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T-5178-79
E. H. Price Limited (demanderesse) (intimée)
c.
La Reine (défenderesse) (requérante)
Division de première instance, juge suppléant Smith—Winnipeg, 9 février et 27 septembre 1982.
Douanes et accise Taxe de vente Couronne Pres cription Le ministère du Revenu national revendique le paiement de taxes et d'amendes dont le montant s'accumule depuis février 1972 Détermination des taxes dues entreprise en juillet 1975 En février 1980, le Ministère dépose un certificat conformément à l'art. 52(4) de la Loi sur la taxe d'accise La demanderesse oppose la prescription aux procé- dures de recouvrement La défenderesse demande à la Cour en vertu de la Règle 474(1)a) de statuer sur des questions de droit Une action en recouvrement de taxes et d'amendes imposées par la Loi sur la taxe d'accise est-elle prescriptible? La Constitution autorise le Parlement à fixer des délais de prescription pour le recouvrement de taxes Immunité géné- rale de la Couronne contre l'application des lois expressément supprimée en matière de prescription par les règles générales de l'art. 38 de la Loi sur la Cour fédérale Ces règles s'appliquent «Sauf disposition contraire de toute autre loi» Applicabilité des lois provinciales en matière de prescription La loi manitobaine fixe une prescription de six ans L'art. 52 de la Loi sur la taxe d'accise prévoit deux méthodes de recouvrement: par action en justice et par certificat Le certificat ne devient pas un jugement Aux termes de l'art. 52(1), les taxes ou les sommes exigibles sont «recouvrables à toute époque» Disposition expresse qui fait échapper la présente espèce aux règles générales et qui accorde à la Couronne l'immunité contre la prescription Aucune formu lation particulière n'est nécessaire pour l'exception L'ex- pression «à toute époque» signifie une période illimitée Cette expression ne s'applique qu'à une action en justice Aucun conflit entre l'art. 52 et l'art. 38 Suivant l'art. 38, la Couronne ne bénéficie pas en règle générale d'une immunité contre la prescription Tendance vers la suppression de la prérogative de la Couronne en matière de prescription L'exception qui figure dans l'art. 38 assure le maintien de la prérogative de la Couronne dans les cas le Parlement le prévoit Dans les circonstances visées par certaines lois, des sommes peuvent être recouvrées à toute époque comme une dette envers Sa Majesté Interprétation du juge appuyée par les modifications apportées à l'art. 52 de la Loi sur la taxe d'accise Délai de prescription par ailleurs applicable: 6 ans Date le délai de prescription aurait commencé à courir: la date les taxes auraient être acquittées Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 38 Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 52(1) (abrogé et remplacé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 21), (4) The Limitation of Actions Act, R.S.M. 1970, chap. L150, art. 2a),h), 3(1)g),h) Loi spéciale des Revenus de guerre, 1915, S.C. 1915, chap. 8, art. 20 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474(1)a).
Le ministère du Revenu national (Douanes et Accise) cher- che à recouvrer auprès de la demanderesse des taxes de vente et
des amendes dont le montant s'accumule depuis février 1972. La détermination des taxes dues par la demanderesse a été entreprise en juillet 1975. En février 1980, le Ministère a déposé un certificat à la Cour fédérale conformément au para- graphe 52(4) de la Loi sur la taxe d'accise. La demanderesse a intenté une action dans laquelle elle opposait la prescription aux procédures de recouvrement engagées contre elle. La défen- deresse a alors demandé à la Cour, en vertu de la Règle 474(1)a), de statuer sur certaines questions de droit, la plus importante de celles-ci étant de savoir si une action en recou- vrement de taxes et d'amendes imposées par la Loi sur la taxe d'accise est prescriptible.
Jugement: pendant la période en cause, il n'y avait aucun délai de prescription applicable à une action en recouvrement de taxes et d'amendes en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Il ne fait pas de doute que la Constitution autorise le Parlement à fixer des délais de prescription pour les procédures en vue du recouvrement de taxes et l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale supprime expressément l'immunité de la Couronne relativement à la prescription, «Sauf disposition contraire de toute autre loi». L'article 38 dispose en outre que les lois provinciales en matière de prescription s'appliquent aux procé- dures devant la Cour fédérale; la disposition pertinente de la loi manitobaine prévoit une prescription de six ans. Toutefois, il faut tenir compte de l'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise, qui envisage deux méthodes de recouvrement de taxes ou d'autres sommes: premièrement, l'action en justice dont il s'agit au paragraphe (1) et, deuxièmement, le certificat du sous- ministre, visé au paragraphe (4). Il est à noter, cependant, que le dépôt d'un certificat n'opère pas sa transformation en juge- ment. Suivant le paragraphe 52(1), les taxes ou les sommes exigibles sont «recouvrables à toute époque». Ces mots consti tuent une disposition contraire au sens de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale et, par conséquent, rendent inapplicable à la Couronne la règle générale en matière de prescription formu- lée à l'article 38. Point n'est besoin qu'une telle disposition contraire soit rédigée d'une façon particulière. En l'espèce, les mots «à toute époque» désignent une période illimitée. Comme ils figurent uniquement au paragraphe 52(1), ils ne peuvent se rapporter qu'à l'option d'une action en justice. L'article 52 et l'article 38 ne sont nullement inconciliables. Certes, l'article 38 s'écarte de l'ancienne règle de droit en ce sens que la prescrip tion qui y est prévue s'applique en principe à la Couronne, celle-ci jouissant d'une immunité seulement lorsque cela lui est expressément accordé. Néanmoins, malgré la tendance vers la suppression de l'immunité de la Couronne en matière de pres cription, l'exception que crée l'article 38 implique le maintien de cette immunité dans les cas le Parlement le prévoit, ce qu'il a fait dans plusieurs lois par l'emploi de l'expression «à toute époque» ou son équivalent. De plus, le point de vue énoncé ci-dessus est appuyé par des modifications apportées récem- ment au paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise.
AVOCATS:
J. Barry Hughes, c.r. et P. N. Thorsteinsson pour la demanderesse (intimée).
H. Glinter pour la défenderesse (requérante).
PROCUREURS:
Inkster, Walker, Westbury, Irish, Rusen & Hughes, Winnipeg, pour la demanderesse (intimée).
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse (requérante).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La défenderesse demande à la Cour en vertu de la Règle 474(1)a) de statuer sur trois questions de droit qui sont ainsi formulées dans l'avis de requête:
[TRADUCTION] (1) Une action en perception de taxes et d'amendes imposées par la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, est-elle prescriptible;
(2) Dans l'affirmative, quel est ce délai de prescription; et
(3) Si la réponse à la question (1) est affirmative, à partir de quelle date le délai de prescription applicable aux taxes et aux amendes réclamées commence-t-il à courir?
Un exposé conjoint des faits revêtu des signatu res des avocats des parties a été déposé à la Cour. Hormis son paragraphe 9, qui ne fait qu'énoncer les questions, reproduites ci-dessus, à trancher en l'espèce, l'exposé porte:
[TRADUCTION] 1. Par suite d'une vérification des opérations commerciales de la demanderesse, un employé du ministère du Revenu national (Douanes et Accise), représentant Sa Majesté la Reine, prétend que la demanderesse doit à celle-ci un montant de 63 127,61 $ qui s'est accumulé depuis le 1" février 1972.
2. Au cours des dernières années, la demanderesse et la défen- deresse ont eu de nombreux entretiens sur les taxes accumulées et exigibles réclamées et la défenderesse a, en outre, fait parvenir à la demanderesse, sous pli recommandé, plusieurs avis de paiement dont le dernier a été envoyé le 10 septembre 1979. La défenderesse a continué à lui envoyer de temps à autre, par la poste ordinaire, des avis de paiement.
3. La demanderesse n'a pas reconnu son obligation de payer les taxes et les amendes en question.
4. Le montant total réclamé par la défenderesse, et exigible au 31 janvier 1980, est de 95 116,06 $ en taxes de vente et en amendes, auquel s'ajoute une amende supplémentaire calculée à partir de février 1980 au taux de deux tiers d'un pour cent par mois sur le montant de 63 127,61 $.
5. Le 7 février 1980 a été déposé à cette Cour, conformément au paragraphe 52(4) de la Loi sur la taxe d'accise, un certificat en date du 31 janvier 1980 portant que les montants suivants étaient dus, exigibles et impayés:
Taxes de vente dues et accumulées pour la période du 1" février 1972 au 30 novembre
1974 63 127,61 $
Amendes accumulées au 31 janvier 1980 31 988,45 $
95 116,06 $
ainsi qu'une amende supplémentaire, calculée à partir du P' février 1980 jusqu'à la date de paiement, au taux de deux tiers d'un pour cent par mois sur ledit montant de 63 127,61 $.
6. Les fonctionnaires du ministère du Revenu national (Doua- nes et Accise) ont entrepris la détermination des taxes dues par la demanderesse au moyen de la cotisation datée du 25 juillet 1975.
7. Les montants accumulés des taxes et des amendes qui ont été exigées dans les six ans qui ont précédé la date du dépôt dudit certificat à cette Cour et qui figurent dans ce certificat sont de 17 343,16 $ et de 7 689,22 $ respectivement pour un total de' 25 032,38 $.
8. La demanderesse soulève en l'espèce la question de la prescription en ce qui concerne la perception de ces taxes et de ces amendes compte tenu de la Loi sur la taxe d'accise et de la Loi sur la Cour fédérale du Canada et de The Limitation of Actions Act du Manitoba.
Il ne fait pas de doute que la constitution auto- rise le Parlement du Canada à édicter que les procédures en vue de la perception de taxes impo sées par la Loi sur la taxe d'accise [S.R.C. 1970, chap. E-13] ou par toute autre loi fiscale fédérale doivent être engagées dans un délai qu'il aura établi.
Dans l'exercice de ce pouvoir dont la Constitu tion canadienne l'investit, le Parlement a adopté la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, dont l'article 38 dispose:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relative- ment à une cause d'action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d'action a pris naissance.
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions désignées au para- graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou contre la Couronne.
En l'espèce, la cause d'action a pris naissance au Manitoba. Par conséquent, conformément à l'arti- cle 38 de la Loi sur la Cour fédérale, sauf disposi tion contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur au Manitoba entre sujets s'appliquent aux procédures devant cette Cour. De plus, sous réserve de cette même exception, les règles de droit manitobaines relatives à la prescription s'appliquent aux procé- dures devant cette Cour engagées par ou contre la
Couronne. Il en résulte que dans le cas des lois en matière de prescription, les dispositions expresses de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale privent la Couronne de son immunité générale contre l'application de tout texte de loi.
Les règles de droit manitobaines qui nous inté- ressent en l'espèce se trouvent à l'alinéa 3(1)g) de The Limitation of Actions Act, R.S.M. 1954, chap. 145 [abrogé et remplacé par] S.M. 1966-67, chap. 32, art. 2 [qui est l'al. 3(1)g), R.S.M. 1970, chap. L150] dont voici le texte:
[TRADUCTION] 3. (1) Les actions suivantes doivent être inten- tées dans les délais indiqués:
g) Les actions en recouvrement d'argent (sauf dans le cas d'une dette grevant un bien-fonds), que cet argent soit recouvrable à titre de dette ou de dommages-inté- rêts ou autrement, et que l'action soit fondée sur un engagement, un cautionnement, une convention ou un autre contrat formel, ou sur un contrat ordinaire, exprès ou implicite, ainsi que les actions en reddition de compte ou pour non-reddition de compte, dans les six ans qui suivent la naissance de la cause d'action.
Il se dégage nettement de cette disposition qu'une action en recouvrement d'argent (en l'oc- currence des taxes) recouvrable à titre de dette doit être intentée dans les six ans qui suivent la naissance de la cause d'action.
Il est à noter également que, suivant l'alinéa 2a) de la même Loi [R.S.M. 1970, chap. L150; qui est l'alinéa 2a), R.S.M. 1954, chap. 145 (tel que modifié par S.M. 1966-67, chap. 32, al. l a))], le mot «action» désigne toute procédure civile et qu'aux termes de l'alinéa 2h) [R.S.M. 1970, chap. L150; autrefois l'al. 2g), R.S.M. 1954, chap. 145]:
[TRADUCTION] 2 ...
h) «procédures» comprend une action, un envoi en possession, une prise de possession et des procédures de saisie et de vente en application d'une ordonnance d'un tribunal ou en vertu d'un pouvoir de vendre contenu dans une hypothèque ou accordé par la loi;
L'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise con- tient d'autres règles législatives que nous devons examiner. Le paragraphe 52(1) est ainsi conçu:
52. (1) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la présente loi sont recouvrables à toute époque, passé l'échéance de leur reddition de compte et de leur acquittement, et toutes ces taxes et sommes sont recouvrables, et tous les droits de Sa Majesté s'exercent en vertu des présentes, avec obtention de tous les frais judiciaires, tout comme une dette envers Sa Majesté ou un droit susceptible d'être exercé par Sa Majesté, devant la Cour de l'Échiquier du Canada ou devant tout autre tribunal compétent.
Le paragraphe 52(4) dispose:
52....
(4) Tout montant payable à l'égard des taxes, impôts, inté- rêts et amendes prévus à la Partie II ou aux Parties III à VI, restés impayés en totalité ou en partie quinze jours après la date de la mise à la poste, par courrier recommandé, d'un avis d'arriérés adressé au transporteur aérien titulaire d'un permis ou au contribuable, selon le cas, peut être certifié par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise et, sur production à la Cour de l'Échiquier du Canada ou à un de ses juges ou au fonctionnaire que la Cour ou le juge de cette Cour peut désigner, le certificat est enregistré dans ladite Cour et possède, à compter de la date de cet enregistrement, la même vigueur et le même effet, et toutes procédures peuvent être intentées sur la foi de ce certificat, comme s'il était un juge- ment obtenu dans ladite Cour pour le recouvrement d'une dette au montant spécifié dans le certificat, y compris les amendes jusqu'à la date du paiement prévu à la Partie II ou aux Parties III à VI, et inscrites à la date de cet enregistrement, et tous les frais et dépenses raisonnables afférents à l'enregistrement de ce certificat sont recouvrables de la même manière que s'ils fai- saient partie de ce jugement.
Il y a donc deux procédures pour le recouvre- ment de taxes ou de sommes exigibles en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Les «sommes exigibles» comprennent les intérêts et les amendes. Le para- graphe 52(1) prévoit le recouvrement par action devant la Cour de l'Échiquier du Canada ou devant tout autre tribunal compétent. Le paragra- phe 52(4) envisage une procédure qui ne nécessite pas de recours devant les tribunaux. Ce paragra- phe dispose que tout montant resté impayé quinze jours après l'envoi, sous pli recommandé, d'un avis d'arriérés adressé au contribuable, peut être certi- fié par le sous-ministre du Revenu national (Doua- nes et Accise) et que, sur production à la Cour de l'Échiquier du Canada, à un de ses juges ou à un officier de la Cour dûment désigné, le certificat doit être enregistré dans ladite Cour et possède, à compter de la date de l'enregistrement, la même vigueur et le même effet qu'un jugement obtenu dans ladite Cour pour le recouvrement d'une dette au montant indiqué dans le certificat, y compris les amendes et tous les frais et dépenses raisonnables afférents à l'enregistrement. Toutes procédures peuvent être fondées sur le certificat, comme s'il était un jugement de la Cour.
Les dispositions du paragraphe (4) ne veulent pas dire que le certificat devient un jugement. Il garde son caractère de certificat du sous-ministre, mais a le même effet et la même force qu'un jugement et peut fonder des procédures comme s'il en était un.
Lorsque l'article 52 et d'autres articles de la Loi sur la taxe d'accise parlent de la Cour de l'Échi- quier du Canada, il faut maintenant comprendre la Cour fédérale du Canada qui, depuis sa constitu tion, assume, entre autres, les fonctions et les devoirs de la Cour de l'Échiquier du Canada.
La défenderesse (requérante) prétend que le délai de six ans que prescrivent les paragraphes 38(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale ainsi que l'alinéa 3(1)g) de The Limitation of Actions Act du Manitoba ne s'appliquent pas à la Cou- ronne. Cet argument est fondé sur les mots «Sauf disposition contraire de toute autre loi» qui figu- rent au début du paragraphe 38(2) et sur les mots «recouvrables à toute époque» qui se trouvent à la troisième ligne du paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise. L'avocat de la requérante [défen- deresse] (Sa Majesté la Reine) soutient que les mots «recouvrables à toute époque», appliqués à des taxes ou à des sommes exigibles en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, signifient qu'il n'y a pas de délai pour engager des procédures en recouvre- ment de taxes, et que leur sens s'accorde avec celui des mots «Sauf disposition contraire de toute autre loi».
Voici le texte intégral de l'expression concernant le recouvrement de taxes qui figure au paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise: «[Les] taxes ou sommes exigibles sous le régime de la présente loi sont recouvrables à toute époque, passé l'échéance de leur reddition de compte et de leur acquittement.» Si on ne la lit qu'avec les mots «Sauf disposition contraire de toute autre loi», l'expression «recouvrables à toute époque» admet asssurément l'interprétation que lui donne le subs- titut du procureur général.
L'avocat de l'intimée [demanderesse] soutient qu'il s'agit d'une interprétation erronée. Il fait valoir en premier lieu que les mots «à toute époque» ne constituent pas une disposition con- traire au sens de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale. Selon l'avocat, une telle disposition serait formulée à peu près comme suit: [TRADUCTION] «Nonobstant toute disposition relative à la pres cription des actions qui, sans cela, s'appliquerait.» Je ne suis pas d'accord qu'une formulation particu- lière soit nécessaire. Tout langage qui indique clairement l'inapplicabilité du délai de prescription suffit pour satisfaire à l'exception. Il n'est pas
nécessaire non plus qu'un délai de prescription différent soit substitué au délai général. L'inten- tion du Parlement a pu être de ne pas fixer de délai de prescription à l'égard de la Couronne. Mais l'avocat fait valoir que les mots «à toute époque» ne signifient pas une période illimitée après le moment on aurait présenter un relevé de compte concernant les taxes ou les sommes en cause et on aurait les acquitter. Selon lui, la disposition tire son origine de l'article 20 de la Loi spéciale des Revenus de guerre, 1915 [S.C. 1915, chap. 8], qui est ainsi rédigé: «Toutes taxes ou sommes payables sous le régime de la présente loi seront recouvrables à toute époque, après qu'il aura en être rendu compte et qu'elles auront être payées ...» À cette époque-là, les lois en matière de prescription ne s'appliquaient pas à la Couronne et aucune loi n'était encore venue appor- ter de restrictions à sa situation privilégiée. Il aurait donc été inutile de dire que les taxes ou les sommes étaient recouvrables à toute époque future. L'avocat en conclut que les mots «à toute époque» signifiaient en 1915, et signifient encore, immédiatement après qu'on aurait présenter un relevé de compte concernant les taxes ou les sommes exigibles et qu'on aurait les acquitter, sans attendre l'écoulement d'un délai quelconque et avant qu'un jugement ne soit rendu dans le cours ordinaire des choses. Suivant ce raisonne- ment, les mots «à toute époque» qui figurent au paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise ne constitueraient pas une «disposition contraire de toute autre loi» au sens du paragraphe 38(2) de la Loi sur la Cour fédérale et n'auraient aucune incidence sur le délai de prescription de six ans prévu par l'article 38 de la Loi sur la Cour fédé- rale et par l'alinéa 3(1)g) de The Limitation of Actions Act du Manitoba, lus ensemble, pour les actions en recouvrement de taxes intentées par Sa Majesté du chef du Canada.
Cet argument est considérablement affaibli par le fait que les mots «à toute époque» se trouvent au paragraphe 52(1) de la Loi sur la taxe d'accise, paragraphe qui porte uniquement sur le recouvre- ment de taxes avec obtention de tous les frais judiciaires, tout comme une dette envers Sa Majesté, devant la Cour fédérale du Canada ou devant un autre tribunal compétent. Le paragra- phe 52(1) est muet quant à la possibilité d'obtenir une garantie ou d'exiger le paiement avant le
jugement; il ne parle pas non plus d'un expédient quelconque pour obtenir le paiement avant le juge- ment. Les mots «à toute époque» ne figurent pas au paragraphe 52(4) qui prévoit une procédure expé- ditive qui consiste à produire un certificat ayant la même force et le même effet qu'un jugement. Il s'agit de deux procédures bien distinctes, les mots «à toute époque» ne s'appliquant qu'à une procé- dure devant les tribunaux.
Le grand changement qui est survenu dans la situation de la Couronne relativement aux lois en matière de prescription peut être exposé succincte- ment. Autrefois, comme il se dégage des lois cana- dienne et manitobaine relatives à l'interprétation, une loi ne s'appliquait pas à la Couronne, à moins que cette loi ne le dît expressément, règle à laquelle les lois en matière de prescription étaient également soumises. A l'heure actuelle, suivant l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, c'est l'inverse: les lois en matière de prescription s'appli- quent à la Couronne, sauf disposition expresse en sens contraire.
Il peut être utile d'énoncer une évidence qui traduit une situation qui existe depuis longtemps. A l'époque moderne, quand on dit qu'une loi est applicable ou inapplicable à la Couronne, on ne parle pas de la Reine en personne mais du gouver- nement (soit le gouvernement au complet, soit le ministre approprié) ou d'un fonctionnaire ou d'un employé du gouvernement. La Reine n'agit que par l'intermédiaire de ses ministres. Au Canada, cela veut dire les ministres fédéraux ou provin- ciaux dont les fonctions sont en grande partie déléguées au sous-ministre intéressé ou à un autre fonctionnaire ou employé.
L'avocat de l'intimée [demanderesse] allègue en outre que l'article 38 de la Loi sur la Cour fédé- rale a été adopté en 1970, alors que la disposition initiale contenant les mots «à toute époque» date de 1915; il prétend donc qu'en cas d'incompatibilité, c'est le texte postérieur qui doit primer. Malheu- reusement pour cet argument, il n'y a aucun con- flit entre les deux dispositions. L'article 38 crée une exception et, si les mots «à toute époque» satisfont à cette exception, ils ont leur plein effet. Il ne reste donc qu'à déterminer s'ils y satisfont.
Selon le dernier argument avancé par l'avocat sur ce point [TRADUCTION] «L'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale traduit une intention mani- feste d'assujettir la Couronne fédérale aux délais de prescription qui s'appliquent aux autres, ce qui est compatible avec l'érosion des anciennes préro- gatives de la Couronne ... Cette intention mani- feste ne peut être contrecarrée par une disposition législative qui survit sans modification depuis 1915, depuis une époque les prérogatives de la Couronne étaient incontestées, depuis une époque personne n'envisageait l'application des délais de prescription à la Couronne.» Il ajoute que [TRA- DUCTION] «si l'on interprète les mots toute époque' littéralement et hors contexte, la Cou- ronne pourrait entamer aujourd'hui des procédures en recouvrement de taxes dues sur une opération qui a eu lieu en 1915—résultat manifestement absurde». Selon lui, s'il est possible de donner aux mots «à toute époque» une interprétation plus rai- sonnable et que cela permette d'éviter une telle absurdité, c'est cette interprétation qu'il faut adopter.
La première partie de cet argument est erronée, en ce sens qu'elle ne tient pas compte de l'excep- tion contenue dans l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale. Cette exception a clairement pour effet de maintenir, dans les cas le Parlement le prévoit, le privilège dont jouit la Couronne de ne pas être soumise aux règles en matière de prescrip tion. Dans ces cas, les délais de prescription qui s'appliquent aux autres ne s'appliquent pas à la Couronne. encore, la seule question à trancher est de savoir si les mots «à toute époque» satisfont à l'exception.
Bon nombre de lois prévoient que, dans les circonstances qu'elles visent, des sommes peuvent être recouvrées à toute époque comme une dette envers Sa Majesté. Ces circonstances semblent relever d'une manière générale de deux catégories. Dans la première se trouvent les cas le gouver- nement a fait un paiement à une personne confor- mément à une loi et il devient évident par la suite que cette personne n'avait pas droit au paie- ment. La seconde catégorie comprend les cas une personne ou une société doit, en application d'une loi, effectuer un paiement à la Couronne, mais ne le fait pas.
L'avocat de la défenderesse a produit des extraits tirés de plusieurs lois fédérales contenant des dispositions de ce genre. Il s'agit des lois suivantes:
1. Loi sur la formation professionnelle des adultes, S.R.C. 1970, chap. A-2, art. 14.
2. Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-5, par. 65(2).
3. Loi antidumping, S.R.C. 1970, chap. A-15, par. 33(1),(2).
4. Loi stimulant la recherche et le développe- ment scientifiques, S.R.C. 1970, chap. I-10, par. 10(3).
5. Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970, chap. 0-6, par. 22(2).
6. Loi sur l'administration du pétrole, S.C. 1974-75-76, chap. 47, art. 76, 86.
7. Loi sur les allocations aux anciens combat- tants, S.R.C. 1970, chap. W-5, art. 19.
8. Loi sur le double prix du blé, S.C. 1974- 75-76, chap. 54, art. 9.
Rien dans ces Lois n'indique que le droit de recouvrement de la Couronne soit prescriptible. Les dispositions autorisant le recouvrement d'ar- gent à toute époque sont à ce point communes que je suis porté à croire que le législateur a adopté comme politique, chaque fois que des circonstances de ce type se présentent, de maintenir l'ancienne prérogative, dont jouit la Couronne, de ne pas être soumise aux règles en matière de prescription. A mon avis, l'assujettissement des fabricants et d'au- tres personnes aux taxes d'accise prévues par la Loi sur la taxe d'accise prend naissance dans des circonstances assimilables à celles envisagées par plusieurs des Lois précitées. Je n'ai rien pu trouver qui me permette de conclure que les mots «à toute époque», ou les mots semblables, employés dans toutes ces lois ne doivent pas avoir leur sens ordinaire.
Jusqu'à maintenant je me suis référé à l'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise tel qu'il existait pendant toute la période qui nous intéresse en l'espèce. Le Parlement a toutefois modifié cet article au cours de la session de 1980-81 [S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 21] et, selon moi, les modifications se rapportent dans une certaine mesure au point que nous venons d'examiner; c'est particulièrement le cas des modifications apportées au paragraphe (1) qui est ainsi rédigé:
52. (1) Sous réserve des paragraphes (1.2) et (1.3), les actions en recouvrement des taxes ou des montants payables en vertu de la présente loi se prescrivent par quatre ans à partir de la date les taxes ou les montants sont devenus exigibles.
(1.1) Pour l'application du paragraphe (1), une action en recouvrement est présumée être intentée dans le délai de quatre ans si, au plus tard à l'expiration de ce délai, on commence l'examen ou la vérification visés à l'article 57 et portant sur les registres ou livres de comptes de la personne tenue d'acquitter ou de percevoir les taxes ou autres sommes en cause, ou s'il est différé à cette mesure à la demande de cette personne.
(1.2) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la Partie I sont recouvrables à toute époque.
(1.3) Toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la présente loi sont recouvrables à toute époque, s'il n'a pas été procédé à leur paiement par suite d'une négligence, d'un retard délibéré ou d'une fraude.
Il est à noter d'abord que le nouveau paragraphe 52(1) prévoit, pour les actions en recouvrement des taxes ou des montants payables en vertu de la Loi, un délai de prescription général de quatre ans à partir de la date les taxes ou les montants sont devenus exigibles. Avant cette modification, la Loi ne contenait pas de disposition analogue. La modi fication ne permet de tirer aucune conclusion quant à l'état antérieur du droit. De toute façon, sa formulation est tout aussi compatible avec une intention de créer un délai de prescription il n'y en avait pas auparavant qu'avec une intention de réduire à quatre ans le délai de prescription général de six ans déjà prévu à l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les paragraphes (1.2) et (1.3), par contre, sont importants. Lu dans le contexte du délai de pres cription général de quatre ans prévu au paragra- phe 52(1), le paragraphe (1.2), aux termes duquel toutes taxes ou sommes exigibles sous le régime de la Partie I sont recouvrables à toute époque, peut seulement signifier que les actions en recouvre- ment de ces taxes ou de ces sommes sont impres- criptibles. La Partie I établit une taxe sur certaines primes d'assurance. De même, l'unique sens qui peut être attribué au paragraphe (1.3), qui dispose que toutes taxes ou sommes (ce qui paraît englober toutes les taxes et les sommes non visées au para- graphe (1.2)) exigibles sous le régime la Loi sont recouvrables à toute époque, s'il n'a pas été procédé à leur paiement par suite d'une négli- gence, d'un retard délibéré ou d'une fraude, est que, lorsque les conditions prescrites existent, les actions en recouvrement de taxes ou d'autres sommes sont imprescriptibles. Antérieurement à
cette modification, la Loi sur la taxe d'accise ne contenait pas de disposition de ce genre et la Loi sur la Cour fédérale n'en contient pas non plus. Dans The Limitation of Actions Act du Manitoba [R.S.M. 1970, chap. L150], il y a une disposition de portée plus restreinte, savoir l'alinéa 3(1)h) [autrefois al. 3(1)g), R.S.M. 1954, chap. 145] qui dit que [TRADUCTION] «Les actions fondées sur une déclaration volontairement fausse» se prescri- vent «par six ans à compter de la découverte de la fraude». On n'allègue pas en l'espèce qu'il y a eu une déclaration volontairement fausse.
Dans la présente affaire, toute l'importance des paragraphes (1.2) et (1.3) tient à ce qu'ils mon- trent très clairement que les mots «à toute époque» sont parfois employés pour indiquer l'imprescripti- bilité de certaines procédures. Ces paragraphes montrent en outre que la tendance vers l'assimila- tion de la situation de la Couronne en ce qui a trait à la prescription à celle de toute autre personne n'a pas encore eu pour effet d'enlever à la Couronne toutes ses prérogatives dans ce domaine; en fait, celles-ci ont été expressément maintenues ou peut- être rétablies dans une certaine mesure par des dispositions législatives récentes telles que les para- graphes 52(1.2) et (1.3) de la Loi sur la taxe d'accise.
Je conclus en dernier lieu que la réponse à la première question posée en l'espèce est la suivante: que pendant toute la période qui nous intéresse, il n'y avait aucun délai de prescription applicable à une action en recouvrement de taxes et d'amendes en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13. C'est avec réticence que je tire cette conclusion, mais, selon moi, le droit est clair et n'admet pas de décision contraire.
Vu ma réponse à cette question, les questions (2) et (3) ne se posent pas. Je me contente de dire que, si j'avais répondu à la première question par l'affirmative, la réponse à la deuxième aurait été six ans (quatre ans pour les causes qui prennent naissance après les modifications de 1980-81) et la réponse à la troisième aurait été la date les taxes en question auraient être acquittées.
La requérante [défenderesse] a droit aux dépens afférents à la requête.
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