Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-1763-83
Gulf Canada Limited (appelante) (demanderesse) c.
Le remorqueur Mary Mackin et Sea -West Hol dings Ltd. (intimés) (défendeurs)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Mar- ceau—Vancouver, 16 février; Ottawa, 7 mars 1984.
Pratique Détails Appel d'une ordonnance enjoignant à l'appelante de fournir des détails plus amples et plus précis sur des allégations de négligence Le chaland affrété par l'appelante a subi des dommages lorsqu'il s'est échoué pendant que la société intimée en avait la garde et la responsabilité L'appelante allègue la négligence et la violation du contrat Ajournement de l'interrogatoire préalable du président de la société intimée Les intimés cherchent à obtenir, en vertu des Règles 408(1) et 415, des détails plus amples pour mettre fin aux difficultés qui ont découlé, pendant l'interrogatoire préa- lable, des questions de la demanderesse relatives à l'équipage et à l'équipement du remorqueur n'ayant aucun lien connu ni allégué avec l'accident, et pour clarifier les points en litige aux fins de l'instruction et de la préparation de celle-ci Appel rejeté Selon l'arrêt Anglo-Canadian Timber Products Ltd. v. British Columbia Electric Company Limited, le but des détails est de donner des précisions sur les points soulevés dans les plaidoiries écrites de manière que la partie adverse puisse se préparer à l'instruction en procédant à un interrogatoire préalable ou d'une autre façon Le Livre blanc traitant des Règles de pratique (anglaises) de la Supreme Court énonce les fonctions des détails: (I) informer l'autre partie des arguments auxquels elle devra faire face; (2) empêcher les surprises à l'instruction; (3) permettre à l'autre partie de savoir quelle preuve doit être prévue et de se préparer à l'instruction; (4) limiter la généralité des plaidoiries; (5) déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis; et (6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les questions qui ne font pas partie des plaidoiries La portée générale de la déclara- tion permet, à l'interrogatoire préalable, de poser des questions qui n'ont aucun rapport avec les véritables points soulevés Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 408(1), 415(3).
Appel est interjeté d'une ordonnance du juge des requêtes enjoignant à l'appelante de fournir des détails plus amples et plus précis sur des allégations de négligence contenues dans la déclaration. Un chaland affrété par l'appelante s'est échoué et a été endommagé alors que la société intimée en avait la garde et la responsabilité. L'appelante allègue que l'accident est le résul- tat de la négligence de l'intimée et de la violation de son contrat. Le président de la société intimée a été produit comme témoin pour être interrogé au préalable, mais l'interrogatoire a été ajourné. Les intimés ont saisi la Cour d'une demande en vertu des Règles 408(1) et 415(3) visant une ordonnance de fournir des détails plus amples et plus précis afin de résoudre les difficultés qui ont résulté, pendant l'interrogatoire préalable, de l'insistance de la demanderesse à poser des questions «relati- [ve]s à l'équipage et à l'équipement du remorqueur n'ayant aucun lien connu ni allégué avec l'accident. et aussi, en vue de
clarifier les points en litige aux fins de l'instruction et de la préparation de celle-ci.
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Heald: Les principes applicables à une demande de ce genre ont été énoncés clairement dans l'arrêt Anglo- Cana- dian Timber Products Ltd. v. British Columbia Electric Com pany Limited (1960), 31 W.W.R. 604 (C.A.C.-B.). Le but d'un interrogatoire préalable est de prouver ou de réfuter les points en litige exposés dans les plaidoiries écrites. Le but d'une demande de détails est d'obliger une partie à donner des précisions sur les points qu'elle a essayé de soulever dans ses plaidoiries écrites de manière que la partie adverse soit en mesure de se préparer à l'instruction en procédant à un interro- gatoire préalable ou d'une autre façon. La Cour a statué dans Cansulex Limited v. Perry et al., jugement en date du 18 mars 1982, Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dossier C785837, non publié, que la distinction entre la demande de détails et l'interrogatoire préalable dépend de la question de savoir si les documents exigés déterminent les points en litige ou si la partie demande des documents relatifs à la manière dont les points en litige seront prouvés. Les fonctions des détails sont énumérées dans l'ouvrage anglais The Supreme Court Practice: (1) informer l'autre partie des arguments auxquels elle devra faire face; (2) empêcher les surprises à l'instruction; (3) per- mettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait être prévue et de se préparer pour l'instruction; (4) limiter la généralité des plaidoiries; (5) déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis; et (6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les questions qui ne font pas partie des plaidoiries. Les Règles 408(1) et 415(3) sont semblables aux articles correspondants des règles anglaises; c'est pourquoi, les fonctions énumérées plus haut s'appliquent à la demande présentée en l'espèce. Plusieurs des questions de l'interrogatoire préalable ne sont pas vraiment pertinentes pour les points en litige soulevés. Ces questions pourraient être admissibles en raison de la portée générale de la déclaration, mais elles démontrent bien la nécessité d'ordonner à la partie de fournir des détails.
Le juge Marceau (dissident): Le juge a commis une erreur en ordonnant à l'appelante de fournir des détails plus amples. Le but de l'ordonnance demandée était de restreindre la portée de l'interrogatoire. Un tel but, derrière lequel se cache le désir de gêner la preuve de l'autre partie plutôt que de faire progresser la preuve de la requérante, n'est pas valable. Les intimés n'avaient pas besoin de ces détails pour préparer leur défense et ils n'ont pas cru nécessaire de les demander avant de se présenter à l'interrogatoire. Ils ne peuvent maintenant soulever d'objection avant que l'affaire soit prête pour l'instruction et que le moment de préparer l'audition soit arrivé. La demande est prématurée. D'autres considérations militent contre l'octroi de la demande. L'accident s'est produit alors que l'intimée avait la garde et la responsabilité du chaland. L'appelante n'a donc pas eu directement connaissance des faits qui ont entraîné l'échouement de son chaland. Ordonner à l'appelante de fournir des détails signifie qu'elle devra soit renoncer à son recours fondé sur la négligence soit exposer, sous le couvert de détails, des suppositions et des conclusions possibles. Dans le premier cas, une injustice sera commise, et dans le second, les plaidoi- ries seront faussées.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anglo-Canadian Timber Products Ltd. v. British Columbia Electric Company Limited (1960), 31 W.W.R. 604 (C.A.C.-B.); Cansulex Limited v. Perry et al., juge- ment en date du 18 mars 1982, Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dossier C785837, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
International Business Machines Corporation c. Xerox of Canada Limited et autre (1977), 16 N.R. 355 (C.F. Appel); Cominco Ltd. v. Westinghouse Can. Ltd. et al. (1978), 6 B.C.L.R. 25 (C.S.); Brown v. Batco Develop ment Co. Ltd. (1946), [62] B.C.R. 371 (C.S.); Dilling- ham Corporation Ltd. v. Finning Tractor & Equipment et al., jugement en date du 14 juillet 1983, Cour suprême de la Colombie-Britannique, greffe de Vancouver C810891, encore inédit; Somers v. Kingsbury (1923), 54 O.L.R. 166 (C.A.); Dixon v. Trusts & Guarantee Co. (1914), 5 O.W.N. 645 (H.C.).
AVOCATS:
David Roberts, c.r., pour l'appelante (deman- deresse).
G. H. Cleveland pour les intimés (défen- deurs).
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour l'appe- lante (demanderesse).
Owen, Bird, Vancouver, pour les intimés (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge Mar- ceau, mais je ne peux malheureusement pas être d'accord avec la solution qu'il propose. À mon avis, l'appel de la décision du juge des requêtes devrait être rejeté. J'estime que mon collègue a fait un résumé précis des faits essentiels et je n'ai pas l'intention de les répéter, sauf lorsque ce sera nécessaire dans le contexte des présents motifs.
Le paragraphe 8 de la déclaration contient une allégation de négligence de la part de l'opérateur du remorqueur défendeur et de ses préposés. Les détails donnés au paragraphe 8 sont les suivants:
[TRADUCTION] 8. ...
a) omission d'armer, d'équiper et (ou) d'entretenir le remorqueur défendeur de la manière appropriée pour effectuer le remorquage en question;
b) omission de manoeuvrer et (ou) de diriger adéquatement le remorqueur défendeur pendant le remorquage en question.
Le juge des requêtes a ordonné à la demanderesse de fournir des détails sur lesdites allégations conte- nues au paragraphe 8, dont notamment, selon l'ordonnance:
[TRADUCTION] A. ...
1. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8a) de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) d'armer le remorqueur défendeur de la manière appropriée;
(ii) d'équiper le remorqueur défendeur de la manière appropriée;
(iii) d'entretenir le remorqueur défendeur de la manière appropriée.
2. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8b) de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) de manœuvrer adéquatement le remorqueur défendeur;
(ii) de diriger adéquatement le remorqueur défendeur.
Il ressort du dossier que la défense nie en particu- lier les allégations contenues au paragraphe 8 de la déclaration (précité). Par la suite, soit le 31 mai 1983, l'avocat de la demanderesse a commencé l'interrogatoire préalable du président de la société défenderesse. Des difficultés ont apparemment résulté, à l'interrogatoire, [TRADUCTION] « ... de l'insistance de l'avocat de la demanderesse à poser des questions et à exiger la production de docu ments relatifs à l'équipage et à l'équipement du remorqueur n'ayant aucun lien connu ni allégué avec l'accident». (Voir l'affidavit de William O. Forbes, dossier conjoint, page 15.) En raison de ces difficultés, l'interrogatoire a été ajourné et la pré- sente demande de détails supplémentaires a été présentée à la Division de première instance.
Le juge d'appel Sheppard a énoncé clairement les principes applicables à une demande de ce genre dans l'arrêt Anglo-Canadian Timber Pro ducts Ltd. v. British Columbia Electric Company Limited', il a déclaré aux pages 605 et 606:
[TRADUCTION] En conséquence, il semble qu'il y a ensuite un interrogatoire préalable sur les points en litige exposés dans les plaidoiries écrites et que le but d'un tel interrogatoire est de prouver ou de réfuter les points exposés par un contre-interro- gatoire sur les faits pertinents.
1 (1960), 31 W.W.R. 604 (C.A.C.-B.).
En revanche, le but d'une demande de détails est d'obliger une partie à donner des précisions sur les points qu'elle a essayé de soulever dans ses plaidoiries écrites de manière à ce que la partie adverse soit en mesure de se préparer à l'instruction en procédant à un interrogatoire préalable ou d'une autre façon. Le maître des rôles Jessel a énoncé le but des détails dans Thorp v. Holdsworth (1876) 3 Ch D 637, 45 LJ Ch 406, à la page 639:
«L'objectif des plaidoiries écrites est d'amener les parties au point en litige, et le but des règles de l'Ordonnance XIX était d'éviter d'élargir la portée du litige et éviter ainsi que les parties ne sachent plus, lorsque la cause serait instruite, quels sont les points véritables à débattre et à trancher. En réalité, ce système est entièrement destiné à obliger les parties à se limiter à des questions déterminées et par là, à réduire les dépenses et les retards, surtout en ce qui concerne la quantité de témoignages requis par chacune des parties à l'audition.»
Le lord juge Cotton a exposé le but des détails dans Spedding v. Fitzpatrick (1888) 38 Ch D 410, 58 LJ Ch 139, à la page 413:
«Le but des détails est de permettre à la partie qui les demande de savoir à quels arguments elle aura à faire face à l'instruction, d'éviter ainsi des dépenses inutiles et d'empê- cher que les parties soient prises par surprise.»
Ainsi, les détails ont l'effet d'une plaidoirie dans la mesure «lis enlèvent toute liberté d'action à la partie qui, sans autorisa- tion, ne peut examiner les questions qui n'en font pas partie» (Annual Practice, 1960, p. 460), et ils ne peuvent être modifiés qu'avec l'autorisation du tribunal (Annual Practice, 1960, p. 461).
Lorsque les plaidoiries écrites sont rédigées de façon telle- ment vague que la partie adverse ne peut dire quels sont les faits en litige ou, selon les termes du lord juge Cotton dans Spedding v. Fitzpatrick, précité, «à quels arguments elle aura à faire face,» les détails servent à délimiter le litige de manière à ce que la partie adverse puisse savoir quels sont les faits en litige. Dans de tels cas, la partie qui exige des détails demande en réalité quels sont les points en litige que le rédacteur avait l'intention de soulever, et il est tout à fait évident qu'un interrogatoire préalable ne peut permettre d'atteindre un tel résultat puisqu'il requiert que les points en litige aient d'abord été définis de manière appropriée.
Cet arrêt a été cité et approuvé dans une décision ultérieure de la Cour d'appel de la Colombie-Bri- tannique, Cansulex Limited v. Perry et al. 2 Dans cet arrêt, le juge d'appel Lambert a mentionné la décision Anglo-Canadian Timber comme étant l'une de ces décisions qui [TRADUCTION] «... tra- cent la différence entre ce qui devrait faire l'objet d'une demande de détails et ce qui devrait plutôt faire l'objet d'une demande de communication de documents qui devraient être obtenus au cours
2 Jugement en date du 18 mars 1982, Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dossier C785837, non publié.
d'un interrogatoire préalable». (Voir page 8 des motifs du juge d'appel Lambert.) Le juge Lambert a ajouté:
[TRADUCTION] Au centre même de cette distinction réside la question de savoir si les documents exigés sont destinés à déterminer, et déterminent, les points en litige entre les parties, ou si la partie demande des documents relatifs à la manière dont les points en litige seront prouvés.
Il a ensuite énuméré et approuvé, aux pages 10 et 11 de ses motifs, les fonctions des détails telles qu'elles sont présentées dans le Livre blanc traitant des Règles de pratique anglaises. The Supreme Court Practice, 1982, vol. 1, page 318, énumère ces fonctions:
[TRADUCTION] (1) informer l'autre partie de la nature des arguments auxquels elle devra faire face, à distin- guer de la manière dont ces arguments seront prouvés
(2) empêcher que l'autre partie ne soit prise par surprise à l'instruction ...
(3) permettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait être prévue et de se préparer pour l'instruction ....
(4) limiter la généralité des plaidoiries ....
(5) déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis ....
(6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière à ce qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les ques tions qui ne font pas partie des plaidoiries ...
Étant donné que la Règle 408(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], qui exige «.. . un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide» et que la Règle 415, qui permet la présentation de demandes de détails plus amples et plus précis sur les allégations contenues dans une plaidoirie, sont pour l'essentiel sembla- bles aux articles correspondants des règles anglai- ses, j'estime que les six fonctions énumérées plus haut s'appliquent également à une demande comme celle présentée en l'espèce en vertu des Règles de la Cour.
Selon l'affidavit de Forbes (précité), l'interroga- toire préalable du président de la société défende- resse comportait, avant l'ajournement, quelque 653 questions et 81 pages. Plusieurs des questions et des documents dont on a demandé la production ne semblent pas vraiment pertinents pour les points en litige soulevés dans l'action. Ces ques tions et documents pourraient être admissibles en raison de la portée générale du paragraphe 8 de la déclaration, mais ils démontrent bien qu'il est sou-
haitable d'ordonner à une partie de fournir des détails qui permettent de définir de façon précise les points à trancher.
Compte tenu de cette situation de fait et à la lumière des critères adoptés par les tribunaux anglais et par d'autres tribunaux canadiens, je ne peux conclure que le juge des requêtes a agi en se fondant sur un principe erroné ou une mauvaise interprétation des faits, ou que l'ordonnance qu'il a rendue n'est ni juste ni raisonnable. Dans de telles circonstances, un tribunal d'appel n'interviendra pas dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance pour une question inter- locutoire de ce genre 3 .
Par ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Appel est inter- jeté d'une ordonnance du juge des requêtes enjoi- gnant à la demanderesse, appelante aux présentes, de fournir dans un délai de quinze jours des détails plus amples et plus précis sur certaines allégations contenues dans sa déclaration. Les faits sont les suivants.
L'appelante a intenté une action contre la société intimée et son remorqueur par le dépôt le 5 mai 1982 d'une déclaration dans laquelle elle allè- gue essentiellement qu'elle était l'affréteur coque nue du chaland Empire 45 lorsqu'elle a amené la société intimée, propriétaire du remorqueur défen- deur aux présentes, à accepter de transporter le chaland du port de Vancouver à celui de Victoria; que pendant que la société intimée avait la garde et la responsabilité du chaland, celui-ci s'est échoué sur la rive nord du Second Goulet dans le port de Vancouver et sa coque a été gravement endommagée; que l'accident est le résultat de la négligence de l'intimée et de la violation de son contrat. Le paragraphe 8 de la déclaration portait plus particulièrement sur la négligence. En voici le texte:
Comparer avec International Business Machines Corpora tion c. Xerox of Canada Limited et autre (1977), 16 N.R. 355 (C.F. Appel).
[TRADUCTION] 8. De plus, l'exploitant et ses préposés ont été négligents et ont violé leur obligation envers Gulf. Gulf peut donner, avant l'interrogatoire préalable, les détails suivants quant à leur négligence:
a) omission d'armer, d'équiper et (ou) d'entretenir le remorqueur défendeur de la manière appropriée pour effectuer le remorquage en question;
b) omission de manoeuvrer et (ou) de diriger adéquatement le remorqueur défendeur pendant le remorquage en question.
La société intimée a contesté l'action et a déposé, le 28 juin 1982, une déclaration dans laquelle elle nie la négligence alléguée et fait valoir que le chaland s'est échoué sans qu'aucun des membres de l'équipage à bord du remorqueur n'ait commis de faute.
Le 31 mai 1983, le président de la société inti- mée a été produit comme témoin pour être inter- rogé au préalable. L'interrogatoire n'a pu se termi- ner dans le temps indiqué; il a donc été ajourné pour permettre au président de l'intimée de se procurer des renseignements sur les questions aux- quelles il avait été incapable de répondre. Quel- ques jours plus tard, l'avocat des intimés à écrit à l'appelante pour lui demander de fournir, avant la reprise de l'interrogatoire, des détails plus amples sur les allégations de négligence contenues dans la déclaration. L'appelante lui a répondu qu'il lui était actuellement impossible de satisfaire à sa demande et qu'elle ne pourrait le faire qu'après la fin de l'interrogatoire. Le 22 novembre 1983, les intimés ont saisi la Cour d'une demande en bonne et due forme fondée sur les Règles 408(1) et 415(3) et exigeant que l'appelante dépose et signi- fie des détails plus amples sur la question de la négligence. Dans l'affidavit déposé avec la requête, un des procureurs des intimés a expliqué que la demande était faite pour mettre fin aux [TRADUC- TION] «... difficultés qui ont; résulté',(pendant' i la première partie de l'interrogatoire) de l'insistance de l'avocat de la demanderesse à poser des ques tions et à exiger la production de documents rela- tifs à l'équipage et à l'équipement du remorqueur n'ayant aucun lien connu ni allégué avec l'acci- dent»; il a ajouté à la fin de sa déclaration que la demande était faite également [TRADUCTION] «. . . en vue de clarifier les points en litige aux fins de l'instruction et de la préparation de celle-ci».
Le juge des requêtes a accueilli la demande sans donner de motifs. Il a rendu l'ordonnance suivante:
[TRADUCTION] A. La demanderesse doit, dans les quinze jours de la date de la présente ordonnance, déposer et signifier:
1. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8a) de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) d'armer le remorqueur défendeur de la manière appropriée;
(ii) d'équiper le remorqueur défendeur de la manière appropriée;
(iii) d'entretenir le remorqueur défendeur de la manière appropriée.
2. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8b) de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) de manoeuvrer adéquatement le remorqueur défendeur;
(ii) de diriger adéquatement le remorqueur défendeur.
B. La demanderesse est tenue de payer aux défendeurs les dépens taxés de la présente requête, quelle que soit l'issue de la cause.
L'appelante a immédiatement interjeté appel.
À mon avis, l'ordonnance du juge de première instance ne devrait pas être confirmée. Il est bien entendu, comme l'avocat de l'intimée l'a immédia- tement rappelé, qu'une décision de ce genre com- porte un large élément de discrétion, et il va sans dire qu'un tribunal d'appel ne doit pas intervenir pour simplement substituer sa propre décision à celle d'un juge de première instance. J'estime tou- tefois qu'en l'espèce, il y a plus qu'une simple question de discrétion. En obligeant l'appelante à donner, à ce stade des procédures et avant la fin de l'interrogatoire, des précisions sur les allégations de négligence contenues dans la déclaration, le juge des requêtes, à mon avis, a agi en se fondant sur un principe erroné ou du moins, n'a pas accordé l'importance voulue à toutes les considéra- tions pertinentes découlant des circonstances parti- culières de l'espèce.
On sait qu'une demande de détails peut avoir un des deux buts suivants: le premier est de rendre une plaidoirie assez claire pour permettre la prépa- ration d'une réponse adéquate; le second est de mieux expliquer les faits invoqués par une partie afin d'assurer plus de clarté, d'éviter des surprises à l'instruction et de faciliter le déroulement de l'audition. Comme l'explique l'affidavit déposé
avec la demande, l'unique but de la présentation en l'espèce d'une demande d'ordonnance exécu- toire immédiatement, était de restreindre la portée de l'interrogatoire en cours. Selon moi, un tel but—derrière lequel se cache sans aucun doute le désir de gêner la preuve de l'autre partie plutôt que de faire progresser la preuve de la requérante— n'est pas valable. Les intimés n'avaient pas besoin de ces détails pour préparer leur défense et ils n'ont pas cru nécessaire de les demander avant de se présenter à l'interrogatoire. Je ne crois pas qu'ils puissent maintenant soulever d'objection, avant que l'affaire soit prête pour l'instruction et que le moment de préparer l'audition soit arrivé. Si l'ap- pelante ne donne pas de précisions sur ses alléga- tions de négligence soit en produisant d'autres conclusions, soit en y apportant des modifications, et s'il est jugé qu'elle n'a pas droit d'invoquer la doctrine res ipsa loquitur sans présenter d'alléga- tions précises de faute, alors, la présentation d'une nouvelle demande empêchera, en toute vraisem- blance, que l'action fondée sur la négligence soit présentée à l'instruction dans sa forme actuelle. Cependant, il est prématuré à ce stade des procé- dures de présenter une demande visant un tel résultat. (Voir Williston and Rolls, The Law of Civil Procedure, vol. 2 (1970) pages 735 et s. et pages 744 et s.; voir la liste des arrêts cités dans The Canadian Abridgment (2° éd.) PRACTICE, à la page 213, 1273.)
Même si on laisse de côté la question de la validité du but allégué de la demande de détails à ce stade, certaines considérations découlant des circonstances de l'espèce militaient manifestement, à mon avis, contre l'octroi de la demande. Il ressort des plaidoiries déjà versées au dossier et des faits qui y sont exposés que le chaland de l'appe- lante a été endommagé alors que les intimés en avaient la garde et la responsabilité. La déclara- tion contient des affirmations claires à cet effet et la défense ne contient pas d'affirmations contrai- res. Il est vrai que les défendeurs ont formulé dans leur défense une dénégation générale des alléga- tions de fait contenues dans la déclaration (para- graphe 3), mais cette dénégation y est faite avec une importante réserve, introduite par l'expression [TRADUCTION] «sauf ce qui est admis expressé- ment aux présentes», et leur version de l'accident exposée dans les paragraphes qui suivent confirme simplement qu'ils avaient la garde et la responsabi-
lité du chaland (voir en particulier le paragraphe 5). L'appelante n'a pu avoir directement connais- sance des faits qui ont entraîné l'échouement de son chaland étant donné qu'aucune des personnes dont elle a le contrôle n'était présente sur les lieux de l'accident lorsqu'il s'est produit; la seule con- naissance qu'elle pourrait en avoir serait indirecte et partiale, résultat de quelques recherches person- nelles, et, évidemment, plus ou moins fiable. Cela ressort clairement du dossier: il n'est pas néces- saire de soumettre des preuves ou des documents particuliers à cette fin. Dans de telles circons- tances, l'ordonnance de fournir des détails laisse- rait à l'appelante un choix entre deux solutions: renoncer à son recours fondé sur la négligence, ou tenter d'exposer, sous le couvert de détails, un flot de suppositions et de conclusions possibles. Dans le premier cas, une injustice serait commise, et dans le second, les plaidoiries seraient faussées et détournées de leur fonction. Il est évident que le juge des requêtes n'était pas suffisamment au cou- rant de la situation et qu'il ne s'est pas réellement rendu compte des conséquences pratiques de son ordonnance. (Comparer avec Cominco Ltd. v. Westinghouse Can. Ltd. et al. (1978), 6 B.C.L.R. 25 (C.S.); Brown v. Batco Development Co. Ltd. (1946), [62] B.C.R. 371 (C.S.); Dillingham Cor poration Ltd. v. Finning Tractor & Equipment et al. (jugement en date du 14 juillet 1983, Cour suprême de la Colombie-Britannique, juge Toy, greffe de Vancouver C810891, encore inédit); Somers v. Kingsbury (1923), 54 O.L.R. 166 (C.A.), à la p. 169; Dixon v. Trusts & Guarantee Co. (1914), 5 O.W.N. 645 (H.C.).)
J'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance du juge des requêtes et je rejetterais la demande de détails des intimés, sans préjudice toutefois de la possibilité pour ceux-ci de renouveler cette demande après la clôture des plaidoiries. L'appe- lante a droit aux dépens en l'espèce et en Division de première instance.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.