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T-9535-82
Société canadienne de la Croix-Rouge (demande- resse)
c.
Simpsons Limited (défenderesse)
Division de première instance, juge Mahoney— Toronto, 1 °r et 7 mars 1983.
Pratique Jonction de parties Marques de commerce La demanderesse poursuit la défenderesse détaillante au sujet de la vente de serviettes sur lesquelles parait, sur fond vert, une croix rouge combinée aux marques de commerce « M*A*S*H» et ..4077th» La propriétaire des marques de commerce ..M*A*S*H» et .4077th., a présenté une requête en intervention à titre de défenderesse ou à titre d'intervenante Requête accueillie; la société propriétaire a été constituée partie défenderesse Aucune règle de la Cour n'autorise une intervenante à être constituée partie Les critères de la Règle 1716(2)b) ont été remplis: la décision porte directement atteinte aux droits ou aux intérêts pécuniaires de la requérante et il existe un danger que les droits de la partie ne soient pas adéquatement défendus si elle n'est pas constituée défende- resse Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 5, 1716(2)b),(3),(4) Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 6, 9(1)f).
Marques de commerce Recours en equity Injonctions La défenderesse détaillante vend des serviettes sur lesquel- les paraît, sur fond vert, un dessin combinant une croix rouge et les marques de commerce ..M*A*S*H» et ..4077th. La demanderesse cherche à obtenir une injonction interlocutoire interdisant à la défenderesse d'utiliser l'emblème héraldique de la Croix-Rouge Principes énoncés dans l'arrêt American Cyanamid appliqués Le litige est réel mais la balance des avantages et des inconvénients penche du côté du refus de l'injonction interlocutoire Il existe un droit de chercher à limiter le montant des dommages-intérêts mais l'équité exige qu'on tienne compte des conséquences qu'une injonction inter- locutoire aurait sur l'ensemble des produits M*A*S*H en vente au Canada La perte de la clientèle et de la confiance du public n'est qu'éventuelle et non pas réelle Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 6, 9(1)1).
Twentieth Century -Fox Film Corporation («Fox»), proprié- taire des marques de commerce «M*A*S*H» et «4077th», a présenté une requête en intervention à titre de défenderesse ou, subsidiairement, à titre d'intervenante à l'action intentée par la demanderesse («Croix-Rouge») contre la défenderesse détail- lante au sujet de la vente de serviettes sur lesquelles paraissent, sur fond vert, un dessin combinant une croix rouge et les marques de commerce de Fox. La Cour est également saisie d'une demande d'injonction interlocutoire de la demanderesse visant à interdire à la défenderesse d'utiliser l'emblème héraldi- que de la Croix-Rouge. Il n'y a aucun lien contractuel entre Fox et la défenderesse: cette dernière a acheté les marchandises en question d'un titulaire de licence au Canada de Fox. Fox invoque la Règle 1716(2)b) qui prévoit que la Cour peut ordonner que soit constituée partie une personne qui aurait être constituée partie ou dont la présence devant la Cour est nécessaire.
Jugement: la propriétaire des marques de commerce est constituée partie défenderesse et la demande d'injonction inter- locutoire est rejetée.
Il n'existe aucune règle de la Cour (sauf la Règle 1010 qui est une règle d'amirauté) qui autorise une partie à être consti- tuée à titre d'intervenante dans une action. La Règle 5, la «règle des lacunes», n'est d'aucune utilité: les règles de l'Ontario applicables sont identiques aux Règles de la Cour fédérale. Fox ne peut être mise en cause à titre de défenderesse que si elle satisfait aux deux critères de la Règle 1716(2)b). Ces critères ont été énoncés par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans son examen de la règle ontarienne correspondante dans Re Starr and Township of Puslinch et al. (1976), 12 O.R. (2d) 40 (C. div.): la décision doit porter directement atteinte aux droits ou aux intérêts pécuniaires du requérant, et, dans un tel cas, il doit exister un danger que les intérêts du requérant ne soient pas adéquatement défendus. Fox a un intérêt direct dans l'issue du litige et l'obliger à défendre ses droits par personne interposée serait courir le risque que ses intérêts ne soient pas adéquate- ment défendus.
En ce qui concerne la demande d'injonction interlocutoire, il faut appliquer les principes énoncés par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid. Le litige est réel; il s'agit de déterminer si la prescription de l'alinéa 9(1)J) de la Loi sur les marques de commerce s'applique à «l'emblème héraldique de la Croix-Rouge» ou à «l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc»; et la balance des avantages et des inconvé- nients penche nettement du côté du refus de l'injonction interlo- cutoire. La demanderesse a le droit de chercher à limiter le montant éventuel des dommages-intérêts; cependant, l'équité exige que l'on tienne compte de l'effet qu'aurait une injonction interlocutoire sur l'ensemble des produits M*A*S*H en vente au Canada, et particulièrement sur ceux qui arborent le dessin litigieux. La crainte qu'a la demanderesse de perdre sa clientèle et la confiance du public peut difficilement être compensée par des dommages-intérêts et, d'après la preuve administrée, ne repose pas sur des faits objectivement vérifiables.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Re Starr and Township of Puslinch et al. (1976), 12 O.R. (2d) 40 (C. div.); American Cyanamid v. Ethicon, [1975] 1 All ER 504 (H:L.).
AVOCATS:
J. Banfill, c.r. et S. Dans pour la demande- resse.
R. S. Jolliffe et G. W. Wall pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour la demanderesse.
Gowling & Henderson, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Trois requêtes ont été entendues en l'espèce dont deux sur lesquelles il n'a pas été statué; il sera aussi nécessaire de se référer à la troisième. Voici ces deux requêtes:
1. Une requête de Twentieth Century -Fox Film Corporation, appelée ci-après «Fox», propriétaire des marques de commerce «M*A*S*H» et «4077th», en intervention à titre de défenderesse ou, subsidiairement, à titre d'intervenante à l'action;
2. Une demande d'injonction interlocutoire de la demanderesse pour interdire à la défenderesse d'utiliser l'emblème héraldique de la Croix- Rouge.
L'alinéa 9(1)f) de la Loi sur les marques de commerce' porte:
9. (1) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:
J) l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc, formé en transposant les couleurs fédérales de la Suisse et retenu par la Convention de Genève pour la protection des victimes de guerre de 1949, comme emblème et signe distinc- tif du service médical des forces armées et utilisé par la Société de la Croix-Rouge Canadienne; ou l'expression «Croix-Rouge» ou «Croix de Genève»;
Ce sont des serviettes vertes qui sont en cause; on en fait la réclame à la page 40 du catalogue de Noel 1982 de la défenderesse apparaît un dessin combinant une croix rouge et les marques de commerce de Fox, comme ceci:
La croix est rouge, les lettres et les chiffres, noirs et le fond, vert.
' S.R.C. 1970, chap. T-10.
Le dessin a été conçu pour Fox et lui appartient. Quelque 27 titulaires de licence au Canada ont le droit de l'utiliser sur leurs marchandises. La défen- deresse a acheté les serviettes à l'un d'eux; il n'y a aucun lien contractuel entre Fox et la défende- resse. Fox a un intérêt manifeste et immédiat dans l'issue de l'instance. La demanderesse, cherchant de toute évidence à limiter les dommages-intérêts qu'elle pourrait avoir à payer si elle obtenait l'in- jonction interlocutoire, sans avoir gain de cause sur le fond, a choisi de n'actionner qu'un commerçant, relativement à un seul article.
La Règle de la Cour applicable à la requête de Fox est la Règle 1716(2)b) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]:
Règle 1716... .
(2) La Cour peut, à tout stade d'une action, aux conditions qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit sur demande,
6) ordonner que soit constituée partie une personne qui aurait être constituée partie ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valablement et complètement juger toutes les questions en litige dans l'ac- tion et statuer sur elles,
Je ne connais aucune règle de la Cour, autre que la Règle 1010, qui est une règle d'amirauté, qui autorise une partie à être constituée à titre d'inter- venante dans l'action. Il est inutile d'avoir recours à la Règle 5, la [TRADUCTION] «règle des lacunes», puisque les règles de l'Ontario applicables sont, à toutes fins utiles, identiques aux Règles de la Cour. Les affaires dans lesquelles la règle des lacunes a été invoquée pour autoriser la mise en cause d'intervenants semblent toutes provenir du Québec le Code de procédure civile prévoit l'intervention. Fox doit être mise en cause à titre de défenderesse ou ne pas l'être. Elle ne peut l'être que si elle satisfait au moins à l'un des critères de la Règle 1716(2)b).
Dans le cas de la règle ontarienne correspon- dante, la Cour divisionnaire 2 a passé en revue la jurisprudence anglaise et ontarienne dans une affaire de contrôle judiciaire était en cause le comportement d'un conseil municipal lors de l'adoption d'un plan officiel. Les requérantes, qui voulaient intervenir à titre d'intimées, avaient
2 Re Starr and Township of Puslinch et al. (1976), 12 O.R. (2d) 40 (C. div.).
[TRADUCTION] «Un intérêt commercial considéra- ble» dans l'issue de la cause mais n'avaient pas été parties à la fraude ni au vice de forme prétendu- ment commis par la municipalité et ses dirigeants. Il fut décidé qu'il n'était pas nécessaire que le requérant ait un intérêt immédiat dans le litige; il suffisait que la décision porte directement atteinte à ses droits ou à ses intérêts pécuniaires. Même alors, la Cour conservait le pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête si elle estimait que ses intérêts étaient déjà suffisamment défendus.
Fox a, en l'espèce, un intérêt direct dans le litige lui-même. La décision, si la demanderesse a gain de cause, aura des incidences directes sur les droits et les intérêts pécuniaires de Fox. Certes, la défen- deresse va présenter une défense à l'action, mais son intérêt dans l'affaire n'est évidemment pas comparable à celui de Fox. Fox ne devrait pas être obligée de défendre ses droits par personne inter posée. L'y obliger serait courir le risque que ses' intérêts ne soient pas adéquatement défendus.
En ordonnant que Fox soit constituée partie défenderesse et que la déclaration soit révisée en conséquence, je n'ordonne pas que la demande- resse élargisse la portée de son action au-delà du seul article vendu par un détaillant unique, voie qu'elle a déjà choisie. Je crois comprendre que Fox, si elle agissait comme demanderesse, devrait normalement fournir une caution judicatum solvi pour les dépens. Elle devra donc, en l'espèce, four- nir cette sûreté pour les dépens de la demande- resse, si on la demande. J'appelle l'attention des parties sur la Règle 1716(3) et (4). Au cas des directives supplémentaires seraient nécessaires, les parties pourront s'adresser à la Cour.
J'en viens à la demande d'injonction interlocu- toire de la demanderesse. La troisième requête citée avait été présentée par la demanderesse pour obtenir le rejet de l'affidavit de Chris Yaneff, déposé en opposition. Yaneff est un graphiste. L'affidavit exprime certaines opinions qui appuient l'argument de la défenderesse que sa cause est défendable. C'est, à mon avis, parfaitement justifié de la part de la défenderesse; dans les cas appro- priés, le témoignage d'experts est admissible. Il n'est ni nécessaire ni souhaitable que je statue, à ce stade, sur la distinction à faire entre l'expression
«confusion avec», employée à l'article 6, et l'expres- sion «dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec», utilisée à l'article 9. Qu'il suffise de dire, indépendamment de l'avis de Yaneff, qui peut porter ou non sur [TRADUCTION] «le point litigieux en dernière ana lyse», je suis convaincu que tant la demanderesse que la défenderesse ont des causes défendables.
Le litige est réel: la prescription de l'alinéa 9(1)f) s'applique-t-elle à «l'emblème héraldique de la Croix-Rouge» ou à «l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc»? Cela est clair même sans la déposition de Yaneff. Ce n'est que si le fond blanc est protégé que la question de la res- semblance se pose. La déposition de Yaneff n'a pas fait pencher la balance parce que je n'ai pas jugé nécessaire d'en tenir compte.
Je reconnais que les principes à appliquer en l'espèce sont ceux énoncés par lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid v. Ethicon 3 . Comme il y a litige réel, il faut soupeser les inconvénients réciproques pour les parties. En l'espèce, je crois qu'il est parfaitement justifié de tenir compte non seulement de la position que prend la défenderesse à l'égard des serviettes mais de celle de toutes les parties: Fox, ses licenciés et les autres commer- çants. La demanderesse a parfaitement le droit de chercher à limiter le montant éventuel des domma- ges-intérêts, mais l'équité exige que l'on tienne compte de l'effet qu'aurait une injonction interlo- cutoire sur l'ensemble des produits M*A*S*H en vente au Canada, et particulièrement sur ceux qui arborent le dessin litigieux.
Considérant les affidavits de Muriel E. Craig, produit au nom de la demanderesse, et de Robert W. Mulcahy, produit au nom de la défenderesse, et la transcription des notes sténographiques de leurs contre-interrogatoires, je suis convaincu que la balance des avantages et des inconvénients penche nettement du côté du refus de l'injonction interlocutoire. Le dommage que craint la deman- deresse—perte de sa clientèle et de la confiance du public—ne repose pas sur des faits objectivement vérifiables d'après la preuve administrée.
3 [1975] 1,A11 ER 504 (H.L.).
ORDONNANCE
1. La demande d'injonction interlocutoire est rejetée avec dépens à la défenderesse, Simpsons, quelle que soit l'issue du litige.
2. I1 n'y aura pas allocation de dépens pour la requête relative à l'affidavit Yaneff.
3. Twentieth Century -Fox Film Corporation sera constituée partie défenderesse. Les parties pourront, par requête, demander toute autre direc tive utile au sujet de la présente ordonnance. Les dépens de cette requête suivront l'issue de la cause entre la demanderesse et Twentieth Century -Fox Film Corporation.
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