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A-204-82
Marlex Petroleum, Inc. (appelante) c.
Le navire Har Rai et The Shipping Corporation of India Ltd. (intimés)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Le Dain— Vancouver, 4 et 5 octobre 1983; Ottawa, 13 jan- vier 1984.
Droit maritime Conflit de lois Mazout fourni dans un port américain à un navire affrété Charte-partie interdisant tout privilège En vertu du droit américain, un affréteur est présumé être autorisé à assujettir le navire à un privilège pour fourniture d'approvisionnements nécessaires Le privilège fondé sur le droit américain peut être exercé par une action in rem au Canada même si le propriétaire du navire n'est pas personnellement responsable Le critère appliqué au Canada relativement à la reconnaissance d'un privilège maritime étranger diffère de celui qui s'applique en Angleterre La Cour suprême a appliqué une présomption équivalente à celle appliquée aux États-Unis Lorsque les approvisionnements nécessaires ont été fournis au Canada, la demande in rem ne peut être exercée si le propriétaire du navire n'est pas person- nellement responsable Les restrictions concernant l'exercice d'un droit in rem accordé par la loi ne s'appliquent pas à l'exercice d'un privilège maritime La compétence pour exercer un privilège maritime concernant la fourniture d'ap- provisionnements nécessaires par action in rem est conférée par les art. 2 et 22(1) L'art. 22(2)m) ne confère compétence que si les fournitures nécessaires ne sont pas garanties par un privilège Le privilège continue de pouvoir être exercé même si la propriété du navire a changé de mains Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2t Supp.), chap. 10, art. 2, 22(1),(2)m), 43(3) Ship Mortgage Act, 1920 (qui constitue l'art. 30 du Merchant Marine Act, 1920), par. P, R (modifiés par Pub. L. No. 92-79, 85 Stat. 285 (1971)), 46 U.S.C., art. 971, 973 (1976).
Conflit de lois Doit-on considérer le privilège américain pour fourniture d'approvisionnements nécessaires comme pou- vant être exercé par action in rem uniquement lorsque le propriétaire au moment les approvisionnements ont été fournis est personnellement responsable? La reconnaissance des privilèges maritimes est une question de principe impor- tante Différences de vue parmi les nations maritimes Le critère appliqué au Canada concernant la reconnaissance des privilèges maritimes étrangers diffère de celui qui s'applique en Angleterre La Cour suprême du Canada a rendu des décisions portant que le privilège maritime pour des approvi- sionnements nécessaires découlant du droit en vertu duquel le contrat a été passé est exécutoire au Canada même si la fourniture d'approvisionnements nécessaires au Canada ne donne pas lieu à un privilège maritime Il ne faut pas limiter cette reconnaissance aux seuls cas le propriétaire est per- sonnellement responsable Le principe américain de l'autori- sation présumée ne va pas à l'encontre du droit canadien à tel point qu'il faille refuser la reconnaissance.
Compétence Droit maritime Privilège maritime con- cernant la fourniture d'approvisionnements nécessaires Les art. 2 et 22(1) confèrent la compétence voulue pour exercer ce privilège par l'action in rem L'art. 22(2) confère cette compétence uniquement dans les cas les approvisionnements nécessaires ne sont pas garantis par un privilège Le privi- lège continue de pouvoir être exercé quand la propriété du navire a changé de mains Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.) chap. 10, art. 2, 22(1),(2)m), 43(3).
L'appelante a fourni du mazout au navire intimé alors qu'il se trouvait dans un port de Californie. À cette époque, le navire appartenait à la compagnie intimée mais il était assujetti à un contrat de charte-partie conclu avec une deuxième compagnie. Les courtiers avec qui l'appelante a fait affaire ont, semble-t-il, agi pour le compte de cette deuxième compagnie et il a été convenu que l'acheteur véritable serait une troisième compa- gnie. Au moment de fournir le pétrole, la demanderesse igno- rait que le navire était assujetti à une charte-partie et que celle-ci comportait une clause interdisant tout privilège. Comme le pétrole demeurait impayé, l'appelante a intenté des poursuites devant la Cour fédérale dans le but de recouvrer le prix du mazout. Ces poursuites comportaient: (a) une action in rem contre le navire dans le but d'exercer un privilège maritime qui, a-t-on prétendu, aurait pris naissance en vertu du droit américain; et (b) une action in personam contre la compagnie intimée (qui était toujours propriétaire du navire).
Le juge de première instance a conclu que le privilège allégué existait en vertu du droit américain mais, après avoir rejeté la demande in personam contre la compagnie, il a statué que le privilège n'était pas exécutoire au Canada par action in rem parce que le propriétaire du navire n'était pas personnellement responsable.
En appel du rejet de l'action in rem, Arrêt: l'appel est accueilli.
En vertu du droit américain en vigueur depuis 1971, un affréteur est présumé être autorisé par le propriétaire à assujet- tir le navire à un privilège maritime pour fourniture d'approvi- sionnements nécessaires à moins que le fournisseur ne sache que la charte-partie comporte une clause interdisant tout privi- lège. En vertu de ce principe, un privilège maritime pour fourniture d'approvisionnements nécessaires peut prendre nais- sance dans des circonstances le propriétaire du navire, au moment de la fourniture des approvisionnements, n'est pas personnellement responsable de ces approvisionnements. Il était peu vraisemblable que cette situation se produise avant que la modification de 1971 ne soit apportée, toutefois, même en vertu de la législation antérieure qu'a examinée la Cour suprême dans les affaires The Strandhill et The loannis Daskalelis, une telle situation pouvait se produire. Il s'agit de savoir s'il faut considérer qu'un privilège pour la fourniture d'approvisionne- ments nécessaires qui prend naissance en vertu du droit améri- cain ne peut être exercé par action in rem au Canada que dans les cas le propriétaire du navire serait personnellement responsable des approvisionnements nécessaires.
Les arrêts The Standhill et The loannis Daskalelis ne font pas obstacle à la reconnaissance du privilège lorsque la respon- sabilité in personam est inexistante. En fait, ces décisions pourraient implicitement étayer le point de vue selon lequel la reconnaissance ne se limite pas aux seuls cas le propriétaire est personnellement responsable.
Dans ces deux affaires, la Cour a reconnu le principe selon lequel un privilège maritime pour la fourniture d'approvisionne- ments nécessaires découlant du droit (même étranger) en vertu duquel le contrat a été passé serait reconnu exécutoire au Canada même si cette fourniture d'approvisionnements néces- saires ne donnait pas lieu ici à un privilège maritime. (Le critère applicable au Canada en ce qui concerne la reconnais sance d'un privilège maritime étranger diffère de celui qui s'applique actuellement en Angleterre.) Étant donné la position adoptée par la Cour suprême, il n'existe aucune raison de principe valable pour n'admettre cette position que dans les cas le propriétaire du navire à l'époque les approvisionne- ments nécessaires ont été fournis serait personnellement respon- sable. Les conséquences qui peuvent résulter de la présomption du droit américain concernant l'autorisation donnée à l'affré- teur ne vont pas à l'encontre du droit maritime canadien à un point tel qu'il faille refuser la reconnaissance. En fait, le principe qu'a reconnu et appliqué la Cour suprême est essentiel- lement le même. Bien qu'une demande relative à des approvi- sionnements nécessaires fournis au Canada ne puisse être exer- cée par action in rem à moins que le propriétaire du navire ne soit personnellement responsable, cela ne constitue pas un motif suffisant pour ne pas reconnaître un privilège maritime étran- ger en l'absence de toute responsabilité personnelle. Les restric tions applicables à l'exercice d'un simple droit in rem reconnu par la loi ne s'appliquent pas nécessairement à l'exécution d'un privilège maritime. Par conséquent, même si la décision rendue dans l'affaire Armar est fondée, elle ne tranche pas la question de la reconnaissance qui se pose en l'espèce.
La compétence de la Cour fédérale pour donner effet à un privilège maritime relatif à des approvisionnements nécessaires par action in rem se fonde sur le paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale et sur la définition de adroit maritime cana- dien» à l'article 2. Cette compétence doit être considérée comme provenant d'une source autre que l'alinéa 22(2)m), qui ne vise que les demandes relatives à des approvisionnements nécessaires qui ne sont pas garantis par des privilèges mariti- mes. Le paragraphe 43(3) impose une restriction à la compé- tence de la Cour pour connaître d'une demande mentionnée à l'alinéa 22(2)m), et en interprétant ainsi cet alinéa, on évite la restriction prévue lorsqu'on se trouve en présence d'un privi- lège. La possibilité d'exercer le privilège par action in rem est ainsi maintenue même si la propriété en equity du navire change de mains entre le moment la cause d'action a pris naissance et celui l'action est intentée.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
The Ship «Strandhill» v. Walter W. Hodder Company, [1926] R.C.S. 680; Todd Shipyards Corporation c. Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar», [1973] C.F. 1232 (1'» inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Ripon City, [1897] P. 226 (H.C.-Amirauté Angl.); Goodwin Johnson Limited v. The Ship (Scow) AT & B 28, et al., [1954] R.C.S. 513.
DÉCISION CITÉE:
The Halcyon Isle, [1981] A.C. 221 (P.C.).
AVOCATS:
R. G. Morgan pour l'appelante. J. W. Perrett pour les intimés.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour l'appe- lante.
Campney & Murphy, Vancouver, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance ([1982] 2 C.F. 617) qui a rejeté une action in rem visant à l'exécution d'un privilège maritime fondé sur le droit américain, concernant la fourniture d'approvisionnements nécessaires, pour le motif qu'une telle action est irrecevable lorsque le pro- priétaire du navire n'est pas responsable in perso- nam de ces approvisionnements.
Au mois de mai 1979, l'appelante Marlex Petro leum, Inc. («Marlex») a fourni du mazout et du carburant diesel au navire intimé Har Rai alors qu'il se trouvait au port de Los Angeles/Long Beach (Californie), ledit navire appartenant à l'in- timée, The Shipping Corporation of India Ltd. mais étant assujetti à un contrat de charte-partie conclu avec Libra Shipping and Trading Corpora tion Limited («Libra»). L'enquête relative au pétrole a été effectuée par Universal Bunker Servi ces Inc., courtiers du New Jersey qui ont, semble- t-il, agi pour le compte de Libra. Initialement celle-ci devait acheter le pétrole mais comme Marlex ne possédait pas suffisamment de rensei- gnements au sujet du crédit de cette compagnie, il a été convenu que l'acheteur serait Global Bulk Handling Limited («Global»), à qui Marlex avait déjà fait crédit sans difficulté. L'adresse de Global pour fins de facturation portait la mention a/s Libra. Les mandataires de Libra se sont occupés de la livraison du pétrole à Long Beach et l'ingé- nieur chef du navire en a accusé réception. Au moment de fournir le pétrole, Marlex ne savait pas que le Har Rai était assujetti à une charte-partie et que celle-ci comportait une clause interdisant tout privilège. Le pétrole demeurant impayé, Marlex a intenté une action in rem contre le Har
Rai à Vancouver le navire a été saisi, ainsi qu'une action in personam contre le propriétaire, The Shipping Corporation of India Ltd. La décla- ration alléguait que Marlex avait, en vertu du droit américain, un privilège maritime pour fourniture d'approvisionnements nécessaires.
À partir de ces faits, M. Carter Quinby, spécia- liste du droit maritime américain, s'est dit d'avis que, en vertu des articles 971 et suivants du titre 46 du United States Code [Ship Mortgage Act, 1920 (qui constitue l'art. 30 du Merchant Marine Act, 1920), par. P et s. (modifiés), 46 U.S.C. art. 971 et s. (1976)), la fourniture de pétrole au Har Rai créait un privilège maritime qui pouvait être exercé par action in rem aux États-Unis, même si le propriétaire n'était pas personnellement respon- sable. En vertu de ces articles, modifiés en 1971 [46 U.S.C. art. 973 (1976) incorpore les modifica tions apportées au Ship Mortgage Act, 1920, par R, 46 U.S.C. art. 973 (1970) par une loi en date du 10 août 1971, Pub. L. No. 92-79, 85 Stat. 285], un affréteur est présumé être autorisé par le pro- priétaire à assujettir le navire à un privilège mari time pour fourniture d'approvisionnements néces- saires lorsque le fournisseur ignore que la charte-partie comporte une clause interdisant tout privilège.
Il a été convenu, au cours du procès, que la Cour déterminerait la question de la responsabilité, le montant des dommages-intérêts devant faire l'ob- jet d'un renvoi, le cas échéant. En réponse à une requête présentée à la fin de l'argumentation de la demanderesse, le juge de première instance a décidé que le propriétaire du Har Rai, The Ship ping Corporation of India Ltd., n'était personnelle- ment responsable du coût du pétrole et il a rejeté l'action in personam intentée contre elle. Quant à la responsabilité in rem, le juge de première ins tance a conclu, à la lumière de la preuve d'expert, que l'appelante avait un privilège maritime fondé sur le droit américain mais que ce privilège ne pouvait pas être exercé par action in rem au Canada parce que le propriétaire du navire n'était pas responsable in personam.
Le juge de première instance a fondé sa conclu sion sur la décision Westcan Stevedoring Ltd. c. Le navire «Armar», [1973] C.F. 1232 inst.), dans laquelle le juge Collier a statué_ qu'une demande relative à des services d'aconage fournis au
Canada, dans l'hypothèse il s'agit d'approvi- sionnements nécessaires, ne peut être exercée par action in rem lorsque les propriétaires du navire ne sont pas personnellement responsables. Dans ce cas, la demanderesse n'avait pas de privilège mari time parce que les approvisionnements nécessaires ont été fournis au Canada mais elle a tenté d'exer- cer un droit in rem accordé par la loi. Se fondant surtout sur les décisions The Mogileff, [1921] P. 236 (H.C.-Amirauté Angl.) et The «Heiwa Maru» v. Bird & Co. (1923), I.L.R. 1 Ran. 78 (H.C.), le juge Collier a conclu que le droit in rem accordé par la loi de faire valoir une demande relative à des approvisionnements nécessaires qui existait en vertu du droit maritime canadien avant l'adoption des dispositions de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] en matière d'amirauté ne peut être exercé que si le proprié- taire du navire est personnellement responsable de la demande et il a ajouté que les dispositions applicables de la Loi—l'alinéa 22(2)m) qui con- fère à la Cour compétence pour connaître d'une demande relative à des approvisionnements néces- saires et le paragraphe 43(2) qui prévoit que la compétence conférée par l'article 22 peut être exercée en matière réelle—ne changent pas le droit à cet égard.
L'appelante prétend que la décision Le «Armar» ne s'applique pas parce qu'il s'agissait, dans ce cas, d'un simple droit in rem- accordé par la loi et non d'un privilège maritime et que, suivant les arrêts de la Cour suprême du Canada The Ship «Strandhill» v. Walter W. Hodder Company, [1926] R.C.S. 680 et Todd Shipyards Corpora tion c. Alterna Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248 [ci-après appelé «The loannis Daska- lelisu], on doit reconnaître que le privilège mari time en l'espèce fondé sur le droit américain peut être exercé par action in rem au Canada, même si le propriétaire n'est pas personnellement responsa- ble. Le juge de première instance a pris en considé- ration les arrêts The Strandhill et The loannis Daskalelis, mais il a établi une distinction avec ces causes dans lesquelles, suivant les faits révélés dans les actes de procédure et les 'déclarations de la Cour, les propriétaires des navires auraient été personnellement responsables.
Dans l'arrêt The Strandhill, la Cour suprême du Canada a jugé qu'un privilège maritime fondé
sur le droit américain, concernant des approvision- nements nécessaires fournis aux États-Unis, peut être exercé par action in rem au Canada et que la Cour de l'Échiquier du Canada a compétence pour connaître d'une telle action. La déclaration allé- guait que les approvisionnements nécessaires ont été fournis sur l'ordre du propriétaire du navire ou d'une personne autorisée par ce dernier. Bien que cette autorisation du propriétaire, qu'elle soit réelle ou présumée, fût une condition de l'existence du privilège maritime en vertu du droit américain, le jugement ne laisse aucunement entendre que pour que le privilège puisse être exercé par action in rem au Canada et que la Cour de l'Échiquier ait compétence sur une telle action, il faut déterminer si, à la lumière des faits, le propriétaire du navire aurait été personnellement responsable des appro- visionnements nécessaires au moment ils ont été fournis. Il n'y a pas été question de la responsabi- lité personnelle. En ce qui concerne la question de la reconnaissance, le juge Newcombe qui a parlé au nom de la majorité de la Cour a dit aux pages 686 et 687:
[TRADUCTION] Bien sûr, on ne peut pas dire que le contrat est nul pour cause d'immoralité ni qu'il va à l'encontre du droit positif qui l'interdit et j'estime par conséquent que le droit découlant de ce contrat ou créé à titre accessoire peut être reconnu et exercé, si le tribunal auquel le demandeur s'est adressé a la compétence requise.
En ce qui concerne la question de la compétence, après avoir fait mention de la compétence relative à une demande pour fourniture d'approvisionne- ments nécessaires qui est conférée par The Admi ralty Court Act, 1840, 3 & 4 Vict., chap. 65, article 6 (R.-U.), et The Admiralty Court Act, 1861, 24 Vict., chap. 10, article 5 (R.-U.), et qui peut être exercée par la Cour de l'Échiquier du Canada en vertu du paragraphe 2(2) de la Colo nial Courts of Admiralty Act, 1890, 53-54 Vict., chap. 27 (R.-U.), le juge Newcombe a dit à la page 689:
[TRADUCTION] Maintenant, vu ces textes législatifs, je crains que si une disposition, correspondant à celle de la loi des États-Unis que j'ai citée, avait été adoptée en Angleterre, la High Court of Admiralty se serait trouvée en mesure de l'appliquer, dans les cas prévus dans les lois de 1840 et de 1861. Et vu qu'il existe une juridiction locale équivalente, la Cour de l'Échiquier du Canada a le droit lorsque, dans ces cas, la réclamation relative à des choses nécessaires se fonde sur un privilège maritime, de faire droit à l'exercice de ce privilège, même si le droit a été acquis sous le régime du droit d'un pays étranger.
Dans l'affaire The bannis Daskalelis, qui sou- levait la question de la priorité de rang entre un privilège maritime fondé sur le droit américain concernant des réparations nécessaires et une hypothèque enregistrée en Grèce, la Cour suprême a réaffirmé le principe adopté dans l'arrêt The Strandhill, selon lequel un privilège maritime étranger portant sur des approvisionnements ou des réparations nécessaires et fondé sur le droit régissant le contrat peut être exercé au Canada, même si le contrat ne donne pas lieu à un privilège maritime lorsqu'il est conclu au Canada. Après avoir cité le juge Newcombe dans l'arrêt The Strandhill, le juge Ritchie qui a rendu le jugement de la Cour a dit à la page 1254: «Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de se fonder sur autre chose que l'arrêt Strandhill pour être en mesure de décider que les réparations nécessaires effectuées par Todd Shipyards Corporation à New York ont donné lieu, contre le navire défendeur, à un privi- lège maritime qu'elle peut exercer en notre pays. ..» Dans l'affaire The bannis Daskalelis, Todd Shipyards a allégué [page 1251] que les réparations nécessaires ont été fournies au navire «... à la demande de ses propriétaires et de leurs mandataires susdits ...», et le juge Ritchie a dit dans son exposé des faits la page 1250] que les réparations ont été effectuées «à la demande des responsables de l'administration du navire ...», mais une fois de plus, même si ces faits étaient une condition nécessaire à l'existence du privilège en vertu du droit américain, le jugement ne laisse aucunement entendre qu'il fallait établir la respon- sabilité personnelle du propriétaire du navire au moment les réparations ont été effectuées pour que le privilège puisse être reconnu comme pou- vant être exercé au Canada.
En vertu du droit américain qui s'appliquait aux arrêts The Strandhill et The bannis Daskalelis, un affréteur était présumé être autorisé à assujettir un navire à un privilège maritime pour fourniture d'approvisionnements nécessaires, même si le four- nisseur devait faire preuve de diligence raisonnable aux fins de déterminer si la charte-partie compor- tait une clause interdisant tout privilège, ce qui, en pratique, annulait en grande partie l'autorisation présumée, jusqu'à ce que cette obligation soit sup- primée par modification en 1971. Voir l'ouvrage de Gilmore et Black, The Law of Admiralty, 2 e éd., 1975, pages 670 et s. En vertu de la législation
antérieure à 1971, un privilège maritime pour fourniture d'approvisionnements nécessaires pou- vait néanmoins prendre naissance en droit améri- cain dans des circonstances le propriétaire du navire ne serait pas personnellement responsable des approvisionnements au moment ils ont été fournis. Comme l'indique la preuve d'expert en l'espèce, il est plus vraisemblable qu'on rencontre cette situation en pratique en raison de la modifi cation apportée en 1971. Il s'agit de savoir, selon moi, si un privilège américain pour fourniture d'approvisionnements nécessaires doit être reconnu comme pouvant être exercé par action in rem dans tous les cas ou uniquement lorsque le propriétaire du navire serait personnellement responsable de ces approvisionnements au moment ils sont fournis. Pour les motifs que j'ai indiqués, je ne crois pas, en toute déférence, que les arrêts The Strandhill et The bannis Daskalelis de la Cour suprême du Canada fassent obstacle à la recon naissance de ce privilège dans tous les cas, si ces arrêts ne signifient pas que la Cour a adopté ce point de vue au sujet de la reconnaissance parce qu'il n'est fait mention ni de la responsabilité personnelle ni du principe sous-jacent au droit américain. Il ne fait aucun doute que la reconnais sance des privilèges maritimes est une question de principe importante en droit maritime, au sujet de laquelle il y a eu des divergences de vue considéra- bles parmi les nations maritimes. Il est également manifeste que le critère appliqué au Canada en ce qui concerne la reconnaissance d'un privilège mari time étranger diffère de celui qui s'applique actuellement en Angleterre. Voir The Halcyon Isle, [1981] A.C. 221 (P.C.). Étant donné la posi tion adoptée par la Cour suprême du Canada dans les affaires The Strandhill et The bannis Daska- lelis—c'est-à-dire, que le privilège maritime pour des approvisionnements nécessaires découlant du droit en vertu duquel le contrat a été passé sera reconnu exécutoire au Canada même si la fourni- ture d'approvisionnements nécessaires au Canada ne donne pas lieu à un privilège maritime—il n'existe, à mon avis, aucune raison de principe valable pour n'admettre cette position que dans les cas le propriétaire du navire à l'époque les approvisionnements nécessaires ont été fournis serait personnellement responsable. Les consé- quences qui peuvent résulter du principe de l'auto- risation présumée sous le régime du droit améri- cain ne vont pas à l'encontre du droit maritime
canadien à tel point qu'il faille refuser la recon naissance. Il s'agit essentiellement du même prin- cipe que celui qui est énoncé par le juge Gorell Barnes dans l'arrêt The Ripon City, [1897] P. 226 (H.C.-Amirauté Angl.); en décidant dans cette affaire qu'un capitaine de navire a un privilège maritime lorsqu'il s'agit d'une dette contractée pour obtenir des approvisionnements nécessaires au bénéfice de personnes qui ne sont pas les pro- priétaires du navire mais qui ont été mises en possession dudit navire par ces derniers, il a dit à la page 244:
[TRADUCTION] Le principe en vertu duquel les propriétaires qui ont cédé la possession et le contrôle d'un navire aux affréteurs et en vertu duquel les créanciers hypothécaires et autres personnes intéressées qui ont permis aux propriétaires d'en garder la possession peuvent voir leurs biens saisis pour satisfaire aux demandes concernant les questions qui donnent lieu aux privilèges maritimes, peut, à mon avis, se déduire des principes généraux que j'ai déjà énoncés. Les privilèges mariti- mes étant reconnus en droit, les personnes qui sont autorisées par les propriétaires d'un navire à conserver la possession de ce navire en vue de l'utiliser de la façon ordinaire, sont réputées avoir reçu l'autorisation de ces derniers d'assujettir le navire à des créances qui peuvent donner lieu à un privilège maritime par suite de circonstances survenant dans le cours normal de cette utilisation, à moins que les parties n'agissent l'une envers l'autre de telle façon que celle qui invoque le privilège n'a pas le droit de se fonder sur cette autorisation présumée.
La Cour suprême du Canada a cité et appliqué ce principe dans l'arrêt Goodwin Johnson Limited v. The Ship (Scow) AT & B No. 28, et al., [ 1954] R.C.S. 513, il a été jugé qu'on pouvait intenter une action in rem pour exercer un privilège mari time par suite de dommages causés par un navire affrété coque-nue. On a jugé que l'existence du privilège et le droit de l'exercer ne reposent pas sur la question de savoir si les propriétaires du navire étaient personnellement responsables des domma- ges au moment ceux-ci ont été causés, mais il suffit que les propriétaires aient volontairement cédé le contrôle du navire aux affréteurs ou à d'autres personnes.
Le fait qu'une demande relative à des approvi- sionnements nécessaires fournis au Canada ne peut être exercée par action in rem à moins que le propriétaire du navire ne soit personnellement res- ponsable, pas plus que le fait qu'une telle demande ne donne pas lieu à un privilège maritime, ne constitue pas en droit canadien un motif pour ne pas reconnaître qu'un privilège maritime créé sous le régime d'un droit étranger pour des approvision-
nements nécessaires est exécutoire par action in rem en l'absence de toute responsabilité person- nelle. Les restrictions applicables à un simple droit in rem prévu par la loi ne s'appliquent pas néces- sairement, en principe, à un privilège maritime. Il s'agit de deux choses différentes. Par conséquent, je suis d'avis que le principe énoncé dans Le «Armar», à supposer que la décision rendue dans cette affaire soit correcte, ne tranche pas le litige.
En ce qui concerne la compétence pour exercer un privilège maritime relatif à des approvisionne- ments nécessaires par action in rem, j'estime qu'il faut s'en remettre, compte tenu de l'arrêt The Strandhill, aux termes généraux du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, et à la définition de «droit maritime canadien» à l'article 2 de la Loi. Ces dispositions prévoient:
22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
2....
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic- tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
En vertu de ces dispositions, la compétence de la Cour fédérale comprend la compétence en matière maritime qui pouvait être exercée par la Cour de l'Échiquier du Canada. À mon avis, la compétence pour donner effet à un privilège maritime concer- nant des approvisionnements nécessaires doit être considérée comme un domaine de compétence qui s'ajoute à celui que confère l'alinéa 22(2)m) de la Loi relativement à une demande relative à des approvisionnements nécessaires qui n'est pas garantie par un privilège maritime. S'il en était autrement, la restriction imposée par le paragra- phe 43(3) de la Loi à la compétence en matière réelle de la Cour concernant une demande men- tionnée à l'alinéa 22(2)m)—cette compétence ne pouvant être exercée à moins que, au moment l'action est intentée, le navire n'ait pour proprié- taire en equity celui qui en était le propriétaire en equity au moment la cause d'action a pris
naissance—enlèverait au privilège l'un de ses prin- cipaux effets. Il ressort implicitement des faits de l'arrêt The Strandhill que la Cour a présumé que le privilège pouvait être exercé par action in rem malgré le transfert subséquent de propriété.
Par ces motifs, je suis d'avis que le privilège maritime peut être exercé en l'espèce par action in rem. J'accueillerais par conséquent l'appel, j'annu- lerais le jugement de la Division de première ins tance et je renverrais l'affaire à cette dernière pour qu'elle tranche la demande, le tout avec dépens en appel et en première instance.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs. LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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