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A-329-81
La Reine (appelante)
c.
Columbia Enterprises Ltd. (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte et Le Dain, juge sup pléant Cowan—Vancouver, 3 et 9 mai 1983.
Impôt sur le revenu Pénalités Pénalité imposée à une compagnie pour la fausse déclaration remplie par son compta- ble La Division de première instance a confirmé la décision de la Commission de révision de l'impôt gui annulait la pénalité La connaissance des faits par le comptable pouvait être attribuée à la compagnie Le comptable était l'âme dirigeante de la compagnie dans le domaine des fonctions qui lui avaient été confiées Appel accueilli Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 163(2) Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 56(2) (mod. par S.C. 1960, chap. 43, art. 16).
Le comptable de l'intimée a sciemment préparé et déposé au nom de la compagnie une déclaration d'impôt sur le revenu incomplète pour l'année d'imposition 1973. La Commission de révision de l'impôt a annulé la pénalité imposée à l'intimée par le Ministre pour avoir déposé une fausse déclaration. La Divi sion de première instance a rejeté l'appel de cette décision au motif que l'intimée ne pouvait être tenue responsable parce qu'elle ignorait ou ne se doutait pas que la déclaration était inexacte, et que la connaissance des faits par le comptable ne pouvait lui être imputée parce qu'il n'existait aucun rapport de commettant et de préposé entre l'intimée et le comptable. Il s'agit de déterminer si l'intimée devrait être tenue responsable des actes de son comptable.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge suppléant Cowan (avec l'appui du juge Le Dain): Le comptable était un organe essentiel de l'intimée et, en fait, son âme dirigeante en ce qui concernait la préparation, la signature et la production d'états financiers et de déclarations d'impôt sur le revenu. Les actes du comptable étaient ceux de l'intimée. La connaissance par le comptable des énoncés et omissions est aussi la connaissance de l'intimée.
Le juge Pratte (dissident): On ne peut interpréter le paragra- phe 163(2) de la Loi de façon à rendre la contribuable respon- sable non seulement des infractions qu'elle a elle-même commi- ses mais aussi de celles qui ont été commises par les personnes agissant en son nom. L'argument voulant que la connaissance des faits par le comptable doive être attribuée à l'intimée se fonde sur des décisions rendues en Angleterre il a été jugé, même s'il existait une exigence quant à la connaissance des faits dans une disposition du Licensing Act créant une infrac tion, que les détenteurs de permis en vertu de la Loi, qui délèguent leurs pouvoirs à d'autres personnes, peuvent être tenus responsables des infractions commises par ces dernières, leur connaissance des faits étant attribuée aux détenteurs de permis. Cette théorie de la délégation ne doit cependant servir qu'à l'interprétation du Licensing Act. De plus, les pouvoirs délégués au comptable étaient beaucoup trop restreints pour faire de lui l'âme dirigeante de la compagnie.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Regina v. St. Lawrence Corp. Ltd. (and nineteen other corporations), [1969] 2 O.R. 305 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Udell v. Ministre du Revenu national, [1970] R.C.E. 177; [1969] C.T.C. 704; 70 DTC 6019.
DÉCISION EXAMINÉE:
Howker v. Robinson, [ 1972] 2 All E.R. 786 (Q.B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Vane v. Yiannopoullos, [1965] A.C. 486 (H.L.); Tesco Supermarkets Ltd. v. Nattrass, [1972] A.C. 153 (H.L.); Regina v. P. G. Market-place et al. (1979), 51 C.C.C. (2d) 185 (C.A.C.-B.); Regina v. Spot Supermarket Inc. (1980), 50 C.C.C. (2d) 239 (C.A. Qué.).
AVOCATS:
J. S. Gill pour l'appelante. Ian Pitfield pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe & Davidson, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Les motifs rédigés par mon collègue le juge Cowan contiennent un exposé complet et précis des faits de l'espèce.
Il est admis que M. Lee, comptable de l'intimée, a sciemment produit une fausse déclaration d'im- pôt sur le revenu au nom de sa cliente. Il existe de plus suffisamment de preuves à l'appui de la con clusion du juge de première instance selon lequel M. On Lim, le président de l'intimée, n'était pas au courant de la production de cette fausse décla- ration d'impôt sur le revenu et ne s'était pas rendu coupable d'une faute lourde. Étant donné les faits, peut-on affirmer que l'intimée elle-même a sciem- ment produit une fausse déclaration et qu'en con- séquence, la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970- 71-72, chap. 63] peut lui être imposée?
Le juge de première instance a répondu à cette question par la négative [jugement non publié, T-592-79, en date du 13 mai 1981]. L'avocat de
l'appelante allègue qu'il fallait y répondre par l'affirmative pour trois raisons: premièrement, parce qu'à son avis, la connaissance des faits par le comptable était celle de la compagnie puisque, en ce qui concernait la préparation et le dépôt de la déclaration d'impôt sur le revenu, le comptable était l'âme dirigeante de la compagnie; deuxième- ment, parce qu'en tout état de cause, la connais- sance des faits par le comptable devait être attri- buée à l'intimée qui, au lieu de s'acquitter de son obligation légale de produire une déclaration d'im- pôt sur le revenu, avait confié cette tâche à son comptable; et troisièmement, parce qu'il faut inter- préter le paragraphe 163(2) de façon à rendre le contribuable responsable non seulement des infrac tions qu'il a lui-même commises mais aussi de celles qui ont été commises par les personnes agis- sant en son nom.
À mon avis, le dernier argument doit tout sim- plement être rejeté, puisque le paragraphe 163(2), tel qu'il est libellé, ne peut être interprété de la manière proposée.
Le second argument est que, malgré les termes du paragraphe 163(2), la connaissance des faits par le comptable Lee doit être attribuée à l'intimée puisqu'elle lui a délégué l'exécution de son obliga tion de produire une déclaration d'impôt sur le revenu. Cet argument se fonde sur des décisions rendues en Angleterre en vertu des dispositions des Licensing Acts qui interdisent aux titulaires de permis de faire «sciemment» certaines choses. Le juge Bristow a clairement exposé le principe établi par ces décisions dans Howker v. Robinson':
[TRADUCTION] Selon la règle générale du droit anglais, une personne ne peut être reconnue coupable sans avoir d'intention coupable. Il y a exception à cette règle lorsque le Parlement crée par une loi une infraction de responsabilité absolue. L'in- terprétation de la disposition légale en question permet de déterminer si c'est ce qu'a fait le Parlement. L'art. 13 du Licensing Act de 1872 qui prévoit que le titulaire d'un permis qui procure de l'alcool à une personne en état d'ébriété commet une infraction, est un exemple de ce genre d'infraction de responsabilité absolue: voir Police Comrs y Cartman, [1896] I QB 655.
Lorsque le Parlement interdit à quelqu'un de faire «sciem- ment» quelque chose, comme il le fait au par. 169(1) de la Loi de 1964, il est évident qu'il ne crée pas une infraction de responsabilité absolue. Toutefois, il ressort de l'interprétation donnée par les tribunaux aux dispositions des Licensing Acts
' [1972] 2 All E.R. 786 [Q.B.], aux pp. 788 et 789.
que, lorsque la loi prévoit que le détenteur d'un permis ne doit pas faire quelque chose sciemment et, comme les juges ont conclu que c'était le cas en l'espèce, qu'il ne sait réellement pas que cette chose est faite, il ne peut néanmoins se dégager des responsabilités et devoirs découlant de son permis s'il a délégué le contrôle des lieux à la personne qui fait la chose, et la connaissance des faits par son délégué lui est imputée. Comme l'a dit le juge en chef lord Goddard dans l'affaire Linnett y Metropolitan Police Comr, [1946] KB 290 aux pp. 294 et 295, cf [1946] I All ER 380 à la p. 382, traitant d'un cas on avait «sciemment permis une inconduite contrairement à l'art. 44 du Metropolitan Police Act de 1839»:
«Ce principe ... dépend du fait que la personne qui est responsable selon la loi, comme par exemple, le titulaire d'un permis en vertu des Licensing Acts, a choisi de déléguer ses fonctions, ses pouvoirs et son autorité à une autre personne.»
Comme l'a expliqué le juge en chef lord Alverstone dans Emary y Nolloth, [1903] 2 KB 264 à la p. 269, [1900-3] All ER Rep 606 à la p. 608, il faut retenir de ces décisions le principe suivant: si le titulaire d'un permis a délégué ses pouvoirs à quelqu'un, lui déléguant donc son «pouvoir d'empêcher que quelque chose se produise», et que la personne à laquelle il a laissé ces pouvoirs commet l'infraction, il en est responsable. En revanche, s'il n'y a pas eu délégation de pouvoirs, que le titulaire du permis s'occupe lui-même de son commerce et que son préposé agit à son insu et à l'encontre de ses directives, il n'est alors pas tenu responsable.
Toutefois, s'il faut retenir cette théorie de la délégation qui ne tient manifestement pas compte des termes clairs employés par le Parlement, il semble maintenant généralement admis qu'elle ne doit servir qu'à l'interprétation des Licensing Acts 2 . Pour ce motif, je suis d'avis que le juge de première instance a eu raison de refuser de l'appli- quer en l'espèce.
L'appelante soutient aussi qu'en fait, l'intimée savait qu'une fausse déclaration avait été produite en son nom puisque selon le droit, la connaissance des faits par son comptable était sa propre con- naissance. Cet argument se fonde sur un principe bien établi selon lequel même si la compagnie est une entité abstraite n'ayant ni esprit ni connais- sance ni intention, le droit considère comme étant la compagnie elle-même certaines personnes qui agissent en son nom de sorte que leur état d'esprit devient celui de la compagnie. Qui sont ces person- nes? Celles qui non seulement agissent pour la
2 Voir: Vane v. Yiannopoullos, [1965] A.C. 486 [H.L.], aux pp. 487, 500, 510 et 512; Tesco Supermarkets Ltd. v. Nattrass, [1972] A.C. 153 [H.L.], aux pp. 173, 202 et 203; Glanville Williams, Criminal Law (éd. de 1978), aux pp. 943 et 944.
compagnie ou en son nom mais qui constituent également son «âme dirigeante et qui ont la haute main sur son activité» 3 . En l'espèce, on a affirmé que même s'il n'était pas un employé de l'intimée et qu'il n'avait pas la haute main sur ses activités, le comptable en était néanmoins l'âme dirigeante en ce qui concernait la préparation et la produc tion des déclarations d'impôt sur le revenu. Je ne peux souscrire à cette affirmation. À mon avis, les pouvoirs délégués au comptable qui se limitaient à la préparation et à la production de déclarations d'impôt sur le revenu, étaient beaucoup trop res- treints pour faire de lui une âme dirigeante de la «compagnie. J'estime que le juge de première ins tance a eu raison de conclure que la connaissance des faits par le comptable ne pouvait être attribuée à l'intimée. Je sais que cette conclusion s'accorde mal avec la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Regina v. P. G. Mar- ket-place et al. 4 et avec celle de la Cour d'appel du Québec dans Regina v. Spot Supermarket Inc. 5 . Toutefois, il me semble que, dans ces deux décisions, on a considéré comme «âmes dirigean- tes» de compagnies des personnes qui n'étaient en réalité que de simples préposés ou agents.
Par ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: La Cour est saisie d'un appel formé par Sa Majesté la Reine contre un jugement de la Division de première instance qui rejetait l'appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt. Cette décision annulait une pénalité de 5 234,35 $ imposée par le ministre du Revenu national à la contribuable intimée pour son année d'imposition 1973, confor- mément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
À l'époque en cause, le paragraphe 163(2) était ainsi libellé:
3 Tesco Supermarkets Ltd. v. Nattrass, aux pp. 171, 187,
190 et 199; Regina v. St. Lawrence Corp. Ltd. (and nineteen
other corporations), [1969] 2 O.R. 305 [C.A.], à la p. 320.
^ (1979), 51 C.C.C. (2d) 185 (C.A.C.-B.).
5 (1980), 50 C.C.C. (2d) 239 (C.A. Qué.).
163....
(2) Toute personne qui, dans l'exécution d'une fonction ou d'une obligation imposée par la présente loi ou en vertu de celle-ci, a fait sciemment ou dans des circonstances qui justi- fient l'imputation d'une faute lourde, un énoncé ou une omis sion dans une déclaration, un certificat, un relevé ou une réponse faits par ou en vertu de la présente loi ou d'un règlement, ou a participé, consenti, acquiescé à cet énoncé ou à cette omission, d'où il résulte que l'impôt qui aurait été payable par elle pour une année d'imposition, si l'impôt avait été établi d'après les renseignements fournis dans la déclaration, le certi- ficat, le relevé ou la réponse, est inférieur à l'impôt qu'elle doit payer pour l'année, encourt une pénalité de 25% du montant, si montant il y a, obtenu en soustrayant l'impôt qui aurait été ainsi payable de l'impôt qu'elle doit payer pour l'année.
La contribuable intimée est une compagnie constituée en 1950 sous le régime des lois de la Colombie-Britannique et dont l'exercice financier se termine le 31 décembre. Elle doit produire ses déclarations d'impôt sur le revenu au plus tard le 30 juin de l'année suivante.
En décembre 1972, l'intimée a acquis de la suc cession de Butt Lim, pour la somme de 120 000 $, un immeuble locatif situé au 122 rue Pender est, dans la ville de Vancouver. Pendant l'année d'im- position 1973, cet immeuble a produit un revenu locatif de 4 820 $ et a été vendu, au mois de mars de la même année, pour 230 000 $.
Les actionnaires de l'intimée sont cinq frères, les fils de Butt Lim. L'intimée est une compagnie de gestion des actifs qu'elle a reçus de Butt Lim. Les frères exercent leur propre profession ou ont leur propre commerce. L'un d'eux, On Lim, est ingé- nieur mécanicien et travaille pour une autre com- pagnie. Il était chargé de tenir les livres compta- bles de l'intimée et un journal synoptique dans lequel étaient consignées toutes les opérations financières, dont celles concernant la vente de la propriété de la rue Pender.
La déclaration d'impôt sur le revenu de la com- pagnie intimée, pour l'exercice financier se termi- nant le 31 décembre 1973, est datée du 28 juin 1974 et a été produite avant le 30 juin 1974. Elle contenait un bilan au 31 décembre 1973 et un état des profits et des pertes pour l'année se terminant le 31 décembre 1973, y compris le revenu locatif provenant de deux propriétés autres que celle de la rue Pender. Le total du revenu locatif net et du revenu de placement, s'élevant à 15 675,13 $, a été réduit du même montant par suite de déductions au titre des salaires; la déclaration n'indiquait donc aucun revenu imposable pour l'année 1973.
Rien dans le bilan ni dans les annexes ne mon- trait que l'intimée avait fait l'acquisition de la propriété de la rue Pender, qu'elle l'avait vendue ou qu'elle avait perçu un revenu locatif de 4 820 $ sur cette propriété ou sur une autre propriété. La déclaration ne répondait pas à la question «La corporation a-t-elle réalisé des gains en capital (y compris des dividendes sur les gains en capital) ou subi des pertes en capital?»
Le 24 décembre 1976, le ministre du Revenu national a imposé à l'intimée une nouvelle cotisa- tion pour l'année d'imposition 1973. Il a ajouté au revenu net déclaré le revenu locatif non déclaré de 4 820 $ et un gain en capital imposable non déclaré de 50 875 $; il a fixé la cotisation de l'impôt sur le revenu à 34 441,72 $ et a imposé, conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, une pénalité de 5 234,35 $.
L'intimée a déposé un avis d'opposition à la nouvelle cotisation visant uniquement la pénalité. L'avis était ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Faits.
La compagnie a, par inadvertance, omis de déclarer le gain en capital réalisé sur un immeuble qui avait été légué par la défunte mère des actionnaires. Cette omission a été causée par la confusion, les querelles familiales et le choc résultant du décès de la mère.
Motif de l'opposition.
La compagnie croit que le ministère se rendra compte, en étudiant la situation, qu'il n'y a pas lieu, étant donné les faits, d'imposer une pénalité.
Le Ministre a confirmé la cotisation mais la Commission de révision de l'impôt a accueilli l'ap- pel de l'intimée et a modifié la cotisation en sup- primant la pénalité imposée.
L'appel à la Division de première instance a été rejeté et la Couronne interjette maintenant appel devant la présente Cour.
Les faits de l'espèce ne sont pas contestés. M. Paul Lee, comptable agréé, était le comptable de l'intimée depuis 1959. Il était au courant de ses opérations générales et de ses affaires financières. M. On Lim, président de l'intimée, lui a demandé de préparer la déclaration d'impôt sur le revenu de 1973 et lui a donné tous les documents relatifs à cette année. M. Lee possédait tous les documents concernant la vente de la propriété de la rue Pender et le revenu locatif perçu sur celle-ci pen-
dant toute l'année. On lui a expliqué ce qui se passait et il a participé à des entretiens avec le procureur de l'intimée après la vente. M. Lee estimait qu'il possédait tous les renseignements nécessaires. Il savait qu'un gain en capital avait été réalisé sur la vente de la propriété de la rue Pender.
Pour préparer la déclaration, M. Lee s'est basé sur les renseignements concernant le gain en capi tal et le revenu locatif, mais il n'a inclus aucun de ces renseignements dans la déclaration d'impôt sur le revenu de l'année. Il a expliqué qu'il n'avait pas révélé ces renseignements parce qu'il avait des difficultés à déterminer le prix rajusté de la pro- priété de la rue Pender, que cette dernière avait été acquise dans une opération il n'existait aucun lien de dépendance et qu'il ne savait pas de quelle manière les déclarer pour payer le minimum d'im- pôt. Il a admis qu'il savait que la vente de la propriété avait produit un gain en capital imposable.
M. Lee a déclaré que le revenu locatif provenant de la propriété ne lui avait causé aucun problème mais qu'il ne l'avait pas inclus dans la déclaration parce qu'il voulait le déclarer en même temps que le gain en capital, puisque l'un et l'autre concer- naient la propriété de la rue Pender.
M. Lee a affirmé qu'il avait produit la déclara- tion avant le 30 juin 1974 pour respecter les délais et qu'il avait toujours eu l'intention de produire une déclaration modifiée contenant les renseigne- ments sur le gain en capital et le revenu locatif, dès qu'il aurait trouvé la meilleure solution. En fait, aucune déclaration modifiée n'a été produite par l'intimée ou en son nom.
La formule d'attestation portant que la déclara- tion, les annexes et les relevés avaient été examinés par la personne qui les attestait et que la déclara- tion était conforme, exacte et complète, se termi- nait par la mention suivante écrite à la machine à écrire: [TRADUCTION] «Je, On Lim, de Vancouver, C.-B., déclare être la personne autorisée à signer pour la compagnie» suivie de la signature «On Lim p e.
Selon le témoignage de M. Lee, M. On Lim n'a pas signé la déclaration; son nom y a été apposé par un membre du personnel de M. Lee. M. On Lim avait autorisé M. Lee à signer la déclaration
pour lui. M. Lee préparait depuis 1959 les déclara- tions d'impôt sur le revenu de l'intimée qui étaient signées au nom de la compagnie par un des employés de son bureau.
M. Lee n'a pas averti M. On Lim qu'il allait omettre dans la déclaration certains éléments de son revenu et il ne lui a pas envoyé de copie de la déclaration produite. Les années précédentes, il envoyait habituellement à la compagnie une copie de la déclaration quelque temps après sa production.
D'après son propre témoignage, M. On Lim a donné à M. Lee tous les renseignements nécessai- res, au printemps de 1974, et n'a pas reçu de copie de la déclaration faite au nom de la compagnie pour l'année 1973. La question du paiement de l'impôt sur les gains en capital le préoccupait; il a toujours pensé qu'il y aurait un impôt à payer, et il a demandé à plusieurs reprises à M. Lee quel en serait le montant. M. Lee ne lui a jamais dit qu'il y aurait peut-être moyen pour la compagnie de ne pas payer d'impôt. Il lui a simplement déclaré qu'il avait besoin de plus de temps pour s'y retrouver et déterminer le montant de l'impôt payable. Les notes de M. Lim indiquaient que, le 6 août 1974, il s'informait encore auprès de M. Lee au sujet de l'impôt sur les gains en capital.
M. Lim a déclaré qu'il n'a jamais demandé à M. Lee de lui fournir une copie de la déclaration, ce dernier ayant l'habitude de le faire sans qu'il ait à le lui demander. Il a également affirmé que M. Lee avait auparavant fait du très bon travail et que normalement, il s'en remettait à sa discrétion.
Le juge de première instance a conclu que M. On Lim, le président de la compagnie intimée, ignorait que M. Lee, le comptable, avait produit la déclaration sans y inscrire le revenu locatif ni le gain en capital réalisé. Il a estimé que la connais- sance des faits par le comptable Lee ne pouvait être imputée à l'intimée parce qu'il n'existait aucun rapport de commettant et de préposé entre la compagnie et Lee.
Les principes concernant la responsabilité pénale d'une personne, ou d'une compagnie, pour les actes d'une autre personne sont examinés dans Regina v. St. Lawrence Corp. Ltd. (and nineteen
other corporations) 6 le juge d'appel Schroeder a déclaré:
[TRADUCTION] Dans les cas autres que ceux de libelle, d'outrage au tribunal en matière pénale, de nuisance publique et d'infractions légales de responsabilité stricte, la responsabi- lité pénale n'est pas imputée à une compagnie pour les actes criminels de ses préposés ou agents, en vertu de la doctrine respondeat superior; néanmoins, si l'agent fait partie d'une catégorie qui autorise la Cour à juger qu'il est un organe essentiel de la compagnie et, en fait, son âme dirigeante dans le domaine des fonctions et responsabilités qui lui ont été confiées et qu'en conséquence, ses actions et ses intentions sont celles de la compagnie elle-même, il peut alors par sa conduite engager la responsabilité pénale de la compagnie. Il faudrait ajouter qu'en principe et suivant la doctrine, cet énoncé est soumis à la condition qu'en accomplissant les actes en cause, l'agent agis- sait dans l'exercice de ses fonctions expresses ou tacites.
En l'espèce, la loi imposait à l'intimée de prépa- rer et de produire des déclarations conformes, exactes et complètes de son revenu pour chaque exercice financier. Elle a tenu des registres concer- nant ses revenus et dépenses et tous les autres renseignements nécessaires pour la préparation de ses états financiers et de sa déclaration d'impôt sur le revenu pour 1973. Elle a retenu les services de Paul Lee, son comptable, pour préparer ses états financiers et sa déclaration d'impôt sur le revenu, pour signer la déclaration en son nom et pour la déposer. La forme et le contenu de la déclaration ont été laissés à la discrétion de Paul Lee et l'intimée n'a pas exigé qu'elle lui soit envoyée avant d'être terminée et produite ni même après qu'elle eut été produite. Paul Lee avait toute liberté en ce qui avait trait à la déclaration et à son contenu, et l'intimée n'a pas cherché à vérifier ce qu'il faisait.
Paul Lee était un organe essentiel de la compa- gnie intimée et, en fait, son âme dirigeante dans le domaine des fonctions et responsabilités qui lui avaient été confiées, c'est-à-dire la préparation, la signature et la production d'états financiers et de déclarations d'impôt sur le revenu; en conséquence, ses actions et ses intentions étaient celles de la compagnie elle-même.
L'arrêt Udell v. Ministre du Revenu national', cité par le juge de première instance, se distingue de l'espèce par ses faits. Dans cette cause, le contribuable avait inscrit des données exactes dans
6 [1969] 2 O.R. 305 (C.A.), à la p. 320.
7[[1970] R.C.É. 177]; [1969] C.T.C. 704; 70 DTC 6019.
ses livres comptables mais il avait retenu les servi ces d'un comptable agréé pour préparer ses décla- rations d'impôt sur le revenu. Le contribuable enregistrait ses transactions dans un livre destiné à l'inscription des dépenses et le comptable avait jugé nécessaire de préparer ses propres feuilles de travail à partir des renseignements fournis par le livre comptable de la ferme. En transcrivant ces renseignements sur ses feuilles de travail, le comp- table avait fait un certain nombre d'erreurs inex- plicables et substantielles entraînant la réduction du montant de postes ayant trait à certains revenus et à certaines dépenses et leur report dans la déclaration d'impôt sur le revenu; le montant de la perte déclarée était donc plus élevé que le montant réel de la perte subie par le contribuable. Cela modifiait aussi la perte reportée aux années anté- rieures. Le comptable avait également omis certai- nes dépenses relatives à l'achat de bétail. Le Ministre avait établi une nouvelle cotisation et imposé une pénalité en vertu du paragraphe 56(2) [S.R.C. 1952, chap. 148, mod. par S.C. 1960, chap. 43, art. 16], qui a été remplacé par le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Les déclarations de deux années avaient été signées par le comptable au nom du contribuable. Les déclarations de deux autres années avaient été signées par le contribuable lui-même. Le compta- ble avait envoyé ces dernières déclarations au con- tribuable pour qu'il les examine et les signe. Il lui avait envoyé copies des premières pour lecture, vérification et classement et il avait été jugé que le contribuable avait ratifié la signature du compta- ble sur ces déclarations.
Le juge Cattanach a conclu que c'était le comp- table qui avait commis les erreurs et les omissions dans les déclarations du contribuable et qu'il s'était donc rendu coupable de faute lourde. Il a également conclu que le contribuable n'avait pas sciemment contribué, participé, consenti ni acquiescé à l'introduction des erreurs et omissions dans ses déclarations d'impôt et, qu'en consé- quence, il ne s'était pas rendu personnellement coupable d'une faute lourde le rendant passible de la pénalité prévue au paragraphe 56(2).
Le juge Cattanach a ensuite examiné l'argumen- tation du Ministre selon laquelle la faute lourde du
comptable pouvait être attribuée au contribuable lui-même. Il a conclu que les relations existant entre le contribuable et son comptable étaient celles de commettant et préposé, que les omissions et les erreurs du comptable dans la préparation des déclarations d'impôt constituaient une faute lourde de sa part et que le contribuable n'avait pas eu connaissance des erreurs et omissions commises par ce dernier. Il a déclaré':
En général, on n'est pas personnellement responsable des infractions de nature pénale commises par son préposé; mais la règle n'est pas absolue. Un commettant peut être tenu pénale- ment responsable par une loi de l'action ou de l'omission de son préposé.
La question de savoir si l'appelant a été soumis à juste titre aux pénalités dépend donc de l'interprétation de l'article 56(2). Cet article envisage-t-il de rendre un contribuable personnelle- ment responsable de la négligence flagrante de son préposé, pour omission ou énoncé d'une donnée dans une déclaration? Il est clair, d'après les termes de l'article, que la pénalité doit être imposée, si les circonstances prévues sont réunies, au contribua- ble, et non à la personne qui a fait l'énoncé ou l'omission pour le compte du contribuable. La personne passible de pénalité est celle qui doit payer l'impôt. Par conséquent, en l'espèce, la personne passible de pénalité est l'appelant et non son préposé, le comptable. Il est concevable que l'appelant puisse avoir une cause d'action contre le comptable pour toute perte due à la préparation des déclarations, mais cela ne nous concerne pas dans la présente instance.
Il ne fait aucun doute que l'article 56(2) ne soit un article pénal. Pour interpréter un texte pénal, il faut se référer à la jurisprudence incontestable établie par lord Esher dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester ((1887) 19 Q.B.D. 629), il précise que si l'on peut donner aux termes d'un article pénal deux interprétations, l'une infligeant la pénalité et l'autre l'écartant, celle-ci doit prévaloir; il déclare en effet, à la page 638: Il faut interpréter cet article avec précaution, car il inflige une pénalité. S'il existe une interprétation raisonnable qui permette, dans un cas donné, d'éviter la pénalité, il faut l'adopter.
Les circonstances de l'espèce, telles que j'ai pu les constater, ne constituent pas une négligence flagrante et personnelle de la part de l'appelant, pour les motifs que j'ai soulignés précédemment.
En conséquence, reste la question de savoir si l'article 56(2) considère que la négligence flagrante du préposé de l'appelant, en l'occurrence le comptable professionnel, peut être attribuée à l'appelant lui-même. Chacun des verbes de l'article «a participé, consenti, ou acquiescé» implique un élément de connaissance de la part du commettant, ou avec le consentement tacite de ce dernier. L'autre verbe utilisé dans l'article 56(2) est «a fait». La question est par conséquent de savoir si les principes régissant ordinairement les rapports entre commettants et préposés vont
8 Aux [pp. 191 et 193 R.C.É.]; pp. 712 714 C.T.C.; pp.
6025 et 6026 DTC.
s'appliquer, c'est-à-dire que ce que l'on fait faire par un préposé revient à ce que l'on fait soi-même, et que le commettant est ainsi responsable des actes de son préposé, lorsque celui-ci prétend agir dans l'exercice de ses fonctions, même en l'absence d'ordre exprès ou de consentement de la part du commettant.
A mon avis, l'utilisation du terme «a fait», dans ce contexte, implique aussi une connaissance délibérée et intentionnelle de l'employeur quant à l'acte fait; or, ce n'était pas le cas, d'après les circonstances de l'espèce. L'appelant n'a pas été complice de la négligence flagrante de son comptable. Il s'agit sûrement d'une interprétation raisonnable.
Il est de règle, à mon avis, que lorsqu'il existe, pour l'imposi- tion d'une taxe ou d'un droit, et a fortiori d'une pénalité, un doute raisonnablement fondé, il faut interpréter la loi de façon à donner à la partie visée le bénéfice du doute.
À mon avis, on ne peut appliquer en l'espèce le raisonnement suivi dans l'arrêt Udell. Les actes du comptable Paul Lee étaient ceux de la compagnie intimée. Cette dernière avait retenu ses services pour qu'il prépare et produise des états financiers et des déclarations d'impôt sur le revenu; le con- tenu de ces documents était laissé à sa discrétion et il ne lui était pas nécessaire de les présenter à l'approbation de la compagnie intimée avant ou après leur dépôt. Les relations existant entre M. Lee et l'intimée étaient très différentes de celles qui existaient entre le comptable et le contribuable dans l'arrêt Udell.
Il faut conclure que l'intimée a fait les énoncés et les omissions contenus dans la déclaration d'im- pôt sur le revenu de 1973, préparée et déposée en son nom par Paul Lee, et que la connaissance par ce dernier de ces énoncés et omissions est aussi la connaissance de l'intimée. Par conséquent, le para- graphe 163(2) s'applique. L'appel devrait être accueilli avec dépens à l'appelante en cette Cour, et la pénalité imposée à l'intimée devrait être rétablie.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à ces motifs.
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