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A-430-82
John C. Doyle (appelant) (requérant) c.
Commission sur les pratiques restrictives du com merce, O. G. Stoner, R. MacLellan, F. Roseman et F. H. Sparling (intimés) (intimés)
et
Canadian Javelin Limitée et procureur général du Canada (mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain— Ottawa, 8 février et 23 mars 1983.
Coalitions Canadian Javelin Limitée fait l'objet d'une enquête en vertu de l'art. 114 de la Loi sur les corporations canadiennes Appel de la décision rejetant une demande de certiorari, de prohibition et d'injonction pour faire cesser l'enquête L'art. 114 n'est pas ultra vires du Parlement fédéral La compétence du Parlement de créer des compa- gnies ayant des objets autres que provinciaux va jusqu'à pouvoir prescrire la tenue d'enquêtes sur des compagnies créées en vertu de ses lois dans le but de déterminer si leur formation ou leurs activités sont viciées par la fraude ou l'illégalité L'exposé des preuves, qui a été signé par l'avocat de l'inspecteur, est régulier Rien dans la Loi n'exige que l'inspecteur prépare ou signe lui-même l'exposé Le contenu de l'exposé satisfait aux exigences établies par la Loi Aux termes de l'art. 114(23),(24), l'inspecteur doit relater la preuve recueillie et indiquer ce sur quoi il fonde son opinion L'enquête de l'inspecteur est-elle soumise â l'obligation de suivre une procédure équitable? L'enquête prévue â l'art. 114 se déroule en deux étapes: en premier lieu, l'inspecteur fait enquête et transmet à la Commission un exposé des preuves recueillies; en second lieu, la Commission complète l'enquête, entend les intéressés et fait rapport au Ministre Les princi- pes de justice naturelle ne s'appliquent pas à l'enquête que mène l'inspecteur Devant la Commission, l'inspecteur agit à titre d'avocat de la Couronne Appel rejeté Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, chap. C-32, art. 114(1),(2),(22),(23),(24),(25),(26),(27),(29) (abrogé et remplacé par S.R.C. 1970 (1 e' Supp.), chap. 10, art. 12). .
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Propriété et droits civils dans la province Paix, ordre et bon gouver- nement La prétention portant que l'art. 114(2) de la Loi qui accorde à la Commission sur les pratiques restrictives du commerce le pouvoir d'enquêter sur des compagnies serait ultra vires, est rejetée Le Parlement est autorisé à légiférer relativement à des compagnies ayant des objets autres que provinciaux Il n'y a pas d'empiètement sur le pouvoir exclusif des provinces de légiférer sur la propriété et les droits civils dans la province et sur l'administration de la justice Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, chap. C-32, art. 114(2).
L'appelant, qui est actionnaire de Canadian Javelin Limitée, fait appel de la décision rejetant sa demande de certiorari, de prohibition et d'injonction qu'il avait présentée dans le but de
faire cesser l'enquête menée sur la compagnie en vertu de l'article 114 de la Loi sur les corporations canadiennes. L'appe- lant prétend 1) que l'article 114 qui autorise la Commission sur les pratiques restrictives de commerce à ordonner «que soit effectué un examen» d'une compagnie créée en vertu d'une loi du Parlement fédéral est ultra vires parce qu'il ressortit au pouvoir exclusif des provinces de légiférer sur «la propriété et les droits civils dans la province» et sur «l'administration de la justice dans la province»; 2) que l'exposé des preuves soumis par l'intimé Sparling a été irrégulièrement signé, car il porte la signature de l'avocat de l'intimé; 3) que le contenu de l'exposé ne répond pas aux exigences de la Loi; 4) que ledit exposé est le résultat d'une enquête qui a été menée sans suivre une procé- dure équitable, plus précisément, que l'intimé Sparling a fait preuve de partialité et n'a pas fourni à l'appelant l'occasion de se faire entendre avant que l'exposé des preuves ne soit transmis à la Commission.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
1) La validité de l'article 114: Le pouvoir d'adopter des lois prévoyant la tenue d'enquêtes au cours desquelles des témoins peuvent être forcés à comparaître pour témoigner ou pour produire des preuves appartient aux provinces s'il s'agit d'en- quêtes qui portent sur un sujet relevant de la compétence législative des provinces; il appartient au Parlement fédéral dans les autres cas. Le pouvoir du Parlement «de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada» l'autorise à légiférer relativement à l'incorporation de compa- gnies ayant des objets autres que provinciaux. Par conséquent, le Parlement peut non seulement créer ces compagnies, mais il peut aussi prescrire que des enquêtes puissent avoir lieu sur les compagnies créées en vertu de ses lois dans le but de déterminer si leur formation ou leurs activités sont viciées par la fraude ou l'illégalité. Ce pouvoir est un prolongement normal de la com- pétence législative du Parlement relativement à l'incorporation des compagnies et son exercice ne constitue pas un empiéte- ment sur le pouvoir exclusif des provinces de légiférer sur «la propriété et les droits civils» et sur «l'administration de la justice» dans la province.
2) La signature: La Loi n'exige pas que l'exposé soit signé par l'inspecteur qui a été chargé de l'enquête, ni que ce soit l'inspecteur seul qui écrive cet exposé. En vertu du paragraphe 114(2), l'inspecteur est tenu de faire le nécessaire pour que soit préparé un exposé qui, à son avis, résume de façon exacte les preuves qu'il a recueillies. Ce qui importe c'est que l'exposé soit transmis à la Commission par l'inspecteur ou à sa demande et qu'il n'y ait pas de motif raisonnable de croire que l'inspecteur, dans le cas il n'a pas préparé lui-même l'exposé, ne l'adopte pas comme étant le sien.
3) Le contenu: Il suffit de lire les paragraphes 114(23) et (24) pour constater que l'inspecteur, dans son exposé, en plus de relater la preuve recueillie, doit indiquer ce sur quoi il fonde son opinion que la preuve révèle l'une ou plusieurs des situa tions prévues au paragraphe 114(2). C'est exactement ce qui a été fait en l'espèce.
4) La procédure à suivre lors de l'enquête: L'enquête prévue par l'article 114 se déroule en deux étapes: en premier lieu, l'inspecteur fait enquête et transmet à la Commission un exposé des preuves recueillies, exposé il formule normalement des allégations contre des tiers; en second lieu, la Commission considère cet exposé, complète l'enquête en recevant des preu-
yes additionnelles et, après avoir fourni à tous les intéressés l'occasion de se faire entendre, fait rapport au Ministre. Il apparaît certain que le législateur a voulu que les principes de justice naturelle et d'équité s'appliquent à l'enquête menée par la Commission. Toutefois, on n'a pas voulu que ces mêmes principes s'appliquent à l'inspecteur qui joue, dans cette enquête, un rôle qui ressemble à celui d'un procureur de la Couronne dans une affaire criminelle. S'il est vrai que l'obliga- tion de suivre une procédure équitable peut exister sans que la loi l'impose expressément, il ne s'ensuit pas que l'on doive toujours présumer l'intention du législateur d'imposer cette obligation.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
John Deere Plow Company, Limited v. Wharton, [1915] A.C. 330 (P.C.); Multiple Access Limited c. McCut- cheon, et autres, [1982] 2 R.C.S. '161; Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
DISTINCTION FAITE AVEC:
In re Pergamon Press Ltd., [1970] 3 W.L.R. 792 (C.A. Angl.).
DÉCISIONS CITÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [ 1979] 1 R.C.S. 311; Marti- neau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui, [1980] 1 R.C.S. 602; Regina v. Race Relations Board, Ex parte Selvarajan, [1975] 1 W.L.R. 1686 (C.A. Angl.).
AVOCATS:
Robert Décary, Grégoire Lehoux et Mario Simard pour l'appelant (requérant).
James Mabbutt pour les intimés (intimés) la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, O. G. Stoner, R. MacLellan et F. Roseman.
François Garneau pour l'intimé (intimé) F. H. Sparling.
PROCUREURS:
Noël, Décary, Aubry & Associés, Hull (Québec), pour l'appelant (requérant).
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (intimés) la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, O. G. Stoner, R. MacLellan et F. Roseman.
Desjardins, Ducharme, Desjardins & Bour- que, Montréal, pour l'intimé (intimé) F. H. Sparling.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: L'appelant est actionnaire de Canadian Javelin Limitée, une compagnie qui, depuis plusieurs années, fait l'objet d'une enquête en vertu de l'article 114 de la Loi sur les corpora tions canadiennes'. Il appelle de la décision du juge Marceau de la Division de première instance qui a rejeté la requête en certiorari, prohibition et injonction qu'il avait présentée dans le but de faire cesser cette enquête.
Pour comprendre le litige, il faut être familier avec l'article 114 de la Loi sur les corporations canadiennes et savoir qu'il contient les dispositions suivantes:
114. (1) Cinq actionnaires ou plus détenant des actions représentant dans l'ensemble au moins un dixième du capital émis de la compagnie ou un dixième des actions émises de toute catégorie d'actions de la compagnie peuvent demander, ou le Ministre de sa propre initiative peut faire demander, à la Commission d'enquête sur les pratiques restrictives du com merce établi en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (ci-après appelée dans le présent article la .Commis- sionD), une ordonnance prescrivant un examen de la compagnie pour laquelle la demande est faite, soit après avoir donné un avis raisonnable à la compagnie ou autre partie intéressée, soit ex parte si la Commission estime que le fait de donner avis nuirait indûment à tout examen qui pourrait être ordonné par la Commission en raison des allégations faites par les requé- rants ou pour le compte du Ministre.
(2) Lorsque le Ministre ou, sous la foi d'une déclaration solennelle, les actionnaires qui ont fait la demande d'examen ont démontré à la Commission qu'il y a des motifs raisonnables de croire, en ce qui concerne la compagnie, que
a) ses opérations ou les opérations d'une compagnie qui lui est affiliée sont faites avec l'intention de frauder quelqu'un;
b) dans la conduite de ses affaires ou des affaires d'une compagnie qui lui est affiliée ont été accomplis à tort un ou plusieurs actes d'une manière préjudiciable aux intérêts d'un actionnaire;
c) elle a ou une compagnie qui lui est affiliée a été formée dans un but frauduleux ou illégal ou qu'on se propose de la dissoudre de quelque manière que ce soit dans un but fraudu- leux ou illégal; ou
d) les personnes intéressées par sa formation, ses affaires ou sa gestion, ou par la formation, les affaires ou la gestion d'une compagnie qui lui est affiliée, se sont à cet égard rendues coupables de fraude, d'abus de pouvoir ou autre faute du même genre,
la Commission peut rendre une ordonnance pour que soit effectué un examen de la compagnie et nommer un inspecteur à cette fin.
' S.R.C. 1970, chap. C-32, [mod. par] (1' Supp.), chap. 10, art. 12.
(22) Avec l'assentiment écrit de la Commission, l'inspecteur peut, à tout stade d'un examen et en plus de ou au lieu de poursuivre l'examen, remettre tous documents, registres, rap ports ou preuves au procureur général du Canada pour lui permettre de considérer si une infraction à une loi a été ou est sur le point d'être commise et pour toute action qu'il est loisible au procureur général de prendre.
(23) A tout stade d'un examen
a) l'inspecteur peut, s'il est d'avis que les preuves recueillies révèlent un fait allégué comme l'indique le paragraphe (2), ou
b) l'inspecteur doit, si le Ministre l'exige,
préparer un exposé des preuves recueillies au cours de l'examen, qui doit être soumis à la Commission et à chaque personne contre laquelle une allégation y est faite.
(24) Au reçu de l'exposé, la Commission doit fixer les temps et lieu les preuves et les arguments à l'appui de l'exposé peuvent être présentés par l'inspecteur ou en son nom et les personnes contre lesquelles une allégation a été faite dans l'exposé doivent avoir la possibilité de se faire entendre en personne ou par procureur.
(25) La Commission examinera l'exposé soumis par l'inspec- teur en vertu du paragraphe (23) ainsi que les autres preuves ou pièces présentées à la Commission et elle devra aussitôt que possible en faire rapport au Ministre.
(26) Un rapport de la Commission en vertu du paragraphe (25) doit être rendu public par le Ministre à moins que, de l'avis de la Commission indiqué dans son rapport au Ministre, il ne soit pas souhaitable dans l'intérêt public ou ne soit pas nécessaire de publier le rapport ou toute partie dudit rapport; dans un tel cas le rapport ou la partie affectée ne doit pas être publiée.
(27) Dans son rapport au Ministre en vertu du paragraphe (25), la Commission peut, si elle l'estime nécessaire dans l'intérêt public, demander au Ministre d'engager, de continuer ou de régler des procédures au nom de la compagnie dont les affaires et la gestion ont fait l'objet de l'examen et du rapport; et le Ministre est investi de tous les pouvoirs nécessaires à cet effet.
(29) Nul rapport ne doit être fait par la Commission en vertu du paragraphe (25) contre toute personne à moins que cette personne n'ait eu la possibilité de se faire entendre, comme le prévoit le présent article.
L'enquête prévue à l'article 114 se fait donc en deux temps: d'abord, l'inspecteur nommé par la Commission procède à un examen des affaires et de la gestion de la compagnie et, s'il est d'avis que les preuves recueillies révèlent une des situations décrites au paragraphe 114(2), transmet à la Com mission un exposé des preuves qu'il a recueillies; ensuite, la Commission donne à l'inspecteur et à tous ceux contre qui il a formulé des allégations dans son exposé l'occasion de se faire entendre et
fait rapport au Ministre.
C'est le 17 mai 1977 que la Commission sur les pratiques restrictives du commerce a ordonné, suite à une demande du ministre de la Consomma- tion et des Corporations, que Canadian Javelin Limitée fasse l'objet d'une enquête. Le dispositif de l'ordonnance qu'elle rendit ce jour-là se lit comme suit:
[TRADUCTION] La Commission, par les présentes, ordonne l'examen des affaires et de l'administration de Canadian Jave lin Limitée à partir de la date de sa constitution en corporation, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède, l'examen relatif à l'origine et à la disposition de son fonds d'immobilisation, à la tenue des registres de l'entreprise et des registres comptables, à la divulgation de renseignements finan ciers et autres aux actionnaires, au respect des engagements statutaires, à l'acquisition, à l'exploitation et à la disposition de son actif et de celui des compagnies qui lui sont affiliées, à la vente de ses actions et de celles des compagnies affiliées, et à la manière dont Canadian Javelin Limitée traite ces compagnies affiliées. La Commission ordonne que M. Frederick H. Spar- ling, directeur des corporations au ministère de la Consomma- tion et des Corporations, soit désigné inspecteur à cette fin.
L'intimé Sparling procéda ensuite à son enquête. Le 26 janvier 1982, il transmit à la Commission un exposé des preuves qu'il avait recueillies. Dans ce document, il disait d'abord en être venu à la conclusion que l'appelant Doyle avait utilisé Canadian Javelin Limitée pour s'enrichir fraudu- leusement aux dépens des autres actionnaires de la compagnie; il poursuivait en formulant les recom- mandations qu'il suggérait à la Commission de faire au Ministre. Après avoir reçu cet exposé, la Commission convoqua l'appelant et les autres inté- ressés à des audiences publiques qui devaient com- mencer le 26 avril 1982. Peu après le début de ces audiences, l'appelant présenta à la Division de première instance une requête en certiorari, prohi bition et injonction demandant que l'on interdise à Sparling et à la Commission de procéder plus avant en cette affaire. Il prétendait que l'article 114 de la Loi sûr les corporations canadiennes était inconstitutionnel et que, de toute façon, la Commission n'aurait pas donner suite à la production de l'exposé des preuves qui lui avait été soumis en l'espèce parce que ce document n'avait pas été préparé conformément à la Loi. Monsieur le juge Marceau a rejeté cette requête [T-3351-82, ordonnance en date du 21 mai 1982]. C'est cette décision que l'appelant attaque aujourd'hui. À l'appui de son pourvoi, il reprend quatre des argu-
ments qu'il a soumis en première instance. Il pré- tend que le Parlement canadien n'avait pas le pouvoir d'adopter l'article 114 de la Loi sur les corporations canadiennes, que l'exposé des preuves soumis par l'intimé Sparling a été irrégulièrement signé, que son contenu ne répond pas aux exigen- ces de la Loi et qu'il est le résultat d'une enquête que l'intimé Sparling a menée sans suivre une procédure équitable.
1. La constitutionnalité de l'article 114
L'appelant plaide l'inconstitutionnalité du para- graphe 114(2) de la Loi sur les corporations cana- diennes qui autorise la Commission sur les prati- ques restrictives du commerce à ordonner «que soit effectué un examen» d'une compagnie créée en vertu d'une loi du Parlement fédéral. Il prétend que cette disposition est ultra vires du Parlement fédéral parce qu'elle ressortit au pouvoir exclusif des provinces de légiférer sur «la propriété et les droits civils dans la province» et sur «l'administra- tion de la justice dans la province».
Cette prétention ne me paraît pas fondée. Le pouvoir d'adopter des lois prévoyant la tenue d'en- quêtes au cours desquelles des témoins peuvent être forcés à comparaître pour témoigner ou pro- duire des preuves n'appartient en propre ni aux législatures provinciales ni au Parlement fédéral, Tout dépend du sujet et du but de ces enquêtes. Ce pouvoir appartient aux provinces s'il s'agit d'en- quêtes qui portent sur un sujet relevant de la compétence législative des provinces; il appartient au Parlement fédéral dans les autres cas. D'autre part, il est établi depuis longtemps que le pouvoir du Parlement «de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada» l'autorise à légiférer relativement à l'incorporation de compa- gnies ayant des objets autres que provinciaux (John Deere Plow Company, Limited v. Wharton, [1915] A.C. 330 [P.C.]). Et ce pouvoir du Parle- ment relativement à l'incorporation des compa- gnies ne doit pas être conçu ou défini de façon étroite (Multiple Access Limited c. McCutcheon, et autres [[1982] 2 R.C.S. 161]). A mon avis, dans l'exercice de ce pouvoir, le Parlement peut non seulement créer ou autoriser la création de compa- gnies ayant des objets autres que provinciaux, mais il peut aussi prescrire que des enquêtes puissent avoir lieu sur les compagnies créées en vertu de ses
lois dans le but de déterminer si leur formation ou leurs activités ne sont pas viciées par la fraude ou l'illégalité. Ce pouvoir de décréter la tenue d'en- quêtes me paraît être un prolongement normal de la compétence législative du Parlement relative- ment à l'incorporation des compagnies. Je ne vois pas que son exercice puisse constituer un empiéte- ment sur le pouvoir exclusif des provinces de légi- férer sur «la propriété et les droits civils dans la province» et sur «l'administration de la justice».
2. L'irrégularité de l'exposé des preuves
Les trois autres arguments de l'appelant se rap- portent à l'exposé des preuves soumis à la Com mission par l'intimé Sparling. Ce document, pré- tend-on, ne répondait pas aux exigences de la Loi et, à cause de cela, la Commission n'aurait lui donner aucune suite. Cette prétendue irrégularité de l'exposé tiendrait à la façon dont il a été signé, à son contenu et à la façon dont l'intimé Sparling a mené son enquête.
A) La signature
Le dossier révèle que, le 26 janvier 1982, l'in- timé Sparling a déposé auprès de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce un document portant l'intitulé suivant:
[TRADUCTION] EXPOSÉ DES PREUVES COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES PRATIQUES RESTRICTIVES DU COMMERCE
AFFAIRE INTÉRESSANT UNE ENQUÊTE TENUE EN VERTU DE L'ARTICLE 114(2) DE LA LOI SUR LES CORPORATIONS CANA- DIENNES, ORDONNANT UNE ENQUÊTE SUR CANADIAN JAVE LIN LIMITÉE, UNE COMPAGNIE CONSTITUÉE EN VERTU DE LA LOI SUR LES COMPAGNIES, S.C. 1934, CHAP. 33, MODIFIÉE.
Ce document n'était pas signé par l'intimé Spar- ling; il se terminait de la façon suivante:
LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS
PIERRE BOURQUE, AVOCAT DE L'INSPECTEUR DESJARDINS, DUCHARME, DESJARDINS & BOURQUE
L'appelant déduit de cela que l'exposé en ques tion n'a pas été préparé par l'intimé Sparling mais plutôt par son avocat, Me Pierre Bourque. Comme le paragraphe 114(23) prévoit que l'exposé des preuves doit être préparé par l'inspecteur chargé de l'enquête, l'appelant invoque la règle «delegatus non potest delegare» et conclut à la nullité de
l'exposé des preuves.
Cet argument est tout entier fondé sur la pré- misse que l'intimé Sparling aurait délégué illégale- ment à son avocat le soin de préparer l'exposé des preuves. Cette prémisse ne me paraît pas établie. La Loi n'exige pas que l'exposé soit signé par l'inspecteur qui a été chargé de l'enquête. Elle n'exige pas non plus que ce soit l'inspecteur seul qui écrive cet exposé. Comme je comprends la Loi, elle exige d'abord que l'inspecteur soit d'opinion que la preuve recueillie lors de son enquête révèle l'une ou l'autre des situations décrites aux divers alinéas du paragraphe 114(2); elle exige aussi que l'inspecteur prépare et soumette à la Commission un exposé des preuves recueillies lors de l'enquête ce qui, suivant mon interprétation, oblige l'inspec- teur à faire le nécessaire pour que soit préparé un exposé qui, à son avis, résume de façon exacte et suffisante les preuves qu'il a recueillies. Il importe peu que l'inspecteur écrive lui-même l'exposé ou confie cette tâche à un tiers; il importe peu que l'exposé ne porte aucune signature ou soit signé par l'avocat de l'inspecteur. Ce qui importe c'est que l'exposé soit transmis à la Commission par l'inspecteur ou à sa demande et qu'il n'y ait pas de motif raisonnable de croire que l'inspecteur, dans le cas il n'a pas préparé lui-même l'exposé, ne l'adopte pas comme étant le sien. C'est dire que je partage l'opinion que monsieur le juge Marceau exprimait dans les termes suivants:
En l'absence d'exigence formelle de la loi, l'inspecteur n'était pas tenu de rédiger lui-même et de signer personnellement l'«xxposé des preuves» qu'il entendait soumettre à la Commis sion intimée dans l'exécution des devoirs que lui imposait ledit article 114, dès lors qu'il était acquis que cet «exposé» était le sien et qu'il était signé et présenté en son nom ...
B) Le contenu de l'exposé
L'appelant soutient que l'exposé soumis à la Commission par l'intimé Sparling contient autre chose que ce qu'il devrait contenir. Ce que l'ins- pecteur doit préparer, suivant la Loi, c'est un «exposé des preuves recueillies au cours de l'exa- men». Or, affirme l'appelant, le document soumis à la Commission en l'espèce, au lieu de contenir un simple exposé neutre et impartial des preuves recueillies, contenait un exposé subjectif de ces preuves l'inspecteur donnait son appréciation personnelle des preuves et les conclusions qu'il en
tirait.
Cet argument doit, lui aussi, être rejeté. Il suffit de lire les paragraphes 114(23) et (24) pour cons- tater que la Loi envisage, d'une part, que l'inspec- teur doit formuler dans son exposé des allégations contre des tiers et, d'autre part, qu'il doit présenter à la Commission des arguments à l'appui de son exposé. Cela montre, à mon avis, que l'inspecteur, dans son exposé, en plus de relater la preuve recueillie, doit indiquer sur quoi il fonde son opi nion que la preuve révèle l'une ou plusieurs des situations prévues au paragraphe 114(2). L'intimé Sparling, dans l'exposé qu'il a soumis à la Com mission, n'a pas fait autre chose.
C) La procédure à suivre lors de l'enquête
Le dernier argument de l'appelant est que l'ex- posé des preuves transmis à la Commission par l'intimé Sparling est entaché de nullité parce qu'il résulte d'une enquête conduite sans égard aux principes de justice naturelle ou, plus exactement, sans suivre une procédure équitable (procedural fairness). En premier lieu, dit l'appelant, l'intimé Sparling n'aurait pas être nommé inspecteur parce qu'il y avait lieu, au moment de sa nomina tion, de douter de son impartialité; en second lieu, les accusations graves qu'il porte contre l'appelant dans son rapport démontrent sa partialité; en troi- sième lieu, il n'a pas fourni à l'appelant la chance de se faire entendre avant que l'exposé des preuves ne soit préparé et transmis à la Commission. À l'appui de ces prétentions, l'appelant invoque les décisions bien connues l'on a jugé que l'obliga- tion de suivre une procédure équitable doit être respectée par les autorités prenant des décisions administratives et aussi, en certains cas, par de simples commissions d'enquête (Nicholson c. Hal- dimand-Norfolk Regional Board of Commission ers of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui, [1980] 1 R.C.S. 602; In re Pergamon Press Ltd., [1970] 3 W.L.R. 792 [C.A. Angl.]; Regina v. Race Relations Board, Ex parte Selvarajan, [1975] 1 W.L.R. 1686 [C.A. Angl.]).
Il faut, pour apprécier correctement la valeur de cet argument, se rappeler que l'enquête prévue par l'article 114 doit se dérouler en deux étapes. En
premier lieu, l'inspecteur fait enquête et transmet à la Commission un exposé des preuves recueillies, exposé il formule normalement des allégations contre des tiers; en second lieu, la Commission considère cet exposé, complète l'enquête en rece- vant les preuves additionnelles qu'on veut bien lui soumettre et, après avoir fourni à tous les intéres- sés l'occasion de se faire entendre, fait rapport au Ministre. On ne peut comparer le rôle de l'inspec- teur dans cette enquête à celui qui était dévolu aux enquêteurs chargés de faire enquête et rapport sur Pergamon Press Ltd. Ici, l'inspecteur fait d'abord enquête et, s'il trouve qu'il y a lieu de croire que l'un des faits décrits au paragraphe 114(2) se soit produit, se transforme en accusateur devant la Commission à qui il appartient alors de compléter l'enquête en entendant tous les intéressés et de faire rapport. Il m'apparaît certain que le législa- teur a voulu que les principes de justice naturelle et d'équité invoqués par l'appelant s'appliquent à l'enquête menée par la Commission; il m'apparaît certain, aussi, que l'on a pas voulu que ces mêmes principes s'appliquent à l'inspecteur qui joue, dans cette enquête, un rôle qui ressemble à celui d'un procureur de la Couronne dans une affaire crimi- nelle. Comme le disait le juge Estey dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, la page 755, s'il est vrai que l'obligation de suivre une procédure équitable peut exister sans que la loi l'impose expressément, il ne s'ensuit pas que l'on doive toujours présumer l'intention du législateur d'imposer cette obligation. Tout dépend de la légis- lation applicable et de l'interprétation qu'elle doit recevoir.
Pour ces motifs, je confirmerais la décision du juge Marceau et rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE RYAN: Je SUIS d'accord. LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
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