Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1886-83
Frank L. Belliveau, détenu à la prison de Dorches- ter (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé-Hali- fax, 7 mai; Ottawa, 11 mai 1984.
Libération conditionnelle - Le demandeur en liberté sous surveillance obligatoire a été réincarcéré et a perdu sa réduc- tion de peine pour inobservation d'une condition de sa libéra- tion conditionnelle - Le demandeur allègue que le système de surveillance obligatoire est inconstitutionnel car il viole la Charte - Les dispositions relatives à la surveillance obliga- toire et à la perte de la réduction de peine que prévoit la Loi sur la libération conditionnelle de détenus constituent des «limites raisonnables» dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société démocratique au sens de l'art. 1 de la Charte et ne violent pas les dispositions de la Charte sur la liberté de la personne, la détention arbitraire ou les peines cruelles et inusitées - Il n'y a pas de «double peine» - Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 25), 13 (abrogé et remplacé idem, art. 27 et mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 16), 15 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28 et par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 26, item 5). 16 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29), 20 (mod. idem, art. 31) - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9, 10a), 11h), 12 - Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20 (abrogé et remplacé par DORS/81-487, art. 2).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Restriction - Libération conditionnelle - Les dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus relatives à la surveillance obligatoire et à la perte de la réduction de peine constituent des «limites raisonnables» à la liberté dans une société libre et démocratique - La Cour doit examiner le «caractère accepta ble» et non le mérite du programme - Les moyens sont proportionnés pour atteindre l'objectif - Ils ne sont pas contraires au bon sens - La surveillance obligatoire constitue une méthode pour contrôler la rentrée graduelle des détenus au sein de la collectivité tout en constituant une garantie pour la protection de celle-ci - Les restrictions imposées par le système sont raisonnables et justifiables dans une société démocratique - Loi sur la libération conditionnelle de déte- nus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 25), 13 (abrogé et remplacé idem, art. 27 et mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 16), 15 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28 et par S.C. 1977-78, chap. 22. art. 26, item 5), 16 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29), 20 (mod. idem, art. 31) - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9, 10a), 11h), 12 - Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20 (abrogé et remplacé par DORS/81-487, art. 2).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Vie, liberté et sécurité de la personne - Libération conditionnelle - Les dispositions de la Loi sur la libératioh conditionnelle de déte- nus relatives à la surveillance obligatoire et à la perte de la réduction de peine ne violent pas l'art. 7 de la Charte - Rien n'indique que les principes de justice fondamentale ont été ignorés dans la Loi ou qu'ils n'ont pas été observés dans l'application de cette dernière en l'espèce - Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 25), 13 (abrogé et remplacé idem, art. 27 et mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 16), 15 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28 et par S.C. 1977-78, chap. 12, art. 26, item 5), 16 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29), 20 (mod. idem, art. 31) - Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9, 10a), 11h), 12 - Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20 (abrogé et remplacé par DORS/81-487, art. 2).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Détention ou emprisonnement - Libération conditionnelle - Inobservation d'une condition importante du programme de surveillance obligatoire - Le demandeur a été réincarcéré et a perdu sa réduction de peine - Aucune violation de l'art. 9 de la Charte, car l'inobservation d'une condition constitue une cause raison- nable pour la réincarcération et la perte de la réduction de peine - Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 25), 13 (abrogé et remplacé idem, art. 27 et mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 16), 15 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28 et par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 26, item 5), 16 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29), 20 (mod. idem, art. 31) - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9, 10a), 11h), 12 - Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20 (abrogé et remplacé par DORS/81-487, art. 2).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Traitements ou peines cruels et inusités - Libération conditionnelle - Un système de libération conditionnelle qui comporte la possibilité de réincarcération et de perte de la réduction de peine n'est pas outrancier, excessif ou sortant des limites raisonnables de la moralité, et par conséquent ne viole pas l'art. 12 de la Charte - 11 n'y a pas de «double peine» (R. v. DeBaie) - Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 10 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 25), 13 (abrogé et remplacé idem, art. 27 et mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 16), 15 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28 et par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 26, item 5), 16 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29), 20. (mod. idem, art. 31) - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9, 10a), 11h), 12 - Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20 (abrogé et remplacé par DORS/81-487, art. 2).
Alors que le demandeur était en libération conditionnelle sous surveillance obligatoire, il a été arrêté, accusé, déclaré coupable et condamné pour trafic de stupéfiants. Après une
audition devant la Commission nationale des libérations condi- tionnelles, sa libération conditionnelle a été révoquée avec perte de réduction de peine. Le demandeur cherche maintenant à obtenir un jugement contre cette décision, alléguant, en défini- tive, que les articles de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus qui traitent de la surveillance obligatoire sont inconsti- tutionnels pour le motif qu'ils le privent de sa liberté et lui imposent une «double peine» contraire à la Charte. Il conteste ainsi tout le système de la surveillance obligatoire.
Arrêt: l'action est rejetée. La surveillance obligatoire et la perte de la réduction de peine sont en matière de liberté individuelle des «limites raisonnables» dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique au sens de l'article 1 de la Charte. Le mérite du programme n'a pas à être remis en question; tout ce que la Cour doit examiner c'est de savoir si ce programme a un fondement rationnel et s'il s'inscrit dans les limites raisonnables qui sont acceptables dans un état démocratique. Il n'est pas déraisonnable ou injustifiable que, dans une société démocratique, un programme prévoie une certaine forme de contrôle comme la surveillance obligatoire pour aider les détenus à faire leur rentrée graduelle au sein de la collectivité.
Rien n'indique que le droit de ne pas être privé du droit à la liberté sauf en conformité avec les principes de justice fonda- mentale comme le prévoit l'article 7 de la Charte, ait été ignoré dans la Loi sur la libération conditionnelle de détenus ou qu'il n'a pas été observé dans l'application de cette dernière en l'espèce. Toutes les formalités prévues ont été suivies et tout a été fait conformément aux principes de justice fondamentale.
On ne peut dire que le droit de ne pas être détenu ou emprisonné de façon arbitraire, que garantit l'article 9 de la Charte, a été violé lorsqu'une personne placée sous le régime de la libération conditionnelle est réincarcérée en application de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus du fait de l'inobservation d'une condition importante de sa libération con- ditionnelle. Une telle mesure n'est pas déraisonnable, arbitraire ou capricieuse.
Un système de libération conditionnelle qui comporte la possibilité de réincarcération et de perte de la réduction de peine ne peut être décrit comme outrancier, excessif ou sortant des limites raisonnables de la moralité. On ne peut, par consé- quent, dire qu'il viole le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités que prévoit l'article 12 de la Charte. Se fondant sur la décision de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans R. v. DeBaie, la Cour rejette l'argu- ment selon lequel les dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus relatives à la surveillance obligatoire, telles qu'elles ont été appliquées dans le cas du demandeur, lui imposent une «double peine», en violation de la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. v. DeBaie (1983), 60 N.S.R. (2d) 78 (C.A.); Federal Republic of Germany v. Rauca (1982), 39 O.R. (2d) 705 (H.C.); Quebec Association of Protestant School Boards et al. v. Attorney -General of Quebec et al. (No. 2) (1982), 140 D.L.R. (3d) 33 (C.S. Qué.); Regina v. Cadeddu (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.); Re Potma and The Queen (1983), 41 O.R. (2d) 43 (C.A.), qui confirme (1982), 37 O.R. (2d) 189 (H.C.); Reference Re
S. 94(2) of Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, c. 288 (1983), 42 B.C.L.R. 364 (C.A.); R. v. Simon, [1982] 4 W.W.R. 71 (C.S.T.N: O.); Regina v. Frankforth (1982), 70 C.C.C. (2d) 448 (C. cté C.-B.); Hall v. Minister of Employment and Immigration, C.S. Ont., le 26 mai 1983; Re Mitchell and The Queen (1983), 42 O.R. (2d) 481 (H.C.); Soenen v. Edmonton Remand Centre Dir., [1984] 1 W.W.R. 71 (B.R. Alb.); Re Moore and The Queen (1984), 45 O.R. (2d) 3 (H.C.); Re Jamieson and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 430 (C.S. Qué.).
DECISION CITÉE:
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] '1 R.C.S. 357; 53 N.R. 169.
AVOCAT:
Robert P. Hynes pour la défenderesse.
A COMPARU:
Frank L. Belliveau pour son propre compte. PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE:
Frank L. Belliveau, Dorchester (Nouveau- Brunswick).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE Dust: Le demandeur conclut à un jugement déclarant «que la libération condition- nelle sous surveillance obligatoire est inconstitu- tionnelle» et «que le demandeur doit être remis en liberté puisqu'il a purgé sa peine, compte tenu de la réduction de peine».
Le demandeur a rédigé et présenté sa propre déclaration. À l'instruction, la Cour, avec l'accord de l'avocat de la Couronne, lui a permis d'être représenté par un étudiant en droit.
Si je comprends bien la position du demandeur, celui-ci soutient que les articles de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus' traitant de la surveillance obligatoire outrepassent les pouvoirs législatifs du Parlement par ce motif qu'ils le privent de sa liberté et qu'ils lui imposent «une
' S.R.C. 1970, chap. P-2 tel que modifié.
double peine» en violation de la Charte canadienne des droits et libertés 2 .
Il appert que les dispositions pertinentes de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus sont les articles 10 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 25], 13 [abrogé et remplacé idem, art. 27 et mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 16], 15 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28 et par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 26, item 5], 16 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29] et 20 [mod. idem, art. 31 ] 3 qui prévoient les conditions de surveillance obligatoire ainsi que la suspension et la révocation en cas d'inobservation des conditions.
2 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I 1 (R.-U.).
10. (1) La Commission peut
a) accorder la libération conditionnelle à un détenu, sous réserve des modalités qu'elle juge opportunes, si la Commis sion considère que
(i) dans le cas d'un octroi de libération conditionnelle autre qu'une libération conditionnelle de jour, le détenu a tiré le plus grand avantage possible de l'emprisonnement,
(ii) l'octroi de la libération conditionnelle facilitera le redressement et la réhabilitation du détenu, et
(iii) la mise en liberté du détenu sous libération condition- nelle ne constitue pas un risque indu pour la société;
b) imposer toutes modalités qu'elle juge opportunes concer- nant un détenu qui est assujetti à une surveillance obligatoire;
d) relever des obligations de la libération conditionnelle tout détenu à liberté conditionnelle, sauf un détenu en libération conditionnelle de jour ou un détenu à liberté conditionnelle qui a été condamné à la peine de mort ou à un emprisonne- ment à vie comme peine minimum; et
e) à sa discrétion, révoquer la libération conditionnelle de tout détenu à liberté conditionnelle autre qu'un détenu à liberté conditionnelle qui a été relevé des obligations de la libération conditionnelle, ou révoquer la libération condition- nelle de toute personne qui est sous garde en conformité d'un mandat délivré en vertu de l'article 16 nonobstant l'expira- tion de sa condamnation.
(2) La Commission ou la personne que le président désigne à cette fin peuvent mettre fin à l'absence temporaire sans escorte accordée à un détenu en vertu des articles 26.1 ou 26.2 de la Loi sur les pénitenciers ou à la libération conditionnelle de jour de tout détenu et, par mandat écrit, autoriser l'arrestation et le renvoi en détention de ce détenu comme le prévoit la présente loi.
13. (1) Il y a présomption qu'un détenu mis en liberté conditionnelle continue, tant qu'elle n'est pas révoquée, de purger sa peine d'emprisonnement jusqu'au terme prévue par la loi et, dans le cas d'un détenu mis en liberté conditionnelle de jour, qu'il la purge au lieu de détention d'où il a été ainsi relâché.
(2) Sauf en accord avec les modalités d'une libération condi- tionnelle de jour, il est interdit d'emprisonner en raison de sa sentence le détenu qui bénéficie d'une libération conditionnelle qui n'a été ni révoquée ni suspendue ou à laquelle, dans le cas d'une libération conditionnelle de jour, il n'a pas été mis fin; il doit, sous réserve des dispositions de la présente loi, être mis et laissé en liberté conformément aux modalités de sa libération.
(3) Par dérogation au paragraphe (I ), pour l'application du paragraphe 52(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, la période d'emprisonnement d'un détenu à liberté conditionnelle, tant que cette dernière n'est pas révoquée, est réputée être terminée, sauf s'il s'agit d'un détenu en libération condition- nelle de jour.
15. (1) Par dérogation à toute autre loi, le détenu remis en liberté avant l'expiration de sa sentence prévue par la loi, uniquement par suite d'une réduction de peine supérieure à soixante jours, y compris une réduction méritée, doit être assujetti à une surveillance obligatoire dés sa mise en liberté, et pendant tout le temps que dure cette réduction.
(2) L'alinéa 10(1)e), l'article 11, l'article 13 et les articles 16 à 21 s'appliquent à un détenu qui est assujetti à la surveillance obligatoire comme s'il était un détenu à liberté conditionnelle en libération conditionnelle et comme si les modalités de sa surveillance obligatoire étaient des modalités de sa libération conditionnelle.
(3) Par dérogation au paragraphe (1), le détenu qui pourrait être remis en liberté sous surveillance obligatoire peut choisir d'achever de purger sa peine à l'intérieur de l'établissement mais ce choix n'engage pas définitivement le détenu qui choisit plus tard d'être remis en liberté sous surveillance obligatoire; tout choix ultérieur d'être remis en liberté sous surveillance obligatoire doit être respecté dès que possible; le détenu ne peut cependant demander sa remise en liberté que pendant les heures diurnes d'une semaine normale de travail.
(4) Lorsqu'un détenu assujetti à une surveillance obligatoire commet une nouvelle infraction pour laquelle une peine d'em- prisonnement consécutive lui est imposée et que la surveillance obligatoire n'est pas révoquée la période de mise en liberté sous surveillance obligatoire est interrompue jusqu'à ce que cette dernière peine ait été purgée.
(5) Le présent article s'applique aux personnes qui sont condamnées à purger une peine d'emprisonnement dans un pénitencier ou qui y sont transférées le ou après le IQ août 1970.
16. (1) Un membre de la Commission ou la personne que le président désigne à cette fin, en cas de violation des modalités d'une libération conditionnelle ou lorsqu'il est convaincu qu'il est souhaitable sinon nécessaire d'agir ainsi pour empêcher une telle violation ou pour protéger la société, peut, par mandat écrit signé de sa main,
a) suspendre toute libération conditionnelle aux obligations de laquelle le détenu est encore assujetti;
b) autoriser l'arrestation d'un détenu en liberté condition- nelle; et
e) renvoyer un détenu en détention jusqu'à ce que la suspen sion soit annulée ou sa liberté conditionnelle révoquée.
(Suite à la page suivante)
Le demandeur fut condamné à l'origine, en mai 1977, à sept ans d'emprisonnement. I1 fut remis en liberté le 31 mai 1982 par suite d'une réduction de peine et en application de l'article 15 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, sous réserve de surveillance obligatoire jusqu'à expira tion de la peine.
Le 21 juin 1983, sa libération conditionnelle fut suspendue et il fut réincarcéré au pénitencier de
(Suite de la page précédente)
(2) La Commission ou la personne que le président désigne, peut, par mandat écrit, ordonner le transfèrement d'un détenu renvoyé en détention en vertu de l'alinéa (1)c), en attendant l'annulation de sa suspension ou la révocation de sa libération conditionnelle.
(3) La personne qui a signé le mandat visé au paragraphe (1), ou toute personne que le président désigne à cette fin, doit, dès que le détenu en liberté conditionnelle qui y est mentionné est renvoyé en détention, réexaminer son cas, et, dans les quatorze jours qui suivent, si la Commission ne décide pas d'un délai plus court, annuler la suspension ou renvoyer l'affaire devant la Commission.
(4) La Commission doit, lorsque lui est renvoyé le cas d'un détenu à liberté conditionnelle dont la libération conditionnelle a été suspendue, examiner le cas et faire effectuer toutes les enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et immédiate- ment après que ces enquêtes et cet examen sont terminés, elle doit soit annuler la suspension, soit révoquer la libération conditionnelle.
(5) Un détenu qui est sous garde en vertu du présent article est censé purger sa sentence.
20. (1) Sur révocation de leur libération conditionnelle, les détenus doivent être incarcérés soit au lieu de détention d'où ils avaient été libérés lorsqu'elle leur avait été accordée, soit au lieu qui lui correspond dans la division territoriale ils sont arrêtés.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), le détenu dont la libéra- tion conditionnelle a été révoquée doit, même lorsqu'il a été condamné ou lorsqu'il a obtenu sa libération conditionnelle avant que le présent paragraphe n'entre en vigueur, purger ce qui restait de sa peine d'emprisonnement au moment sa libération conditionnelle lui a été accordée, y compris toute réduction de peine statutaire ou méritée, moins
a) le temps passé en libération conditionnelle après l'entrée en vigueur du présent paragraphe;
b) le temps passé en détention lors d'une suspension de sa libération conditionnelle;
c) les réductions de peine méritées après l'entrée en vigueur du présent paragraphe pour le temps passé en détention lors d'une suspension de sa libération conditionnelle; et
d) les réductions de peine méritées qu'il avait à son actif au moment de l'entrée en vigueur du présent paragraphe.
(3) Sous réserve des règlements, la Commission peut réattri- buer à l'actif d'un détenu tout ou partie des réductions de peine, statutaires et méritées, dont il bénéficiait au moment la libération conditionnelle lui fut accordée.
Dorchester, N.-B., pour violation d'une condition de surveillance obligatoire à la suite d'une pour- suite sous deux chefs d'accusation de trafic de stupéfiants. Le 22 septembre 1983, il fut déclaré coupable des infractions reprochées et condamné à six mois d'emprisonnement [TRADUCTION] «consé- cutifs à la peine en cours».
Au cours d'une entrevue tenue le 28 juin 1983 à la suite de la suspension, le demandeur fut informé des motifs de la suspension. Le 5 juillet 1983, il s'est vu accorder une audition conformément à l'article 20 du Règlement sur la libération condi- tionnelle de détenues. Le 7 octobre 1983, la Com mission nationale des libérations conditionnelles a révoqué le bénéfice de la surveillance obligatoire sans crédit de réduction de peine et le 11 octobre 1983, il a été informé du motif de la révocation, savoir sa condamnation pour les deux infractions susmentionnées.
Par cette action, le demandeur- conteste en fait la constitutionnalité tout le système de surveil lance obligatoire. Sa déclaration laconique n'invo- que aucun moyen précis et ne renvoie même pas à la Charte. Il est cependant possible que quatre articles de la Charte entrent en jeu en l'espèce: l'article 1 (liberté restreinte dans des limites qui soient raisonnables), l'article 7 (liberté de sa per- sonne), l'article 9 (détention arbitraire), et l'article 12 (peines cruelles et inusitées).
L'avocat de la Couronne, dans un exposé très détaillé, a passé en revue la plupart de la jurispru dence se rapportant à chacune de ces quatre dispo sitions. Il a également invoqué l'alinéa 10a) de la Charte—le droit, en cas d'arrestation, d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation—mais rien n'indique, ni dans les témoignages ni dans les conclusions du demandeur que celui-ci n'a pas été convenablement informé des motifs de son arrestation ou de sa détention.
Je ne me propose pas de passer en revue toute la jurisprudence relative à chacun de ces quatre arti cles, car ce serait sortir du cadre des présents motifs de jugement. Je ne ferai qu'énoncer mes conclusions avec renvoi, le cas échéant, à la juris prudence sur laquelle elles sont fondées.
4 DORS/78-428 (abrogé et remplacé par DORS/81-487, art. 2).
1—Garantie des droits et libertés
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Avant l'adoption de la surveillance obligatoire en 1970, les détenus qui n'avaient pas bénéficié d'une libération conditionnelle réintégraient direc- tement la société canadienne sans surveillance, dans certains cas après avoir purgé les deux tiers de leur peine. La surveillance obligatoire a été adoptée à titre de programme visant à réadapter graduellement l'ancien détenu, à surveiller son comportement et à l'empêcher de commettre de nouveaux crimes sous peine de révocation. Le détenu a le choix entre la surveillance obligatoire et la détention jusqu'à l'expiration de sa peine. Les détenus n'aiment pas ce choix. Ils sont fermement d'avis que leur période de réduction de peine ne devrait pas être assujettie à la surveillance correc- tionnelle. Ils aiment encore moins la perte de la réduction de peine en cas d'inobservation d'une condition S .
La surveillance obligatoire et la perte de la réduction de peine sont-elles, en matière de liberté individuelle des «limites raisonnables» dont la justi fication puisse se démontrer dans le cadre d'une société démocratique?
Dans le premier arrêt de la Cour suprême du Canada sur la Charte, savoir Law Society of Upper Canada c. Skapinker 6 , le juge Estey, ren- dant le jugement de la Cour, voit dans l'article 1 de la Charte la page 383 R.C.S.; à la page 200 N.R.) le «critère ultime de la constitutionnalité de l'alinéa 28c) de la Law Society Act» et fait remar- quer qu'«on a présenté un dossier réduit à l'essen- tiel de ce qui était nécessaire pour démontrer que l'exigence de la citoyenneté était justifiée en tant que "limite raisonnable" aux droits conférés par la Charte». Le dossier en question était le rapport d'un comité sur les associations professionnelles en Ontario.
Plusieurs groupes d'étude canadiens ont fait res- sortir dans leurs rapports la nécessité d'un pro gramme de surveillance des détenus. Deux grandes commissions établies avant l'adoption de la surveil-
s ',La surveillance obligatoire, un document de travail» rap
port du Comité sur la surveillance obligatoire, mars 1981.
6 [1984] 1 R.C.S. 357; 53 N.R. 169.
lance obligatoire, les commissions Fauteux en 1956 et Guimet en 1969, et deux commissions ultérieu- res, les commissions Hugessen en 1972 et Golden- berg en 1974, ont toutes approuvé une certaine période de surveillance au sein de la société avant l'expiration de la peine.
Il n'appartient pas à la Cour de juger du mérite, d'un programme limitant la liberté de l'individu. Elle doit examiner si pareil programme, institué par le Parlement, a un fondement rationnel et s'il s'inscrit dans les limites raisonnables qui sont acceptables dans un État démocratique. C'est ainsi que le concept du caractère raisonnable doit être mis à l'épreuve.
Il a été jugé qu'une limite imposée à la liberté est raisonnable s'il s'agit d'un moyen proportionné pour atteindre un objectif et non pas une erreur qui est contraire au bon sens. Par ailleurs, lorsqu'il s'agit d'examiner si une mesure législative s'inscrit dans des «limites raisonnables», le fardeau de la preuve incombe à celui qui réclame le bénéfice de l'exception 8 .
Je ne suis pas en mesure de juger de la valeur du programme de surveillance obligatoire et je n'ai pas pour mandat d'en pronostiquer le succès ou l'échec. Il ne m'appartient pas de faire une telle appréciation. Toutefois, le simple fait que ceux qui sont directement visés par ce programme puissent ne pas l'aimer ne constitue pas un motif suffisant pour juger que le programme est dénué de fonde- ment rationnel, et qu'il est déraisonnable, anti- démocratique, disproportionné quant à son objec- tif, contraire au bon sens ou inacceptable dans une société démocratique.
Il n'est pas contraire au bon sens de présumer qu'une certaine forme de contrôle et de réhabilita- tion est nécessaire pour aider les détenus à faire leur rentrée graduelle au sein de la collectivité et qu'une certaine garantie est nécessaire pour la protection de cette dernière. La surveillance obli- gatoire constitue une méthode pour atteindre ces objectifs et les restrictions qu'elle impose sont rai- sonnables et justifiables dans une société démocra- tique.
7 Federal Republic of Germany v. Rauca (1982), 38 O.R. (2d) 705 (H.C.).
e Quebec Association of Protestant School Boards et al. v. Attorney -General of Quebec et al. (No. 2) (1982), 140 D.L.R. (3d) 33 (C.S. Qué.).
2—Article 7—Vie, liberté et sécurité
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Cet article consacre une règle de droit en vigueur au Canada depuis la Confédération°. Jus tice fondamentale signifie justice et équité. Il a été jugé qu'un détenu en liberté conditionnelle ne jouit certes que d'une liberté conditionnelle, mais que cet état est suffisant pour faire jouer la protection prévue à l'article 7 conformément à la Constitu tion et que sa libération conditionnelle ne peut être révoquée qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale qui comprennent le droit à une audition l'intéressée comparaît en personne '°. La justice fondamentale est une expression concise destinée à garantir dans une société libre le droit fondamental des citoyens à une procédure équitable". Il a également été jugé que la justice fondamentale n'est pas limitée aux questions de procédure mais s'applique au droit positif et que par conséquent les tribunaux doivent interpréter l'article 7 en tenant compte du contenu de la loi 12 .
Rien n'indique que les principes de justice fon- damentale ont été ignorés dans la Loi sur la libération conditionnelle de détenus ou qu'ils n'ont pas été observés dans l'application de cette der- nière en l'espèce. Toutes les formalités prévues par la Loi et les Règlements ont été prises au moment opportun. Le demandeur n'a relevé aucune omis sion ou aucun acte précis qui fût entaché d'injus- tice à son égard. Certes, le demandeur a été privé de sa liberté, mais rien n'indique que la privation ait été imposée au mépris des principes de justice fondamentale.
3—Article 9—Détention ou emprisonnement
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.
Ni la Loi sur la libération conditionnelle de détenus ni aucune loi autorisant la détention ou l'emprisonnement ne peut accorder un pouvoir exercé de façon déraisonnable ou sans motifs légi-
9 Re Regina and Potma (1982), 37 O.R. (2d) 189 (H.C.).
10 Regina v. Cadeddu (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.).
11 Re Potma and The Queen (1983), 41 O.R. (2d) 43 (C.A.).
12 Reference Re S. 94(2) of Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, c. 288 (1983), 42 B.C.L.R. 364 (C.A.).
times. Il a été jugé qu'il n'y avait pas détention arbitraire lorsqu'un accusé était détenu légalement par une autorité compétente en vertu d'une dispo sition législative 13 .
L'interdiction prévue par l'article 9 en matière de détention arbitraire vise la détention sans auto- risation expresse de la loi en vigueur ou sans référence à une norme ou à un principe détermi- nant et pertinent 14 . Cette interdiction vise toute mesure capricieuse ou arbitraire, attentatoire à la liberté individuelle". Il a été jugé qu'une ordon- nance d'expulsion rendue en application d'une loi du Parlement constitue l'antithèse de l'arbitraire 16 . Évidemment, le simple fait qu'une loi établit une procédure spécifique pour la détention d'une per- sonne ne signifie pas que l'application de cette loi est automatiquement dénuée de tout arbitraire ". Il incombe cependant au plaignant de démontrer qu'il y a eu application déraisonnable, arbitraire ou capricieuse de la loi dans son propre cas.
Ceux qui sont chargés de l'application de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus détien- nent un certain pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu. Ils doivent agir de manière équitable et raisonnable. Ils ne peuvent réincarcérer quelqu'un et lui enlever sa réduction de peine sans un motif valable. Toutefois, il me semble évident que l'inobservation d'une condition importante du programme de surveillance obliga- toire du fait de la perpétration d'un autre crime constitue un motif valable pour déclencher l'appli- cation de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus. On ne saurait dire que le demandeur a été détenu ou emprisonné de façon arbitraire.
4—Article 12—Cruauté
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
Une norme acceptée pour déterminer si un trai- tement est cruel et inusité consiste à savoir si ce traitement est tellement excessif qu'il déroge aux
13 R. v. Simon, [1982] 4 W.W.R. 71 (C.S.T.N: O.).
14 Regina v. Frankforth (1982), 70 C.C.C. (2d) 448 (C. cté C.-B.).
15 Re Jamieson and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 430 (C.S. Qué.).
16 Hall v. Minister of Employment and Immigration, C.S. Ontario, le 26 mai 1983.
17 Re Mitchell and The Queen (1983), 42 O.R. (2d) 481 (H.C.).
normes de décence et dépasse toutes les limites raisonnables des traitements ou peines 18 . La juris prudence prévoit trois autres critères: (1) est-il conforme aux normes publiques de décence et de convenance? (2) est-il inutile à cause de l'existence d'autres mesures appropriées? (3) peut-il être appliqué de façon rationnelle conformément à des normes vérifiables "? D'autres critères sont égale- ment utiles 20 : (1) est-il acceptable aux yeux d'une grande partie de la population? (2) peut-il être appliqué à l'échelle nationale conformément à des normes précises? (3) a-t-il un objectif social? (4) est-il conforme aux normes publiques de décence et de convenance?
Il est constant que la plupart des pays industria- lisés du monde s'enorgueillissent d'un système quelconque de libération conditionnelle avec possi- bilité de réincarcération. Un programme qui com- porte cette possibilité ainsi que la perte de la réduction de peine qui en découle, comme celui qui est appliqué dans ce pays, ne peut, à mon avis, être décrit comme outrancier, excessif ou sortant des limites raisonnables de la moralité. I1 n'y a rien d'excessif ou de disproportionné dans le fait que le détenu qui n'a pas respecté le système perde sa réduction de peine. Le programme canadien de surveillance obligatoire me semble être conforme aux normes canadiennes de décence et de conve- nance. Il peut être appliqué de façon rationnelle conformément à des normes vérifiables.
Le demandeur a soulevé l'argument de la «double peine». Cet argument a également été avancé par l'accusé dans l'affaire R. v. DeBaie 21 . Étant donné que la surveillance obligatoire de DeBaie avait été révoquée à la suite d'autres infractions, celui-ci a fait valoir en appel que les déclarations de culpabilité constituaient une double peine en violation de l'alinéa 11h) de la Charte. La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a rejeté l'appel. Le juge d'appel Pace a conclu en ces termes à la page 79:
[TRADUCTION] À mon avis, ces arguments ne sont absolu- ment pas fondés. La surveillance obligatoire de l'appelant a été révoquée parce qu'il n'a pas respecté les conditions de sa mise en liberté. Le procès et la peine qu'il a subis subséquemment
IB Re Mitchell and The Queen, supra.
' 9 Soenen v. Edmonton Remand Centre Dir., [ 1984] 1
W.W.R. 71 (B.R. Alb.).
20 Re Moore and The Queen (1984), 45 O.R. (2d) 3 (H.C.).
21 (1983), 60 N.S.R. (2d) 78 (C.A.).
pour les infractions reprochées ne violent pas les droits que lui assure la Charte des droits et libertés; par conséquent, je rejette l'appel.
Par ces motifs, je juge que les dispositions de la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus en
matière de surveillance obligatoire ne dépassent pas les limites des pouvoirs du Parlement du Canada. L'action est rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.