Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-815-81
Anheuser-Busch, Inc. (appelante) (appelante) c.
Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited et Registraire des marques de commerce (intimés) (intimés)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup pléant Kelly—Toronto, 28 septembre; Ottawa, 22 novembre 1982.
Marques de commerce Appel du jugement de la Division de première instance qui rejetait l'appel de la décision par laquelle le registraire des marques de commerce avait sus- pendu les procédures introduites par l'appelante en vertu de l'art. 44 de la Loi sur les marques de commerce Il faut déterminer si l'appel peut être interjeté de la décision d'accor- der une suspension d'instance L'art. 44 de la Loi prévoit une procédure sommaire et expéditive La règle consistant à refuser, dans le cadre d'une demande fondée sur l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, un redressement contre des décisions interlocutoires d'où ne découle aucun droit ou aucune obliga tion juridiques est jugée logique et compatible La Division de première instance est incompétente pour entendre l'appel Le registraire ne tient pas de la loi le pouvoir d'accorder une suspension Le but limité de l'art. 44 concernant la preuve d'emploi se trouve contrecarré par des procédures excessive- ment longues C'est un refus d'exercer sa compétence que d'accorder des suspensions, des ajournements indéfinis Appel rejeté sans dépens Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 44 (mod. par S.C. 1980-8/- 82-83, chap. 47, art. 46), 56(l) Loi sur les marques de commerce, S.C. 1952-53, chap. 49, art. 36(1), 55(l) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28.
Contrôle judiciaire Appels prévus par la loi Loi sur les marques de commerce, art. 56 La décision de suspendre les procédures introduites en vertu de l'art. 44 est-elle une décision dont appel peut être interjeté sous le régime de l'art. 56? Sens du mot «décision» employé dans la Loi sur la Cour fédérale, art. 28 Le droit jurisprudentiel sur l'art. 28 est-il applicable au terme «décision,, employé à l'art. 56 de la Loi sur les marques de commerce? Les décisions sur l'art. 28 ne sont pas obligatoires en cas d'appel prévu par la loi Explication du raisonnement adopté dans les causes sur l'art. 28 La procédure prévue à l'art. 44 doit être expéditive Le raisonnement adopté dans la jurisprudence sur l'art. 28 est donc applicable parce qu'il est compatible avec les articles pertinents de la Loi sur les marques de commerce La Division de première instance n'avait pas compétence pour connaître de l'appel formé en vertu de l'art. 56 Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 44 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 46), 56(1)— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres (N° I), [1971] C.F. 66 (I" inst.); The Noxzema
Chemical Co. of Canada Ltd. v. Sheran Mfg. et al. (1968), 38 Fox Pat. C. 89 (C. de
DÉCISION INFIRMÉE:
Skipper's, Inc. c. Le registraire des marques de com merce et autre, Cour fédérale, T-5863-79, jugement en date du 25 août 1980.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hoffmann-La Roche Limited v. Delmar Chemicals Limi ted, [1966] R.C.E. 713; J. K. Smit & Sons International Limited v. Packsack Diamond Drills Ltd., [1964] R.C.E. 226.
DÉCISION' C I I I I.S:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); British Columbia Packers Limited, et autres c. Le Conseil canadien des relations du travail et autre, [1973] C.F. 1194 (C.A.); In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Company Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.); Richard c. La Commission des relations de tra vail dans la Fonction publique, [1978] 2 C.F. 344 (C.A.); Canadian Air Line Employees' Association c. Wardair Canada (1975) Ltd., et autres, [1979] 2 C.F. 91 (C.A.); Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.); La Commission canadienne des droits de la personne c. British American Bank Note Company, [1981] 1 C.F. 578 (C.A.); Smith Kline & French Inter -American Cor poration v. Micro Chemicals Limited, [1968] 1 R.C.E. 326; Société Radio-Canada et autre c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618; Julius v. The Right Rev. the Lord Bishop of Oxford et al. (1879-80), 5 A.C. 214 (H.L.); Canadian Pacific Railway v. The Pro vince of Alberta et al., [1950] R.C.S. 25.
AVOCATS:
L. Morphy, c.r. et S. Block pour l'appelante (appelante).
R. E. Dimock pour Carling O'Keefe Brewe ries of Canada Limited, intimée (intimée).
R. Levine pour le registraire des marques de commerce, intimé (intimé).
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour l'ap- pelante (appelante).
Sim, Hughes, Toronto, pour Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, intimée (inti- mée).
Le sous-procureur général du Canada pour le registraire des marques de commerce, intimé (intimé).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est formé du jugement par lequel la Division de première instance [Cour fédérale, T-2388-81, jugement en date du 22 octo- bre 1981] a rejeté l'appel que l'appelante avait interjeté d'une décision rendue par le registraire des marques de commerce (le registraire), intimé. Dans cette décision, en date du 25 mars 1981
(D.A. pp. 17 21), le registraire a suspendu les procédures introduites par l'appelante en vertu de l'article 44 de la Loi sur les marques de com merce, S.R.C. 1970, chap. T-10 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 46], en attendant la fin des procédures engagées [TRADUCTION] «... devant la Cour fédérale du Canada entre Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited et Anheu- ser-Busch Inc. (n° du greffe T-298-80)». La sus pension a été accordée à la suite d'une requête préliminaire introduite le 12 mars 1981 par l'avo- cat de l'intimée, Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited (Carling).
Les faits pertinents ne sont pas contestés et peuvent être ainsi résumés. Le 19 septembre 1979, l'appelante a demandé au registraire de donner à Carling, en sa qualité de propriétaire inscrit de la marque de commerce 185/40809, l'avis prévu audit article 44'. Le 17 octobre 1979, le registraire
' L'article 44 est ainsi rédigé:
44. (I) Le registraire peut, à tout moment, et doit, sur la demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoi- gnant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enre- gistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.
(2) Le registraire ne doit recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration statutaire, mais il peut entendre des représentations faites par ou pour le proprié- taire inscrit de la marque de commerce, ou par ou pour la personne à la demande de qui l'avis a été donné.
(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve à lui fournie ou de l'omission de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une quelconque de ces marchandises ou de l'un quelconque de ces services, n'est pas employée au Canada, et
(Suite à la page suivante)
a envoyé à Carling un avis visé à l'article 44. On a, par la suite, accordé à Carling une prolongation du délai dans lequel elle devait répondre à cet avis donné par le registraire, ladite prorogation expi- rant le 17 avril 1980. Le 9 avril 1980, Carling a présenté une demande de suspension d'instance en attendant la décision de la Cour fédérale à l'égard des questions en litige dans l'action T-298-80 entre elle-même et l'appelante. Le registraire a rejeté cette requête en suspension d'instance, mais a accordé à Carling un autre délai pour se conformer aux exigences de l'article 44. Par la suite, soit le 18 juillet 1980, Carling a déposé, en réponse à l'avis qui lui avait été donné en vertu de l'article 44, l'affidavit de Brian Edwards. A la demande de l'appelante, le registraire a tenu une audience le 12 mars 1981 au sujet des procédures intentées en vertu de l'article 44. A l'ouverture de cette audience, Carling a introduit la requête prélimi- naire en suspension d'instance susmentionnée. Le registraire a mis en délibéré cette requête et a entendu au fond les arguments concernant les procédures fondées sur l'article 44. Le 25 mars 1981, le registraire a accueilli la requête en sus pension d'instance de Carling comme il a été relaté ci-dessus. C'est cette «décision» portant suspension qui fait l'objet du présent appel.
Il convient de souligner que Carling a deux affaires pendantes devant la Division de première instance de cette Cour, T-298-80 et T-4900-80, dans lesquelles elle prétend que l'appelante et ses usagers inscrits contrefont la marque de commerce 185/40809. Dans chacune de ces actions, les défenderesses nient la validité de l'enregistrement 185/40809 pour le motif que la marque de commerce a été abandonnée.
(Suite de la page précédente)
que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circons- tances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou modifi cation en conséquence.
(4) Lorsque le registraire en arrive à une décision sur la question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou de modifier l'enregistrement de la marque de commerce, il doit notifier sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l'avis a été donné.
(5) Le registraire doit agir en conformité de sa décision si aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il doit agir en conformité du jugement définitif rendu dans cet appel.
(6) Dans le présent article, nregistraire» comprend les personnes qu'il autorise à agir en son nom aux fins du présent article.
À l'audition du présent appel, l'avocat de Car- ling ainsi que celui du registraire ont fait valoir que la «décision» portant suspension d'instance n'est pas une décision dont appel peut être interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Le paragraphe 56(1) est ainsi conçu:
56. (I) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale du Canada dans les deux mois qui suivent la date le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire que la Cour peut accorder, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.
À l'appui de cette prétention, les avocats se sont appuyés sur la jurisprudence 2 en voie de formation dans cette Cour à l'égard du sens du mot «déci- sion» employé à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10. D'après cette jurisprudence, la Cour d'appel fédé- rale a compétence pour examiner, en vertu de l'article 28, seulement les ordonnances ou décisions finales, finales en ce sens que la décision ou ordon- nance en question est celle que le tribunal a le pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou obligations juridiques. Cette jurisprudence précise que la Cour n'examinera pas la myriade de déci- sions ou ordonnances habituellement rendues à l'égard de questions normalement soulevées au cours d'une période antérieure à cette décision finale. Selon les avocats, cette jurisprudence devrait s'appliquer au mot «décision» employé au paragraphe 56(1) et, par conséquent, puisque la «décision» faisant l'objet de l'examen ne répond pas aux critères établis par la jurisprudence susmen- tionnée en ce qu'elle n'est pas celle que le regis- traire a le pouvoir de rendre sous le régime de l'article 44, et qu'elle n'est pas une décision d'où découlent des droits ou obligations juridiques, la Division de première instance n'a pas compétence
Z Voir par exemple: National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres (N° 1), [1971] C.F. 66 (lee inst.) aux pp. 77 à 79; Le procureur général du Canada c. Cylien, [19731 C.F. 1 166 (C.A.); British Columbia Packers Limited, et autres c. Le Conseil canadien des relations du travail et autre, [1973] C.F. 1 194 (C.A.); In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Company Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.); Richard c. La Com mission des relations de travail dans la Fonction publique, [1978] 2 C.F. 344 (C.A.); Canadian Air Line Employees' Association c. Wardair Canada (1975) Ltd., et autres, [ 1979] 2 C.F. 91 (C.A.); Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] I C.F. 687 (C.A.); La Commis sion canadienne des droits de la personne c. British American Bank Note Company, [198I] 1 C.F. 578 (C.A.).
pour statuer sur un appel formé contre cette déci- sion sous le régime du paragraphe 56(1). Bien que les décisions sur l'article 28 puissent avoir une valeur persuasive, je fais remarquer qu'elles ne sauraient être décisives ni obligatoires lorsque, comme en l'espèce, le mot «décision» est employé dans un appel statutaire. Il découle d'une lecture attentive de la jurisprudence sur l'article 28 que dans ces décisions, l'accent a été mis sur les consé- quences peu souhaitables qui pourraient s'ensuivre si la Cour devait accueillir les demandes fondées sur l'article 28 relativement aux innombrables questions interlocutoires soulevées au cours d'une procédure. Dans l'affaire Juneau (susmentionnée), le juge en chef Jackett dit ceci à la page 78 du recueil:
Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à cette Cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision de ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les mains de parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa compétence un moyen dilatoire et frustratoire incompatible avec l'esprit de l'art. 28(5).
La Cour a exprimé de semblables points de vue dans ses décisions ultérieures à l'égard de l'article 28. Ce qui semble clair, c'est que les causes sur le sens du mot «décision» employé dans la Loi sur la Cour fédérale ont été jugées en tenant compte de l'économie de cette Loi. J'estime qu'il s'agit de la bonne façon d'aborder la question et que c'est de cette façon qu'on devrait envisager l'interprétation du mot «décision» employé dans la Loi sur les marques de commerce. En l'espèce, il a été rendu, au cours d'une procédure prévue à l'article 44 de la Loi sur les marques de commerce, une «décision» qui est, dit-on, susceptible d'appel sous le régime du paragraphe 56(1) de cette Loi. À mon avis, le législateur a clairement voulu que la procédure prévue à l'article 44 soit sommaire et expéditive. Cela étant, il me semble clair qu'un raisonnement semblable à celui adopté dans la jurisprudence sur l'article 28 devrait s'appliquer à une «décision» rendue sous le régime de l'article 44 de la Loi sur les marques de commerce. J'applique toutefois ce raisonnement parce qu'il est conforme aux articles pertinents de la Loi sur les marques de commerce et non simplement parce qu'il forme la raison d'être de décisions portant sur la Loi sur la Cour fédérale. À mon avis, il se peut qu'il existe d'autres lois qui confèrent un droit d'appel où, étant donné l'économie de cette loi, le mot «décision» y employé peut avoir une connotation différente nécessitant
une interprétation différente. Dans le contexte des articles 44 et 56 de la Loi sur les marques de commerce, j'arrive toutefois à la conclusion que le mot «décision» y employé signifie la décision finale rendue par le registraire sous le régime du para- graphe 44(4), c'est-à-dire sa décision finale sur la question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou de modifier l'enregistrement de la marque de com merce, et n'englobe pas de «décision» telle que celle de suspendre les procédures prévues à l'article 44.
Le président Jackett de la Cour de l'Échiquier (tel était alors son titre) a adopté un point de vue semblable dans l'affaire Hoffmann-La Roche Limited v. Delmar Chemicals Limited 3 pour déterminer si la Cour était compétente pour sta- tuer sur un appel formé contre une «décision» rendue par le commissaire des brevets en vertu de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, chap. 203. Après examen de l'ensemble de la Loi sur les brevets, le président a jugé que la seule «décision» susceptible d'appel était la décision finale tran- chant définitivement la demande malgré le fait que, dans l'exercice des pouvoirs que lui conférait la loi, il était nécessairement appelé à décider de beaucoup de questions préliminaires. En outre, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a eu l'occa- sion d'examiner, dans le contexte de -la Loi sur les marques de commerce, S.C. 1952-53, chap. 49, un problème semblable dans l'affaire J. K. Smit & Sons International Limited v. Packsack Diamond Drills Ltd. ° I1 a été décidé dans cette affaire que la décision, rendue par le registraire en vertu du paragraphe 36(1), de faire annoncer la demande d'enregistrement d'une marque n'était pas une décision dont la requérante avait le droit d'interje- ter appel. Le texte du paragraphe 55(1) de cette Loi, qui confère un droit d'appel «... de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi ...», est identique à celui du para- graphe 56(1) actuel.
Par ces motifs, je conclus donc que la Division de première instance n'avait pas compétence pour connaître de l'appel formé en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Cette conclusion suffit pour trancher l'appel, mais étant
3 [1966] R.C.É. 713—Note: Cette décision a été suivie par le président Jackett dans l'affaire Smith Kline & French Inter - American Corporation v. Micro Chemicals Limited, [1968] 1 R.C.É. 326.
[1964] R.C.É. 226.
donné que la Division de première instance a, en l'espèce comme dans l'affaire Skipper's' (sur laquelle le registraire s'est appuyé en l'espèce), estimé que le registraire a compétence pour accor- der une suspension d'instance, je considère qu'il s'agit d'une situation la Cour devrait se prononcer fermement sur cette question, puisqu'il se pourrait que le seul recours ouvert à l'appelante soit de solliciter de la Division de première ins tance un bref de mandamus, et puisque la question de la compétence qu'a le registraire pour ordonner une suspension d'instance a été pleinement débat- tue devant nous.
J'aborde cette question en tenant pour acquis qu'un «tribunal», tel que le registraire des marques de commerce, puisqu'il est créé par une loi, n'a aucun pouvoir inhérent 6 . Le pouvoir d'accorder la suspension de toute procédure tenue devant le registraire doit être prévu expressément dans la Loi sur les marques de commerce ou dans le Règlement pris en application de celle-ci ou en découler [TRADUCTION] «de façon nettement implicite»'. Après lecture attentive de la Loi et du Règlement, je ne trouve aucune disposition qui, soit expressément soit de façon nettement impli- cite, autorise le registraire à faire ce qu'il a fait en l'espèce. La Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, chap. 274, le prédécesseur de l'ac- tuelle Loi sur les marques de commerce, ne conte- nait aucune procédure simple pour la radiation, du registre, de marques de commerce non employées. L'article 44 de l'actuelle Loi établit un code de procédure conférant au registraire le pouvoir de radier du registre ces marques non employées ou de restreindre leur effet aux marchandises ou ser vices en liaison avec lesquels elles ont été employées. Cet article n'envisage pas une décision sur la question d'abandon, mais il constitue simple- ment une procédure sommaire par laquelle on demande au propriétaire inscrit d'une marque de fournir soit quelque preuve d'emploi au Canada, soit la preuve de circonstances spéciales qui justi-
Skipper's, Inc. c. Le registraire des marques de commerce et autre (Cour fédérale, T-5863-79, jugement en date du 25 août 1980).
6 À ce sujet, voir: Société Radio-Canada et autre c. Com mission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, la p. 639, le juge Beetz.
' Voir: Reid et David, Administrative Law and Practice, 2' éd., 1978, p. 303.
fient le défaut d'emploi. Compte tenu du fait que la preuve que le registraire peut examiner se limite, en vertu du paragraphe 44(2), un affida vit ou à une déclaration du propriétaire inscrit, il est évident, à mon avis, qu'on n'a pas voulu que le registraire rende, en vertu de l'article 44, une décision quant à l'abandon. La seule question que le registraire avait à trancher en vertu de l'article 44 était de savoir si le propriétaire inscrit avait déposé une déclaration d'emploi au Canada ou une explication du défaut d'emploi'.
Le président Jackett (tel était alors son titre) présente succinctement la question comme suit à la page 97 des motifs dans l'affaire Noxzema susmentionnée:
[TRADUCTION] ... l'article 44 fournit un moyen de débarrasser le registre des enregistrements dont les propriétaires inscrits ont cessé de revendiquer l'emploi. Un propriétaire inscrit peut éviter qu'un tel sort soit réservé à son enregistrement en déposant soit une simple déclaration d'emploi de la marque de commerce, soit la raison du défaut d'emploi de cette marque s'il avoue ne pas l'employer.
Compte tenu de la portée de l'article 44 exposé ci-dessus, du but limité pour lequel cet article a été promulgué, et de l'intention claire du Parlement que la procédure prévue à l'article 44 soit simple, sommaire et expéditive, je ne suis pas disposé à admettre que le registraire ait un pouvoir inhérent de prolonger excessivement ces procédures en imposant une suspension d'instance jusqu'à l'issue de litiges devant la Cour. L'imposition d'une sus pension d'instance en ces termes fait qu'il est possible et même plus que probable que la suspen sion soit passablement longue. À mon humble avis, le législateur n'a jamais voulu une telle consé- quence lorsqu'il a ajouté la procédure de l'article 44 la loi.
Comme il a été souligné plus haut, le registraire, en ordonnant la suspension dans ces procédures, s'est appuyé sur une décision rendue par la Divi sion de première instance dans l'affaire Skipper's (susmentionnée). On peut trouver à la page 7 des motifs du juge Cattanach le passage sur lequel le registraire s'est appuyé et qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Tout tribunal a le pouvoir inhérent de sus- pendre les procédures, mais l'exercice de ce pouvoir, en cas de demande de suspension, est toujours à sa discrétion.
8 Voir: The Noxzema Chemical Co. of Canada Ltd. v. Sheran Mfg. et al. (1968), 38 Fox Pat. C. 89 (C. de l'É.), aux pp. 96 et 97.
J'admets que ce pouvoir discrétionnaire est également con- féré au registraire des marques de commerce, et, en vertu du paragraphe 37(9), une commission des oppositions.
Comme je l'ai dit plus haut, j'estime que le regis- traire n'a aucun pouvoir inhérent pour accorder une suspension, que ce pouvoir n'est conféré que lorsqu'il est énoncé expressément dans la loi ou qu'il découle de façon nettement implicite du libellé de celle-ci, et que ni l'une ni l'autre de ces circonstances ne se présente en l'espèce.
Par ces motifs, je conclus que le registraire a eu tort d'accorder la suspension en l'espèce. Dans ses motifs, le juge de première instance a fait remar- quer que le registraire n'avait pas réellement accordé de suspension, mais avait plutôt mis sa décision en délibéré en attendant l'issue du litige devant la Cour fédérale. Toutefois, le registraire lui-même a dit qu'il accordait une suspension et son ordonnance a très certainement eu pour effet une suspension de facto. De plus, si le juge de première instance a raison dans sa qualification de ce que le registraire a réellement fait en l'espèce, alors, à mon avis, ces actions étaient abusives puisqu'elles ont entraîné un ajournement indéfini de la décision qu'il fallait rendre en vertu de l'article 44, ce qui équivaut à un refus, de la part du registraire, d'exercer sa compétence 9 .
Étant donné la conclusion tirée plus haut en l'espèce et selon laquelle la Division de première instance était incompétente pour connaître de l'ap- pel formé contre la «décision» du registraire en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, il s'ensuit que le présent appel doit être rejeté. Toutefois, compte tenu des circonstances, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris aux motifs ci-dessus.
9 Voir: Julius v. The Right Rev. the Lord Bishop of Oxford et al. (1879-80), 5 A.C. 214 (H.L.). Voir également: Canadian Pacific Railway v. The Province of Alberta et al., [ 1950] R.C.S. 25, à la p. 33.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.