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A-137-84
Banque nationale du Canada (appelante)
c.
Rodney Granda (intimé)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges- sen—Montréal, 22 mars; Ottawa, 19 avril 1984.
Relations du travail Appel d'une décision de la Division de première instance qui a rejeté une requête en sursis d'exé- cution d'une sentence arbitrale déposée à la Cour suivant l'art. 61.5(12) du Code Décision ordonnant la réintégration d'un employé injustement congédié L'employeur a saisi la Cour d'un appel Les arrêts Nauss et Purolator ont établi que : (1) le dépôt et l'enregistrement d'une décision du Conseil en vertu de l'article 123 du Code ne confèrent pas à la Cour le pouvoir de modifier cette décision; (2) la Division de première instance n'a pas le pouvoir de surseoir à l'exécution d'une décision du Conseil qui a été déposée La proposition (1) s'applique à une sentence arbitrale Ces arrêts sont infirmés quant à la proposition (2) Le dépôt ne donne pas à une décision du Conseil ou à une décision arbitrale plus de force que n'en a une décision de la Cour Le sursis ne change pas la décision L'appelante allègue qu'elle est incapable d'avoir confiance en l'intimé La preuve du préjudice que souffrirait l'appelante si elle avait à exécuter l'ordonnance ne permet pas de dire qu'il est dans l'intérêt de la justice de surseoir à l'exécution d'une décision qui doit être tenue pour bien fondée Appel rejeté Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5(9),(10),(11),(12) et (13) (édictés par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21), 119 (abrogé et remplacé par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 122 (abrogé et remplacé par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43), 123 (abrogé et remplacé ibid.) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(1)a), 50(1)b).
Compétence Relations du travail Appel d'une décision de la Division de première instance qui a rejeté une requête pour surseoir à l'exécution d'une sentence arbitrale déposée à la Cour suivant l'art. 61.5(12) Les arrêts Nauss et Purola- tor ont établi que: (1) le dépôt et l'enregistrement d'une décision du Conseil en vertu de l'article 123 du Code ne confèrent pas à la Cour le pouvoir de modifier cette décision; (2) la Division de première instance n'a pas le pouvoir de surseoir à l'exécution d'une décision du Conseil qui a été déposée La proposition (1) s'applique à une sentence arbi- trale Ces arrêts sont infirmés quant à la proposition (2) Le dépôt ne donne pas à une décision du Conseil ou à une décision arbitrale plus de force que n'en a une décision de la Cour Appel rejeté Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5(10),(11),(12) et (13) (édictés par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21), 122 (abrogé et remplacé par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43), 123 (abrogé et remplacé ibid.) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art., 50(1)b).
Pratique Sursis d'exécution Appel d'une décision de la Division de première instance qui a rejeté une requête en sursis d'exécution d'une sentence arbitrale déposée à la Cour suivant l'art. 61.5(12) du Code du travail La Cour a rejeté la solution des arrêts Nauss et Purolator selon laquelle la Divi sion de première instance n'a pas le pouvoir de surseoir à
l'exécution d'une décision du Conseil déposée en vertu de l'article 123 du Code Le dépôt ne donne pas à une décision du Conseil ni à une décision arbitrale plus de force que n'en a une décision de la Cour Le sursis ne change pas la décision Appel rejeté Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5(12) et (13) (édictés par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21), 123 (abrogé et remplacé par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 50(1)b).
L'intimé s'est plaint suivant l'article 61.5 du Code canadien du travail d'avoir été injustement congédié par l'appelante. Deux ans après ce congédiement, l'arbitre a accueilli la plainte et ordonné que l'intimé soit réintégré «dans un poste similaire à celui qu'il détenait au moment de son congédiement».
L'intimé a déposé la sentence arbitrale à la Cour suivant le paragraphe 61.5(12). L'appelante, ayant interjeté appel devant la Cour d'appel pour obtenir l'annulation de cette décision, a présenté à la Division de première instance une requête deman- dant un «sursis de toute procédure pouvant faire suite» à l'enregistrement. Cette demande a été rejetée au motif que les arrêts Nauss et Purolator de la Cour d'appel ont nié à la Division de première instance la compétence de l'accorder. Appel est formé de cette décision de la Division de première instance.
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel est rejeté.
Le juge Pratte (avec l'appui du juge Hugessen): Dans les arrêts Nauss et Purolator, deux conclusions ont été dégagées. La première porte que le dépôt à la Cour fédérale d'une décision du Conseil canadien des relations du travail et l'enre- gistrement qui y fait suite conformément à l'article 123 du Code ne confèrent pas à la Cour le pouvoir de modifier la décision en cause. Cette affirmation est juste; de plus, rien ne justifierait de ne pas appliquer la même règle lorsqu'il est question des ordonnances arbitrales déposées en vertu du para- graphe 61.5(12).
La deuxième proposition, selon laquelle la Division de pre- mière instance n'a pas le pouvoir d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision du Conseil qui a été régulièrement déposée, est moins acceptable. Lorsqu'une décision est déposée à la Cour suivant les articles 123 ou 61.5(12), elle acquiert la même force exécutoire que si elle avait été prononcée par la Cour; toutefois, le dépôt ne donne pas à une décision, qu'elle soit du Conseil ou de l'arbitre, plus de force que n'en a une décision de la Cour. Par conséquent, comme une décision de la Cour peut faire l'objet d'une ordonnance de sursis d'exécution, il devrait en être de même d'une sentence arbitrale ou d'une décision du Conseil. Cette conclusion n'infirme pas la première conclusion mentionnée ci-dessus, puisque ordonner un sursis ne change rien à la décision en question.
Les affaires Nauss et Purolator ont par conséquent été mal jugées en ce qui concerne la seconde proposition. L'application du principe retenu est susceptible de produire de graves incon- vénients et il ne doit donc pas être suivi.
Par conséquent, le juge de première instance avait la compé- tence d'accorder le sursis que sollicitait l'appelante.
Néanmoins, il a eu raison de ne pas l'accorder. Dans une affaire comme celle-ci, la Cour peut suspendre les procédures
lorsqu'il lui parait qu'il est dans l'intérêt de la justice de le faire. La seule preuve soumise à la Cour selon laquelle l'exécu- tion de l'ordonnance en question risquerait de causer à l'appe- lante un préjudice consiste en un affidavit affirmant que l'exé- cution causerait un sérieux préjudice à l'appelante parce que celle-ci n'a plus confiance en son ancien employé. Cette preuve ne permet pas de dire qu'il est dans l'intérêt de la justice de surseoir à l'exécution d'une décision qui, jusqu'à preuve du contraire, doit être tenue pour bien fondée.
Le juge Marceau (dissident): Les propositions fondamentales mises de l'avant dans les arrêts Nauss et Purolator étaient les suivantes: (1) l'article 123 fournit un moyen de donner force exécutoire aux décisions du Conseil et il n'a pas pour objet ni pour effet de transformer ces décisions en décisions de cette Cour; et (2) les décisions du Conseil doivent être tenues pour définitives. Ces propositions conduisent à la conclusion que la Division de première instance n'a pas le pouvoir de modifier une décision du Conseil ni directement ni non plus indirecte- ment au moyen d'un ordre de sursis. D'autre part, des proposi tions correspondantes s'imposent dans le cas de décisions arbi- trales. Les propositions fondamentales, cependant, n'impliquent pas nécessairement l'absence totale de juridiction que le juge de première instance y a vue. Elles ne doivent pas être interprétées comme niant complètement à la Division de la première ins tance le pouvoir de refuser temporairement de fournir ses moyens d'exécution forcée à une décision du Conseil ou de l'arbitre.
On ne doit pas estimer que cette limite additionnelle aux pouvoirs de la Cour existe. Les procédures d'exécution auxquel- les le dépôt et l'enregistrement donnent accès (prima fade) restent des procédures de la Cour. La Cour doit garder et garde effectivement le contrôle sur ces procédures. Il faudrait un langage plus clair que celui de la loi actuelle pour en tirer que le Parlement a voulu attribuer à la Cour cette fonction d'exécu- tion en lui demandant de l'exercer de façon aveugle et passive et sans aucune possiblité de recourir aux pouvoirs conférés par l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, même pour sauve- garder et maintenir sa propre juridiction.
La Division de première instance devrait jouir du pouvoir d'accorder un sursis temporaire à l'exécution lorsque deux conditions sont remplies. Premièrement, le juge doit être con- vaincu qu'une exécution immédiate serait susceptible de porter atteinte à l'efficacité du jugement éventuel de nullité que la Cour d'appel pourrait rendre. Deuxièmement, il ne faut pas qu'un sursis d'exécution soit de nature à mettre en péril les possibilités d'exécution future de la décision.
Ces deux conditions sont remplies ici. Forcer l'appelante à reprendre l'intimé à son emploi immédiatement et à le replacer à un poste de haute responsabilité en même temps qu'elle poursuit des procédures contre lui et cherche à faire valoir qu'elle a complètement perdu confiance en lui m'apparaît susceptible d'avoir, pour son opération, des répercussions graves qu'aucun jugement de Cour ne saurait adéquatement réparer. En revanche, retarder de quelques semaines additionnelles, après de plus de deux ans, le retour de l'intimé à son poste, ne causerait à ce dernier aucun préjudice irréparable.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Talsky v. Talsky (No. 2) (1974), 39 D.L.R. (3d) 516 (C.A. de l'Ont.); Battle Creek Toasted Corn Flake Co. Ltd. v. Kellogg Toasted Corn Flake Co. (1924), 55 O.L.R. 127 (131) (H.C.—en chambre).
DÉCISIONS INFIRMÉES:
Nauss et autre c. La Section 269 de l'Association inter- nationale des débardeurs, [1982] 1 C.F. 114 (C.A.); Union des employés de commerce, local 503 et autre c. Purolator Courrier Liée, [1983] 2 C.F. 344 (C.A.).
AVOCATS:
J. A. Coleman et J.-A. Nadeau pour
l'appelante.
G. Monette pour l'intimé.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour l'appelante. Monette, Clerk, Barakett, Lévesque, Bourque & Pedneault, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: La Banque nationale du Canada se pourvoit à l'encontre d'un jugement de la Division de première instance [en date du 9 janvier 1984, T-2921-83, encore inédit] qui a rejeté sa requête demandant que l'on sursoie à l'exécution d'une sentence arbitrale qui avait été déposée à la Cour suivant le paragraphe 61.5(12) du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (art. 61.5 édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21)]'.
Cette sentence arbitrale a été prononcée après que l'intimé se fut plaint, suivant l'article 61.5 du Code, d'avoir été injustement congédié par l'appe- lante. L'arbitre y donna raison à l'intimé; il recon- nut que l'intimé s'était rendu coupable d'irrégula- rités mais jugea qu'elles n'étaient pas assez graves pour justifier le congédiement. L'arbitre ordonna donc que l'intimé soit réintégré «dans un poste similaire à celui qu'il détenait au moment de son congédiement»; il déclara aussi que l'intimé avait
' Le texte de ce paragraphe est le suivant:
61.5...
(12) Toute personne concernée par une ordonnance d'un arbitre en vertu du paragraphe (9), ou le Ministre, à la demande de cette personne, peut, après l'expiration d'un délai de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de l'ordonnance.
le droit d'être indemnisé des pertes financières que son congédiement lui avait occasionnées jusqu'au 9 août 1982 mais n'émit aucune ordonnance à ce sujet se réservant le pouvoir de le faire plus tard si les parties ne s'entendaient pas sur ce point.
L'intimé a déposé cette sentence au greffe de la Cour suivant le paragraphe 61.5(12) du Codez. La requérante, elle, s'est prévalue de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] et a déposé un avis introductif d'instance demandant l'annulation de cette même sentence. Puis, la requérante a présenté à la Division de première instance une requête demandant à la Cour de surseoir à l'exécution de la sentence. L'appelante ne voulait pas être tenue de reprendre l'intimé à son service aussi longtemps que la Cour ne se serait pas prononcée sur la validité de la sentence. Cette demande de sursis a été rejetée par le jugement attaqué au seul motif que la Division de première instance, suivant les arrêts prononcés par cette Cour dans les affaires Nauss 3 et Purola- tor 4 , n'aurait pas eu la compétence de l'accorder. Dans ces deux affaires nous avons en effet jugé que le dépôt au greffe de la Cour d'une décision du Conseil canadien des relations du travail suivant l'article 123 du Code canadien du travail [abrogé et remplacé par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43], une disposition similaire au paragraphe 61.5(12), ne conférait pas à la Division de première instance le pouvoir de suspendre l'exécution de cette décision.
L'avocat de l'appelante nous a invités à ne pas suivre cette jurisprudence. Il nous a souligné que les arrêts Nauss et Purolator se rapportent à des décisions du Conseil canadien des relations du travail alors qu'il s'agit ici d'une ordonnance d'un arbitre. Si une décision du Conseil, a-t-il dit, est toujours susceptible d'être modifiée (article 119 [abrogé et remplacé par S.C. 1972, chap. 18,
2 Suivant le paragraphe 61.5(12), ce ne sont pas les décisions arbitrales qui peuvent être déposées mais seulement les «ordon- nances» prononcées par l'arbitre suivant le paragraphe 61.5(9); c'est dire que le seul effet du dépôt de la sentence, en l'espèce, a été de rendre exécutoire l'ordonnance de réintégration qu'elle contenait.
3 Nauss et autre c. La Section 269 de l'Association interna- tionale des débardeurs [1982] 1 C.F. 114 (C.A.).
Union des employés de commerce, local 503 et autre c. Purolator Courrier Ltée, [1983] 2 C.F. 344 (C.A.), dossier A-399-82, décision du 15 octobre 1982.
art. 1]) et ne peut être déposée au greffe de la Cour sans l'agrément du Conseil (paragraphe 123(1)), une ordonnance arbitrale, en revanche, ne peut être modifiée après qu'elle a été prononcée et peut être déposée au greffe par «toute personne concernée» sans aucun contrôle. Il en résulte, sui- vant l'avocat de l'appelante, que si on applique les arrêts Nauss et Purolator aux ordonnances arbi- trales, il n'existerait aucune autorité qui puisse surseoir à leur exécution. Ce résultat inacceptable démontrerait qu'il faudrait ou bien refuser d'appli- quer les arrêts Nauss et Purolator aux sentences arbitrales ou bien reconnaître que ces arrêts ne doivent plus être suivis.
Dans Nauss et Purolator, nous avons d'abord affirmé que l'enregistrement au greffe de la Cour d'une décision du Conseil ne conférait pas à la Cour le pouvoir de modifier cette décision. Cette affirmation me semble juste et je ne vois pas pourquoi elle ne s'appliquerait pas aux ordonnan- ces arbitrales qui sont déposées en vertu du para- graphe 61.5(12) autant qu'aux décisions du Con- seil. Les arrêts Nauss et Purolator affirment aussi que la Division de première instance n'a pas le pouvoir d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision du Conseil qui a été déposée en vertu de l'article 123. C'est à cette dernière affir mation que s'en est pris l'avocat de l'appelante.
Lorsqu'une décision est déposée au greffe de la Cour suivant les articles 61.5(12) ou 123, elle acquiert la même force exécutoire que si elle avait été prononcée par la Cour. C'est dire qu'elle est susceptible d'exécution forcée de la même façon qu'un jugement de la Cour. Le dépôt, cependant, ne donne pas aux décisions arbitrales ou à celles du Conseil plus de force que n'en a une décision de la Cour. Or, une décision de la Cour peut faire l'objet d'une ordonnance de sursis. Logiquement, il devrait en être de même des décisions que les articles 61.5 et 123 du Code canadien du travail assimilent aux décisions de la Cour. Le fait que la Cour ne possède pas le pouvoir de modifier ces décisions n'infirme pas cette conclusion puisque la Cour, en ordonnant que l'on sursoie à l'exécution d'une décision prononcée par le Conseil ou par un arbitre, ne change rien à cette décision mais pres- crit seulement que le défaut de s'y conformer pendant la durée du sursis ne pourra donner lieu à des mesures d'exécution forcée émanant de la
Cour. Ce faisant, la Cour ne fait qu'exercer, con- formément à l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale, son pouvoir de suspendre des procédures lorsqu'il lui paraît juste de le faire.
Je vois donc que les affaires Nauss et Purolator ont été mal jugées. Je le dis avec d'autant plus d'embarras que j'ai moi-même prononcé ces deux décisions au nom de la Cour. Mais comme l'appli- cation du principe retenu par ces deux arrêts me semble susceptible de produire de graves inconvé- nients, il me semble nécessaire de dire aujourd'hui que ces deux arrêts ne doivent plus être suivis dans la mesure ils ont jugé que la Division de première instance n'a pas le pouvoir d'ordonner que l'on sursoie à l'exécution d'une décision qui a été déposée au greffe de la Cour suivant l'article 123 du Code canadien du travail.
Je suis donc d'opinion que le premier juge avait la compétence d'accorder le sursis que sollicitait l'appelante. Reste à savoir s'il devait l'accorder.
Le principe qui doit guider la Cour dans une affaire comme celle-ci est exprimé de façon fort laconique par l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale suivant lequel la Cour peut suspendre les procédures dans toute affaire lorsqu'il lui paraît qu'ail est dans l'intérêt de la justice» de le faire. Pour expliciter ce principe, on peut se reporter à la décision du juge Arnup de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Talsky v. Talsky (No. 2) (1974), 39 D.L.R. (3d) 516. Le juge était alors saisi d'une requête en sursis d'une décision de la Cour d'appel de l'Ontario qui faisait l'objet d'un appel à la Cour suprême du Canada. Il se référa à ce que le juge Middleton avait dit sur le même sujet dans l'affaire Battle Creek Toasted Corn Flake Co. Ltd. v. Kellogg Toasted Corn Flake Co. (1924), 55 O.L.R. 127 (131) (H.C.—en chambre). Le juge Arnup cita d'abord la page 522 D.L.R.] le passage suivant de la décision du juge Middleton la page 132 O.L.R.]:
[TRADUCTION] On devrait toujours surseoir à l'exécution du jugement lorsque d'une part, la suspension causera peu de préjudice à l'intimé et que ce préjudice peut être compensé par le remboursement des dommages réels dont on peut calculer le montant aisément et avec une assez grande exactitude, et que d'autre part, le refus d'accorder la suspension infligera à l'appe- lant une perte cruelle et un tort irrémédiable. Le principe appliqué est alors le même que celui utilisé dans le cas d'une demande visant à obtenir une injonction provisoire—l'équilibre
entre les avantages et les inconvénients, avec un facteur addi- tionnel des plus importants, la décision qui a été rendue et qui doit être considérée à première vue comme étant bien fondée.
Puis, le juge Arnup poursuivit ainsi la page 522]:
[TRADUCTION] Le juge Middleton a alors procédé à l'exa- men de plusieurs décisions anglaises il était question d'accor- der ou de refuser une suspension, et j'estime qu'il est juste de dire qu'elles préconisent, en général, que la Cour exerce ce pouvoir afin d'empêcher une situation un appelant a gain de cause en dernier ressort, mais constate à la suite de sa victoire que, entre temps, ou bien l'objet du litige a disparu, ou bien il a été tenu d'effectuer un paiement qu'il ne saurait recouvrer, ou bien il existe d'autres circonstances rendant futiles le litige et la décision finale.
Si j'applique ces considérations en l'espèce, il me semble clair que l'appelante n'avait pas droit au sursis qu'elle sollicitait. La seule preuve que l'on trouve au dossier du préjudice que souffrirait l'ap- pelante si elle avait à exécuter l'ordonnance de l'arbitre consiste en un affidavit de son avocat affirmant que l'exécution de l'ordonnance de l'ar- bitre causerait un sérieux préjudice à l'appelante parce que celle-ci n'a plus confiance en son ancien employé. Cette preuve ne permet pas de dire, à mon avis, qu'il soit dans l'intérêt de la justice de surseoir à l'exécution d'une décision qui, jusqu'à preuve du contraire, doit être tenue pour bien fondée.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE HUGESSEN: Je suis d'accord.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Cet appel porté à l'encontre d'un jugement de première instance se présente dans un contexte fort simple; on verra tout de suite ce dont il s'agit.
Le 10 novembre 1983, un arbitre, agissant sous l'autorité de la Partie III du Code canadien du travail, émettait une ordonnance dans laquelle il reprochait à l'appelante d'avoir congédié l'intimé deux ans auparavant et lui ordonnait de réintégrer ce dernier comme membre de son personnel régu- lier, tout en le dédommageant pour la perte de salaire qu'il avait encourue. L'appelante contesta aussitôt devant la Division d'appel de cette Cour, aux termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, la validité de cette décision arbitrale. Avisée peu après, cependant, du dépôt de la déci-
Sion au greffe de la Division de première instance et partant de son enregistrement—ce qui aux termes du paragraphe 13 de l'article 61.5 du Code lui attribuait la force exécutoire d'un jugement de la Cour—et en même temps, mise en demeure par l'intimé de satisfaire sans délai aux prescriptions de l'arbitre, l'appelante s'adressa à la Division de première instance, pour obtenir que le dépôt de la sentence soit déclaré inopérant ou, à tout le moins, qu'un «sursis de toute procédure pouvant faire suite» à l'enregistrement soit prononcé pour valoir jusqu'à ce que la décision soit définitivement con- firmée, si elle devait l'être. Le juge saisi de la requête la rejeta rapidement au motif que les deux arrêts d'appel, Nauss et autre c. La Section 269 de l'Association internationale des débardeurs, [1982] 1 C.F. 114 (C.A.) et Union des employés de commerce, local 503 et autre c. Purolator Courrier Liée, [1983] 2 C.F. 344 (C.A.) (dossier no A-399-82, décision du 15 octobre 1982), lui déniait toute juridiction pour y donner suite. C'est cette décision qui est devant la Cour: l'appelante soutient que le juge a erré quant à la demande de sursis, qu'il avait juridiction pour l'accorder et aurait l'accorder, et elle prie la Cour d'intervenir 5.
Je crois que cet appel est bien fondé et doit réussir. Je suis en effet d'avis: premièrement, que les arrêts Nauss et Purolator n'imposent pas irré- médiablement la conclusion d'absence totale de juridiction qu'en a tirée le juge de première ins tance et que c'est une conclusion qui, tant sur le plan des principes que des convenances pratiques, devrait être écartée; et deuxièmement, que dans les circonstances de l'espèce, la demande de l'appe- lante aurait être considérée favorablement.
1. On ne saurait contester que certains passages des brèves notes délivrées au soutien des arrêts Nauss et Purolator semblent bien vouloir donner aux conclusions de non-juridiction qu'ils faisaient valoir une portée très large. Je pense néanmoins
5 Depuis son inscription en appel, l'appelante a soumis, dans le dossier de la requête en annulation sous l'article 28, une demande de sursis formulée dans les mêmes termes que celle présentée à la Division de première instance. Ainsi la question de savoir si cette Cour a quelque compétence pour ordonner un sursis d'exécution d'une décision rendue sous l'empire du Code canadien du travail, que ce soit en sa Division de première instance ou de sa Division d'appel, est pleinement posée. Pour le moment, cependant, il n'est question que de la première instance.
que les propositions fondamentales mises de l'avant par les juges d'appel à ces occasions ne conduisent pas à des conclusions sans limites. Ces propositions, comme je les comprends, sont les suivantes: a) l'article 123 de la Partie V du Code canadien du travail s'emploie à fournir un moyen de donner force exécutoire aux décisions du Con- seil canadien des relations du travail, il n'a pas pour objet ni pour effet de transformer ces déci- sions en décisions de cette Cour; b) les articles 119 et 122 [abrogé et remplacé par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43] de cette Partie du Code sont clairs à l'effet que les décisions du Conseil doivent être tenues pour définitives et ne sauraient être remises en question, interdites ou restreintes par quelque cour de justice, sauf dans les limites pré- vues (soit, conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale). C'est à partir de ces propositions de base que les juges d'appel ont nié à la Division de première instance le pouvoir de modifier une décision du Conseil, ni directement par ordonnance ad hoc et ni non plus indirecte- ment à travers un ordre de sursis. Que les deux propositions mises de l'avant conduisent à la con clusion dégagée, il faut l'admettre comme il faut admettre que des propositions correspondantes s'imposent dans le cas de décisions arbitrales ren- dues sous la Partie III du Code puisque les para- graphes 61.5(10),(11),(12) et (13) qui gouvernent ces décisions arbitrales sont essentiellement au même effet que les articles 119, 122 et 123 relatifs aux décisions du Conseil. Mais ces propositions ne conduisent pas nécessairement à contester à la Division de première instance le pouvoir de refuser temporairement de fournir ses moyens d'exécution forcée à une décision du Conseil ou de l'arbitre, dès lors que le délai susceptible de résulter de ce refus temporaire n'a pas pour effet d'introduire une modification substantielle de la décision ou de mettre en péril son exécution éventuelle.
Pourquoi d'ailleurs faudrait-il aller aussi loin? En prescrivant que le dépôt et l'enregistrement au greffe confèrent à la décision arbitrale la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement de la Cour, la loi entend bien rendre applicables aux prescriptions de l'arbitre les procé- dures d'exécution forcée au moyen desquelles la Cour exerce ses pouvoirs de contrainte, mais ces procédures restent des procédures de la Cour sur
lesquelles elle doit garder et garde effectivement contrôle: ce n'est pas le Conseil ni l'arbitre qui exécute de force la décision, c'est la Cour. Il me semble qu'il faudrait un langage plus clair que celui de la loi actuelle pour en tirer que le Parle- ment a voulu attribuer à la Cour cette fonction d'exécution en lui demandant de l'exercer de façon aveugle et passive et sans aucune possibilité d'ap- pel aux pouvoirs (conférés pourtant de façon géné- rale par l'article 50 de sa loi constitutive) même pour les fins de sauvegarde et de maintien de sa propre juridiction.
C'est à partir de cette dernière réflexion, il me semble, que l'on peut tracer la ligne de démarca- tion permettant en même temps: d'une part, de donner effet à la volonté du législateur de rendre finales les décisions du Conseil et des arbitres et, d'autre part, de ne pas dépouiller la Cour de tout pouvoir de contrôle sur des procédés qui lui sont propres et existent essentiellement pour ses propres fins. Il ne m'apparaît que normal que la Cour en sa Division de première instance se voit reconnaî- tre le pouvoir de refuser temporairement de prêter son concours pour forcer l'exécution sans délai d'une décision, s'il lui apparaît que cette exécution forcée immédiate aura pour effet de rendre inutile, illusoire ou sans plein effet le pouvoir d'examen et de contrôle de légalité que sa Division d'appel est appelée à exercer.
2. Si on accorde ainsi à la Division de première instance le pouvoir de refuser temporairement son concours à l'exécution forcée d'une décision d'un arbitre enregistrée en son greffe mais dont la validité est attaquée sous l'article 28, je pense, avec respect pour ceux qui ne partagent pas mon avis, que dans le cas qui nous est soumis, ce pouvoir aurait être exercé.
Je viens de m'expliquer quant aux limites de ce pouvoir du juge de première instance et aux motifs qui peuvent susciter son exercice. Deux conditions apparaissent prérequises: premièrement, que le juge soit satisfait qu'une exécution immédiate serait susceptible de porter atteinte à l'efficacité du jugement éventuel de nullité que la Cour d'ap- pel pourrait rendre et deuxièmement, qu'une sus pension d'exécution ne soit pas de nature à mettre en péril les possibilités d'exécution future de la décision. A mon sens, ces deux conditions ici se vérifient. Forcer l'appelante à reprendre l'intimé à
son emploi immédiatement et à le replacer dans un poste de haute responsabilité en même temps qu'elle poursuit des procédures contre lui et cher- che à faire valoir qu'elle a complètement perdu confiance en lui, m'apparaît susceptible d'avoir, pour son opération, des répercussions graves qu'au- cun jugement de cour ne saurait adéquatement réparer. En revanche, retarder de quelques semai- nes additionnelles après plus de deux ans le retour à son poste de l'intimé, ne causera à ce dernier aucun préjudice que le paiement du salaire dont il aura été privé entre temps ne pourra réparer.
Ainsi, je casserais la décision du juge de pre- mière instance et m'employant à rendre la décision qu'il aurait rendre, j'ordonnerais qu'aucune procédure d'exécution forcée de la sentence arbi- trale enregistrée le 13 décembre 1983 ne soit émise tant que la requête en nullité intentée sous l'article 28 à l'encontre de cette sentence n'aura pas été définitivement jugée ou qu'un juge de première instance n'aura pas mis fin à la présente ordon- nance de sursis en donnant suite à une requête à cet effet fondée sur la survenance de faits nou- veaux. Je soumettrais cependant la mise en vigueur de cette ordonnance de sursis au dépôt par l'appe- lante, au dossier de la Cour, d'un engagement écrit à l'effet que, advenant la confirmation de la déci- sion, elle paiera à l'intimé sans délai le salaire auquel il aurait eu droit s'il avait récupéré son poste immédiatement.
Je n'accorderais de frais sur les procédures qui ont conduit à la présente ordonnance à aucune des deux parties.
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