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T-3842-76
John Pullman (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé— Toronto, 12 janvier; Ottawa, 16 février 1983.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Contribuable canadien résidant en Suisse Sollicité par un courtier de Toronto pour faire des placements sur hypothèques Emprunteurs aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays Le contribuable détient un compte en banque à Toronto Le courtier a une procuration à l'égard de ce compte Il faut déterminer s'il existe une relation de man- dant-mandataire entre le contribuable et le courtier et quelle est sa nature Le contribuable n'exploitait pas une entreprise de prêts au Canada Le contribuable n'a pas agi à cette fin au Canada Décisions prises à l'extérieur du Canada Le contribuable n'offrait rien en vente au Canada Aucune sollicitation au Canada Revenu canadien soumis à la retenue des impôts Autres sommes non imposables Appel accueilli Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970- 71-72, chap. 63, art. 231(7), 253b).
Le contribuable, citoyen canadien résidant en Suisse, inter- jette appel des cotisations relatives à un revenu provenant «d'une entreprise de prêts d'argent exploitée par lui au Canada«. Le contribuable était riche et disposait de fonds pour placements sur hypothèques. Un courtier de Toronto devait informer le contribuable des occasions de prêts et celui-ci décidait dans chaque cas s'il y participerait ou non. Au cours des deux années d'imposition en cause, le demandeur a parti- cipé à 52 de ces opérations; 60 % des prêts ont été consentis à des emprunteurs américains aux États-Unis et à Porto Rico. Le contribuable détenait un compte en banque à Toronto pour ces opérations et le courtier avait une procuration lui permettant de se servir de ce compte. Les profits du contribuable provenaient des intérêts, des primes d'engagement en dédommagement du haut risque de certains prêts et des primes de crédits de soutien. Le contribuable n'avait pas de pied-à-terre au Canada. Nombre des opérations étaient négociées par le courtier qui téléphonait à la dernière minute à partir des établissements des emprun- teurs au Canada, aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Il faut déterminer si toutes ces sommes, s'élevant à plus de deux millions de dollars, devraient être incluses dans les revenus du contribuable conformément à la Partie I de la Loi, comme revenus tirés par un non-résident exploitant une entreprise au Canada ou si les revenus provenant des prêts consentis au Canada devraient être soumis à la retenue des impôts pour non-résidents conformément à la Partie XIII et si les revenus provenant des prêts consentis à l'étranger échappent à l'impôt canadien. Le contribuable soutient qu'il n'est pas assujetti à la Partie I parce qu'il n'exploitait pas d'entreprise au Canada. Le Ministre allègue pour sa part que le courtier a été autorisé par le contribuable à agir comme son «mandataire dans la gestion de son entreprise de prêts d'argent au Canada».
Jugement: l'appel est accueilli et les cotisations sont ren- voyées au Ministre pour qu'il établisse de nouvelles cotisations.
Le courtier n'avait aucun mandat exclusif ni aucun pouvoir général d'engager le contribuable. S'il y avait mandat, il était limité et d'un caractère spécifique. Toutefois, la question à résoudre n'était pas de savoir s'il existait une relation de mandant-mandataire mais de savoir si le contribuable exploitait une entreprise de prêts au Canada. Les seuls liens entre le contribuable et le Canada étaient les appels téléphoniques du courtier, un compte en banque à Toronto, la procuration accor- dée au courtier et la comptabilité tenue par le courtier par l'entremise de l'une de ses sociétés au Canada. Ces liens étaient-ils suffisants pour constituer «l'exploitation d'une entre- prise de prêts au Canada»? Le contribuable exploitait manifes- tement une entreprise, mais l'exploitait-il au Canada? Le con- tribuable n'a accompli aucun acte au Canada et les décisions principales ont été prises à l'extérieur de ce pays. Les seuls éléments canadiens des opérations étaient secondaires et n'exis- taient que pour des raisons de commodité. Le prêt d'argent ne constituait pas l'exploitation d'une entreprise au Canada. La Partie XIII s'appliquait à cette opération qui était soumise à la retenue des impôts. L'alinéa 253b) ne s'appliquait pas puis- qu'on ne pouvait dire que le contribuable sollicitait des com- mandes ou offrait en vente quoi que ce soit par l'entremise d'un mandataire ou d'un préposé. Des prêts ne sont pas «offerts en vente». Le contribuable n'a pas sollicité de commandes au Canada; il recevait en Suisse des sollicitations de la part du courtier de Toronto.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Cutlers Guild Limited c. Sa Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5093 (C.F. 1" inst.); Grainger and Son v. Gough, [1896] A.C. 325 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Loeck c. Sa Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6368 (C.F. 1" inst.).
DECISIONS CITÉES:
Kennedy v. De Trafford, [1897] A.C. 180 (H.L.); Bank of New South Wales and Others v. Commonwealth and Others, [1948] 76 C.L.R. 1 (H.C. Austr.).
AVOCATS:
Donald Bowman, c.r. et W. Innes pour le demandeur.
Ian MacGregor et Roger Taylor pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUSÉ: Le demandeur, qui réside en Suisse, interjette appel de ses cotisations pour les années 1971 et 1972, concernant les montants de 1 116 712,10 $ et de 934 691,04 $ respectivement qui ont été considérés comme un revenu provenant [TRADUCTION] «d'une entreprise de prêts d'argent exploitée par lui au Canada».
Le demandeur est en Russie en 1901 et a immigré avec sa famille au Canada à l'âge de sept ans. Au cours de son adolescence, il s'est installé aux États-Unis; il s'est enrôlé dans l'armée améri- caine au cours de la Première Guerre mondiale et s'est fait naturaliser citoyen américain en 1943. Il est retourné au Canada en 1948 et est devenu citoyen canadien en 1954. En 1960, il s'est installé en Suisse il établit sa résidence et épousa une Suisse en 1962. Ils demeurent maintenant tous les deux à Lausanne (Suisse) et partagent une autre
maison à Monte-Carlo (Monaco). -
Il a accumulé une fortune considérable, dans sa jeunesse, d'abord aux États-Unis dans une entre- prise de boulangerie puis dans le commerce d'ac- cessoires d'automobiles et, plus tard au Canada, personnellement ou par l'entremise de Pullman Holdings Limited, dans des opérations boursières, immobilières et financières.
En 1970, il fut contacté en Suisse par un cour tier du nom de Joseph Burnett, qui avait déjà été associé à Sam Gotfrid, un avocat avec lequel le demandeur avait fait des affaires à Toronto. M. Burnett savait que le demandeur disposait de fonds pour placements sur hypothèques. Les deux hommes parvinrent à une entente selon laquelle M. Burnett informerait le demandeur des occasions de prêts qui se présenteraient, et lui offrirait de parti- ciper à ces prêts, s'il le souhaitait. Le demandeur demeurait libre d'accepter ou de refuser toute opération de ce genre. A l'époque en cause, il a participé à 52 opérations distinctes qui donnèrent lieu à quelque 708 inscriptions comptables'. Ces opérations de prêts n'ont pas pris place au Canada
' L'article 6(1) du 9' paragraphe de l'exposé de la défense détaille un montant de 4 284,97 $ pour l'année 1971. Il est concédé par la Couronne que ce montant est une répétition. Quoiqu'il arrive, cette inscription devrait être corrigée.
seulement. De fait, environ 60 % des prêts ont été consentis à des emprunteurs américains aux États- Unis et à Porto Rico. Il consentit également un prêt à un emprunteur de Londres (Angleterre).
À la suite de la visite de M. Burnett en Suisse, le demandeur a ouvert à la Banque de Commerce, à sa succursale de l'Hôtel de ville à Toronto, un deuxième compte en banque sous le nom de «J. P. #2». II signa en faveur de M. Burnett une procura- tion permettant à celui-ci de conclure des opéra- tions de prêts en se servant de ce compte en banque, c'est-à-dire lui permettant d'en retirer et d'y déposer des fonds, au nom du demandeur.
MM. Pullman et Burnett ont tous les deux témoigné au procès. Ils étaient les seuls témoins. D'après leurs dépositions, le demandeur n'a jamais sollicité de prêts et ne s'est jamais présenté publi- quement comme une personne prête à consentir des prêts. M. Burnett s'occupait activement du financement de travaux de construction de centres commerciaux, de magasins d'alimentation, de mai- sons de convalescence, d'édifices de bureaux, etc. Quand venait le temps de conclure une affaire et qu'il semblait exister un besoin de crédits de relais, M. Burnett appelait le demandeur en Suisse (ou d'autres prêteurs éventuels) et le renseignait sur tous les principaux éléments de l'affaire. Le demandeur faisait alors pleinement confiance à M. Burnett, et c'est toujours le cas. Il étudiait les circonstances et décidait de participer ou non à l'affaire. Les deux intéressés négociaient, le plus souvent par téléphone, les intérêts ou les primes que le demandeur devait recevoir. Ce dernier n'était pas au courant de la commission que gagnait M. Burnett.
À part les intérêts, le demandeur recevait aussi des [TRADUCTION] «primes d'engagement» et des [TRADUCTION] «primes de crédits de soutien». Les primes d'engagement étaient des sommes addition- nelles reçues en dédommagement du haut risque de certains prêts. Les primes de crédits de soutien étaient des sommes payées au demandeur pour qu'il accepte de mettre des crédits à la disposition de l'emprunteur qui avait le loisir de s'en prévaloir au besoin. Ces trois sortes de revenus, c'est-à-dire les intérêts, les primes de crédits de soutien et d'engagement ont été considérés comme des reve- nus par le Ministre.
Le demandeur n'était pas la seule source de financement dont disposait M. Burnett. Ce dernier pouvait s'adresser à d'autres prêteurs, ce qu'il fai- sait à l'occasion. Son commerce de courtier en financement est de grande envergure et met en jeu des millions de dollars; il emploie en outre un personnel important à Toronto.
Quant au demandeur, il n'a ni bureau ni pied-à- terre au Canada. Il y a de la famille à laquelle il rend visite de temps en temps. Il détient les comp- tes en banque susmentionnés. Un registre des opé- rations de prêts avec M. Burnett était tenu par une des compagnies canadiennes de M. Burnett, Kel- burn Management Limited, qui tenait la compta- bilité de toutes les opérations de M. Burnett. La plupart des opérations de prêts auxquelles le demandeur a participé se faisaient par l'entremise d'une autre compagnie de M. Burnett, Ruthbern Holdings Limited. Nombre de ces opérations n'étaient pas négociées ni conclues au bureau de M. Burnett à Toronto mais aux établissements des emprunteurs au Canada, aux États-Unis, à Porto Rico et au Royaume-Uni. C'était le plus souvent de ces endroits que M. Burnett téléphonait à la dernière minute aux prêteurs, y compris le deman- deur en Suisse, afin de parfaire l'entente concer- nant les crédits de relais et conclure les affaires.
Le litige principal dont la Cour est saisie porte sur la question de savoir si tous ces intérêts ou ces primes d'engagement ou de crédits de soutien, reçus par le demandeur et s'élevant au total à plus de deux millions de dollars, devraient être inclus dans ses revenus conformément à la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63], comme revenus gagnés par un non-rési- dent exploitant une entreprise au Canada ou si une partie de cette somme, provenant des prêts consen- tis au Canada, devrait être soumise à la retenue des impôts pour non-résidents conformément à la Partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu (Partie III de l'ancienne Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148]), le solde, prove- nant de prêts consentis à l'étranger, échappant à tout impôt canadien. Le demandeur concède que les intérêts et les primes qui lui ont été payés par des résidents canadiens sont soumis à la retenue des impôts, mais il soutient qu'il n'exploitait pas d'entreprise au Canada et que par conséquent il n'était pas assujetti à la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Dans sa défense, le Ministre est parti du prin- cipe que le demandeur n'était pas un résident du Canada mais qu'il avait tiré les sommes susmen- tionnées [TRADUCTION] «d'une entreprise de prêts d'argent exploitée par lui au Canada, ces sommes ayant été réalisées grâce aux opérations suivantes». Viennent ensuite une liste de 351 opérations pour l'année 1971 et une autre liste de 357 opérations pour l'année 1972. Le Ministre est également parti du principe que le demandeur, à toutes les époques en cause, était un citoyen canadien qui détenait des comptes bancaires à Toronto, dont un sous le nom de «John Pullman #2», à l'égard duquel il avait donné pleine procuration à Joseph Burnett pour [TRADUCTION] «agir comme son mandataire dans la gestion de son entreprise de prêts d'argent au Canada». Le Ministre a aussi tenu pour acquis que les divers montants versés à titre de commis sions avaient été payés ou déposés à ce compte par Joseph Burnett, Kelburn Management Limited, Ruthbern Holdings Limited et d'autres sociétés sous le contrôle de Joseph Burnett.
Dans leurs dépositions, le demandeur et M. Burnett nient tous deux l'existence d'une relation de mandant-mandataire entre eux. Toutefois cela ne règle pas la question car l'existence ou non d'une relation de mandant-mandataire est une question de droit. Cependant, comme il a déjà été mentionné, la preuve indique que M. Burnett n'était en aucune façon tenu de porter quelque affaire particulière à l'attention du demandeur ou de l'inviter à y participer. M. Burnett aurait pu obtenir les fonds ailleurs et c'est ce qui est souvent arrivé. Pour sa part, le demandeur n'avait aucune obligation d'accepter. Il pouvait refuser l'offre et c'est ce qu'il a fait à l'occasion. M. Burnett n'était pas tenu de renseigner le demandeur au sujet de la commission qu'il recevait. Il n'existait aucun accord général, écrit ou verbal, fixant à l'égard des deux parties un nombre, un montant ou un volume quelconque d'opérations. Il semble que tout autre courtier du Canada ou d'ailleurs aurait pu commu- niquer avec le demandeur et lui faire une proposi tion qu'il aurait pu étudier et accepter ou refuser. En ce sens, M. Burnett n'était pas plus mandataire du demandeur qu'un autre courtier à la recherche de fonds pour conclure un marché. D'après sa propre déposition, qui n'a pas été contestée, le demandeur comptait sur M. Burnett parce qu'il avait confiance en lui. Cette relation était profita ble pour les deux.
Le mot «agent» (mandataire) a un sens large et vague. [TRADUCTION] «Il n'est de mot dont on use ou on abuse autant que le mot "agent" z.» Un mandataire (agent) est une personne qui agit au nom d'une autre. Dans ce sens très large, M. Burnett a agi en maintes occasions au nom du demandeur, par exemple pour déposer des sommes d'argent dans le compte en banque ou en retirer, en vertu de la procuration. Il semble cependant, selon les preuves, que M. Burnett n'avait aucun mandat général ou exclusif ni aucun pouvoir géné- ral d'engager le demandeur. S'il y avait mandat, il était très limité et d'un caractère spécifique'.
La question à résoudre n'est pas de savoir s'il existait une relation de mandant-mandataire entre les deux hommes, mais de savoir si le demandeur exploitait une entreprise de prêts au Canada, à l'époque en cause. La réponse serait évidente si le demandeur avait été physiquement présent au Canada, s'il y avait maintenu un bureau, avait recherché une clientèle d'emprunteurs et leur avait prêté de l'argent directement. En l'espèce cepen- dant, les seuls liens entre le demandeur et le Canada étaient les appels téléphoniques de M. Burnett—quand ils provenaient du Canada—les comptes en banque à Toronto, la procuration à M. Burnett et la comptabilité tenue par M. Burnett, par l'entremise de Kelburn Management Limited. Ces liens sont-ils suffisants pour constituer [TRA- DUCTION] «l'exploitation d'une entreprise de prêts»?
Sans aucun doute, le demandeur exploitait une entreprise. La fréquence, l'intensité et le volume de ses activités de prêteur d'argent nous forcent à conclure qu'il exploitait une entreprise de prêts. Il a [TRADUCTION] «exploité habituellement ou sys-
2 Lord Herschell dans l'arrêt Kennedy v. De Trafford, [1897] A.C. 180 [[H.L.], à la p. 188].
3 Au cours d'une autre enquête faite en vertu du paragraphe 231(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu, M. Burnett fut interrogé par la Commission de révision de l'impôt. Voici ce qu'il a dit dans une réponse: [TRADUCTION] «J'ai alors réorga- nisé le financement de cet emprunt avec John Pullman pour lequel j'agissais, et il a accepté de faire le prêt.» Contre-inter- rogé au sujet de cette déclaration, Burnett a expliqué qu'il avait agi pour le demandeur en tant qu'avocat. Il est toutefois difficile de concilier cette réponse avec sa déclaration, au cours de l'interrogatoire, selon laquelle il avait abandonné la pratique du droit pour des raisons de conflits d'intérêts avec son entre- prise de courtage.
tématiquement» cette entreprise°. Toutes les sommes reçues à l'égard des prêts, qu'il s'agisse d'intérêts, de primes d'engagement ou de crédits de soutien, sont des revenus tirés de l'entreprise de prêts exploitée par le demandeur. Toutes ces opé- rations et tous ces gains sont compatibles avec ses antécédents, ses connaissances, son expérience et ses activités antérieures. Mais la question demeure: Exploitait-t-il une entreprise au Canada?
Dans l'arrêt Cutlers Guild Limited c. Sa Majesté La Reines, rendu en 1981, j'ai eu l'occa- sion de passer en revue les critères employés pour déterminer si un contribuable exploitait une entre- prise dans un autre pays. Même si, dans cette affaire, il s'agissait d'une entreprise de vente d'ar- genterie de table, le passage suivant (tiré de la page 5095) peut être de quelque utilité en l'espèce.
La question de savoir si un contribuable exploite une entre- prise dans un autre pays est une question de fait qui doit être jugée dans chaque espèce. Les tribunaux ont jugé que l'endroit sont effectuées les ventes ou l'endroit sont conclus les contrats de vente revêt une grande importance. Toutefois, l'endroit de la vente peut ne pas constituer le facteur décisif s'il y a d'autres faits qui l'emportent en importance sur ce facteur.
La jurisprudence permet de dégager un autre critère d'éva- luation: se déroulent les activités qui génèrent les bénéfices? La sollicitation de commandes dans un pays peut ne constituer qu'un aspect secondaire de l'exercice d'un commerce dans un autre pays. Certains précédents établissent que les activités et le travail qui ne se rapportent pas aux contrats de vente consti tuent l'exploitation d'une entreprise, surtout si ces activités et ce travail produisent ou permettent de tirer un revenu. Même si les ventes peuvent être productrices de revenu, il se peut que ce revenu ne provienne pas entièrement de cette activité ou de cette transaction. L'achat de marchandises dans un pays (soit, par exemple, le Japon) dans le but d'en faire le commerce ailleurs (soit, par exemple, le Canada), ne constitue certaine- ment pas l'exercice de ce commerce dans le premier pays.
Dans l'affaire Loeck c. Sa Majesté la Reine 6 , le juge Mahoney de cette Cour devait décider si un contribuable non-résident, qui achetait et vendait des biens de placement au Canada, exploitait une entreprise dans ce pays. Ce résident de la Républi- que fédérale d'Allemagne avait investi dans un certain nombre de biens fonciers au Canada. Il avait réalisé en 1971 un gain d'environ 50 000 $ sur la vente d'un immeuble d'appartements situé à St. Catharines (Ontario) et en 1972 un autre gain
4 Voir les motifs de lord Morris dans l'affaire mentionnée plus loin Grainger and Son v. Gough, à la p. 343.
5 (1981), 81 DTC 5093 [C.F. 1te inst.].
6 (1978), 78 DTC 6368 [C.F. 1 1 e inst.].
d'environ 70 000 $ sur la vente de deux fermes situées aux environs de cette ville. Dans les deux cas, il avait investi conjointement avec un compa- triote allemand qui avait établi sa résidence au Canada. Ce dernier avait négocié les opérations et géré les divers placements au Canada du contri- buable qui inspectait les investissements et recher- chait d'autres occasions d'affaires quand il y venait en vacances. Le comptable dressait les comptes en tenant pour acquis que les deux hommes étaient associés, le résident recevant de plus un salaire pour sa gestion. Le juge Mahoney a statué que le contribuable était activement engagé dans une entreprise d'achat, d'exploitation et de vente de biens-fonds au Canada, soit comme associé soit comme mandant du résident. On ne pouvait dire que l'entreprise faisait partie d'une autre entre- prise ouest-allemande et était par conséquent exo- nérée de l'impôt au Canada, conformément à la Loi de 1956 sur un accord entre le Canada et l'Allemagne en matière d'impôt sur le revenu [S.C. 1956, chap. 33].
Il me semble que l'élément canadien est beau- coup plus prononcé dans l'affaire Loeck qu'en l'espèce. Après tout, Loeck et un résident cana- dien, agissant dans le cadre d'une sorte de société de personnes, achetaient et vendaient des biens immobiliers au Canada. Dans l'affaire qui nous occupe, le demandeur n'est pas engagé activement dans l'achat ou la vente de quoi que ce soit au Canada. Il participe de l'étranger, par l'entremise d'un courtier canadien, à des opérations de crédits de relais pour des travaux de construction qui peuvent se trouver aux États-Unis ou en d'autres pays, aussi bien qu'au Canada. Le demandeur n'a pas opéré lui-même au Canada, tandis que Loeck le faisait.
Une affaire plus ancienne soumise à la Chambre des lords, Grainger and Son v. Gough', traite de la question de l'exploitation d'une entreprise au Royaume-Uni. Un négociant français en vins employait une firme anglaise comme représentant exclusif afin d'obtenir des commandes qui lui étaient transmises pour son acceptation. Il envoyait alors le vin directement aux clients, à leurs risques et dépens. Ainsi, les contrats n'étaient pas conclus en Angleterre et la seule activité dans ce pays était celle du représentant qui sollicitait
7 [1896] A.C. 325 [H.L.].
des commandes. Il fut décidé que le négociant français n'avait pas exploité d'entreprise au Royaume-Uni. Lord Herschell, à la page 335, dit ceci:
[TRADUCTION] D'abord, je crois qu'il existe une grande diffé- rence entre faire le commerce avec un pays et exploiter une entreprise à l'intérieur d'un pays. Nombre de marchands et de fabricants exportent leurs marchandises à travers le monde et je ne crois pas qu'on puisse en dire pour autant qu'ils exercent ou exploitent une entreprise dans tous les pays ils trouvent des acheteurs pour ces articles.
De même, en l'espèce, on ne peut pas vraiment dire que le demandeur exploitait une entreprise au Canada. Les décisions administratives principales et l'acceptation ou le rejet des propositions de prêts se prenaient et se faisaient hors du Canada. Les seuls éléments canadiens de ces opérations, c'est-à- dire le compte en banque, la procuration et la tenue des livres, étaient secondaires et n'existaient que pour des raisons de commodité. Le prêt d'ar- gent à des Canadiens (ou à des Américains, à des Portoricains ou à des Britanniques) ne constitue pas en soi l'exploitation d'une entreprise au Canada, que ces opérations soient nombreuses, complexes ou non. La Partie XIII de la Loi s'ap- plique à ce genre d'opérations qui sont soumises à la retenue des impôts.
Le sous-procureur général du Canada se fonde aussi sur l'alinéa 253b) de la Loi dont voici le libellé:
253. Lorsque, dans une année d'imposition, une personne non résidante a
b) sollicité des commandes ou offert en vente quoi que ce soit au Canada par l'entremise d'un mandataire ou préposé, que le contrat ou l'opération ait être parachevée au Canada ou hors du Canada, ou en partie au Canada et en partie hors du Canada,
elle est réputée, aux fins de la présente loi, avoir exploité une entreprise au Canada pendant l'année.
À mon avis, il ne peut être dit que le demandeur sollicitait des commandes ou offrait en vente quoi que ce soit au Canada, par l'entremise d'un man- dataire, préposé ou autrement. Le demandeur n'a pas sollicité de commandes au Canada et n'avait nul besoin de le faire. Il demeurait en Suisse il recevait d'un courtier des offres de participation à
des activités de prêts d'argent. On ne peut pas dire non plus que des prêts peuvent être offerts en vente'.
Même si j'admettais la proposition que le Parle- ment avait l'intention d'assujettir les prêts d'argent à l'alinéa 253b), ce que je ne pense pas, il ne fait aucun doute que cette disposition, même au sens le plus large, ne pourrait s'appliquer à des prêts consentis dans d'autres pays que le Canada—ce qui constitue une grande partie des prêts consentis par le demandeur.
L'appel est donc accueilli avec dépens et j'or- donne que les cotisations soient renvoyées au Ministre pour qu'il établisse de nouvelles cotisa- tions fondées sur le fait que les intérêts et commis sions provenant de sources canadiennes sont sou- mises à la retenue des impôts conformément à la Partie III de l'ancienne Loi ou à la Partie XIII de la nouvelle Loi, selon le cas. Les autres sommes cotisées ne sont pas imposables dans ce pays.
8 Voir Bank of New South Wales and Others v. Common wealth and Others, [1948] 76 C.L.R. 1 (H.C. Austr.).
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