Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-96-82
Tshai Ferrow (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Heald et juge suppléant Lalande—Winnipeg, 10 janvier; Ottawa, 25 janvier 1983.
Immigration Demande d'examen et d'annulation en vertu de l'art. 28 d'une décision d'un arbitre portant qu'une ordon- nance d'expulsion aurait été délivrée si le requérant n'avait pas revendiqué le statut de réfugié Le requérant a revendiqué le statut de réfugié au cours de l'enquête L'arbitre, ayant conclu que le requérant avait prolongé son séjour après expi ration de son visa d'étudiant, a refusé d'accorder un ajourne- ment pour que les autorités compétentes se prononcent sur la revendication en vertu de l'art. 45, avant d'avoir décidé s'il y avait lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion ou un avis d'interdiction de séjour La décision de l'arbitre qu'il y avait lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion si la revendication échouait est-elle une «décision» au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale et donc sujette à examen? Demande rejetée Dans Le procureur général du Canada c. Cylien, la Cour a jugé que «décision» vise une décision prise dans l'exercice d'une compétence conférée par la loi, dont l'effet est concluant et définitif La détermination en l'espèce n'est pas une «décision» mais la simple expression d'une opinion qui n'a aucun effet avant sa mise en oeuvre par la délivrance d'une ordonnance d'expulsion Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 32, 45(1), 46 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Cette demande en vertu de l'article 28 vise à l'examen et à l'annulation d'une décision d'un arbitre, en vertu de l'article 32 de la Loi sur l'immigration de 1976, portant que si le requérant n'avait pas revendiqué le statut de réfugié, il aurait été délivré une ordonnance d'expulsion. Le requérant a revendiqué le statut de réfugié au cours de l'enquête tenue parce qu'il avait prolongé son séjour après expiration de son visa d'étudiant. L'arbitre, ayant conclu que le requérant avait prolongé son séjour sans autorisation, a refusé d'accorder un ajournement avant de déterminer s'il y avait lieu de délivrer un avis d'inter- diction de séjour ou une ordonnance d'expulsion. Après avoir conclu que, s'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié, le requérant aurait été frappé d'expulsion, il a ajourné l'enquête pour permettre aux autorités compétentes de se prononcer sur la revendication faite en vertu de l'article 45. Le requérant, s'appuyant sur la décision Ergul c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, prétend que la conclusion de l'arbitre, selon laquelle il y avait lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion plutôt qu'un avis d'interdiction de séjour, est une décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et donc sujette à examen puisqu'à la reprise de l'enquête, selon le paragraphe 46(1), l'arbitre serait obligé, en vertu du paragra- phe 46(2), de délivrer l'ordonnance d'expulsion qu'il a aupara- vant résolu de prononcer, au cas la revendication du statut de réfugié par le requérant échouerait.
Arrêt: la demande est rejetée. La Loi sur l'immigration de 1976 prévoit un système d'enquêtes tenues devant un arbitre qui a compétence pour déterminer si une personne présumée appartenir à une catégorie de personnes non autorisées à rester au Canada appartient effectivement à cette catégorie. Cette question réglée, l'arbitre a le pouvoir de prendre des mesures conformes à sa conclusion, en vertu de l'article 32, sauf dans le cas d'une revendication de statut de réfugié, en autorisant la personne en question à rester au Canada ou en ordonnant son renvoi par une ordonnance d'expulsion ou un avis d'interdiction de séjour. Quand une personne revendique le statut de réfugié et que l'arbitre estime que la personne serait sujette à ordon- nance d'expulsion ou à avis d'interdiction de séjour, sans cette revendication, l'enquête doit être ajournée et reprise, conformé- ment à l'article 46, s'il est décidé que la personne n'est pas un réfugié. En l'espèce, l'arbitre a conclu qu'il y avait lieu de délivrer une ordonnance d'expulsion compte tenu de l'interpré- tation du paragraphe 45(1) dans Ergul c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration dans lequel il a été jugé qu'une enquête ajournée avant que cette question soit tranchée ne pouvait être considérée comme ajournée en vertu du paragra- phe 45(1) ni reprise en vertu du paragraphe 46(1) et qu'en conséquence, l'enquête ne pouvait être reprise par un arbitre différent de celui qui l'avait commencée sans le consentement de l'intéressé. Si le raisonnement adopté dans l'arrêt Ergul est exact, la loi en cause exige que cette décision soit prise avant l'ajournement prévu au paragraphe 45(1). Toutefois, indépen- damment de l'arrêt Ergul, une telle conclusion de l'arbitre ne constitue pas une décision sujette à examen en vertu de l'article 28. Dans l'affaire Cylien, la Cour a estimé qu'à son avis, une «décision» dans le contexte de cet article désignait la décision ou ordonnance ultime prise par le tribunal, en vertu de la loi pertinente. La conclusion en cause est une simple expression d'«opinion» et ne constitue pas une décision susceptible d'exa- men en vertu de l'article 28 tant qu'elle n'est pas mise en oeuvre par la délivrance d'une ordonnance d'expulsion. Ce n'est qu'a- lors qu'elle revêt un caractère définitif et peut faire l'objet d'un examen conformément à ce qui était envisagé dans cette affaire. Il convient de ne pas suivre l'interprétation donnée au paragraphe 45(1) dans l'arrêt Ergul. Il faut interpréter la Loi sur l'immigration de 1976 de manière à éviter des difficultés administratives et, dans cette optique, l'expression «S'il est établi ... [que] l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour» n'exige pas que l'arbitre détermine s'il y a lieu d'émettre une ordonnance ou un avis avant d'ajourner l'enquête, mais a pour but d'indiquer qu'il s'agit d'une situation dans laquelle il y aura lieu d'émettre une ordonnance d'expulsion ou un avis d'interdiction de séjour et non d'autoriser la personne à entrer ou à demeurer au Canada, ce qui est également une issue possible selon l'article 32.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Ergul c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1982] 2 C.F. 98 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
British Columbia Packers Limited, et autres c. Le Con- seil canadien des relations du travail et autre, [1973] C.F. 1194 (C.A.); In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [ 1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
La Commission canadienne des droits de la personne c. British American Bank Note Company, [1981] 1 C.F. 578 (C.A.); Richard c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1978] 2 C.F. 344 (C.A.); Pincheira c. Le procureur général du Canada, et autres, [1980] 2 C.F. 265 (C.A.); Vakili c. Ministère de l'Emploi et de l'Immigration, et autres, Cour fédérale, A-482-82, jugement en date du 16 décembre 1982; Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 141 (C.A.).
AVOCATS:
D. Matas pour le requérant. B. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le requérant demande, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, l'examen et l'annulation de ce qui est décrit dans l'avis de requête introductif d'instance de la manière suivante:
[TRADUCTION] ... la décision prononcée contre le requérant par M. Paul Tetrault, arbitre, en vertu de la Loi sur l'immigra- tion de 1976, le 2 février 1982 et communiquée le même jour au requérant, selon laquelle une ordonnance d'expulsion aurait été émise si le requérant n'avait pas revendiqué le statut de réfugié.
À l'audience, les débats ont essentiellement porté sur la question de savoir si ce qui est attaqué constitue une «décision» au sens du paragraphe 28 (1) de la Loi sur la Cour fédérale. On ne prétend pas que l'objet de l'attaque est une «ordon- nance» au sens de ce paragraphe.
Le requérant est Éthiopien, il est le 2 novem- bre 1962 et est arrivé à Winnipeg le 31 décembre 1980, ayant en sa possession un permis de voyage soudanais; il a été autorisé à demeurer au Canada comme étudiant jusqu'au 7 décembre 1981. Il avait décidé, avant cette date, de demander l'auto-
risation de rester au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention et, après s'être renseigné auprès de fonctionnaires à l'Immigration, décida de prolonger son séjour dans ce pays au-delà du 7 décembre 1981 et de faire valoir sa revendication au cours de l'enquête qui devait suivre. Au début des procédures d'enquête, son avocat déclara qu'il soumettrait cette revendication en temps utile. À la suite du prononcé d'une conclusion selon laquelle le requérant avait prolongé son séjour au-delà de la durée autorisée, son avocat demanda un ajournement qui lui fut refusé. L'arbitre aborda alors la question de savoir s'il convenait d'émettre un avis d'interdiction de séjour ou une ordonnance d'expulsion, et se prononça en faveur d'une ordon- nance d'expulsion. Il exprima son opinion de la manière suivante:
[TRADUCTION] Étant donné les éléments énoncés au paragra- phe 32(6), je dirais, pour résumer, que je ne crois pas que votre situation justifie l'expulsion, mais j'estime que vous ne m'avez pas suffisamment convaincu que vous êtes disposé à quitter le Canada et que vous êtes en mesure de le faire. En conséquence, j'aurais ordonné aujourd'hui votre expulsion si vous n'aviez pas revendiqué le statut de réfugié.
L'enquête fut alors ajournée pour permettre aux autorités compétentes de se prononcer sur la reven- dication par le requérant du statut de réfugié au sens de la Convention, conformément à l'article 45 de la Loi. L'ordonnance d'expulsion n'a pas été émise et ne pouvait l'être légalement avant la résolution de la question de la revendication et la reprise ultérieure de l'enquête. Ce que le requérant demande en l'espèce c'est l'examen et l'annulation de la conclusion de l'arbitre selon laquelle il y aurait eu lieu d'émettre une ordonnance d'expul- sion de préférence à un avis d'interdiction de séjour, s'il n'y avait pas eu revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. On soutient que cette conclusion constitue une «décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Avant de citer les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, il convient de donner un aperçu général du contexte dans lequel elles s'appliquent.
Aux termes de la Loi, certaines catégories défi- nies de personnes, et notamment les citoyens cana- diens, ont le droit d'entrer et de demeurer au Canada, certaines autres catégories définies de personnes peuvent être autorisées à entrer ou à demeurer au Canada et, enfin, certaines autres
catégories n'ont pas le droit d'entrer au Canada ou, si ces personnes s'y trouvent déjà, n'ont pas le droit d'y demeurer. Pour ce qui concerne la défini- tion des droits de personnes autres que celles qui déclarent être des citoyens canadiens ou des réfu- giés au sens de la Convention, la Loi prévoit un système d'enquêtes tenues par des fonctionnaires que l'on appelle les arbitres, qui ont le pouvoir d'enquêter à leur sujet et de déterminer si une personne qui fait apparemment partie d'une caté- gorie qui n'est pas autorisée à entrer ou à demeu- rer au Canada appartient effectivement à cette catégorie et, après avoir tranché la question, d'agir en conséquence de cette conclusion, conformément à l'article 32, en autorisant cette personne à entrer ou à demeurer au Canada ou en ordonnant son exclusion ou son renvoi. Dans le cas du renvoi, l'ordonnance à prononcer est une ordonnance d'ex- pulsion ou d'exclusion. Toutefois, dans certains cas de personnes qui ont été admises au Canada ou qui s'y trouvent, selon la catégorie précise de person- nes sujettes à renvoi à laquelle il a conclu que la personne appartenait:
32. (6) ... l'arbitre doit émettre un avis d'interdiction de séjour fixant à ladite personne un délai pour quitter le Canada, s'il est convaincu
a) qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue eu égard aux circonstances de l'espèce; et
b) que ladite personne quittera le Canada dans le délai imparti.
La différence essentielle entre les conséquences de l'avis d'interdiction de séjour et celles d'une ordonnance d'expulsion tient à ce qu'une personne qui a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion ne puisse plus revenir au Canada sans l'autorisation du Ministre. Une interdiction de séjour n'entraîne pas la même prohibition.
Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, la loi ne confère pas à l'arbitre le pouvoir de se prononcer sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. L'article 45 de la Loi prévoit une procédure spéciale pour la reconnaissance de ce statut. Si ce statut est reconnu, la loi contient des dispositions accordant à l'intéressé, dans certains cas, le droit de demeurer au Canada et, dans d'autres, un certain degré de protection contre l'expulsion vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté seraient en danger.
Le paragraphe 45(1) et l'article 46 s'inscrivent dans ce contexte. Ils prévoient notamment:
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi- cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
46. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé conformé- ment au paragraphe 45(5) que la personne en cause n'est pas un réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre l'enquête, dès que les circonstances le permettent, par l'arbitre qui en était chargé ou par un autre arbitre, à moins que la personne en cause ne demande à la Commission, en vertu du paragraphe 70(1), de réexaminer sa revendication; dans ce cas, l'enquête est ajournée jusqu'à ce que la Commission notifie sa décision au Ministre.
(2) L'arbitre chargé de poursuivre l'enquête en vertu du paragraphe (1), doit, comme si la revendication du statut de réfugié n'avait pas été formulée, prononcer le renvoi ou l'inter- diction de séjour de la personne
a) à qui le Ministre n'a pas reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention, si le délai pour demander le réexamen de sa revendication prévu au paragraphe 70(1) est expiré; ou
b) à qui la Commission n'a pas reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention.
En concluant en l'espèce, avant d'ajourner l'en- quête conformément au paragraphe 45(1), qu'il y avait lieu d'émettre une ordonnance d'expulsion plutôt qu'un avis d'interdiction de séjour, l'arbitre a adopté et suivi l'interprétation que donnait la présente Cour à ce paragraphe dans l'arrêt Ergul c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration'. Dans cette décision, la Cour a statué qu'une enquête ajournée avant que cette question soit tranchée ne pouvait être considérée comme ajour- née en vertu du paragraphe 45(1) ni reprise en vertu du paragraphe 46(1) et qu'en conséquence, l'enquête ne pouvait être reprise par un arbitre différent de celui qui l'avait commencée sans le consentement de l'intéressé.
' [1982] 2 C.F. 98 (C.A.).
Lorsqu'il prétend que la conclusion à laquelle est parvenu l'arbitre constitue une «décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, le requérant, si je comprends bien son argumenta tion, dit en fait qu'à la reprise de l'enquête aux termes du paragraphe 46(1), si sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est rejetée, l'arbitre sera obligé, en vertu du paragra- phe 46(2), de prononcer simplement l'ordonnance d'expulsion qu'il a auparavant résolu de prononcer et qu'en conséquence, la détermination qu'il a prise est elle-même définitive et constitue une «décision» qui peut faire l'objet d'un examen aux termes de l'article 28. Cette argumentation est fondée sur l'hypothèse que le raisonnement adopté dans l'ar- rêt Ergul est juste et doit être suivi. Si, en revan- che, ce raisonnement était erroné et donc ne devait pas être suivi, son avocat a admis que la conclusion contestée ne constituerait pas une «décision» et qu'en conséquence, la demande d'examen et d'an- nulation devrait échouer. L'avocat du requérant et celui de l'intimé ont instamment demandé à la Cour d'adopter ce point de vue. L'avocat de l'in- timé a toutefois soutenu que, même si le raisonne- ment adopté dans l'arrêt Ergul devait être suivi, la conclusion attaquée ne constituerait pas une «déci- sion» au sens de l'article 28.
La question de savoir si des mesures précises prises par des tribunaux fédéraux constituaient des «décisions» au sens du paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale a été étudiée en de nombreu- ses occasions depuis 1971, et notamment dans les arrêts suivants: Le procureur général du Canada c. Cylien 2 , British Columbia Packers Limited, et autres c. Le Conseil canadien des relations du travail et autre 3 , et In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd. 4 . Dans l'arrêt Cylien, le juge en chef Jackett a cité l'arrêt National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres (N° 2) 5 dans lequel il avait étudié, sans se prononcer, certaines questions qui pouvaient se poser dans la définition de la portée des mots «décision ou ordon- nance» au paragraphe 28(1). Il a cité un passage de cet arrêt qui disait notamment ceci la page 1174] :
2 [1973] C.F. 1166 (C.A.).
3 [1973] C.F. 1194 (C.A.). ° [1974] 1 C.F. 22 (C.A.). 5 [1971] C.F. 73 (C.A.).
Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens des termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de l'art. 28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit d'une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal en vertu de sa constitution et non pas la myriade d'ordonnances ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de trancher définitivement l'affaire.
Le juge en chef a ensuite décrit ce qui était contesté dans l'arrêt Cylien la page 1174]:
Selon mon interprétation des prétentions soumises au nom du procureur général, la Commission, en prononçant ses motifs à la majorité le 16 octobre 1973, a rendu, expressément ou implicitement, une décision par laquelle elle rejetait l'objection faite à sa compétence, confirmait sa décision antérieure quant à la production du «dossier» et décidait de procéder à une audi tion avant de s'acquitter de ses obligations découlant de l'article 11(3). C'est cette décision que l'avocat demande à la Cour d'annuler en vertu de l'article 28. (Au cours des débats, l'avocat du procureur général fit savoir qu'il ne recherchait aucunement l'annulation de l'«ordonnance» du 24 octobre, si ce n'est en tant que partie intégrante de cette «décision».)
Puis, plus loin [aux pages 1175 et 1176]:
Afin de déterminer si ce qu'on présente ici comme une décision est une «décision» au sens de ce mot à l'article 28(1), il faut se rappeler que la Commission d'appel de l'immigration est un office, une commission ou un autre tribunal fédéral car il s'agit d'un organisme ayant, exerçant ou prétendant exercer «une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement du Canada (voir article 2g) de la Loi sur la Cour fédérale). Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1) doit donc être une décision résultant de l'exercice ou du prétendu exercice d'aune compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise en vertu d'aune compétence ou des pouvoirs» expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégorie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'aune compétence ou des pouvoirs» précis conférés par la loi relève aussi manifestement de l'article 28(1). Une décision de ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir. (A moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou implicites de défaire ce qu'il a fait, ce qui est une compé- tence supplémentaire.) [C'est moi qui souligne.]
Je m'arrête un instant pour faire observer que c'est à mon avis sur cet extrait et en particulier les deux phrases que j'ai soulignées que le requérant s'appuie en l'espèce.
Plus loin dans ses motifs, le juge en chef dit ceci [aux pages 1176 et 1177]:
Il s'agit donc ici d'examiner la question de savoir si l'article 28(1) s'applique non seulement à toutes les décisions de la Commission d'appel de l'immigration dans l'exercice ou le prétendu exercice de «sa compétence ou de ses pouvoirs» de
rendre des décisions qui ont un effet ou des conséquences juridiques, mais s'applique aussi à toutes les conclusions aux- quelles la Commission est parvenue au cours des diverses étapes préliminaires avant d'exercer réellement «sa compétence ou ses pouvoirs» de rendre des décisions.
En définitive, il statua que ce qui faisait l'objet de l'attaque n'était pas une «décision» au sens du paragraphe 28(1).
Il faut noter toutefois que ni l'arrêt Cylien ni l'arrêt British Columbia Packers ne portait sur un cas le tribunal avait tranché une question sur laquelle il était expressément autorisé ou requis de se prononcer par la loi applicable. L'arrêt Danmor Shoe portait sur un point similaire et a abouti au même résultat. Étaient attaquées comme «déci- sions» la conclusion de la Commission du tarif selon laquelle elle n'avait pas compétence pour examiner une directive ministérielle prise en vertu d'une loi et certaines décisions incidentes prises par cette Commission sur la question des objec tions soulevées contre l'admission d'éléments de preuve pendant l'audition des appels. Aucun de ces trois cas ne correspondait à la question posée en l'espèce. La seule déclaration du juge en chef qui touche de près les questions soulevées en l'espèce est le passage de son analyse de l'affaire National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et autres (No 2) qu'il a cité dans l'affaire Cylien, en l'occur- rence la déclaration selon laquelle, dans le contexte de la Loi sur la Cour fédérale, il s'agit d'une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal en vertu de sa constitution.
Un cas un peu plus proche a été examiné dans l'affaire La Commission canadienne des droits de la personne c. British American Bank Note Com pany, [1981] 1 C.F. 578 (C.A.): une ordonnance par laquelle le tribunal des droits de la personne s'était déclaré incompétent pour connaître de cer- taines plaintes n'a pas été considérée comme une «décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le tribunal ne cherchait pas à rejeter les plaintes. Cette situation est en contraste avec les faits de l'affaire Richard c. La Commis sion des relations de travail dans la Fonction publique, [1978] 2 C.F. 344 (C.A.), dans laquelle, après avoir conclu au défaut de compétence, l'arbi- tre a exercé son pouvoir légal et a rejeté le grief. Aucune de ces affaires ne se compare vraiment avec la situation qui nous occupe puisqu'en l'es-
pète, si le raisonnement adopté dans l'arrêt Ergul est juste, la loi elle-même exige une conclusion avant que l'ajournement ne soit ordonné aux termes du paragraphe 45(1).
À mon avis, la conclusion de l'arbitre n'est pas une «décision» pouvant être contestée en vertu de l'article 28 et j'adopte ce point de vue sans me prononcer sur la justesse du raisonnement adopté dans l'arrêt Ergul. Il est évident, je crois, que si ce raisonnement n'est pas fondé, la conclusion n'a aucune valeur juridique et n'en aura aucune jus- qu'à sa mise en ouvre, le cas échéant, par la délivrance d'une ordonnance d'expulsion. Comme je l'ai déjà indiqué, cette proposition est admise par les avocats. Toutefois, même si le raisonne- ment de l'arrêt Ergul est juste, la conclusion en cause n'est, à mon avis, rien de plus que l'expres- sion d'une opinion et ne sera pas une «décision» susceptible d'examen en vertu de l'article 28 avant sa mise en ouvre par une ordonnance d'expulsion. À mon sens, cette conclusion n'a aucun caractère obligatoire à l'égard de quiconque. La question soumise à l'arbitre n'est pas tranchée par des mots mais par le prononcé d'une ordonnance obligatoire. Avant cela, rien n'est définitif. J'estime qu'il est impossible de dire qu'à ce stade, le pouvoir du Ministre de délivrer un permis aux termes de l'article 37 est épuisé. Il s'est simplement passé ceci: l'enquête a été ajournée, et lorsqu'elle sera reprise, l'arbitre, à mon avis, aura devant lui l'en- semble de la question soumise à l'enquête comme il l'avait devant lui avant l'ajournement. Il lui sera alors loisible, s'il estime que la preuve le justifie, de réexaminer et de modifier toute conclusion à laquelle il était parvenu ou de mettre en œuvre ses conclusions en exerçant son pouvoir légal d'émet- tre une ordonnance d'expulsion 6 . C'est à ce
6 Voir l'arrêt Pincheira c. Le procureur général du Canada, et autres, [1980] 2 C.F. 265 (C.A.), dans lequel le juge Pratte disait ceci au nom de la Cour, à la p. 267:
La conclusion à laquelle en arrive un arbitre au terme du premier stade d'une enquête ajournée conformément à l'arti- cle 45(1) n'est pas immuable; l'arbitre a le droit de la réviser à tout moment au cours de l'enquête et il a même le devoir de le faire s'il constate qu'elle est mal fondée. En conséquence, si pendant la seconde partie de l'enquête l'arbitre constate que, contrairement à ce qu'il avait d'abord cru, la personne concernée a le droit de venir ou demeurer au Canada, il doit arrêter l'enquête et prononcer la décision qui s'impose. Il ne servirait à rien de poursuivre le second stade de l'enquête prévu à l'article 47: pourquoi perdre son temps à déterminer si un réfugié peutêtre forcé à quitter le pays si, par ailleurs, le droit de ce réfugié d'entrer et de demeurer chez nous est incontesté?
moment et pas avant, à mon avis, qu'il y aura quelque chose de définitif et donc matière à examen aux termes de l'article 28, c'est-à-dire une décision conforme à ce qu'envisageait le juge en chef Jackett dans l'extrait cité de son jugement dans l'arrêt National Indian Brotherhood.
L'avocat du requérant a mis l'accent sur une distinction à faire entre ce qui relève du mot «décision» à l'article 28 et ce qui relève du mot «ordonnance». Il est évident que ces mots ont un sens différent. Ils ne couvrent pas le même champ. Il y a des décisions qui ne relèvent pas du sens du mot «ordonnance» et peut-être des ordonnances qu'il est difficile de considérer comme des déci- sions. Mais à mon avis, leurs sens se recoupent dans une large mesure. Une ordonnance prononcée tombera évidemment dans la catégorie des «ordon- nances», qu'elle puisse ou non être décrite égale- ment par le mot «décision». Mais il existe des lois qui confèrent le pouvoir de rendre des décisions qui, en pratique, ne donnent pas lieu à une ordon- nance formelle et peuvent être mises en oeuvre sans ordonnance. Il y a également des lois qui définis- sent ce qu'il faut considérer comme une décision du tribunal. L'expression «décision ou ordonnance» à l'article 28 a pour but, à mon avis, d'englober toutes ces décisions ainsi que toutes les ordonnan- ces sans qu'il soit nécessaire de faire des distinc tions pointilleuses à leur sujet.
Ce qui précède est suffisant pour disposer de la demande qui doit, à mon avis, être rejetée. Je me propose toutefois d'ajouter quelques observations sur la décision Ergul puisqu'elle a été longuement discutée au cours des débats et a été mentionnée dans quatre autres demandes qui ont été entendues au cours de la même session de la présente Cour.
On nous a dit que la décision Ergul a trans formé la pratique suivie jusqu'alors par les arbitres et qu'elle a provoqué des difficultés administrati- ves. Bien sûr, on peut facilement concevoir que le bien-fondé d'une conclusion prononcée avant l'ajournement, aux termes du paragraphe 45(1) et indiquant qu'il convient d'émettre un avis d'inter- diction de séjour, risque d'être plus ou moins remis en cause par l'évolution des circonstances avant la reprise de l'enquête. De plus, il n'est habituelle- ment pas possible de fixer un délai avant d'ajour- ner l'enquête aux termes du paragraphe 45(1),
puisque l'arbitre n'est pas en mesure d'estimer la durée de la procédure d'examen de la revendica- tion du statut de réfugié. La conclusion selon laquelle il conviendrait d'émettre une ordonnance d'expulsion pourrait aussi devenir inappropriée avant la reprise de l'enquête. Compte tenu de toutes ces difficultés, j'estime qu'il faut dans la mesure du possible, interpréter la loi de manière à les éviter. Le paragraphe 45(1) peut et doit être interprété de cette manière. Je crois que l'expres- sion «S'il est établi ... [que] l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour» n'exige pas que l'arbitre détermine s'il y a lieu ou non d'émettre une ordon- nance ou un avis avant d'ajourner l'enquête, mais a pour but d'indiquer qu'il s'agit d'une situation dans laquelle il y aura lieu d'émettre une ordon- nance d'expulsion ou un avis d'interdiction de séjour et non d'autoriser la personne à entrer ou à demeurer au Canada, ce qui est également une issue possible de l'enquête, selon l'article 32.
Le libellé du paragraphe 46(2) peut également, à mon avis, être interprété de la même manière quoique le temps du verbe «would have been made», dans la version anglaise, le rende obscur, alors que la version française ne présente pas le même problème.
En outre, des doutes ont été exprimés quant à la justesse du raisonnement adopté dans l'arrêt Ergul, dans la décision Vakili c. Ministère de l'Emploi et de l'Immigration, et autres (non publiée, A-482-82, 16 décembre 1982). Dans ses motifs, le juge Pratte, avec l'accord des autres membres de la Cour dit ceci la page 3]:
Comme je l'ai indiqué à l'audience, cependant, les nombreux inconvénients pratiques qui résultent de l'arrêt rendu dans l'affaire Ergul me font maintenant douter de la valeur de cette décision que cette Cour devra peut-être, un jour, déclarer ne pas devoir être suivie.
La décision Ergul paraît également être en con- flit avec l'opinion exprimée par le juge Ryan et à laquelle ont souscrit les autres membres de la Cour, dans l'arrêt Brannson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration'.
Compte tenu des doutes exprimés dans l'arrêt Vakili et du conflit avec l'opinion formulée dans l'arrêt Brannson, je pense que la Cour peut et doit
7 [1981] 2 C.F. 141 (C.A.) aux pp. 147, 148 et 155.
adopter ce qui paraît maintenant être la meilleure interprétation possible du paragraphe 45(1) et qu'elle devrait indiquer que l'interprétation qui lui est donnée dans la décision Ergul ne doit pas être suivie.
La demande est donc rejetée.
LE JUGE HEALD: Je souscris.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.