Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-4337-82
La Reine (demanderesse)
c.
Alexander Epstein (défendeur)
Division de première instance, juge Strayer — Toronto, 13 mars; Ottawa, 10 avril 1984.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Black Prince Holdings Limited a pris une hypothèque en charge Un créancier hypothécaire subséquent a cédé l'hypothèque au fiduciaire d'un REÉR dont le défendeur était rentier Le défendeur avait un lien de dépendance avec Black Prince Le Ministre a inclus dans le revenu de 1975 du défendeur la juste valeur marchande de la participation dans l'hypothèque acquise par son REÉR conformément au paragraphe 146(10) de la Loi L'art. 4900(1)g) du Règlement prévoit qu'un placement admissible ne comprend pas une hypothèque acquise par la fiducie d'un régime d'épargne lorsque le débi- teur hypothécaire est une personne avec laquelle le rentier a un lien de dépendance La demanderesse prétend que «débiteur hypothécaire» s'entend de toute personne qui tient son titre du débiteur hypothécaire initial selon la loi ontarienne Black Prince n'est pas débiteur hypothécaire au sens de l'art. 4900(1)g) Les expressions de la Loi doivent recevoir une interprétation qui est compatible avec l'objet de la Loi «Débiteur hypothécaire» doit être pris dans son sens étroit et littéral et désigne donc la personne qui a initialement accordé l'hypothèque Le Règlement vise à empêcher le débiteur hypothécaire initial de fixer les conditions de l'hypothèque de manière à éviter une imposition légitime Une personne qui a un lien de dépendance avec le rentier d'un REÉR et qui prend à son compte les droits et les obligations d'un débiteur hypo- thécaire en vertu d'une hypothèque existante ne peut modifier les conditions de l'hypothèque de manière à éviter l'imposition Bien que l'hypothèque puisse être «combinée» par le débi- teur hypothécaire initial s'il a un lien de dépendance avec les rentiers, en l'espèce, le Ministre n'a pas prétendu qu'il existait un rapport entre le défendeur et le débiteur hypothécaire initial Règlements de l'impôt sur le revenu, DORS/54-682, art. 4900(1)g) (édicté par DORS/72-331, art. 2) Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 146(10), 251(2) Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23 The Mortgages Act, R.S.O. 1970, chap. 279, art. Id).
AVOCATS:
Donald G. Gibson pour la demanderesse. Alexander Epstein pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Barkin & Epstein, Toronto, pour le défen- deur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Il a été convenu au début de l'instruction d'entendre ensemble la présente affaire et celle de La Reine c. Epstein (T-4336-82) et d'appliquer aux deux affaires la preuve et les plaidoiries.
Les faits saillants sont simples et ne sont pas contestés. Ils sont énoncés dans plusieurs paragra- phes de la déclaration qui ont été admis dans la défense. Ces paragraphes sont les suivants:
[TRADUCTION] 4. En établissant la nouvelle cotisation du défendeur pour l'année d'imposition 1975, le ministre du Revenu national a inclus dans le calcul de son revenu le montant mentionné au paragraphe 2. En ce faisant, il a supposé vrais, entre autres, les faits relatés aux paragraphes 5 à 12.
5. Le 15 mai 1964, David et Diane Opie ont vendu un motel sis au 8700 Yonge Street, Richmond Hill (Ontario) (le «bien») à Emerald Isle Motel Limited («Emerald Isle»).
6. Le 6 mai 1965, Emerald Isle a accordé au Crédit Foncier Franco-Canadien («Crédit Foncier») une première hypothèque d'un montant de 132 000 $ (l'«hypothèque») sur le bien.
7. Le 14 juillet 1970, Emerald Isle a vendu le bien à Black Prince Holdings Limited («Black Prince»). Le prix d'achat était de 410 000 $, acquitté de la façon suivante: 126 000 $ ont été payés comptant, Black Prince a accordé à Emerald Isle une deuxième hypothèque de 182 000 $ et elle a endossé l'hypothè- que consentie au Crédit Foncier. Le solde de l'hypothèque était alors de 102 000 $.
9. Le 5 septembre 1975, le Crédit Foncier a cédé son hypothè- que à Guaranty Trust Company of Canada («Guaranty Trust») qui l'a acquise à titre de fiduciaire pour le REER dont le défendeur était rentier. Le solde à payer de l'hypothèque était de 63 220,98 $.
10. La juste valeur marchande de la participation dans l'hypo- thèque acquise par la fiducie régie par le REER d'Alexander Epstein était de 51 650 $. La juste valeur marchande de la participation dans l'hypothèque acquise par la fiducie régie par le REER de Florence Epstein était de 11 200 $.
11. Le 15 mars 1976, une entente a été conclue entre Guaranty Trust et Black Prince prorogeant au 5 septembre 1980 le délai qu'avait Black Prince pour payer l'hypothèque. Cette entente prévoyait notamment « ... que le débiteur hypothécaire a le privilège de payer la totalité ou une partie de la somme principale garantie par les présentes en tout temps sans avis ni supplément.»
12. Pendant toute l'époque en cause, Alexander Epstein et Florence Epstein étaient mari et femme; Black Prince était contrôlée par Alexander Epstein; Alexander Epstein et Flo- rence Epstein avaient un lien de dépendance avec Black Prince.
M. et Mme Epstein n'ont pas inclus, dans le calcul de leur revenu respectif pour l'année d'imposition 1975, les montants de 51 650 $ et de 11 200 $
représentant respectivement la juste valeur mar- chande des placements acquis par leur régime enregistré d'épargne-retraite, tel que le mention- nent les paragraphes 9 et 10 de la déclaration (précités).
Le ministère du Revenu national a délivré un avis de nouvelle cotisation le 3 juin 1980 relative- ment à Alexander Epstein et, le 26 août 1980, relativement à Florence Epstein, incluant dans leur revenu respectif pour l'année 1975 les montants de 51 650 $ et de 11 200 $ représentant respective- ment la juste valeur marchande des placements acquis par leur REÉR dans l'hypothèque du 8700 Yonge Street cédée par le Crédit Foncier à Gua ranty Trust Company. Le ministre du Revenu national considère que l'acquisition de cette hypo- thèque par leur REER constitue un placement non admissible. Il se fonde sur les Règlements de l'im- pôt sur le revenu, [DORS/54-682 (édicté par DORS/72-331, art. 2)] alinéa 4900(1)g), qui pré- voyait en 1975 qu'un placement admissible pour un régime enregistré d'épargne-retraite pouvait comprendre
4900. (1) .. .
g) une hypothèque ou une participation dans celle-ci, garan- tie par des biens immeubles situés au Canada et acquis par la fiducie à régime d'épargne, autre qu'une hypothèque à l'égard de laquelle le débiteur hypothécaire est le rentier au titre du régime régissant la fiducie à régime d'épargne ou une personne avec laquelle le rentier a un lien de dépendance.
En vertu du paragraphe 146(10) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)], lorsqu'un régime enregistré d'épargne-retraite acquiert un placement non admissible, le coût du placement doit être inclus dans le calcul du revenu, pour l'année, du contribuable qui est le rentier qui bénéficie de ce régime. L'article 251 de la Loi, et plus particulièrement, à ces fins, le paragraphe 251(2), définit les rapports qui sont réputés être un lien de dépendance. Dans la présente affaire, tou- tefois, il est admis qu'Alexander Epstein et Flo- rence Epstein avaient un lien de dépendance avec Black Prince Holdings Limited.
Il faut donc trancher la question de savoir si Black Prince est devenue un «débiteur hypothé- caire» au sens de l'alinéa 4900(1)g) des Règle- ments de l'impôt sur le revenu précité. Il est bien évident que Black Prince n'était pas le débiteur hypothécaire en 1965 lorsque l'hypothèque a été
consentie la première fois par Emerald Isle Motel Limited au Crédit Foncier Franco-Canadien. La question est de savoir si, en achetant d'Emerald Isle en 1970 le bien hypothéqué, en payant en partie comptant, en partie par l'endossement des obligations d'Emerald Isle prévues par l'hypothè- que accordée au Crédit Foncier et en partie en accordant une deuxième hypothèque à Emerald Isle, Black Prince est devenue un «débiteur hypo- thécaire» relativement à l'hypothèque accordée au Crédit Foncier. Si tel est le cas, alors lorsque, en 1975, le Crédit Foncier a cédé au régime enregis- tré d'épargne-retraite des Epstein ses droits à titre de créancier hypothécaire, le débiteur hypothé- caire (Black Prince) serait une personne morale avec laquelle les rentiers (les Epstein) auraient un lien de dépendance. Il est constant que le sens de l'expression «débiteur hypothécaire» n'est pas défini dans la Loi de l'impôt sur le revenu ni dans la Loi d'interprétation [S.R.C. 1970, chap. I-23] fédérale.
En bref, la demanderesse prétend qu'en l'espèce, il faut donner à l'expression «débiteur hypothé- caire» le sens que lui prêtent les lois de l'Ontario parce que l'hypothèque est régie par les lois de l'Ontario. L'avocat a cité divers arrêts de jurispru dence et diverses lois afin de démontrer qu'en Ontario une personne qui tient son titre du débi- teur hypothécaire est à toutes fins pratiques dans la même situation que le débiteur hypothécaire initial quant à son droit de rachat et son obligation d'effectuer les paiements en vertu de l'hypothèque. Plus particulièrement, il a cité The Mortgages Act, R.S.O. 1970, chap. 279, alinéa 1 d) qui dispose que dans cette Loi, [TRADUCTION] «"débiteur hypo- thécaire" s'entend de toute personne qui tient son titre du débiteur hypothécaire initial ou qui a le droit d'exercer un droit de rachat, conformément au droit dont il est titulaire sur le bien hypothéqué».
Par contre, le défendeur fait valoir que selon le sens qu'on retrouve au dictionnaire, «débiteur hypothécaire» désigne la personne qui [TRADUC- TION] «accorde une hypothèque en garantie du paiement d'un prêt» ou [TRADUCTION] «donne en garantie ce bien à une fin particulière comme à titre de garantie d'une créance». En l'occurrence, on insiste sur la personne qui accorde l'hypothèque à l'origine et il s'agit évidemment du sens le plus
courant dans lequel l'expression est utilisée. Le défendeur Alexander Epstein pour son propre compte et pour celui de son épouse a fait valoir qu'il s'agit du sens qu'accorde la common law à l'expression «débiteur hypothécaire» et que l'inter- prétation donnée par la common law doit s'appli- quer. Il prétend que rien ne peut justifier le recours à une loi provinciale pour interpréter une loi fédérale.
Il est indubitable que dans bien des cas compor- tant l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, il est nécessaire de se tourner vers le droit provincial pour établir les rapports juridiques qui unissent des personnes ou les conséquences juridi- ques de certains actes ou de certaines opérations. Il est clair que la Loi de l'impôt sur le revenu présume l'existence d'un réseau complet de rap ports juridiques, dont la majorité sont prévus par le droit provincial, régissant la propriété et les opérations commerciales. La Loi de l'impôt sur le revenu impose certaines conséquences fiscales à ces rapports et, pour l'appliquer, il est souvent néces- saire de faire appel au droit provincial afin de déterminer la nature de ces rapports. Cependant, il ne faut pas oublier que l'objet de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas nécessairement le même que celui du droit provincial et que les expressions de la Loi de l'impôt sur le revenu doivent recevoir une interprétation qui est compatible avec son propre objet. Il existe peut-être quelque ambiguïté relativement à l'expression «débiteur hypothécaire» utilisée dans l'alinéa 4900(1)g) des Règlements de l'impôt sur le revenu applicable en 1975. On peut soutenir que cette expression doit recevoir son sens littéral pour ne référer qu'à la personne qui a, la première, accordé l'hypothèque, de même qu'il est concevable de prétendre que ce mot renvoie d'une façon plus générale au cessionnaire du débiteur hypothécaire qui est devenu le propriétaire du droit de rachat et qui assume les obligations du débiteur hypothécaire initial. En regard de cette ambiguïté, j'estime que l'interprétation la plus compatible avec l'objet de la Loi de l'impôt sur le revenu est celle qui est la plus étroite, la plus littérale et qui limite l'expression «débiteur hypo- thécaire» telle qu'elle apparaît à l'alinéa 4900(1)g) des Règlements à la personne qui a initialement accordé l'hypothèque.
J'estime qu'il s'agit de l'interprétation la plus compatible avec l'objet de la Loi de l'impôt sur le revenu, parce que je ne vois aucun motif pour l'adoption de ce règlement si ce n'est qu'il s'agit d'un moyen d'empêcher le débiteur hypothécaire initial qui a un lien de dépendance avec le créan- cier hypothécaire d'accorder une hypothèque inconsidérée sur une entreprise ou sur un bien de placement à un taux d'intérêt dépassant ce que le marché exigerait, se plaçant ainsi dans une situa tion il doit verser beaucoup d'intérêts inutiles (déductibles d'impôt à titre de dépenses d'entre- prise ou de dépenses de placement) dans un REÉR les produits jouissent d'une protection fiscale et dont il est le bénéficiaire ou le «rentier». En d'au- tres termes, le débiteur hypothécaire initial, dans le cas le créancier hypothécaire a un lien de dépendance avec lui, aurait l'occasion de fixer les conditions de l'hypothèque de manière à éviter une imposition légitime, ce qui est le «délit» que le règlement vise à empêcher. En l'espèce, ou dans d'autres affaires similaires, lorsqu'une personne qui a un lien de dépendance avec le rentier d'un régime enregistré d'épargne-retraite prend à son compte les droits et les obligations d'un débiteur hypothécaire en vertu d'une hypothèque existante, elle ne peut modifier les conditions de l'hypothèque de manière à éviter l'imposition. Par conséquent, selon mon interprétation de l'objet du règlement, il n'existe aucune justification pour étendre le sens de l'expression «débiteur hypothécaire» pour y inclure la personne qui a acquis le droit de rachat du débiteur hypothécaire.
Il est possible, évidemment, que le débiteur hypothécaire initial ait déjà «combiné» l'hypothè- que auparavant et ait prévu les transferts des droits du débiteur hypothécaire ou du créancier hypothécaire, ou des deux, de manière à ce que la partie ayant le droit de rachat, et les rentiers du REÉR qui acquerraient finalement les droits du créancier hypothécaire, seraient des parties ayant des liens de dépendance. Cependant, cela n'arri- vera vraisemblablement que si le débiteur hypothé- caire initial a lui-même un lien de dépendance avec les rentiers, auquel cas le placement final par le REÉR dans cette hypothèque sera considéré non admissible en vertu de l'alinéa 4900(1)g). En l'es- pèce, les défendeurs ont nié tout rapport avec Emerald Isle Motel Limited, le débiteur hypothé-
cafre initial, ou avec ses propriétaires, et le Minis- tre n'a pas prétendu le contraire.
Il est également possible qu'une fois qu'un REER a pris le contrôle d'une hypothèque dont le débiteur hypothécaire a un lien de dépendance avec le rentier, les conditions puissent être révisées en profondeur par accord mutuel de manière à en faire essentiellement une nouvelle hypothèque. Dans un tel cas, il peut y avoir de bonnes raisons de considérer l'hypothèque révisée comme place ment non admissible. Mais il n'y a pas eu d'argu- ment de la sorte relativement à la prolongation de la présente hypothèque, et l'exposé conjoint des faits ne suppose pas que les conditions de l'hypo- thèque aient été revues en profondeur. L'hypothè- que a uniquement été prorogée, vraisemblablement aux mêmes conditions.
En conséquence, je conclus que Black Prince Holdings Limited n'est pas un débiteur hypothé- caire au sens de l'alinéa 4900(1)g) des Règlements de l'impôt sur le revenu et que par conséquent le présent appel doit être rejeté.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.