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T-2838-83
Montreal Lithographing Ltd. (requérante) c.
Sous-ministre du Revenu national pour les doua- nes et l'accise, Rupert J. King, en sa qualité de receveur régional des douanes et de l'accise pour la région de l'Atlantique, et Camille Violette, en sa qualité de receveur des douanes et de l'accise pour le port d'Edmundston, province du Nouveau- Brunswick (intimés)
Division de première instance, juge Cattanach— Ottawa, 15, 16 décembre 1983 et 6 janvier 1984.
Douanes et accise Demande d'injonction portant interdic tion d'imposer des droits et d'invoquer l'art. 102 de la Loi sur les douanes pour exiger les droits impayés Litige sur la classification tarifaire La demande est prématurée tant que des actes n'ont pas été entrepris Les voies d'appel prévues par la Loi n'ont pas été épuisées Une disposition prévoyant le remboursement écarte tout préjudice irréparable qui ne peut être indemnisé Le fait de retenir, en vertu de l'art. 102, des marchandises pour des droits actuellement ou antérieurement exigés ne constitue nullement une violation de l'art. 8 de la Charte L'art. 8 interdit toutes fouilles, perquisitions ou saisies relatives à la personne et non aux biens immeubles ou meubles À l'art. 102, il est question de privilège et non de saisie Un privilège est le droit de retenir un bien jusqu'au paiement de ce qui est da Sens courant du terme «saisie» Le mot «saisie» est un terme technique La revendication de bonne foi d'un privilège n'équivaut pas à une saisie «abusive» Le concept de privilège est accepté depuis longtemps dans les sociétés libres et démocratiques Demande rejetée Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 102 Tarif des douanes, S.R.C. 1970, chap.. C-41 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 18.
Droit constitutionnel Charte des droits Fouille, per- quisition ou saisie Demande d'injonction Retenir, en vertu de l'art. 102 de la Loi sur les douanes, des marchandises pour des droits actuellement ou antérieurement exigés ne constitue nullement une violation de l'art. 8 de la Charte L'art. 8 interdit toutes fouilles, perquisitions ou saisies relati ves à la personne et non aux biens immeubles ou meubles Application du raisonnement du juge Montgomery dans Re Becker A l'art. 102, il est question de privilège et non de saisie Sens en droit du mot «privilège» Sens courant du mot «saisie» Le mot «saisie» est un terme technique La revendication de bonne foi d'un privilège n'équivaut pas à une saisie «abusive» Le concept de privilège est depuis long- temps accepté dans les sociétés libres et démocratiques Demande rejetée Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 102 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1l (R.-U.), art. 8.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions Demande d'injonction portant interdiction d'imposer des droits et d'invoquer l'art. 102 de la Loi pour les droits impayés La demande est prématurée tant que des actes n'ont pas été entrepris La Loi prévoit une suite d'appels Il n'est pas opportun d'accorder le redressement discrétionnaire par voie d'injonction, à moins qu'on ait épuisé les voies de recours prévues par la Loi Le fait de prévoir un remboursement écarte tout préjudice irréparable qui ne peut être indemnisé Demande rejetée Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 102 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Re Becker and The Queen in Right of Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d) 539 (C.B.R. Alta.).
AVOCATS:
J. R. Miller pour la requérante.
M. Y. Perrier et D. T. Sgayias pour les
intimés.
PROCUREURS:
Martineau Walker, Montréal, pour la requé- rante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CATTANACH: Pour les motifs énoncés longuement au cours de l'audition de cette affaire, dans laquelle l'avocat de la requérante a accepté que la demande soit considérée comme une demande de redressement exclusivement par voie d'injonction, sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], et que les noms de Sa Majesté La Reine et du procureur général soient radiés comme par ties à l'action, la demande d'injonction a été reje- tée avec dépens en faveur des intimés s'ils en font la demande.
Le litige entre les parties était de savoir dans quel numéro tarifaire du Tarif des douanes [S.R.C. 1970, chap. C-41] les marchandises importées devaient être classifiées. Le numéro tari- faire qu'invoque la requérante n'exige pas le paie- ment de droits, alors que celui qu'invoquent les intimés exige le paiement de droits.
La requérante a payé les droits exigés par les intimés, de sorte qu'il n'y a rien qu'on puisse interdire aux intimés de faire.
La requérante demande toutefois une injonction portant interdiction d'imposer à l'avenir de tels droits et d'invoquer l'article 102 de la Loi sur les douanes [S.R.C. 1970, chap. C-40] pour exiger les droits dus à l'égard des importations faites dans le passé. La demande est prématurée tant qu'une demande de paiement n'a pas été faite.
Étant donné que la Loi sur les douanes prévoit une procédure d'appel, tout d'abord par voie minis- térielle, puis à la Commission du tarif et, si on n'a pas obtenu gain de cause, à la Cour fédérale du Canada, il n'est pas opportun d'accorder le redres- sement discrétionnaire par voie d'injonction dans les circonstances, à moins qu'on ait d'abord épuisé les voies de recours.
Par ailleurs, si on décide, à une étape quelcon- que de la procédure d'appel qui peut être finale, que les marchandises ont été classifiées dans un mauvais numéro tarifaire, la procédure d'appel prévoit le remboursement, en tout ou en partie, des droits perçus.
La demanderesse ne subirait donc pas un préju- dice irréparable qui ne peut être indemnisé en dommages-intérêts.
Voilà, en bref, les raisons capitales pour lesquel- les la demande d'injonction a été rejetée à la clôture de l'audition, et une ordonnance à cet effet a été signée à la page 4 de l'avis de requête.
Ce qui suit est la version française des notes additionnelles aux motifs de l'ordonnance rendues par
LE JUGE CATTANACH: Préoccupé que j'étais de résumer et de consigner rapidement les motifs énoncés à l'audition de la demande d'injonction en l'espèce, j'ai passé sous silence un argument impor tant sur lequel a insisté la requérante ainsi que les motifs du rejet de cet argument à l'audition.
L'argument de la requérante porte que le fait pour les intimés, s'appuyant sur l'article 102 de la Loi sur les douanes, de retenir les marchandises
importées par la requérante jusqu'au paiement des droits que les intimés prétendent exiger relative- ment à des marchandises importées antérieure- ment, ou de refuser de libérer les marchandises importées avant le paiement des droits imposés sur celles-ci, contrairement à la prétention de la requé- rante qu'elles étaient exemptes de droits, équivaut à une «saisie abusive» de ces marchandises, et viole le droit à la protection contre «les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives» garanti par l'article 8 de [la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de] la Loi consti- tutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Trois motifs justifient le rejet de cet argument de l'avocat de la requérante. Le premier motif reposait sur l'adoption du raisonnement du juge Montgomery dans Re Becker and The Queen in Right of Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d) 539 (C.B.R. Alta.), selon lequel la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garantie à l'article 8 de la Charte des droits et libertés s'appliquait aux fouilles, aux perquisitions ou aux saisies relatives à la personne et non aux biens immeubles.
Bien que le juge Montgomery ait appliqué son raisonnement aux biens immeubles, ce raisonne- ment, à mon avis, s'applique avec la même logique aux biens meubles.
Le second motif porte que même si le mot «saisie» signifie en langage ordinaire la confisca tion ou la prise de possession forcée de terrains ou de marchandises, il s'agit en droit d'un terme technique. Le droit conféré à la Couronne par l'article 102 de la Loi sur les douanes est un privilège sur les marchandises. En droit, un privi- lège est le droit de retenir un bien jusqu'au paie- ment de ce qui est à la personne qui détient ce bien. À mon avis, il y a une différence importante entre une «saisie» et un «privilège»; il s'ensuit que ledit article 8 de la Charte, il est fait mention expresse des «fouilles, perquisitions ou saisies abu- sives», ne s'applique pas à un «privilège».
Troisièmement, si l'on suppose que ce qui pré- cède n'est pas exact, ce que je refuse de croire, le fait de se prévaloir de bonne foi d'un privilège (comme c'est le cas en l'espèce) n'équivaut pas à une saisie «abusive».
Le concept de privilège sur les biens pour la garantie du fournisseur de services ou du répara- teur existe en common law depuis au moins cinq siècles.
À cet égard, les lois canadiennes ont repris cette idée de la common law. À titre d'exemple, on peut citer le privilège de constructeur, qui peut être un droit grevant un bien immeuble pour le travail exécuté relativement à celui-ci, ou le droit du réparateur de retenir les objets jusqu'au paiement du coût de la réparation. Si le créancier renonce à la possession des objets, le privilège devient caduc. De même, il y a les autres exemples du privilège de l'aubergiste et celui du dépositaire. Il s'agit donc d'un concept très raisonnable accepté de temps immémorial dans les sociétés libres et démocrati- ques.
C'est pour ces motifs que j'ai rejeté la prétention que l'article 102 de la Loi sur les douanes est sans effet parce qu'il est incompatible avec l'article 8 de la Charte des droits et libertés.
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