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T-4756-80 T-4758-80 T-4759-80
La Reine (demanderesse) c.
Dr Eugene Lalande et Dr Hubert Watelle (défendeurs)
Division de première instance, juge Decary— Montréal, 26 et 27 avril; Ottawa, 30 juin 1983.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appels relatifs à l'impôt sur le revenu admis en partie La population de la région les défendeurs exercent leur profes sion diminuait en raison de l'exode des jeunes Les défen- deurs ont engagé des frais légaux pour contester sans succès la décision de construire une école dans une autre municipalité Les défendeurs ont également perdu des sommes d'argent consenties à titre d'avances ou de cautionnements, à une corporation sans but lucratif en vue de la construction d'un foyer d'accueil pour personnes âgées Le foyer d'accueil aurait permis aux défendeurs de conserver et d'augmenter leur clientèle Un défendeur était également propriétaire d'une pharmacie Les frais légaux sont déductibles en vertu de l'art. 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu à titre de dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise parce qu'elles ont été faites dans le but d'augmenter la clien- tèle des médecins et de la pharmacie Les avances ou les cautionnements ne peuvent être déduits parce qu'il s'agit d'une perte de capital au sens de l'art. 18(1)b) Il ne s'agissait pas d'une entreprise de prêt d'argent ni d'une aventure de nature commerciale Ils comptaient tirer profit d'une clientèle accrue ou de l'exploitation du foyer d'accueil lui-même Les avances et les cautionnements sont sujets à la déduction prévue à l'art. 40(2)g)(ii) puisque les créances ont été acquises en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3, 18(1)a),b), 38, 39, 40(2)g)(ii), 50.
Les défendeurs sont médecins à Ville-Marie, localité l'ensemble de la population est plutôt âgée, en partie en raison d'un exode des jeunes. Le Dr Lalande était propriétaire d'une pharmacie et d'immeubles locatifs et il avait intérêt à ce que la population s'accroisse. Aussi a-t-il engagé des frais légaux pour contester, sans succès, une décision d'une commission scolaire de construire une polyvalente dans une autre ville plutôt qu'à Ville-Marie. Les deux défendeurs ont perdu au-delà de 63 000 $ consentis à titre d'avances ou de cautionnements à une corporation sans but lucratif en vue de la construction d'un foyer d'accueil pour personnes âgées. Le centre d'accueil aurait permis aux défendeurs de conserver leur clientèle et de l'aug- menter puisque les personnes âgées auraient été incitées à venir demeurer dans la région et leur présence au centre d'accueil aurait constitué pour les deux médecins une source régulière de revenus. Les défendeurs n'avaient pas l'intention de financer eux-mêmes la construction du foyer d'accueil, mais ils se sont portés cautions et ont investi leurs propres deniers pour éviter la ruine du projet. La corporation avait l'obligation de rembourser les défendeurs, mais ne l'a pas fait. Les défendeurs n'ont jamais exploité une entreprise de cautionnement ou de prêt d'argent.
La première question est de savoir si les frais légaux engagés étaient déductibles en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu à titre de dépenses engagées «en vue de» tirer un revenu «de l'entreprise». En second lieu, il faut détermi- ner si les cautionnements et les avances sont des pertes de capital au sens de l'alinéa 18(1)b) et, le cas échéant, si ces pertes sont des pertes en capital déductibles au sens des articles 3, 38, 39, 40(2)g)(ii) et 50 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Jugement: les appels sont accueillis en partie. Les frais légaux ont été encourus dans le but d'augmenter la clientèle des médecins et de la pharmacie et même si ce but n'a pas été atteint, ils sont déductibles en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. L'arrêt The Royal Trust Company v. Minister of National Revenue (1957), 57 DTC 1055 (C. de l'É.) s'applique. Les avances ou les cautionnements sont des pertes de capital, au sens de l'alinéa 18(1)b) et ne peuvent être déduits du calcul du revenu des défendeurs. Les pertes sur créances résultant de prêts ou de cautionnements peuvent être sujettes à déduction lorsque le contribuable exploite une entreprise de prêt ou de cautionnement ou lorsqu'il s'agit d'une aventure de nature commerciale. En l'espèce, aucun des défendeurs n'exploitait une entreprise de cautionnement ou de prêt d'argent. Il ne s'agissait pas non plus d'une aventure de nature commerciale. Il n'était pas question d'une revente à court terme du foyer d'accueil, dans un but immédiat de profit. L'avantage que les défendeurs ont cru voir consistait plutôt à obtenir des revenus grâce à une clientèle accrue ou à des salaires à être retirés du foyer d'accueil lui-même. Lorsque les deux médecins ont conçu le projet c'était pour «conserver la clientèle et l'améliorer». L'intention était de faire en sorte que les personnes âgées viennent s'établir à Ville-Marie plutôt que de quitter le comté; de diminuer le nombre de visites à domicile et, finalement, de constituer une source durable de revenus. Les deux médecins ont financé la corporation pour éviter de compromettre le projet. Les pertes constituent des pertes en capital déductibles si les créances en cause ont été acquises «dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ou de faire produire un revenu à cette entreprise ou à ce bien» et sont visées à l'excep- tion prévue au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi. Comme le but était d'augmenter leur clientèle et, ce faisant, d'augmenter leurs revenus, les avances et les cautionnements sont sujets à la déduction prévue au sous-alinéa 40(2)g)(ii).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Royal Trust Company v. Minister of National Revenue (1957), 57 DTC 1055 (C. de l'E.); La Reine c. H. Griffiths Company Limited, [1977] 1 C.F. 476; 76 DTC 6261 (1"» inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Minister of National Revenue v. Freud, [1969] R.C.S. 75; 68 DTC 5279; Minister of National Revenue v. Steer, [1967] R.C.S. 34; 66 DTC 5481, infirmant [1965] R.C.E. 458; 65 DTC 5115; McLaws c. Le Ministre du Revenu National, [1974] R.C.S. 887; 72 DTC 6149, confirmant (1970), 70 DTC 6289 (C. de l'E.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Minister of National Revenue v. Algoma Central Rail way, [1968] R.C.S. 447; 68 DTC 5096, confirmant
[1967] 2 R.C.É. 88; 67 DTC 5091; Stewart & Morrison Limited c. Le Ministre du Revenu national, [1974] R.C.S. 477; 72 DTC 6049, confirmant (1970), 70 DTC 6295 (C. de l'É.).
DÉCISIONS CITÉES:
Chaffey c. Le Ministre du Revenu national (1978), 78 DTC 6176 (C.F. Appel), confirmant (1974), 74 DTC 6478 (C.F. 1r inst.); British Columbia Electric Railway Company Limited v. Minister of National Revenue (1958), 58 DTC 1022 (C.S.C.); Becker c. La Reine, [1983] 1 C.F. 459; 83 DTC 5032 (C.A.); Paco Corpora tion c. Sa Majesté La Reine (1980), 80 DTC 6215 (C.F. 1te inst.); Sa Majesté La Reine c. Malone (1982), 82 DTC 6130 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Guy Laperrière pour la demanderesse.
Mario Ménard et John Bulger pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour les défendeurs.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DECARY: Ce qu'il faut déterminer, c'est de savoir si les dépenses que les docteurs Lalande et Watelle ont encourues et qui sont décrites à l'entente partielle sur les faits, sont de nature «revenu», c'est-à-dire, en vue de gagner des revenus de biens et d'entreprises, ou bien sont de nature «capital». Les trois appels ont été entendus sur preuve commune.
La preuve démontre que la ville de Ville-Marie, au début des années 1970, avait une population d'environ 2 000 personnes. C'était alors le centre du Témiscamingue. La jeune population avait ten- dance à émigrer vers l'Abitibi ou vers l'Ontario, et on imputait cette émigration au manque de servi ces et de meilleures écoles. La population âgée, elle, tenait à rester dans la région du Témiscamin- gue.
À cette époque, les docteurs Lalande et Watelle de Ville-Marie étaient les deux principaux méde- cins exerçant dans la région du Témiscamingue. Leurs confrères exerçaient à une échelle plus restreinte.
En plus, le docteur Lalande détenait la seule pharmacie de Ville-Marie. Cette pharmacie ven- dait non seulement des médicaments mais toutes sortes de produits et était qualifiée de «mini-maga- sin général». Le docteur Lalande possédait aussi certains terrains vacants dans la région de Ville- Marie, propices au développement, ainsi que des immeubles d'appartements. Il craignait de voir sa clientèle diminuer à cause du départ de la jeune population et du vieillissement de la population régionale. Pour son intérêt personnel il valait mieux, évidemment, voir la population grandir, et du fait voir augmenter sa clientèle et le volume d'affaires de la pharmacie et de la location des immeubles.
Un premier projet, qui aurait pu aider les doc- teurs Lalande et Watelle à augmenter leur clien- tèle et le chiffre d'affaires de la pharmacie, aurait été l'implantation d'une polyvalente à Ville-Marie. Une première décision avait en effet été prise pour la construction de cette polyvalente à Ville-Marie, mais quelque temps plus tard, le choix du site fut changé pour Lorrainville, à quelque 5 ou 6 milles de Ville-Marie. Le docteur Lalande choisit de contester la décision de construire la polyvalente à Lorrainville, et encourut des frais légaux de 10 783,80 $ à cet effet.
Il y eut également un deuxième projet dans lequel le docteur Lalande s'était fortement engagé, soit celui du Manoir Ville-Marie. Considérant que la population du Témiscamingue sont des gens attachés à leur coin de pays, et qu'à cette épo- que-là il n'y avait aucun foyer d'accueil pour personnes âgées dans cette région du Québec, l'on projeta d'établir un foyer d'accueil pour personnes âgées. Une corporation sans but lucratif fut créée à cet effet.
Il y avait un peu plus de 200 personnes intéres- sées à loger au foyer de manière permanente, et quelque 150 autres personnes qui manifestaient un intérêt éventuel. Malheureusement, à cause de malentendus entre les gouvernements fédéral et provincial, ce projet ne devait pas se concrétiser.
Telle qu'en fait foi l'entente partielle sur les faits, le docteur Lalande perdit en 1974 et 1975 un montant de 63 604,85 $ et le docteur Watelle, un montant de 63 036,68 $ à titre d'avances ou de cautionnements.
L'entente sur les faits se lit comme suit:
Sous réserve de leurs autres droits, les parties, par leurs procu- reurs soussignés, s'entendent sur les faits suivants pour les fins de cette action (appel) seulement:
1. Le 29 août 1966, la Commission Scolaire Régionale du Cuivre adopta une résolution prévoyant la construction d'une école polyvalente dans la municipalité de Ville-Marie.
2. Le 25 mars 1968, la Commission Scolaire Régionale du Cuivre rescinda sa résolution du 29 août 1966 et décida, par une autre résolution, de faire construire l'école polyvalente en question dans la municipalité de Lorrainville.
3. Suite à ces événements, le Dr. Lalande intenta, sans succès, une action contre la Commission Scolaire Régionale du Cuivre; les conclusions de ladite action étaient de faire annuler la décision du 25 mars 1968 et d'obtenir une ordonnance à l'effet que l'école polyvalente soit construite à Ville-Marie comme le prévoyait la résolution initiale du 29 août 1966.
4. L'école polyvalente que l'on avait projeté de construire à Ville-Marie devait accueillir 1,500 élèves. La population de Ville-Marie était d'environ 2,000 habitants en 1969.
5. Lors d'une enquête faite en 1969, 208 résidents de la région du Temiscamingue avaient exprimé leur intérêt à demeurer dans un centre d'accueil pour personnes âgées, s'il devait s'en construire un à Ville-Marie. De plus, suivant cette même enquête, entre 150 et 200 autres résidents du Temiscamingue avaient manifesté un certain intérêt à un tel projet, en ajoutant qu'ils attendraient la fin de la construction avant de se pronon- cer définitivement sur le sujet. Cette enquête avait été faite par les cercles locaux de bienfaisance, à la demande de madame Yvette Lanouette, un agent du Ministère des Affaires Sociales.
6. Les déductions donnant lieu au présent litige sont les suivantes:
1. Le Dr. Lalande
(i) 1973
Frais légaux
(a) Martineau Walker $ 8,000.00
(b) Claude Larouche $ 2,018.80 765.00
$10,783.80
Ces frais légaux, au montant de $10,783.80 furent encourus par le Dr. Lalande relativement à l'action mentionnée au paragra- phe 3.
(ii) 1974
Paiements en vertu des contrats de
cautionnement $24,561.00 Avances non remboursées par la
Corporation $11,517.63
$36,078.63
(iii) 1975
Paiements en vertu des contrats de
cautionnement $21,538.26 Avances non remboursées par la
Corporation $ 6,057.96
$27,596.22
2. Le Dr. Watelle
(i) 1974
Paiements en vertu des contrats de
cautionnement $26,000.00 Avances non remboursées par la
Corporation $ 5,768.12
$31,768.12
(ii) 1975
Paiements en vertu des contrats de
cautionnement $25,394.50 Avances non remboursées par la
Corporation $ 5,874.07
$31,268.57
7. Les Drs. Lalande et Watelle ont effectivement payé les sommes mentionnées au paragraphe 6 ci-dessus.
8. La présente entente s'applique également aux dossiers T-4758-80 et T-4759-80.
Selon le témoignage du docteur Lalande, la présence d'un centre d'accueil aurait permis aux défendeurs de «conserver la clientèle et de l'amélio- rer», d'où, pour une bonne part, leur intérêt dans le projet. Avec ses 65 lits, en effet, et la possibilité qu'il avait d'être agrandi en y ajoutant d'autres modules, le Manoir Ville-Marie aurait incité les personnes âgées à venir demeurer à Ville-Marie. Le centre d'accueil aurait évité aux deux médecins un bon nombre de visites aux personnes âgées dans les localités du comté. La présence des personnes âgées au centre d'accueil aurait constitué pour les deux médecins une source régulière de revenus.
Les déboires du centre d'accueil ont été résumés ainsi: peu après l'incorporation, les directeurs de la Corporation se tournèrent vers les différents paliers de gouvernement en vue d'obtenir des sub- ventions. Malgré certaines promesses initiales de financement, le ministère des Affaires sociales se retira assez tôt du projet. La Corporation réussit toutefois à obtenir une subvention du ministère fédéral de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration en vertu du Programme des initiatives locales. Comme le Programme précité avait pour but la création d'emplois pendant la saison hivernale, il était entendu que les travaux de construction devaient prendre fin, en principe, au printemps et que la subvention ne devait servir qu'à payer les salaires des ouvriers. Comme condition de sa sub- vention, le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration avait exigé par ailleurs que les coûts des matériaux requis pour le projet soient pleine- ment garantis. La Corporation et le ministère de la Main-d'oeuvre avaient cru obtenir à cet égard un engagement ferme de la Société d'habitation du
Québec. La Corporation entreprit donc la cons truction du centre d'accueil au cours de l'hiver 1972, mais différents événements firent en sorte que la Société d'habitation du Québec tarda à fournir les garanties prévues. Vu ce retard, la Corporation demanda, et obtint du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration une prolonga tion du délai afférant à sa subvention. Entre- temps, la Corporation fut cependant amenée à payer des dépenses courantes, celles découlant, notamment, de contrats d'installation d'appareils électriques et d'achat de bois.
Les docteurs Lalande et Watelle se portèrent alors cautions de prêts consentis à la Corporation par la Banque Canadienne Nationale et la Caisse Populaire de Ville-Marie, et firent en outre des avances directes de fonds à la Corporation. Il faut remarquer qu'en concevant le projet, les deux médecins n'avaient jamais eu l'intention de finan- cer eux-mêmes la construction du Manoir. L'ur- gent besoin de fonds qu'éprouvait la Corporation les incita toutefois à cautionner et à investir de leurs deniers: il s'agissait d'éviter l'échec de tout le projet et la perte des subventions déjà obtenues. Finalement, contrairement à ce qui avait été prévu, la Société d'habitation du Québec et la Société centrale d'hypothèque et de logement refusèrent d'accorder les garanties escomptées. Le 19 avril 1974, la Corporation céda tous ses droits dans l'immeuble en cause au syndic Paul Perras de Montréal. La Corporation ne put rembourser aux docteurs Lalande et Watelle les avances de fonds que ces derniers avaient faites. En outre, les doc- teurs Lalande et Watelle furent amenés à payer les dettes qu'ils avaient cautionnées auprès de la Banque Canadienne Nationale et de la Caisse Populaire de Ville-Marie. Les montants en ques tion sont énumérés au paragraphe 6 de l'entente sur les faits. Il appert en dernier lieu que même si elle ne l'a pas fait, la Corporation avait l'obligation de rembourser aux deux médecins les sommes que ces derniers avaient dépensées.
Il est à noter que les cautionnements et les avances de fonds ne portaient ni intérêt, ni frais, et que les docteurs Lalande et Watelle n'ont jamais exploité une entreprise de cautionnement ou de prêt d'argent.
Quant aux frais légaux relatifs à l'année d'impo- sition 1973 du docteur Lalande, comme le disait le
président Thorson de la Cour de l'Échiquier dans The Royal Trust Company v. Minister of Natio nal Revenue', en référant à l'alinéa 12(1)a) de l'ancienne Loi de l'impôt sur le revenu 2 :
[TRADUCTION] La limitation essentielle aux exceptions pré- vues à l'alinéa 12(1)a) est que la dépense ou le débours doit avoir été consenti par le contribuable «dans le but» de gagner ou de produire un revenu «tiré de l'entreprise». C'est le but de la dépense ou du débours qui est important et ce but doit être de gagner ou de produire un revenu «tiré d'une entreprise» à laquelle le contribuable se consacre. Si de telles conditions sont réunies, le fait qu'il peut ne pas en résulter de profit n'empêche nullement la déductibilité du montant du débours ou de la dépense.
L'alinéa 12(1)a) de l'ancienne Loi est identique, on le sait, à l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63.
À mon avis, les frais légaux ont été encourus dans le but d'augmenter la clientèle comme méde- cin et comme pharmacien et même si ce but ne fut pas atteint, néanmoins ils sont déductibles à cause, entre autres, de l'affaire Royal Trust (supra), sous les dispositions de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.
Quant aux années d'imposition 1974 et 1975 des docteurs Lalande et Watelle, il s'agit de détermi- ner si les cautionnements et les avances de fonds constituent des paiements de nature «capital», au sens de l'alinéa 18(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si ce sont des paiements de nature «capi- tal», il faut établir si les pertes encourues par les défendeurs sont des pertes en capital déductibles, au sens des articles 3, 38, 39, 40(2)g)(ii) et 50 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Quant à l'alinéa 18(1)b), les défendeurs ont référé à l'arrêt Minister of National Revenue v. Algoma Central Railway', une compagnie ferro- viaire desservant une région peu populeuse qui, dans le but d'augmenter son chiffre d'affaires fit effectuer des recherches géologiques sur ses terri- toires. L'on voulait identifier des dépôts de mine- rais et en informer les investisseurs pour les attirer
1 The Royal Trust Company v. Minister of National Reve nue (1957), 57 DTC 1055 [C. de l'É.], à la p. 1062. Voir également British Columbia Electric Railway Company Limi ted v. Minister of National Revenue (1958), 58 DTC 1022 [C.S.C.], à la p. 1027 in fine, le juge Abbott.
2 Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148.
3 Minister of National Revenue v. Algoma Central Railway, [[1968] R.C.S. 447]; 68 DTC 5096, confirmant [[1967] 2 R.C.É. 88]; 67 DTC 5091.
dans la région et, du fait, augmenter le trafic ferroviaire. La Cour de l'Échiquier et la Cour suprême décidèrent qu'il ne s'agissait pas de dépenses de nature «capital». S'appuyant, entre autres, sur cet arrêt, les défendeurs invitent la Cour à conclure que les paiements en cause ne constituent pas, non plus, des dépenses de nature
«capital».
La demanderesse distingue l'arrêt Algoma Cen tral Railway de la présente cause. La compagnie de chemins de fer Algoma Central ne cherchait pas à déduire une créance résultant d'un prêt ou d'un cautionnement mais à déduire les paiements faits à la firme privée qui s'était chargée de faire les recherches géologiques mentionnées plus haut. Cette distinction semble significative à la deman- deresse.
Dans Stewart & Morrison Limited c. Le Minis- tre du Revenu national'', le juge Judson, per curiam, devait d'ailleurs s'appuyer sur ce considé- rant pour décider que les déductions donnant lieu au litige étaient prohibées par l'alinéa 12(1)b) de l'ancienne Loi. Il s'agissait dans cette affaire d'une compagnie canadienne, Stewart & Morrison Lim ited, qui avait décidé de s'implanter sur le marché américain. Plutôt que d'ouvrir une succursale, la compagnie canadienne décida d'incorporer une filiale américaine, à laquelle elle prêta des fonds. Ces sommes d'argent ne lui furent jamais rem- boursées, d'où la déduction demandée à leur égard. Comme l'écrit le juge Judson 5 :
C'est avec raison qu'il a été conclu que l'art. 12(1) b) de la Loi de l'impôt sur le revenu interdisait la déduction de ces pertes.
Dans le présent appel, nous n'avons pas à nous demander quelles auraient été les conséquences si la contribuable appe- lante avait décidé d'ouvrir sa propre succursale à New York. Pour des raisons personnelles, elle n'a pas décidé de procéder de cette façon. Elle a financé une filiale et elle a perdu l'argent investi.
À mon avis, l'affaire L. Berman & Co. Ltd. v. M.N.R. ([1961] C.T.C. 237), que la présente appelante a invoquée, ne s'applique pas. Dans l'affaire Berman, la contribuable avait volontairement effectué des paiements à des tiers, soit aux fournisseurs de sa filiale, afin que sa propre clientèle n'ait pas à subir d'inconvénients du fait que la filiale avait manqué à ses obligations. Le fondement de la décision de la Cour de l'Échi- quier était le suivant:
4 Stewart & Morrison Limited c. Le Ministre du Revenu national, [[1974] R.C.S. 477]; 72 DTC 6049, confirmant (1970), 70 DTC 6295 (C. de l'É.).
5 Id. [p. 479, R.C.S.] p. 6051.
[TRADUCTION] Elle a déboursé les sommes parce qu'elle trai- tait avec les fournisseurs et allait continuer de traiter avec eux. Elle avait effectué les paiements à ses propres fins et leurs montants n'ont jamais été considérés comme des dettes de la United envers l'appelante (Berman). [C'est moi qui souligne.]
Les défendeurs ont constitué une corporation sans but lucratif, c'est-à-dire une personne juridi- que distincte, qu'ils ont cautionnée et à qui ils ont avancé des sommes d'argent. Et, comme dans l'af- faire Stewart & Morrison Limited [précitée], les fonds en question ont été perdus, malgré l'obliga- tion qu'avait la Corporation de rembourser.
Les pertes sur créances résultant de prêts ou de cautionnements peuvent être sujettes à déduction lorsque les faits de la cause permettent de conclure qu'il y a entreprise de prêt ou de cautionnement 6 , ou lorsqu'il s'agit d'une aventure de nature com- merciale'. Toutefois, comme le faisait remarquer le juge Pigeon dans l'affaire Freud précitée la page 82, Recueil des arrêts de la Cour suprême]:
[TRADUCTION] Il est clair qu'on devra en général qualifier de placement un prêt consenti par une personne qui ne fait pas commerce de l'argent. Ce n'est que tout à fait exceptionnelle- ment qu'une telle opération devrait être jugée de nature spéculative.
Il s'agissait, dans Freud, d'un avocat qui avait fait des avances de fonds à une compagnie dont il était actionnaire et administrateur. Le but de cette corporation était de développer un prototype de voitures de sport et de le revendre à profit, à court terme. Il n'avait jamais été question que la compa- gnie devienne elle-même, à long terme, un fabri- cant de voitures de sport. Comme le souligne le juge Pigeon 8 :
[TRADUCTION] ... les circonstances de cette affaire font qu'elle sort de l'ordinaire. Il est incontestable qu'au début l'opération engagée était de nature commerciale. Ce caractère commercial s'est maintenu jusqu'à la faillite de l'opération ...
Dans le cas présent, aucun des défendeurs n'ex- ploitait une entreprise de cautionnement ou de prêt d'argent. De plus, il n'était pas question que la Corporation revende le Manoir à court terme, et dans un but immédiat de profit. L'avantage que les
6 Voir les décisions citées dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Freud, [[1969] R.C.S. 75]; 68 DTC 5279 la p. 5282.
7 Voir: Freud, précité; Becker c. La Reine, [[1983] 1 C.F. 459]; 83 DTC 5032 (C.A.); Paco Corporation c. Sa Majesté La Reine (1980), 80 DTC 6215 (C.F. 1" inst.).
s Freud, précité, [p. 82, R.C.S.] à la p. 5282.
défendeurs ont cru voir dans le projet qu'ils avaient conçu consistait plutôt à obtenir des revenus grâce à une clientèle accrue ou à des salaires à être retirés du Manoir. La Corporation commençant à manquer de liquidités, les défendeurs firent en sorte de la financer; il fallait un fonds de roule- ment pour éviter la perte des subventions et l'échec du projet.
Les faits de la présente cause ressemblent à ceux des arrêts Steer» et McLaws 10 . Dans chacune de ces affaires un avocat avait cautionné une compa- gnie privée dont il était actionnaire. Ils croyaient avoir trouvé dans les activités des compagnies un moyen d'obtenir des revenus à long terme. Les deux compagnies opéraient sur une base continue. Dans McLaws, le cautionnement fut souscrit lors- que la compagnie se trouvait menacée de faire faillite. Les deux avocats durent honorer leur signature et ne furent jamais remboursés. Il fut décidé, dans les deux cas, que les paiements en question étaient de nature «capital» ".
Il est vrai que les demandeurs Steer et McLaws comptaient obtenir des revenus à long terme prove- nant des compagnies, sous forme de salaires, de bonis ou de royautés, alors que, dans le cas pré- sent, ces revenus à long terme devaient provenir exclusivement pour les défendeurs de l'exercice de leur profession. Cette distinction semble définitive- ment significative. Dans l'une ou l'autre des hypo- thèses, les paiements donnant lieu aux litiges ont été faits au titre de prêts ou de cautionnements. Et s'il s'agissait dans Steer et McLaws de préserver cette source de revenus que pouvaient constituer les compagnies cautionnées, l'on peut avoir raison de soutenir ici que les paiements en cause ont été faits [pour]
... a... créer un avantage durable» en faveur de l'entre- prise ... 12
9 Minister of National Revenue v. Steer, [[1967] R.C.S. 34]; 66 DTC 5481, infirmant [[1965] R.C.É. 458]; 65 DTC 5115.
1 °McLaws c. Le Ministre du Revenu National, [1974] R.C.S. 887]; 72 DTC 6149, confirmant (1970), 70 DTC 6289 (C. de l'É.).
" Voir aussi dans le même sens, Chaffey c. Le Ministre du Revenu national (1978), 78 DTC 6176 (C.F. Appel), confir- mant (1974), 74 DTC 6478 (C.F. 1" inst.).
12 Voir La Reine c. H. Griffiths Company Limited, [[1977] 1 C.F. 476, la p. 483]; 76 DTC 6261 (1" inst.), à la p. 6264, et les autorités qui y sont citées.
Lorsque les deux médecins ont conçu le projet c'était pour «conserver la clientèle et l'améliorer»: l'intention était de faire en sorte que les personnes âgées viennent s'établir à Ville-Marie plutôt que de quitter le comté; de diminuer également le nombre de visites à domicile et, finalement, de constituer une source durable de revenus. Et lors- que les deux médecins ont financé la Corporation, c'était précisément pour éviter de compromettre tout ce projet. Pour utiliser les termes du juge Dubé dans La Reine c. H. Griffiths Company Limited 13 :
En l'occurrence, cet avantage n'a pas été de longue durée mais il est bien évident qu['il] ... n'était pas envisagé [...] comme une simple fantaisie passagère.
À mon avis les paiements en cause sont de nature «capital», au sens de l'alinéa 18(1)b), et ils ne peuvent être déduits dans le calcul du revenu de l'entreprise des défendeurs pour les années 1974 et 1975. Il faut maintenant déterminer si les pertes encourues par les défendeurs constituent des pertes en capital déductibles au sens des articles 3, 38, 39, 40(2)g)(ii) et 50 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) se lit ainsi:
40... .
(2) Nonobstant le paragraphe (1),
g) la perte subie par un contribuable, si perte il y a, et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure elle est
(ii) une perte résultant de la disposition d'une créance ou autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit, selon le cas, a été acquis par le contribuable dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ou de faire produire un revenu à cette entreprise ou à ce bien (autre qu'un revenu exonéré d'impôt), ou en contrepartie de la disposition d'un bien en immobilisations en faveur d'une personne avec laquelle le contribuable n'avait pas de liens de dépendance ...
est nulle.
Il s'agit de savoir si les créances en cause ont été effectivement acquises «... dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ou de faire produire un revenu à cette entreprise ou à ce bien ...» Il s'agit essentiellement d'une question d'appréciation des faits de la cause. Le fait que les
'3 Id. [p. 483, C.F.] p. 6264. Voir également Sa Majesté La Reine c. Malone (1982), 82 DTC 6130 (C.F. 1" inst.).
créances en question n'aient porté ni intérêt, ni frais, n'est pas pertinent pour conclure que les créances en cause ont été acquises dans le but de tirer ou non un revenu.
À mon avis, le but était d'augmenter la clientèle de professionnels et, ce faisant, d'augmenter leurs revenus. Les avances et les cautionnements sont sujets à la déduction prévue au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi.
C'est en vertu de l'ordonnance du 10 février 1983 de mon collègue le juge Dubé que les affaires T-4758-80, T-4759-80 et T-4756-80 furent enten- dues ensemble et sur une preuve commune aux trois affaires.
Les appels portant les numéros T-4758-80 et T-4759-80 sont admis en partie et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. L'appel portant le numéro T-4756-80 est rejeté et la cotisation est annulée. La demanderesse paiera soixante-quinze pour cent (75 %) des frais aux défendeurs comme s'il s'agis- sait d'une seule action vu que les trois appels ont été réunis.
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