pour la demanderesse et dans de telles cir- constances, l'injonction est le seul redressement adéquat si la demanderesse y a droit.
La défenderesse soutient que le droit de la demanderesse à la protection de ses marques de commerce est contrebalancé par la liberté d'opi- nion et d'expression qui est garantie à la défende- resse par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.U.), que voici:
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
La défenderesse prétend qu'on doit laisser aux auteurs de satire et de parodie une grande liberté d'expression et elle ajoute qu'il ne faut pas con- clure à la contrefaçon lorsque les produits satiri- ques ne satisfont pas ni ne visent à satisfaire la demande pour le produit original et lorsque le parodiste n'a pas emprunté au produit original plus qu'il ne lui fallait pour créer la satire.
La défenderesse s'appuie sur une autre décision américaine, Irving Berlin et al. v. E.C. Publica tions, Inc. 8 , portant sur une action en violation de droits d'auteur intentée contre les éditeurs de Mad Magazine. Les demandeurs alléguaient que les défenderesses avaient parodié leurs chansons. La Cour a jugé que l'emploi des oeuvres des deman- deurs dans des parodies aussi libres était loin de constituer des emprunts «substantiels». La Cour a
8 329 F.2d 541 (1964).
déclaré la page 545]: [TRADUCTION] «nous croyons qu'en règle générale les auteurs de paro dies et de satires doivent jouir d'une grande liberté d'expression ... en fait, sous le couvert de plaisan- teries, se dissimulent bien souvent de grandes vérités».
À mon avis, même la plus libérale des interpré- tations de la notion de «liberté d'expression» ne peut conférer le droit de diminuer la valeur de la clientèle attachée à des marques de commerce enregistrées, ni permettre de porter atteinte à l'in- tégrité professionnelle du titulaire de ces marques dans le seul but de créer un canular. I1 ne faut pas oublier non plus que la présente requête en injonc- tion n'est pas présentée par les personnes visées par la parodie—en l'occurrence les politiciens, dont on attend qu'ils soient doués d'un sens de l'humour assez développé—mais qu'elle l'est par la titulaire des marques de commerce.
Il est bien établi en droit que la personne qui sollicite une injonction interlocutoire doit démon- trer que si elle ne l'obtient pas, elle subira des pertes irréparables avant la fin du procès. J'estime, à la lumière de la preuve produite, qu'en l'absence d'une telle injonction, le préjudice causé à la répu- tation de la demanderesse serait très grave et que la société défenderesse récemment constituée—et qui ne fait pas vraiment le commerce de l'eau gazeuse—n'est certainement pas dans une situa tion financière qui lui permettrait de payer des dommages-intérêts en cas de jugement contre elle. Le poids des inconvénients réciproques n'est pas non plus en faveur de la défenderesse: en effet, la société demanderesse, qui jouit d'une excellente réputation internationale, a de toute évidence les moyens d'indemniser la défenderesse pour toutes les pertes que celle-ci pourrait subir en raison de cette injonction si la demanderesse devait échouer dans son action.
Par tous ces motifs, l'injonction a été accordée contre la défenderesse jusqu'à ce que jugement soit rendu.
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