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T-9206-82
Alliance de la Fonction publique du Canada (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen- tée par le conseil du Trésor et le procureur général du Canada (défendeurs)
Division de première instance, juge Reed - Ottawa, 20 février et 21 mars 1984.
Fonction publique - Loi sur les restrictions salariales du secteur public - La Loi dénie-t-elle le droit à la liberté d'association garanti par la Charte? - Les droits de négocier et de faire la grève sont-ils protégés par la liberté d'associa- tion? - Le droit à la liberté prévu à l'art. 7 de la Charte inclut-il la liberté de négocier les conditions d'emploi et, dans l'affirmative, la Loi viole-t-elle ce droit et cette violation est-elle contraire aux principes de justice fondamentale? - Si on présume qu'un droit ou une liberté de la Charte a été violée, s'agissait-il d'une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique? - La Loi prive-t-elle la demanderesse de la jouissance d'un bien sans application régulière de la loi, en violation de l'art. la) de la Déclaration des droits? - La Loi refuse-t-elle l'égalité devant la loi et la protection de la loi en violation de l'art. lb) de la Déclaration des droits? - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d), 7, 8, 9, 10, 12. 33 - Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, art. 2(1), 4(1),a),6), 5, 6, 7, 8(1), 9(1),(2), 10, 16 - Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 49(2)b), 63, 77, 101 - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. la),b) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91, 92.
Anti-inflation - Loi sur les restrictions salariales du sec- teur public - La Loi dénie-t-elle le droit à la liberté d'asso- ciation garanti par la Charte? - Les droits de négocier et de faire la grève sont-ils protégés par la liberté d'association? - Le droit à la liberté prévu à l'art. 7 de la Charte inclut-il la liberté de négocier les conditions d'emploi et, dans l'affirma- tive, la Loi viole-t-elle ce droit et cette violation est-elle contraire aux principes de justice fondamentale? - Si on présume qu'un droit ou une liberté de la Charte a été violée, s'agissait-il d'une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique? - La Loi prive-t-elle la demanderesse de la jouissance d'un bien sans application régulière de la loi, en violation de l'art. la) de la Déclaration des droits? - La Loi refuse-t-elle l'égalité devant la loi et la protection de la loi en violation de l'art. lb) de la Déclaration des droits? - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.), art. I, 2d), 7, 8, 9, 10, 12, 33
- Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. l22, art. 2(1), 4(1)a),6), 5, 6, 7, 8(1), 9(1),(2), 10, 16 - Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 49(2)6), 63, 77, 101 - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 1a),b) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91, 91.
Relations de travail - Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté d'association - Elle ne comporte pas la liberté de négocier collectivement et de faire la grève - La Cour n'a pas suivi la décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario dans Broadway Manor Nursing Home - Le terme «liberté» à l'art. 7 de la Charte concerne la liberté physique. mais ne comprend pas la liberté de conclure des contrats - Le fait que les hausses salariales futures aient été réduites par la loi ne constitue pas une privation d'un bien sans application régulière de la loi, en violation de la Déclaration des droits - Le droit à des augmentations de salaire futures en vertu d'une convention collective n'est pas un droit acquis afférent à un bien - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2d), 7 - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. I a),b).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté d'asso- ciation - La Loi sur les restrictions salariales du secteur public viole-t-elle une liberté? - Les droits de négocier et de faire la grève sont-ils protégés par la liberté d'association prévue à la Charte? - Les conventions internationales aux- quelles le Canada a donné son adhésion protègent-elles le droit de faire la grève, et dans l'affirmative, ce droit est-il nécessairement incorporé dans la Charte? - Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2d), 7 - Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122 - Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Clause limita- tive - Si on présume que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public viole la liberté d'association garantie à la demanderesse par la Charte, cette restriction constitue-t-elle une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique? - Afin de déterminer ce qui constitue une limite raisonnable, il est nécessaire d'évaluer l'avantage économique que la société en tire par rapport au désavantage que représente la limitation des droits des particuliers - Les avantages que la société dans son ensemble peut retirer ne sont pas suffisamment importants pour justifier la limitation de droits individuels garantis par la Constitution - L'expression «dont la justification puisse se démontrer» requiert plus qu'un fondement raisonnable - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2 - Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122.
Droit constitutionnel Charte des droits Droit à la liberté Le terme «liberté» à l'art. 7 comprend-il la liberté de conclure des contrats relatifs aux conditions d'emploi? La liberté de contracter étant un droit économique, elle n'est pas comprise dans le concept de «liberté» L'art. 7 vise la liberté physique de la personne, la liberté de disposer de son corps, de sa personne L'expression «principes de justice fondamentale» à l'art. 7 touche à des notions de procédure et non à des notions de fond Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2 Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122.
Déclaration canadienne des droits Jouissance des biens
La Loi sur les restrictions salariales du secteur public prive-t-elle la demanderesse de la jouissance d'un bien sans application régulière de la loi? Le droit à une augmentation de salaire en vertu d'une convention collective n'est pas un droit acquis et exécutoire afférent à un bien L'expression «application régulière de la loi» à l'art. la) touche à des notions de procédure et non à des notions de fond La clause de l'application régulière de la loi ne s'applique pas pour protéger les droits afférents aux biens touchés par l'expropria- tion et par les lois en matière de nationalisation Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. la) Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122.
Déclaration canadienne des droits Égalité devant la loi
La Loi sur les restrictions salariales du secteur public viole-t-elle ce principe de l'égalité devant la loi parce qu'elle différencie les fonctionnaires d'une manière fantaisiste et arbi- traire? La relation employeur-employé qui existe entre le gouvernement et le syndicat est suffisante pour satisfaire au critère de l'expression «objectif fédéral régulier» telle qu'elle est employée dans la jurisprudence Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb) Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5J (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91, 92.
Preuve Explications du Ministre présentant le projet de loi au Comité mixte du Parlement Importance qu'il faut accorder à ces commentaires.
En 1982, le Parlement du Canada a adopté la Loi sur les restrictions salariales du secteur public qui a prorogé pour une période de deux ans les conventions collectives du secteur public. La Loi a ramené les augmentations de salaire prévues dans les conventions à 6 % pour la première année et a fixé une augmentation de 5 `7o pour la deuxième année. Étant donné que la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique interdit les grèves tant qu'une convention collective est en vigueur, le droit de faire ,la grève a donc été retiré pour la durée de la prorogation. La Loi sur les restrictions salariales du secteur public permettait également d'apporter des modifica tions aux conventions collectives, sous réserve toutefois de l'approbation du conseil du Trésor ou du gouverneur en conseil.
La demanderesse cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Loi est nulle car incompatible avec la Charte des droits ou inopérante car incompatible avec la Déclaration des
droits. La demanderesse allègue plus précisément que la Loi la prive, ainsi que ses membres, (a) de la liberté fondamentale d'association prévue à l'article 2 de la Charte; (b) de la liberté de négocier les conditions de leur emploi en violation des principes de justice fondamentale et de l'article 7 de la Charte; (c) autrement que par application régulière de la loi, de la jouissance de leurs biens en violation de l'alinéa 1 a) de la Déclaration des droits (d) de l'égalité devant la loi et de la protection de la loi en violation de l'alinéa l b) de la Déclaration des droits.
Arrêt: l'action est rejetée.
Même si la Loi prévoit qu'il est possible d'apporter des modifications aux conventions collectives, on ne peut affirmer que le droit de négocier collectivement est préservé étant donné qu'il n'existe aucun droit de cesser de fournir collectivement des services. Pour ce qui est de l'argument voulant que le droit de négocier collectivement n'est pas supprimé mais simplement suspendu pour une certaine période, il n'en demeure pas moins qu'une suspension constitue une suppression de ce droit pour une certaine période. Bien que s'il était enchâssé dans la Constitution, le droit de négocier collectivement n'obligerait pas l'employeur à négocier de bonne foi ni ne comporterait le droit à l'application de tout le processus d'arbitrage et de conciliation prévu dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, il comprendrait, malgré les commentaires contraires d'un ministre devant un comité mixte du Parlement, le droit de faire la grève.
Les arguments de la demanderesse voulant que la liberté d'association comporte la liberté de négocier reposent en grande partie sur la décision rendue dans l'affaire Broadway Manor. Dans cette affaire, le juge a d'abord fondé sa décision sur l'interprétation de ce concept faite par le Ministre. Il ne faut pas accorder trop d'importance aux commentaires des ministres devant des comités du Parlement: ils tiennent du plaidoyer et ont pour but de convaincre les membres de ces comités. Deuxiè- mement, le juge a conclu que selon l'histoire de la liberté d'association en common law, celle-ci comprenait le droit de négocier collectivement et de faire la grève; toutefois, les déci- sions invoquées ne traitent que de l'histoire du droit de grève. Troisièmement, il a conclu que les conventions internationales auxquelles le Canada a donné son adhésion protègent ce droit. La plupart de ces conventions ne mentionnent pas expressément le droit de faire la grève, mais même si certaines le font, cela ne signifie pas que la Charte des droits avait pour objet d'incorpo- rer tous les droits prévus dans ces conventions. Le quatrième argument porte que si les objectifs pour lesquels une association est formée ne sont pas protégés par le droit à la liberté d'association, il y a un danger que la liberté soit elle-même anéantie. Cependant, rien dans la jurisprudence anglo-cana- dienne ou américaine ni dans le contexte du droit international ne permet de conclure que l'emploi des termes «liberté d'asso- ciation* est habituellement destiné à comprendre un droit de négocier. En outre, le législateur n'a pu avoir l'intention d'in- clure dans un article de la Charte qui traite des droits fonda- mentaux un droit qui est de nature essentiellement économique sans l'indiquer par une formulation plus explicite. La «liberté d'association* garantit notamment aux syndicats le droit de s'associer, de recruter des membres et de faire valoir leurs positions, mais non le droit de faire la grève.
Étant donné cette conclusion, il ne serait pas nécessaire d'examiner si la Loi constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique au sens de l'article 1 de la Charte. Mais étant donné qu'on prévoit qu'il sera interjeté appel de la présente instance, les éléments de preuve et les arguments présentés ont été examinés. Bien que la question de savoir si la Loi constitue une «limite raisonnable, ne relève pas du domaine économique, une preuve de nature économique peut servir de point de départ dans une affaire comme celle-ci. Il faut évaluer l'avantage économique que la société tire de la Loi par rapport au désavantage que représente la limitation des droits des particu- liers. A cette époque, il était raisonnable de penser, d'un point de vue économique, que l'inflation était un problème qui néces- sitait l'intervention du gouvernement. Il ressort pourtant claire- ment de la preuve que la politique monétaire et non le contrôle des prix et des salaires est le meilleur moyen de combattre l'inflation, et que si l'inflation a diminué, c'est grâce à la récession mondiale et non au programme du 6 et 5 du gouver- nement. Il semble raisonnable de conclure que ce programme n'a pas joué un grand rôle dans la réduction de l'inflation. La Loi devait servir d'exemple et non de levier économique direct pour combattre l'inflation. Tout au plus, elle semble avoir été conçue pour créer certains effets psychologiques et réduire les attentes. Une telle mesure ne satisferait pas au critère prévu à l'article 1 de la Charte. Si la liberté de négocier était un droit garanti dans la Constitution, la Loi sur les restrictions ne constituerait pas une «limite raisonnable ... dont la justifica tion puisse se démontrer,. Le critère exige plus qu'un fonde- ment législatif raisonnable. Si ce n'était pas le cas, l'article 33 n'aurait plus de raison d'être. Bien que le critère à appliquer puisse changer d'un cas à l'autre, il doit être très rigoureux, et en l'espèce, les avantages résultant pour la société ne sont pas suffisamment importants pour justifier la limitation de droits individuels garantis par la Constitution.
En alléguant que la Loi était contraire aux principes de justice naturelle à cause de sa nature discriminatoire, l'avocat a soulevé la question de savoir si l'article 7 de la Charte com- prend l'application régulière de la loi quant au fond. Après un examen de la jurisprudence et des principaux textes canadiens portant sur cette question, il semble que l'opinion à retenir est que l'article 7 ne se rapporte qu'à l'équité dans la procédure. De toute manière, le terme «liberté, à l'article 7 ne comprend pas la liberté de conclure des contrats. L'article 7 vise la liberté physique de la personne, la liberté de disposer de son corps, de sa personne.
L'argument voulant que les personnes visées par les conven tions collectives prévoyant des hausses salariales qui ont été réduites par la Loi aient été privées d'un bien sans application régulière de la loi en violation de l'alinéa la) de la Déclaration des droits, est sans fondement. Le droit à une augmentation de salaire fixée à une date ultérieure en vertu d'une convention collective en vigueur n'est pas un droit acquis et exécutoire afférent à un bien. De toute façon, l'expression «application régulière de la loi, n'a pas été interprétée comme comprenant l'application quant au fond.
On a aussi soutenu que le droit de l'individu à l'égalité devant la loi garanti par l'alinéa lb) de la Déclaration des droits a été violé parce que la Loi différencie les fonctionnaires fédéraux en leur imposant des restrictions particulières sans motifs raisonnables. Il s'agit de déterminer si la Loi satisfait au
critère de «l'objectif fédéral régulier». En l'espèce, la relation employeur-employé qui existe entre le gouvernement et ceux qui contestent la Loi constitue une justification suffisante pour satisfaire à ce critère au sens que la jurisprudence donne à cette expression.
JURISPRUDENCE DECISIONS APPLIQUÉES:
Minister of Home Affairs v. Fisher, [ 1980] A.C. 319 (P.C.); Attorney-General of Fiji v. Director of Public Prosecutions, [1983] 2 W.L.R. 275 (P.C.); The Queen v. Bowen, jugement en date du 10 novembre 1983, Haute Cour de l'Ontario, encore inédit; Re Alberta Union of Provincial Employees et al. and the Crown in right of Alberta (1980), 120 D.L.R. (3d) 590 (B.R. Alb.); Colly- more v. Attorney-General, [1970] A.C. 538 (P.C.); Hanover Tp. Federation of Teachers, Local 1954 (AFL- CIO) v. Hanover Community School Corp. C.A. Ind., 457 F.2d 456 (1972) (7th Cir.); Smith v. Arkansas State Highway Employees, 441 U.S. 463 (1979) (8th Cir.); Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580, [1984] 3 W.W.R. 481 (C.A.C: B.); R. v. Hayden, [1983] 6 W.W.R. 655 (C.A. Man.); Re Mason; Mason v. R. in Right of Can. (1983), 35 C.R. (3d) 393 (C.S. Ont.); La Reine c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
DECISION NON SUIVIE:
Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home, et al. and two other applications (1983), 44 O.R. (2d) 392 (C. Div. Ont.); confirmé en appel: 1086-83, jugement en date du 22 octobre 1984, Cour d'appel de l'Ontario, encore inédit.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Crofter Hand Woven Harris Tweed Co., Ltd. v. Veitch, [1942] 1 All E.R. 142 (H.L.); C.P.R. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609; 34 D.L.R. (2d) 654.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Schmidt and Dahlstrôm v. Sweden (1976), 1 E.H.R.R. 632 (C.E.D.H.); Reference re Section 94(2) of the Motor Vehicle Act (1983), 147 D.L.R. (3d) 539 (C.A. C.-B.); R. v. Stevens (1983), 145 D.L.R. (3d) 563 (C.A. Ont.); Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917.
DÉCISIONS CITÉES:
Allman et al. v. Commissioner of the Northwest Territo ries (1983), 44 A.R. 170 (C.S.T.N:O.); Edwards v. Attorney-General of Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.); British Coal Corporation v. The King, [1935] A.C. 500 (P.C.); Attorney-General for Ontario and Others v.
Attorney -General for Canada and Others and Attorney - General for Quebec, [1947] A.C. 127 (P.C.); Procureur général du Québec c. Blaikie, et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, infirmant (1983), 40 O.R. (2d) 481 (C.A.); Curr c. La Reine, [ 1972] R.C.S. 889.
AVOCATS:
Maurice W. Wright, c.r. et Peter W. Hogg, c.r. pour la demanderesse.
Eric A. Bowie, c.r. et Robert Cousineau pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED: Il s'agit d'une demande visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public (S.C. 1980-81-82-83, chap. 122) est nulle car incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)), ou inopérante car incompatible avec la Déclaration canadienne des droits (S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III]).
La demanderesse allègue plus précisément que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public la prive, ainsi que les fonctionnaires fédé- raux qu'elle représente,
a) de la liberté fondamentale d'association en violation de l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés;
b) de la liberté de négocier les conditions de leur emploi en violation des principes de justice fon- damentale prévus à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés;
c) autrement que par application régulière de la loi, de la jouissance de leurs biens en violation de l'alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits; et
d) de l'égalité devant la loi et de la protection de la loi en violation de l'alinéa l b) de la Déclara- tion canadienne des droits.
La demanderesse est une «association d'em- ployés» au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (S.R.C. 1970, chap. P-35). Elle comprend environ 180 000 mem- bres dont approximativement 168 000 sont des fonctionnaires fédéraux.
Loi sur les restrictions salariales du secteur public
Pour les fins de la présente action, on a présenté des éléments de preuve sur l'effet de la Loi sur les restrictions salariales du secteur public sur cinq groupes d'employés dont la demanderesse est l'agent négociateur accrédité: le groupe des commis aux écritures et aux règlements (CR) dans la catégorie du soutien administratif, le groupe de l'enseignement (ED) dans la catégorie des emplois scientifiques et professionnels, le groupe de soutien à l'enseignement (EU) dans la catégorie des emplois techniques; le groupe des services adminis- tratifs (AS) dans la catégorie des emplois adminis- tratifs et du service extérieur, et le groupe de l'administration des programmes (PM) de la caté- gorie des emplois administratifs et du service extérieur.
Les trois premiers groupes avaient une conven tion collective au moment de l'entrée en vigueur de la Loi sur les restrictions salariales du secteur public. Cette loi a été sanctionnée le 4 août 1982, mais elle a pris effet le 29 juin 1982.
La convention collective applicable au groupe CR était d'une durée de deux ans qui aurait pris fin le 11 janvier 1984. Elle prévoyait notamment
une augmentation de salaire de 12 12 1 / 4 % à compter du 12 décembre 1982. Les conventions collectives applicables aux groupes ED et EU étaient chacune d'une durée de deux ans devant prendre fin le 31 août 1983. Elles prévoyaient notamment des augmentations de salaire du même ordre à compter du 1°r septembre 1982.
La Loi sur les restrictions salariales du secteur public a prorogé les conventions collectives qui étaient en vigueur le 29 juin 1982. Cette proroga- tion était de deux ans à compter de la date de la prochaine augmentation de salaire prévue dans les conventions collectives respectives (c'est-à-dire, à
compter du 12 décembre 1982 pour le groupe CR et du 1°' septembre 1982 pour les groupes ED et EU). De plus, la Loi a ramené les augmentations de salaire prévues dans les conventions à 6 % pour la première année et a fixé une augmentation de 5 % pour la deuxième année de la prorogation.
4. (1) Le régime de rémunération en vigueur le 29 juin 1982 pour des salariés visés par la présente partie, notamment tout régime de rémunération prorogé en vertu de l'article 5, est prorogé de deux ans à compter de l'une des dates suivantes:
a) celle de la première augmentation des taux de salaire qui, en l'absence de l'article 8, surviendrait au plus t8t le 29 juin 1982;
b) celle prévue, en l'absence du présent article, pour son expiration, s'il ne comporte aucune augmentation de salaire le 29 juin 1982 au plus tôt.
8. (1) Par dérogation à toute autre loi du Parlement, sont sans effet les dispositions du régime de la rémunération de salariés visés par la présente partie qui prévoient des augmenta tions des taux de salaire pour le 29 juin 1982 au plus tôt.
9. (1) Par dérogation à toute autre loi du Parlement, le régime de rémunération de salariés visés par la présente partie est réputé comporter les dispositions suivantes:
a) les taux de salaire en vigueur soit à la date le régime, en l'absence de l'article 4, aurait expiré, soit à la date précédant le jour, prévu pour le 29 juin 1982 au plus t8t, ils auraient été, en l'absence de l'article 8, augmentés pour la première fois, sont, pour l'année suivant la date applicable, augmentés:
(i) dans le cas d'une convention collective ou d'une déci- sion arbitrale, de six pour cent,
(ii) dans les autres cas, d'un maximum de six pour cent;
b) les taux de salaire en vigueur conformément à l'alinéa a) sont, pour l'année qui suit celle visée à cet alinéa, augmentés:
(i) dans le cas d'une convention collective ou d'une déci- sion arbitrale, de cinq pour cent,
(ii) dans les autres cas, d'un maximum de cinq pour cent.
(2) Pour l'application de l'alinéa (1)a) au régime de rémuné- ration visé au paragraphe 4(2), l'augmentation de taux de salaire qui suit celle qui survient à la date d'entrée en vigueur du régime est réputée celle que vise cet alinéa.
Ni le groupe AS ni le groupe PM n'avaient de convention collective le 29 juin 1982. Leurs con ventions avaient pris fin le 20 juin 1982. Le 18 juin 1982, la demanderesse avait demandé, au nom du groupe AS, la constitution d'un conseil arbitral conformément à l'article 63 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique afin de résoudre les différends existant au sujet de la nouvelle convention collective. Un conseil arbitral a été formé le 8 juillet 1982, mais aucune audition sur le fond n'a été tenue avant le 4 août 1982, date de l'adoption de la Loi sur les restrictions.
La demanderesse a négocié avec l'employeur pour le compte du groupe PM pendant l'été 1982. Un avis de négocier, tel que le prévoit l'alinéa 49(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, a été donné le 21 avril 1982. Le 16 septembre 1982, la demanderesse a requis, au nom du groupe PM, l'établissement d'un bureau de conciliation conformément à l'article 77 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Pour les groupes qui n'étaient pas couverts par une convention collective le 29 juin 1982, la Loi sur les restrictions a prorogé les conventions expi rées pour une période d'un an à compter de leur date d'expiration compter du 20 juin 1982 pour les groupes AS et PM) et a permis une augmenta tion salariale d'un maximum de 9 % pour cette année.
5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le régime de rémuné- ration de salariés visés par la présente partie qui, en l'absence du présent paragraphe, aurait expiré avant le 29 juin 1982 et qui n'a pas été remplacé avant cette date, ou à cette date au plus tôt en conformité avec le paragraphe 4(2), est prorogé:
a) s'il s'agit d'un régime dont la date d'expiration est prévue pour le 29 juin 1981 au plus t8t, d'une année à compter de cette date d'expiration;
b) s'il s'agit d'un régime dont la date prévue d'expiration est antérieure au 29 juin 1981, jusqu'au 29 juin 1982.
(2) Le régime de rémunération de cadres de direction qui, en l'absence du présent paragraphe, aurait expiré avant le 29 juin 1982 est prorogé jusqu'au 30 juin 1982.
10. Un régime de rémunération prorogé en vertu du paragra- phe 5(1) est réputé comporter une disposition prévoyant que les taux de salaire en vigueur à la date le régime aurait, en l'absence du paragraphe 5(1), expiré sont augmentés:
a) pour l'année mentionnée à l'alinéa 5(1)a), dans le cas d'un régime visé à cet alinéa, d'un maximum de neuf pour cent;
b) dans le cas d'un régime visé à l'alinéa 5(1)b):
(i) pour la période précédant le 29 juin 1981, du montant autorisé par le conseil du Trésor,
(ii) pour la période allant du 30 juin 1981 au 29 juin 1982, d'un maximum de neuf pour cent.
La Loi a ensuite prorogé ces conventions pour une autre période de deux ans (c'est-à-dire, à compter du 20 juin 1983 pour les groupes AS et PM), avec une augmentation de salaire de 6% pour la première année et une augmentation de 5% pour la seconde.
La prorogation pour une période additionnelle de deux ans est prévue au paragraphe 4(1) (pré- cité). Elle s'applique aux régimes de rémunération en vigueur le 29 juin 1982 ainsi qu'aux régimes de rémunération prorogés en vertu de l'article 5.
Il va de soi qu'il n'était plus possible de régler les différends qui apparaissent au cours des négo- ciations des nouvelles conventions collectives par une décision exécutoire d'un conseil arbitral ou par les recommandations non-exécutoires résultant de la conciliation. Ainsi, le conseil arbitral qui avait été institué pour trancher les questions non réso- lues relatives au groupe AS a déclaré, dans une décision rendue le 31 août 1982, qu'il n'était désor- mais plus habilité à connaître des questions en litige entre les parties. Le bureau de conciliation auquel on avait demandé d'examiner les questions en litige au sujet du groupe PM a rendu une décision similaire le 6 octobre 1982.
En effet, l'article 6 de la Loi sur les restrictions a implicitement préséance sur le rôle conféré à ces organismes en matière de négociation collective:
6. (1) Par dérogation à toute autre loi du Parlement, à l'exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais sous réserve du présent article et de l'article 7, les dispositions d'un régime de rémunération prorogé en vertu des articles 4 ou 5 ou d'une convention collective ou décision arbitrale qui comporte un pareil régime demeurent en vigueur sans modification, sous réserve de la présente partie, pendant la période de prorogation.
(2) Le conseil du Trésor peut autoriser la modification des dispositions, y compris une augmentation des taux de salaire d'un maximum de neuf pour cent, d'un régime de rémunération
qui, en l'absence de l'article 5, aurait expiré avant le 29 juin 1982 ou d'une convention collective ou décision arbitrale qui comporte pareil régime.
(3) Le conseil du Trésor peut modifier les dispositions, notamment en augmentant d'un maximum de neuf pour cent les taux de salaire d'un régime de rémunération qui, en l'ab- sence de l'article 5, aurait expiré avant le 29 juin 1982 ou d'une convention collective ou décision arbitrale qui comporte un pareil régime, lorsque les parties au régime ne parviennent pas à s'entendre sur les modifications à y apporter.
(4) Le présent article ne porte nullement atteinte aux accords de partage de travail qui ont été approuvés dans le cadre de l'article 37 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
(5) Les salariés et groupes de salariés dont l'échelle de salaire atteint, le 29 juin 1982, un maximum égal ou supérieur à quarante-neuf mille cinq cents dollars n'ont pas droit pendant les deux ans de la prorogation de leur régime de rémunération en vertu de l'article 4, aux augmentations au mérite, aux augmentations par échelon et aux primes au rendement que, en l'absence du présent paragraphe, comporterait leur régime de rémunération.
Le conseil du Trésor a été habilité, pendant la période de restrictions, à apporter des modifica tions aux conventions collectives ou aux régimes de rémunération. Il faudrait également noter que l'ar- ticle 101 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique interdit les grèves tant qu'une convention collective est en vigueur. L'arti- cle 6 de la Loi sur les restrictions prévoit que restent en vigueur non seulement les dispositions du régime de rémunération faisant partie d'une convention collective mais aussi «les dispositions
. d'une convention collective ... qui comporte un pareil régime ...» Ainsi, en prorogeant les conven tions collectives pour deux ans, et dans certains cas pour une période plus longue, la Loi a retiré le droit de grève pendant cette période.
La demanderesse allègue donc que la Loi sur les restrictions a supprimé la négociation collective.
Des preuves ont été soumises sur des cas de négociation de conventions collectives pour des salariés qui n'avaient auparavant jamais été cou- verts par aucune convention collective, sur plu-
sieurs cas des modifications ont été apportées aux dispositions de conventions collectives qui n'étaient pas relatives à la rémunération, et sur d'autres cas de nouveaux régimes de rémunéra- tion ont été négociés et approuvés par le gouver- neur en conseil, conformément à l'article 16 de la Loi sur les restrictions.
Dans la première catégorie mentionnée plus haut, des conventions collectives entièrement nou- velles ont été négociées avec de petits groupes de salariés: les employés de soutien du Centre natio nal des arts et certains employés non-rémunérés à partir des fonds publics et travaillant dans certains mess. Le premier de ces groupes a, en réalité, fait une grève de trois jours pendant la négociation de la convention collective.
La deuxième catégorie de négociations mention- nées plus haut portait notamment sur une conven tion d'une durée de deux ans négociée par l'Institut professionnel de la Fonction publique du Canada pour le groupe des spécialistes en économie domes- tique et qui prévoyait des augmentations de salaire de 5,6 % pour la première année et de 5 % pour la deuxième. D'autres éléments de la rémunération, comme par exemple de meilleurs congés annuels ont été inclus dans les clauses de sorte que l'aug- mentation de la rémunération respectait les chif- fres de 6 et 5% fixés par la Loi. De même, une convention pour les employés de l'imprimerie d'Air Canada prévoyait une augmentation de salaire de 5,5% pour la première année et de 5 % pour la deuxième, mais elle incluait également une amélio- ration des congés annuels, etc. Ces ententes et trois autres ententes similaires ont été négociées confor- mément à l'article 16 de la Loi sur les restrictions:
16. Le gouverneur en conseil peut, par décret, mettre fin à l'application de la présente loi à l'égard de salariés ou de groupes de salariés qu'elle vise.
L'article 16 a été ajouté comme modification au projet de loi C-124 qui est devenu la Loi sur les restrictions; le président du conseil du Trésor a expliqué son but:
Il est important, a déclaré M. Johnston, que les parties puissent jouir d'autant de latitude que possible pour arriver à s'entendre dans les limites de la loi. C'est pourquoi l'on a voulu que le libellé de la modification soit simple de façon à permettre divers arrangements. Si les parties convenaient par exemple de prendre 1 h pour cent d'augmentation permis des 6 pour cent pour incorporer un congé de maternité payé dans leur conven tion collective et d'utiliser le 5,5 pour cent qui reste pour rehausser le taux de salaire, en procédant de façon similaire
quant au 5 pour cent de la deuxième année on jugerait qu'elles respectent l'esprit et l'intention de la loi. Le gouverneur en conseil pourrait mettre fin à l'application de la loi s'il estimait qu'un régime de rémunération ainsi conclu, s'échelonnant sur les 2 ans d'application du programme de restriction, respectait les limites imposées par la loi. [Extrait d'un communiqué de presse cité dans une lettre du 22 septembre 1982, envoyée à la demanderesse par la défenderesse.]
Dans la troisième catégorie mentionnée, des modifications ont été apportées à trois ou quatre conventions collectives pour permettre un régime de semaine de travail comprimée. D'autres modifi cations ont également été apportées à des conven tions collectives pour y inclure des normes existan- tes sur la santé et la sécurité; on pouvait dès lors obliger l'employeur à respecter ces normes en utili- sant la procédure de grief prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique alors qu'auparavant, on ne pouvait le faire qu'en intentant un recours délictuel devant les tribunaux. De plus, la preuve indique que, dans un cas parti- culier, l'équipage d'un navire a été assujetti à de nouvelles conditions d'emploi parce que le navire (The Sir Humphrey Gilbert) avait été mis hors de service et remplacé par un autre (The Bartlett).
Il va sans dire que l'avocat de la demanderesse et celui des défendeurs ont accordé à ces éléments de preuve des significations diamétralement oppo sées. Pour l'avocat de la demanderesse, ils démon- traient que les seules négociations encore possibles portaient essentiellement sur des points mineurs, alors que pour l'avocat des défendeurs, ils prou- vaient que certains éléments importants pouvaient encore être négociés dans le cadre des conventions collectives.
Comme je l'ai indiqué aux avocats, la preuve concernant les négociations qui ont réellement eu lieu peut être utile à titre d'exemple, mais la question de savoir si, en vertu ou en dépit de la Loi, des négociations ont effectivement eu lieu n'est probablement pas très pertinente. Il faut plutôt déterminer dans quelle mesure ces négocia- tions étaient autorisées par les dispositions de la Loi, ou indépendamment de celle-ci. Il s'agit essen- tiellement d'une question d'interprétation de la Loi.
Comme je l'ai fait remarquer plus haut, la Loi ne s'applique pas aux salariés qui n'étaient pas auparavant couverts par une convention collective. L'avocat de la demanderesse a allégué qu'il s'agis-
sait d'une omission qui avait été commise au cours de la rédaction de la Loi. Quoi qu'il en soit, étant donné la large portée de la Loi, je ne crois pas que l'exclusion de ce petit groupe, par inadvertance ou non, change le caractère essentiel de la loi contestée.
L'avocat des défendeurs soutient qu'il est encore possible de négocier les questions de rémunération, avec l'approbation du gouverneur en conseil, grâce aux dispositions de l'article 16. J'ai beaucoup de difficulté à accepter l'idée que le fait de permettre des modifications par approbation du gouverneur en conseil maintient la possibilité de négocier col- lectivement. Le gouverneur en conseil n'est même pas l'employeur, bien que le conseil du Trésor, qui est un comité du conseil, le soit.
L'avocat des défendeurs prétend que la négocia- tion des questions autres que la rémunération est encore possible en vertu de l'article 7:
7. Les parties à une convention collective, ou les personnes visées par une décision arbitrale, qui comporte un régime de rémunération prorogé en vertu de l'article 4 peuvent s'entendre pour modifier les dispositions de la convention ou de la décision, à l'exception des taux de salaire et des autres dispositions du régime.
La définition de ce qui constitue une question autre que la rémunération a soulevé une contro- verse et une certaine incertitude. Toutefois, il faut noter que le paragraphe 2(1) de la Loi définit «rémunération» comme suit:
... Toute forme de salaire ou de gratification versée, ou d'avantage accordé, directement ou indirectement, par un employeur ou en son nom à un salarié ou à son profit. [C'est moi qui souligne.]
Il s'agit d'une définition très large. Selon l'inter- prétation du conseil du Trésor, dans une lettre datée du 29 septembre 1982, elle comprend: le salaire, les congés annuels, les jours fériés, la durée du travail, les pauses, le surtemps y compris l'allo- cation de repas, le remboursement des frais de déplacement, les congés pour les questions relati ves aux relations de travail, la rémunération provi- soire, les congés de maladie, les congés de mariage, les congés de deuil et les congés pour comparution, les congés d'accident du travail, les congés de maternité, les congés pour obligations familiales, les congés d'éducation et de promotion profession- nelle, l'indemnité de cessation des fonctions. Les conditions les plus importantes, non visées par un régime de rémunération, qui ont été portées à mon
attention sont les normes sur la santé et la sécurité. Selon le témoignage de M. Pageau, elles ne font pas partie des clauses pécuniaires.
De toute façon, je ne crois pas qu'il soit néces- saire d'approfondir inutilement la distinction entre les éléments d'une convention collective qui entrent dans la rémunération et ceux qui n'en font pas partie puisque j'estime qu'on ne peut affirmer que les articles 7 et 16 maintiennent le droit à la négociation collective. Ces articles déterminent les manières possibles de modifier les conventions col lectives: en vertu de l'article 7, elles peuvent l'être par le conseil du Trésor et, en vertu de l'article 16, avec l'approbation du gouverneur en conseil. Tou- tefois, le fait de prescrire de quelle manière les conventions collectives peuvent être modifiées n'équivaut pas à préserver le droit à la négociation collective. Je ne vois pas comment la négociation collective peut être maintenue lorsque les salariés perdent la capacité de cesser collectivement de fournir des services, et ce, comme je l'ai fait remarquer plus haut, par l'application de l'article 6 de la Loi sur les restrictions et de l'article 101 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. La Loi sur les restrictions autorise en fait les salariés à présenter des demandes de modi fications auxquelles peut consentir le conseil du Trésor, lorsqu'il s'agit d'éléments non relatifs à la rémunération, ou le gouverneur en conseil, lors- qu'il s'agit de modifications relatives à la rémuné- ration. On ne peut parler de négociation dans un tel cas. La négociation comporte la possibilité de faire des concessions sur certaines choses. et d'en obtenir d'autres; elle nécessite plus que le simple droit de présenter des demandes. On ne dirait pas qu'une personne est libre de négocier si elle est contrainte à acheter un article, ni qu'elle est libre de négocier si elle est contrainte à vendre un article. De la même façon, je ne crois pas que l'on puisse affirmer que le droit de négocier collective- ment est préservé lorsqu'il n'existe pas de droit de cesser collectivement de fournir des services.
L'avocat des défendeurs a soutenu que, de toute façon, il fallait considérer que la Loi sur les res trictions ne retirait ni ne supprimait le droit de négocier, mais le suspendait simplement pour une période de deux ou trois ans. Une suspension pour une période de deux ou trois ans est tout simple- ment une façon polie de décrire la suppression de ces droits pendant cette période.
Liberté d'association—Charte des droits et libertés
Après avoir conclu que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public restreint le droit de négocier que posséderaient en d'autres circons- tances les fonctionnaires fédéraux, il faut se demander s'il s'agit d'un droit (d'une liberté) pro- tégé par la Charte canadienne des droits et liber- tés. La demanderesse allègue que l'alinéa 2d) qui garantit la «liberté d'association» comprend, du moins en ce qui concerne les syndicats, la liberté (le droit) de négocier.
À l'appui de sa prétention, l'avocat invoque le principe selon lequel il faut donner une interpréta- tion large et libérale aux documents constitution- nels et, en particulier, aux chartes des droits. Voici les arrêts qui ont été cités: Edwards v. Attorney - General of Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.), à la page 136; British Coal Corporation v. The King, [1935] A.C. 500 (P.C.), à la page 518; Attorney - General for Ontario and Others v. Attorney -Gene ral for Canada and Others and Attorney -General for Quebec, [1947] A.C. 127 (P.C.), à la page 154; Minister of Home Affairs v. Fisher, [1980] A.C. 319 (P.C.), aux pages 328 et 329; Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889, à la page 899; Procu- reur général du Québec c. Blaikie, et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016, aux pages 1029 et 1030, et Re Skapinker (1983), 40 O.R. (2d) 481 (C.A.), à la page 484, dont appel a été interjeté à la Cour suprême du Canada [[1984] 1 R.C.S. 357].
Les parties ne contestent pas la proposition appuyée par les arrêts invoqués: un document constitutionnel et, en particulier, une charte des droits et libertés prévue par la constitution devraient recevoir
[TRADUCTION] ... une interprétation libérale évitant ce qu'on
a appelé .l'austérité d'un légalisme rigide,» .. .
(Minister of Home Affairs v. Fisher, précité, à la page 328)
Cela ne signifie cependant pas, comme l'a fait remarquer l'avocat des défendeurs, qu'on a le droit de lire dans un document constitutionnel ou dans une charte des droits ce qui ne s'y trouve pas. Voir: Attorney -General of Fiji v. Director of Public Prosecutions, [1983] 2 W.L.R. 275 (P.C.), à la page 281 et The Queen v. Bowen (non publié, 10 novembre 1983 (H.C. Ont.), aux pages 8 et 9).
L'avocat des défendeurs a soutenu que (1) l'ar- gument de la demanderesse au sujet de l'étendue de l'alinéa 2d) de la Charte repose sur la confusion entre un droit et une liberté, (2) la liberté d'asso- ciation garantit aux salariés la liberté de négocier, (3) la liberté de négocier ne comporte cependant que la liberté de s'associer, de formuler des propo sitions communes et de présenter ces propositions à l'employeur; elle ne comporte pas le droit de faire la grève et n'oblige pas l'employeur à négocier de bonne foi.
Je suis d'accord avec le concept découlant de l'argumentation de l'avocat des défendeurs qui distingue droit et liberté, bien que je ne sois pas convaincue que droit et liberté soient les termes qu'il convient d'utiliser pour établir cette distinc tion. Il me semble que les termes droit et liberté sont très souvent utilisés comme synonymes et que toute tentative de distinction catégorique ne peut que créer de la confusion. Si je comprends bien ce concept, il signifie qu'il existe une différence entre le droit (ou la liberté) d'une personne qui n'impose pas à d'autres personnes l'obligation de faire quel- que chose, et le droit (ou la liberté) qui impose à d'autres personnes l'obligation de faire quelque chose. Ainsi, j'admets que le droit (ou la liberté) de négocier, s'il est garanti par la constitution, n'irait pas jusqu'à imposer à l'employeur l'obliga- tion de négocier de bonne foi avec ses employés, ni même, de les écouter. Il pourrait, en toute impu- nité, rester sourd à leurs demandes; parallèlement, la liberté d'expression n'oblige personne à écouter ce qui est dit.
Le professeur Tarnopolsky (tel était alors son titre) a établi une distinction à la page 1 de son livre intitulé The Canadian Bill of Rights (2 e éd., 1975):
[TRADUCTION] Il est possible qu'un individu ou qu'un groupe exige la non-ingérence de l'État dans certaines activités du moins: il s'agit de la revendication de sa liberté. Il se peut cependant qu'il demande à l'État d'intervenir pour protéger son mode de vie contre l'immixtion d'autres personnes ou de fournir cette protection pour lui assurer un niveau de vie minimum ou l'égalité avec les autres: il s'agit alors de la revendication de l'aide de l'État pour garantir certains droits.
Voir aussi: Allman et al. v. Commissioner of the Northwest Territories (1983), 44 A.R. 170 (C.S.T.N.-O.) et Re Service Employees' Interna tional Union, Local 240 - and Broadway Manor Nursing Home, et al. and two other applications (ci-dessous).
De toute façon, j'admets que si le droit (la liberté) de négocier était enchâssé dans la constitu tion, il n'obligerait pas l'employeur à négocier de bonne foi ni ne comporterait le droit à l'application de tout le processus d'arbitrage et de conciliation prévu dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Il y a cependant une marge entre cet argument de l'avocat des défendeurs et l'affirmation que la liberté de négocier comprend seulement le droit de s'associer, de formuler des propositions communes et de les présenter à l'employeur. La place qu'oc- cupe la liberté (le droit) de faire la grève, ou de cesser collectivement de fournir des services (ce qui est peut-être une façon moins émotionnelle de décrire cette activité) n'a pas été déterminée. Le droit (la liberté) de cesser collectivement de four- nir des services n'impose ni à l'employeur ni à l'État l'obligation de faire quelque chose. C'est une action qui appartient totalement à ceux qui préten- dent posséder cette liberté (ce droit). Comme je l'ai fait remarquer plus haut, la notion même de droit de négocier doit, à mon avis, comporter plus d'éléments que les trois identifiés par l'avocat des défendeurs.
L'avocat des défendeurs a fondé l'argument selon lequel la liberté de faire la grève ne fait pas partie de la liberté de négocier alors que la liberté de négocier fait partie de la liberté d'association, sur les commentaires de M. Kaplan devant le Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution: Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitu tion du Canada, 22 janvier 1981, page 43: 69-70.
Il fut un temps les procès-verbaux de tels débats n'étaient même pas admissibles pour l'inter- prétation des lois. Maintenant que cette règle s'est assouplie, il ne faudrait pas aller trop loin et présumer que ces commentaires revêtent toujours une importance significative. Il ne faut pas oublier que les déclarations faites dans de telles circons- tances tiennent du plaidoyer et ont pour but de convaincre les membres du comité du bien-fondé des propositions du Ministre.
C'est pourquoi je ne veux pas en l'espèce accor- der trop d'importance à l'interprétation de cet article par le Ministre à moins que d'autres fac- teurs ne mènent à la même conclusion. Comme je l'ai fait remarquer plus haut, j'estime que l'opinion du Ministre selon laquelle la liberté de négocier collectivement ne comporte pas celle de cesser collectivement de fournir des services bat en brèche le sens habituel du terme négocier.
Le fait de conclure que le concept de liberté de négocier comprend la liberté de faire la grève ne résout cependant pas la question. Il faut également conclure que la liberté d'association comporte la liberté de négocier.
L'avocat de la demanderesse a, en grande partie, fondé ses arguments à cet effet sur la décision non encore publiée de la Cour divisionnaire de l'Onta- rio rendue le 24 octobre 1983 dans Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing Home, et al. and two other applications (1983), 44 O.R. (2d) 392. (Cette décision fait actuellement l'objet d'un appel.) [L'appel a été rejeté par la Cour d'appel de l'Ontario: 1086-83, jugement en date du 22 octo- bre 1984, encore inédit.] On peut résumer ses arguments comme suit: 1) il ressort des déclara- tions de M. Kaplan devant le Comité mixte parle- mentaire que telle était l'intention des rédacteurs, 2) selon l'histoire de la liberté d'asso- ciation en common law, celle-ci comprenait la liberté de négocier et de faire la grève, 3) les conventions internationales auxquelles le Canada a donné son adhésion protègent ce droit et 4) la liberté d'association doit comprendre la protection des objectifs fondamentaux pour lesquels une asso ciation est formée, sinon il s'agirait d'une fausse liberté. Comme l'a dit le juge Galligan à la page 409 de sa décision dans Broadway Manor:
[TRADUCTION] Je ne peux imaginer que la Charte avait pour objectif de garantir la liberté d'association sans garantir aussi la liberté de faire ce à quoi l'association est destinée. Je n'ai aucune hésitation à conclure qu'en garantissant aux membres la liberté d'association, la Charte leur garantit tout au moins la liberté de s'organiser, de choisir leur propre syndicat, de négo- cier et de faire la grève.
En ce qui concerne le premier argument de l'avocat, qui est appuyé par le juge O'Leary à la page 46 de son jugement dans Broadway Manor, j'ai déjà indiqué que je ne le trouve pas convain- cant. Je ne suis pas plus disposée à accepter l'inter-
prétation faite par M. Kaplan du concept de liberté d'association qu'à accepter son interpréta- tion du concept de négociation.
Pour ce qui est du deuxième argument, le juge O'Leary, aux pages 47 et suivantes de sa décision dans Broadway Manor, tendait à conclure que selon l'histoire de la liberté d'association en common law, celle-ci comprenait la liberté (le droit) de négocier collectivement et de faire la grève. Il a invoqué les décisions rendues dans Crofter Hand Woven Harris Tweed Co. Ltd. v. Veitch, [1942] 1 All E.R. 142 (H.L.), aux pages 158 et 159, et dans C.P.R. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609, aux pages 619 à 621; 34 D.L.R. (2d) 654, aux pages 656 et 657. Aucune de ces affaires ne traitait toutefois de l'histoire de la liberté d'as- sociation. Elles traitaient plutôt de l'histoire du droit de grève.
Le troisième argument, fondé sur les conven tions internationales, se trouve aux pages 49 à 54 de la décision du juge O'Leary. Je ne tire pas de l'examen des conventions internationales les mêmes conclusions que lui. La Déclaration univer- selle des droits de l'homme des Nations Unies prévoit à l'article 20:
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'associa- tion pacifiques.
et à l'article 23:
4. Toute personne a le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, auquel le Canada a donné son adhésion le 19 mai 1976, prévoit à l'article 22:
1. Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts.
Le traité européen intitulé Convention de sauve- garde des droits de l'homme et des libertés fonda- mentales prévoit à l'article 11:
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
Je ne crois pas que le libellé de ces conventions comporte un droit de faire la grève. Elles parais- sent accorder tout au plus aux employés le droit de
s'associer, de s'organiser et de promouvoir leurs intérêts communs sans subir de représailles. Voir Schmidt and Dahlstrôm v. Sweden (1976), 1 E.H.R.R. 632 (C.E.D.H.), à la page 636, on a jugé qu'une loi suédoise refusant la rétroactivité de certains avantages aux employés qui avaient fait la grève tout en accordant de tels avantages à ceux qui n'y avaient pas participé, ne violait pas l'article 11 de la Convention européenne.
Le Pacte international relatif aux droits écono- miques, sociaux et culturels des Nations Unies, auquel le Canada a donné son adhésion le 19 mai 1976, et les conventions de l'OIT vont plus loin. Le pacte mentionné prévoit expressément un droit de grève:
Article 8
1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer:
a) Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui;
b) Le droit qu'ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et le droit qu'ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s'y affilier;
c) Le droit qu'ont les syndicats d'exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui;
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux États parties à la Convention de 1948 de l'Organisation internatio- nale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte—ou d'appliquer la loi de façon à porter atteinte—aux garanties prévues dans ladite convention.
La convention 87 de l'Organisation interna- tionale du Travail prévoit notamment:
Article 2
Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune
sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des
organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.
Article 3
1. Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action.
2. Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute inter vention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
Article 4
Les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.
Article 5
Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s'y affilier, et toute organisation, fédération ou confé- dération a le droit de s'affilier à des organisations internationa- les de travailleurs et d'employeurs.
Article 8
1. Dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres per- sonnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité.
2. La législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention.
Il semble que l'on ait interprété l'article 3 de cette convention, du moins dans la mesure il garantit un droit «d'organiser leur .. . activité», comme la garantie d'un droit restreint de faire la grève. (Notons toutefois que le Comité judiciaire du Conseil privé dans l'arrêt Collymore (voir plus loin) et la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans Re Alberta Union of Provincial Employees et al. and the Crown in right of Alberta (1980), 120 D.L.R. (3d) 590, ont interprété la convention 87 comme ne comprenant pas un tel droit.)
De toute façon, le fait que le Canada ait adhéré à des conventions internationales qui prévoient un droit de grève ne signifie pas que la Charte des droits, qui était destinée à donner préséance à certains droits sur les lois ordinaires du pays, avait pour objet d'incorporer tous les droits prévus dans ces conventions internationales. Le Canada signe
de nombreuses conventions, soit qu'il considère qu'elles sont compatibles avec ses règles de droit ordinaires, soit qu'il accepte de rendre ses règles de droit ordinaires conformes à celles-ci. Toutefois, c'est une toute autre chose que d'en conclure qu'il avait l'intention de donner préséance à ces droits sur les règles de droit ordinaires du pays comme c'est le cas dans une charte constitutionnelle. C'est particulièrement vrai lorsqu'il est expressément sti- pulé que les droits prévus dans des conventions internationales ne peuvent être exercés que «con- formément aux lois de chaque pays» comme c'est le cas dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, ou qu'ils sont assortis de limites tacites comme dans le cas de la Convention de l'OIT. Ces deux conventions internationales comprennent d'autres droits que ceux qui sont habituellement considérés comme des droits fondamentaux, ou dont on pourrait affirmer en toute impartialité qu'ils sont inclus dans le titre «libertés fondamen- tales» de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il est important de noter à cet égard que l'Insti- tut professionnel de la Fonction publique du Canada, le Congrès du travail du Canada, la demanderesse en l'espèce et la Confédération des syndicats canadiens ont déposé une plainte contre le gouvernement du Canada alléguant que la Loi sur les restrictions violait les droits syndicaux énoncés dans les conventions 87, 98 et 151 de l'OIT: Cas 1147, 222° Rapport du Comité de la liberté syndicale, Bureau international du Travail, Genève, 1°'-4 mars 1983. Le Comité de la liberté syndicale a jugé que le Canada n'avait pas violé les conventions.
En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 2 de la convention 87, le comité, après un examen approfondi des dispositions de la loi, estime que le droit des travailleurs de la fonction publique fédérale de constituer des organisations de leur choix, et de s'y affilier, sans autorisation préalable ne semble pas mis en cause.
Le comité n'a pas jugé que la Loi enfreignait l'article 3 de la convention 87:
Le comité estime que, malgré les mesures prises pour limiter les négociations salariales, la suppression du droit de grève dans le cas présent est assortie de procédures qui, non seulement peuvent aboutir à une négociation au-delà des niveaux fixés par la nouvelle loi (c'est-à-dire 6 pour cent et 5 pour cent), mais encore permettent des dérogations dan certains cas et assurent
la possibilité d'une médiation en cas de différend. [Sur ce point, l'interprétation du comité de l'effet de la Loi sur les restrictions diffère de la mienne.]
Le comité a également jugé qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 4 de la convention 98:
En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la suspension de la négociation collective décrétée par la loi viole l'article 4 de la convention 98, le comité rappelle les critères fixés par les organes de contrôle de l'OIT ... à savoir que les mesures de stabilisation qui restreignent le droit de négociation collective peuvent être acceptables, à la condition qu'elles ne soient imposées qu'à titre exceptionnel, seulement dans la mesure indispensable et pendant un laps de temps raisonnable, et qu'elles soient assorties de garanties suffisantes pour protéger le niveau de vie des travailleurs.
Il n'a pas conclu que les articles 7 et 8 de la convention 151 avaient été violés parce que:
L'article 7 autorise une certaine souplesse dans le choix des procédures (de détermination des conditions d'emploi) ... cer- taines parties en cause dans le cas présent poursuivent des négociations sur divers problèmes ... le comité ne peut con- clure que les agents publics ne sont pas en mesure de participer à la détermination de leurs conditions d'emploi ...
Pour ce qui est de l'infraction alléguée à l'article 8 de la convention 151, relatif au règlement des différends ... Cet article a été interprété comme donnant le choix entre la négo- ciation et d'autres procédures ... pour le règlement des diffé- rends. Dans le cas présent, l'exclusion provisoire des procédures d'arbitrage par une tierce partie normalement prévues par la loi sur les relations de travail dans la fonction publique n'est pas contraire aux dispositions de l'article 8 ...
Voir également Re Alberta Union of Provincial Employees et al. and the Crown in right of Alberta (1980), 120 D.L.R. (3d) 590, la Cour du banc de la Reine de l'Alberta a jugé qu'une loi provinciale limitant le droit de grève et les ques tions qui pouvaient être tranchées par un conseil arbitral ne violait pas les obligations internationa- les du Canada découlant de la convention 87 de l'OIT ou du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Le quatrième argument fondé sur l'arrêt Broad- way Manor est probablement le plus convaincant: si les objectifs pour lesquels une association est formée ne sont pas protégés par le droit à la liberté d'association, il y a un danger que la liberté soit elle-même anéantie. Je ne voudrais pas répondre de façon trop catégorique à cet argument, mais j'estime qu'on peut au moins affirmer que le droit de négocier collectivement (comprenant le droit de cesser collectivement de fournir des services) n'est pas protégé par la garantie constitutionnelle de la liberté d'association.
On peut se servir comme point de départ de la déclaration de lord Wilberforce dans Minister of Home Affairs v. Fisher (précité), cité par la demanderesse la page 329]:
[TRADUCTION] Une constitution est un document juridique d'où découlent, notamment, des droits individuels qui peuvent être mis à exécution par un tribunal. Il faut respecter le langage utilisé ainsi que les coutumes et usages qui lui donnent sa signification. (C'est moi qui souligne.)
Je ne vois rien dans la tradition jurisprudentielle ni dans la doctrine anglo-canadienne qui permette de conclure que l'emploi des termes «liberté d'asso- ciation» est habituellement destiné à comprendre un droit de négocier. En effet, la décision rendue dans Collymore v. Attorney -General, [1970] A.C. 538 (P.C.) dit exactement le contraire. Cette déci- sion concerne une disposition de la constitution de Trinidad et Tobago, qui portait que la liberté d'association était un droit fondamental qui ne pouvait être abrogé par aucune loi. On avait adopté une loi, Industrial Stabilization Act, 1965, qui imposait un système d'arbitrage obligatoire par une cour chargée des questions industrielles et interdisait à tout syndicat de déclencher une grève. La Loi a été contestée au motif qu'elle constituait une violation inconstitutionnelle d'un droit fonda- mental garanti. Il a été jugé que la Loi avait sans aucun doute restreint la liberté de négocier collec- tivement et la liberté de faire la grève, mais que celles-ci ne pouvaient être assimilées à la liberté d'association.
En rendant sa décision, lord Donovan a cité un passage du tribunal d'instance inférieure, à la page 547:
[TRADUCTION] «À mon avis, la liberté d'association ne signi- fie donc rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant. Ces objectifs peuvent être de toutes sortes. Ils peuvent être religieux ou sociaux, politiques ou philosophiques, économiques ou professionnels, éducatifs ou culturels, sportifs ou charitables. Toutefois, la liberté d'association ne confère ni le droit ni l'autorisation d'adopter une ligne de conduite ou de commettre des actes qui, de l'avis du Parlement, sont contraires à la paix, l'ordre et la bonne administration du pays.»
On a également conclu dans la jurisprudence et les textes de doctrine aux États-Unis que la liberté d'association ne comprenait que le droit de s'asso- cier avec d'autres personnes, de persuader les autres de le faire et de promouvoir les objectifs de l'association au nom de ses membres. Voici ce que
le tribunal a déclaré aux pages 460 et 461 de la décision Hanover Tp. Federation of Teachers, Local 1954 (AFL-CIO) v. Hanover Community
School Corp. C.A.Ind. 457 F.2d 456 (1972) (7th Cir.):
[TRADUCTION] ... les «activités syndicales» protégées com- prennent la promotion afin d'organiser le syndicat et d'augmen- ter le nombre de ses membres, ainsi que l'expression de ses opinions aux employés et au public. C'est pourquoi l'État ne peut condamner de façon générale toutes les activités syndicales ni renvoyer ses employés parce qu'ils s'affilient à un syndicat ou qu'ils participent à ses activités. Toutefois il n'en résulte pas que toutes les activités d'un syndicat ou de ses membres sont protégées par la constitution.
Ainsi, les activités économiques d'un groupe de personnes (qu'elles représentent les travailleurs ou la direction) qui s'asso- cient pour atteindre un objectif commun, ne sont pas protégées
Voir aussi Smith v. Arkansas State Highway Employees, 441 U.S. 463 (1979) (8th Cir.).
L'avocat de la demanderesse a soutenu que la jurisprudence américaine revêtait une importance secondaire parce que la liberté d'association garan- tie par la constitution de ce pays résulte du Pre mier amendement qui protège la liberté de reli gion, d'expression, de presse et d'assemblée mais ne mentionne pas expressément la liberté d'asso- ciation. Voir Tribe, American Constitutional Law (1978), aux pages 576, 702 et 703.
Bien qu'il ait raison, la mention de la liberté d'association à l'article 2 de la Charte ne fait peut-être rien de plus qu'indiquer que cet article a été rédigé environ deux cents ans après l'amende- ment à la constitution des États-Unis, à une époque la liberté d'association était considérée dans ce pays comme la conséquence naturelle de la liberté de s'assembler. Je constate qu'on a réuni à l'alinéa le) de la Déclaration canadienne des droits la liberté de réunion et d'association, comme droits connexes.
En outre, comme je l'ai fait remarquer aupara- vant, j'estime que rien dans le contexte du droit international n'oblige à interpréter la liberté d'as- sociation dans le sens large qu'on veut lui donner. Je ne crois pas que le législateur aurait pu avoir l'intention d'inclure dans un article de la Charte des droits et libertés, qui traite des droits fonda- mentaux, un droit qui est de nature essentiellement économique sans y indiquer, grâce à une formula tion plus explicite, que tel était le cas.
À mon avis, la clause relative à la «liberté d'association» garantit aux syndicats le droit de s'associer, de mettre en commun leurs ressources économiques, de recruter d'autres membres, de choisir leurs structures d'organisation interne, de faire valoir leurs positions auprès des employés et du public, et de ne subir aucun préjudice ni con- trainte de la part de l'employeur ou de l'État en raison de telles activités syndicales. Toutefois elle ne comprend pas le droit économique de faire la
grève.
Après avoir rédigé ce qui précède, mon attention s'est dirigée sur une décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, datée du 5 mars 1984, dans Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580, [ 1984] 3 W.W.R. 481. Cette cour est arrivée aux mêmes conclusions sur l'étendue de la «liberté d'associa- tion».
Limites raisonnables ... dont la justification puisse se démontrer
Étant donné les conclusions qui précèdent, je n'ai pas à traiter de l'application de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Néan- moins, comme je prévois qu'une instance supé- rieure sera bientôt saisie de la question et comme il est nécessaire d'évaluer la preuve, j'examinerai les éléments de preuve et les arguments qui ont été présentés sur ce point.
L'article 1 prévoit que les droits et libertés énoncés dans la Charte sont garantis et
1.... ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Quatre économistes ont été appelés à témoigner au sujet du caractère raisonnable ou non des mesu- res de restriction imposées par le gouvernement. Ce sont les professeurs Ascah, Watkins, McCal- lum et Purvis. La question de savoir si le critère établi à l'article 1 a été satisfait, c'est-à-dire si la restriction d'un droit constitutionnel constitue une «limite raisonnable ... dont la justification puisse se démontrer ... », ne relève pas du domaine économique. Toutefois, une preuve de nature éco- nomique peut servir de point de départ dans une affaire comme celle-ci. Afin de déterminer ce qui
constitue une «limite raisonnable», une restriction justifiable des droits constitutionnels selon l'article 1, il faut nécessairement évaluer l'avantage écono- mique que la société dans son ensemble tire de ces mesures par rapport au désavantage que repré- sente la limitation des droits des particuliers.
Le professeur McCallum a parfaitement défini le rôle de l'opinion des économistes dans cet exer- cice de comparaison:
[TRADUCTION] ... les économistes n'ont aucune compétence spéciale qui leur permette de décider si globalement les désa- vantages des contrôles sont supérieurs ou inférieurs à leurs avantages. Ce genre d'évaluation exige une comparaison entre les inconvénients de la diminution de droits ou de libertés et les avantages qu'apporte la diminution du chômage.
Cela équivaut à comparer des pommes et des oranges ... ce n'est pas une question qui peut être résolue avec des arguments purement économiques.
Néanmoins l'économiste a un rôle à jouer. Il peut 'être en mesure d'évaluer l'importance des avantages économiques pos sibles du contrôle des salaires. Si ces avantages sont importants, alors ceux qui prennent la décision finale sauront que s'ils rejettent les contrôles en se fondant sur des arguments qui ne sont pas de nature économique, ils le feront à un coût économi- que élevé. En revanche, si ces avantages économiques possibles sont très faibles, les contrôles peuvent alors 'être rejetés pour des motifs qui ne sont pas de nature économique, à peu de frais en termes de considérations économiques.
Trois des quatre économistes qui ont témoigné sont d'avis que, au moment le gouvernement a présenté la Loi sur les restrictions, l'inflation était un problème grave dont il devait se préoccuper. Le professeur Watkins n'est pas d'accord, car selon lui c'était le chômage et non l'inflation qui constituait un problème. À son avis, l'inflation ralentissait à cette époque et, de toute façon, les coûts économi- ques et sociaux du chômage étaient plus élevés que ceux de l'inflation.
À posteriori, ou pourrait peut-être confirmer maintenant que l'inflation diminuait, mais j'ac- cepte la preuve indiquant qu'il était raisonnable de penser, d'un point de vue économique, que l'infla- tion était à cette époque un problème qui nécessi- tait l'intervention du gouvernement. La preuve révèle que l'inflation des prix et des salaires avait dépassé dix pour cent; que le taux d'inflation était plus élevé au Canada qu'aux États-Unis et que l'économie réagissait lentement aux politiques de restrictions monétaires et fiscales en vigueur depuis 1979.
J'accepte aussi les témoignages indiquant que le gouvernement avait le choix entre deux séries de mesures pour régler le problème de l'inflation: (1) une politique de restrictions fiscales et monétaires et (2) des mesures de contrôle des prix et des salaires. En ce qui a trait à la deuxième option des témoignages contradictoires ont été donnés sur l'efficacité des mesures de contrôle dans le cadre de l'économie canadienne; ils portaient sur des mesures de contrôle générales, applicables à l'en- semble ou au moins à une large partie de l'écono- mie canadienne. D'après le professeur Ascah, ces mesures ne pourraient jamais être efficaces pour contrôler l'inflation parce que l'économie cana- dienne est petite et ouverte; une grande partie de sa production est exportée (25,4 % en 1982) et une grande partie de ses achats sont importés (25,9 % en 1982): les taux d'intérêt sont également fixés dans une large mesure sur le marché international. Il a souligné le programme de la Commission de lutte contre l'inflation en vigueur de 1975 à 1978 à titre d'exemple de l'inefficacité des programmes de contrôle au Canada. Alors que le programme de lutte contre l'inflation limitait les salaires, la réduction de l'inflation générale n'était pas évi- dente, principalement à cause des hausses exogè- nes des prix des aliments et des coûts de l'énergie.
Par ailleurs, le professeur McCallum dit que [TRADUCTION] «si d'une manière générale les principaux économistes canadiens ne sont pas en faveur des contrôles parce qu'ils préfèrent les mar- chés libres, ceux-ci ont au moins reconnu qu'ils peuvent à l'occasion être nécessaires ou utiles». Ainsi, le professeur Lipsey, auteur d'un mémoire préparé en 1975 pour le Congrès du travail du Canada et attaquant le programme de lutte contre l'inflation, avait changé d'avis en 1981 et se disait prêt à appuyer les contrôles:
[TRADUCTION] Si les politiques actuelles ne donnaient pas de résultats, je serais prêt à essayer des mesures de contrôle dans le cadre d'un ensemble complet de politiques ... Ces mesures pourraient évidemment entraîner des problèmes d'ordre consti- tutionnel et vraisemblablement, une forte opposition des syndi- cats. La philosophie de l'ancienne Commission de lutte contre l'inflation était fondée sur l'hypothèse que les prix ont tendance à suivre les salaires, dans les conditions normales du marché, et que la même chose se produirait dans des conditions anormales de restrictions salariales. La Commission de lutte contre l'infla- tion a obtenu quelques succès modestes dans la limitation des salaires, mais le fait que les prix n'ont pas suivi les salaires illustre bien l'avertissement de Lucas selon laquelle il ne faut pas s'attendre que les relations empiriques établies dans le
cadre d'une politique se maintiennent dans le cadre d'une autre politique ...
R.G. Lipsey, The understanding and control of inflation: is there a crisis in macroeconomics? Can. J. Ec., Vol. XIV, no. 3, Aug. 1981, page 545, la page 569.
J'accepte le témoignage du professeur McCal- lum selon lequel:
[TRADUCTION] ... toutes les études concluent que les mesures de lutte contre l'inflation ont eu un effet négatif important sur l'inflation des salaires; habituellement, il est estimé que le programme de lutte contre l'inflation a réduit les règlements salariaux d'environ 2 à 4 % dans chacune des trois années du programme. De plus, les études les plus récentes ... ont également cherché à vérifier s'il y a eu un effet de gonflement des demandes après la levée des contrôles. Y a-t-il eu un niveau anormalement élevé de règlements salariaux ou un effet de rattrapage immédiatement après la levée des contrôles? Les trois études susmentionnées concluent que non.
. Les économistes canadiens sont généralement d'accord pour dire que les mesures de lutte contre l'inflation ont eu un effet négatif important sur l'inflation des salaires.
Le professeur McCallum convient avec le pro- fesseur Ascah que leurs incidences globales sur l'inflation ont été décevantes à cause des hausses des prix alimentaires et des coûts de l'énergie au cours des années visées. Toutefois, ces deux écono- mistes conviennent que, sans le programme de lutte contre l'inflation, le taux général d'inflation au cours de ces années aurait été plus élevé.
Il ressort pourtant clairement de la preuve que la politique monétaire et non les contrôles des prix et des salaires est le meilleur moyen de combattre l'inflation. Les contrôles des prix et des salaires sont tout au plus des mesures complémentaires. Je cite encore le témoignage du professeur McCal- lum:
[TRADUCTION] ... les contrôles ne remplacent pas les «restric- tions monétaires«, au sens de diminution du taux de croissance de la masse monétaire. En définitive, la croissance de la masse monétaire doit diminuer avec l'inflation, mais le but des contrô- les est d'accélérer, de force, la baisse de l'inflation, afin d'éviter ou de limiter la récession qui serait autrement nécessaire ... Ainsi on peut considérer que les contrôles remplacent la réces- sion et l'augmentation du taux de chômage qui sont générale- ment les conséquences indésirables d'une politique de restric tions monétaires.
Le professeur Lipsey, dans son article précité a exprimé la même opinion à la page 570:
[TRADUCTION] ... les contrôles des prix et des salaires peuvent ... être utilisés pour tenter de réduire l'inertie inflationniste et réaliser ce que, d'après les principes keynésiens, le marché libre ne peut faire facilement, c'est-à-dire réduire rapidement l'infla- tion des salaires pour l'aligner sur un taux d'inflation beaucoup moins élevé, atteint grâce à des politiques monétaires et fisca-
les. (Nous ne disposons d'aucune expérience pratique qui per- mette de montrer comment ces contrôles peuvent donner des résultats dans le cadre d'un programme global, mais l'expé- rience a amplement démontré qu'utilisés seuls, ils n'ont aucun effet durable sur le niveau des prix.)
Je tiens à préciser que ... les politiques en matière de revenu sont inutiles (et coûteuses) lorsqu'elles sont utilisées de façon isolée. L'ensemble des mesures doit comprendre de plus grandes restrictions monétaires et fiscales pour assurer que l'augmenta- tion de la demande monétaire globale correspond au taux réduit d'inflation qui découle temporairement des contrôles.
Le professeur Purvis ajoute:
[TRADUCTION] Il n'y a qu'une seule manière de réduire dura- blement le taux d'inflation d'une économie: en ralentissant le taux de croissance de la demande nominale dans l'économie en ralentissant le taux d'expansion de la masse monétaire ... par des restrictions monétaires.
Il dit, en outre, que si l'on choisit de recourir au contrôle des prix et des salaires:
[TRADUCTION] ... de telles politiques doivent être utilisées conjointement avec des restrictions monétaires, sinon elles sont vouées à l'échec.
De plus, le rôle du contrôle des prix et des salaires est de:
[TRADUCTION] ... réduire les inconvénients associés aux res trictions monétaires, c'est-à-dire réduire et limiter dans le temps le chômage qui résulte de la période de réduction de l'inflation.
Ainsi, il semble raisonnable de conclure qu'un programme général de contrôle des prix et des salaires peut être une politique économique raison- nable comme mesure supplémentaire ou complé- mentaire à un programme global de restrictions monétaires. Il reste la question de savoir si le programme sélectif du gouvernement, qui s'appli- quait uniquement aux fonctionnaires, constituait une mesure économique raisonnable.
Souvent le meilleur moyen d'évaluer le caractère raisonnable d'un programme, d'un point de vue économique est d'en examiner les effets réels. Donc, si l'on pouvait démontrer que le programme a effectivement ou même probablement réduit le chômage, cela pourrait constituer un facteur important pour en faire ressortir le caractère éco- nomique raisonnable. Toutefois, en l'espèce, nous ne disposons d'aucune preuve à ce sujet. Il ressort clairement de la preuve que la diminution réelle de l'inflation est due à la récession mondiale et non au programme du 6 et 5 du gouvernement.
Les économistes cités par les défendeurs ont témoigné de la manière suivante:
Le professeur McCallum:
[TRADUCTION] Aucune méthode sûre ou «scientifique» ne permet de dire dans quelle mesure la diminution de l'inflation est due à la récession ou au 6 et 5.
... il est possible que le programme ait eu un effet psychologi- que favorable en réduisant les attentes des particuliers.
... tout ce que l'on peut dire c'est qu'il est possible que le 6 et 5 ait eu un certain effet.
Le professeur Purvis:
[TRADUCTION] ... la politique peut avoir permis de réduire l'inflation plus rapidement et sans augmentation importante du chômage.
Ce sont les affirmations les plus fortes de tous les témoignages des économistes sur les effets réels du programme gouvernemental. Évidemment, les professeurs Watson et Ascah ont vigoureusement soutenu la thèse contraire. En fait, le professeur Watkins estime que le programme a fait empirer la situation parce qu'il a aggravé la récession. D'après l'ensemble des témoignages qui ont été présentés, il semble raisonnable de conclure que le programme du 6 et 5 du gouvernement n'a pas joué un grand rôle dans la réduction réelle de l'inflation.
Toutefois, ceci étant dit, il ne faut pas conclure pour autant que le programme n'était pas une décision économique raisonnable au moment elle a été prise. Le caractère raisonnable n'exige pas la clairvoyance et l'aptitude à prévoir exacte- ment ce qui se produira réellement. Ce qui est pertinent, c'est le moment auquel la décision a été prise.
Les professeurs McCallum et Purvis soutiennent que, au moment de sa mise en œuvre, le pro gramme du 6 et 5 pouvait être qualifié de mesure économique raisonnable. Voici ce que dit le profes- seur Purvis:
[TRADUCTION] Au printemps 1982, lorsque le gouvernement élaborait son programme du 6 et 5, la situation économique était telle qu'on pouvait raisonnablement penser que les contrô- les pourraient jouer un rôle constructif en aidant à réduire le taux d'inflation.
... le programme du 6 et 5 semble avoir été un programme raisonnable. En contrôlant directement certains salaires dans l'économie (c'est-à-dire les salaires du secteur public fédéral, au sens large) et en mettant sur pied une campagne importante pour promouvoir la coopération volontaire du secteur privé, le programme pouvait être de toute évidence un complément
positif à une politique rigoureuse de restrictions monétaires et peut avoir aidé à réduire l'inflation plus rapidement sans créer plus de chômage.
Le professeur McCallum:
[TRADUCTION] Toutefois, je crois qu'il est juste de dire qu'au moment de la mise en vigueur du 6 et 5, on pouvait raisonna- blement croire que le programme aiderait à réduire l'inflation.
Les professeurs Watkins et Ascah sont d'avis con- traire. Ils soulignent que la Loi sur les restrictions ne visait que 5 % de la main-d'oeuvre. Ils souli- gnent en outre que même dans le cadre d'un effort global visant à promouvoir des restrictions volon- taires de salaire, on ne pouvait s'attendre à ce que la Loi sur les restrictions réussisse à réduire l'infla- tion à cause du peu de succès des programmes volontaires.
La conclusion selon laquelle les programmes volontaires sont voués à l'échec, du moins dans le contexte de l'économie canadienne et de son sys- tème décentralisé de relations de travail, était par- tagée par les professeurs Ascah, , Watkins et McCallum. Le professeur Ascah a appelé notre attention sur le fait qu'en 1982, le professeur McCallum, dans un article écrit en collaboration avec un collègue, disait ceci:
[TRADUCTION] Il devrait être clair que nous ne proposons pas un programme qui se limite au contrôle des salaires du secteur public du genre de celui qui a été adopté en Colombie-Britanni- que en 1982 ... Le contrôle des salaires du secteur public ne suffit pas à lui seul pour avoir un effet sur l'inflation et il ne semble pas souhaitable non plus de viser uniquement les fonc- tionnaires dans le cadre du contrôle des salaires, alors que le secteur public a accusé un certain retard sur le secteur privé en terme de règlements salariaux en 1981 et au début de 1982. Barber and McCallum. «Controlling Inflation.» The Canadian Institute for Economic Policy, 1982, à la page 100.
Le professeur McCallum a expliqué que, lors- qu'il a écrit cet article, il défendait une position alors que, lorsqu'il a témoigné en l'espèce, il a tenté d'être plus objectif.
Les professeurs Ascah et Watkins soutiennent que la Loi sur les restrictions était une mystifica tion destinée à donner l'impression que des mesu- res étaient prises sans que l'on puisse raisonnable- ment s'attendre en fait à ce qu'elles donnent des résultats. Les professeurs McCallum et Purvis sou- tiennent que la Loi sur les restrictions a pu avoir un certain effet psychologique sur lequel on pou- vait raisonnablement compter pour aider à réduire
l'inflation, c'est-à-dire l'effet psychologique néces- saire pour diminuer les inerties et les attentes. Selon le professeur Ascah, on ne pouvait raisonna- blement s'attendre à ce qu'une loi très limitée (applicable à seulement 5 % de la main-d'oeuvre) ait cet effet psychologique de «douche froide» parce qu'elle ne pouvait pas être considérée comme un effort sérieux de la part du gouvernement pour contrôler l'ensemble des salaires. Le professeur Ascah a qualifié le programme de décision politi- que sans fondement économique. Le professeur Watkins pense que la loi a été adoptée avec l'ar- rière-pensée d'affaiblir les syndicats de la Fonction publique.
Il ressort clairement de tous ces témoignages et des déclarations faites par les ministres à la Cham- bre des communes que l'intention du gouverne- ment, en présentant la Loi sur les restrictions, était tout au plus d'adopter cette mesure pour son effet indirect et non comme mesure économique directe destinée à réduire l'inflation. Le vice-premier ministre et ministre des Finances a déclaré:
On ne peut attendre du secteur privé et des provinces qu'ils acceptent de restreindre les revenus si le gouvernement du Canada ne montre pas l'exemple dans ses propres affaires. Le gouvernement a donc décidé de montrer la voie en appliquant la stratégie proposée dans le secteur public fédéral pendant deux ans...
J'aimerais souligner qu'aux yeux du gouvernement, les employés du secteur public fédéral ne sont pas plus responsa- bles de l'inflation qu'un autre groupe de la société. Ils se sont efforcés eux aussi de rattraper la hausse des prix, mais leur revenu n'a pas augmenté davantage et il a souvent augmenté plutôt moins que celui des employés des autres secteurs ... Si les autres secteurs suivent notre exemple, les employés fédéraux s'en tireront aussi bien que les autres. (C'est moi qui souligne.)
Débats de la Chambre des communes, le 28 juin 1982, à la page 18878.
Les déclarations du ministre selon lesquelles les employés fédéraux n'ont pas contribué à faire aug- menter l'inflation plus qu'un autre groupe, et leurs augmentations de salaire ces dernières années ont accusé un retard sur le secteur privé en général, ont été confirmées par les témoignages des profes- seurs Ascah et McCallum. Le fait que les employés fédéraux jouissent d'une plus grande sécurité d'emploi que les employés du secteur privé est un facteur que le ministre n'a pas souligné mais qui ressort des témoignages. Le professeur McCal- lum a déclaré que le niveau moyen d'emploi avait baissé de 3% de 1981à 1982 pour l'économie dans
son ensemble, mais s'était accru de 0,9%, de 1981 à 1982, dans le secteur gouvernemental.
Le président du conseil du Trésor, parlant de la loi, dit ceci:
Tous se sont rendu compte du besoin impérieux pour le gouver- nement fédéral d'accentuer la portée anti-inflationniste de sa politique économique en prenant plus vigoureusement l'initia- tive en matière salariale. Le Programme des restrictions sala- riales au sein de la Fonction publique fédérale ne peut pas à lui seul résoudre tous les problèmes économiques qui accablent les Canadiens. Il constitue plut8t un exemple national sérieux et frappant que tous les Canadiens, employeurs et employés, pris individuellement ou collectivement, doivent imiter s'ils tiennent le moindrement à maintenir leur position concurrentielle à l'étranger et, par le fait même, leur niveau de vie au pays. (C'est moi qui souligne.)
Débats de la Chambre des communes, le 9 juillet 1982, à la page 19182.
Ainsi, la Loi sur les restrictions devait servir d'exemple et non de levier économique direct pour combattre l'inflation. Tout au plus, elle semble avoir été conçue pour créer certains effets psycho- logiques et réduire les attentes.
Après avoir traité de la justification économique de la Loi sur les restrictions, il faut maintenant examiner la question juridique et se poser la ques tion de savoir si une telle mesure peut satisfaire aux exigences du critère que prévoit l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. D'après moi, elle ne le peut pas. Si la liberté de négocier collectivement était un droit garanti dans la Constitution, je déciderais que la Loi sur les restrictions ne constitue pas une «limite raisonna- ble ... dont la justification puisse se démontrer» au sens de l'article 1.
Dans son argumentation, l'avocat des défen- deurs a semblé définir le critère que prévoit l'arti- cle 1 comme exigeant une mesure législative édic- tée par le Parlement qui aurait un fondement raisonnable. Il semble que la Cour divisionnaire de l'Ontario a appliqué ce critère dans l'affaire Broadway Manor (précitée). Je crois qu'il est nécessaire d'avoir un critère plus rigoureux, du moins lorsqu'on traite de restrictions aux libertés fondamentales garanties par l'article 2. Il ne faut pas oublier qu'en vertu de l'article 33, le Parle- ment peut expressément passer outre aux droits garantis à l'article 2. Si l'article 1 n'exigeait rien d'autre qu'un certain fondement législatif raison- nable, l'article 33 n'aurait plus de raison d'être, à moins de supposer que le Parlement pourrait déli-
bérément décider de légiférer sans fondement raisonnable.
Il se peut très bien que le critère à appliquer pour satisfaire aux exigences de l'article 1 change selon le genre de droit auquel une restriction est apportée. Toutefois, je crois que le critère exigé pour justifier l'abrogation d'un droit fondamental est très rigoureux. En l'espèce, je ne crois pas que les avantages que peut procurer la Loi sur les restrictions du gouvernement à la société dans son ensemble soient suffisamment importants pour jus- tifier la limitation de droits individuels garantis par la Constitution. A cet égard, je soulignerais qu'il faut plus qu'une «limite raisonnable». L'ex- pression «dont la justification puisse se démontrer» requiert plus qu'un simple fondement raisonnable; elle exige plus que la démonstration que le Parle- ment jugeait la restriction justifiée—telle est la conséquence de l'obligation de satisfaire au critère de la «règle de droit» selon l'article 1. En l'espèce, la restriction, destinée à servir d'exemple ou, tout au plus, à jouer un rôle indirect dans la poursuite du but recherché (la réduction de l'inflation), ne satisfait pas aux exigences de l'article 1.
Il faut traiter d'un dernier point concernant les éléments de preuve soumis. La preuve écrite rédi- gée par le professeur Ascah a été présentée à titre de contre-preuve. L'avocat des défendeurs s'y est opposé pour le motif que la demanderesse fraction- nait sa preuve. J'ai alors pris la question en déli- béré. Après avoir lu attentivement le texte rédigé par le professeur Ascah, à la lumière des témoi- gnages d'experts qui ont été donnés par les témoins des défendeurs, je suis d'avis qu'une partie suffi- samment importante du texte est admissible à titre de contre-preuve pour que le texte soit entièrement recevable. Le reste tend à faire double emploi et est donc inutile, mais il ne s'agit pas d'un cas de fractionnement tel qu'il entraînerait l'irrecevabilité du texte.
Justice fondamentale—Charte des droits
Le deuxième argument principal de la demande- resse consiste à dire que la Loi sur les restrictions est invalide, parce qu'elle contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
L'argument est fondé sur l'hypothèse que le terme «liberté» à l'article 7 comprend la liberté de con- clure des contrats, et en particulier des contrats relatifs aux conditions d'emploi. On allègue que
(1) la Charte à titre de document constitutionnel devrait être interprétée largement et libéralement;
(2) la définition ordinaire que le dictionnaire donne au terme «liberté» va plus loin que la simple liberté physique et est suffisamment large pour comprendre le droit revendiqué; (3) le terme «liberté» à l'article 7 doit comprendre plus que la liberté physique, car celle-ci est adéquatement pro- tégée par les autres articles de la Charte, notam- ment les articles 8, 9, 10 et 12. Si cet argument était accepté, il serait également nécessaire de démontrer qu'il y a eu violation des principes de «justice fondamentale» afin de démontrer une vio lation de l'article 7. L'avocat de la demanderesse soutient que l'expression «justice fondamentale» à l'article 7 signifie plus que l'expression «justice naturelle» ou «équité dans la procédure» et que cette expression touche à des notions de fond. Il s'appuie sur la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Reference re Section 94(2) of the Motor Vehicle Act (1983), 147 D.L.R. (3d) 539 [aux pages 541 et 542]:
[TRADUCTION] Le procureur général a soutenu que l'expres- sion «les principes de justice fondamentale» devait correspondre aux principes de justice naturelle et a mentionné de Smith dans Judicial Review of Administrative Action; 4 e éd. (1980) ... à la p. 156:
Selon cette interprétation, l'article 7 a pour effet d'enchâsser les principes de justice naturelle dans la Constitution. Il s'agit certainement d'une façon de voir la question. Toutefois, elle ne tient pas compte de l'effet de l'art. 52 de la Loi constitution- nelle de 1982 qui peut être interprété comme apportant une modification fondamentale au rôle des tribunaux. La Déclara- tion des droits permettait aux tribunaux d'examiner le contenu des lois fédérales, mais parce que la Déclaration était une simple loi, son efficacité était gênée par le caractère également persuasif de la «présomption de validité» des lois fédérales. À notre avis, la Loi constitutionnelle de 1982 a ajouté une nouvelle dimension au rôle des tribunaux. Ceux-ci ont obtenu le pouvoir constitutionnel non seulement d'examiner la constitu- tionnalité de la loi et la présence des garanties en matière de procédure qu'exigent les règles de justice naturelle, mais aussi d'aller plus loin et d'étudier le contenu de la loi.
Par conséquent, la Cour a jugé que le paragraphe 94(2) de la Motor Vehicle Act [R.S.B.C. 1979, chap. 288, mod. par S.B.C. 1982, chap. 36, art. 19] de la Colombie-Britannique était inconstitu- tionnel. Ce paragraphe prévoyait que la conduite
sous interdiction ou sous suspension de permis constituait une infraction de responsabilité absolue à l'égard de laquelle la culpabilité était établie par la preuve de la conduite, que le défendeur soit ou non au courant de l'interdiction ou de la suspen sion. Voir également R. v. Stevens ( 1983), 145 D.L.R. (3d) 563 dans laquelle la Cour d'appel de l'Ontario a admis la page 565], «sans toutefois se prononcer sur ce point», que l'article 7 de la Charte permettait le contrôle judiciaire des dispo sitions de fond de la Loi.
On a allégué que la Loi sur les restrictions était contraire aux principes de justice fondamentale, comme notion de fond, à cause de sa nature discri- minatoire. C'est-à-dire qu'elle limitait les droits d'un groupe représentant 5 % de la population et dont les hausses de salaire avaient accusé un cer tain retard les années précédentes, alors que la probabilité que ces mesures de restriction permet- tent de réduire l'inflation ou de contribuer à sa réduction était tout au plus marginale.
L'avocat a reconnu que son argument, selon lequel l'article 7 comprend l'application régulière de la loi quant au fond, n'était pas facile à établir. En premier lieu, l'expression «principes de justice fondamentale» semble venir de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, à la page 923, a inter- prété cette expression comme correspondant essen- tiellement à l'application régulière de la procédure. En deuxième lieu, la preuve qui a été présentée devant le Comité mixte du Parlement sur la Cons titution portait que, de l'avis du moins des fonc- tionnaires du ministère de la Justice, l'expression «justice fondamentale» correspondait aux expres sions «application régulière de la procédure», «jus- tice naturelle» ou «équité dans la procédure». Voir: procès-verbaux du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitu tion du Canada, 27 janvier 1981, aux pages 46:32 et suivantes. L'avocat de la demanderesse estime que des réserves ont été apportées à ce point de vue par l'opinion exprimée à la page 46:33:
Il est possible, dans un contexte spécial, qu'on puisse accorder [aux principes de la justice fondamentale] une signification plus large,
Toutefois, cette citation est suivie de ceci:
... mais il n'existe aucune jurisprudence qui laisse croire que sa signification soit vraiment plus large que celle des principes de justice fondamentale énoncés dans les différentes décisions en droit civil.
De plus, deux décisions ont adopté un point de vue différent de celui de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans le renvoi sur la Motor Vehicle Act (précité). Dans R. v. Hayden, [1983] 6 W.W.R. 655, la Cour d'appel du Manitoba a jugé que l'article 7 de la Charte ne vise que l'équité dans la procédure; la Cour suprême de l'Ontario était du même avis dans l'arrêt Re Mason; Mason v. R. in Right of Can. (1983), 35 C.R. (3d) 393. Je souligne également que, dans le renvoi sur la Motor Vehicle Act, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique en mentionnant les observations de de Smith sur la justice naturelle, cite uniquement la page 156 de son ouvrage. L'au- teur dit à la page 157 que les expressions suivantes utilisées dans la jurisprudence et dans les textes de doctrine sont des synonymes de justice naturelle: « «justice inhérente» (substantial justice), «essence de la justice», (essence of justice), «justice fonda- mentale», «justice universelle», «justice rationnelle» (rational justice)...» (C'est moi qui souligne.) Il convient également de mentionner Hogg, Canada Act 1982 Annotated, (1982), à la page 28, et Beaudoin et Tarnopolsky, Charte canadienne des droits et libertés (1982), à la page 18. Selon ces ouvrages, l'article 7 se rapporte à l'équité dans la procédure.
L'opinion à retenir, à mon avis, est que l'article 7 ne se rapporte qu'à l'équité dans la procédure, mais de toute façon, je pense que l'ar- gument de l'avocat s'effondre dès le départ. En effet je ne crois pas que le terme «liberté» à l'article 7 comprend la liberté de conclure des contrats.
Je fonde cette conclusion sur les mêmes motifs essentiellement que le rejet de l'argument selon lequel la liberté d'association comprend la liberté de négocier. Les mots «vie, liberté et sécurité de [la] personne» ont déjà leurs traditions et leur histoire. On ne m'a cité aucune autorité à l'appui de la proposition selon laquelle la liberté de con- tracter s'est inscrite traditionnellement dans le cadre de la signification du terme «liberté».
De plus, le terme est marqué par le contexte dans lequel il est employé dans la Charte. Comme
l'a souligné l'avocat des défendeurs, l'article 7 semble être un article de portée générale, servant à introduire les sept articles qui suivent. Ceux-ci, y compris l'article 7, sont inscrits sous la rubrique «garanties juridiques». La liberté de contracter est un droit économique.
Voir également Beaudoin et Tarnopolsky, Charte canadienne des droits et libertés (1982), à la page 344:
Nous croyons que le terme «liberté» utilisé à l'article 7 doit être pris dans un sens assez restrictif; il s'agit de la liberté physique de la personne, de la liberté de disposer de son corps, de sa personne; dans ce contexte, le droit à la liberté ne peut signifier ale droit au libre exercice de l'activité humaine», la liberté contractuelle, la liberté de choix du mode de vie, la liberté professionnelle, etc ... Outre les atteintes à la liberté énumérées aux articles 8 à 10, sont des atteintes à la liberté les mesures visant à restreindre la libre disposition de son corps ou de sa personne physique y compris l'interdiction du suicide; sont des atteintes à la liberté les mesures visant l'imposition de traitements médicaux ou prophylactiques.
La jouissance des biens—L'application régulière de la loi—La Déclaration canadienne des droits
L'article 1 de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44, prévoit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister...
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi; (C'est moi qui souligne.)
L'avocat de la demanderesse soutient que les personnes visées dans les conventions collectives prévoyant des hausses salariales qui ont été «rédui- tes» par la Loi sur les restrictions (par exemple les groupes CR, ED et EU) ont été privées d'un bien sans application régulière de la loi. Il prétend que le droit à une augmentation de salaire fixée à une date ultérieure en vertu d'une convention collective en vigueur est un droit acquis et exécutoire affé- rent à un bien. Il soutient en outre que ce droit n'est pas essentiellement différent du genre de droit que détient le titulaire de la réversibilité sur un bien, durant l'existence du droit viager.
Je n'en suis pas convaincu, car le titulaire du droit réversible n'a aucune obligation à remplir. Il lui suffit d'exister pour obtenir le bien en cause. Toutefois, l'employé visé dans une convention col-
lective doit fournir les services auxquels il s'est engagé avant d'avoir droit à la rémunération.
De toute façon, l'expression «application régu- lière de la loi» dans la Déclaration canadienne des droits n'a pas été interprétée comme comprenant l'application quant au fond. Même si la Cour suprême a entrebaîllé la porte à cette interpréta- tion élargie, dans l'arrêt Curr c. La Reine, [ 1972] R.C.S. 889, aux pages 899 et 900, comme le soutient la demanderesse, la jurisprudence n'a pas ouvert la porte depuis lors. En fait, le juge en chef Laskin en rendant la décision de la majorité dans l'arrêt Curr a mis en garde, à la page 902, contre le fait de s'engager «dans le bourbier qu'est l'élabo- ration des principes directeurs en matière de légis- lation» en ce qui concerne la norme de l'application régulière de la loi en matière d'économie. Le pro- fesseur Tarnopolsky (tel était son titre), dans son livre The Canadian Bill of Rights (2c éd., 1975), aux pages 234 et 235, résume la jurisprudence sur ce point:
[TRADUCTION] Il ressort clairement des décisions étudiées dans cette partie que la clause de l'application régulière de la loi ne sera pas appliquée pour protéger les droits afférents aux biens touchés par l'expropriation fédérale et par les lois en matière de nationalisation, ou par les dispositions des lois fédérales portant confiscation résultant d'activités proscrites... le pouvoir d'expropriation est fondé sur des décisions politiques en matière d'économie qui devraient être laissées à la préroga- tive de l'appareil législatif .. .
J'estime qu'il s'agit d'une définition exacte de l'état du droit en matière d'interprétation de la clause de «l'application régulière de la loi» dans la Déclaration canadienne des droits. Toutefois, la clause de l'application régulière de la loi pourrait être invoquée si les procédures d'expropriation de ces biens étaient injustes ou pouvaient être mises en question.
Égalité devant la Loi—Déclaration canadienne des droits
L'article l b) prévoit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister...
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi ...
On soutient que la Loi sur les restrictions viole ce droit parce qu'elle différencie les fonctionnaires fédéraux en leur imposant des restrictions particu- lières sans motifs raisonnables. L'argument con- siste à dire que la loi est capricieuse et arbitraire parce qu'elle vise un groupe représentant 5 % de la main-d'oeuvre qui, de l'aveu général, n'était pas plus responsable de l'inflation qu'un autre groupe et dont les hausses de traitement aux cours des années précédentes avaient accusé un retard sur le secteur privé. On soutient, comme je l'ai men- tionné ci-dessus, que la loi avait pour but de créer l'illusion que le gouvernement prenait des mesures pour combattre l'inflation.
Il est bien entendu que ce volet de l'argumenta- tion de la demanderesse dépend de l'interprétation et de l'application des arrêts suivants de la Cour suprême: La Reine c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Le Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376 et MacKay c. La Reine, [ 1980] 2 R.C.S. 370.
Ces arrêts ne sont pas faciles à appliquer. Je prends comme point de départ la décision du juge Ritchie dans Procureur général du Canada c. Lavell à la page 1365:
... compte tenu des termes employés dans le second alinéa du préambule de la Déclaration des droits, l'expression «égalité devant la loi» se trouvant à l'art. 1 doit se lire dans son contexte, comme une partie du «règne du droit» auquel les termes de cet alinéa accordent une autorité prépondérante.
À cet égard, je me réfère à Stephens Commentaries on the Laws of England, 21 » éd. 1950, il est dit dans le Vol. III, à la p. 337:
[TRADUCTION] Ainsi le grand spécialiste en droit constitu- tionnel, Dicey, qui écrivait en 1885, était si profondément impressionné par l'absence de gouvernements arbitraires, tant à l'époque que dans le passé, qu'il a créé l'expression «the rule of law» (le règne du droit) pour parler du régime sous lequel vivait l'Anglais; et il a tenté de la préciser dans les termes suivants, qui ont exercé une profonde influence sur toute la pensée et la conduite subséquente.
«Que le «règne du droit» qui constitue un principe fonda- mental de la constitution a trois sens, ou peut-être envisagé sous trois points de vue différents...»
Le second sens proposé par Dicey est celui qui nous occupe ici et il l'a couché dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Un autre sens est celui d'égalité devant la loi ou d'assujettissement égal de toutes les classes au droit commun du pays appliqué par les tribunaux ordinaires; le «règne du droit», dans ce sens, exclut l'idée d'une exemption de fonctionnaires ou d'autres personnes du devoir d'obéis-
sape à la loi auquel sont assujettis les autres citoyens, ou de la compétence des tribunaux ordinaires. [C'est moi qui souligne.]
Toutefois, il ressort de la décision du juge Ritchie, parlant au nom de la Cour dans l'arrêt La Reine c. Drybones (précité), et de la décision du juge Martland, parlant au nom de la Cour dans l'arrêt R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693, un autre aspect du concept de l'«égalité devant la loi». Le juge Martland précise ce deuxième aspect aux pages 707 et 708 de l'arrêt Burnshine.
À mon avis, il n'appartient pas à cette Cour, sous le régime de la Déclaration des droits, d'empêcher l'application d'un texte législatif fédéral, conçu à cette fin, pour le motif qu'il ne s'applique qu'à une catégorie de personnes, ou à une région particulière.
Les termes employés par le Juge Laskin dans un contexte un peu différent, dans l'arrêt Curr c. La Reine (précité) à la p. 899, peuvent avoir application ici. Il examinait l'étendue du pouvoir que cette Cour pouvait avoir, sous le régime de l'al. a) de l'art. 1 de la Déclaration des droits, la disposition relative à «l'application régulière de la loi», de contrôler les dispositions de fond de la législation fédérale. Il a dit, en supposant que ce pouvoir pouvait exister,
... il faudrait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une compétence confé- rée par la loi (par opposition à une compétence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément aux principes du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de l'exercice du pouvoir législa- tif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
À mon avis, pour qu'il ait gain de cause en la présente affaire, il serait nécessaire, au moins, que l'intimé établisse à la satisfaction de la Cour qu'en adoptant l'art. 150 le Parlement ne cherchait pas l'accomplissement d'un objectif fédéral régu- lier. Cela n'a pas été établi et on n'a pas tenté de le faire.
La Cour suprême a appliqué le critère de l'ob- jectif fédéral régulier dans l'arrêt Praia (précité) et dans l'arrêt MacKay (précité). Il semble que l'avocat des défendeurs a allégué que, pour satis- faire aux exigences de ce critère, il suffisait d'ap- pliquer le concept de Dicey de «l'égalité devant la loi» tel qu'il a été décrit ci-dessus par le juge Ritchie dans l'arrêt Lavell ou les principes géné- raux de droit constitutionnel établis par les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1). Quelles que soient les exigences de ce critère, elles ne correspondent pas à ces deux concepts. Comme je l'ai mentionné
ci-dessus, la doctrine et la jurisprudence, la déci- sion de la Cour suprême dans l'arrêt Drybones (précité) et plus particulièrement la décision du juge Martland dans l'arrêt Burnshine indiquent qu'il s'agit d'un volet supplémentaire qui ne corres pond pas aux exigences définies par Dicey au sujet de «l'égalité devant la loi». S'il s'agissait unique- ment de validité au sens de conformité avec les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour suprême aurait seulement dit que cet article de la Déclaration des droits était destiné à jouer le même rôle que la Loi constitutionnelle de 1867. De toute évidence, il ne peut avoir été conçu pour jouer un rôle purement décoratif.
La décision du juge Martland dans l'arrêt Burnshine (précité), à la page 707, donne certaines indications quant à l'interprétation que la jurispru dence donne, dans ce contexte, à l'expression «objectif fédéral régulier». Il semble dire qu'un traitement distinct imposé à un groupe de person- nes, selon l'âge ou la région, n'est pas contraire à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits, mais qu'il pourrait avoir cet effet s'il y avait des «raisons convaincantes» pour persuader la cour que le traitement distinct est plus sévère que celui que prévoit généralement la loi et que ce traite- ment n'est pas validement justifié (c'est-à-dire ne constitue pas un objectif fédéral régulier). On peut retrouver l'origine de ce critère dans la décision du juge Ritchie dans l'arrêt Drybones (précité), à la page 297. Il découle également de l'arrêt Burnshine la Cour a jugé que la loi en question, bien qu'elle traitât différemment des personnes âgées de moins de 22 ans, avait pour fin de tenter de redresser et d'avantager ces personnes. C'est aussi la conclusion qui semble ressortir de la décision de la majorité dans l'arrêt MacKay (précité). Dans cette affaire, il était question du traitement distinct du personnel militaire en vertu du droit militaire et devant des tribunaux militaires. Le juge Ritchie a dit à la page 398:
On reconnaît depuis toujours la nécessité d'appliquer un code distinct au sein des forces armées comme un ingrédient essentiel de la vie militaire .. .
et à la page 400:
On voit donc, comme je l'ai dit, que la Loi sur la défense nationale vise une catégorie particulière d'individus et, comme elle est adoptée en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier, les dispositions de l'al. l b) de la Déclaration canadienne des droits ne requièrent pas qu'elle se conforme aux mêmes exigences que les autres lois fédérales.
À mon avis, le juge McIntyre, à la page 407, dit essentiellement la même chose dans des termes différents bien qu'il applique un critère plus strict.
Je suis d'avis, cependant, qu'au minimum, il faudrait se demander si l'on a créé l'inégalité en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral constitutionnel et régulier, si elle a été créée rationnellement en ce sens qu'elle n'est ni arbitraire ni fantaisiste et ne tire son origine d'aucun motif inavoué ou contraire aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits, et s'il s'agit d'une dérogation nécessaire au principe général de l'application universelle de la loi dans la recherche d'un objectif social nécessaire et souhaitable. Il se peut bien que les inégalités créées à ces fins soient acceptables aux termes de la Déclaration canadienne des droits.
La Loi sur les restrictions a-t-elle été adoptée dans la recherche d'un objectif fédéral régulier selon la définition que la jurisprudence donne à cette expression? L'avocat soutient que cette loi a un caractère particulièrement arbitraire parce que c'est l'employeur qui limite les droits des fonction- naires aux hausses de traitement, y compris celles qui avaient déjà été convenues. Toutefois, à mon avis, c'est cette caractéristique particulière qui rend la Loi valide. Je pourrais accepter qu'une loi limitant les hausses de traitement de «toutes les personnes aux yeux bleus» ou de «toutes les infir- mières» ou de tout autre groupe de la société choisi de façon arbitraire et dont il est démontré que les salaires ne constituent pas une cause importante de l'inflation, ne satisfait pas au critère d'un objectif fédéral régulier. Toutefois, en l'espèce, le gouver- nement légifère réellement à titre d'employeur. La situation n'est pas vraiment différente de celle de l'employeur qui annonce à ses employés que malgré les contrats négociés, la situation économi- que est telle qu'ils doivent accepter des réductions salariales parce que, sans ces réductions, l'entre- prise devra fermer ses portes. Évidemment, le gou- vernement n'est pas susceptible de faire faillite. C'est pour cela que les fonctionnaires ont une meilleure sécurité d'emploi que l'ensemble de la main-d'oeuvre et c'est peut-être aussi ce qui donne aux syndicats de la Fonction publique une base de négociation plus solide. De toute façon, même s'il subsiste des doutes, je décide que la relation employeur-employé qui existe entre le gouverne- ment et ceux qui contestent la Loi sur les restric tions en l'espèce, constitue un lien suffisant ou une justification suffisante pour satisfaire au critère de l'objectif fédéral régulier au sens que la jurispru dence donne à cette expression.
En conséquence, par ces motifs, l'action est rejetée.
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