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T-1220-82
American Home Products Corporation (requé- rante)
c.
Le commissaire des brevets et ICN Canada Limi ted (intimés)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 5 avril; Ottawa, 12 novembre 1982.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition Demande pour interdire au commissaire des brevets de délivrer une licence obligatoire à l'intimée ICN en vertu de l'art. 41(4) de la Loi sur les brevets Cet article est de la compétence du Parlement et n'est pas inopérant pour la raison qu'il serait contraire à la Déclaration canadienne des droits Le Parlement a le pouvoir d'imposer des restrictions particu- lières à l'égard des droits des propriétaires relativement à des brevets couvrant des médicaments s'il s'agit d'appuyer l'objec- tif fédéral valide d'assurer aux consommateurs canadiens un accès raisonnable à des produits L'absence de garantie d'une audition avant que soient définis les droits du proprié- taire n'enfreint pas l'obligation d'agir de façon impartiale prévue à la Déclaration canadienne des droits La possibilité de présenter des arguments écrits et de demander une audition orale est offerte conformément au désir du législateur de concilier les droits du propriétaire et l'intérêt public On ne porte pas atteinte aux droits du propriétaire puisque le brevet est accordé sous réserve de restrictions Demande rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18 Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4) Règles sur les brevets, C.R.C., chap. 1250, art. 123(2), 126(1) Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 (S.R.C. 1970, Appendice III], art. 1, 2e).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Eli Lilly & Co. v. S & U Chemicals Ltd. (1973), 9 C.P.R. (2d) 17 (C.F. Appel); confirmée [1977] 1 R.C.S. 536; 26 C.P.R. (2d) 141.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
American Home Products Corp. v. Commissioner of Patents (1970), 62 C.P.R. 155 (H.C. Ont.); confirmée 62 C.P.R. 161 (C.A. Ont.); Hoffmann -LaRoche Ltd. v. Frank W. Horner Ltd. et al. (1970), 64 C.P.R. 93 (C. de l'É.).
DÉCISION CITÉE:
Smith-Kline & French Laboratories Ltd. et al. v. Com missioner of Patents (1982), 61 C.P.R. (2d) 65 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
I. Goldsmith, c.r. pour la requérante.
D. H. Aylen, c.r. et L. Holland pour l'intimé
le commissaire des brevets.
I. Hughes pour l'intimée ICN Canada Limited.
PROCUREURS:
I. Goldsmith, c.r., Toronto, pour la requé- rante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé le commissaire des brevets.
I. Hughes, Concord, pour l'intimée ICN Canada Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Il s'agit d'une demande de bref de prohibition conformé- ment à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale' pour interdire à l'intimé, le commissaire des brevets,
a) d'examiner ou de décider la demande de l'intimée ICN Canada Limited en date du 10 novembre 1980, portant le numéro 534, visant à obtenir la délivrance d'une licence obligatoire pour les brevets canadiens nO5 722,692 en date du 30 novembre 1965, 755,634 en date du 28 mars 1967, 759,982 en date du 30 mai 1967 et 963,004 en date du 18 février 1975, dont la requérante est propriétaire; et
b) de délivrer une licence obligatoire à l'intimée ICN Canada Limited pour l'un ou l'autre des- dits brevets;
pour le motif que l'intimé, le commissaire des brevets, n'a pas compétence pour entendre ou déci- der la demande ou pour accorder cette licence parce que le paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, excède la compé- tence du Parlement du Canada ou qu'il contrevient à la Déclaration canadienne des droits 2 et qu'il est, par conséquent, sans effet.
Le paragraphe 41(4) se lit:
41....
(4) Si, lorsqu'il s'agit d'un brevet couvrant une invention destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins, une personne présente une demande pour obtenir une licence en vue de faire l'une ou plusieurs des choses suivantes comme le spécifie la demande, savoir:
1 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
2 S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven- tion pour la préparation ou la production de médicaments, importer tout médicament dans la préparation ou la produc tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica- ment dans la préparation ou la production duquel l'invention a été utilisée, ou
b) lorsque l'invention consiste en autre chose qu'un procédé, importer, fabriquer, utiliser ou vendre l'invention pour des médicaments ou pour la préparation ou la production de médicaments,
le commissaire doit accorder au demandeur une licence pour faire les choses spécifiées dans la demande à l'exception de celles, s'il en est, pour lesquelles il a de bonnes raisons de ne pas accorder une telle licence; et, en arrêtant les conditions de la licence et en fixant le montant de la redevance ou autre considération à payer, le commissaire doit tenir compte de l'opportunité de rendre les médicaments accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont conduit à l'invention et pour les autres facteurs qui peuvent être prescrits.
On attaque le pouvoir du Parlement d'adopter le paragraphe 41(4) pour le motif que celui-ci consti- tue une discrimination injustifiable à l'endroit des propriétaires de brevets couvrant les médicaments en leur imposant un titulaire de licence qu'ils n'ont pas choisi, contrairement à ce qui se fait à l'égard des autres genres de brevets.
Il est évident que le Parlement a le pouvoir d'imposer des restrictions à la distribution de pro- duits déterminés lorsqu'il s'agit d'appuyer un objectif fédéral valide dans l'intérêt public. La directive adressée au commissaire de tenir compte de l'opportunité de rendre les médicaments acces- sibles au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération justifie claire- ment les dispositions relatives à la délivrance obli- gatoire des licences. Il ne fait pas de doute que le Parlement a adopté le paragraphe 41(4) pour répondre à ces préoccupations et que, par consé- quent, il ne pratiquait pas une discrimination injustifiable. En outre, dans l'arrêt Eli Lilly & Co. v. S & U Chemicals Ltd. 3 , la Cour d'appel fédé- rale a conclu que les dispositions du paragraphe 41(4) constituent un exercice valide de l'autorité législative du Parlement. Enfin, dans un jugement antérieur sur cet article, Smith-Kline & French Laboratories Ltd. et al. v. Commissioner of Patents', j'ai cité le jugement du juge King dans
3 (1973), 9 C.P.R. (2d) 17 (C.F. Appel); confirmé par [1977] 1 R.C.S. 536; 26 C.P.R. (2d) 141.
4 (1982), 61 C.P.R. (2d) 65 (C.F. 1" inst.).
American Home Products Corp. v. Commissioner of Patents', et j'ai rejeté l'argument que le para- graphe 41(4) excède la juridiction du Parlement du Canada. Par conséquent, je dois rejeter l'argu- ment que le Parlement a outrepassé ses pouvoirs lorsqu'il a adopté paragraphe 41(4).
Les articles pertinents de la Déclaration cana- dienne des droits se lisent:
PARTIE I
DÉCLARATION DES DROITS
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son originie nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d'association, et
f) la liberté de la presse.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
Le fondement de l'argument de la requérante que la délivrance obligatoire d'une licence contre- vient à la Déclaration canadienne des droits est présenté de deux façons: d'abord, elle dit qu'elle constitue une négation de ses droits de propriété ordinaires; deuxièmement, la requérante dit que s'il peut être porté atteinte à ses droits de pro- priété, ce ne peut être qu'à la suite d'une audition impartiale, et, puisque les procédures relatives aux demandes de licences obligatoires ne garantissent pas au propriétaire le droit de se faire entendre, elles contreviennent aux dispositions claires de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
5 (1970), 62 C.P.R. 155 (H.C. Ont.); confirmé par 62 C.P.R. 161 (C.A. Ont.).
Puisque j'ai déjà exprimé l'avis que l'imposition de ces conditions particulières découle de la préoc- cupation légitime du Parlement envers le consom- mateur, je dois également conclure que le titre d'un brevet canadien couvrant des médicaments est accordé sous réserve des restrictions énoncées au paragraphe 41(4). encore, l'arrêt de principe est précisément en ce sens 6 . Par conséquent, la délivrance obligatoire d'une licence ne constitue pas une atteinte subséquente portée au titre. C'est une condition inhérente au titre lorsqu'il est accordé en vertu de la Loi sur les brevets.
J'aborde maintenant le dernier argument de la requérante; les règles de procédure qui régissent l'audience que doit tenir le commissaire sont énon- cées aux paragraphes 123(2) et 126(1) [des Règles sur les brevets, C.R.C., chap. 1250]:
123....
(2) Sous réserve du paragraphe (1) et des articles 124, 125 et 126, le commissaire doit statuer sur une demande conformé- ment au paragraphe 41(4) de la Loi dès que possible après l'expiration des deux semaines qui suivent le jour après lequel aucune mesure supplémentaire ne peut être prise à l'égard de la demande par le demandeur ou le breveté conformément aux
articles 119 122.
126. (1) En tout temps, mais non antérieurement aux deux semaines écoulées après le premier jour aucune mesure supplémentaire ne peut être prise à l'égard d'une demande par le demandeur ou le breveté conformément aux articles 119 à 122, le commissaire peut, s'il juge une audition nécessaire ou souhaitable, dans un avis par écrit
a) au demandeur,
b) au breveté,
c) au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, s'il a donné un avis par écrit au commissaire conformément au paragraphe 124(2), et
d) à tout ministre à qui le commissaire a donné un avis par écrit de la demande conformément au paragraphe 125(1),
fixer un jour pour le début d'une audition à laquelle des preuves ou observations, ou des preuves et observations, selon les préci- sions indiquées dans l'avis, peuvent être produites ou présentées par une personne ou au nom d'une personne à qui l'avis a été envoyé, à l'époque et à l'endroit indiqués dans l'avis.
J'accepte l'argument de l'avocat de la requé- rante que, puisque le choix de tenir une audition orale est laissé à la discrétion du commissaire, ces articles ne peuvent être interprétés de façon à garantir au propriétaire d'un brevet couvrant un médicament une audition orale avant la délivrance
6 Voir Hoffmann -LaRoche Ltd. v. Frank W. Horner Ltd. et al. (1970), 64 C.P.R. 93à la p. 107 (C. de l'E.).
d'une licence obligatoire. Cependant, je ne suis pas convaincu qu'une décision prise en vertu des dispo sitions relatives à la délivrance obligatoire d'une licence sans la garantie d'une audition puisse équi- valoir à une décision prise à l'égard des droits du propriétaire sans une audition impartiale. Le Par- lement, agissant dans l'intérêt public, a déclaré que les droits de brevet accordés au Canada aux inventeurs de médicaments sont assujettis aux dis positions relatives à la délivrance obligatoire de licences. Conformément à ces priorités, le Parle- ment a prescrit des procédures qui accordent au propriétaire la possibilité de présenter au commis- saire des arguments écrits et de demander une audition orale. Certes, l'avocat ne prétend pas qu'une audition ne peut être impartiale à moins d'être faite oralement. Dans l'examen du caractère impartial de l'audition accordée à la requérante en l'espèce, je ne dois pas oublier ce qui permet au Parlement de subordonner le titre au brevet cou- vrant des médicaments à l'assurance, pour le con- sommateur canadien, d'avoir un accès raisonnable à ces produits. Il faut concilier ces deux intérêts légitimes, et le Parlement a autorisé le commis- saire à le faire en vertu des directives prévues à la fin du paragraphe 41(4). La requérante ne m'a pas convaincu que la possibilité qui lui est donnée de faire valoir des arguments, par écrit ou oralement, ne répond pas aux normes d'impartialité auxquel- les ont droit de s'attendre les propriétaires de brevets couvrant des médicaments dans ce proces- sus de conciliation de leurs droits avec ceux du public.
En conséquence, la présente demande doit être rejetée avec dépens.
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