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A-276-83
Patrick Noonan (appelant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte et Ryan et juge sup pléant Lalande—Montréal, 17 mars; Ottawa, 24 mars 1983.
Libération conditionnelle Mise en liberté sous surveil lance obligatoire Sens de l'expression «un détenu qui est assujetti à la surveillance obligatoire» Le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles n'a pas de pouvoir de suspension avant la mise en liberté d'un détenu La suspension doit-elle reposer sur des faits qui sont survenus après la mise en liberté? Octroi d'un certiorari infirmant le mandat de suspension de la libération sous sur veillance obligatoire Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 15 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28), 16 (mod. idem, art. 29) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41), art. 24, 24.1, 24.2.
La période d'emprisonnement d'un détenu dans un péniten- cier devait expirer le 5 novembre 1986. En vertu de la loi applicable, il était en droit d'être libéré sous surveillance obliga- toire le 3 décembre 1982. A cette date, le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles, agissant, paraît-il, en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, a signé un mandat suspen- dant la libération sous surveillance obligatoire de l'appelant et autorisant son renvoi en détention. La Division de première instance a rejeté la requête en ordonnance de certiorari intro- duite par le détenu pour faire infirmer le mandat. La question soulevée en appel est de savoir si le président de la Commission avait, en vertu de la Loi, le pouvoir de suspendre la mise en liberté sous surveillance obligatoire de l'appelant.
Arrêt: L'appel et la demande devraient être accueillis.
L'appelant a avancé deux arguments: 1) le pouvoir de sus pension de la mise en liberté sous surveillance obligatoire d'un détenu ne peut être exercé qu'après sa mise en liberté; 2) l'exercice de ce pouvoir doit reposer sur des faits qui sont survenus après la mise en liberté.
Il découle du texte des paragraphes 15(1) et (2) de la Loi que la Commission n'avait pas le pouvoir de suspendre la mise en liberté sous surveillance obligatoire avant la mise en liberté du détenu. Avant cette libération, le prisonnier n'est pas «un détenu qui est assujetti à la surveillance obligatoire». L'argu- ment selon lequel un détenu qui a droit d'être mis en liberté est, aux yeux de la loi, mis en liberté et assujetti à la surveillance obligatoire même s'il continue à être détenu ne saurait être accueilli.
Le premier argument de l'appelant ayant été accueilli, la Cour ne juge pas nécessaire de se prononcer sur le deuxième.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Oag v. R., et al., [1983] 3 W.W.R. 130; 24 Alta. L.R. (2d) 274 (B.R.).
DÉCISION CITÉE:
Re Moore and The Queen (1983), 41 O.R. (3d) 271; 33 C.R. (3d) 99 (C.A.).
AVOCATS:
Fergus O'Connor pour l'appelant. I. G. Whitehall, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Correctional Law Project, Faculty of Law, Queen's University, Kingston, pour l'appelant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: L'appelant était détenu dans un pénitencier il purgeait des peines d'empri- sonnement qui devaient expirer le 5 novembre 1986. En vertu des articles 24, 24.1 et 24.2 de la Loi sur les pénitenciers' et du paragraphe 15(1) de
' S.R.C. 1970, chap. P-6 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41].
24. (I) Sous réserve de l'article 24.2, chaque prisonnier bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque mois, et d'un nombre de jours calculés au prorata pour chaque partie de mois, passés à s'adonner assidûment, comme le prévoient les règles établies à cet effet par le commissaire, au programme du pénitencier il est emprisonné.
(2) Une première réduction de peine, accordée en vertu du paragraphe (1), a lieu au plus tard à la fin du mois qui suit celui le détenu a été écroué ou, si avant que le présent paragraphe n'entre en vigueur, il avait déjà été ainsi écroué, au plus tard à la fin du mois qui suit celui de cette entrée en vigueur; par la suite une semblable réduction est accordée au moins à tous les trois mois.
24.1 (1) Les détenus bénéficiaires d'une réduction de peine méritée qui sont déclarés coupables par un tribunal discipli- naire d'avoir contrevenu à la discipline sont déchus, en tout ou en partie, de leur droit, acquis après l'entrée en vigueur du présent article, aux réductions de peine méritées inscrites à leur actif; mais une telle déchéance, lorsque supérieure à trente jours de réduction de peine, n'est valide que si elle rencontre l'assentiment du commissaire ou du fonctionnaire du Service qu'il a désigné à cette fin ou, lorsque supérieure à quatre-vingt-dix jours, du Ministre.
(2) Le gouverneur en conseil peut faire des règlements pour prévoir la nomination que lui ou le Ministre peut faire d'un président pour chaque tribunal disciplinaire, pour pres- crire les fonctions de ce président et fixer sa rémunération.
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la Loi sur la libération conditionnelle de détenus 2 , il était en droit d'être libéré le 3 décembre 1982 pour purger le reste de sa peine sous surveillance obligatoire. Toutefois, au lieu d'être libéré ce jour-là, il a simplement été transféré par la G.R.C. dans un autre pénitencier fédéral. Cela était à ce que, le même jour, le président de la Commis sion nationale des libérations conditionnelles, agis- sant, paraît-il, en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus',
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24.2 Le détenu qui bénéficie déjà d'une réduction statu- taire de peine, cesse d'avoir droit à la réduction méritée que prévoit le paragraphe 24(1) le jour le total des réductions suivantes correspond au tiers de la peine qu'il purge alors:
a) le maximum de jours de réduction statutaire de peine inscrit à son actif pour cette peine, en vertu de la présente loi ou de la Loi sur les prisons et les maisons de correction;
b) le nombre de jours de réduction de peine méritée accumulé à son actif avant que le présent article n'entre en vigueur; et
c) le maximum de jours de réduction de peine méritée inscrit à son actif en vertu du paragraphe 24(1).
2 S.R.C. 1970, chap. P-2 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28].
15. (1) Par dérogation à toute autre loi, le détenu remis en liberté avant l'expiration de sa sentence prévue par la loi, uniquement par suite d'une réduction de peine supérieure à soixante jours, y compris une réduction méritée, doit être assujetti à une surveillance obligatoire dès sa mise en liberté, et pendant tout le temps que dure cette réduction.
3 Le paragraphe 16(1) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29] autorise un membre de la Commission à suspendre une libération conditionnelle; en vertu du paragraphe 15(2), ce pouvoir de suspension s'applique à la surveillance obligatoire:
15....
(2) L'alinéa 10(1)e), l'article 11, l'article 13 et les articles 16 à 21 s'appliquent à un détenu qui est assujetti à la surveillance obligatoire comme s'il était un détenu à liberté conditionnelle en libération conditionnelle et comme si les modalités de sa surveillance obligatoire étaient des modalités de sa libération conditionnelle.
16. (1) Un membre de la Commission ou la personne que le président désigne à cette fin, en cas de violation des modalités d'une libération conditionnelle ou lorsqu'il est con- vaincu qu'il est souhaitable sinon nécessaire d'agir ainsi pour empêcher une telle violation ou pour protéger la société, peut, par mandat écrit signé de sa main,
a) suspendre toute libération conditionnelle aux obligations de laquelle le détenu est encore assujetti;
b) autoriser l'arrestation d'un détenu en liberté condition- nelle; et
c) renvoyer un détenu en détention jusqu'à ce que la suspension soit annulée ou sa liberté conditionnelle révoquée.
avait signé un mandat suspendant la libération sous surveillance obligatoire de l'appelant et auto- risant son arrestation et son renvoi en détention. L'appelant s'est adressé à la Division de première instance pour solliciter une ordonnance de certio- rari qui infirmerait ce mandat. D'après lui, le président de la Commission n'avait, dans les cir- constances, nullement le pouvoir de suspendre sa mise en liberté sous surveillance obligatoire. Le présent appel vise la décision portant rejet de cette demande. Il ne soulève qu'une seule question: le président de la Commission tient-il de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus le pouvoir de suspendre la mise en liberté sous surveillance obli- gatoire de l'appelant?
Il est constant que ni la Commission nationale des libérations conditionnelles ni ses membres n'ont le pouvoir d'accorder ou de refuser d'accor- der à un détenu l'autorisation d'être remis en liberté sous surveillance obligatoire. Une fois qu'un détenu a été emprisonné pour une période égale à la durée de sa peine moins le nombre de jours de réduction accumulé à son actif en vertu des articles 24 et suivants de la Loi sur les pénitenciers, il a alors le droit d'être mis en liberté sous surveillance obligatoire. La Commission nationale des libéra- tions conditionnelles et ses membres n'ont rien à voir avec l'octroi de ce droit. Le seul pouvoir de la Commission et de ses membres quant à la surveil lance obligatoire est le pouvoir de suspension et de révocation prévu au paragraphe 15(2) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus.
La seule question qui se pose dans le présent appel est de savoir si le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles avait, en vertu des paragraphes 15(2) et 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, le pouvoir de suspendre la mise en liberté sous surveillance obligatoire de l'appelant. Ce dernier ne conteste ni la bonne foi du président ni l'équité ou la régula- rité de la procédure que celui-ci a suivie pour parvenir à la conclusion que la protection de la société exigeait de maintenir son incarcération. Sa seule prétention est que le président ne pouvait, dans les circonstances, exercer le pourvoi de sus pension que lui confèrent les paragraphes 15(2) et 16(1). Cette prétention repose sur deux arguments: premièrement, le pouvoir de suspension de la mise
en liberté sous surveillance obligatoire d'un détenu ne peut être exercé qu'après la mise en liberté du détenu 4 ; deuxièmement, l'exercice de ce pouvoir doit reposer sur des faits qui sont survenus après la mise en liberté sous surveillance obligatoire du détenus.
Le premier argument de l'appelant est que le 3 décembre 1982, sa mise en liberté sous surveillance obligatoire ne pouvait être suspendue en vertu des paragraphes 15(2) et 16(1) de la Loi sur la libéra- tion conditionelle de détenus parce qu'à cette date, il n'avait pas encore été mis en liberté et n'était pas assujetti à une surveillance obligatoire.
À mon sens, il découle du texte des paragraphes 15(1) et (2) de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus que ni la Commission nationale des libérations conditionnelles ni ses membres n'ont le pouvoir de suspendre la mise en liberté sous surveillance obligatoire d'un détenu qui n'a pas encore été libéré. Le paragraphe 15(2) ne dit pas simplement que le pouvoir de suspendre une libération conditionnelle prévu à l'article 16 s'ap- plique à la surveillance obligatoire; il prévoit que ce pouvoir de suspension s'applique «à un détenu qui est assujetti à la surveillance obligatoire comme s'il était un détenu à liberté conditionnelle en libération conditionnelle». Le pouvoir de sus pension ne s'applique donc pas à un détenu qui n'est pas assujetti à la surveillance obligatoire; plus particulièrement, il ne s'applique pas à un détenu qui, bien qu'étant en droit d'être mis en liberté par suite d'une réduction de peine, n'a pas encore été mis en liberté, puisqu'il ressort du paragraphe 15(1) que la surveillance obligatoire ne commence qu'à la mise en liberté du détenu.
L'avocat de l'intimée reconnaît que le pouvoir de suspension conféré par le paragraphe 15(2) ne peut s'exercer qu'après l'assujettissement du détenu à la surveillance obligatoire. Il soutient toutefois que le détenu qui est en droit d'être mis en liberté par suite d'une réduction, est ipso facto, aux yeux de la loi, mis en liberté et assujetti à la surveillance obligatoire même si, en fait, il conti nue à être détenu. Je ne saurais souscrire à cet argument. En fait ou en droit, on ne saurait consi-
4 Voir Oag v. R., et al. [[1983] 3 W.W.R. 130; 24 Alta. L.R. (2d) 274 (B.R.)].
5 Re Moore and The Queen [(1983), 41 O.R. (3d) 271; 33 C.R. (3d) 99 (C.A.)].
dérer comme ayant été mis en liberté le prisonnier qui, bien qu'étant en droit d'être libéré, est néan- moins détenu.
J'estime donc que le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles a illégale- ment suspendu la surveillance obligatoire de l'ap- pelant, parce que cette suspension a eu lieu au moment l'appelant n'avait pas encore été mis en liberté sous surveillance obligatoire. Étant donné cette conclusion, il ne m'est pas nécessaire de me prononcer sur l'autre argument de l'appelant selon lequel, comme il a été décidé par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Moore (précitée), l'exercice du pouvoir de suspension de la surveil lance obligatoire prévu aux paragraphes 15(2) et 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus doit reposer sur des faits qui sont survenus après la mise en liberté sous surveillance obliga- toire du détenu.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir l'appel, d'annuler la décision de la Division de première instance et, rendant la décision qui aurait être rendue en première instance, d'accueillir la demande de l'appelant et d'infirmer la décision portant suspension de la surveillance obligatoire de l'appelant qui a eu pour conséquence, le 3 décem- bre 1982, l'émission contre l'appelant d'un mandat d'arrêt et de suspension de la surveillance obligatoire.
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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