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A-787-81
Odilon Gionest et autres (demandeurs) c.
Commission d'assurance-chômage et Monsieur le juge Dubé en sa qualité de juge-arbitre (défen- deurs)
Cour d'appel, juges Pratte et Ryan, juge suppléant Lalande—Québec, 12 mai; Ottawa, 11 juin 1982.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Assurance- chômage Le juge-arbitre a décidé que les requérants ont perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail à un conflit collectif Usine de transformation de poisson ouverte durant la saison de pêche L'employeur a retardé la réouverture au printemps jusqu'à ce qu'une nouvelle convention collective soit signée La Commission a réclamé le remboursement des prestations versées au cours de la prolongation de la période de chômage et pendant la négociation de la convention collec tive, pour le motif que les employés avaient perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail à un conflit collectif, comme le prévoit l'art. 44(1) Le Conseil arbitral a conclu qu'il n'y a pas eu de conflit collectif puisque les négociations se sont bien déroulées, sans interruption et qu'il n'y a eu ni demande de conciliation, ni refus de travailler, ni piquetage Le juge- arbitre a accueilli l'appel, ayant conclu qu'il y a eu conflit et que les requérants ont perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail à un conflit collectif Ceux-ci soutiennent qu'il n'y a pas eu de conflit collectif ou qu'ils n'ont pas perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail Demande accueillie sur la base du second motif On ne peut perdre un emploi qu'on n'a pas Le fait pour une personne de perdre une occasion d'être employée ne constitue pas une perte de son emploi au sens de l'art. 44(1) puisque cet emploi n'a jamais été le sien Le droit d'être rappelé ne constitue pas un emploi et il n'a pas été perdu Le juge Pratte et le juge Ryan ont conclu qu'il y a eu conflit parce qu'on a recourir à des négociations Le juge suppléant Lalande a conclu que l'existence d'un conflit était une question de fait qui doit être tranchée par le Conseil arbitral et qu'une telle décision ne doit être annulée que si elle découle d'une conclusion de fait erronée comme le prévoit l'art. 95c) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28 Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 44(1),(4), 95c) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 56).
AVOCATS:
Jacques Daigle pour les demandeurs [requé-
rants] .
Guy Laperriére pour les défendeurs [intimés].
PROCUREURS:
Paré, Daigle & Boyer, Québec, pour les demandeurs [requérants].
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs [intimés].
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Ce pourvoi, fondé sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, est dirigé contre une décision prononcée par un juge-arbitre en vertu de la Partie V de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48. Par cette décision le juge-arbitre a infirmé la décision d'un Conseil arbitral et jugé, en fait, que les requérants ont indûment reçu certaines des prestations d'assu- rance-chômage qui leur ont été payées au prin- temps 1980.
La coopérative «Les Pêcheurs Unis du Québec» exploite plusieurs usines de transformation de pois- son en Gaspésie. Ces usines ne sont ouvertes que pendant la saison de pêche; elles ferment durant l'hiver. Ceux qui y sont employés sont mis à pied en novembre ou décembre; on les rappelle au travail lors de la réouverture, en avril ou mai de l'année suivante.
En 1979, les requérants ont travaillé à l'usine de «Les Pêcheurs Unis du Québec» à Newport. Leurs conditions de travail étaient fixées par une conven tion collective intervenue entre le syndicat accré- dité pour les représenter et leur employeur. Cette convention prévoyait, entre autres, que l'employeur devait, lors de la réouverture de l'usine au prin- temps de chaque année, offrir du travail à ses employés de l'année précédente, en commençant par les plus anciens. Elle prit fin le 31 décembre 1979 après que les requérants eurent été mis à pied pour l'hiver. En mars, avril et mai 1980, des représentants du syndicat et de l'employeur se rencontrèrent pour négocier une nouvelle conven tion. Ces négociations portèrent fruit: la nouvelle convention fut signée le 9 mai 1980. Aussitôt après, l'employeur rouvrit son usine et les requé- rants retournèrent au travail. Cette réouverture aurait pu avoir lieu plus tôt, mais, dès le début des négociations, . en mars, l'employeur avait décidé de maintenir l'usine fermée aussi longtemps que la nouvelle convention n'aurait pas été signée. Il était déjà arrivé, au cours de négociations antérieures, que les employés aient fait la grève pour appuyer les revendications de leur syndicat. L'employeur ne
voulait pas que cela se répète. À cause de cela, l'employeur tarda à rouvrir l'usine au printemps 1980 et les requérants demeurèrent en chômage plus longtemps qu'ils ne l'auraient été autrement. Le seul problème que soulève cette affaire con- cerne le droit des requérants de recevoir des pres- tations d'assurance-chômage pendant cette prolon gation de leur chômage attribuable à la décision de l'employeur de ne pas rouvrir l'usine avant la signature de la nouvelle convention collective. La Commission leur a réclamé le remboursement des prestations qu'ils avaient reçues pendant cette période au motif que, suivant l'article 44 de la Loi, ils étaient inadmissibles au bénéfice des prestations parce qu'ils avaient perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail à un conflit collectif. Les requé- rants interjetèrent appel devant un Conseil arbi- tral. Le Conseil leur donna raison et jugea que l'article 44 était inapplicable en l'espèce parce que l'arrêt de travail n'était pas à un conflit collec- tif. Cet arrêt était au fait que les parties étaient à négocier une convention collective. Or, suivant le Conseil, il n'y a pas de conflit entre des parties qui négocient une convention collective dans le cas les négociations se déroulent bien, sans interrup tion, et qu'il n'y a ni demande de conciliation, ni refus de travailler, ni piquetage.
La Commission appela devant le juge-arbitre. Celui-ci fit droit à l'appel et jugea que, suivant l'article 44, les requérants étaient inadmissibles à recevoir les prestations en question. Suivant le juge-arbitre, il y avait conflit entre l'employeur et les employés au sens du paragraphe 44(4) lorsque ceux-ci négociaient une convention collective et les requérants devaient être considérés comme ayant perdu leur emploi «du fait d'un arrêt de travail à [ce] conflit». C'est cette décision qui fait l'objet de ce pourvoi.
L'avocat des requérants a d'abord soutenu que le juge-arbitre avait commis une erreur de droit en décidant qu'il peut y avoir conflit, au sens de l'article 44, entre deux parties qui négocient nor- malement une convention collective. Suivant l'avo- cat des requérants, il n'y a conflit entre employeur et employés à l'occasion de la négociation d'une convention collective qu'au moment les négocia- tions sont rompues et les parties cessent de se parler. Cet argument me paraît mal fondé. A mon sens, un conflit c'est un désaccord, une mésentente.
Les parties qui négocient une convention collective sont en désaccord. Si elles s'entendaient, la négo- ciation ne serait pas nécessaire. Le but de la négociation est précisément de mettre fin au désac- cord, au conflit. Le juge-arbitre a donc eu raison de décider qu'il y avait un conflit entre la coopéra- tive et ses employés. Sur ce point, sa décision me paraît irréprochable.
L'avocat des requérants a aussi prétendu que, de toute façon, même si l'on jugeait qu'il y avait un conflit collectif à l'usine travaillaient les requé- rants, l'article 44 était inapplicable parce que les requérants n'avaient pas perdu leur emploi du fait d'un arrêt de travail.
Ce second argument me semble fondé. Le para- graphe 44(1) prononce l'inadmissibilité du presta- taire «qui a perdu son emploi du fait d'un arrêt de travail à un conflit collectif». On ne peut perdre ce qu'on ne possède pas. Une personne ne peut perdre son emploi si elle n'a d'abord un emploi qu'elle perd subséquemment. Il est vrai que celui qui est sans emploi et qui perd une chance, une occasion d'être employé, perd, en un certain sens, un emploi; mais il ne perd pas son emploi puisque cet emploi n'a jamais été le sien. En l'espèce, les requérants étaient déjà en chômage lorsque l'em- ployeur, en raison des négociations en cours, a retardé l'ouverture de l'usine. Ils n'avaient, à ce moment, aucun emploi et, à cause de cela, ne pouvaient perdre leur emploi. Peut-être avaient-ils, en vertu de la convention collective expirée, le droit d'être rappelés au travail lors de l'ouverture de l'usine. Mais ce droit n'était pas un emploi. Et, en outre, ils ne l'ont jamais perdu: ce droit était conditionnel à la réouverture de l'usine et n'existait qu'après cette réouverture.
À mon avis, donc, le juge-arbitre a commis une erreur de droit en prenant pour acquis qu'une personne qui est sans emploi et qui perd une occasion d'être employée, perd son emploi au sens du paragraphe 44(1). Je sais qu'en décidant de cette façon le juge-arbitre n'a fait que suivre une jurisprudence arbitrale bien établie. Je ne peux, cependant, concilier cette jurisprudence avec le texte de l'article 44.
Pour ces motifs, je ferais droit à la requête, je casserais la décision attaquée et je renverrais l'af-
faire au juge-arbitre pour qu'il la décide en pre- nant pour acquis que des personnes qui, comme les requérants, n'étaient pas employées ne pouvaient perdre leur emploi au sens de l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
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Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord avec le juge Pratte que la demande faite en vertu de l'article 28 devrait être accordée et que l'affaire devrait être renvoyée au juge-arbitre comme il le propose. Je partage, en effet, l'opinion exprimée par le juge Pratte qu'une personne qui n'est pas employée et qui perd une chance de l'être ne perd pas son emploi au sens du paragraphe 44(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
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Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris à la conclusion du juge Pratte, ferais droit à la requête et renverrais l'affaire au juge-arbitre pour juge- ment conformément aux directives qu'il lui donne.
Je ne suis pas prêt cependant à souscrire à l'opinion exprimée par mon collègue, savoir que des parties qui négocient le renouvellement d'une convention collective sont nécessairement en désac- cord et en état de conflit au sens du paragraphe (1) de l'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage. À mon avis, il s'agit d'une question de fait et, à moins de pouvoir dire que le Conseil arbitral a fondé sa décision sur une consta- tation qui soit erronée comme le veut l'alinéa c) de l'article 95 [mod. par. S.C. 1976-77, chap. 54, art. 56] de la Loi, le juge-arbitre n'a pas le pouvoir d'infirmer la conclusion de fait à laquelle en est venu le Conseil.
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