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T-3534-81
Champlain Ship Supply Ltd. (demanderesse) c.
Navire Felicia V, les propriétaires et toutes les personnes ayant un droit sur le navire Felicia V et Western Marine Corp. (défendeurs)
Division de première instance, juge Walsh—Mont- réal, 8 et 9 février; Ottawa, 28 février 1983.
Droit maritime Contrats Action en recouvrement d'un compte Litige portant sur le prix demandé par un approvi- sionneur de navires pour des marchandises fournies à un navire La mobilisation de créances faite par la demande- resse au profit de la banque rend-elle la demanderesse inha- bile à intenter des procédures? La demanderesse est-elle tenue de justifier chaque article? Les prix doivent être fixés sur une base quantum meruit Le contrat comporte implici- tement la condition que les prix soient justes et concurrentiels L'action étant une action en recouvrement d'un compte et non en dommages-intérêts, l'intérêt ne peut être accordé qu'au taux prévu à la Loi sur l'intérêt Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 3 Code civil du Bas Canada, art. 1203, 1204, 1233(1) Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 3 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1716(1).
Pratique Parties Action intentée par un approvision- neur de navires tendant au recouvrement du prix des approvi- sionnements fournis à un navire La demanderesse a mobi- lisé ses comptes clients en faveur de la banque La demanderesse a-t-elle qualité pour agir? Mobilisation générale de créances dans le cours des relations normales avec la banque La demanderesse n'a pas de difficultés financiè- res La lettre adressée par la banque à la défenderesse Western Marine ne constitue pas une demande de paiement à la banque plutôt qu'à la demanderesse La défenderesse aurait pu soulever la question au moyen d'une comparution conditionnelle La banque aurait pu être constituée code- manderesse Bien que la banque n'ait pas rétrocédé la créance à la demanderesse, il ressort du témoignage de la directrice de la banque que celle-ci ne s'oppose pas à ce que la demanderesse continue l'action La Règle 1716(1) s'applique Pour protéger la défenderesse contre tout risque de double paiement, tout chèque tiré en exécution du jugement doit être libellé conjointement au nom de la demanderesse et à celui de la banque Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1716(1).
Preuve Fardeau de la preuve Action en recouvrement d'un compte intentée par un approvisionneur de navires 600 articles ont été fournis La demanderesse a pu produire des factures justificatives provenant de ses fournisseurs pour 125 seulement d'entre eux La défenderesse prétend que les prix étaient exorbitants La nature de l'entreprise est telle qu'il est difficile pour l'approvisionneur de navires de produire des factures indiquant les prix des articles Les factures n'ont pas été détruites de propos délibéré La demanderesse n'a pas à produire des factures d'achat pour chaque article La Cour a entendu des témoignages quant à la difficulté de
déterminer les prix Même une référence ne pourrait donner un résultat satisfaisant et entraînerait des dépenses énormes et injustifiées Le litige doit être tranché sur la base de l'equity et en fonction de la prépondérance des probabilités.
La demanderesse, un approvisionneur de navires, a fourni à Montréal des approvisionnements au navire Felicia V, les com- mandes provenant de Western Marine Corp. La défenderesse a refusé de payer la somme réclamée, prétendant que les prix avaient été exagérés. La demanderesse intente une action en paiement intégral, réclamant un intérêt au taux de 18 % sur la valeur facturée. En plus de contester les prix, la défenderesse a avancé les arguments suivants: (1) La demanderesse n'a pas qualité pour intenter les présentes procédures, ayant mobilisé ses comptes clients en faveur de La Banque Royale du Canada. (2) Il incombe à la demanderesse de justifier chaque article mis en doute.
Jugement: l'action de la demanderesse devrait être accueillie en partie. Bien que l'accord, qui indique la mobilisation géné- rale de créances de la demanderesse au profit de la banque comme étant une sûreté supplémentaire générale et perma- nente, donne à la banque le droit d'engager des procédures pour recouvrer ces créances, la demanderesse a toujours la qualité requise pour intenter les présentes procédures; et puisque la banque ne s'oppose nullement à ce que la demanderesse conti nue l'action, la Règle 1716(1) s'applique pour ne pas annuler l'action intentée par la demanderesse. Certes, il incombe à la demanderesse de prouver sa cause. Mais cela ne l'oblige pas à établir le coût d'acquisition de chaque article, surtout lorsque beaucoup des factures ne sauraient raisonnablement être pro- duites. Compte tenu des éléments de preuve peu satisfaisants et incomplets quant au prix, le litige doit être tranché de façon quelque peu sommaire, sur la base de l'equity et en fonction de la prépondérance des probabilités. Les prix, que le contrat n'a pas fixés, doivent être établis sur une base quantum meruit, et le contrat comporte au moins implicitement cette condition que les prix doivent être justes et concurrentiels. Quant au taux de l'intérêt réclamé par la demanderesse, en l'absence d'un accord entre les parties à ce sujet, et puisqu'il s'agit d'une action en recouvrement d'un compte et non en dommages-intérêts (cas le taux d'intérêt commercial peut être alloué), la demanderesse a seulement droit à un intérêt au taux accordé par la Loi sur l'intérêt.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Robillard c. Vincent (1941), 79 C.S. 204 (Qc); O'Dwyer v. Banks, [1953] 2 D.L.R. 204 (C.S. Alb. Div. d'appel).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canadian Terrazzo and Marble Co. Ltd. v. B. Kaplan Construction Co. Ltd. et autre, [1966] C.S. 505 (Qc); La cie de téléphone Bell c. Le «Mar-Tirenno» et autres, [1974] 1 C.F. 294 (1"° inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
James v. Radnor County Council (1890), 6 T.L.R. 240 (Q.B.D.).
AVOCATS:
Laurent Fortier pour la demanderesse. Gerald P. Barry pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour la demanderesse.
Gasco, Linteau, Grignon & Barry, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une action intentée par la demanderesse, approvisionneur de navires établi à Montréal, et tendant au recouvrement du prix des approvisionnements fournis à Montréal au navire Felicia V en octobre 1980. D'après la décla- ration, la valeur facturée totale est de 74 987,60 $, dont 46 846,32 $ ont été versés en janvier 1981, le solde étant de 28 141,28 $. La demanderesse réclame également un intérêt au taux commercial d'au moins 18 % sur la valeur facturée totale entre la date de livraison à la date du paiement partiel effectué en janvier 1981, et sur le solde à partir de cette date, soit, d'après les calculs, 6 076,50 $ à la date de l'engagement des procédures le 6 juillet 1981. La défenderesse Hamilton Marine Trans port Limited, propriétaire du navire, conteste la somme réclamée, prétendant que celle-ci a été énormément exagérée, invoque la Loi sur l'intérêt [S.R.C. 1970, chap. I-18] et fait également valoir que la demanderesse n'a pas qualité pour agir dans la présente action, sa créance ayant été cédée et avis de cette cession lui ayant été donné. Par lettre en date du 10 octobre, la demanderesse a reçu de Western Marine Corporation, agissant alors pour le compte de la défenderesse, des commandes pour approvisionnements de pont et approvisionnements machines. Par la même lettre, la défenderesse a également dit que le capitaine avait reçu l'instruc- tion de passer les commandes nécessaires pour obtenir les fournitures. La demanderesse avait auparavant traité d'affaires avec Western Marine, approvisionnant le navire Ionian Skipper en août 1979 et le navire Felicia V en septembre 1979 à la demande de Western Marine. Aucun prix n'avait été fixé avant la livraison, mais, sur présentation des factures, le prix de ces livraisons a été réglé. La défenderesse reconnaît que les fournitures ont été livrées en temps voulu, les quantités et les qualités étant suffisantes; le seul litige se rapporte au prix.
Le 25 octobre 1980, la demanderesse a envoyé à la défenderesse Western Marine Corporation une facture au montant de 74 317,60 $ qui se répartit comme suit:
[TRADUCTION]
Fournitures facture 1400; montant: 21 751,24 $
facture 1403; montant: 1 696,65
Entrepôt en
douane facture 1401; montant: 1 197,50
Cabine facture 1402; montant: 5 716,62
Pont facture 1404; montant: 11 838,59
Machine facture 1405; montant: 32 084,71
Frais de
douane facture 1407; montant: 32,29
Total: 74 317,60 $
Le 12 novembre 1980, la défenderesse a écrit une lettre disant que les prix étaient exorbitants. Cette lettre contenait ce que la défenderesse a appelé des [TRADUCTION] «factures rectifiées», où, à côté des prix détaillés donnés par la demanderesse, figurent les prix écrits à l'encre que la défenderesse consi- dère comme appropriés et qui s'élèvent à 46 784,83 $, somme qu'elle se dit prête à payer après les rectifications et après déduction de la remise de 5 % accordée par le propriétaire. Le 24 novembre, la demanderesse a répondu qu'elle ne pouvait comprendre pourquoi la défenderesse avait jugé 80 % de ses prix plus élevés que ceux des autres fournisseurs, puisqu'elle avait approvisionné les navires de beaucoup d'autres armateurs et demandé exactement les mêmes prix sans aucune plainte de la part de ces armateurs. Elle a ajouté que quelques-uns des prix proposés par la défende- resse étaient inférieurs à son coût réel. Elle fait remarquer qu'il est difficile de comparer des prix, puisque tout dépend de la qualité des articles; pour les imperméables ou les lunettes de ciselage, par exemple, elle ne fournit que la qualité supérieure; elle fournit également, sur commande, de la tuyau- terie haute pression, très résistante ou inoxydable. Le 30 décembre 1980, la défenderesse a répondu à la lettre de la demanderesse, attirant l'attention de celle-ci sur certains articles dont les prix demandés différaient remarquablement de ceux ayant cours aux États-Unis. La lettre conclut que le prix des gîtes à la noix peut maintenant être considéré comme ayant été correctement fixé et qu'étant donné le fait que les prix au Canada sont légère- ment plus élevés que ceux aux États-Unis, les propriétaires vont payer 10 % en sus de la somme déjà payée, soit environ 4 800 $. Il s'agit d'une
offre de règlement qui ne lie pas les parties, mais qui constitue au moins une reconnaissance que les prix fixés dans ses calculs par la défenderesse pour certains articles étaient trop bas.
À la suite, semble-t-il, d'une rencontre à New York entre le capitaine Charitos de Western Marine Corporation et le représentant de la demanderesse, ce dernier écrit le 14 janvier 1981 pour expliquer qu'en matière de raccords de tuyau- terie, la demanderesse a une remise de 50 % et une autre remise de 25 % du fait qu'elle est une distri- butrice directe, et qu'elle est donc disposée à chan- ger les prix demandés pour les réducteurs pour tuyauterie, les raccords de plomberie et les rac- cords de tuyau, qui ont été fixés selon les pleins prix de détail, de manière à accorder une remise de 45 % qui s'élève à 1 579,04 $. La demanderesse fait une autre réduction de 300 $ pour des articles tels que Tide, lunettes de ciselage et autres. Elle présente donc la réclamation révisée suivante:
[TRADUCTION]
Montant total des commandes: 74 317,60 $
Déduction de la remise de 5 % accordée par le
propriétaire excepté les factures 1401, 1407 3 654,39
Déduction de votre nouvelle remise 1 879,04
Moins votre paiement anticipé 46 846,32
Solde final à payer 21 937,85
D'après la demanderesse, la raison pour laquelle lors de l'engagement de l'action, la somme récla- mée était de 28 141,28 $ est due à son refus d'ac- corder alors la remise de propriétaire de 5 % et à l'ajout de 1 500 $ pour les services rendus tels que la location de deux lignes télégraphiques utilisées par le navire de la défenderesse au prix de 670 $, dont la facture n'avait pas auparavant été envoyée à celle-ci.
Avant d'examiner les éléments de preuve relatifs aux comptes, il est nécessaire de statuer sur les arguments juridiques avancés par la défenderesse. Ce n'est qu'après la clôture des preuves produites par les deux parties relativement aux accords et aux comptes que la défenderesse a soulevé une question de droit, qu'elle avait toutefois plaidée, savoir qu'ayant mobilisé ses comptes clients en faveur de la banque, la demanderesse n'a pas la qualité requise pour intenter ces procédures. Le 22
septembre 1978, la demanderesse avait signé, au cours de ses relations normales avec son banquier, La Banque Royale du Canada, une mobilisation générale de créances en faveur de la banque, utili- sant la formule type réservée par la banque à ces fins. La clause 2 de l'accord porte notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Le soussigné convient que la banque sera détentrice de toutes les créances à titre de sûreté supplémen- taire générale et permanente, garantissant l'exécution de toutes les obligations qu'a le soussigné envers la banque, qu'elles soient actuelles ou futures, directes ou indirectes, réelles ou éventuelles, échues ou non.
En vertu de la clause 3, la banque peut recouvrer les créances, intenter des poursuites en recouvre- ment de ces créances si cela est nécessaire, et donner pour celles-ci des reçus et quittances vali- des et irrévocables, comme si la banque en était le créancier pur et simple. La clause 5 précise toute- fois que [TRADUCTION] «Toutes les sommes d'ar- gent reçues par le soussigné par suite du recouvre- ment des créances ou de l'une quelconque d'entre elles sont reçues en fiducie pour la banque.» Au cours de ses opérations commerciales normales, la demanderesse a déposé à la banque toute recette provenant de ses clients, lesquelles recettes rédui- saient la dette qu'elle avàit envers la banque pour avoir utilisé sa marge de crédit. Rien n'autorise à penser qu'au moment de l'endettement de la défen- deresse envers la demanderesse, celle-ci était en difficultés financières, ou que la banque n'était pas satisfaite des rapports commerciaux normaux. Toutefois, lorsque la défenderesse a contesté ses comptes, la banque a effectivement écrit, le 10 avril 1981, une lettre à la défenderesse Western Marine Corporation, laquelle lettre est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Veuillez trouver ci-jointe une lettre explica- tive concernant une facture de 21 937,85 $, somme due à notre client en question.
Puisque nous détenons une mobilisation générale de créances dans cette affaire, nous vous prions donc de prendre immédiate- ment les mesures nécessaires pour rectifier cette question.
Cette lettre ne constitue guère une demande de paiement à la banque plutôt qu'à la demanderesse du montant de la facture (qui, de toute façon, est inférieur au montant pour lequel les présentes
procédures sont intentées). La lettre explicative mentionnée est une formule dactylographiée utili sée, semble-t-il, par la banque dans ces circons- tances pour aviser de la mobilisation générale de créances, du 22 septembre 1978, et enregistrée à la ville de Montréal le 19 août 1979. Il y est dit en outre:
[TRADUCTION] La banque est autorisée à recevoir cette créance contre vous et à en donner entièrement quittance. En vertu de ladite mobilisation, veuillez verser à la succursale de la Banque Royale du Canada sise au 1870, rue Notre Dame ouest, Montréal (Québec) H3J 1M6, la somme de 21 937,85 $ pour valeur reçue, plus six mois d'intérêt au taux de 21 % (2 303,47 $), et débiter le compte de la partie susmentionnée.
Il est certain qu'en raison de ce qui précède, la défenderesse aurait pu verser cette somme à la banque si elle l'avait voulu, et, en le faisant, acquitter sa dette, au moins jusqu'à concurrence de cette somme, envers la demanderesse. Toute- fois, je ne suis pas persuadé que cela empêche celle-ci d'intenter la présente action en recouvre- ment de la dette. Il s'agit d'une question qui aurait très bien pu être soulevée par la défenderesse au moyen d'une comparution conditionnelle, ou même, à un stade ultérieur des procédures, par les parties en saisissant la Cour d'une question de droit. La demanderesse elle-même aurait pu remé- dier à la situation en sollicitant une modification pour que La Banque Royale du Canada soit cons- tuée codemanderesse. Je suis certain qu'une telle demande aurait été accueillie. Le paragraphe (1) de la Règle 1716 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] est ainsi conçu:
Règle 1716. (1) La validité d'une action n'est pas affectée à cause d'une fausse constitution de partie ou de l'omission de mettre une partie en cause, et la Cour peut dans toute action disposer des points ou des questions en litige dans la mesure ils touchent aux droits et intérêts des personnes qui sont parties à l'action.
Les paragraphes (2), (3) et (4) autoriseraient la Cour, de sa propre initiative, à ordonner que la banque soit constituée partie à titre de codemande- resse, et la banque ne s'y serait sans doute pas opposée, mais, malheureusement, cela exigerait une notification à la banque, une modification de la déclaration, et d'autres procédures de routine, et ne pourrait, sans inconvénient, se faire à la clôture de l'instruction. L'actuelle directrice de la succur- sale de La Banque Royale du Canada, avec qui traite la demanderesse, dépose qu'en ce qui con- cerne les comptes cédés de ce genre, dans la plu-
part des cas, c'est le client qui recouvre les mon- tants, et la banque ne s'en charge qu'ex- ceptionnellement. On recourt normalement à la lettre envoyée en l'espèce lorsque les comptes sont en défaut. Après notification au débiteur de cette façon, comme en l'espèce, les montants de la créance sont normalement versés à la banque. Elle distingue toutefois la cession d'une créance de l'achat d'une créance, soulignant qu'il ne s'agissait pas d'une créance que la banque avait achetée à la demanderesse. D'après elle, par une telle lettre, la banque aide le client à recouvrer le montant de la créance. J'ai l'impression générale que pour un client qui, lui-même, ne se trouve pas en difficultés financières, la banque se contente de laisser le client recouvrer le compte et le déposer, de la façon normale, à la banque, et que la banque elle-même ne tient pas particulièrement à intenter des procédures, surtout lorsqu'il s'agit d'un cas de compte contesté où, de toute façon, il appartien- drait à son client de faire toute la preuve. La défenderesse a cité entre autres l'affaire Canadian Terrazzo and Marble Co. Ltd. v. B. Kaplan Cons truction Co. Ltd. et autre', mais les faits dans cette affaire étaient considérablement différents. Il s'agit de la cession d'un compte particulier du débiteur à la banque et non d'une mobilisation générale. Dans cette affaire, on parle d'une cession pure et simple, et il y est souligné qu'à moins que le débiteur n'ait été expressément libéré par la banque de l'avis de cession qui lui a été donné, il peut s'exposer, si l'action du cédant est accueillie, à payer la même dette à deux reprises. Dans cette action, la banque a été constituée partie en tant que mise-en-cause, et la déclaration modifiée exi- geait que le paiement fût effectué conjointement à la demanderesse et à la banque, mais la Cour a conclu que cela n'améliorait pas la situation, puis- qu'à la date de la modification, la banque avait perdu tout droit de s'adresser aux tribunaux pour obtenir le recouvrement, son action ayant été pres- crite par le temps. Tel n'est pas le cas en l'espèce.
Dans l'affaire Robillard c. Vincent 2 , il est dit ceci dans le jugement, à la page 205:
... le demandeur avait transporté sa créance à la Banque Canadienne Nationale en garantie pour avances faites par celle-ci.
' [1966] C.S. 505 (Qc).
2 (1941), 79 C.S. 204 (Qc).
Le débiteur est propriétaire de la chose jusqu'à ce qu'elle soit vendue ou qu'il en soit disposé autrement. Elle reste entre les mains du créancier seulement comme un dépôt pour assurer sa créance (art. 1972 C. C.).
Parfois aussi, la cession, n'ayant eu lieu qu'à titre de garan- tie, constitue en réalité un nantissement et ne transfère pas la propriété de la créance (Planiol et Ripert (1931) t. 7, n. 1107, p. 417).
Le demandeur a donc l'intérêt requis pour intenter la pré- sente action.
Voici la suite de l'extrait de l'ouvrage de Planiol et Ripert [Traité pratique de droit civil français, aux pages 417 et 418] qu'a mentionné ce jugement:
La distinction peut être délicate, car il s'agit de retrouver l'intention véritable des parties sous des termes qui la tradui- sent peut-être faussement et de ne pas la dénaturer. Les juges du fait, dont l'appréciation est souveraine, tiendront compte des stipulations diverses contenues dans l'acte: ainsi la fixation d'un prix ou tout au moins l'extinction de la dette du cédant permettent de différencier une cession véritable ou une dation en paiement d'un simple nantissement. [Notes en bas de page omises.]
Bien qu'il ait été également fait mention de quelques causes de common law, il existe des différences dans le droit des cessions. En l'espèce, je préfère m'appuyer sur la jurisprudence prove- nant de la province de Québec.
Toutefois, mes points de vue se trouvent quelque peu étayés par l'affaire O'Dwyer v. Banks rendue par la Division d'appel de la Cour suprême de l'Alberta 3 , le jugement dit ceci à la page 208:
[TRADUCTION] Si la situation était demeurée telle qu'elle était au moment de l'introduction de la demande, je suis certain qu'une jurisprudence abondante tend à substituer le cession- naire comme demandeur, et que c'est ce qu'il fallait faire. Mais à l'audition de la demande en chambre, il est apparu que depuis le commencement de l'action, la banque avait annulé la cession faite par le demandeur en sa faveur et lui avait rétrocédé toutes sommes d'argent payables en vertu du contrat avec le défen- deur, ainsi que toutes les autres choses mentionnées dans la cession. De plus, la banque affirme que c'est en sa connaissance et avec son consentement que le demandeur a intenté l'action, et elle ratifie et confirme toutes choses faites par le demandeur ou que celui-ci a fait faire par quelqu'un d'autre dans les présentes procédures. Elle consent, sous conditions, à être cons- tituée partie à titre de demanderesse si cela est nécessaire pour la poursuite des procédures.
À mon sens, la substitution du cessionnaire comme deman- deur ne saurait servir à aucune fin utile. Dans l'état actuel des choses, l'objet de l'action appartient exclusivement au deman- deur. Le cessionnaire s'est départi de tout droit qu'il possédait dans les procédures ou sur toute somme d'argent qui peut devenir exigible en vertu du contrat avec le défendeur. Bien entendu, le cessionnaire aurait être cité comme demandeur
3 [1953] 2 D.L.R. 204 (C.S. Alb. Div. d'appel).
lors de l'introduction de l'action, mais la validité d'une action n'est pas affectée à cause d'une fausse constitution de partie ou de l'omission de mettre en cause une partie, et lorsqu'il appert que le cessionnaire n'a plus aucun intérêt dans l'affaire, la Cour peut très bien le dispenser d'être présent: voir Taylor v. Équita- ble F. & M. Ins. Co., 13 A.L.R. 58, et Wm Brandt's Sons & Co. v. Dunlop Rubber Co., [1905] A.C. 454. Le demandeur aura le droit de continuer l'action, et si avis lui est donné en ce sens, il peut modifier la déclaration en plaidant la rétrocession.
Bien qu'il soit vrai qu'en l'espèce, la banque n'a pas formellement rétrocédé la créance à la deman- deresse, il ressort manifestement du témoignage de la directrice que la banque ne s'oppose nullement à ce que la demanderesse continue l'action, ce qui fait que le paragraphe (1) de notre Règle 1716 s'applique.
Pour protéger la défenderesse contre tout risque de double paiement, j'ordonnerai toutefois que tout chèque de règlement tiré en exécution du jugement rendu dans les présentes procédures pourra être libellé conjointement au nom de la demanderesse et à celui de la banque, et qu'un tel chèque consti- tue un paiement entièrement libératoire des sommes réclamées.
J'ajouterai que du point de vue pratique, il est impensable qu'à ce stade avancé des procédures, l'action puisse être rejetée pour un motif auquel, au stade initial, on aurait pu facilement remédier. Le seul résultat que la défenderesse pourrait obte- nir par suite du rejet de l'action de la demande- resse pour défaut de qualité pour agir se rapporte- rait aux dépens. Ce serait une perte de temps pour les parties et la Cour et un gaspillage des frais engagés pour l'instruction de cette action que d'obliger La Banque Royale du Canada à recom- mencer les mêmes procédures exigeant la répéti- tion de la même preuve.
La défenderesse a soulevé un deuxième moyen de droit relatif au fardeau de la preuve. Selon les factures en question que la demanderesse a produi- tes et certifiées exactes et justes, la demanderesse a fourni au navire de la défenderesse peut-être jus- qu'à 600 articles différents. Au cours d'une longue procédure de communication de pièces et à la suite de demandes de production de documents, la demanderesse a pu produire des factures justifica- tives provenant de ses fournisseurs seulement pour environ 125 d'entre eux, et quelques-unes de ces factures sont suspectes. La tenue des registres comptables de la demanderesse n'était pas bonne à
l'époque, et son expert comptable a été congédié vers le mois de janvier 1981, parce qu'il était en retard de six mois dans son travail. Selon le témoi- gnage du président de la demanderesse, Simon Tounissidis, les autres dirigeants de la société sont son frère et leur femme. Bien que la société fonc- tionne depuis quelques années, il s'agit d'une société relativement petite. Craig Bishop, directeur de la Canadian Ship Suppliers Association dépose qu'il existe à Montréal neuf membres de l'associa- tion sur 15 ou 20 approvisionneurs de navires. Certaines conditions relatives aux camions de livraison, aux stocks et ainsi de suite doivent être remplies pour être admissible. Autant qu'il sache, la demanderesse n'a jamais cherché à en être membre.
La demanderesse étant un petit approvisionneur, selon la déposition de M. Tounissidis, elle ne pou- vait maintenir un très grand stock de fournitures, et pour se procurer les marchandises commandées pour un navire, souvent à très bref délai, devait s'adresser à des grossistes, distributeurs, ou même à des détaillants. Souvent, un article insignifiant peut exiger un grand nombre d'appels téléphoni- ques pour savoir qui l'a en stock, et ensuite un voyage pour aller le chercher. Les prix peuvent varier grandement selon la qualité de l'article. Quelques petits articles tels des raccords de tuyau- terie, des boulons et ainsi de suite peuvent être achetés en quantité et conservés en stock pendant plusieurs années avant que quelques-uns d'entre eux ne soient utilisés pour exécuter une commande pour le navire en question. Les factures pour l'achat initial n'étaient pas conservées, ni étaient- elles conservées pour des provisions achetées dans un magasin de détail par exemple. À moins qu'un approvisionneur de navires ne dispose d'un système de classement extraordinairement efficace et con serve des milliers de factures, il est impensable qu'il puisse produire ou qu'on s'attende à ce qu'il produise une facture indiquant le prix qu'il a payé pour un article précis fourni à un navire. C'est à la lumière de ces renseignements que la nature de la preuve produite par la demanderesse doit être appréciée.
La défenderesse fait valoir que lorsqu'il y a des doutes sur le compte d'un défendeur, il doit être à même de justifier chaque article s'y trouvant, s'ap- puyant à cet égard sur l'ancienne affaire britanni-
que James v. Radnor County Council 4 . Il s'agis- sait d'une action intentée par un haut représentant de la Couronne contre le conseil de comté pour recouvrer ses frais à titre de président d'élection. Le conseil a contesté ces frais, prétendant qu'ils étaient déraisonnables et excessifs. Le demandeur a sommé le défendeur de donner les détails des frais contestés. Le défendeur s'était opposé à tous les frais au motif qu'ils étaient déraisonnables, et la Cour a jugé qu'ordonner à un défendeur de donner les détails des articles qu'il a contestés était sans précédent, puisqu'il avait le droit de contester tous les articles et de s'attendre à ce que le deman- deur en fasse la preuve.
La défenderesse cite un certain nombre de causes dont la plupart portent toutefois sur l'alté- ration ou la destruction de documents et fait valoir qu'en l'espèce la présomption doit être contre celui qui a détruit les éléments de preuve qui auraient pu confirmer ses moyens de défense. Compte tenu des faits de l'espèce, c'est néanmoins aller trop loin que de suggérer que les factures d'achat de la demanderesse aient délibérément été détruites, ou qu'elle ne peut sérieusement réclamer le paiement des sommes en litige à moins de pouvoir justifier le prix qu'elle a demandé à la défenderesse pour tout article par la production de sa facture d'achat.
Les articles 1203 et 1204 du Code civil de la province de Québec sont ainsi rédigés:
Art. 1203. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui en oppose la nullité ou l'extinction doit justifier les faits sur lesquels est fondée sa contestation; sauf les règles spéciales établies au présent chapitre.
Art. 1204. La preuve offerte doit être la meilleure dont le cas, par sa nature, soit susceptible.
Une preuve secondaire ou inférieure ne peut être reçue, à moins qu'au préalable il n'apparaisse que la preuve originaire ou la meilleure ne peut être fournie.
Bien qu'il incombe, comme toujours, à la demanderesse de prouver le bien-fondé de sa récla- mation, je ne considère pas que cela exige que pour chaque article pour lequel la facture est envoyée à la défenderesse, la demanderesse doive établir quel était son prix d'acquisition et le justifier par une facture, lorsque beaucoup de ces factures ne peu- vent être produites.
4 (1890), 6 T.L.R. 240 (Q.B.D.).
Inversement, la défenderesse a choisi d'évaluer elle-même le prix de chaque article que la deman- deresse aurait demander, et de réduire la créance en conséquence pour ne payer que cette somme. À l'appui de cela, elle produit des estima tions faites par deux approvisionneurs de navires américains, l'un à La Nouvelle-Orléans, l'autre à New York, pour les prix de listes aux États-Unis en matière de commandes relatives aux machines. Ce n'est pas la meilleure preuve relative au prix que chaque article aurait coûter au Canada, loin de là, puisque même si l'on tient compte des différences de taux de change, ces articles coûtent normalement moins cher aux États-Unis le volume des ventes est plus grand. La défenderesse cite un témoin très impartial, Craig Bishop (déjà mentionné), secrétaire-trésorier de Clipper Ship Supplies Ltd., un autre approvisionneur de navires établi à Montréal, qui a déposé en termes géné- raux sur les prix figurant sur la facture de la demanderesse. La défenderesse a estimé que si on lui avait accordé le temps nécessaire pour le faire, ce témoin aurait pu donner, article par article, un examen détaillé des factures de la demanderesse et établir le prix approprié de cet article à l'époque en question. A part la difficulté dans l'établissement de ce qui est un prix approprié, ainsi que M. Bishop lui-même l'a reconnu, il n'est pas souhaita- ble que ce témoignage soit celui d'un concurrent de la demanderesse, même s'il est également, comme il a été exposé, directeur de la Canadian Ship Suppliers Association et ancien directeur de l'As- sociation internationale des approvisionneurs de navires, et qu'il semble être un témoin très sincère.
En tout cas, au stade initial des procédures, la Cour a refusé d'entendre le témoignage tendant à fixer le prix approprié pour chacun des articles en cause, qui totalisent plus de 600, exposant que si l'on arrivait finalement à la conclusion qu'il est nécessaire ou possible de le faire, on pourrait procéder par référence.
Après avoir entendu les témoignages quant à la difficulté de fixer un prix approprié pour un article donné puisque la marge commerciale dépend de la nature de l'article, de la difficulté de se le procu rer, qu'il soit acheté au prix de gros de sorte que l'approvisionneur bénéficie d'une remise impor- tante, ou acheté dans un magasin au prix de détail ordinaire, de la qualité de l'article, des quantités
en cause et d'autres facteurs, j'arrive à la conclu sion que même une référence ne pourrait donner un résultat entièrement satisfaisant, ferait simple- ment perdre à l'arbitre ou à la Cour beaucoup de temps, entraînerait d'énormes dépenses pour toutes les parties et qu'au demeurant, elle n'est pas tout à fait justifiée étant donné le montant en litige. Par conséquent, la question ne peut être tranchée qu'en procédant par généralisation, sur la base du témoi- gnage donné sur certains articles servant d'exem- ples, ainsi que de celui de M. Tounissidis, du capitaine Charitos et particulièrement de M. Bishop sur la pratique du commerce et les marges commerciales appropriées. Cette Cour est un tri bunal d'equity ( voir l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]), et étant donné l'impossibilité d'obtenir des chiffres pleinement exacts, le litige doit être tranché de façon quelque peu sommaire, sur la base de l'equity. Le litige ne sera pas réglé en fonction du fardeau de la preuve, mais plutôt en fonction de la prépondérance des probabilités. Le paragraphe 1233(1) du Code civil de la province de Québec prévoit que la preuve testimoniale peut être faite de tout fait relatif à des matières commerciales. En l'espèce, on doit s'appuyer en grande partie sur cette preuve. La défenderesse souligne à juste titre qu'un contrat de ce genre n'est pas le même qu'un contrat ordinaire de vente, puisqu'il n'existe pas d'accord antérieur sur le prix, qui doit néanmoins être raisonnable et être fixé sur une base quantum meruit. Il ne suffit donc pas à un demandeur de dire [TRADUCTION] «Voici ma facture et je jure que tous les prix qui s'y trouvent sont appropriés et raisonnables.» Il ne convient pas non plus toutefois pour un défendeur d'établir sa propre liste de prix fondée en partie sur des renseignements obtenus de certains fournisseurs américains, sans aucune preuve quant aux prix au Canada, et de dire [TRADUCTION] «Voici le bon prix, et c'est tout ce que je suis disposé à payer.» La défenderesse fait valoir qu'étant donné que le fardeau incombe à la demanderesse, elle n'était pas tenue d'établir elle- même les prix appropriés, mais pour réfuter la preuve de la demanderesse, il lui était nécessaire, comme cela a effectivement été fait, de produire, dans une certaine mesure et dans les limites autori- sées par la Cour, la preuve relative à certains articles particuliers utilisés à titre d'exemple.
J'aborde maintenant la preuve forcément insa- tisfaisante et incomplète qui a été produite devant la Cour quant au prix et, bien qu'on puisse dire qu'il n'est ni illégal ni inapproprié pour une entre- prise commerciale d'imposer des prix exorbitants ou de faire des profits excessifs, mais si telle est sa pratique, elle sera éliminée par la concurrence. Cependant, lorsqu'il n'existe pas d'accord anté- rieur quant au prix, cet accord étant impossible lorsqu'il y a cette grande variété d'articles à se procurer et à fournir au navire lors de son arrivée, le contrat comporte au moins implicitement cette condition que les prix demandés doivent être justes et concurrentiels par rapport à ceux imposés par d'autres approvisionneurs de navires ou semblables à ceux qu'il demande à d'autres clients. De fait, la demanderesse publie une liste de prix pour les articles d'épicerie, et elle a produit cette liste pour les mois d'octobre et de novembre 1980, préten- dant que la défenderesse en était en possession, mais M. Charitos nie l'avoir reçue. En tout état de cause, ce ne sont pas ces articles qui constituent le litige principal; la demanderesse réclame 21 751,24 $ pour ces articles, somme que la défen- deresse réduit à 17 585,54 $ moins 5 %, soit 16 706,26 $. La demanderesse a facturé les fourni- tures de cabine à 5 716,62 $, somme que la défen- deresse a réduite à 3 609,80 $, soit 3 429,31 $ après la réduction de 5 %. Pour les approvisionne- ments de pont, la somme facturée est de 11 838,59 $ que la défenderesse réduit à 9 997,56 $, soit 9 534,74 $ après l'abattement de 5 %. C'est sur les approvisionnements machines qu'il y a le plus grand désaccord. Le prix facturé par la demanderesse est de 32 084,71 $, somme que la défenderesse a réduite à 9 057,87 $, soit 8 604,97 $ après application de la remise de 5 %. Il est à noter que le total auquel arrive la défende- resse ne correspond pas à la somme de 46 784,83 $ qu'elle a payée et qui, selon elle, est la somme totale due après la remise de propriétaire de 5 %. Toutefois, tous ces montants provenaient de chif- fres ronds inscrits par la défenderesse sur une copie des factures de la demanderesse et peuvent avoir été majorés légèrement lorsqu'il s'est agi de faire ledit versement. En commandant les fourni- tures par la lettre du 10 octobre 1980, le capitaine Charitos a dit ceci:
[TRADUCTION] Nous nous attendons à ce que vos prix soient très concurrentiels et que la qualité de tous les articles soit de première catégorie.
Cette remarque selon laquelle le prix serait con- currentiel forme une partie du contrat. Si, d'une part, la demanderesse, dans un contrat de ce genre, doit demander des prix compétitifs, d'autre part, la défenderesse ne saurait déterminer d'une manière peu convaincante ce qu'elle devrait payer et limiter son paiement à cette somme. Quoiqu'il existe bien des erreurs dans les chiffres et que certains prix donnés par la demanderesse sont tout à fait inac- ceptables, les chiffres de la défenderesse ne sont pas non plus exempts d'erreur, et, en fait, au moins une erreur a été admise relativement au prix fixé par la défenderesse pour les gîtes à la noix au Canada. Ce fait et d'autres considérations concer- nant les différences entre les prix canadiens et américains ont amené la défenderesse au moins à offrir un supplément de 4 800 $, offre que la demanderesse n'a pas acceptée. Il est intéressant de noter que la défenderesse, même si elle n'en était pas satisfaite, avait au moins accepté sans les contester les factures de la demanderesse à deux occasions antérieures, et, en fait, elle avait com- mencé à se fournir chez la demanderesse parce qu'elle trouvait les prix de celle-ci meilleurs que ceux des concurrents montréalais de la demande- resse dont, entre autres, Clipper Ship Supplies Ltd. Cela n'établit toutefois pas que les prix de la demanderesse étaient bons en ce qui concerne les fournitures en cause car, comme il a été souligné à l'audition, un approvisionneur de navires, comme, d'ailleurs, toute personne engagée dans une entre- prise dans un marché concurrentiel, peut deman- der de bas prix pour attirer un nouveau client, et, une fois les - relations établies, pour compenser, demander des prix excessifs à une occasion ultérieure.
[Note de l'arrêtiste: Un certain nombre de pages du jugement ci-inclus ont été omises. Dans ces pages, le juge a examiné les témoignages et fait des remarques sur la crédibilité des témoins. Il s'est par la suite attaqué au problème de déterminer un chiffre de base approprié à partir duquel les profits d'un approvisionneur de navires pourraient être calculés, et il a souligné la similitude entre cette entreprise et les contrats en régie intéressée dans l'industrie de la construction: on n'encourage pas, à l'exception du désir de rester concurrentiel, à obtenir des fournisseurs les plus bas prix si le profit doit s'appliquer à tout ce qu'on paye. Puisque les chiffres parfaitement exacts n'ont pu être obtenus, il a été nécessaire de parler en termes généraux.]
Appréciant de mon mieux l'ensemble de la preuve, j'estime qu'il y a lieu de rendre un juge- ment adjugeant à la demanderesse la somme de 12 000 $.
Il reste à trancher seulement la question de l'intérêt. Dans son action, la demanderesse réclame un intérêt de 18 % sur la valeur facturée de 74 987,60 $, et ce à partir de la date de livrai- son jusqu'en janvier 1981, date du versement de 46 846,32 $, et sur le solde à partir de cette date jusqu'à la date de l'engagement de ces procédures, soit le 6 juillet 1981, l'intérêt total calculé s'élevant à 6 076,50 $. Les factures de la demanderesse ne contiennent aucune disposition spéciale relative à l'intérêt, et il y est indiqué que les ventes s'effec- tuent au comptant. Il ressort toutefois de la preuve que les paiements sont parfois retardés d'environ trois mois, et que la demanderesse aurait été satis- faite si la défenderesse avait payé en entier le montant de sa facture en janvier, date à laquelle elle a effectué le versement partiel sans intérêt. À l'audition, l'avocat de la demanderesse a fait savoir que celle-ci serait satisfaite si l'intérêt sur la somme adjugée courait à partir de la date de ce paiement initial. On y a également dit que les parties reconnaissaient qu'à cette époque, le taux préférentiel en 1981 était de 19 %, et en 1982, de 15 %. Dans l'avis de cession donné par la banque à la défenderesse en avril 1981, on a réclamé six mois d'intérêt au taux de 21 %, soit la somme de 3 303,47 $. Si le paiement à la demanderesse avait été effectué en entier, y compris la somme mainte- nant adjugée par le jugement, en décembre 1980, date du versement partiel, il aurait été déposé par la demanderesse pour réduire ses dettes envers la banque par suite de la mobilisation générale de ses comptes clients, ce qui aurait réduit proportionnel- lement tout intérêt que la demanderesse aurait verser à la banque à partir de cette date. Il existe des arguments solides en equity en faveur du paiement d'un intérêt supérieur au taux de 5 % prévu par la Loi sur l'intérêt', taux peu réaliste compte tenu des conditions actuelles. Le même argument s'appliquerait toutefois à toute action relative à un compte non réglé. Il a été fait men tion du principe établi en matière d'amirauté dans l'affaire La cie de téléphone Bell c. Le «Mar- Tirenno» et autres 6 , principe qui a été appliqué
5 S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 3.
6 [1974] 1 C.F. 294 (1r° inst.).
dans des jugements ultérieurs de cette Cour. Dans cette affaire, le juge Addy dit ceci à la page 311:
Il est certain que cette cour, en sa juridiction d'amirauté, a compétence pour allouer des intérêts à titre de partie intégrante des dommages-intérêts auxquels la demanderesse peut par ail- leurs avoir droit, que ce soit ex contracta ou ex delicto.
Bien que l'expression «ex contracta» soit employée, ce passage mentionne également «à titre de partie intégrante des dommages-intérêts». L'action se rapportait à des dégâts causés par un navire à un câble téléphonique. A la page 312, il est dit dans le jugement:
Dans les affaires de ce genre, on n'accorde pas les intérêts au demandeur à titre de pénalité contre le défendeur, mais simple- ment comme partie intégrante de l'indemnisation du dommage initial subi par la partie lésée et imputable au défendeur: ceci constitue une application totale du principe restitutio in integrum.
L'intérêt au taux préférentiel bancaire a été accordé à titre de partie des dommages-intérêts. Bien que la Cour fédérale ait compétence en l'es- pèce, car la question relève de l'amirauté, il s'agit d'une action en recouvrement d'un compte et non en dommages-intérêts, et le défaut de payer le plein montant d'un compte ne saurait être assimilé à des dommages-intérêts ni constituer un délit civil donnant lieu au paiement, en réparation du dom- mage subi, d'un intérêt au taux commercial à partir de la date à laquelle des dépenses ont été engagées. Je ne pense pas que cette jurisprudence puisse s'étendre si loin en violation de la Loi sur l'intérêt et en l'absence d'un accord entre les par ties quant à l'intérêt payable sur les factures non réglées.
Toutefois en l'espèce, la somme de 35 000 $, payable au receveur général du Canada, a été consignée à la Cour le 9 juillet 1981 à titre de garantie d'exécution du jugement. Ce n'est pas une exagération que de dire que cette somme appar- tiendra à la demanderesse, jusqu'à concurrence du montant du jugement, avec un intérêt couru sur ce montant et rapporté par ladite somme à compter de son dépôt.
Il ressort de la preuve documentaire que bien que les plaidoiries mentionnent que le versement initial a été effectué en janvier 1981, une traite bancaire de 46 846,32 $ a été envoyée par télex à la demanderesse en décembre, et un chèque de paiement a été tiré en sa faveur le 18 décembre 1980.
La demanderesse a droit à un intérêt sur la somme de 12 000 $ courant du 18 décembre 1980 au 9 juillet 1981, et à tout intérêt couru sur cette somme de 12 000 $ déposée comme garantie entre cette date et la date de paiement.
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