Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-3890-80
The Ennisclare Corporation (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Mahoney— Toronto, 22 septembre; Ottawa, 29 octobre 1982.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Calcul de la provision Promoteur de construction d'immeubles en copro- priété La première hypothèque prise en charge par les acheteurs excédait le coût de la construction Il est normal, dans les circonstances présentes, de tenir compte de la pre- mière hypothèque pour les fins du calcul de la provision Le fait que la provision représente 92% du montant recevable n'est pas en soi déraisonnable Appel accueilli Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 20(1)n)(ii) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 8).
La demanderesse avait entrepris la construction d'un immeu- ble en copropriété. Elle avait fait l'acquisition d'un terrain au coût de $247,202 et obtenu un prêt de $7,102,288 garanti par une première hypothèque. À la fin de l'année d'imposition 1977. les ventes brutes totalisaient $7,249,593 dont $5,758,460 représentaient la prise en charge de la première hypothèque. Les bénéfices bruts totalisaient $2,308,553 et le coût de cons truction des unités était de $4,739,551. En interjetant appel de sa cotisation d'impôt sur le revenu, la demanderesse voulait que le coût de la construction soit déduit du prix de vente brut afin d'établir le montant de la provision à $969,691.
Jugement: l'appel est accueilli. En allouant une provision, le législateur avait pour but de faire coïncider l'assujettissement à l'impôt avec la réalisation de bénéfices. On considère raisonna- ble de supposer que le pourcentage de profit au cours des années subséquentes est le même que le pourcentage du profit brut par rapport au prix de vente brut, ce qu'on exprime par l'équation suivante:
Profit brut
Prix de vente brut x Montant recevable = Provision.
Lorsqu'un acheteur prend en charge une hypothèque existante, la formule devient alors:
Profit brut
Prix de vente brut x Montant recevable = Provision.
moins hypothèques prises en charge
Le fait que le montant de la première hypothèque excède le coût de la construction complique la situation. En touchant de l'argent au moyen de l'hypothèque, la demanderesse touchait de l'argent comptant. L'argent qui n'a pas été dépensé pour la construction n'a pas eu d'effet sur la détermination du profit brut, c'est-à-dire le prix de vente brut moins le coût du terrain et de la construction. Dans la mesure il y avait un tel surplus, l'extinction de l'obligation de la demanderesse lui a permis de réaliser un bénéfice brut. Il est normal, en l'espèce, de tenir compte de la première hypothèque prise en charge par les acheteurs. Dans le présent cas, la formule suivante produit
un résultat acceptable: le coût de la construction est soustrait du prix de vente brut. Ce montant est réparti entre chacun des trois éléments suivants: la première hypothèque prise en charge, le montant provenant des secondes hypothèques et les verse- ments en espèces. Le bénéfice brut devrait également être réparti entre chacun de ces éléments selon les mêmes propor tions. La formule de la demanderesse a été rejetée parce que, semble-t-il, une provision représentant 92% du montant total recevable a été jugée en soi déraisonnable. Mais lorsque le bénéfice brut est, comme en l'espèce, très élevé en comparaison du prix de vente brut, la provision acceptable sera très élevée en comparaison du montant recevable.
AVOCATS:
M. A. Mogan, c.r. et E. G. Nazzer pour la
demanderesse.
D. Olsen pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Miller, Thomson, Sedgewick, Lewis & Healy, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le présent litige porte sur la provision accordée à la demanderesse en vertu du sous-alinéa 20(1)n)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1; 1974-75-76, chap. 26, art. 8, pour son exercice financier se terminant le 30 juin 1977. La demanderesse avait, jusqu'à ce moment, exercé une seule activité commerciale: la construction et l'exploitation d'un immeuble en copropriété. Elle a fait l'acquisition d'un terrain au coût de $247,202 et avant d'entreprendre la cons truction, elle a consenti une première hypothèque en vertu de laquelle elle a reçu, au total, la somme de $7,102,288 au fur et à mesure de l'avancement des travaux.
À quelques exceptions près, le prix de vente de chaque unité comportait trois éléments: la prise en charge d'une partie de la première hypothèque calculée au prorata de la valeur de l'unité, un versement en espèces et le solde garanti par une seconde hypothèque en faveur de la demanderesse. Exceptionnellement, le versement en espèces était suffisant pour que les acheteurs puissent se dispen ser d'une seconde hypothèque et, dans certains cas encore plus rares, un tel versement était suffisant
pour racheter tout ou partie de la première hypo- thèque. La demanderesse a vendu des unités au cours de chacune de ses années d'imposition 1975, 1976 et 1977. À la fin de l'année d'imposition 1977, les ventes brutes totalisaient $7,249,593, dont $436,808 avaient été versés en espèces et $5,758,460 représentaient la prise en charge de la première hypothèque; au 30 juin 1977, les bénéfi- ces bruts totalisaient $2,308,553 et le solde reporté des secondes hypothèques s'élevait à $1,054,325. À cette date, le coût de construction des unités ven- dues était de $4,739,551.
La Loi prévoit ce qui suit:
20. (1) ... lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rap- portent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:
n) lorsqu'une somme a été incluse dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, au titre de biens vendus dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise et que cette somme n'est pas due en totalité ou en partie,
(ii) lorsque les biens vendus sont un fonds de terre, avant une date postérieure à la fin de l'année d'imposition,
un montant raisonnable à titre de provision se rapportant à la partie de la somme ainsi incluse dans le calcul du revenu, qui peut raisonnablement être considérée comme une partie du bénéfice résultant de la vente;
Le législateur avait manifestement pour but de faire coïncider l'assujettissement à l'impôt avec la réalisation de bénéfices. Dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Makis Construction Limited v. Minister of National Revenue', la Commission de révision de l'impôt a expliqué deux façons d'ap- pliquer cette disposition. Il n'y a pas de différence importante entre le sous-alinéa 85B(1)d)(ii) qui a été examiné dans ce cas et l'actuel sous-alinéa 20(1)n)(ii).
Dans le calcul de la réserve que l'on doit accorder à un vendeur, il importe de se souvenir qu'aux termes de l'article 85B(1)d), on ne peut autoriser cette réserve qu'à l'égard de la partie du montant recevable qui en représente l'élément de profit. Tout ce que l'on exige à l'égard du montant de la réserve que l'on peut autoriser au sujet de l'élément du montant recevable représentant un profit, c'est que cette réserve soit d'un montant raisonnable. Dans la pratique, on considère comme raisonnable de supposer que le pourcentage de toute fraction du prix de vente, recevable dans une année d'imposi-
' 72 DTC 1101 aux pp. 1105 et s. (C.R.I.).
tion subséquente, que l'on doit estimer représenter l'élément de profit compris dans ledit montant recevable, est le même que le pourcentage du profit brut par rapport au prix de vente total. Il est concevable que l'on puisse autoriser une réserve égale au montant intégral du profit ainsi déterminé, lorsque aucune partie du prix de vente n'a été reçue dans l'année de la vente. Si on l'exprime par une formule, ce qui précède se présente comme suit:
PROFIT BRUT
X MONTANT RECEVABLE = RÉSERVE.
PRIX DE VENTE
BRUT
Il y a lieu de modifier cette formule dans le cas l'acqué- reur prend en charge une ou plusieurs hypothèques existantes, à la condition qu'aucune des hypothèques qui ont été de la sorte prises en charge n'ait été inscrite sur la propriété postérieure- ment à l'achèvement de l'immeuble, ce qui aurait pour effet de réduire le capital que le propriétaire a investi dans la propriété. Dans ce cas, on ne tient pas compte, pour calculer la réserve, de ou des hypothèques obtenues de la sorte. Dans le cas l'acheteur prend en charge une hypothèque existante, on modi- fie la formule ci-dessus en remplaçant au dénominateur le prix de vente brut par la différence entre celui-ci et le montant de ou des hypothèques prises sur l'immeuble pendant la construction que l'acheteur a par la suite pris en charge. La formule devient alors:
PROFIT BRUT
X MONTANT RECEVABLE = RÉSERVE.
PRIX DE VENTE BRUT MOINS HYPOTHÈQUES PRISES EN CHARGE
La décision rendue dans l'affaire Makis ne fait pas autorité mais elle est importante puisque, en con- cluant que la seconde formule était une méthode valable dans les circonstances décrites, la Commis sion de révision de l'impôt a retenu la formule adoptée par le Ministre et non celle proposée par le contribuable.
Suivant la preuve, plus particulièrement les pièces P-28 et P-29 qui ont été initialement notées dans l'interrogatoire préalable de l'employé de la défenderesse et versées en preuve par la demande- resse, l'une et l'autre des méthodes de calcul décri- tes dans l'affaire Makis est acceptable dans les circonstances appropriées. Ce qui complique la présente affaire, c'est que le montant de la pre- mière hypothèque a excédé le coût de la construc tion. La formule que la demanderesse a voulu appliquer tient compte de ce fait.
PROFIT BRUT
X MONTANT RECEVABLE = PROVISION.
PRIX DE VENTE BRUT
- COÛT DES AMÉLIORATIONS
PAYÉ AU MOYEN DE -
L'HYPOTHÈQUE
PRISE EN CHARGE
En établissant sa cotisation, la défenderesse a utilisé la première formule, savoir:
$2,308,553 x $1,054,325 = $335,738. $7,249,593
En faisant appel de la cotisation, la demanderesse a proposé la formule suivante:
$2,308,553
$7,249,593 $4,739,551 x $1,054,325 = $969,691.
La formule de la demanderesse ne tient pas compte, semble-t-il, d'une difficulté additionnelle due au fait que le montant de la première hypothè- que a excédé le coût de la construction, ce qui a produit un bénéfice brut lorsque les acheteurs ont pris en charge la première hypothèque. En obte- nant de l'argent au moyen de l'hypothèque, la demanderesse touchait de l'argent comptant. L'ar- gent qui n'a pas été dépensé pour la construction est demeuré en caisse puisque, quelle que soit son utilisation, il n'a pas eu d'effet sur la détermina- tion du profit brut, c'est-à-dire le prix de vente brut moins le coût du terrain et de la construction. La prise en charge de cet excédent par les ache- teurs libérait la demanderesse de son obligation de rembourser le surplus de l'hypothèque. Dans la mesure il y avait un tel surplus, l'extinction de son obligation lui a notamment permis de réaliser un bénéfice brut.
Il est normal, en l'espèce, de tenir compte de la première hypothèque prise en charge par les ache- teurs. Il faut toutefois la prendre en considération tant à cause de son incidence sur le prix de vente brut que parce qu'elle a permis de réaliser un bénéfice brut. Il n'y a aucun élément de preuve sur lequel je peux me fonder pour proposer une for- mule qui permettrait d'arriver à un résultat accep table dans chaque cas; voici cependant comment j'arrive, dans le présent cas à un résultat que j'estime acceptable.
Le prix de vente brut, $7,249,593, moins le coût de la construction, $4,739,551, est de $2,510,042. Le coût de la construction étant attribué en totalité aux prises en charge de la première hypothèque, le solde du prix de vente brut est réparti comme suit:
Première hypothèque
prise en charge $1,018,909 40.6% Montant provenant des
secondes hypothèques $1,054,325 42.0%
Versements en espèces $ 436,808 17.4%
TOTAL $ 2,510,042 100.0%
Il semble raisonnable de répartir le bénéfice brut de $2,308,553 entre chacun de ces éléments selon les mêmes proportions:
Première hypothèque
prise en charge $ 937,273 40.6% Montant provenant des
secondes hypothèques $ 969,592 42.0%
Versements en espèces $ 401,688 17.4%
TOTAL - $ 2,308,553 100.0%
Par coïncidence, je suppose, le résultat est éton- namment semblable à celui auquel on arrive en appliquant la formule de la demanderesse.
La défenderesse n'a présenté aucune preuve. D'après son argumentation, je conclus qu'en reje- tant la formule de la demanderesse, elle estimait en fait qu'une provision de $969,691, c'est-à-dire 92% du montant total recevable de $1,054,325 était en soi déraisonnable. Je ne suis pas d'accord. Le rapport entre le montant de la provision et le montant recevable doit toujours correspondre au rapport entre le bénéfice brut et le prix de vente brut. Si le bénéfice brut est, comme dans le présent cas, très élevé en comparaison du prix de vente brut, la provision acceptable sera très élevée en comparaison du montant recevable. C'est une simple question d'arithmétique.
Si les ajustements faits dans les circonstances de l'affaire Makis et de la pièce P-29 sont appropriés, le simple fait que le montant de l'hypothèque consentie par le vendeur et prise en charge par l'acheteur soit très élevé par rapport au prix de vente ne rend pas ces ajustements inapplicables ni, non plus, selon moi, le fait que l'hypothèque prise en charge excède l'augmentation de la valeur de l'immeuble attribuable au produit de sa vente, dans la mesure l'on tient bien compte de cet excédent.
L'appel est accueilli avec dépens et la cotisation d'impôt sur le revenu de la demanderesse pour l'année 1977 est renvoyée au Ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation, étant entendu que la somme de $969,592 constitue une provision acceptable au sens du sous-alinéa 20(1)n)(ii).
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.