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T-1699-83
Kruger Inc., Gene H. Kruger et Joseph Kruger II (requérants)
c.
Ministre du Revenu national du Canada, Gérard LeBlond, Directeur, Division des enquêtes spécia- les du ministère du Revenu national, Impôt, Ray- mond Galimi, enquêteur spécial nommé en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (intimés)
et
Procureur général du Canada, Kol Inc., Ledair Inc., Coopers & Lybrand, comptables agréés, Villor Consultants Inc., Victor Gold and Co., Clarkson, Tetrault, avocats, et Lavery, O'Brien, avocats, Phillips, Vineberg, avocats (mis-en- cause)
Division de première instance, juge Dubé— Ottawa, 28 et 29 juillet 1983.
Droit constitutionnel Charte des droits Garanties juridiques Requête en annulation de l'autorisation délivrée par le Ministre en vertu de l'art. 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu et permettant des recherches et une saisie Le Ministre avait des motifs raisonnables pour croire que la Loi avait été violée relativement à la résidence des requérants, mais l'autorisation du Ministre et l'agrément du juge visaient «toute infraction» à la Loi et au Règlement L'autorisation est une décision administrative qui n'est pas soumise à un processus judiciaire, mais le Ministre a l'obligation d'agir équitablement La plupart des décisions importantes sur les fouilles, les perquisitions et les saisies ont été rendues avant la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982 L'autori- sation viole l'art. 8 de la Charte, qui interdit les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, parce qu'elle ne se limite pas aux infractions spécifiques qui auraient été commises Recherche à l'aveuglette inutile et repoussée L'autorisation est annulée et les documents saisis doivent être confiés à la garde de l'administration de la Cour en attendant l'appel Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(4) Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Impôt sur le revenu Pouvoirs du Ministre Charte des droits Requête en annulation de l'autorisation délivrée par le Ministre en vertu de l'art. 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu et permettant des recherches et une saisie Le Minis- tre avait des motifs raisonnables pour croire que des infrac tions à la Loi, relativement à la résidence des requérants, avaient été commises, mais l'autorisation visant «toute infrac tion» à la Loi et au Règlement viole l'art. 8 de la Charte, qui interdit les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, parce qu'elle ne se limite pas aux infractions spécifiques qui
auraient été commises Recherche à l'aveuglette inutile et repoussée L'autorisation est annulée et les documents saisis doivent être confiés à la garde de l'administration de la Cour en attendant l'appel Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 231(4) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Le ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; 92 D.L.R. (3d) 1; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; In re Collavino Brothers Construction Company Limited, [1978] 2 C.F. 642; 78 DTC 6050 (C.A.); Thomson Newspapers Ltd. et autres. c. Hunter, directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et autres (1983), 73 C.P.R. (2d) 67 (C.F. 1e inst.).
AVOCATS:
B. J. Pateras, c.r. et J. Greenstein, c.r., pour
les requérants.
W. Lefebvre, c.r. et J. Coté pour les intimés.
Personne n'a comparu pour les mis-en-cause. PROCUREURS:
Pateras & Iezzoni, Montréal, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DuBÉ: Sur requête introduite par l'avocat des requérants devant le juge présidant cette Cour et tendant à l'obtention:
(1) en vertu des Règles 320 et 321, d'une ordon- nance prescrivant la réduction du délai de dépôt de l'avis de cette requête; et
(2) en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et de l'article 24 de la Loi constitution- nelle de 1982, d'une ordonnance:
a) infirmant l'autorisation signée le 8 juillet 1983 par l'intimé Gérard LeBlond en vertu du paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (S.C. 1970-71-72, chap. 63, modifiée) et qui permet des recherches et une saisie dans les locaux y décrits;
AUX MOTIFS:
(i) Que l'article 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu va à l'encontre de l'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qu'il est donc nul et de nul effet;
(ii) que ladite autorisation est incompatible avec l'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qu'elle n'est donc pas valable;
(iii) que ladite autorisation est illégale, irrégulière, nulle et non avenue; et
(iv) que les recherches, la saisie, la prise et la possession des biens saisis qu'ont effectuées les intimés et leurs représentants sont abusives, illéga- les, irrégulières et nulles.
b) ET, PAR CONSÉQUENT, enjoignant la remise, aux requérants et à tous les mis-en- cause mentionnés dans ladite autorisation, de tous les documents saisis, ainsi que de toutes les copies et de tous les extraits de ceux-ci, pris en vertu de ladite autorisation, ainsi que le placement dans des enveloppes ou conte- nants scellés de toutes notes, de tous résumés ou de toute autre description des documents pris ou saisis par les intimés ou leurs représen- tants, sans que les intimés en conservent les copies, et prescrivant leur remise à l'Adminis- trateur de district de la Cour fédérale au Palais de Justice, 1, rue Notre-Dame, Mont- réal (Québec).
(3) de toute autre ordonnance qui semble justi- fiée dans les circonstances, notamment une ordonnance empêchant les intimés d'avoir accès aux effets saisis ou d'en faire usage en attendant un appel formé par les intimés contre une déci- sion de cette Cour accueillant la requête des requérants.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Les requérants se fondent sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] pour demander à la Cour de rendre une ordonnance qui infirmerait l'autorisation donnée en vertu du paragraphe 231(4) de la Loi de l'im- pôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63)] et permettant des recherches et la saisie des documents des requé- rants au motif que ce paragraphe et cette autorisa-
tion vont à l'encontre de l'article 8 de la [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la] Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Ces deux dispositions sont ainsi rédigées:
231... .
(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise ou sera probablement commise, il peut, avec l'agrément d'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe du pouvoir de donner sur la présentation d'une demande ex parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l'assistance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s'il le faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet de l'infraction de toute disposition de la présente loi ou d'un règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient produits devant la cour.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Il est reconnu que le Ministre avait des motifs raisonnables pour croire que des infractions à la Loi, relativement à la résidence des requérants, avaient été commises, mais la demande du Minis- tre, l'autorisation et l'agrément du juge de la Cour supérieure du Québec visaient [TRADUCTION] «toute infraction» à la Loi et au Règlement.
L'avocat des requérants a précisé au début qu'il attaquait l'autorisation (signée par Gérard LeBlond, Directeur, Division des enquêtes spécia- les) et non l'agrément du juge.
Une telle décision est une décision administra tive qui n'est pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire (Le ministre du Revenu natio nal c. Coopers and Lybrand, [[1979] 1 R.C.S. 495]; 92 D.L.R. (3d) 1). Le Ministre a toutefois l'obligation d'agir équitablement (Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602).
Les avocats des deux parties ont examiné minu- tieusement les décisions importantes sur les fouil- les, les perquisitions et les saisies, la plupart d'en- tre elles ayant été rendues avant la promulgation
de la Loi constitutionnelle de 1982. À mon avis, l'autorisation contestée viole l'article 8 de la Loi constitutionnelle, parce qu'elle constitue une fouille, une perquisition et une saisie abusives. Je la trouve abusive parce qu'elle ne se limite pas aux infractions spécifiques qui auraient été commises. Il s'agit d'un ordre d'une portée générale visant la violation de toute disposition de la Loi. À mon sens, une telle recherche à l'aveuglette n'est pas nécessaire et n'aurait pas être accordée. Elle constitue une fouille, une perquisition et une saisie abusives'. J'estime que la décision rendue récem- ment, le 6 juillet 1983, par mon collègue le juge Collier dans l'affaire Thomson Newspapers Ltd. et autres c. Hunter, directeur des enquêtes et recher- ches nommé en vertu de la Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions et autres [(1983), 73 C.P.R. (2d) 67 (C.F. i re inst.)] et portant sur une autori- sation analogue donnée en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23] vient appuyer mon point de vue.
ORDONNANCE
1. L'autorisation donnée par Gérard LeBlond le 8 juillet 1983 est annulée.
2. Les dépens de cette requête sont adjugés aux requérants.
3. En attendant tout appel formé contre cette décision, tous les documents saisis doivent être confiés à la garde de l'Administrateur de district de la Cour fédérale, au Palais de Justice de Mont- réal (Québec), à moins que les avocats des parties ne conviennent d'une disposition plus commode des documents jusqu'à ce qu'il ait définitivement été statué sur l'affaire.
' Dans In re Collavino Brothers Construction Company Limited, [[19781 2 C.F. 642]; 78 DTC 6050, la Cour d'appel fédérale a jugé que l'autorisation donnée en vertu du paragra- phe 231(4) ne pouvait permettre que la saisie de documents relatifs à l'infraction mentionnée dans l'affidavit qui avait été déposé à l'appui de la demande. (Cette décision a été cassée, pour d'autres motifs, par la Cour suprême du Canada: [Le ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495].)
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