Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Maurice Goguen et Gilbert Albert (requérants)
c.
Frederick Edward Gibson (intimé)
Juge en chef Thurlow—Ottawa, 24 janvier, 24 février, 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12 mars et 28 avril 1983.
Preuve Divulgation de renseignements Opposition relative aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales Requérants accusés d'avoir commis un vol par effraction à la suite d'une enquête du Service de sécurité de la GRC Bandes informatiques étaient enre- gistrées les listes des membres d'un parti politique enlevées de certains lieux et copiées Les requérants demandent la production de documents L'intimé s'oppose en vertu de l'art. 36.1(1) de la Loi sur la preuve au Canada à la divulga- tion des renseignements au motif qu'elle porterait atteinte à la sécurité nationale et aux relations internationales Les requérants demandent une décision sur l'opposition en vertu de l'art. 36.2(1) Ils allèguent que la divulgation est essentielle pour leur système de défense En vertu de l'art. 36.1(2), la Cour peut prendre connaissance des renseignements et ordon- ner leur divulgation si les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation Oppositions reconnues fon- dées et demande rejetée La loi reconnaît des cas l'intérêt public dans la divulgation de renseignements dans un litige l'emporte sur l'intérêt public dans le maintien du secret sur des renseignements en matière de défense nationale L'art. 36.1(2) confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de déter- miner s'il y a lieu de prendre connaissance des renseignements Si la balance ne penche en faveur d'aucun des intérêts en conflit, il faut procéder à un examen des renseignements afin de vérifier s'il y a prépondérance en faveur de la divulgation Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas il y a lieu à divulgation, aussi n'est-il pas nécessaire de prendre connaissance des ren- seignements La grande quantité de documents demandés et leur portée sont préjudiciables au Service de sécurité Probabilité d'un préjudice même si les renseignements deman dés datent de 10 ans Les infractions reprochées ne sont pas parmi les plus graves La divulgation n'est pas essentielle pour les requérants puisqu'il leur est possible de citer des témoins Le droit des requérants à une défense pleine et entière en vertu de la common law et des lois fédérales est une question que doit trancher le tribunal saisi de l'inculpation Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.1, 36.2, 36.3, adoptés par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 41, abrogé par S.C. 1980-81-82-83, chap. Ill, art. 3.
Les requérants ont été envoyés à leur procès devant la Cour supérieure du Québec sur des accusations de vol par effraction. Les requérants ont été impliqués, en leur qualité d'agents de la GRC, dans l'opération «Hame, enquête menée par le Service de sécurité de la GRC et qui a consisté en l'entrée illicite dans certains locaux et l'enlèvement clandestin de bandes informati- ques étaient enregistrées les listes des membres d'un parti politique; ces listes ont été copiées et remises en place. À la demande des requérants, un subpoena duces tecum a été lancé, nommant l'intimé, le solliciteur général adjoint du Canada, et
le greffier du Conseil privé. L'intimé s'est opposé à l'aide d'une attestation, conformément au paragraphe 36.1(I) de la Loi sur la preuve au Canada, à la production de certains documents au motif que leur divulgation porterait préjudice à la sécurité nationale du Canada et à ses relations internationales. Les requérants ont ensuite demandé, sur le fondement du paragra- phe 36.2(1) de la Loi, que l'on statue sur l'opposition conformé- ment au paragraphe 36.1(2). Les requérants soutiennent que les preuves auxquelles on s'oppose sont essentielles pour leur système de défense; ils ont l'intention de prouver que l'opération »Ham» ne constituait pas un crime, qu'elle faisait partie des méthodes d'enquête approuvées par la GRC et qu'ils n'ont pas agi frauduleusement en y participant. Ils prétendent aussi que la divulgation des renseignements ne porte pas atteinte à la sécurité nationale du Canada ni aux relations internationales et que l'intérêt public à les divulguer prévaut en importance sur l'intérêt public allégué dans l'attestation. Le paragraphe 36.1(1) de la Loi prévoit qu'un ministre de la Couronne ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements pour des raisons d'intérêt public détermi- nées. Le paragraphe 36.1(2) prévoit qu'une cour supérieure peut prendre connaissance des renseignements et ordonner leur divùlgation si elle conclut que les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation.
Jugement: les oppositions faites dans l'attestation devraient être reconnues fondées et la demande rejetée. En l'espèce, l'intérêt public dans la divulgation des renseignements ne l'a pas emporté sur l'intérêt public dans leur non-divulgation. Le paragraphe 36.1(2) de la Loi sur la preuve au Canada semble reconnaître qu'il peut y avoir des cas l'intérêt public dans la sécurité nationale et dans les relations internationales doit céder le pas aux raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation dans une instance aux fins de la bonne administration de la justice. Lorsque la divulgation est requise dans une poursuite au criminel, la gravité des charges retenues et la sévérité de la peine constituent d'importants facteurs dont il faut tenir compte quand il s'agit de choisir entre les intérêts publics en jeu. L'immunité contre la divulgation, au nom de l'intérêt public, de renseignements nécessaires à un inculpé a été recon- nue en Angleterre. Même s'il n'y a, au Canada, aucun précé- dent à cet effet, on peut dire que les tribunaux n'ont jamais infirmé un refus opposé, au nom de la sécurité nationale et des relations internationales, à la divulgation de certains renseigne- ments. D'ailleurs, il est très improbable qu'une telle revendica- tion de l'immunité, faite de manière régulière, eût pu être rejetée aux termes de la législation antérieure (c'est-à-dire l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale, abrogé par l'article 3 des S.C. 1980-81-82-83, chap. 1 l l ).
Le paragraphe 36.1(2) permet à la Cour de prendre connais- sance des renseignements demandés et lui confère le pouvoir discrétionnaire de procéder ou non à cet examen. Le paragra- phe emploie le terme «peut», et le juge instruisant la demande doit être convaincu, d'après la preuve dont il est saisi, que la divulgation s'impose ou, à tout le moins, que la balance ne penche ni dans un sens ni dans l'autre et qu'il faut prendre connaissance des renseignements afin de vérifier s'il y a prépon- dérance en faveur de la divulgation. Si la nécessité de la divulgation n'est pas démontrée, la Cour n'est pas obligée de prendre connaissance des renseignements.
Pour ce qui est de l'intérêt public dans le maintien de la sécurité nationale, rien dans les pièces qui lui ont été soumises ne permet à la Cour d'écarter la déclaration contenue dans l'attestation de l'intimé, selon laquelle la divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale et aux relations internatio- nales. En fait, la divulgation des documents demandés, en raison de leur grande quantité et de leur portée, révélerait au monde entier l'ensemble de la structure du Service de sécurité. Le secret est de rigueur en matière de sécurité nationale et de relations internationales. Le processus de rassemblement et de triage de l'information se fait dans l'intérêt de la sécurité publique. Certains secrets se rapportant à de telles questions peuvent devoir être gardés indéfiniment. Le danger de préjudice ne diminue pas avec les ans.
Pour ce qui est de l'importance de l'intérêt public dans la divulgation, les infractions visées par l'inculpation ne sont pas parmi les plus graves et il ne faut pas, vu les circonstances de l'opération .Ham', faire peser le risque d'une peine sévère trop lourdement dans la balance. Il n'est pas possible, à ce stade, de prendre en considération la pertinence des renseignements demandés par rapport aux points qui seront vraisemblablement soulevés au procès. Bien que les requérants affirment dans leurs affidavits que les renseignements sont essentiels à leur système de défense, la Cour est incapable de conclure que la divulgation des renseignements est indispensable à leur système de défense, compte tenu notamment des témoins qu'ils peuvent citer afin de témoigner sur au moins certains points qu'ils ont mentionnés.
Étant donné que la preuve administrée est fortement prépon- dérante en faveur de l'intérêt public dans la sécurité nationale et dans les relations internationales, il n'est pas nécessaire de prendre connaissance de l'un quelconque des renseignements en question: le pouvoir donné à cette fin ne doit être exercé qu'en cas de nécessité et il n'existe aucune raison de supposer que l'examen des renseignements révélerait qu'ils doivent être divul- gués. Finalement, les droits des requérants en vertu de la common law, du Code criminel, de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte canadienne des droits et libertés, à une défense pleine et entière ne sont pas en cause ici. Le paragraphe 36.1(2) demande une décision au sujet de l'impor- tance relative de deux intérêts publics en conflit. Le point de savoir si une telle décision porte atteinte aux droits de la défense est une question que doit trancher le tribunal saisi de l'inculpation.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Reg. v. Lewes Justices, Ex parte Secretary of State for Home Department, [1973] A.C. 388 (C.L.); R. v. Secre tary of State for the Home Department, Ex parte Hosenball, [1977] 3 All ER 452 (C.A.); Burmah Oil Co. Ltd. v. Governor and Company of the Bank of England and Another, [1980] A.C. 1090 (C.L.); Conway v. Rimmer and Another, [1968] A.C. 910 (C.L.); Sankey v. Whitlam (1978), 21 ALR 505 (H.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Smallwood c. Sparling, [1982] 2 R.C.S. 686; 44 N.R. 571.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rex v. Hardy (1794), XXIV St. Tr. 199; Marks v. Beyfus (1890), 25 Q.B.D. 494 (C.A.); D. v. National
Society for the Prevention of Cruelty to Children, [ 1978] A.C. 171 (C.L.); Regina v. Snider, [1954] R.C.S. 479, confirmant [1953] 2 D.L.R. 9 (C.A. C.-B.); Le solliciteur général du Canada et autre c. La Commission royale d'enquête sur la confidentialité des dossiers de santé en Ontario et autre, [1981] 2 R.C.S. 494; Le procureur général de la province de Québec et autre c. Le procureur général du Canada et autre, [1979] I R.C.S. 218; Robin- son v. State of South Australia [No. 21, [1931] A.C. 704 (C.P.); Air Canada and Others v. Secretary of State for Trade and Another, [1983] 2 W.L.R. 494; [1983] 1 All ER 910 (C.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney -General v. Briant (1846), 15 M. & W. 168; Ex parte Attorney -General; Re Cook and Others (1967), 86 W.N. (Pt. 2) (N.S.W.) 222 (C.A.); Duncan and Another v. Cammell, Laird and Company, Limited, [1942] A.C. 624 (C.L.); Attorney -General v. Jonathan Cape Ltd. and Others, [1976] 1 Q.B. 752.
AVOCATS:
Pierre Lamontagne, c.r. et Richard Mongeau pour le requérant Maurice Goguen.
Harvey Yarosky et Morris Fish pour le requérant Gilbert Albert.
Joseph R. Nuss, c.r., Lorne Morphy, c.r.,
Allan Lufty, Gary H. Waxman et John B. Laskin pour l'intimé, le procureur général du Canada et le solliciteur général du Canada.
PROCUREURS:
Lamontagne, Mongeau, Montréal, pour le requérant Maurice Goguen.
Yarosky, Fish, Zigman, Isaacs & Daviault, Montréal, pour le requérant Gilbert Albert.
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour l'in- timé, le procureur général du Canada et le solliciteur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Les requérants, Maurice Goguen et Gilbert Albert, ont été envoyés à leur procès devant la Cour supérieure du Québec à Montréal sur des accusations, aux termes du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, de con-
certation avec des tiers pour commettre un vol par effraction et de vol avec effraction. Le complot aurait eu lieu entre le 8 août 1972 et le 8 janvier 1973 et l'effraction, le 8 janvier 1973.
Le 5 janvier 1983, la Cour supérieure, à la demande des requérants, lançait une citation à comparaître et à produire (subpoena), nommant l'intimé, Frederick Edward Gibson, solliciteur général adjoint du Canada et Gordon F. Osbaldes- ton, greffier du Conseil privé du Canada, et leur intimant de se présenter devant le tribunal et de produire un nombre considérable de documents, comportant quelque 8,200 pages, a-t-on dit. Dans le cas de M. Gibson, ils sont énumérés dans une liste de vingt-huit volumes et dossiers et, dans le cas de M. Osbaldeston, dans une liste d'une tren- taine d'autres, qui d'après la description de la liste, comportent à la fois des volumes et de simples documents. La citation a été signifiée le même jour.
Le 12 janvier 1983, l'intimé produisait auprès de la Cour supérieure une attestation désignant M. Gibson comme étant le solliciteur général adjoint du Canada et disant:
[TRADUCTION] 2. J'ai personnellement examiné et soigneuse- ment étudié les documents et dossiers existants, à l'exclusion des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, qui sont énumérés dans la citation lancée par la Cour le 5 janvier 1983 et qui sont antérieurs au mois de février 1973.
3. J'ai aussi personnellement examiné et soigneusement étudié les documents énumérés à l'annexe «A» ci-jointe, soit une partie des pièces énumérées dans la citation lancée par la Cour le 5 janvier 1983 à l'adresse du greffier du Conseil privé, M. Gordon F. Osbaldeston.
4. Les documents et dossiers mentionnés dans la citation et décrits au paragraphe 2 de la présente attestation et à l'annexe «A» font partie des archives du Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (ci-après appelé «le Service de sécurité»).
5. Pour ce qui est des documents et dossiers que j'affirme au paragraphe 2 de la présente attestation avoir examinés et étudiés, j'atteste à la Cour, conformément à l'article 36.1(l) de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, modifiée par S.C. 1980-81-82, chap. 111, que la production ou la communication des documents ou la divulgation de leur contenu, sauf ce qui a été rendu public par des instances judiciaires ou le rapport de la Commission d'enquête sur certai- nes activités de la Gendarmerie royale du Canada constituée par le décret C.P. 1977-1911 du 6 juillet 1977 en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, porteraient préjudice à la sécurité nationale du Canada et à ses relations internationales; je m'oppose donc à la divulgation de ces documents et dossiers et de leur contenu.
6. Quant aux documents que j'affirme, au paragraphe 3 de la présente attestation, avoir examinés et étudiés, j'atteste à la Cour, conformément à l'article 36.1(1) de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, modifiée par S.C. 1980- 81-82, chap. 11I, que leur production ou communication ou la
divulgation de leur contenu, sauf ce qui a été rendu public par des instances judiciaires ou le rapport de la Commission d'en- quête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada constituée par le décret C.P. 1977-1911 du 6 juillet 1977 en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, porteraient préjudice à la sécurité nationale du Canada et à ses relations internationales; je m'oppose donc à la divulgation de ces documents et de leur contenu.
7. J'atteste en outre à la Cour que la production ou la commu nication des documents ou la divulgation des renseignements auxquelles je me suis opposé aux paragraphes 5 et 6 de la présente attestation porteraient préjudice à la détection, à la prévention ou à la suppression d'activités subversives ou hostiles dirigées contre le Canada ou portant atteinte à sa sûreté. Ainsi, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la produc tion ou la communication des documents ou la divulgation de leur contenu révéleraient l'identité ou permettraient d'identi- fier: a) les sources humaines et techniques d'information du Service de sécurité; b) ses cibles; c) ses méthodes et stratégies opérationnelles et administratives, dont notamment les métho- des et les techniques spécifiques qu'il utilise dans ses opérations et pour la collecte, l'évaluation et la transmission de renseigne- ments; et d) les liaisons du Service de sécurité avec des agences de renseignements et de sécurité étrangères et les informations qu'elles fournissent.
8. Je crois savoir qu'une preuve testimoniale sera faite dans cette instance. Si l'on devait chercher à faire connaître par une preuve testimoniale le contenu des documents et dossiers à la divulgation desquels je m'oppose dans la présente attestation, je m'y opposerais aussi pour les motifs énoncés dans le cas des pièces littérales en cause.
À cette attestation est jointe une annexe énumé- rant dix-neuf des pièces de la liste de documents que la citation adressée à M. Osbaldeston lui intimait de produire.
Le lendemain, le 13 janvier 1983, les requérants demandèrent, sur le fondement de l'article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, adopté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4, que l'on statue sur l'opposition confor- mément au paragraghe 36.1(2) de cette Loi.
Les articles 36.1, 36.2 et 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada
Ces dispositions sont nouvelles. Elles sont à cer- tains égards extraordinaires et modifient considé- rablement le droit positif. Elles ont été adoptées au titre de l'annexe III de la «Loi édictant la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélati-
ves à d'autres lois» et ont été proclamées en vigueur en novembre 1982. Au même moment, est entrée en vigueur une disposition de la même Loi, abrogeant l'article 41 de la Loi sur la Cour fédé- rale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, abrogé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 3. Pour plus de commodité, je le reproduis ici ainsi que les nouvel- les dispositions pertinentes:
Loi sur la Cour fédérale
41. (I) Sous réserve des dispositions de toute autre loi et du paragraphe (2), lorsqu'un ministre de la Couronne certifie par affidavit à un tribunal qu'un document fait partie d'une catégo- rie ou contient des renseignements dont on devrait, à cause d'un intérêt public spécifié dans l'affidavit, ne pas exiger la produc tion et la communication, ce tribunal peut examiner le docu ment et ordonner de le produire ou d'en communiquer la teneur aux parties, sous réserve des restrictions ou conditions qu'il juge appropriées, s'il conclut, dans les circonstances de l'espèce, que l'intérêt public dans la bonne administration de la justice l'emporte sur l'intérêt public spécifié dans l'affidavit.
(2) Lorsqu'un ministre de la Couronne certifie par affidavit à un tribunal que la production ou communication d'un docu ment serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationale ou aux relations fédérales- provinciales, ou dévoilerait une communication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada, le tribunal doit, sans examiner le document, refuser sa production et sa communication.
Loi sur la preuve au Canada
36.1 (1) Un ministre de la Couronne du chef du Canada ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public déterminées.
(2) Sous réserve des articles 36.2 et 36.3, dans les cas l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseigne- ments et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation.
Le paragraphe (3) prévoit que la question de l'opposition sera décidée par la Division de pre- mière instance de la Cour fédérale ou par la cour supérieure de la province, selon les modalités pré- vues audit paragraphe, mais sous réserve des arti cles 36.2 et 36.3. L'article comporte des disposi tions concernant l'appel de ces décisions.
36.2 (1) Dans les cas l'opposition visée au paragraphe 36.1(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la question peut être décidée conformément au paragraphe 36.1(2), sur demande, mais uniquement par le
juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de cette cour qu'il charge de l'audition de ce genre de demande.
(2) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (I) peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette cour qu'il charge de l'audition de ce genre de demande peut modifier ce délai s'il l'estime indiqué.
(3) II y a appel de la décision visée au paragraphe (1) devant la Cour d'appel fédérale.
(4) Le paragraphe 36.1(6) s'applique aux appels prévus au paragraphe (3) et le paragraphe 36.1(7) s'applique aux appels des jugements rendus en vertu du paragraphe (3), compte tenu des adaptations de circonstance.
(5) Les demandes visées au paragraphe (I) font, en premier ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la Capitale nationale définie à l'annexe de la Loi sur la Capitale nationale si la personne qui s'oppose à la divulgation le demande.
(6) La personne qui a porté l'opposition qui fait l'objet d'une demande ou d'un appel a, au cours des auditions, en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l'absence d'une autre partie.
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas un ministre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confi- dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
Autant que je sache, la présente demande est la première à être faite en vertu de ces dispositions et c'est incontestablement la première qui soit fondée sur l'article 36.2.
L'article 36.2 a ceci d'extraordinaire qu'il dis pose que seul «le juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de [la Cour fédérale] qu'il charge de l'audition de ce genre de demande», peut statuer sur la demande et qu'il prévoit aussi, par renvoi au paragraphe 36.1(2), l'examen par le juge en chef ou par le juge désigné, d'informations dont on s'oppose à la divulgation en raison du tort qu'elle pourrait faire aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales. Le para- graphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale qui a été abrogé ne permettait pas ce recours.
La Loi apporte également ceci de nouveau que l'opposition n'est plus nécessairement présentée par un affidavit d'un ministre de la Couronne, mais peut être faite par une attestation orale ou
écrite d'un ministre de la Couronne du chef du Canada ou de tout autre intéressé. Je note en passant qu'il n'est pas contesté que M. Gibson est autorisé à faire les oppositions en cause.
Notons également que les termes -
... certifie ... qu'un document fait partie d'une catégorie ou contient des renseignements dont on devrait ... ne pas exiger la production et la communication ...
de l'ancien paragraphe 41(1) de la Loi sur la Cour fédérale, ont été supprimés et remplacés par
... attestant ... que ces renseignements ne devraient pas être divulgués ....
L'ancienne mention au paragraphe 41(1) de
... l'intérêt public dans la bonne administration de la justice
a aussi été remplacée par les
... les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation ....
On remarquera aussi que l'article 41 ne s'appli- quait qu'à des écrits. Les nouvelles dispositions parlent de «renseignements», terme suffisamment large pour couvrir l'information écrite et non écrite.
Il me semble qu'à l'article 36.2 le législateur manifeste sa volonté de ne plus considérer le secret invoqué en raison du préjudice que la divulgation porterait aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales, comme absolu, mais relatif, et assujetti au contrôle judiciaire. En outre, l'opposant n'est plus nécessairement un ministre de la Couronne mais, que ce soit ou non le ministre, l'attestation en elle-même n'empêchera pas auto- matiquement la divulgation. Ce sera au tribunal d'en juger. En cela, l'auteur de l'opposition, son intérêt au maintien du secret et sa connaissance de la nécessité du secret ont leur importance. D'autre part, la confidentialité de l'information et, espé- rons-le, la cohérence de la démarche et les normes applicables à ces décisions se trouvent, dans une certaine mesure, protégées par la désignation d'un juge unique, au moins en première instance, pour connaître de la demande et statuer sur les oppositions.
Mais il est important de noter, je pense, que si le pouvoir de statuer sur la question n'est plus dévolu
à un ministre de la Couronne mais au tribunal, l'intérêt public qu'il y a à interdire la divulgation d'informations préjudiciables à la défense ou à la sécurité nationales ou aux relations internationales demeure. Son importance est toujours aussi grande. On pense à la maxime: Salus populi est suprema lex. Ce que la loi semble reconnaître néanmoins, c'est qu'il peut y avoir des cas où, dans des circonstances données, cet intérêt public doit céder devant des raisons d'intérêt public qui justi- fient la divulgation, c'est-à-dire dans une instance civile ou criminelle, aux fins de la bonne adminis tration de la justice; l'importance de cet intérêt dépend des circonstances. Dans une affaire dont l'enjeu est mineur, il l'emporterait difficilement sur l'intérêt général en matière de sécurité natio- nale ou de relations internationales. Dans une poursuite au criminel relative à une infraction grave, voire capitale, son importance pourrait devenir considérable s'il était démontré que l'infor- mation était essentielle à la défense ou à la poursuite.
Ainsi, dans Rex v. Hardy', lord Eyre, juge en chef, parlant du secret protégeant les sources de renseignements de la police, fait observer:
[TRADUCTION] ... il existe une règle qui est universellement reconnue, vu son importance pour le public en ce qui concerne la détection des crimes; cette règle dit qu'on ne doit pas révéler sans nécessité l'identité des personnes qui ont permis cette détection: si l'on peut démontrer qu'il est réellement nécessaire à la recherche de la vérité de révéler l'identité de ces personnes, je ne m'y opposerai pas ....
Dans Marks v. Beyfus 2 , lord Esher, Maître des rôles, dit, après avoir cité la règle interdisant de divulguer les noms des informateurs:
[TRADUCTION] Or, cette règle sur les poursuites criminelles intentées par le ministère public repose sur des motifs qui relèvent de l'intérêt public et s'il s'agit en l'espèce de ce genre de poursuites, elle s'applique; j'estime qu'il s'agit d'une pour- suite criminelle intentée par le ministère public et que la règle s'applique. Je ne dis pas que cette règle ne peut jamais souffrir d'exception; si, au procès d'un prisonnier, le juge est d'avis qu'il est nécessaire ou juste de divulguer le nom de l'informateur pour démontrer l'innocence du prisonnier, il y a alors conflit entre deux intérêts publics et c'est celui selon lequel il ne faut pas condamner un innocent lorsqu'il est possible de prouver son innocence qui doit prévaloir. Mais à cette unique exception près, cette règle d'intérêt public échappe à tout pouvoir discré-
' (1794), XXIV St. Tr. 199, la p. 808.
2 (1890), 25 Q.B.D. 494 (C.A.), aux pp. 498 et 500.
tionnaire; il s'agit d'un principe de droit et il doit à ce titre être appliqué par le juge au procès qui ne doit pas considérer qu'il a le pouvoir discrétionnaire de dire au témoin s'il doit répondre ou non.
Dans la même affaire, le lord juge Bowen a dit: [TRADUCTION] La seule exception à cette règle serait le cas d'un procès criminel, le juge s'apercevrait que l'application stricte de la règle pourrait vraisemblablement entraîner un déni de justice; il pourrait l'assouplir en faveur de l'innocence; s'il ne le faisait pas, des personnes innocentes risqueraient d'être déclarées coupables.
Dans D. v. National Society for the Prevention of Cruelty to Children 3 , lord Simon of Glaisdale
dit au sujet du secret protégeant les sources d'in- formation policières:
[TRADUCTION] Ici, toutefois, le droit apporte un tempéra- ment à la règle. L'intérêt public qu'il y a à ne pas condamner un innocent est si fort qu'il prévaut sur l'intérêt général qu'il y a à protéger le secret des sources d'information policières de sorte que, par exception, ces preuves doivent être admises lorsque c'est nécessaire pour établir l'innocence dans un procès au criminel: voir les citations de Reg. v. Lewes Justices, Ex parte Secretary of State for the Home Department [1973] A.C. 388, 408A. Il semble que l'on soit parvenu à établir un équilibre en matière d'intérêt public entre la règle générale et son exception, de sorte que les intérêts généraux de la société sont bien servis en reconnaissant la même force à l'intérêt pub' .• dans la bonne administration de la justice, qui n'est pas de caractère exclusif.
Dans Regina v. Snider 4 , la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et la Cour suprême du
Canadas ont jugé que dans une poursuite au crimi- nel l'intérêt public dans la bonne administration de
la justice prévalait sur l'intérêt public invoqué par le ministre du Revenu national, concernant le secret des déclarations d'impôt sur le revenu.
Le juge en chef de la Colombie-Britannique, le juge Sloan, fait observer dans ses motifs:
[TRADUCTION] Il me semble que dans un cas de ce genre, les décisions Marks v. Beyfus (1890), 25 Q.B.D. 494, la p. 498, et Humphrey v. Archibald (1893) 20 O.A.R. 267, la p. 270, peuvent être utiles. Selon moi, cette jurisprudence établit le principe que lorsqu'il y a conflit d'intérêts publics, celui qui est primordial doit prévaloir. Cela étant, je suis d'avis que la bonne administration de la justice prime la perception d'un revenu pour la Couronne.
À mon avis, le même raisonnement s'appliquerait si un accusé demandait la production de déclarations d'impôt afin d'établir son innocence. Il n'y aurait pas alors conflit entre organes du gouvernement, mais j'estime qu'on ne saurait passer
3 [1978] A.C. 171 (C.L.), à la p. 232.
4 [1953] 2 D.L.R. 9 (C.A. C.-B.), aux pp. 13, 14, 16 et 43.
5 [1954] R.C.S. 479,à la p. 487.
sous silence d'autres principes fondamentaux qui s'opposent à ceux que le Ministre invoque. A mon avis, il est d'intérêt public que la vie et la liberté d'un innocent ne soient pas injustement mises en péril. Cet intérêt prime et doit aussi prévaloir. À cette fin, je suis d'avis que le premier juge d'une instance criminelle devrait pouvoir se prononcer sur l'opposition du Ministre dans la même mesure et le même but, lorsque les déclarations d'impôt sont demandées par l'accusé pour établir son inno cence, que lorsque le procureur général en demande la produc tion pour aider à la poursuite de l'inculpé: Marks v. Beyfus, précité et Humphrey v. Archibald, précité.
Mon opinion repose sur le principe que lorsque divers intérêts publics entrent en conflit, celui qui est primordial—en l'espèce, l'administration de la justice criminelle—doit prévaloir. Ce sont les tribunaux et non le ministre du Revenu national qui sont les gardiens de cette justice.
Le juge Robertson de la Cour d'appel, après avoir examiné la jurisprudence antérieure, a dit:
[TRADUCTION] À mon avis, cette jurisprudence aboutit à la règle suivante: lorsque deux principes d'ordre public entrent en conflit, celui qui est primordial doit prévaloir. Le principe d'ordre public sur lequel s'appuie le ministre du Revenu natio nal ne concerne que la perception de contributions; l'autre principe, selon lequel on ne doit pas condamner un innocent, touche fondamentalement à la liberté du sujet; à mon avis, il ne fait aucun doute qu'il est primordial.
En Cour suprême du Canada, le juge Kellock a résumé la règle comme suit:
[TRADUCTION] En conséquence, il est d'intérêt public de sauve- garder le secret de documents pouvant nuire à l'intérêt général si, par exemple, leur divulgation peut porter préjudice à la défense nationale ou aux bonnes relations diplomatiques, ou si leur classification est nécessaire au bon fonctionnement d'un service public; mais, par ailleurs, l'intérêt public dicte aussi qu'«il ne faut pas condamner un innocent lorsqu'il est possible de prouver son innocence»; lord Esher, Maître des rôles, dans l'arrêt Marks v. Beyfus ((1890) 25 Q.B.D. 494, la p. 498). On ne saurait dire toutefois que l'un ou l'autre intérêt prédo- mine invariablement.
Il ressort clairement de cette jurisprudence que la fin d'intérêt public résidant dans la bonne admi nistration de la justice criminelle est très impor- tante; elle l'est d'autant plus lorsque la divulgation est requise afin d'établir l'innocence d'une per- sonne accusée d'un crime. Même alors, toutefois, son importance sera, à mon avis, fonction de la gravité des charges retenues et de la sévérité de la peine pouvant être prononcée en cas de condamna- tion. Dans Rex v. Hardy précité, il s'agissait de haute trahison, crime sanctionné à l'époque par la pendaison en public et l'écartèlement. On donne- rait forcément moins de poids à l'intérêt public dans la bonne administration de la justice si les
renseignements demandés étaient nécessaires au- jourd'hui pour se défendre d'une infraction à la circulation, quoique aussi le principe soit appli cable: l'intérêt public dans la bonne administration de la justice ne doit jamais être minimisé ni consi- déré comme secondaire.
Si important que soit cet intérêt public toutefois, je crois que la nature des questions de relations internationales, de défense et de sécurité nationales est telle que les cas le maintien du secret de certaines informations pouvant leur porter préju- dice sera considéré moins important que la bonne administration de la justice, même en matière criminelle, seront rares.
Dans l'arrêt Reg. v. Lewes Justices, Ex parte Secretary of State for Home Department 6 , lord Salmon dit de cet intérêt public:
[TRADUCTION] De toute évidence, une preuve fournie par un ministre d'État doit être traitée avec le plus grand respect. Si le secret est demandé parce que la divulgation du contenu d'un document peut mettre en péril la sûreté de l'État ou les relations diplomatiques, les tribunaux doivent normalement faire droit à la demande. Ce sont des questions relevant de l'exécutif dont les tribunaux n'ont que peu ou pas d'expérience. Ce qui paraît anodin au non-initié pourrait en réalité être un important secret de défense ou causer des difficultés diplomatiques.
Dans R. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Hosenball 7 , lord Denning, Maître des rôles, décrit l'importance de cet intérêt public comme suit:
[TRADUCTION] L'intérêt public dans la sûreté du Royaume est si grand que les sources de renseignements ne doivent pas être révélées, ni leur nature, s'il en résulte le moindre risque de faire découvrir ces sources. La raison en est que, dans ce domaine la dissimulation est reine, nos ennemis pourraient tenter d'éli- miner la source de ces informations. C'est pourquoi elles ne doivent pas être divulguées. Pas même à la Chambre des Communes, ni à un tribunal, ni à une juridiction d'enquête ni à quelque autre commission, établie par la loi ou non, si ce n'est dans la mesure le Secrétaire de l'Intérieur estime que cela ne présente aucun risque. Si grand que soit l'intérêt public à sauvegarder la liberté de l'individu et à lui rendre justice, en dernier ressort, il doit céder le pas à la sécurité du pays lui-même.
Dans D. v. National Society for the Prevention of Cruelty to Children, lord Simon of Glaisdale dit la page 233]:
6 [1973] A.C. 388 (C.L.), à la p. 412.
7 [1977] 3 All ER 452 (C.A.), à la p. 460.
[TRADUCTION] Donc, pour s'éloigner encore un peu plus de l'intérêt public dans la bonne administration de la justice, la loi reconnaît d'autres intérêts publics pertinents, qui peuvent ne pas toujours être complémentaires, par exemple, la sécurité nationale. Si une société est désorganisée ou détruite par ses ennemis internes ou externes, l'administration de la justice est elle-même au nombre des victimes. Silent enim leges inter arma. C'est pourquoi la loi dit: si important soit-il pour l'admi- nistration de la justice que toutes les preuves pertinentes soient administrées devant le tribunal, ces preuves ne doivent pas être produites si, compte tenu des intérêts publics en jeu, le péril que causerait leur divulgation pour la sécurité nationale surpasse le profit qu'en tirerait le processus judiciaire—et les tribunaux considéreront presque toujours une attestation ministérielle comme concluante en matière de sécurité nationale au sens étroit: voir lord Parker of Waddington dans l'arrêt The Zamora [ 1916] 2 A.C. 77, la p. 107.
Enfin, dans l'arrêt Le solliciteur général du Canada et autre c. La Commission royale d'en- quête sur la confidentialité des dossiers de santé en Ontario et autre', le juge Martland écrit:
Le fondement de l'existence de ce principe de droit, qui a évolué dans le domaine des enquêtes criminelles, est encore plus ferme lorsqu'il s'agit du travail policier dans la protection de la sécurité nationale. Dans bon nombre de cas où, en l'espèce, on a tenté d'obtenir de la police les noms de ses informateurs, il était question d'une enquête policière sur la possibilité de violence contre des fonctionnaires de l'État, y compris des chefs d'État. On reconnaît que ces enquêtes sont du ressort de la police. Le principe de droit qui protège contre la divulgation de l'identité des personnes qui fournissent des renseignements dans le cadre d'une enquête policière sur le crime se justifie d'autant plus lorsqu'il s'agit de la protection de la sécurité nationale contre la violence et le terrorisme.
En l'espèce, les avocats des requérants ont fait valoir à plusieurs reprises que, jusqu'à aujourd'hui, aucun tribunal canadien n'a confirmé un refus opposé, au nom de l'intérêt public, à la divulgation de certains renseignements nécessaires à l'inculpé d'une infraction criminelle et que la Cour ne devrait pas créer un tel précédent. L'immunité contre la divulgation a cependant été reconnue en Angleterre dans l'arrêt Attorney -General v. Briant 9 et en Nouvelle-Galles du Sud dans l'arrêt Ex parte Attorney -General; Re Cook and Others 10 . À supposer cependant qu'il n'y ait aucun précédent canadien de ce genre, il est, je pense, tout aussi vrai que les tribunaux n'ont jamais encore infirmé un refus opposé, au nom de la sécurité nationale ou des relations internationales,
8 [1981] 2 R.C.S. 494, à la p. 537.
9 (1846), 15 M. & W. 168.
10 (1967), 86 W.N. (Pt. 2) (N.S.W.) 222 (C.A.).
à la divulgation de certains renseignements. D'ail- leurs, il est très improbable qu'une telle revendica- tion de l'immunité, faite de manière régulière, eût pu être rejetée aux termes de la législation anté- rieure. Dans l'arrêt Le procureur général de la province de Québec et autre c. Le procureur géné- ral du Canada et autre", le juge Pigeon décrit la situation comme suit [aux pages 248 et 249]:
Ni la constitutionnalité de l'art. 41 ni son applicabilité ne sont contestées et j'estime inutile de passer en revue les arrêts célèbres de la Chambre des lords, dans les affaires Duncan v. Carmel! Laird & Co. Ltd. ([1942] A.C. 624) et Conway v. Rimmer ([1968] A.C. 910), qui donnent des points de vue différents quant à la nature du privilège en question en common law. Le Parlement a par la suite édicté des dispositions expres ses qui définissent le droit applicable au Canada et il est évident que l'affidavit a été soumis au commissaire en conformité du par. (2) de l'art. 41. On a longuement débattu à l'audience la question de savoir si ce genre d'affidavit est vraiment concluant ou s'il peut être contesté de quelque manière. Je n'estime pas nécessaire de trancher ce point car si ce genre d'affidavit peut être contesté, ce ne peut être que devant un tribunal compétent; le commissaire n'est pas un tribunal compétent et ne possède pas les pouvoirs d'un tel tribunal.
Mais, bien que le paragraphe 36.1(2) autorise maintenant la Cour à prendre connaissance des renseignements demandés, il indique aussi, à mon avis, l'intention de conférer à la Cour le pouvoir discrétionnaire de procéder ou non à cet examen.
Une jurisprudence constante et abondante fondée sur la common law et relative à ce qu'on a appelé [TRADUCTION] «le privilège de la Cou- ronne» appelé maintenant [TRADUCTION] «l'im- munité d'intérêt public», a décidé que la cour peut prendre connaissance des documents dont on refuse la communication afin de décider si la demande doit être rejetée. Il a aussi été jugé que c'est à la cour qu'il appartient de décider s'il a été suffisamment établi qu'elle doit prendre connais- sance des documents à cette fin. Ces arrêts, dont notamment Robinson v. State of South Australia [No. 4' 2 , Conway v. Rimmer and Another' 3 , Burmah Oil Co. Ltd. v. Governor and Company of the Bank of England and Another 14 , et Air Canada and Others v. Secretary of State for
" [1979] 1 R.C.S. 218.
12 [1931] A.C. 704 (C.P.).
13 [1968] A.C. 910 (C.L.).
14 [1980] A.C. 1090 (C.L.).
Trade and Another 15 , concernent des litiges de droit civil la question se posait au stade de l'interrogatoire préalable. Dans certains cas, notamment dans les arrêts Robinson et Air Canada, la décision se fondait, au moins en partie, sur les règles de la cour en matière de communica tion de pièces. Voici la règle 13 du règlement
anglais, l'ordonnance 24:
[TRADUCTION] 13.—(1) Aucune ordonnance de production de documents pour examen ou dépôt à la Cour ne sera rendue sur le fondement des règles précédentes, à moins que la Cour ne soit d'avis que l'ordonnance est nécessaire pour statuer équita- blement sur le litige ou l'affaire, ou pour en réduire les frais.
(2) Lorsque, dans le cas d'une requête en production d'un document pour examen ou pour dépôt sur le fondement de la présente ordonnance, l'immunité de production est invoquée ou qu'il est fait opposition à cette production pour tout autre motif, la Cour est autorisée à examiner le document pour décider si l'immunité ou l'opposition est valide.
Des règles similaires sont en vigueur dans plu- sieurs juridictions. La Règle 457 des Règles de la Cour fédérale équivaut grosso modo au deuxième paragraphe de la règle anglaise.
Dans l'arrêt Robinson v. State of South Austra- lia [No. 2], le Conseil privé, après avoir décidé que la Cour avait le pouvoir d'ordonner la communica tion malgré l'immunité réclamée, et de prendre connaissance des pièces pour décider si elle devait rendre l'ordonnance, ajouta que la règle de la Cour, semblable à la règle anglaise, était assez large pour inclure l'immunité revendiquée au nom de l'intérêt public et ainsi régir la procédure à suivre lorsqu'elle était invoquée. Cette façon de voir fut rejetée par la Chambre des lords dans l'arrêt Duncan and Another v. Cammell, Laird and Company, Limited' 6 . Mais dans Air Canada and Others v. Secretary of State for Trade and Another, quatre des cinq lords qui entendirent l'appel parlèrent de la règle et de la pratique qui en résulte comme du fondement de leur décision de ne pas prendre connaissance des documents alors en cause. Si je mentionne cela, c'est qu'il n'y a pas ici de règle de ce genre à appliquer et que, pour cette raison, le raisonnement suivi dans l'arrêt Air Canada peut en partie ne pas être applicable.
Toutefois, mise à part cette question des règles de la cour, le but du paragraphe 36.1(2) me paraît être l'attribution à la Cour du pouvoir de prendre
15 [1983] 2 W.L.R. 494; [1983] 1 All ER 910 (C.L.).
16 [1942] A.C. 624 (C.L.), à la p. 641.
connaissance des renseignements demandés. Le paragraphe emploie le terme «peut», qui n'a pas un sens impératif mais facultatif; aussi, la nature de la demande me paraît être telle qu'avant d'exercer le pouvoir de prendre connaissance des renseigne- ments, le juge instruisant la demande doit être convaincu, d'après la preuve dont il est saisi, que la divulgation s'impose, c'est-à-dire que l'intérêt public dans la divulgation dans le cas d'espèce est plus important que l'intérêt public à préserver le caractère confidentiel de ces renseignements ou, à tout le moins, que la balance ne penche ni dans un sens ni dans l'autre et qu'il faut donc prendre connaissance des renseignements afin de décider quel intérêt public doit l'emporter. Cette interpré- tation paraît en harmonie avec la démarche de la Chambre des lords dans l'arrêt Air Canada ainsi qu'avec l'évolution antérieure du droit relatif à l'examen des documents par la Cour dans de tels cas; elle est, je pense, autorisée par le libellé du paragraphe 36.1(2) et devrait donc être adoptée. L'objet de cet examen judiciaire, quand il a lieu, est de vérifier s'il y a prépondérance en faveur de la divulgation. C'est à mon avis l'intention qu'ex- prime le paragraphe. En revanche, si la nécessité de la divulgation n'a pas été démontrée et si la balance penche nettement d'un côté, il faut, bien entendu, faire droit à l'opposition et, dans ce cas, je ne pense pas que le paragraphe exige que la Cour prenne connaissance des renseignements pour voir si cet examen fera pencher la balance dans l'autre sens. Interpréter le paragraphe autre- ment obligerait, me semble-t-il, la Cour à prendre connaissance des renseignements à chaque fois. Ce n'est probablement pas l'intention du législa- teur, surtout dans les cas l'opposition est fondée sur des questions aussi délicates que la sécurité et la défense nationales et les relations internationa- les.
Lord Wilberforce discute de la façon d'aborder la question de l'examen dans l'arrêt Burmah Oil, à la page 1116:
[TRADUCTION] Ceci m'amène à la question de l'examen. On dit maintenant: «Regardons les documents et nous verrons—il n'y a aucun mal à cela. S'ils ne contiennent rien, aucun dommage n'aura été causé; s'il y a effectivement quelque chose, nous serons en mesure d'en évaluer l'importance.» Ainsi pré- senté (et pour être juste envers les éminents avocats de la
Burmah, l'argument n'est guère développé dans leur plaidoirie), cela peut paraître tentant. Mais, tout en respectant l'opinion contraire, je suis fermement d'avis que nous ne devons pas céder à ce chant des sirènes. Le poids de la jurisprudence est à l'opposé et rien ne justifierait de modifier la loi. D'ailleurs, ce ne serait pas un progrès, à mon avis.
Après avoir cité diverses opinions jurispruden- tielles, lord Wilberforce poursuit la page 1117]:
[TRADUCTION] En principe, je ne saurais considérer comme souhaitable que les tribunaux se chargent de cet examen, si ce n'est dans les rares instances il est presque assuré qu'il sera concluant, mais certainement pas sur la foi d'une simple affir mation de la partie réclamant la communication qu'on pourrait y trouver quelque chose en sa faveur, ou en vertu de quelque intuition non corroborée—c'est-à-dire de simples conjectures. Il faut d'abord départager assez clairement les responsabilités ministérielles d'une part et judiciaires d'autre part. Chacun a sa propre contribution à apporter à la solution de la « question de l'intérêt public—le contrôle judiciaire n'est pas un «bien en soi»; ce n'est qu'un aspect—valable certes—du gouvernement démo- cratique coexistent plusieurs responsabilités. La jurispru dence actuelle, depuis l'arrêt Conway v. Rimmer, a soigneuse- ment procédé à ce partage. C'est au ministre qu'il appartient de définir l'intérêt public et les raisons qui, d'après lui, font qu'une divulgation des pièces y portera atteinte. De même, le tribunal responsable de l'administration de la justice, avant de décider que le ministre doit céder, devrait avoir quelque chose de matériel, d'identifiable, à poser sur un plateau de la balance. Passer outre à l'avis du ministre en ayant recours à des expressions «vagues» ou à des affirmations gratuites, c'est faire précisément ce que les tribunaux ne tolèrent pas des ministres. En outre, les décisions relatives au secret pour motif d'intérêt public sont rendues par les juges de première instance ou les juges seuls en cabinet. Ils doivent pouvoir rendre ces décisions en fonction des règles simples qui sont fournies par le droit positif actuel. S'ils encourageaient une procédure générale d'examen, les tribunaux s'engageraient sur une voie dange- reuse: ils n'ont en général ni le temps ni l'expérience requise pour procéder dans chaque cas à un examen soigneux des documents afin de les évaluer. Il se peut, et il est même probable, que le résultat varie d'un tribunal à l'autre, d'une affaire à l'autre. Le cas d'espèce fournit un exemple de conclu sions contradictoires fondées sur les mêmes pièces: voir [1979] 1 W.L.R. 473. Cette incertitude inévitable ne rehausse pas l'image de la justice et ne peut qu'encourager les appels.
Quelques années plus tôt, lord Reid a dit dans l'arrêt Conway v. Rimmer and Another, à la page
953:
[TRADUCTION] Il me semble que si les motifs du Ministre sont tels qu'un juge puisse légitimement les évaluer, il lui faut, par ailleurs, prendre en considération l'importance éventuelle, dans l'espèce dont il a à connaître, des documents ou autres preuves dont on cherche à refuser la communication. S'il décide que, tout bien pesé, les documents devraient probablement être produits, je crois qu'il vaudrait mieux en général qu'il en prenne d'abord connaissance avant d'ordonner leur production; et s'il pense que les raisons du Ministre ne sont pas exprimées claire- ment, il devrait les examiner avant d'en ordonner la production. Je ne vois rien de mal à ce que le juge prenne connaissance des
documents sans qu'ils soient communiqués aux parties. Lord
Simon a dit (dans l'arrêt Duncan ([1942] A.C. 624, la p. 640»: «lorsque la Couronne est partie à l'instance ... cela équivaudrait à communiquer avec l'une des parties à l'exclusion de l'autre.. Ce n'est pas mon avis. Les parties ont les raisons du Ministre devant les yeux. Lorsqu'un document n'a pas été rédigé pour le profit du juge, il me semble que c'est un abus de langage de dire que le juge «communique avec. le détenteur du document parce qu'il en prend connaissance. Si, à la lecture du document, il estime toujours qu'il doit être produit, il ordonnera cette production.
Les avocats ont débattu dans leurs plaidoiries de la charge de la preuve. À mon avis, il découle de ce qui précède ainsi que du libellé du paragraphe 36.1(2) que, dans le cas d'espèce, il appartient aux requérants de démontrer que l'intérêt public dans la divulgation prévaut sur la sécurité nationale et les relations internationales, intérêts publics fort importants invoqués dans l'attestation de l'intimée.
Les avocats des requérants ont appelé l'attention de la Cour sur l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada Smallwood c. Sparling" concernant une revendication d'immunité au titre du secret du Cabinet par un ancien premier ministre de Terre- Neuve qui était cité à témoigner à une enquête publique; le juge Wilson a dit la page 707]:
Me fondant sur l'arrêt Cape précité, je conclus qu'il incombe à M. Smallwood d'établir que l'intérêt public dans la responsa- bilité collective du Cabinet serait mis en danger par une divulgation particulière qu'on lui demande de faire. De même, j'estime qu'il y a lieu de rejeter toute demande générale d'im- munité sur ce fondement.
Je n'interprète pas ce passage comme traitant de la charge de la preuve dans un cas exigeant une décision aux termes du paragraphe 36.1(2) de la Loi sur la preuve au Canada. Dans l'arrêt Small- wood, il n'y avait pas de loi applicable et l'immu- nité était revendiquée non pas par un ministre de la Couronne mais par un ancien ministre qui récla- mait une injonction pour interdire aux intimés d'agir sur le fondement de la citation qui l'obli- geait à témoigner, avant même qu'on l'interroge ou qu'on exige des renseignements ou documents précis pour lesquels il invoquait une immunité d'intérêt public. Il est donc compréhensible que si l'opposition de M. Smallwood à la divulgation, qu'elle ait été faite dans l'instance qui a abouti au pourvoi en Cour suprême ou lors de l'enquête, devait être acceptée, c'est à lui qu'il incomberait
17 [1982] 2 R.C.S. 686; 44 N.R. 571.
d'abord de démontrer que la divulgation du rensei- gnement particulier demandé pourrait nuire à l'in- térêt public. En tant que simple citoyen, il serait obligé de fournir à la Cour au moins autant de renseignements et de détails que ce qui est exigé par les tribunaux d'un ministre de la Couronne qui dépose un affidavit excipant de l'immunité d'inté- rêt public.
Je n'interprète pas le paragraphe cité de l'arrêt Smallwood comme allant au-delà. Je ne pense pas qu'il traite de la question de l'importance relative de certains intérêts publics contradictoires. Mais que ce soit ou non le cas, en l'espèce, les pièces produites par les deux parties sont telles qu'à mon avis, la question de la charge de la preuve n'a plus d'importance.
J'en viens maintenant aux faits et aux pièces dont je suis saisi.
À l'époque les infractions auraient été perpé- trées, c'est-à-dire entre le 8 août 1972 et le 8 janvier 1973, les deux requérants étaient des sous- officiers de la Gendarmerie royale du Canada [ci-après appelée la GRC], stationnés à Montréal, et employés dans le Service de sécurité de la Gendarmerie. Les charges retenues contre eux découlent de ce qu'on a appelé l'opération «Ham», un incident dans lequel étaient impliqués de nom- breux agents du Service de sécurité de rangs diffé- rents et qui a consisté en l'entrée illicite dans certains locaux et l'enlèvement clandestin de bandes informatiques étaient enregistrées les listes des membres d'un parti politique; ces listes ont été copiées et remises en place. Neuf autres membres ou anciens membres de la Gendarmerie sont aussi inculpés. Dans un cas, celui de l'inspec- teur Claude Vermette, le procès a duré du 13 avril 1982 au 7 mai 1982, date à laquelle la nullité du procès pour vice de forme dirimant a été déclarée. Il y a subséquemment eu sursis à cette poursuite par ordonnance de la Cour supérieure, ordonnance dont on m'a dit que la Couronne avait formé appel.
Deux enquêtes publiques avaient déjà été tenues sur certains événements, dont l'opération «Ham», la première par la Commission d'enquête McDo- nald constituée par le décret C.P. 1977-1911 du 6 juillet 1977, sur le fondement de la Partie I de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, dont
le but était d'enquêter et de faire rapport sur, notamment, les activités de la GRC «non autori- sées ni prévues par la loi». Durant plusieurs années, la Commission a réuni des preuves et plusieurs rapports ont été rédigés; ils mentionnent l'opération «Ham» et un chapitre spécial qui y est consacré n'a pas été publié. La seconde enquête fut celle de la Commission Keable, constituée par le gouvernement de la province de Québec.
La procédure
Comme il n'existe aucune règle de procédure établie dans le cas des demandes fondées sur le paragraphe 36.2(1), les avocats des requérants ont aussi demandé, au moment de l'introduction de leur demande, des directives au sujet de l'audience; le 24 janvier 1983, il a été répondu notamment que:
[TRADUCTION] 2. Les requérants produiront, le 7 février 1983 au plus tard, au greffe de la Cour fédérale à Ottawa, l'affidavit et les autres pièces qu'ils veulent faire valoir à l'appui de leur position ainsi qu'un mémoire énonçant les faits et les points de droit de leur argumentation, avec une annexe comportant copie des extraits pertinents de toute pièce spécifiquement invoquée; copies de toutes ces pièces devront être remises aux avocats de l'intimé;
3. L'intimé, au plus tard le 21 février 1983, produira au greffe de la Cour fédérale à Ottawa l'affidavit et les autres pièces qu'il entend faire valoir au soutien de sa position ainsi qu'un mémoire énonçant les faits et les points de droit de son argu mentation, avec une annexe comportant copie des extraits pertinents de toute pièce spécifiquement invoquée; copies de toutes ces pièces devront être remises aux avocats des requérants.
L'affaire devait être instruite à Ottawa à partir du 1" mars 1983.
Les pièces des requérants
Conformément à ces directives, les requérants ont produit un affidavit de Gilbert Albert, qui mentionne la demande de décision concernant l'op- position et ses annexes, qui rappelle les charges retenues, la citation à témoigner et l'opposition excipée, et qui mentionne enfin le procès avorté de l'inspecteur Vermette. En voici les paragraphes 9, 10 et 11:
9. Au cours dudit procès de l'Inspecteur Vermette, plusieurs témoins furent entendus, tant à la demande de la poursuite qu'à celle de la défense et, au cours des témoignages, plusieurs faits reflétés [sic] dans les documents demandés par le subpoena mentionné ci-dessus (l'appendice «C» à la susdite lettre du 13
janvier 1983) et qui font l'objet du certificat mentionné au paragraphe 6 ci-dessus (appendice «D» à la lettre du 13 janvier 1983) ont été dévoilés; à cet effet, je produis les exhibits suivants:
a) la transcription des témoignages rendus lors du procès de l'Inspecteur Vermette, comme exhibit «E»;
b) toutes les cassettes de l'enregistrement mécanique du procès de l'Inspecteur Vermette, comme exhibit «F»;
10. Les circonstances et les faits qui ont mené aux accusations portées contre mon co-demandeur et moi-même sont relatés généralement dans un rapport secret préparé par la Commis sion d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (Commission MacDonald [sic]) que je produis comme exhibit «G»;
11. De plus, pour expliquer le contexte du document exhibit «G», je produis également un extrait de deux pages du rapport public de ladite Commission comme exhibit «H».
La pièce «G» est le chapitre non publié du rapport de la Commission McDonald traitant spé- cifiquement de l'opération «Ham». La pièce «H» ne fait qu'en donner le contexte.
Au cours des neuf jours d'instruction de la demande, plusieurs autres pièces ont été admises; elles ont été désignées par les lettres F-1, F-2, F-2a), I, J, K, L et M.
La pièce F-1 est l'enregistrement sur cassette du contre-interrogatoire du surintendant R. B. Gavin du 30 avril 1982 au sujet de son affidavit du 29 avril 1982 concernant les résultats de la recherche des documents demandés par la citation à compa- raître lancée lors du procès Vermette, au nom de la défense.
La pièce F-2 est une copie de l'enregistrement sur cassette du procès Vermette des 13, 14 et 15 avril 1982.
La pièce F-2a) est une copie des motifs du jugement de madame le juge Barrette-Joncas du 19 avril 1982 rejetant les requêtes présentées au nom de la défense qui demandait la suspension de l'instance Vermette.
La pièce I est une copie du mémoire, en date du 21 avril 1971, décrivant la procédure interne suivie à la GRC pour obtenir l'autorisation de procéder à des opérations comportant des visites clandestines. Il est coté «Très secret» mais a été admis comme pièce D-5 au procès Vermette et n'est plus classifié.
La pièce J, cotée elle aussi «Secret», a été pro- duite comme pièce D-6 au procès Vermette et n'est
plus classifiée: c'est un mémoire de la GRC, rédigé apparemment en 1972 ou antérieurement, qui énonce les objectifs et les buts du service de sou- tien technique, connu comme étant la section E du service ou direction générale de sécurité et du renseignement de la Gendarmerie.
La pièce K est une copie de l'affidavit du 29 avril 1982 sur lequel a porté le contre-interroga- toire du surintendant Gavin.
La pièce L est un affidavit, en date du 3 mai 1982, de Robert Phillip Kaplan, le solliciteur géné- ral du Canada, s'opposant, en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, à la produc tion ou à la divulgation de documents énumérés dans la citation à comparaître et produire délivrée au nom de la défense pendant le procès Vermette, et à toute déposition portant sur le contenu de ces documents, au motif que ces production, divulga- tion et déposition porteraient préjudice à la sécu- rité nationale.
La pièce M est la transcription des notes sténo- graphiques d'une partie des débats du procès Ver- mette l'avocat de la Couronne déclare qu'il conteste la crédibilité de Robert Potvin, un témoin de la défense et un des prétendus membres du complot, contre lequel pèsent des charges similai- res à celles retenues contre les requérants, quant aux raisons ayant justifié l'opération «Ham».
Les avocats des requérants ont demandé que soit annexée au dossier une copie du discours du Pre mier ministre du Québec devant l'Assemblée nationale qui a été la cause de l'avortement du procès Vermette; l'avocat de l'intimé s'y est opposé et la demande a été refusée.
Pour répondre aux arguments avancés par les avocats de l'intimé et fondés dans une large mesure sur l'arrêt Air Canada and Others v. Secretary of State for Trade and Another, qui a été prononcé par la Chambre des lords et distribué au cours de l'instruction de la demande, les avocats des requérants ont demandé dans leur réplique l'autorisation de soumettre d'autres affidavits por- tant sur la nécessité, de leur point de vue, de produire certains documents à leur procès.
Ils ont obtenu cette autorisation et ont produit un affidavit supplémentaire du requérant Gilbert Albert, le 21 mars 1983, et un affidavit de l'autre
requérant, Maurice Goguen, le 31 mars 1983. Dans son affidavit, Gilbert Albert dit qu'il a l'in- tention de témoigner à son procès et de citer Robert Potvin comme témoin à décharge; il affirme que le témoignage de ce dernier ainsi que le sien sont essentiels à son système de défense.
Voici le paragraphe 5 de cet affidavit:
Dans le cours de ma défense, j'ai l'intention de prouver ce qui suit:
a) l'opération «Ham» n'était pas une opération criminelle;
b) ladite opération a été entreprise pour des raisons sérieuses reliées aux enquêtes du Service de Sécurité de la Gendarme- rie Royale du Canada;
c) ladite opération faisait partie des méthodes d'enquête discutées, planifiées, utilisées et approuvées par la section «E» et par les hautes instances des Services de Sécurité à l'époque pertinente;
d) je n'ai pas agi «frauduleusement» ou «sans apparence de droit» en participant à ladite opération;
Le déposant dit ensuite que son témoignage et celui de Robert Potvin sont essentiels pour établir les éléments de sa défense mentionnés au paragra- phe 5; qu'en raison de l'opposition des avocats de l'intimé et du fait qu'il n'a pas l'habilitation de sécurité requise, il n'a pu prendre connaissance des documents énumérés dans les listes annexées à la citation; que, d'après son avocat, les documents mentionnés dans la citation et la divulgation de leur contenu sont essentiels pour démontrer les éléments de son système de défense; et que l'attes- tation de l'intimé va l'empêcher de prouver les faits essentiels à son système de défense.
Pour sa part, Maurice Goguen dit dans son affidavit que si la Couronne parvenait à démontrer qu'il a participé à la planification ou à l'exécution de l'opération «Ham», il entendait témoigner pour son propre compte et citer Robert Potvin comme témoin à sa décharge; et que s'il devenait néces- saire de présenter une défense, il entendait prouver notamment que:
[TRADUCTION] a) Il n'y avait pas d'intention générale de commettre un crime dans la planification et l'exécution de l'opération «HAM»;
b) L'opération «HAM» ne constituait pas un crime;
c) Personne n'avait agi frauduleusement ou sans apparence de droit lors de la planification et de l'exécution de l'opéra- tion «HAM»;
d) Il n'y avait aucune intention de priver qui que ce soit, temporairement ou définitivement, de quoi que ce soit dans la planification et l'exécution de l'opération «HAM»;
Le déposant décrit ensuite trois secteurs sur lesquels, à l'époque, la section G du Service de sécurité, son employeur, faisait enquête et affirme bien connaître le contexte des documents et des dossiers du Service de sécurité de la GRC qui ont
été rédigés au sujet de deux de ces secteurs, au moment l'opération «Ham» a été planifiée et exécutée, et savoir, en outre, qu'une enquête sui- vait son cours dans un troisième secteur; il déclare que l'opération «Ham» a été planifiée et exécutée pour des raisons sérieuses, dans le cadre de ces trois enquêtes et qu'il lui faudra démontrer à son
procès l'existence de ces raisons sérieuses qui sont fondées sur des renseignements que le Service de
sécurité de la GRC possédait alors et qu'on retrouve dans les documents et dossiers du Service datant de l'époque fut planifiée et exécutée l'opération «Ham». Il ajoute ensuite dans l'affida- vit:
[TRADUCTION] 17. Les postes 3 à 24 de l'annexe jointe à la citation adressée à l'intimé contiennent vraisemblablement des pièces concernant directement les enquêtes décrites au paragra- phe 10 du présent affidavit;
18. Ces pièces corroboreraient substantiellement les défenses mentionnées au paragraphe 8 du présent affidavit et, sans ces documents, je pourrais être privé de moyens de défense adéquats;
19. De plus, afin de fournir une défense pleine et entière, s'il est nécessaire de le faire, je devrai témoigner, sans restriction, au sujet de l'enquête décrite au paragraphe 10 du présent affidavit et faire appel en outre au témoignage dudit Robert Potvin et d'autres personnes à ce sujet;
20. L'opération «HAM» n'aurait été ni planifiée ni entreprise sans l'approbation préalable et constante de mes supérieurs de l'époque au quartier général de la Gendarmerie royale du Canada, à Ottawa et à Montréal;
21. Certains de ces officiers supérieurs sont inculpés comme complices de l'infraction dont je suis accusé;
22. Les postes 1, 2 et 25 28 de l'annexe à la citation adressée à l'intimé et les postes 8 à 19 de l'annexe «A» de l'attestation de l'intimé en date du 12 janvier 1983, concernent l'autorisation donnée par lesdits officiers supérieurs, dont certains de ceux qu'on prétend mes complices;
23. Lesdits postes contiennent vraisemblablement des pièces utiles comme corroboration au sujet de l'intention et de la motivation desdits officiers supérieurs, qui ont approuvé l'opé- ration «HAM»; sans ces documents, je pourrais être privé de moyens de défense adéquats;
24. Avant mon témoignage devant la Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, men- tionnée aux paragraphes 5 et 6 de ladite attestation de l'intimé, j'ai lu les documents mentionnés aux postes 1 à 7 de l'annexe «A» de ladite attestation; ce sont des extraits des dossiers du Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada por- tant sur les raisons graves qui ont justifié l'autorisation, la planification et l'exécution de l'opération aHAM»;
25. Lesdits postes contiennent vraisemblablement des pièces qui corroboreraient substantiellement les moyens de défense men- tionnés au paragraphe 8 du présent affidavit ainsi que l'inten- tion et la motivation des officiers supérieurs qui ont approuvé l'opération «HAM»; sans ces documents, je pourrais être privé de moyens de défense adéquats;
Les pièces de l'intimé
J'en viens maintenant aux pièces dont je suis saisi à l'appui de l'opposition. Il s'agit des cinq premières et de la huitième annexes mentionnées dans le mémoire de l'intimé sur les faits et le droit, et jointes à celui-ci, et de deux autres documents reçus au cours de l'instruction et numérotés 9 et 10, dont un affidavit de l'intimé coté «Très secret», inscrit comme produit le 21 février 1983, qui a été remis ensuite à la garde du solliciteur général adjoint, et y est resté, sauf lorsqu'il a servi à l'instruction. Les avocats des requérants ont pu prendre connaissance de cet affidavit. Voici ces annexes:
1. Une copie de l'attestation de l'intimé déposée auprès de la Cour supérieure.
2. Les premier, deuxième et troisième rapports de la Commission McDonald, soit quatre volu mes en tout.
3. Une liste des mentions faites dans les deuxième et troisième rapports de la Commis sion au sujet de visites clandestines pratiquées par le Service de sécurité et par la Direction des enquêtes criminelles de la GRC.
4. Un ensemble d'environ 56 documents déposés auprès de la Commission McDonald et désignés alors comme pièce F-1. On m'a dit que ces documents comportent des renseignements dont la publication permettrait aux spécialistes de déduire certains autres faits qui doivent rester secrets.
5. Cette annexe est une version révisée des docu ments de l'annexe 4. Elle a été remise aux requérants.
8. La transcription des notes sténographiques des dépositions des requérants devant la Com mission McDonald, les 24 et 25 avril 1978.
9. La copie d'un affidavit de Robert Phillip Kaplan, solliciteur général du Canada, en date du 8 avril 1982, produit au procès Vermette pour faire opposition, en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, à la
divulgation de documents réclamés par la cita tion lancée par la Cour supérieure au solliciteur général adjoint du Canada, au motif que la production des documents ou la divulgation de leur contenu serait préjudiciable aux relations internationales ou à la sécurité nationale.
10. La copie d'un affidavit supplémentaire de M. Kaplan, semblable à celui visé au paragra- phe 9, en date du 27 avril 1982, s'opposant à la production des documents apparaissant sur une liste annexée.
L'affidavit secret de l'intimé est volumineux; il a 26 pages et comprend au total 63 paragraphes. Les 16 premiers paragraphes traitent de la citation à comparaître et à produire des documents et de l'attestation, puis énoncent certains principes géné- raux relatifs à la sécurité nationale et aux relations internationales; ils expliquent pour quelles raisons il faut assurer le secret des renseignements et comment la divulgation de ces informations pour- rait porter préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales.
Les requérants se sont opposés au paragraphe 6 parce qu'il traduit une opinion que le déposant, à leur avis, n'était pas habilité à donner. Le dépo- sant, que la carrière et l'expérience ont mené au poste de solliciteur général adjoint est, je pense, suffisamment qualifié pour affirmer tout ce qui apparaît au paragraphe 6 et qui pourrait être considéré comme une opinion. En conséquence, je rejette cette objection. Je serais d'ailleurs du même avis, s'il fallait ne pas tenir compte du paragraphe 6.
Les 47 paragraphes restants de l'affidavit trai- tent de chaque point mentionné dans l'attestation (sauf dans le cas de deux postes qui n'ont pu être retrouvés ou ne comportant aucun document de cette période qui ait pu être retracé) en donnant une brève description de son contenu et en expli- quant l'effet préjudiciable que sa divulgation aurait sur la sécurité nationale ou les relations internationales, ou les deux.
L'argumentation des requérants
Les extraits suivants du mémoire sur les faits et le droit présenté par les requérants donnent l'es- sentiel des moyens qu'ils font valoir en faveur de la divulgation des renseignements.
[TRADUCTION] Les requérants soutiennent que les preuves littérales auxquelles on s'oppose sont essentielles pour leur permettre de fournir une réponse complète et une défense pleine et entière aux charges retenues contre eux.
Les requérants soutiennent aussi que la divulgation des preuves littérales requises de M. Osbaldeston et de l'intimé, et la preuve testimoniale relative au contenu desdits documents, ne portent pas atteinte à la sécurité nationale du Canada ni aux relations internationales et, subsidiairement, que l'intérêt public qu'il y aurait à les divulguer prévaut en importance sur l'intérêt public invoqué dans l'attestation.
Les documents décrits dans les citations à comparaître et à produire (subpoenas duces tecum) signifiées aux autorités fédé- rales sont nécessaires à l'accusé pour établir le contexte et les objectifs de l'opération entreprise par la GRC, en l'occurrence l'opération «Ham», et corroborer leur défense de bonne foi et croyance honnête en la licéité de l'opération. -
Il n'est pas vraiment contesté que les membres du Service de sécurité de la GRC sont entrés, de nuit, par effraction dans les locaux des «Messageries Dynamiques»; qu'ils se sont emparés des enregistrements et les ont transportés dans un autre immeu- ble, les ont copiés puis les ont ramenés, plusieurs heures plus tard, au lieu exact ils avaient été pris. Il n'est pas non plus contesté que l'opération avait été approuvée au plus haut niveau par le Service de sécurité de la GRC. Le litige entre la Couronne et la défense porte sur les fins pour lesquelles l'opéra- tion a eu lieu et les conséquences juridiques qui en découlent.
La défense soutient que l'opération «Ham» a eu lieu dans le but d'obtenir des renseignements importants pour le Service de sécurité de la GRC, dans le cadre de l'exécution de son mandat dans les domaines suivants:
a) Une enquête sur les fuites de renseignements classifiés du gouvernement fédéral, transmis par des fonctionnaires à des membres du PQ. La GRC était en possession de renseigne- ments indiquant que plusieurs membres influents du PQ avaient organisé un réseau activement engagé dans la col- lecte de telles informations. Leurs activités consistaient notamment à tenter de recruter des membres de la GRC afin d'obtenir certains renseignements secrets intéressant le PQ.
b) Une enquête sur l'ingérence de plusieurs gouvernements étrangers—tant «amicaux» qu'«hostiles»—dans les affaires internes du Canada par le biais d'une collaboration clandes tine avec des mouvements séparatistes du Québec et d'un appui donné à ces mouvements. À cet égard, la GRC avait reçu une demande écrite d'un haut fonctionnaire du bureau du Premier ministre demandant une enquête au sujet d'une contribution clandestine de $350,000 fournie au PQ par un gouvernement étranger.
On se rappellera que les questions mentionnées aux paragra- phes a) et b) sont liées puisque les membres du PQ impliqués dans les tentatives d'obtention de renseignements confidentiels du gouvernement communiquaient aussi avec les agents des gouvernements étrangers précités.
c) Une enquête afin de prévenir des actes terroristes qui seraient commis dans le but de promouvoir l'indépendance du Québec.
La GRC était décidée à empêcher le renouvellement d'actes de terrorisme plutôt que de se borner à réagir après coup, comme ce fut le cas dans les affaires Cross et Laporte en 1970. Dans ce contexte, il importait que le Service de sécurité puisse suivre les déplacements et les activités des terroristes avoués et de leurs partisans.
Malgré certaines indications d'un renouveau possible du terro- risme, Pierre Vallières, qui avait prêché la violence pour pro- mouvoir l'indépendance du Québec, avait récemment semblé changer de stratégie, appelant ses disciples à renoncer à la violence en faveur d'une activité politique au sein d'organisa- tions comme le PQ. Le Service de sécurité désirait savoir: a) combien de ceux qui avaient été impliqués dans des activités terroristes avaient rejoint les rangs du PQ; b) ils étaient et quelles étaient leurs activités; c) s'ils formaient des groupes importants dans certaines associations de comté du PQ.
Les justifications de l'opération «Ham», le raisonnement qui y a conduit et le rapport qui existe entre les enregistrements du PQ et l'enquête ouverte par le Service de sécurité de la GRC, aux époques en cause, sont exposés dans les témoignages de Mau- rice Goguen, de Gilbert Albert et de Robert Potvin au procès de l'inspecteur Claude Vermette, l'un des prétendus auteurs du complot, tenu devant un juge et un jury en Cour supérieure du Québec au printemps 1982. MM. Goguen et Albert avaient été cités par la Couronne et M. Potvin par la défense. Tous trois étaient membres du Service de sécurité à l'époque et avaient été impliqués dans l'opération «Ham», les deux premiers à Mont- réal, et le troisième à Ottawa. Tous trois sont inculpés de complot. C'est au cours du contre-interrogatoire de M. Potvin par l'avocat de la Couronne que le Premier ministre du Québec, devant l'Assemblée nationale, a fait cette tirade qui a conduit le président du tribunal, madame Claire Barrette-Joncas, à pro- noncer l'annulation du procès pour vice de forme dirimant le 7 mai 1982, puis au sursis d'instance ordonné par le juge Benja- min Greenberg de la Cour supérieure le l er octobre 1982, ordonnance dont la Couronne a formé appel.
Le débat entre la Couronne et la défense n'est pas limité à des points de droit; il met aussi en cause d'importantes questions de fait, dont le but en vue duquel l'opération «Ham» a été conçue et exécutée. Au cours de l'interrogatoire de Maurice Goguen et du contre-interrogatoire de Robert Potvin, Me Jean-Pierre Bonin, procureur de la Couronne, a contesté leurs explications. Il a laissé entendre que le véritable objet de l'opération «Ham» était d'identifier les séparatistes travaillant pour les gouverne- ments fédéral et provincial, afin de ne pas leur donner de promotions, les autres raisons fournies ci-dessus n'étant que des justifications après le fait ....
Pour se défendre, les accusés doivent pouvoir expliquer pleine- ment au jury le contexte et les buts de l'opération «Ham». Ils ne le peuvent pas si on leur interdit l'accès aux documents concer- nant les questions liées à cette opération et sur lesquels ils se sont appuyés à l'époque, et si on les empêche de témoigner à leur sujet et de les produire devant le tribunal. Le fait que l'affaire concerne des événements datant de près de onze ans accentue la nécessité d'obtenir ces pièces. À cet égard, nous renvoyons Votre Seigneurie à l'appendice 3 qui contient les extraits pertinents des témoignages de MM. Goguen, Albert et Potvin au procès Vermette, ils exposent les difficultés décou- lant de l'interdiction qui leur est faite d'avoir accès aux dossiers
et documents avec lesquels ils ont travaillé à l'époque, de se référer à leur contenu et de les produire devant le tribunal. Les documents en question sont décrits dans la citation visant M. Osbaldeston et aux paragraphes 1 à 24 de celle qui concerne l'intimé. Les paragraphes 2 et 3 de l'attestation s'y rapportent.
Ce qui précède traite principalement des circonstances et des buts de l'opération «Ham». Certains documents sont nécessaires aussi pour démontrer que les accusés croyaient l'opération licite puisque les visites clandestines, afin de réunir des informations nécessaires à la sécurité nationale (appelées opérations «Puma»), étaient un mode d'opération officiel bien établi du Service de sécurité de la GRC.
Les documents décrits aux paragraphes 25 28 de la citation adressée à M. F. Gibson, et au paragraphe 2 de l'attestation, traitent des divers aspects de ces opérations, notamment de la stratégie, des objectifs, des directives, de la planification et du financement de la GRC.
Dans le vol, l'état d'esprit de l'inculpé peut décider de sa culpabilité ou de son innocence. S'emparer du bien d'autrui n'est pas en soi un crime. L'appropriation doit se faire non seulement avec l'intention de priver le propriétaire, provisoire- ment ou définitivement, de son bien, mais elle doit aussi être «frauduleuse et sans apparence de droit». La défense en l'espèce non seulement nie qu'il y a eu intention de priver les propriétai- res des bandes leur appartenant, provisoirement ou définitive- ment, mais aussi que les actes qui font l'objet de l'inculpation n'ont pas été fait «frauduleusement et sans apparence de droit».
Au procès Vermette, l'avocat de la Couronne a interrogé des témoins sur les motifs de l'opération «Ham», estimant qu'il s'agissait de points pertinents. Le président du tribunal, madame Claire Barrette-Joncas, a jugé les raisons de l'opéra- tion admissibles, parce que révélatrices de l'état d'esprit de ceux qui ont participé à son élaboration et à son exécution.
Les requérants Goguen et Albert entendent soutenir à leur procès qu'ils ont agi de bonne foi, pour des raisons graves, liées à leurs fonctions d'agents du Service de sécurité de la GRC, sur le fondement des renseignements que leur avaient fournis divers dossiers et documents de travail. Ils soutiendront aussi qu'ils ont agi en croyant honnêtement que leurs actes étaient licites. Les documents décrits dans les deux citations et auxquels on s'oppose dans l'attestation leur sont nécessaires pour corroborer leur défense selon laquelle l'opération «Ham» a été entreprise pour les raisons précitées, en s'appuyant sur les renseignements précités et dans la croyance en sa légalité, comme il est affirmé ci-dessus.
L'opposition de l'intimé, si elle devait être reçue, ne permettra pas aux accusés d'expliquer au jury pourquoi ils ont agi de la manière dont on se plaint et les privera de preuves essentielles à leur défense.
L'argumentation de l'intimé Voici ce que répond l'intimé:
I . En vertu du paragraphe 36.1(2), c'est aux requérants qu'il appartient de démontrer «qu'en l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation»; ce fardeau est particulièrement lourd lorsque l'intérêt public en cause consiste à protéger contre tout préjudice la sécurité nationale ou les relations internationa- les ou, comme en l'espèce, les deux. La préserva- tion de la sécurité nationale et des relations inter- nationales a été reconnue comme une con- sidération plus élevée que la protection d'autres intérêts publics; et lorsque, comme en l'espèce, l'attestation comporte une prétention valide et bien fondée à l'immunité d'intérêt public, les tribunaux répugnent à prendre connaissance des documents faisant l'objet de l'opposition, en particulier lors- que l'intérêt public invoqué est la protection de la sécurité nationale ou des relations internationales. Les tribunaux ont aussi reconnu que des renseigne- ments relatifs à la sécurité nationale ou aux rela tions internationales peuvent devoir demeurer secrets indéfiniment, ou longtemps après que d'au- tres informations jugées confidentielles pour d'au- tres raisons peuvent être divulguées en toute sécurité.
2. Saisie d'une demande de ce genre, la Cour devrait procéder en deux temps: déterminer d'abord si, d'après les preuves réunies tant en faveur qu'à l'encontre de la divulgation, il lui est nécessaire de prendre connaissance des pièces; si l'attestation, et toute pièce jointe à l'appui, mon- trent que les documents demandés ont été soigneu- sement examinés et si elles donnent des raisons claires et convaincantes en faveur du secret, comme on le prétend en l'espèce, la Cour doit rejeter la demande sans prendre connaissance des documents, sauf dans les circonstances exception- nelles d'une affaire criminelle, inexistantes dans le cas d'espèce, le requérant démontrerait qu'un document particulier, dont il demande la produc tion, contient les renseignements nécessaires à la démonstration de son innocence. Si la Cour con- clut qu'il est nécessaire de prendre connaissance du document, et uniquement dans ce cas, la Cour en prend alors connaissance, met en balance les inté- rêts opposés et décide si l'intérêt public assuré par le maintien du secret doit céder le pas.
3. Les requérants ne sont pas parvenus à démon- trer que la Cour devrait prendre connaissance des documents car:
a) en demandant la production de quelque 8,200 pages de documents, ils ne sont pas parvenus à établir qu'un seul de ces documents contient en toute probabilité des renseignements précis nécessaires à la démonstration de leur inno cence;
b) ils ne sont pas parvenus à administrer un commencement de preuve qu'un seul de ces documents contient des informations nécessaires à la démonstration de leur innocence;
c) ils ne sont pas parvenus à démontrer qu'ils sont dans l'impossibilité de faire valoir les points dont ils veulent saisir la juridiction d'instruction.
4. Les requérants n'ont pas besoin de ces docu ments. Dans leur système de défense, ils peuvent établir par leur propre témoignage, sans preuve littérale, qu'ils n'ont pas agi frauduleusement ni sans apparence de droit. Pour faire appel à ces documents dans ce système de défense, il leur faut établir qu'ils ont lu les documents et que c'est pour cela qu'ils croyaient leurs actions licites. Si les requérants n'ont pas lu les documents, ils ne peu- vent être ni nécessaires ni importants pour leur défense; or, les requérants n'ont pas démontré qu'ils ont lu les documents ni que ceux-ci les ont amenés à croire sincèrement que l'opération était licite et morale.
5. Les dépositions des requérants devant la Com mission McDonald démontrent que leur impres sion que l'opération «Ham» était licite et morale ne résultait pas de la teneur de l'un des documents en cause, mais des directives reçues de leurs supé- rieurs quant à l'exécution de ces opérations et du fait qu'ils croyaient que leurs supérieurs n'exige- raient jamais qu'ils s'engagent dans des activités illicites ou immorales. L'existence de ces directives n'est pas contestée; on les retrouve aux appendices 4 et 5.
En conséquence, l'intimé fait valoir que:
a) les requérants n'ont pu démontrer que le tribunal devrait prendre connaissance des docu ments; et que
b) de toute façon, ils n'ont pas démontré que l'intérêt public dans la divulgation prévaut sur l'intérêt public qu'il y a à éviter tout préjudice à la sécurité nationale et aux relations internatio- nales.
L'importance de l'intérêt public dans le maintien de la sécurité nationale et des relations internatio- nales
En premier lieu, pour ce qui est de l'importance de l'intérêt public dans le maintien de la sécurité nationale et des relations internationales, on ne m'a rien cité, et je n'ai rien trouvé dans les pièces soumises qui permette de mettre en doute ou d'écarter l'opinion exprimée par l'intimé dans l'at- testation, selon laquelle la divulgation de ce qui est demandé serait préjudiciable à la sécurité natio- nale ou aux relations internationales, et rien non plus qui mette en cause ou réfute le contenu de l'affidavit secret de l'intimé. Je dois donc conclure que la divulgation de l'information demandée por- terait préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales de la façon énoncée dans l'attestation et dans l'affidavit. Je dois faire obser ver toutefois, sans vouloir paraître critique, qu'une attestation qui, comme celle-ci, se borne à identi fier les renseignements dont on refuse la divulga- tion, par référence au contenu d'une multitude de documents, dont certains sont eux-mêmes volumi- neux, et qui n'ont pas déjà été rendus publics par le rapport de la Commission McDonald, laisse à la Cour, ainsi qu'à la Cour supérieure, la tâche ingrate de découvrir l'objet de l'opposition sur la foi d'une vague formule, alors qu'une description intelligible aurait permis de reconnaître les diffé- rents documents. De plus, rien dans l'attestation ni dans l'affidavit secret, ni ailleurs dans les pièces, ne fournit un critère d'évaluation de la gravité du danger ou du préjudice pouvant résulter de la divulgation de tel ou tel renseignement particulier. Indépendamment de ce que peuvent contenir ces pièces, la meilleure indication de la gravité du risque pour la sécurité nationale et les relations internationales, réside dans la quantité et la portée des documents demandés; leur divulgation, à mon avis, pourrait révéler au monde entier l'ensemble de la structure du Service de sécurité, ses points forts et ses faiblesses, ses méthodes et ses techni ques, ses ressources, ses stratégies et ses cibles, et
ses rapports avec les services de renseignements étrangers alliés.
En matière de sécurité nationale et de relations internationales, le secret est de rigueur. Le temps et l'effort consacrés à rassembler et à trier l'infor- mation sont considérables. Le processus est con- tinu. Il se fait dans l'intérêt de la sécurité publique. Ce qui est acquis par tous ces efforts est vite compromis, voire perdu, par la révélation de ren- seignements qui devraient demeurer secrets.
En outre, bien que les renseignements concernés par cette demande datent d'au moins dix ans, je ne pense pas que leur divulgation puisse être considé- rée pour cela moins préjudiciable. Comme on l'a souligné au moins dans l'une des affaires citées, certains secrets de la sécurité nationale peuvent devoir être gardés ainsi indéfiniment. Voir Attor- ney -General v. Jonathan Cape Ltd. and Others'$. Je pense qu'il en est de même des secrets liés aux relations internationales. L'opinion exprimée par le juge en chef adjoint Gibbs de la Cour d'appel dans l'arrêt Sankey v. Whitlam 19 , va dans le même sens. Dans les deux cas, dix ou vingt ans ne sauraient réduire le danger d'une divulgation dommageable.
Enfin, il faut tenir compte de ce que le Canada n'est pas actuellement en guerre. Si un état de guerre existait, je doute que l'on puisse soutenir que l'intérêt public dans la sécurité nationale n'est pas supérieur à l'intérêt public dans la bonne administration de la justice; car en temps de guerre, la vie de tous les citoyens est en péril. Le fait que le pays ne soit pas en guerre joue un peu en faveur des requérants mais, dans l'état actuel des relations internationales, du terrorisme politi- que et de la subversion, fort peu. Il faut maintenir une vigilance constante, comme on l'a toujours fait, pour assurer la sécurité de la nation.
L'importance de l'intérêt public dans la divulga- tion
Mais, qu'en est-il alors de l'importance de l'inté- rêt public contradictoire, en matière d'administra- tion de la justice, qui veut que justice soit faite? Les avocats ont, à juste titre, rappelé que la demande de documents est faite à l'occasion d'une poursuite pour infractions criminelles et qu'elle a
18 [1976] 1 Q.B. 752, la p. 770.
19 (1978), 21 ALR 505 (H.C.), à la p. 528.
pour objet d'assurer la défense des requérants sur qui pèsent ces charges. Il est certain que cela constitue une considération importante à prendre en compte, importante car la simple déclaration de culpabilité aurait des conséquences graves pour les requérants, importante aussi parce que la peine prononcée pourrait être un emprisonnement d'une durée non négligeable. Mais les infractions visées par l'inculpation ne sont pas parmi les plus graves et, sans m'avancer sur la peine éventuellement imposée au cas il y aurait déclaration de culpa- bilité, je ne crois pas que, vu les circonstances des agissements des requérants dans le contexte de l'opération «Ham», il faille faire peser le risque d'une peine sévère trop lourdement dans la balance.
Autre circonstance dont il faudrait, je pense, tenir compte, c'est la pertinence de l'information et des documents demandés par rapport aux points qui seront vraisemblablement soulevés au procès. Je ne crois pas qu'il soit possible, à ce stade, d'isoler des points précis et de juger de la perti nence des documents ou des renseignements à leur égard. Je ne crois pas non plus que les documents et renseignements utiles pour la défense se limitent aux documents que les requérants ont lus et à l'information dont ils ont eu connaissance à l'épo- que. Je présume donc que, s'ils étaient fournis, les documents et leur contenu seraient admis et perti- nents. Néanmoins, j'ai l'impression que certains, sinon un grand nombre, peuvent n'avoir aucune pertinence. J'ai aussi l'impression que la plupart ou la totalité des documents n'ont probablement qu'un rapport lointain avec les points en cause, qu'ils se situent à l'extrême limite de l'admissibilité et qu'ils ne seront utiles, dans le meilleur des cas, que pour confirmer l'existence même des preuves directes qu'il pourrait déjà y avoir. D'après leur description, je ne pense pas qu'un des documents fasse par lui-même preuve d'un fait nécessaire au système de défense choisi par les requérants dans leur mémoire des points à plaider.
Dans leurs affidavits, les requérants disent que les documents et ce qu'ils contiennent sont essen- tiels à leur système de défense. C'est compréhensi- ble. Leur carrière et leur liberté sont en péril. Je ne doute pas de leur bonne foi. Mais le requérant Albert ne se fonde pas sur ce qu'il sait personnelle-
ment mais sur ce que lui a dit son avocat sur la nécessité d'obtenir ces documents et renseigne- ments. Et l'affidavit du requérant Goguen com- porte des expressions comme «contiennent vraisem- blablement» et «je pourrais être privé de moyens de défense adéquats». Après avoir donné à la question toute l'attention que je puis lui donner, je suis incapable de considérer la divulgation de ces docu ments et renseignements comme indispensable au système de défense des requérants, compte tenu notamment des témoins qu'ils peuvent citer afin de témoigner en termes généraux sur au moins cer- tains points qu'ils disent devoir prouver pour corro- borer leurs propres témoignages.
L'importance relative des divers intérêts publics en conflit
D'après l'ensemble des pièces dont je suis saisi, je suis d'avis que, dans le cas d'espèce, non seule- ment l'intérêt public dans la sécurité nationale et dans les relations internationales n'est pas surpassé par l'intérêt public dans la bonne administration de la justice, mais même que la preuve administrée est fortement prépondérante en faveur du premier et que le second doit donc lui céder le pas. C'est pourquoi il n'est pas, à mon avis, nécessaire que je demande à prendre connaissance de l'un quelcon- que des documents ou renseignements en question; cela n'est pas souhaitable car le pouvoir donné à cette fin ne doit être exercé qu'en cas de nécessité et, compte tenu de l'ensemble du cas d'espèce, je ne vois aucune raison de supposer que l'examen des documents et de leur contenu révélerait qu'ils doivent être divulgués ou qu'un tel examen servi- rait quelque autre fin utile.
Au cours des plaidoiries, les avocats des requé- rants ont mis l'accent sur leur droit, en vertu de la common law, du Code criminel du Canada, de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III] et de la Charte canadienne des droits et libertés, qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), à une défense pleine et entière. Ce droit n'est pas contesté, Mais il n'est pas en cause ici. Ce que demande le paragraphe 36.1(2), c'est une décision au sujet de l'importance relative de deux intérêts publics en conflit. Le point de
savoir si une telle décision porte atteinte de quel- que manière au droit de la défense est, me semble- t-il, une question que doit trancher le tribunal saisi de l'inculpation. Cette question ne peut être réso- lue sur la présente demande, pas plus que l'effet possible sur le droit de l'accusé de la décision à rendre en l'espèce ne doit être prise en compte lorsqu'il s'agit de la rendre.
En conséquence, je suis d'avis que, dans le cas d'espèce, vu les pièces dont je suis saisi, l'intérêt public dans la non-divulgation des documents et de leur contenu, en raison du préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales que cau- serait leur divulgation, l'emporte sur l'intérêt public dans leur divulgation. Telle est ma décision. Il est donc fait droit aux oppositions énoncées dans l'attestation et la demande doit être rejetée.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.