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T-1058-83
Aviation Portneuf Ltée (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh— Québec, 8 mars; Ottawa, 19 mars 1984.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Requête en radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, présentée en vertu de la Règle 419(1)a) La demanderesse réclame des dommages-intérêts pour la suspension de son service aérien commercial à la suite du refus de la Commission canadienne des transports de suspendre la décision d'annuler son permis en attendant le résultat de l'appel interjeté devant le Ministre La Commis sion se range dans la sixième catégorie d'organismes énoncée dans la décision Westlake et al. v. The Queen in Right of The Province of Ontario (1971), 21 D.L.R. (3d) 129 (H.C. Ont.), c'est-à-dire qu'elle constitue un organisme non doté de la personnalité, morale qui, en vertu de la loi qui le crée ou par déduction nécessaire, ne peut faire l'objet d'une action en dommages-intérêts En vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, aucune action ne peut être intentée contre la Couronne si la Commission ne peut être poursuivie Requête accueillie Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)a).
Pratique Parties La demanderesse réclame des dom- mages-intérêts à la Couronne pour la suspension de ses opéra- tions à la suite du refus de la Commission canadienne des transports de suspendre la décision d'annuler son permis de transporteur aérien fournissant un service aérien commercial Selon la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Administra tion du pipe-line du Nord c. Perehinec, [19831 2 R.C.S. 513, le critère pour déterminer si un organisme est un mandataire de la Couronne est celui du degré de contrôle exercé par le gouverneur en conseil ou un ministre sur l'organisme en ques tion Preuve établissant que la Commission est un manda- taire de la Couronne Couronne poursuivie à juste titre en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne La Commission se range dans la catégorie énoncée dans la déci- sion Westlake et al. v. The Queen in Right of The Province of Ontario (1971), 21 D.L.R. (3d) 129 (H.C. Ont.) étant donné qu'elle est un organisme non doté de la personnalité morale qui, en vertu de la loi qui le crée ou par déduction nécessaire, ne peut faire l'objet d'une action en dommages-intérêts mais dont les actes peuvent être examinés par voie de recours extraordinaires en vertu des art. 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale En vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, aucune action ne peut être intentée contre la Cou- ronne parce que la Commission ne peut être poursuivie Radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18, 28.
Couronne La demanderesse cherche à obtenir des dom- mages-intérêts pour la suspension de son service aérien com mercial à la suite du refus de la Commission canadienne des transports de suspendre la décision d'annuler son permis pen dant l'appel interjeté de cette décision La demanderesse
soutient que cette décision était illégale, erronée, discrimina- toire et constituait un emploi abusif d'un pouvoir discrétion- naire de caractère administratif La Commission a examiné â deux reprises la demande de suspension La déclaration ne démontre pas qu'il y a eu mauvaise foi L'octroi d'une suspension constitue une décision de nature discrétionnaire En l'absence de dispositions claires â cet effet, l'observation des exigences des art. 83 et 84 des Règles générales de la Commission canadienne des transports régissant les demandes concurrentes de suspension et les appels ne rend pas obliga- toire l'octroi d'une suspension Le refus d'octroyer une suspension ne constitue pas une faute même s'il a causé des dommages et que l'appel a finalement été accueilli Radia tion de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, art. 6(1),(2), 7, 10, 14, 24, 25 Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, art. 16(1),(2) Règles générales de la Commission canadienne des transports, C.R.C., chap. 1142, art. 83, 84.
La défenderesse demande, sur le fondement de la Règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale, la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. La Commission canadienne des transports a annulé le permis autorisant la demanderesse à fournir un service aérien commercial. La demanderesse a signifié un avis d'appel au Ministre en même temps qu'elle a présenté une demande de suspension de la décision de la Commission. L'article 83 des Règles générales de la Commission canadienne des transports prévoit qu'un appelant peut, ex parte, demander la suspension de la décision de la Commission en attendant le résultat de l'appel. L'article 84 dispose que la Commission ne doit pas rendre une telle ordonnance à moins que l'appelant dépose un engagement par lequel il met toutes les autres parties en cause à couvert des dommages pouvant découler du prononcé d'une telle ordonnance. La demanderesse a déposé un engagement de ce genre avec sa demande. Cette demande a été rejetée à deux reprises et la demanderesse a été obligée de cesser ses activités pendant un an ce qui lui a causé des pertes s'élevant à 179 500 $. La demanderesse soutient que la défenderesse n'avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser la suspension une fois que les conditions prévues aux articles 83 et 84 avaient été remplies et que, de toute façon, même si elle avait le pouvoir discrétionnaire de refuser, elle ne devait pas le faire sans donner de motifs. Elle allègue que ce pouvoir discrétionnaire de carac- tère administratif a été employé de manière abusive parce que (1) le Comité n'a pas tenu compte du préjudice qui pourrait être causé à la demanderesse; (2) la Commission a refusé de tenir compte de l'engagement déposé par la demanderesse afin de protéger les autres parties contre les dommages pouvant résulter de la suspension; et (3) elle a omis de tenir compte du poids des inconvénients réciproques, contrairement à l'esprit du libellé de l'article 84. L'appel a finalement été accueilli et la demanderesse réclame des dommages-intérêts à la suite du refus de suspendre la décision.
La défenderesse soutient que la Commission n'est pas un préposé de la Couronne et qu'il n'est pas possible d'invoquer l'application de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, qui sert de fondement à la réclamation de la demanderesse, de manière à permettre qu'une action soit intentée contre la Couronne pour les dommages prétendument causés par la faute de la Commission. S'il est possible de poursuivre la Couronne, il
faut alors se demander s'il y a eu commission d'une faute susceptible de poursuites. Finalement, la défenderesse soutient que la Commission ne peut être poursuivie en dommages-inté- rêts et que, par conséquent, aucune action ne peut être intentée contre la Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne.
Jugement: la requête en radiation de la déclàration est accueillie. Selon la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Administration du pipe-line du Nord c. Perehinec, [1983] 2 R.C.S. 513, le critère pour déterminer si une entité légale est un mandataire de la Couronne est celui du degré de contrôle exercé par la Couronne sur cette entité par l'intermédiaire de ses ministres. Bien que la Commission possède des pouvoirs très étendus en matière d'enquête, de contrôle et de délivrance de permis, elle remplit en réalité ces fonctions à titre de manda- taire de la Couronne, agissant au nom du Ministre auquel elle doit présenter des rapports. Elle ne possède pas de fonds distincts, ses dépenses étant payées à même les crédits affectés à cette fin par le Parlement. Les présentes procédures ont donc été intentées à juste titre contre la Couronne devant cette Cour. En ce qui concerne la question de la faute susceptible de poursuites, la Commission a examiné la demande de suspension à deux reprises. La décision d'octroyer une suspension des procédures est toujours discrétionnaire. Rien dans la déclara- tion n'indique qu'il y a eu mauvaise foi. Les Règles ne rendent pas obligatoire l'octroi de la suspension des procédures lors- qu'un engagement est déposé comme l'exige l'article 84. Si l'intention des Règles avait été de supprimer le pouvoir discré- tionnaire d'octroyer la suspension, elles l'auraient indiqué de façon affirmative. Lorsqu'il existe un pouvoir discrétionnaire de refuser une suspension, cela ne constitue pas une faute de le faire même si l'appel du demandeur est finalement accueilli. En ce qui concerne la question de savoir si la Commission peut être poursuivie en dommages-intérêts, la Commission se range dans la catégorie énoncée par le juge Houlden dans l'arrêt Westlake et al. v. The Queen in Right of The Province of Ontario (1971), 21 D.L.R. (3d) 129 (H.C. Ont.), c'est-à-dire qu'elle constitue un organisme non doté de la personnalité morale qui, en vertu de la loi qui le crée ou par déduction nécessaire, ne peut faire l'objet d'une action en dommages-intérêts, mais qui est une entité légale en ce que ses actes peuvent être examinés par voie de certiorari, de mandamus et de prohibition. Étant donné que la Commission ne peut être poursuivie en dommages-intérêts, aucune action ne peut être intentée contre la Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, même si la Commission est un mandataire de celle-ci.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Administration du pipe-line du Nord c. Perehinec, [1983] 2 R.C.S. 513; Westlake et al. v. The Queen in Right of The Province of Ontario (1971), 21 D.L.R. (3d) 129 (H.C. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
The City of Halifax v. Halifax Harbour Commissioners, [1935] R.C.S. 215; British Columbia Power Corporation Limited v. Attorney -General of British Columbia, et al. (1962), 38 W.W.R. 657 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Westeel-Rosco Limited c. Board of Governors of South Saskatchewan Hospital Centre, [1977] 2 R.C.S. 238; Union Packing Company Limited v. His Majesty The King, [1946] R.C.E. 49; Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy, et al., [1927] A.C. 899 (P.C.); Hollin- ger Bus Lines Limited v. Ontario Labour Relations Board, [1952] O.R. 366 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Jean Fortin pour la demanderesse. Jean-Marc Aubry pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Brochet, Fortin & Associés, Québec, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La défenderesse demande, sur le fondement de la Règle 419(1)a) de la Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], la radiation de la déclaration de la demanderesse au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonna- ble d'action. La déclaration porte que la demande- resse est un transporteur aérien détenant le permis numéro 3055/79 (C), délivré par le Comité des transports aériens de la Commission canadienne des transports, dans une décision datée du 5 octo- bre 1979 et portant le numéro 5966. Le 6 mars 1981, le Comité a ordonné, dans une décision portant le numéro 6376, que la décision numéro 5966 et l'ordonnance numéro 1980-A-56 soient rescindées et que le permis de la demanderesse portant le numéro 3055/79 (C) soit annulé. Le même jour, il a rendu l'ordonnance numéro 1981-A-114 confirmant la rescision de sa décision et de son ordonnance antérieures et annulant le permis.
Le 2 avril 1981, la demanderesse a signifié un avis d'appel de la décision 6376 au ministre des Transports et une copie de cet avis au secrétaire du Comité des transports aériens. Le même jour, la demanderesse a envoyé audit Comité une demande
visant à faire suspendre la décision 6376 et l'or- donnance 1981-A-114, conformément aux articles 83 et 84 des Règles' établies en vertu de la Loi nationale sur les transports [S.R.C. 1970, chap. N-17].
Lesdites Règles 83 et 84 portent:
83. En même temps qu'il porte appel, l'appelant peut, ex parte, demander à la Commission de rendre une ordonnance suspendant la décision, la règle ou l'ordonnance de la Commis sion en attendant le résultat de l'appel.
84. La Commission ne rendra pas l'ordonnance suspendant la décision, la règle ou l'ordonnance de la Commission en atten dant le résultat de l'appel, à moins que l'appelant ne dépose auprès du secrétaire un engagement, sous scellé, par lequel il met toutes les autres parties en cause à couvert des dommages pouvant découler de la mise en application d'une telle ordonnance.
Conformément à l'article 84 des Règles, la demanderesse a joint à sa demande un engage ment, sous scellé, par lequel elle a mis toutes les autres parties en cause à couvert des dommages pouvant découler de la mise en application d'une telle ordonnance.
Le 30 avril 1981, la demanderesse a transmis une déclaration au ministre des Transports relati- vement à son avis d'appel et une copie de celle-ci au secrétaire du Comité des transports aériens. Le ler mai 1981, le Comité des transports aériens, dans une ordonnance portant le numéro 1981-A 225, a rejeté la demande de suspension de sa décision 6376 et de son ordonnance 1981-A-114 au motif qu'il la considérait injustifiée. Le 6 mai 1981, la demanderesse a demandé dans un télé- gramme adressé au Comité des transports aériens qu'il reconsidère sa décision du 1 ° ` mai 1981 et qu'il accorde la suspension de ladite décision et de ladite ordonnance pour les motifs exposés dans le télégramme. Dans une décision datée du 15 mai 1981, l'ordonnance 1981-A-283, le Comité des transports aériens a accepté de reconsidérer sa décision mais a refusé d'accorder à la demande- resse la suspension de la décision numéro 6376 et de l'ordonnance 1981-A-114 au motif que les avis et les points supplémentaires soumis ne justifiaient pas une suspension. La demanderesse prétend que cette dernière décision était injuste et illégale et l'a placée dans une situation financière intenable.
' Règles générales de la Commission canadienne des trans- ports—Loi nationale sur les transports—C.R.C., chap. 1142.
Le 22 mai 1981, la demanderesse a interjeté appel de la décision rendue le 15 mai au Comité de révision de la Commission canadienne des trans ports. Dans un télégramme daté du 28 juillet 1981, le Comité de révision a rejeté à son tour la demande visant la suspension de la décision numéro 6376 annulant le permis de la demande- resse. En raison de ce refus, la demanderesse a interrompre toutes ses activités pour la saison 1981 et ce, malgré l'appel pendant devant le ministre des Transports. La demanderesse soutient que cette décision était illégale, abusive, erronée et discriminatoire étant donné que, en vertu des arti cles 83 et 84 des Règles, la défenderesse n'avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser la suspen sion une fois que les conditions qui y sont indiquées avaient été remplies et que, de toute façon, même si elle avait le pouvoir discrétionnaire de refuser, elle ne devait pas le faire sans donner de motifs.
Elle allègue que le pouvoir discrétionnaire de caractère administratif conféré par les Règles a été employé de manière abusive parce que le Comité n'a pas tenu compte du préjudice que pourrait entraîner pour la demanderesse le refus de la suspension de la décision en attendant le résultat de l'appel interjeté devant le ministre des Trans ports, ni du fait que la demanderesse avait déposé un engagement destiné à protéger les autres par ties contre les dommages pouvant découler de la suspension, et finalement, parce qu'il a omis de tenir compte du poids des inconvénients récipro- ques, contrairement à l'esprit du libellé de l'article 84 des Règles.
Environ un an plus tard, le 29 avril 1982, le ministre des Transports a accueilli l'appel de la demanderesse et ordonné que la décision numéro 6376 et l'ordonnance 1981-A-114 soient annulées et que la décision initiale, numéro 5966, et l'ordon- nance 1980-A-56 soient exécutées de manière que la demanderesse soit de nouveau autorisée à four- nir un service aérien commercial (classe 4) avec des avions déterminés, à partir d'une base située à St-Raymond (Lac Sept-Iles), comté Portneuf (Québec).
À la suite de cette décision, la demanderesse a recommencé à fournir ses services, mais l'interrup- tion de ceux-ci pendant une année lui a causé les dommages suivants:
[TRADUCTION] Perte de revenus provenant de la
chasse au caribou 10 000 $
Perte de revenus provenant de la pêche 10 000 $
Perte de revenus provenant de la chasse à l'ori-
gnal 5 000 $
Dépenses engagées pour protéger et entretenir les biens de la compagnie, notamment pour payer les intérêts sur les montants dus, les loyers, l'assu-
rance des avions et diverses autres dépenses 10 000 $
Amortissement d'un Cessna 185 4 500 $
Perte sur la disposition d'un bien (Cessna 172
C-GVQA) 30 000 $
Perte sur la disposition de l'immeuble et frais
supplémentaires de location 10 000 $
Perte de la clientèle résultant de la concurrence de l'entreprise de Roger Forgue à laquelle elle ne pouvait s'opposer, et qui a profité de la délivrance de 40 permis de chasse au caribou ce qui repré-
sente un profit de 15 000 $ capitalisé à 15 % 100 000 $
TOTAL 179 500 $
La demanderesse conclut dans sa déclaration que la défenderesse est responsable de ces domma- ges en raison de son refus de suspendre ladite décision et l'ordonnance rendue en vertu de celle-ci pendant l'appel interjeté devant le ministre des Transports.
On pourrait tout d'abord dire qu'il ne fait aucun doute que la demanderesse a subi des dommages importants en ayant été contrainte d'interrompre pendant un an son service aérien, même si, par la suite, elle a eu gain de cause dans l'appel interjeté devant le ministre des Transports. Compte tenu du fait que son appel a été finalement accueilli, on peut affirmer après coup qu'il est certainement malheureux qu'on ne lui ait pas permis de se soustraire à ces dommages en l'autorisant à conti- nuer d'exploiter son service aérien par une suspen sion de l'ordonnance en attendant le résultat de l'appel. Toutefois, le fait que des dommages aient été subis ne confère pas un droit d'action car pour donner naissance à un tel recours, il faut qu'une faute susceptible de poursuites ait été commise. Le recours de la demanderesse, s'il en existe, doit se fonder sur les dispositions de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronnez. La constitution de la Commission canadienne des transports est prévue à la Partie I de la Loi nationale sur les trans ports 3 . L'article 6 dispose qu'elle doit être formée
2 S.R.C. 1970, chap. C-38.
3 S.R.C. 1970, chap. N-17.
d'au plus dix-sept membres nommés par le gouver- neur en conseil. Le paragraphe 6(2) en fait une cour d'archives. L'article 7 prévoit que le gouver- neur en conseil doit nommer un commissaire au poste de président de la Commission et deux com- missaires aux postes de vice-présidents de la Com mission. L'article 10 dispose que le secrétaire doit être nommé de la même manière. Les articles 21 à 28 traitent des pouvoirs de la Commission. L'article 24 prévoit la constitution de comités, dont le Comité des transports aériens; ces comités peu- vent exercer tous les pouvoirs et fonctions de la Commission et leurs ordonnances ont le même effet que si elles avaient été émises par la Commis sion. L'article 25 porte qu'un requérant peut en appeler au Ministre qui doit alors certifier son avis à la Commission qui doit s'y conformer.
Le paragraphe 16(1) de la Loi sur l'aéronauti- que" prévoit que «La Commission peut délivrer, à toute personne qui en fait la demande, un permis d'exploitation d'un service aérien commercial qui revêt la forme du permis demandé ou toute autre forme.» Le paragraphe 16(8) dispose que «La Commission peut suspendre, annuler ou modifier la totalité ou toute partie d'un permis, si, à son avis, la commodité et les besoins du public l'exigent.»
La principale prétention de la défenderesse con- siste à dire que la Commission ne peut être consi- dérée comme un préposé de la Couronne et qu'on ne peut donc invoquer l'application de la Loi sur la responsabilité de la Couronne de manière à per- mettre à la demanderesse d'intenter une action contre la Couronne pour les dommages causés par la faute de la Commission, même si faute il y a. Elle invoque à ce sujet la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Adminis tration du pipe-line du Nord c. Perehinec, [1983] 2 R.C.S. 513, en date du 15 décembre 1983. Il s'agissait d'une action en inexécution de contrat intentée contre l'Administration du pipe line du Nord afin de déterminer si elle pouvait être considérée comme un mandataire de la Couronne, de telle sorte qu'une action pourrait être intentée contre la Couronne et que la Cour fédérale aurait compétence en vertu du paragraphe 17(2) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
4 S.R.C. 1970, chap. A-3.
chap. 10]. Le juge Estey a déclaré à la page 6 de ce jugement [maintenant publié aux pages 517 et 518 des R.C.S.]:
La question de savoir si une entité créée par une loi est un mandataire de l'État, pour déterminer si la doctrine de l'immu- nité de l'État s'applique à son égard, dépend du degré de contrôle que l'État exerce sur cette entité par l'intermédiaire de ses ministres ou d'autres représentants du pouvoir exécutif, y compris le gouverneur en conseil. Dans l'arrêt Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy, [1927] A.C. 899, le vicomte Haldane a examiné l'étendue du contrôle gouvernemental ou, inversement, le pouvoir discrétionnaire absolu du conseil en question, pour décider si les actes de ce conseil étaient ceux d'un mandataire de l'État. En concluant que le conseil en question n'était pas un mandataire de l'État, Sa Seigneurie a affirmé, à la p. 905:
[TRADUCTION] Ils constituent un organisme investi de pou- voirs discrétionnaires propres. Même si un ministre de la Couronne a un pouvoir d'intervention, il n'y a rien dans la Loi qui fasse une distinction entre les mesures administrati- ves prises par eux et les siennes. Qu'ils soient constitués en corporation n'a pas d'importance. Il est également exact que le Gouverneur nomme leurs membres et peut opposer un veto à certains de leurs actes. Mais, même prises ensemble, ces dispositions ne peuvent contrebalancer le fait que la Loi de 1915 [Meat Industry Act, 1915 (Nouvelle-Galles du Sud), chap. 69] confère au Conseil appelant de larges pouvoirs qu'il peut exercer à sa discrétion et sans consulter les représen- tants directs de la Couronne.
Il a mentionné le raisonnement similaire suivi par la Cour suprême dans l'arrêt The City of Halifax v. Halifax Harbour Commissioners 5 bien que dans ce cas la Cour ait conclu à l'opposé, savoir qu'en droit lorsqu'ils occupaient certains biens- fonds dans la ville de Halifax, les commissaires du port étaient mandataires de l'État et n'étaient pas assujettis à l'évaluation et à la taxation municipa- les, déclarant que le critère appliqué était celui du degré de contrôle exercé par le gouverneur en conseil ou un ministre de Sa Majesté sur l'orga- nisme en question. Le juge en chef Duff a conclu à l'existence du degré de contrôle nécessaire compte tenu des restrictions imposées sur l'acquisition des biens, les emprunts, le fonctionnement administra- tif, la réglementation par l'organisme et la cons truction d'ouvrages, qui sont tous assujettis à l'ap- probation du gouverneur en conseil ou, dans certains cas, d'un ministre de Sa Majesté, de sorte que tous ces contrôles et ces restrictions sur les activités de cet organisme étaient de nature à faire de cette occupation une occupation pour Sa Majesté.
5 [1935] R.C.S. 215.
Le juge Estey a mentionné deux autres affaires dans lesquelles a été appliqué ce même critère du degré de contrôle qu'exerce le gouverneur en con- seil ou un ministre de Sa Majesté sur l'organisme en question. La Cour d'appel de la Colombie-Bri- tannique, qui avait été saisie de l'une de ces affai- res, British Columbia Power Corporation Limited v. Attorney -General of British Columbia, et al. 6 , a conclu que la société en question, dont Sa Majesté du chef de la province possédait toutes les actions, n'était pas un instrument du gouvernement étant donné que sa capacité de se lier par contrat était distincte de celle de l'État. Le juge Estey a égale- ment mentionné l'arrêt Westeel-Rosco Limited c. Board of Governors of South Saskatchewan Hos pital Centre' le juge Ritchie a déclaré aux pages 249 et 250:
Le point de savoir si un organisme donné est un mandataire de la Couronne dépend de la nature et du degré du contrôle que la Couronne exerce à son égard. Cela est clairement exprimé dans un paragraphe des motifs du jugement rendu par le juge Laidlaw au nom de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. c. Ontario Labour Relations Board, Ex p. Ontario Food Terminal Board, à la p. 534:
[TRADUCTION] Il ne m'est pas possible de formuler un critère à la fois général et précis permettant de déterminer dans tous les cas avec certitude si un organisme est ou non un mandataire de la Couronne. La réponse à cette question dépend pour partie de la nature des fonctions exercées et des personnes auxquelles le service est destiné. Elle dépend pour partie de la nature et de l'étendue des pouvoirs conférés. Elle dépend principalement de la nature et du degré du contrôle que peut exercer ou qu'a conservé la Couronne.
À la page 250 du même jugement, le juge Ritchie fait remarquer que l'arrêt Halifax City v. Halifax Harbour Commissioners est une affaire dans laquelle les commissaires intimés avaient été clai- rement désignés comme mandataires («agents») de la Couronne.
Le juge Estey souligne que dans l'affaire dont il a été saisi, l'article 4 de la Loi parle de la constitu tion de l'Administration du pipe-line du Nord dont le Ministre a la direction. Suivant la Loi, le Minis- tre gère et dirige l'Administration. Il déclare ensuite [aux pages 520 et 521]:
Si on applique aux dispositions de la loi qui crée l'appelante le principe du contrôle énoncé par les arrêts précités du Conseil privé et de cette Cour (et appliqué par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique), il semblerait que l'appelante est effec- tivement un mandataire de l'État, du moins lorsqu'elle s'ac-
6 (1962), 38 W.W.R. 657 (C.A.C.-B.).
7 [1977] 2 R.C.S. 238.
quitte de sa fonction première qui est de veiller à la conception, à la construction et à l'installation du pipe-line.
La défenderesse a également mentionné l'arrêt Union Packing Company Limited v. His Majesty The King 8 dans lequel le président de la Cour, le juge Thorson, a examiné aux pages 54 et 55 la position de la Commission du bacon. Il a souligné que les membres de cette Commission sont nommés par le gouverneur en conseil et que leur salaire est fixé par la Commission elle-même. Elle ne peut nommer de préposés, d'employés ou d'au- tres personnes ni fixer le montant de leur rémuné- ration sans l'approbation du gouverneur en conseil. Elle n'a pas ses propres fonds et ses dépenses sont payées sur des sommes fournies par le Parlement, sous réserve de l'approbation du Ministre. Le juge conclut à la page 55:
[TRADUCTION] À mon avis, il ressort clairement des décrets en conseil que la Commission du bacon est un organisme purement gouvernemental remplissant des fonctions déterminées pour le gouvernement et responsable de ses actions devant celui-ci. Elle est loin de posséder les pouvoirs discrétionnaires qui sont néces- saires au statut d'organisme indépendant. Elle n'est pas plus indépendante qu'un ministère. Elle est un organisme tout à fait différent de celui dont il était question dans Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy (précité). J'estime que la Commis sion du bacon est manifestement un préposé de la Couronne et, si la requérante avait une cause d'action, elle a agi de la manière appropriée en présentant une pétition de droit contre la Couronne plutôt qu'en intentant une action contre la Commis sion du bacon.
Dans l'arrêt Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy, et al. 9 , le Conseil avait été établi pour s'occuper de l'application de la Meat Industry Act, 1915. Le sommaire portait notamment:
[TRADUCTION] Les membres du Conseil devaient être nommés par le gouverneur qui était habilité à opposer son veto à certains de ses actes. Le Conseil possédait des pouvoirs étendus qu'il exerçait à sa discrétion. Tout pouvoir d'intervention que possédait un ministre de la Couronne n'était pas de nature à faire des actes d'administration ses propres actes. L'argent reçu par le Conseil n'était pas versé aux fonds généraux de l'État mais dans ses propres fonds ...
En réponse à ces arguments, la demanderesse invo- que l'article 12 de la Loi nationale sur les trans ports qui prévoit que les fonctionnaires et employés affectés à la Commission peuvent être rémunérés sur les crédits affectés à cette fin par le Parlement, et l'article 14 qui porte que le gouver- neur en conseil peut, au besoin, nommer un ou
8 [1946] R.C.É. 49.
9 [1927] A.C. 899 (P.C.).
plusieurs experts, ou des personnes qui possèdent des connaissances techniques ou spéciales sur les questions en litige, pour aider la Commission à titre de conseillers dans une affaire dont elle est saisie. Elle a également fait remarquer que la Commission du port de Halifax (Halifax Harbour Commission) est constituée en société ce qui n'est pas le cas de la Commission des transports. Aucune des décisions mentionnées ne reposait sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne.
Si j'applique les arrêts cités à la Commission des transports, j'arrive à la conclusion que bien qu'elle possède des pouvoirs très étendus en matière d'en- quête, de contrôle et de délivrance de permis rela- tifs à tous les modes de transport, elle remplit en réalité ces fonctions à titre de mandataire de la Couronne, agissant au nom du Ministre auquel elle doit présenter des rapports. Elle ne possède pas de fonds distincts, ses dépenses étant payées à même les crédits affectés à cette fin par le Parlement. Je conclus donc que l'on pouvait intenter la présente action contre la Couronne devant cette Cour.
Même si on présume que la Commission est un mandataire ou préposé de la Couronne, ce qui autorise à engager des procédures en vertu des dispositions de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, il n'en demeure pas moins qu'il faut établir que ce mandataire a commis une faute susceptible de poursuites pour qu'il existe une cause d'action contre la Couronne. En l'espèce, la Commission n'a pas refusé d'examiner la demande de sursis à l'exécution de sa décision pendant l'appel interjeté au Ministre par la demanderesse. En fait, le Comité de révision a réexaminé cette demande et accordé une deuxième audition à la demanderesse. La décision d'octroyer une suspen sion de procédures en attendant le résultat d'un appel est toujours discrétionnaire. Il ne ressort pas des allégations contenues dans la déclaration que le Comité des transports aériens ou le Comité de révision ont fait preuve de mauvaise foi. La demanderesse prétend qu'en vertu des Règles 83 et 84 (précitées), l'octroi d'une suspension était obli- gatoire. Ce n'est pas mon avis. La Règle 83 porte qu'un appelant «peut, ex parte, demander» une ordonnance de suspension et la Règle 84 prévoit que la Commission ne rendra pas une telle ordon- nance à moins qu'un engagement, sous scellé, n'ait été déposé afin de mettre toutes les autres parties
en cause à couvert des dommages pouvant décou- ler de la mise en application d'une telle ordon- nance. Je ne crois pas qu'on puisse en déduire que ce pouvoir discrétionnaire ne peut plus être exercé lorsqu'un tel engagement est déposé. Si telle avait été l'intention de la Règle, elle l'aurait indiqué de façon affirmative, indiquant que si un engagement était déposé, l'ordonnance devait être suspendue en attendant le résultat de l'appel interjeté devant le Ministre. Bien que la demanderesse ait satisfait aux exigences de la Règle, cela ne signifie pas que le pouvoir discrétionnaire de refuser la suspension, qui constitue une décision de caractère administra- tif, n'existait plus. Lorsqu'il existe un pouvoir dis- crétionnaire de refuser une suspension pendant un appel, cela ne constitue pas une faute de le faire même si, du fait que l'appel de la demanderesse a finalement été accueilli, le refus de maintenir le statu quo dans l'intervalle a causé un dommage. Si la demanderesse estimait que la décision violait les règles de justice naturelle, elle aurait pu présenter une demande en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale s'il s'agissait d'une décision admi nistrative, ou en vertu de l'article 28 si elle estimait qu'il s'agissait d'une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. La question de savoir si de tels recours étaient permis ou s'ils auraient été accueillis ne fait pas partie des points en litige présentés à la Cour dans la pré- sente requête. De toute façon, la demanderesse n'a sollicité aucun de ces recours.
La défenderesse soutient que, de toute manière, la Commission canadienne des transports ne pou- vait elle-même être poursuivie et que, dans ce cas, la Couronne ne peut être poursuivie en vertu des dispositions de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. À ce sujet, elle a invoqué une décision rendue en Ontario, Westlake et al. v. The Queen in Right of The Province of Ontario 10 , dont le sommaire la page 129] porte notamment:
[TRADUCTION] ... bien qu'elle ait une existence juridique lui permettant de comparaître et d'être représentée par avocat lorsque ses actes sont soumis à l'examen de la Cour par voie de mandamus, certiorari et de prohibition quand il s'agit de questions relatives à sa compétence, la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario n'est pas une personne morale suscepti ble d'être poursuivie dans une action en dommages-intérêts. Par conséquent, aucune action en dommages-intérêts pour abus de confiance, inexécution de contrat, fraude, négligence en vertu de la common law et négligence dans l'omission d'exécuter des
10 (1971), 21 D.L.R. (3d) 129 (H.C. Ont.).
obligations imposées par la loi, ne peut être intentée contre celle-ci par les propriétaires d'une société en faillite, possédant des valeurs mobilières émises en vertu d'un prospectus et de documents supplémentaires acceptés par la Commission.
Dans cette espèce, le juge Houlden a rangé dans six catégories les organismes créés par la loi, qui peuvent être poursuivis. La sixième catégorie com- prend les organismes non dotés de la personnalité morale qui, en vertu de- la loi qui les crée ou par déduction nécessaire, ne peuvent faire l'objet d'une action en dommages-intérêts mais qui sont des entités légales en ce que leurs actes peuvent être examinés dans des procédures intentées contre eux par voie de recours extraordinaires tels le certio- rari, le mandamus et la prohibition.
Il semble que la Commission canadienne des transports se range dans cette catégorie.
Le juge Estey a cité cet arrêt dans l'affaire Pipe line du Nord (précitée) ainsi que l'arrêt Hollinger Bus Lines Limited v. Ontario Labour Relations Board, [1952] O.R. 366, dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario a décidé que la Commission des relations de travail de l'Ontario ne pouvait être poursuivie devant les tribunaux autrement que par une demande de contrôle judiciaire par voie de certiorari ou par une procédure de ce genre prévue par la loi. Dans cette espèce, le juge d'appel Roach a déclaré au nom de la Cour [aux pages 377 et 378] au sujet de la Labour Relations Act [R.S.O. 1950, chap. 194]:
[TRADUCTION] De par son économie et son objet la Loi vise certaines phases des relations employeur-employé. La Commis sion n'exploite aucune entreprise commerciale. Elle a avant tout un rôle administratif et elle a reçu le pouvoir d'exercer certai- nes fonctions de nature judiciaire. Rien dans la Loi ne laisse entendre, même vaguement, que le législateur a voulu donner à la Commission la capacité d'ester en justice.
Il faut se rappeler qu'en l'espèce, la Commission est une cour d'archives (paragraphe 6(2)).
Si la Commission ne peut être poursuivie en dommages-intérêts, aucune action ne peut être intentée contre la Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, même si la Commission est un mandataire de celle-ci.
Pour les motifs qui précèdent, j'estime que même si l'on présume, comme on doit le faire à ce stade des procédures, que les allégations contenues
dans la déclaration sont exactes, il n'en demeure pas moins qu'elles ne révèlent aucune cause raison- nable d'action contre la défenderesse. La requête en radiation de la déclaration, présentée par la défenderesse, doit donc être accueillie avec dépens.
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