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T-1385-82
John Dwight Ingle et Canadian Commercial Pro perties Inc. (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada représentée par le procureur général du Canada, Richard Hump- hreys, Lawrence Charles Savage, Harold Linton, Jack Finlayson, John Holmes, Kenneth Bennett (défendeurs)
Division de première instance, juge Muldoon— Toronto, 24 octobre 1983; Ottawa, 17 février 1984.
Compétence Division de première instance de la Cour fédérale Responsabilité délictuelle Négligence Inexé- cution d'une obligation légale Préposés ou mandataires de la Couronne Action en dommages-intérêts contre la Cou- ronne fédérale, le surintendant des assurances et les membres de son personnel Déclarations concernant les affaires d'une compagnie d'assurances faites de manière négligente Les défendeurs désignés individuellement veulent faire radier la partie de la déclaration qui les concerne Aucune action pour négligence ne peut être intentée contre les défendeurs désignés individuellement devant la Cour fédérale En l'absence d'une disposition expresse d'une loi fédérale déclarant personnelle- ment responsables les défendeurs désignés individuellement en raison d'un délit commis contre des particuliers, l'action doit être instruite devant les cours provinciales ayant compétence en matière civile ou en common law On ne peut trouver aucune disposition de ce genre dans la Loi sur le département des assurances, ni dans la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2P Supp.), chap. 10, art. 17(4)6), 50(1),(2),(3) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)a) Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1) Loi sur le département des assurances, S.R.C. 1970, chap. 1-17 Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, chap. 1-15 (mod. par S.R.C. 1970 (P 7 Supp.), chap. 19).
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Requête en suspension d'instance Les demandeurs poursuivent la Couronne fédérale, le surintendant des assurances et les mem- bres de son personnel pour des dommages qu'ils ont subis à la suite de déclarations faites de manière négligente concernant les affaires d'une compagnie d'assurances On ne peut trouver dans la Loi sur le département des assurances, ni dans la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanni- ques une disposition déclarant personnellement responsables les défendeurs désignés individuellement en raison d'un délit commis contre des particuliers Une telle action ne doit être instruite que devant les cours provinciales ayant compétence en matière civile ou en common law L'action dirigée contre les défendeurs désignés individuellement est rejetée Suspension d'instance contre la Couronne, l'art. 50(2) de la Loi sur la Cour fédérale obligeant la Cour à suspendre l'instance contre la Couronne quand une demande identique est pendante devant
un autre tribunal contre une personne agissant de façon à engager la responsabilité de la Couronne Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 17(4)b), 50(1),(2),(3) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,, Règle 419(1)a) Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1) Loi sur le département des assurances, S.R.C. 1970, chap. I-17 Loi sur les compa- gnies d'assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, chap. I-15 (mod. par S.R.C. 1970 (1°' Supp.), chap. 19).
Couronne Responsabilité délictuelle Négligence Action en dommages-intérêts contre la Couronne et des fonc- tionnaires Acquisition des actions d'une compagnie d'assu- rances sur la foi de déclarations qui auraient été faites de manière négligente Les préposés ou mandataires de la Couronne n'auraient pas procédé de façon adéquate à l'exa- men des affaires de la société Ils auraient fait preuve de négligence en autorisant le renouvellement de l'enregistrement Aucune loi fédérale ne déclare personnellement responsa- bles les défendeurs désignés individuellement en raison d'un délit commis contre des particuliers Ordonnance rejetant l'action intentée contre eux Les défendeurs initiaux sont aussi poursuivis devant la Cour suprême de l'Ontario L'action intentée contre la Couronne devant la Cour fédérale en vertu de l'art. 50(2) est suspendue parce que le demandeur a introduit devant un autre tribunal une action qui est pendante contre une personne agissant de façon à engager la responsabi- lité de la Couronne Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 50(2).
La première requête produite en l'espèce par les défendeurs désignés individuellement vise à obtenir la radiation de la déclaration présentée contre eux; la seconde vise à obtenir la suspension des procédures contre tous les défendeurs. Les demandeurs poursuivent Sa Majesté la Reine, le surintendant des assurances et les membres de son personnel afin d'être indemnisés pour les dommages qu'ils auraient subis en se fondant sur des déclarations faites de manière négligente lors de l'acquisition des actions d'une compagnie d'assurances. Selon eux, les défendeurs désignés individuellement sont des préposés ou mandataires de Sa Majesté et ont agi de façon négligente et en violation de leur obligation légale en n'exami- nant pas de façon adéquate les affaires de la compagnie et en renouvelant son certificat et son enregistrement. Il s'agit de déterminer si l'action des demandeurs peut être intentée devant la Cour fédérale.
Jugement: la déclaration présentée contre les défendeurs désignés individuellement est radiée et les procédures intentées contre la Reine suspendues.
L'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale semble au premier abord conférer à cette Cour la compétence requise pour connaître de l'action en négligence intentée par les deman- deurs contre les défendeurs désignés individuellement. Toute- fois, en conformité avec la décision qu'a rendue la Cour suprême du Canada dans l'affaire Saskatchewan Wheat Pool, la Cour fédérale n'est compétente que si une loi fédérale déclare personnellement responsables les personnes qui sont dans la position des défendeurs désignés individuellement en raison d'un délit commis contre des particuliers, comme les demandeurs en l'espèce. Une telle disposition permettrait alors d'avoir recours à l'alinéa 17(4)b) pour intenter une action contre ces défendeurs désignés individuellement ou d'autres
personnes semblables. En l'absence de cette disposition, toute action de ce genre qui est intentée contre eux doit être instruite devant les cours provinciales ayant compétence en matière civile ou en common law. En l'espèce, mise à part la Loi sur la Cour fédérale elle-même, on ne peut trouver aucune disposition de ce genre dans la Loi sur le département des assurances, ni dans la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques, ni dans une autre disposition législative pertinente adoptée par le Parlement.
Quant à la question de la suspension des procédures, le paragraphe 50(2) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que la Cour doit suspendre les procédures relatives à une demande contre la Couronne s'il apparaît que le demandeur a intenté une action relative à la même demande contre «une personne qui, au moment la cause d'action alléguée dans cette action ou procédure a pris naissance, agissait en l'occurrence de telle façon qu'elle engageait la responsabilité de la Couronne». La preuve établit que les demandeurs ont engagé une action devant la Cour suprême de l'Ontario contre les défendeurs initiaux relativement à ce qui fait l'objet de la présente action. Suivant la jurisprudence, il est possible que la conduite reprochée aux défendeurs désignés individuellement, si elle est prouvée, engage la responsabilité de la Couronne devant la Cour fédé- rale. Or, étant donné que le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Division de première instance de la Cour fédérale une compétence exclusive dans tous les cas un redressement est demandé contre la Couronne, la responsabilité de cette dernière peut difficilement être engagée devant un autre tribunal, comme la Cour suprême de l'Ontario. En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de la Couronne, le paragraphe 50(2) ne peut donc pas vouloir dire qu'une suspen sion d'instance doit être demandée à la Cour puisqu'elle est le tribunal par excellence devant lequel on peut chercher à enga- ger la responsabilité de la Couronne. Toutefois, étant donné que le paragraphe 50(2) est libellé en termes impératifs, la demande intentée contre la Couronne doit être suspendue.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205; 143 D.L.R. (3d) 9.
DÉCISION APPLIQUÉE:
Tomossy c. Hammond, et autres, [1979] 2 C.F. 232; 13 C.P.C. 150 (l re inst.).
DÉCISION CITÉE:
Baird, et autres c. La Reine (1983), 148 D.L.R. (3d) 1; 48 N.R. 276 (C.F. Appel).
AVOCATS:
P. P. E. Du Vernet pour les demandeurs. P. A. Vita pour les défendeurs.
PROCUREURS:
E. A. Du Vernet, c.r., Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Les demandeurs poursui- vent Sa Majesté la Reine et les autres défendeurs, le surintendant des assurances, et les membres de son personnel (les défendeurs désignés individuel- lement). Ils veulent être indemnisés pour les dom- mages qu'ils auraient subis en se fondant sur des déclarations faites de manière négligente par les défendeurs au cours des négociations qui ont mené à l'acquisition des actions de Pitts Insurance Com pany (Pitts) et de sociétés associées. Les deman- deurs allèguent que les défendeurs désignés indivi- duellement sont les préposés ou mandataires de Sa Majesté et que, conjointement avec le ministre des Finances qui n'est pas mis en cause, [TRADUC- TION] «ils sont autorisés par la loi, uniquement lorsqu'ils se conforment à certaines conditions d'une année à l'autre, à constituer des compagnies à titre de compagnies d'assurances». Il convient ici de citer certains extraits de la déclaration afin d'apprécier la nature des poursuites intentées par les demandeurs contre les défendeurs. (Le rédac- teur du document désigne souvent le demandeur au singulier lorsque le contexte semble désigner le demandeur Ingle seul.)
Voici les extraits de la déclaration:
[TRADUCTION] 10. Au mois de juin 1981 et subséquemment, l'actionnaire principal et majoritaire de Pitts, Robert Trollop («Trollop») a cherché activement à vendre cette entreprise.
11. Au mois d'août 1981 ou à cette époque, le demandeur en l'espèce a engagé des discussions avec Trollop en vue d'acheter Pitts et, comme celle-ci a été autorisée à exploiter son entre- prise à la demande du surintendant des assurances, il a en même temps traiter et discuter avec le surintendant des assu rances Richard Humphreys et les membres de son personnel qui sont [les autres défendeurs désignés individuellement].
Puis, après avoir invoqué les déclarations faites par les défendeurs désignés individuellement et montré comment eux-mêmes se sont fondés sur ces décla- rations et comment ils ont découvert que les affai- res de Pitts étaient différentes de ce qu'on leur avait indiqué, les demandeurs allèguent:
[TRADUCTION] 18. Le demandeur affirme que les préposés ou mandataires de Sa Majesté n'ont pas procédé adéquatement à l'examen annuel des conditions et des affaires de Pitts, qu'ils n'ont ni découvert ni rapporté les opérations irrégulières ou conclues avec un lien de dépendance et qu'ils ont ainsi fait preuve de négligence et n'ont pas rempli leurs obligations légales, et, à cause de cela, les demandeurs ont subi des dommages.
19. Les préposés ou mandataires de Sa Majesté ont fait preuve de négligence en renouvelant ou en permettant que soient renouvelés à l'occasion ou en tout temps après le mois de mai 1981 le certificat et l'enregistrement de Pitts, et, à cause de cela, les demandeurs ont subi des dommages.
20. Les préposés ou mandataires de Sa Majesté n'ont pas rempli leurs obligations légales ni assumé leurs responsabilités en renouvelant ou en permettant que soient renouvelés à l'occa- sion ou en tout temps après le mois de mai 1981 le certificat et l'enregistrement de Pitts, et, à cause de cela, les demandeurs ont subi des dommages.
21. Les demandeurs ajoutent que [les défendeurs désignés individuellement] ont fait preuve de négligence tant personnel- lement qu'à titre de préposés ou mandataires de Sa Majesté, en faisant des déclarations inexactes concernant les affaires de Pitts, afin que les demandeurs se fondent sur ces déclarations inexactes ou en ne s'en préoccupant pas, déclarations sur lesquelles les demandeurs se sont fondés et qui les ont incités à conclure les accords susmentionnés, et, à cause de cela, les demandeurs ont subi des dommages.
La déclaration expose les faits. Les avocats des parties n'ont pas indiqué si celles-ci ont engagé une autre action à ce sujet ou si une telle action est pendante devant cette Cour. Les défendeurs dans la présente action n'ont pas encore plaidé. Les demandeurs ont présenté une requête visant l'ob- tention d'un jugement pour faute de défense mais cette requête n'a pas été débattue, la décision dépendant bien sûr du sort des requêtes déposées en même temps par les défendeurs devant la Cour.
La première requête présentée pour le compte des défendeurs désignés individuellement par voie d'un [TRADUCTION] «Avis de requête modifié» vise à obtenir une ordonnance fondée sur la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], radiant la déclaration et rejetant l'ac- tion intentée contre eux. Aucune preuve ne peut être reçue à l'occasion d'une demande fondée sur cette Règle.
Comme l'a déclaré le juge Mahoney dans l'af- faire Tomossy c. Hammond, et autres', l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale 2 paraît au premier abord conférer à cette Cour la compétence requise, parce que les demandeurs en l'espèce solli- citent manifestement un redressement contre les défendeurs désignés individuellement en raison, allègue-t-on, d'un délit ou d'une omission dans l'exercice de leurs fonctions de préposés de la
' [1979] 2 C.F. 232; 13 C.P.C. 150 (1" inst.). 2 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
Couronne. En Ontario, la présente action se déroule, les délits font partie de la common law en constante évolution et ils relèvent de la compétence de cette Cour en matière de common law lorsque la Couronne est partie à un litige.
Voici le raisonnement du juge Mahoney dans la décision Tomossy la page 233]:
La responsabilité personnelle d'un individu pour un délit qu'il a commis naît de la common law. Elle existe qu'il ait agi ou non dans le cadre de son emploi. Qu'un individu soit un préposé de la Couronne et ait commis un délit dans le cadre de cet emploi ne change rien au fondement juridique de sa responsabilité. Celle-ci n'est pas créée par les «lois du Canada. ou le «droit fédéral. tel que défini par les décisions McNamara et Quebec North Shore. La portée de ces décisions a été étudiée à fond par la Cour d'appel fédérale dans Associated Metals & Mine rals Corporation c. L'»Evie ([1978] 2 C.F. 710, aux pages 711 à 716, motifs du juge en chef Jackett) et il serait superflu de ma part de citer ou de résumer cette analyse.
Par conséquent, à moins d'une disposition quelcon- que d'une loi fédérale déclarant personnellement responsable les personnes qui sont dans la position des défendeurs désignés individuellement en raison d'un délit commis contre des particuliers, comme les demandeurs en l'espèce, une telle action doit être instruite devant les cours provinciales ayant compétence en matière civile ou en common law. Une telle disposition faisant partie d'une loi du Parlement permettrait alors d'avoir recours à l'ali- néa 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale pour intenter une action contre ces défendeurs désignés individuellement ou d'autres personnes semblables. Mise à part la Loi sur la Cour fédérale elle-même, on ne peut trouver aucune disposition de ce genre dans la Loi sur le département des assurances', ni dans la Loi sur les compagnies d'assurance cana- diennes et britanniques 4 ni dans une autre disposi tion législative pertinente adoptée par le Parle- ment.
Dans les motifs unanimes rédigés par le juge Dickson au mois de février 1983 dans l'arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pools, la Cour suprême du Canada a affirmé que
... la proposition selon laquelle toute infraction à une loi donne naissance à un droit d'action privé demeurait insoutenable 6 .
3 S.R.C. 1970, chap. I-17.
4 S.R.C. 1970, chap. I-15 (mod. par S.R.C. 1970 (1°' Supp.), chap. 19).
5 [1983] 1 R.C.S. 205; 143 D.L.R. (3d) 9.
6 Ibid., R.C.S., à la p. 217; D.L.R., à la p. 18.
Le juge Dickson a ajouté dans le même arrêt:
Du point de vue intellectuel, comme l'a dit le professeur Fleming, il est plus acceptable de considérer la violation d'une loi comme une preuve de négligence plutôt que de reconnaître l'existence d'un délit civil spécial de manquement à une obliga tion légale. Cela permet dans une certaine mesure d'éviter la recherche fictive de l'intention du législateur de créer une cause d'action civile, recherche qui a fait l'objet de tant de critiques en Angleterre. Cela permet en outre d'éviter l'application inflexible à une cause civile de la norme de conduite établie par le législateur pour les affaires criminelles. Glanville Williams estime, et je partage son avis, que lorsque la common law n'impose pas d'obligation de diligence, l'infraction à une loi pénale autre que la législation du travail ne doit, sauf disposi tion législative contraire, avoir aucune incidence sur la respon- sabilité civile. Comme je l'ai déjà indiqué, la législation du travail a historiquement été privilégiée à cet égard. Mais, si la doctrine de la responsabilité absolue est reconnue aux fins de certaines lois dans ce domaine, cela ne justifie pas son extension à d'autres domaines, surtout lorsqu'on considère le raisonne- ment peu convaincant qui appuie cette invention de juristes'.
Au sujet de l'inexécution des obligations légales qui donnerait ouverture à un recours civil dans l'affaire Saskatchewan Wheat Pool, le juge Dick- son a dit:
À supposer que le Parlement ait la compétence constitution- nelle nécessaire pour prévoir que quiconque subit un préjudice par suite d'une violation de la Loi sur les grains du Canada a un recours civil, le fait est qu'il ne l'a pas prévu. Il a simple- ment dit qu'une infraction à la Loi rend passible de certaines peines déterminées. Nous devons nous abstenir de toute conjec ture concernant l'intention inexprimée du Parlement. Lorsqu'il s'agit de déterminer si la violation doit entraîner d'autres conséquences juridiques, tout au plus nous pouvons examiner ce qui est dit expressément. En faisant semblant d'interpréter la Loi afin de décider si le Parlement a voulu créer un droit d'intenter une action civile, on risque, comme le dit si justement Glanville Williams, de se mettre à [TRADUCTION] «chercher ce qui ne s'y trouve pas», (précité, à la p. 244). La Loi sur les grains du Canada n'exprime pas l'intention d'accorder des dommages-intérêts au détenteur d'un récépissé d'élévateur ter minus qui reçoit du grain infesté provenant d'un élévateur».
Le dernier extrait cité des motifs du juge Dick- son accroît l'importance de la décision Tomossy 9 , bien que cela puisse être involontaire. Si le Parle- ment, qui ne possède ni ordinairement ni exclusive- ment le pouvoir constitutionnel d'adopter des lois relativement à la catégorie d'objets qu'on appelle propriété et droits civils, a prévu un recours civil personnel contre les fonctionnaires ou les préposés de la Couronne ou contre la Couronne elle-même, ces dispositions doivent figurer dans les lois perti-
' Ibid., R.C.S., aux pp. 222 et 223; D.L.R., à la p. 22.
8 Ibid., R.C.S., à la p. 226; D.L.R., à la p. 24.
9 Précité, note 1.
nentes du Parlement. Bien sûr, cela ne protège pas ces fonctionnaires ou préposés contre les actions en responsabilité délictuelle qui peuvent être intentées devant les cours provinciales de juridiction civile. Une fois de plus, cela ne protège même pas la Couronne du chef du Canada contre les actions en responsabilité délictuelle qui peuvent être intentées devant la Cour fédérale du Canada, compte tenu de l'effet combiné du paragraphe 3(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne 10 et des dispositions de la Loi sur la Cour fédérale". (La responsabilité de la Couronne à l'égard du fait d'autrui, dans les cas d'allégations de négligence contre ses préposés, fait l'objet d'un examen appro- fondi dans l'arrêt unanime de la Division d'appel de cette Cour Baird, et autres c. La Reine 12 rendu par le juge Le Dain le 23 juin 1983.) Cependant, cet état de choses déjà mentionné paraît protéger les fonctionnaires et les préposés de la Couronne personnellement contre les actions en responsabi- lité délictuelle intentées devant la Cour fédérale.
En conséquence, aucune action pour négligence ne peut être intentée devant cette Cour contre les défendeurs désignés individuellement et leur demande visant à obtenir, par voie d'ordonnance, la radiation de la déclaration et le rejet de l'action intentée contre eux doit être accueillie. Cependant, le délai dans lequel Sa Majesté doit produire et signifier une défense doit être prorogé afin de permettre aux demandeurs en l'espèce de modifier leur déclaration en raison de la «perte» des défen- deurs désignés individuellement.
Cette décision ne met pas un terme aux présen- tes procédures. L'avocat des défendeurs désignés individuellement, agissant désormais pour le compte de Sa Majesté, a inclus dans l'avis de requête modifié d'autres demandes qui ont égale- ment été débattues au cours de l'audition de la demande susmentionnée pour le compte desdits défendeurs. Bien sûr, la demande subsidiaire qui dépendait du sort de la première demande est mise à l'écart.
En conséquence, la demande suivante présentée pour le compte de Sa Majesté vise à obtenir, par
10 S.R.C. 1970, chap. C-38.
" Précité, note 2.
12 (1983), 148 D.L.R. (3d) 1; 48 N.R. 276 (C.F. Appel).
Aucune autre procédure d'appel n'a été engagée.
voie d'ordonnance, la radiation des termes «du chef du Canada représentée par le procureur général du Canada» dans l'intitulé de la présente action. L'avocat des demandeurs ne s'est pas opposé à cette demande et il en sera ordonné ainsi.
La demande suivante qui, semble-t-il, a été pré- sentée par l'avocat pour le compte de tous les défendeurs par suite de la première décision, mais désormais au nom de Sa Majesté seulement, vise à obtenir une suspension d'instance par voie d'ordon- nance en vertu des paragraphes 50(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale (précitée). L'action, je l'ai déjà dit, ne vise maintenant que Sa Majesté la Reine et la demande doit être examinée dans le contexte de ce fait nouveau. On peut apporter des preuves dans ces procédures.
Il ressort de l'affidavit supplémentaire d'Alan Stanley Davis, un avocat de Sa Majesté, que son bureau a reçu, dans une lettre envoyée au mois de septembre 1983 par les procureurs des deman- deurs, une copie d'un bref d'assignation émanant de la Cour suprême de l'Ontario en date du 26 février 1982. Ce bref indique que les deux mêmes demandeurs dans la présente instance ont engagé une action contre les mêmes défendeurs initiaux relativement à ce qui paraît faire l'objet de la présente action. Bien sûr, les défendeurs désignés individuellement ne sont maintenant poursuivis que devant la Cour suprême de l'Ontario, parce qu'ils ne sont plus parties à l'instance devant cette Cour. Il reste à voir si les demandeurs se désiste- ront maintenant de leur action contre Sa Majesté devant la cour ontarienne ou si Sa Majesté deman- dera à la cour ontarienne de n'être plus partie à la présente action.
Le paragraphe 50(2) de la Loi prévoit:
50....
(2) La Cour doit, à la demande du procureur général du Canada, suspendre les procédures dans toute affaire ou ques tion relative à une demande contre la Couronne s'il apparaît que le demandeur a intenté une action ou procédure judiciaire relative à la même demande contre une personne qui, au moment la cause d'action alléguée dans cette action ou procédure a pris naissance, agissait en l'occurrence de telle façon qu'elle engageait la responsabilité de la Couronne, et que cette action ou procédure est pendante devant un autre tribunal.
À la lumière de l'arrêt Baird (précité), chacun des défendeurs désignés individuellement semble cer- tainement être «une personne qui, au moment la
cause d'action alléguée dans cette action ou procé- dure [devant la Cour suprême de l'Ontario] a pris naissance, agissait en l'occurrence de telle façon qu'elle engageait la responsabilité de la Couronne». Ce paragraphe de la Loi doit être interprété car il ne précise pas devant quel tribunal la responsabi- lité de la Couronne est engagée ni si cet engage ment doit être considéré comme général dans l'es- pace et dans le temps, s'il existe vraiment. Suivant la jurisprudence, particulièrement l'arrêt Baird, il est possible que la conduite reprochée aux défen- deurs désignés individuellement, si elle est prouvée, engage effectivement la responsabilité de la Cou- ronne devant ce tribunal, la Cour fédérale. Cepen- dant, étant donné que les dispositions du paragra- phe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale confèrent à la Division de première instance une compétence exclusive en première instance dans tous les cas un redressement est demandé contre la Couronne, la responsabilité de cette dernière peut difficile- ment être engagée devant un autre tribunal, comme la Cour suprême de l'Ontario.
En ce qui concerne l'engagement de la responsa- bilité de la Couronne, le paragraphe 50(2) ne peut pas vouloir dire qu'une suspension d'instance doit être demandée à cette Cour si cette dernière doit être le tribunal auquel on s'adresse pour faire reconnaître cet engagement, car la Cour fédérale est le tribunal par excellence devant lequel on peut chercher à engager la responsabilité de la Cou- ronne du chef du Canada. Quoi qu'il en soit, l'expression entière «agissait en l'occurrence de telle façon qu'elle 'engageait la responsabilité de la Couronne» atténue la portée des termes «une per- sonne», contre laquelle une action ou une demande est pendante devant un autre tribunal. En l'espèce, cette expression désigne les défendeurs individuel- lement même s'ils ne sont plus parties à l'action intentée devant cette Cour.
Étant donné que le paragraphe est libellé en termes impératifs, la demande intentée contre la Couronne doit être suspendue.
Si la suspension vient à être levée en vertu du paragraphe 50(3), les demandeurs seront autorisés à modifier leur déclaration compte tenu du rejet de l'action intentée contre les défendeurs désignés individuellement et, après la signification de cette déclaration modifiée à la défenderesse qui reste,
celle-ci bénéficiera du délai habituel de 30 jours pour produire et signifier une défense.
Les demandeurs en l'espèce ont intenté une autre action devant la Cour suprême de l'Ontario concernant leurs négociations avec Pitts, mais cette action a été introduite contre des particuliers autres que ceux qui sont visés en l'espèce. Cette action ne semble pas mettre en cause les disposi tions de l'article 50, mais il n'y a pas lieu de trancher cette question maintenant, étant donné la suspension déjà ordonnée.
ORDONNANCE
1. LA COUR ORDONNE la radiation de la décla- ration et le rejet de la présente action unique- ment à l'égard des défendeurs Richard Humphreys, Lawrence Charles Savage, Harold Linton, Jack Finlayson, John Holmes et Ken- neth Bennett;
2. LA COUR ORDONNE EN OUTRE que les mots qui suivent l'expression «Sa Majesté la Reine» soient radiés de l'intitulé de la cause et que Sa Majesté soit appelée «défenderesse» (au singu- lier);
3. LA COUR ORDONNE EN OUTRE la suspension de la présente instance jusqu'à ce qu'il en soit ordonné autrement;
4. LA COUR STATUE EN OUTRE que si la suspen sion ordonnée vient à être levée,
(1) les demandeurs bénéficieront alors d'un délai de dix jours ouvrables pour modifier leur déclaration si cela peut être utile par suite du rejet de l'action intentée contre les défendeurs susmentionnés; et
(2) la défenderesse bénéficiera d'un délai de trente jours (immédiatement après le délai de dix jours prévu au paragraphe (1) qui pré- cède) pour produire une défense;
5. LA COUR STATUE EN OUTRE que la défende- resse Sa Majesté la Reine est fondée à recouvrer des demandeurs les frais de la présente demande et les faux frais, quel que soit le sort de la cause, et n'adjuge aucuns dépens aux défendeurs dési- gnés individuellement.
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