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T-9020-82
Sio Export Trading Co. (Maskinfabriken «Sio» A.S.), personne morale dont le siège est à Odense au Danemark, et A. Lakin and Sons Ltd., per- sonne morale dont le siège est à Chicago dans l'État d'Illinois, aux É.-U. (demanderesses)
c.
Navire Dart Europe et Armement Deppe S.A., personne morale dont le siège est à Anvers en Belgique, et Dart Containerline (Canada) N.V., personne morale dont le siège est à Anvers en Belgique, et Godin Transport Inc., personne morale dont le siège est à Pointe-Claire au Québec, Canada (défendeurs)
Division de première instance, juge Dubé—Mont- réal, 17 janvier; Ottawa, 20 janvier 1983.
Droit maritime Compétence Demande de rejet de l'action engagée contre la défenderesse Godin pour motif d'in- compétence Pendant l'escale prévue du navire à Montréal, la marchandise a été transportée du port à un atelier de réparation à l'intérieur du pays pour y être remballée La marchandise a subi des dommages dans un accident de la route pendant qu'elle était ramenée au port Les demande- resses allèguent que Godin a commis une négligence Le transport terrestre effectué par Godin ne fait pas partie inté- grante des activités maritimes essentielles au transport par voie maritime Le camionnage ne crée pas un lien direct entre le navire et le port Ni le voyage en camion ni les réparations n'étaient prévus dans le contrat de transport par mer Le camionnage sur les routes d'une province n'est pas considéré comme une activité maritime traditionnelle Le fait de ramener de la marchandise à un navire ne fait pas de ce voyage une matière de navigation et de marine marchande Les demandes intentées contre des transitaires ou des acconiers sont différentes car leurs activités sont essentielles et étroite- ment et matériellement liées à la mer et aux installations portuaires Il est souhaitable que toutes les parties intéres- sées à une même instance soient parties à la même action et en particulier la partie dont on soutient qu'elle est en faute Toutefois, si souhaitable que cela puisse être, cela ne saurait attribuer compétence à la Cour Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp,), chap. 10, art. 2, 22 Acte de l'Amirauté, 1891, S.C. 1891, chap. 29, art. 4.
Compétence Cour fédérale Droit maritime Trans port par mer Grosse machine expédiée dans un conteneur ouvert du Danemark à Chicago via Montréal On a constaté à Montréal que la marchandise avait subi des dommages La marchandise a été transportée à des ateliers pour y être remballée Elle a été endommagée de nouveau dans une collision au cours de son transport par route jusqu'au navire Négligence du voiturier alléguée Demande de rejet pour défaut de compétence Il s'agissait d'un voyage indirect, concernant des réparations, non prévu par le contrat de trans port par mer Le camionnage n'est pas une activité maritime traditionnelle Même s'il est souhaitable que le voiturier soit
constitué partie, cela ne saurait rendre la Cour compétente Requête accueillie.
En vertu de son connaissement, le Dart Europe devait trans porter un conteneur ouvert du Danemark à Chicago via Mont- réal. Une presse hydraulique se trouvait dans le conteneur. Lorsque le navire est arrivé à Montréal, la défenderesse Dart Containerline a constaté que la marchandise était endomma- gée; elle en a informé les demanderesses et elle a expédié la marchandise à une compagnie de Dorval (Québec) elle a été remballée. Le défendeur Godin, un voiturier, devait ramener la marchandise de Dorval jusqu'au port de Montréal. Pendant le trajet, la presse qui dépassait a subi des dommages lorsqu'elle a heurté un viaduc. Les demanderesses ont intenté une action au motif que Godin avait commis une négligence. Godin a demandé le rejet de l'action intentée contre lui au motif que la Cour fédérale n'était pas compétente pour en connaître. Les demanderesses ont soutenu pour leur part que la cause de la demande était suffisamment reliée au transport maritime de la marchandise pour être de la compétence d'amirauté de la Cour.
Jugement: l'action intentée contre Godin devrait être rejetée. Le transport terrestre effectué par Godin ne se rattachait pas d'assez près au transport par mer pour former partie intégrante des activités maritimes essentielles au transport du conteneur par mer. Ce cas est différent de ceux des actions intentées contre des transitaires maritimes ou contre des acconiers. Il existe un rapport étroit en pratique entre les activités de ces deux groupes et un transport maritime; elles en font partie intégrante. Ces activités sont non seulement essentielles mais aussi étroitement et matériellement liées à la mer et aux installations portuaires. Toutefois, il s'agit d'un tout autre cas lorsque, comme en l'espèce, un voiturier se rend, par la route, d'un atelier de réparation situé à l'intérieur du pays, à un port. Le voyage en camion ne créait pas de lien direct entre le navire et le port. Il s'agissait plutôt d'un voyage indirect. Ni le transport terrestre ni les réparations n'étaient prévus dans le contrat de transport du conteneur par mer. Le camionnage sur les routes d'une province n'est pas une activité maritime tradi- tionnelle et le simple fait que le camion ramenait un conteneur à son navire ne fait pas de ce voyage une matière de navigation ou de marine marchande.
Même s'il est souhaitable que toutes les parties intéressées à une instance soient parties à la même action et qu'il serait tout particulièrement préférable de constituer le voiturier partie à cette action, cela ne saurait attribuer à la Cour une compétence qu'elle n'a pas.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher, et autres, [1973] C.F. 1356 (CA.), infirmant [1973] C.F. 304 (l'e inst.); Barberlines A/S Barber Steamship Lines, Inc., et autres c. Ceres Stevedoring Company Ltd. et autre, [1974] 1 C.F. 332 (1'e inst.); Miida Electronics, Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et autre, [1982] 1 C.F. 406 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Executive Jet Aviation, Inc. v. City of Cleveland, Ohio, [1973] A.M.C. 1 (U.S.S.C.).
DÉCISION CITÉE:
Domestic Converters Corporation, et autres c. Arctic
Steamship Line, et autres, [1984] 1 C.F. 211 (C.A.).
AVOCATS:
Peter J. Cullen pour les demanderesses. Edouard Baudry pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour les demanderesses.
Lavery, O'Brien, Montréal, pour les défen- deurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: La défenderesse Godin Trans port Inc. («Godin») demande le rejet de l'action engagée contre elle pour motif d'incompétence de la Cour fédérale.
La déclaration soutient que Godin, un voiturier, a transporté la marchandise des demanderesses, en l'occurrence un conteneur ouvert chargé d'une presse à vulcaniser hydraulique, de Dorval (Québec) se trouve Pack -All Industries Limited, au port de Montréal. D'après la déclara- tion, la presse qui dépassait a heurté un viaduc et a subi des dommages considérables pendant le trans port en camion. Estimant que Godin a commis une négligence, les demanderesses ont intenté contre cette société une action en dommages-intérêts.
Le conteneur était arrivé au port de Montréal à bord du navire défendeur Dart Europe qui a émis un connaissement, en date du 11 décembre 1981, à Arhus au Danemark. Le connaissement direct sti- pulait que le conteneur serait expédié du Dane- mark à Chicago en Illinois (États-Unis) via Anvers (Belgique) et Montréal.
Lorsque le navire arriva à Montréal, la défende- resse Dart Containerline (Canada) N.V. constata la présence de certaines avaries à la marchandise; elle en avisa les demanderesses et fit procéder à une inspection puis, la marchandise étant à quai, la fit transporter jusqu'aux locaux de Pack -All Indus tries Limited pour qu'elle soit remise sur palettes, remballée et arrimée convenablement pour la poursuite du voyage, à destination de la demande- resse, A. Lakin and Sons Ltd., à Chicago. Ces opérations terminées, Godin ramena la marchan-
dise par camion jusqu'au port de Montréal. La collision avec le viaduc, mentionnée auparavant, eut lieu le 21 janvier 1982.
Godin soutient que la Cour ne peut connaître d'une action en responsabilité délictuelle pour le dommage que cause un voiturier sur une route du Québec. En revanche, les demanderesses font valoir que la cause de la demande est suffisam- ment reliée au transport maritime de la marchan- dise pour être de la compétence d'amirauté de la Cour.
Dans l'espèce The Robert Simpson Montreal Ltd. c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher, et autres', notre juridiction a statué que la Cour fédérale n'était pas compétente en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] pour connaître de la demande d'un armateur contre des transitaires. Toutefois en appel 2 , la Cour d'appel fédérale réforma ce juge- ment, disant que le déchargement d'un navire après un voyage océanique et la livraison à un transitaire étaient des activités «essentielles au transport des marchandises par voie maritime» et relevaient donc des dispositions concernant la «navigation ou de marine marchande» au paragra- phe 22(1) 3 de la Loi, sans qu'il soit nécessaire de se demander si les alinéas du paragraphe 22(2) seraient applicables. Le juge en chef Jackett dit la page 1363) que ces opérations faisaient «"partie intégrante des activités essentielles au transport des marchandises par voie maritime"» [traduction du jugement du juge Locke dans Re la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, [1955] R.C.S. 529, la page 578].
Dans l'espèce Barberlines AIS Barber Steam ship Lines, Inc., et autres c. Ceres Stevedoring Company Ltd. et autre 4 , le juge Mahoney a appli- qué cette décision et jugé que notre juridiction pouvait connaître d'une action en dommages-inté-
' [1973] C.F. 304 (1fe inst.).
2 [1973] C.F. 1356 (C.A.).
3 22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
4 [1974] 1 C.F. 332 (lfe inst.).
rêts engagée contre une compagnie d'acconiers pour les dommages causés aux marchandises qu'elle avait déchargées.
Dans l'arrêt Miida Electronics, Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et autre,' la Cour d'appel fédé- rale était de nouveau saisie de la question des transitaires. Des marchandises avaient été volées dans un entrepôt de transit. Il fallait décider si la Cour pouvait connaître de la demande. La majo- rité de la Cour jugea que oui. Le juge Le Dain modifia l'avis qu'il avait exprimé dans l'arrêt Domestic Converters 6 et jugea la page 417] qu'«en raison du rapport étroit existant en pratique entre le transit et l'exécution du contrat de trans port, le droit applicable devrait être uniforme par- tout au Canada». Il faisait siennes la page 418] les observations générales du juge Stewart de la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Execu tive Jet Aviation, Inc. v. City of Cleveland, Ohio': [TRADUCTION] «Bref, les tribunaux, le législateur et la doctrine ont, au cours des années, reconnu que pour déterminer s'il y a compétence maritime sur un délit ou une catégorie de délits donné, le recours au rapport du fait dommageable avec l'ac- tivité maritime classique est souvent plus sensé et s'accorde mieux avec les objectifs du droit mari time qu'une application automatique du critère du lieu.» Pour ces motifs, il jugea que la créance du propriétaire de la cargaison contre le transitaire était une question maritime aux termes de la défi- nition que donne du «droit maritime canadien» l'article 2 8 de la Loi sur la Cour fédérale. Le juge suppléant Lalande [aux pages 430 et 431] était aussi d'avis que la Cour fédérale pouvait connaître d'une demande formée contre un transitaire «parce qu'il s'agit d'une question "[se] rattachant" à la navigation et à la marine aux termes de l'article 4 de l'Acte de l'Amirauté, 1891» [S.C. 1891, chap. 29].
5 [1982] 1 C.F. 406 (C.A.).
6 [Domestic Converters Corporation, et, autres c. Arctic Steamship Line, et autres] [1984] 1 C.F. 211 (C.A.).
' [1973] A.M.C. 1 (U.S.S.C.) la page 10].
8 2....
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic- tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
À mon avis, le transport terrestre effectué par Godin de l'atelier de réparation de Dorval au port de Montréal ne peut être considéré comme «se rattachant d'assez près» au transport par mer pour former «partie intégrante» des activités maritimes essentielles au transport des marchandises par mer.
Je peux parfaitement concevoir qu'il existe un rapport étroit en pratique entre les transitaires maritimes et les acconiers et le transport maritime. Toutes ces activités font partie intégrante du trans port maritime. Elles sont non seulement essentiel- les, mais aussi étroitement et matériellement liées à la mer et aux installations portuaires.
Mais ce n'est pas le cas lorsqu'un voiturier se rend, par la route, d'un atelier de réparation situé à l'intérieur du pays, à un port. Ce voyage n'était pas prévu par le connaissement. Il n'y avait pas de lien direct comme il en existe entre le navire et le port; il s'agissait d'un voyage indirect, concernant des réparations, que le contrat de transport n'avait pas prévu. Le camionnage sur les routes d'une province n'a jamais été considéré comme «une activité maritime traditionnelle». Le simple fait que le véhicule ramenait un conteneur à son navire ne suffit pas pour faire de ce voyage «une matière de navigation ou de marine marchande».
Certes, il est souhaitable que toutes les parties intéressées à une même instance soient parties à la même action. Il est préférable de constituer parties à la même action le voiturier, le propriétaire de la cargaison, le chargeur, le transporteur maritime, le navire et le consignataire, surtout lorsqu'on sou- tient que c'est le voiturier qui est en faute, mais, si souhaitable que cela puisse être, cela ne saurait attribuer à la Cour une compétence qu'elle n'a pas. Il faudrait mettre à rude épreuve l'imagination de la Cour et la Constitution de notre pays pour pouvoir affirmer qu'un accident de la route, à l'intérieur d'une province, est une affaire d'ami- rauté de compétence fédérale.
Par tous ces motifs, l'action contre Godin est rejetée, pour défaut de compétence.
ORDONNANCE
La requête est accueillie. L'action contre la défenderesse Godin Transport Inc. est rejetée avec dépens.
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