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T-4311-81
Gerhard Horn Investments Ltd. (appelante)
c.
Registraire des marques de commerce (intimé)
Division de première instance, juge Cattanach— Ottawa, 8 et 24 juin 1983.
Marques de commerce Le registraire a jugé que le nom fictif «Marco Pecci» ne pouvait être enregistré comme marque de commerce Le fait que le Canadien moyen puisse le considérer comme le nom d'un particulier empêche-t-il l'enre- gistrement? Interprétation de l'art. 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce Le critère déterminant est I) de savoir si le mot est le nom ou nom de famille d'un particulier vivant ou récemment décédé 2) dans l'affirmative, de savoir si le mot n'est «principalement que» ce nom Appel accueilli Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 12(I )a), 60 Loi sur les marques de commerce, S.C. 1952-53, chap. 49, art. 12(I)a) Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, chap. 274, art. 26(1)b) Patents, Designs and Trade Marks Act, 1888, 51 & 52 Vict., chap. 50, art. 10 Loi sur le ministère de la Consommation et des Corporations, S.R.C. 1970, chap. C-27, art. 3 Loi d'inter- prétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 26(7).
Le registraire des marques de commerce a jugé que le nom fictif «Marco Pecci» ne pouvait être enregistré comme marque de commerce destinée à être employée en liaison avec des vêtements pour dames pour le motif qu'aux yeux des consom- mateurs, il serait considéré comme étant principalement le nom d'un particulier.
Jugement: l'appel de la décision du registraire est accueilli. Rien n'empêche d'adopter comme marque de commerce le nom d'une personne fictive à la condition qu'il ne corresponde pas au nom d'une personne vivante ou récemment décédée. Le premier critère permettant de déterminer si une marque de commerce peut être enregistrée en vertu de l'alinéa 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce est de savoir si le ou les mots devant former le nom dont on demande l'enregistrement correspondent au nom d'un particulier vivant ou récemment décédé. Ce n'est que lorsque cette condition préalable est remplie qu'il faut examiner le deuxième critère, c'est-à-dire se demander si la marque de commerce proposée n'est «principalement que» un nom ou nom de famille.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In the Matter of Holt and Co.'s Trade Mark (1896), 13 R.P.C. 118 (C.A. Angl.); Standard Oil Company v. The Registrar of Trade Marks, [1968] 2 R.C.E. 523; In re Mange! Stores Corporation, 165 USPQ 22 (1970).
DÉCISION EXAM IN ÉE:
McDonald's Corporation c. Le sous-procureur général du Canada, [1977] 2 C.F. 177; 31 C.P.R. (2d) 272 (1f» inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Le Registraire des Marques de Commerce c. Coles Book Stores Limited, [1974] R.C.S. 438; Calona Wines Limi-
ted c. Le registraire des marques de commerce, [1978] 1 C.F. 591; 36 C.P.R. (2d) 193 (1 1 e inst.); Elder's Bevera ges (1975) Ltd. c. Le registraire des marques de com merce, [1979] 2 C.F. 735; 44 C.P.R. (2d) 59 (1"° inst.); Galanos c. Registraire des marques de commerce (1982), 69 C.P.R. (2d) 144 (C.F. 1"° inst.).
AVOCATS:
James G. Fogo pour l'appelante. Arnold S. Fradkin pour l'intimé.
PROCUREURS:
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour l'appelante. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Appel est interjeté d'une décision rendue par le registraire des marques de commerce dans une lettre datée du 7 juillet 1981 dans laquelle ce dernier rejetait, après un long examen, la demande d'enregistrement des mots «Marco Pecci» comme marque de commerce desti née à être employée en liaison avec des vêtements pour dames.
La demande d'enregistrement produite le 16 novembre 1977 était fondée sur l'emploi, depuis le Zef juillet 1976 au plus tard, de la marque de commerce demandée.
La première réponse du bureau, par l'intermé- diaire d'une examinatrice, est datée du 4 octobre 1978 et dit notamment:
[TRADUCTION] La marque faisant l'objet de la présente demande est considérée comme étant principalement le nom d'un particulier.
Au regard des dispositions de l'article 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, ladite marque ne semble pas enregistrable.
Le registraire est d'avis que les consommateurs sont incapables de distinguer entre les noms fictifs et les noms véritables. Aux yeux du consommateur, MARCO PECCI serait donc le nom d'un particulier.
Si vous avez des commentaires à formuler n'hésitez pas à nous les faire parvenir, nous les examinerons avec soin.
Dans leur réponse du 4 avril 1979, les agents de la requérante demandèrent à l'examinatrice de reconsidérer sa décision de refuser l'enregistre- ment, compte tenu de la disposition suivante de l'alinéa 12(1)a) [de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10]:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable si elle ne constitue pas
a) un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
On a souligné qu'étant donné la présence des mots «vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes» à la suite du mot «particulier», il est possible d'enregistrer le nom ou le nom de famille d'un particulier à moins qu'il ne s'agisse du nom ou nom de famille d'une personne vivante ou décédée au cours de la génération précédente qui, pour des raisons pratiques, a été fixée à trente ans. Il n'existe donc aucun obstacle à l'enregistrement d'un tel nom ou nom de famille comme marque de commerce.
Cela ressort indubitablement de l'addition des mots précités de l'alinéa 12(1)a) qui se serait terminé sinon par le mot «particulier».
Les agents de la requérante ont rappelé dans leur réponse que, comme ils l'avaient souligné au paragraphe 3 de la demande, la marque de com merce dont on demandait l'enregistrement avait été inventée par la requérante dans le but évident de tirer profit du prestige dont jouissent les coutu- riers étrangers dans les milieux mondiaux de la mode féminine et qu'à cette fin, la requérante avait choisi le mot «Pecci» comme nom de famille pour sa connotation étrangère et l'avait fait précé- der du prénom «Marco» qui comporte la même connotation.
La marque de commerce a donc été «créée» par la combinaison de ces deux mots. Le nom qui en résulte est fictif. Il a été créé par une fiction, en l'occurrence la création d'un être imaginaire.
Rien n'empêche d'adopter comme marque de commerce le nom d'une personne fictive et aucune loi antérieure n'a jamais interdit l'enregistrement comme marques de commerce des noms de telles personnes fictives.
À mon avis, cette situation est perpétuée par le libellé de l'alinéa 12(1)a) de la Loi sur les mar- ques de commerce de 1953 [S.C. 1952-53, chap. 49] (actuellement en vigueur) qui, à d'autres égards, est venu modifier substantiellement l'arti- cle qui était en vigueur auparavant, soit l'alinéa
26(1)b) de la Loi sur la concurrence déloyale [S.R.C. 1952, chap. 274] en vertu duquel un mot servant de marque était enregistrable s'il n'était pas le nom d'une personne, d'une firme ou d'une corporation.
«Particulier>» est le mot clé de l'expression «le nom ou le nom de famille d'un particulier» à l'alinéa 12(1)a).
Pour ce qui est de l'interprétation de ce mot dans l'expression «le nom d'un particulier», à l'ali- néa 10a) [modifiant l'article 64 de la Loi] du Patents, Designs and Trade Marks Act 1888 [51 & 52 Vict., chap. 50], le lord juge Lindley disait ce qui suit dans In the Matter of Holt and Co.'s Trade Mark ((1896), 13 R.P.C. 118 [C.A. Angl.]) à la page 122:
[TRADUCTION] On pourrait peut-être, dans une métaphore, se servir du mot particulier pour désigner un personnage imagi- naire, mais un tel emploi serait inhabituel et, à mon avis, assez fantaisiste. Il est peu probable que le législateur ait voulu que le mot «particulier» soit pris dans un sens métaphorique ou fantai- siste; ou encore qu'il désigne un personnage imaginaire n'ayant pas et n'ayant jamais eu d'existence véritable.
Ce qu'interdit l'alinéa 12(1)a), c'est d'enregis- trer comme marque de commerce le «nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes». Il n'est donc pas interdit d'enregistrer le nom d'une per- sonne fictive sauf si, par quelque coup du hasard, le nom fictif inventé par celui qui en demande l'enregistrement correspond au nom d'une per- sonne vivante ou d'une personne décédée depuis moins de trente ans.
Malgré les arguments présentés par les agents de la requérante, l'examinatrice qui paraît relever d'un organisme fictif «Consommation et Corpora tions Canada» plutôt que d'un ministère fédéral appelé ministère de la Consommation et des Cor porations (voir S.R.C. 1970, chap. C-27, art. 3, dont le nom, soit dit en passant, n'a pas été modifié par une loi du Parlement) persista dans son opi nion et réaffirma dans une lettre datée du 25 avril 1979 que la marque de commerce «Marco Pecci» contrevenait aux dispositions de la Loi; elle cita à l'agent de la requérante le critère bien connu formulé par le président Jackett (tel était alors son titre) dans l'affaire Standard Oil Company v. The Registrar of Trade Marks ([1968] 2 R.C.E. 523, à la page 532) qui doit être appliqué pour détermi-
ner si le mot dont on veut se servir comme marque de commerce n'est «principalement que» le nom ou le nom de famille d'un particulier (c'est-à-dire une personne vivante par opposition à un personnage imaginaire) ou autre chose, comme par exemple un mot du dictionnaire, un mot inventé ou fabri- qué ou encore la marque de quelque entreprise commerciale.
Ce critère a été approuvé et adopté par la Cour suprême du Canada dans un jugement prononcé par le juge Judson, Le Registraire des Marques de Commerce c. Coles Book Stores Limited ([1974] R.C.S. 438).
Dans l'affaire Standard Oil, appelée aussi affaire Fior (précitée), le président Jackett affirme que la page 532] [TRADUCTION] «C'est plutôt la réaction de la population du Canada devant ce nom qui devrait servir de critère à l'intimé [c'est-à- dire le registraire des marques de commerce] ou, le cas échéant, au tribunal.»
Appliquant ce critère, il déclare alors [aux pages 532 et 533]:
[TRADUCTION] J'en conclus qu'une personne vivant au Canada, pourvue d'une intelligence moyenne et ayant reçu une éducation normale, en anglais ou en français, pourrait aussi bien considérer ce mot comme quelque marque de commerce que le prendre pour un nom de famille (c'est-à-dire en le prenant comme le nom d'un ou de plusieurs particuliers). En fait, je doute très sérieusement qu'une telle personne, face à ce mot, songe même qu'il puisse s'agir du nom de famille d'un particulier.
Le mot «Fior» était un sigle formé par le requé- rant en réunissant les premières lettres de chacun des mots suivants: «fluid iron ore reduction».
C'est un nom de famille rare. Dans sa déposition sous serment et dans l'affidavit qu'il a produit en preuve, le registraire lui-même a affirmé n'avoir trouvé qu'une seule personne de ce nom dans le bottin téléphonique de Montréal (Québec), neuf dans celui de Toronto (Ontario) et six dans les bottins téléphoniques de l'État de l'Illinois et des villes de Los Angeles et de San Francisco.
Le critère relatif au nom de famille formulé par le président Jackett et approuvé par le juge Judson a été suivi et appliqué dans les trois arrêts suivants: dans Calona Wines Limited c. Le registraire des marques de commerce ([[1978] 1 C.F. 591]; 36 C.P.R. (2d) 193 [1 �e inst.]), il fut établi que 41
personnes dans tout le Canada portaient le nom de famille «Fontana»; dans Elder's Beverages (1975) Ltd. c. Le registraire des marques de commerce ([[1979] 2 C.F. 735]; 44 C.P.R. (2d) 59 [lfe inst.]), le registraire a démontré que l'examen des bottins téléphoniques de 21 grandes villes du Canada avait révélé l'existence de 354 personnes du nom de famille «Elder»; et finalement, dans l'affaire Galanos c. Registraire des marques de commerce [(1982), 69 C.P.R. (2d) 144 (C.F. i inst.)], l'examen des bottins téléphoniques de Montréal et de Toronto a révélé la présence à Montréal et à Toronto de 2 et 3 personnes respec- tivement portant le nom de famille «Galanos»; le nom de famille du requérant était également «Galanos».
Le seul précédent concernant le nom d'une per- sonne composé d'un nom de famille et d'un prénom s'est présenté dans l'arrêt McDonald's Corporation c. Le sous-procureur général du Canada ([[1977] 2 C.F. 177]; 31 C.P.R. (2d) 272 [lie inst.]). Dans cette affaire, le registraire a refusé d'enregistrer comme marque de commerce les mots «Ronald McDonald» que la requérante projetait d'utiliser dans le domaine de l'alimenta- tion. Il s'appuyait sur deux motifs dont le premier est pertinent en l'espèce car il consistait à dire que la requérante n'avait pas réussi à établir que le nom «Ronald McDonald» n'était pas «principale- ment que le nom ... d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes».
Preuve a été faite devant mon collègue Addy qui a instruit la cause que le nom servait à identifier un clown fictif.
Bien que cela ne soit pas manifeste à la lecture des motifs du juge Addy, il y avait dans les pièces déposées devant lui, dont notamment tous les documents versés au dossier du bureau du regis- traire se rapportant aux procédures sous appel et transmis à la Cour conformément à l'article 60 de la Loi sur les marques de commerce, des éléments de preuve tendant à établir qu'il existait au Canada des particuliers vivants portant le nom de Ronald McDonald.
Le juge Addy a conclu que la preuve devant lui n'établissait pas que les exigences de l'alinéa 12(1)a) avaient été respectées en regard du critère formulé par le président Jackett dans l'affaire Standard Oil ou Fior (précitée). En effet, et c'est
mon interprétation, la réaction du grand public au Canada devant ces mots serait de les considérer comme le nom d'un particulier vivant plutôt que comme la marque de fabrique ou de commerce d'une entreprise. Par ailleurs, il s'agit en fait du nom de particuliers vivants au Canada.
En réponse à cette décision du bureau datée du 25 avril 1979, s'il s'agissait bien d'une décision, les agents de la requérante répliquèrent, dans une note datée du 25 octobre 1979, qu'ils contestaient pour deux motifs la décision de l'examinatrice de rejeter la demande d'enregistrement de la marque de commerce «Marco Pecci»:
[TRADUCTION] l) l'examinatrice ne s'est pas appuyée sur un fondement légal suffisant pour rejeter la demande, car après avoir accepté l'hypothèse que MARCO PECCI est une désignation fictive et inventée, créée pour servir de marque de commerce, l'examinatrice n'a pas prouvé qu'il se trouvait dans des bottins téléphoniques des personnes de ce nom vivantes ou décédées au cours des trente dernières années, et
2) que même si on pouvait établir que ces mots formaient un nom rare désignant une personne vivante ou décédée au cours des trente années précédentes, ces mots pouvaient néanmoins avoir comme caractéristique principale de former un mot inventé et donc d'être conformes au critère formulé dans l'arrêt Standard Oil par le président Jackett.
Dans sa réponse à cette note, datée du 21 février 1981, l'examinatrice continue à exprimer l'opinion que le nom «Marco Pecci» contrevient aux disposi tions de l'alinéa 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce mais condescend finalement à expli- quer aux agents de la requérante que:
[TRADUCTION] Le nom de famille PECCI apparaît dans les bottins téléphoniques suivants:
Toronto 1 inscription
Manhattan 1 inscription
Paris 1 inscription
L'ambassade d'Italie a informé l'examinatrice que le mot PECCI est effectivement un nom de famille et qu'une vérification des bottins téléphoniques de Rome et de Florence a permis d'y relever environ 10 inscriptions sous ce nom de famille.
Sur le fondement de ces renseignements, l'exa- minatrice a réaffirmé qu'à son avis:
[TRADUCTION] au Canada, une personne d'intelligence moyenne, ayant fait des études normales en anglais ou en français, considérerait les mots MARCO PECCI comme n'étant principalement que le nom d'un particulier.
ce qui correspond pour l'essentiel à la décision du 25 avril 1979 et, en des termes différents, à celle du 4 octobre 1978, déjà citée.
Une fois de plus, les agents de la requérante ont répondu:
[TRADUCTION] 1) qu'il n'a pas été établi que le nom «MARCO PECCI» est le nom d'une personne vivante ou décédée au cours des trente années précédentes, et
2) qu'il n'a pas été démontré que le nom de famille PECCI appartient à plus d'une personne ou famille au Canada ou à Manhattan (cette dernière inscription a disparu), et qu'il est autre chose qu'un nom extrêmement rare dans les deux villes les plus populeuses d'Italie, Rome et Florence.
Il est étrange que les inscriptions sous ce nom dans le bottin téléphonique des villes précitées n'aient pu être comptées avec précision et qu'on dise avoir relevé «environ 10» personnes de ce nom.
Cette réponse des agents de la requérante fut suivie d'une décision rendue dans une lettre datée du 7 juillet 1981 et signée par le registraire. Il importe de la reproduire, en raison particulière- ment du libellé des alinéas 2, 4, 5 et 6:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la demande d'enregis- trement de la marque de commerce décrite plus haut.
L'examinatrice s'est opposée à la marque de commerce sur le fondement de l'article 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce parce que MARCO PECCI n'était principalement que le nom d'un particulier.
La requérante a répondu que le nom MARCO PECCI «n'est pas le nom d'une personne qui existe ... mais est un nom fictif et inventé, créé pour servir de marque de commerce.»
L'examinatrice avait souligné précédemment que les consom- mateurs étaient incapables d'établir la distinction entre les noms fictifs et les noms véritables. Aux yeux des consomma- teurs, MARCO PECCI serait le nom d'un particulier.
PECCI n'est pas un nom de famille courant, comme nous l'avons souligné dans notre lettre du 21 février 1980, mais si on le fait précéder du prénom masculin MARCO, je pense que la grande majorité des Canadiens prendront les mots MARCO PECCI pour le nom d'un particulier.
En conséquence, je considère que «Marco Pecci» n'est principa- lement que le nom d'un particulier et ne peut être enregistré compte tenu des dispositions de l'article 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce. La demande est donc rejetée confor- mément à l'article 36(1)b) de ladite Loi.
En vertu de l'article 36 de la Loi sur les marques de commerce, appel de la présente décision peut être interjeté devant la Cour fédérale du Canada dans les deux mois qui suivent la date du présent avis ou dans tout délai supplémentaire que la Cour peut accorder, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.
C'est cette décision qui fait l'objet du présent appel.
Pour conclure qu'une marque de commerce n'est pas enregistrable, comme l'a fait le registraire en
l'espèce relativement à la marque de commerce «Marco Pecci», selon les termes de sa lettre du 7 juillet 1981 par laquelle il rejette la demande, il faut établir qu'une disposition de la Loi sur les marques de commerce fait obstacle à l'enregistre- ment de la marque de commerce proposée.
La disposition invoquée par l'examinatrice et finalement par le registraire est l'alinéa 12(1)a) que je reproduis de nouveau ci-après pour plus de commodité:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable si elle ne constitue pas
a) un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
Conformément au paragraphe 26(7) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, le terme «mot» employé au singulier peut également inclure le pluriel et c'est le cas en l'espèce puisque de nos jours le nom d'un particulier comprend normale- ment plus d'un mot.
Pour les raisons exprimées plus haut, l'alinéa 12(1)a) ne fait pas obstacle à l'enregistrement de noms fictifs et il a été établi que le nom «Marco Pecci» appartient à cette catégorie.
Le lord juge Lindley, dans le passage précité de l'arrêt Holt and Co.'s Trade Mark, déclare qu'à son avis, le mot particulier n'est généralement pas utilisé pour désigner un personnage imaginaire qui n'a jamais existé, mais désigne plutôt des person- nes véritables.
Ce qui peut donc empêcher l'enregistrement d'un nom fictif comme marque de commerce c'est le choix d'un nom fictif qui correspond à celui d'une personne vivante ou décédée au cours des trente années précédentes.
C'est ce que prévoit expressément l'alinéa 12(1)a).
Dans le cas contraire, l'alinéa aurait pris fin après le mot «particulier»; ce n'est pas le cas ici et il va de soi qu'on ne peut faire abstraction d'une partie d'une loi ou d'un article de loi.
Il est donc essentiel de déterminer en premier lieu si le ou les mots devant former le nom dont on demande l'enregistrement correspondent au nom ou nom de famille d'un particulier vivant ou récemment décédé.
Ce n'est que lorsque cette condition préalable est remplie, et pas avant, que l'on doit se demander si la marque de commerce proposée n'est «princi- palement que» un nom ou nom de famille, ou autre chose.
Le président Jackett l'a affirmé avec la plus grande clarté à la page 531 de l'arrêt Standard Oil (précité):
[TRADUCTION] Je suis donc convaincu à la lumière de la preuve produite devant l'intimé et devant moi que «FIOR» est «un mot qui constitue ... le nom de famille d'un particulier vivant». La question qui se pose ensuite consiste à déterminer si le mot «FIOR» n'est «principalement que» ce nom de famille.
Le juge s'est d'abord dit convaincu que le mot était le nom de famille d'un particulier vivant et a ensuite appliqué le critère qu'il avait proposé.
Du début à la fin, dans leur traitement de la demande d'enregistrement des mots «Marco Pecci», l'examinatrice et le registraire se sont déli- bérément abstenus de mentionner le fait qu'il fal- lait que les mots «Marco Pecci» correspondent au nom d'un particulier vivant ou récemment décédé, et ce, malgré les rappels fréquents de cette exigence.
Dès le départ, le 4 octobre 1978, l'examinatrice a expliqué pourquoi elle ne suivait pas la règle:
[TRADUCTION] Le registraire est d'avis que les consommateurs sont incapables de distinguer entre les noms fictifs et les noms véritables. Aux yeux du consommateur, MARCO PECCI serait donc le nom d'un particulier.
Il est vrai que les consommateurs peuvent éprou- ver de la difficulté à distinguer entre les noms donnés à des personnages imaginaires et ceux donnés à des personnes réelles. Une personne qui n'aurait pas lu le roman «Autant en emporte le vent» ni vu le film qu'on en a tiré, pourrait fort bien croire que Scarlett O'Hara est le nom d'une personne véritable. Toutefois, ce nom n'en demeure pas moins celui d'un personnage imagi- naire et, à ce titre, peut être enregistré à moins qu'on établisse qu'il s'agit du nom d'un particulier vivant.
Il ne suffit pas que le nom fictif ressemble à un nom que pourrait porter une personne réelle ou que le public puisse croire qu'il s'agit d'un nom ou d'un nom de famille. Cette opinion du public ne devient pertinente qu'une fois établie l'existence
d'une personne vivante portant le nom ou le nom de famille en question.
Les observations en ce sens qu'a faites l'agent de la requérante se sont heurtées à un mur d'indifférence.
En réponse à ces observations, l'examinatrice a cité le critère relatif à ce qui constitue «principale- ment que» le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant faisant ainsi complètement abs traction de la condition préalable à l'entrée en jeu de ce critère, soit la preuve qu'un particulier por- tant ce nom existe ou est récemment décédé.
Sans indiquer d'aucune façon qu'elle avait une telle preuve en sa possession, l'examinatrice a appliqué le critère fondé sur l'expression «principa- lement que» et a déclaré:
[TRADUCTION] L'examinatrice estime qu'au Canada, une per- sonne d'intelligence moyenne, ayant fait des études normales en anglais ou en français, considérerait les mots MARCO PECCI comme étant le nom d'un particulier.
Voilà un autre exemple du soin avec lequel on évite délibérément de faire quelque allusion à un particulier «vivant».
Le président Jackett a déclaré dans l'arrêt Stan dard Oil (précité) que le registraire était fondé de conclure à partir d'un examen des bottins télépho- niques de certaines villes que le mot «Fion» était le nom de dix personnes vivantes au Canada. Le juge avait devant lui une preuve à cet effet sous la forme d'un affidavit du registraire.
En l'espèce, même si le registraire ou l'examina- trice avaient en leur possession une telle preuve, ils ne l'ont jamais mentionnée.
Le raisonnement adopté par l'examinatrice est erroné parce qu'il inverse l'ordre des étapes du raisonnement approuvé et suivi dans l'arrêt Stan dard Oil. Le critère établi dans cet arrêt dit que le grand public prendrait les mots en cause pour le nom d'un particulier vivant s'il existait réellement une personne portant ce nom mais il ne dit pas que le fait que le grand public pense qu'il s'agit du nom d'une personne fasse nécessairement de ces mots le nom d'un particulier vivant.
L'alinéa 12(1)a) interdit l'enregistrement d'un mot qui est, dans la réalité, le nom d'un particulier vivant, mais non l'enregistrement d'un mot qui y
«ressemble» ou que le public croit être le nom d'un particulier.
Ce n'est pas avant le 21 février 1980 que l'exa- minatrice a révélé qu'elle avait en sa possession des renseignements indiquant qu'il y avait une inscrip tion sous le nom de «Pecci» au Canada.
Ce renseignement pourrait constituer la preuve qu'il existe au moins une personne vivante au Canada qui porte le nom de famille «Pecci».
En fait, c'est l'appelante et non le registraire qui a trouvé deux inscriptions sous ce nom au Canada, une à Toronto (Ontario) au nom de Mario Pecci et une autre à St. Catherines au nom d'un certain G. Pecci. Elle a produit en appel un affidavit concer- nant ces renseignements.
Cette preuve suffirait à elle seule à justifier l'examen de la question de savoir si la rareté de ce nom de famille permettrait de conclure qu'il s'agit principalement sinon exclusivement d'un nom de famille plutôt que d'une marque ou d'un nom commercial.
À la lumière de l'arrêt Fior, le résultat en ce qui concerne le mot «Pecci» comme nom de famille pourrait être le même, mais ce n'est pas la question en litige ici.
En effet, la marque de commerce dont on demande l'enregistrement n'est pas «Pecci» mais «Marco Pecci».
Les mots «Marco Pecci» pourraient être pris pour le nom d'un particulier vivant, mais avant de les considérer comme tels pour justifier l'applica- tion du critère permettant de déterminer si «Marco Pecci» est le nom d'un particulier vivant, il faut apporter des éléments de preuve en ce sens. Le nom «Marco Pecci» ne peut être le nom d'un particulier s'il n'existe personne de ce nom.
Bien qu'on lui ait fait observer à plusieurs repri ses que l'alinéa 12(1)a) exige que les mots propo- sés soient le nom d'un particulier vivant ou décédé au cours des trente années précédentes, l'examina- trice a continué d'affirmer que la vaste majorité des Canadiens prendraient les mots «Marco Pecci» pour le nom d'un particulier et n'a aucunement tenu compte du fait qu'il fallait qu'il s'agisse d'une personne vivante ou récemment décédée. Le regis-
traire a lui aussi fondé sa décision sur ces motifs.
En conséquence, le registraire n'a pas établi que les dispositions de l'alinéa 12(1)a) s'appliquaient à l'espèce et donc que la marque de commerce n'était pas enregistrable. Sa décision est donc erronée.
Aucun des divers avis de rejet ni même la décision finale du registraire n'indiquent qu'il faut qu'il existe un particulier vivant portant le nom dont on demande l'enregistrement.
On présume que les écrits expriment une pensée et que c'est d'autant plus vrai pour les personnes qui occupent des postes exigeant un travail soigné et précis.
Selon l'argument invoqué au paragraphe 3 de la défense, argument qui n'est ni appuyé par les faits ni conforme à ces derniers, le registraire et l'exa- minatrice savaient que la disposition pertinente de la Loi sur les marques de commerce exigeait que le nom en cause soit celui d'un particulier vivant. Le fait de ne pas faire allusion à un particulier «vivant: mais seulement à un «particulier» et ce, ,malgré le libellé de l'alinéa 12(1)a), constitue un exemple de travail bâclé et de faible qualité qu'il faut décourager. Il n'y avait en tout cas devant le registraire aucune preuve lui permettant de con- clure qu'il existe un particulier vivant portant le nom de «Marco Pecci».
Il disposait de preuves attestant l'existence au Canada d'au moins deux personnes vivantes por- tant le nom de famille «Pecci».
Cependant, la marque de commerce dont on demande l'enregistrement n'est pas «Pecci», mais «Marco Pecci». Il s'agit de la juxtaposition d'un prénom et d'un nom de famille qui peuvent donc être plus facilement considérés comme le nom d'un particulier.
Apparemment, l'examinatrice a cité un volume intitulé A Dictionary of Modern British and American Given or Christian Names dont la liste des prénoms masculins comprenait le nom «Marco».
Il n'y avait aucune preuve établissant que les quelques personnes de sexe masculin portant le nom de famille «Pecci» étaient également prénom- mées «Marco».
Certainement pas au Canada en tout état de cause car l'affidavit présenté par Célia Lafram- boise au nom de l'appelante écarte cette possibilité. «Mario» et «Marco» sont des prénoms différents.
Il existe néanmoins une mince possibilité que l'une ou l'autre des quelques personnes du nom de «Pecci», ailleurs dans le monde, soit mariée et ait un fils portant le prénom de «Marco». Cela étant, la règle de minimis s'applique à l'espèce et le registraire n'avait donc devant lui aucun élément de preuve suffisant pour établir l'existence d'une personne portant le nom de «Marco Pecci».
Le juge Judson, dans l'arrêt Coles Book Stores (précité), souligne que le libellé de l'alinéa 12(1)a) est apparu en 1953 dans la loi canadienne et qu'il reproduisait exactement une disposition législative américaine de 1946. Comme nous le verrons ci- après dans une affaire analogue, le droit américain et canadien sont identiques au plan de l'interpréta- tion et des critères applicables.
Pour ces motifs, j'applique les décisions rendues aux États-Unis.
Dans l'arrêt In re Mangel Stores Corporation (165 USPQ 22 (1970)), appel était interjeté devant le Patent Office Trademarks Trial and Appeal Board composé de trois membres, d'une décision dans laquelle une examinatrice des mar- ques de commerce refusait l'enregistrement du mot «Presscott» comme marque de commerce parce qu'il ne s'agissait principalement que d'un nom de famille.
Voici ce que disait l'examinatrice à cet égard la page 22] :
[TRADUCTION] «PRESCOTT» est un nom de famille usuel et le fait d'ajouter un «s» supplémentaire à ce nom n'en modifie ni la prononciation, ni le sens, ni même la présentation de façon substantielle. Ce mot donne l'impression d'être un nom de famille et on peut croire que les consommateurs le percevraient comme tel.
À cela, la Commission d'appel répliqua la même page] :
[TRADUCTION] La question de savoir si la marque de com merce «PRESSCOTT» de la requérante est un nom de famille ou non est une question de fait et il ne suffit pas pour répondre affirmativement à cette question que le mot ressemble tant au plan de la présentation que de la prononciation à un nom de
famille connu. Il est en outre intéressant de noter que l'exami- natrice a admis à l'audience tenue sur cette affaire qu'elle avait été incapable après de longues recherches de trouver ne fut-ce qu'un seul emploi du mot «PRESSCOTT» comme nom de famille.
La décision de l'examinatrice fut en consé- quence infirmée [sur ce point].
Cette décision est en accord avec la conclusion à laquelle je suis parvenu.
Pour les motifs susmentionnés, l'appel est accueilli et l'affaire est renvoyée devant le regis- traire afin qu'il prenne les mesures administratives qui s'imposent.
Ni l'appelante dans son avis d'appel ni le regis- traire dans sa réponse n'ont réclamé de dépens. Les avocats des parties ne l'ont pas fait pour se conformer à la pratique qu'ils connaissent bien qui consiste à ne pas accorder de dépens en faveur ou à l'encontre du registraire des marques de commerce dans un appel devant la Division de première instance. Cette pratique peut ne pas s'appliquer toutefois en Division d'appel.
Comme la partie qui a eu gain de cause, en l'occurrence l'appelante, n'a pas demandé de dépens, le registraire ne sera pas condamné à les lui verser.
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