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T-561-84
Bryan Rolston Latham (requérant) c.
Solliciteur général du Canada et ses préposés, Commission nationale des libérations condition- nelles et Service correctionnel du Canada, dont une partie s'appelait autrefois Service des libéra- tions conditionnelles du Canada (intimés)
Division de première instance, juge Strayer— Prince Albert (Saskatchewan), 8 mars; Ottawa, 28 mars 1984.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Révocation de libération conditionnelle L'audition posté- rieure à la suspension ne répondait pas aux normes d'équité Le déni d'équité découle principalement du défaut par la Commission d'informer suffisamment le requérant des motifs de révocation et de lui donner la possibilité de répondre aux allégations examinées par la Commission Pour déterminer les conditions d'équité, il faut examiner la nature des consé- quences d'un déni d'équité L'exclusion de l'audition de révocation constitue un déni d'équité La présence d'avocat à l'audition est un facteur important pour assurer l'équité Rien ne prouve qu'on ait refusé au requérant le droit à un avocat Si, dorénavant, la Commission procède à des audi tions et n'est pas à même de démontrer qu'elle a pris des mesures pour donner au libéré conditionnel toute possibilité raisonnable de retenir les services d'un avocat, ses procédures pourront être attaquées pour déni d'équité Décernement d'un bref de certiorari pour annuler la décision de la Commis sion portant révocation de la libération conditionnelle de jour.
Droit constitutionnel Charte des droits Justice fonda- mentale Révocation de libération conditionnelle L'art. 17(3) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus qui prévoit la non-révélation de certains renseignements, ne doit pas s'appliquer de manière à refuser au requérant le droit à l'équité procédurale prévue à l'art. 7 On doit donner au requérant les grandes lignes des allégations examinées par la Commission L'art. 10b) portant sur le droit, en cas d'arres- tation ou de détention, d'avoir recours à l'assistance d'un avocat ne s'applique pas puisqu'il vise le cas d'une première arrestation ou détention L'art. 7 exige que la Commission fournisse au requérant toutes les possibilités raisonnables de se faire représenter par un avocat à une audition portant sur la révocation Le défaut de le faire donnera lieu à une contes- tation pour déni d'équité L'art. 20 de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, qui prévoit l'annulation de la réduction de peine sur révocation de la libération condition- nelle, ne va pas à l'encontre de la justice fondamentale prévue à l'art. 7 L'art. 7 vise à garantir uniquement la justice ou l'équité sur le plan de la procédure et il n'impose pas, quant au fond, un critère de l'équité des règles On a délibérément évité l'expression «l'application régulière de la loi» de l'art. la) de la Déclaration canadienne des droits pour employer l'expression «justice fondamentale» de l'art. 2e) La Cour suprême du Canada a interprété cette expression comme ayant un contenu procédural On peut supposer que la Charte a
ultérieurement employé cette expression dans ce sens Décernement d'un bref de certiorari pour annuler la décision de révoquer la libération conditionnelle rendue par la Com mission Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 10b), 24 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice Ill, art. 1 a), 2e).
Libération conditionnelle Révocation Audition posté- rieure à la suspension Requête en bref d'habeas corpus, en bref de certiorari, en injonction et en dommages-intérêts En vertu de l'art. 6 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la Commission a compétence exclusive pour révoquer la libération conditionnelle L'art. 17(3) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, qui prévoit la non-révéla- tion de certains renseignements visés par l'art. 54a) à g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ne doit pas s'appliquer de manière à refuser au requérant le droit à l'équité procédurale prévu à l'art. 7 de la Charte L'habeas corpus, l'injonction et les dommages-intérêts ne sont pas des recours appropriés L'art. 24 de la Charte n'est d'aucun secours Décernement d'un bref de certiorari pour annuler la révocation de la libération conditionnelle Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 6 (abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 23), 16 (idem, art. 29), 20 (idem, art. 31) Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 54 Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 17, 20, 20.1 (ajouté par DORS/81-318), 22.
Le requérant a été déclaré coupable de viol et de voie de fait et a été condamné à une peine d'emprisonnement. Il a par la suite obtenu une libération conditionnelle de jour. Après une enquête sur les allégations de sa belle-fille selon lesquelles il avait menacé de la violer—allégations qu'il n'a pas niées—il a accepté de retourner volontairement en prison, comprenant que s'il le faisait, sa libération conditionnelle ne serait pas révoquée. Un mandat d'arrestation et de suspension de la libération conditionnelle a néanmoins été délivré. Il a sollicité une audi tion postérieure à la suspension. À la fin de l'audition, la Commission a révoqué sa libération conditionnelle de jour, décision qu'elle a plus tard confirmée après un réexamen. Le requérant demeure incarcéré depuis. Il sollicite maintenant divers redressements: un bref d'habeas corpus, un bref de certiorari annulant la décision de la Commission, une injonc- tion provisoire et des dommages-intérêts. Le requérant fait valoir que la Commission n'avait pas compétence pour rendre une ordonnance de révocation sous le régime de l'article 16 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus puisqu'il n'y avait plus rien que la Commission puisse révoquer, le requérant ayant mis fin à sa propre libération conditionnelle de jour en se livrant. Toujours selon le requérant, il y a déni d'équité et des exigences de la Charte parce qu'on ne l'a ni suffisamment informé des motifs de révocation, ni autorisé à assister à la majeure partie de l'audition postérieure à la suspension, ni informé qu'il avait droit à un avocat. Le requérant fait valoir en dernier lieu que l'article 20 de la Loi, qui prévoit l'annulation automatique de la réduction de peine statutaire ou méritée, sur révocation de la libération conditionnelle, va à l'encontre de l'article 7 de la Charte. Cet argument part du principe que la «justice fondamentale», mentionnée à l'article 7, impose, quant au fond, un critère de l'équité des règles, et non simplement un
critère quant aux procédures par lesquelles il peut être porté atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.
Jugement: il y a lieu de délivrer un bref de certiorari pour annuler la décision portant révocation.
L'argument du requérant selon lequel la Commission n'avait pas compétence pour révoquer la libération conditionnelle est rejeté. Le fait pour le requérant de se livrer volontairement n'a pas eu pour effet juridique de mettre fin à sa libération conditionnelle. Celle-ci était toujours en vigueur et, en vertu de l'article 6 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la Commission pouvait la révoquer.
Certes, la révocation de la libération conditionnelle n'exige pas le processus de type judiciaire qu'on associe plus communé- ment avec le concept de justice naturelle; mais elle exige au moins qu'on applique les règles de l'équité. En l'espèce, le déni d'équité découle principalement du défaut d'informer suffisam- ment le requérant des motifs de révocation et de lui donner la possibilité de répondre aux allégations examinées par la Com mission. L'article 16 de la Loi autorise la révocation soit lorsqu'il y a violation des modalités d'une libération condition- nelle soit «pour protéger la société». Le certificat de libération conditionnelle ne prévoyait aucune modalité directement perti- nente à la situation. Toutefois, le mandat d'arrestation et de suspension déclare que la libération conditionnelle a été suspen- due pour empêcher la violation des modalités d'une libération conditionnelle. Le «Rapport d'infraction» a utilisé le même langage, mais il a également fait mention dans son sommaire d'une «Affaire relative à la protection de la jeunesse». Ce sont les allégations écrites données au requérant avant l'audition. Selon les motifs écrits donnés par la Commission, sa décision visait à «protéger la société». Bien qu'il puisse y avoir un chevauchement important entre les raisons de la révocation reposant sur une violation des modalités de la libération condi- tionnelle dans le passé et celles s'appuyant sur la nécessité de protéger la société, elles sont différentes du point de vue de leur orientation dans le temps et de l'importance relative de divers facteurs. Il importe que le requérant sache sur quoi portent principalement les préoccupations de la Commission. Les ren- seignements ainsi portés à la connaissance du requérant étaient insuffisants, ce qui constitue une injustice à cet égard; c'est également une injustice que de ne pas préciser davantage la nature des renseignements recueillis par la Commission afin de permettre au requérant de les commenter.
En déterminant les conditions d'équité, il est nécessaire d'examiner la nature des conséquences du déni d'équité. En l'espèce, la conséquence directe pour le requérant était la privation de sa liberté pour une durée allant de deux ans et demi à cinq ans. Une décision si lourde de conséquences doit, de toute évidence, être prise en tenant compte de l'équité.
L'avocat de la Commission a fait mention du paragraphe 17(3) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, qui prévoit que la Commission n'est pas tenue de révéler à un détenu des renseignements visés par les alinéas 54a) à g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien que le paragraphe 17(3) apporte peut-être une limite juridiquement efficace à toute condition de divulgation posée par l'équité de common law, cela n'aurait pas pour effet de limiter le droit que le libéré conditionnel tient de l'article 7 de la Charte. A l'évidence, la «liberté» du libéré conditionnel est en jeu, et la justice fondamentale exige une équité procédurale qui corres-
ponde à l'intérêt touché. L'équité exige qu'on donne à la personne que visent les allégations examinées par la Commis sion les grandes lignes de celles-ci. Une loi qui prétend opérer cette privation ne constitue pas une limite raisonnable, au sens de l'article 1 de la Charte, des droits garantis par l'article 7. L'article 17 du Règlement ne devrait donc pas s'appliquer de manière à nier ce droit.
Les mêmes considérations s'appliquent généralement au refus de la possibilité pour le requérant d'être présent à l'audi- tion. Puisque le requérant était disponible, rien ne justifie de l'exclure. De prime abord, il apparaît que cette exclusion équivalait à un déni d'équité. Il appartient à la Commission de démontrer, dans des procédures à venir, qu'il existe une loi qui limite raisonnablement ce droit.
La garantie prévue à l'alinéa 10b) de la Charte (le droit, en cas d'arrestation ou de détention, d'avoir recours à l'assistance d'un avocat) ne s'applique pas en l'espèce. L'alinéa l0b) vise le cas d'une première arrestation ou détention. Toutefois, la garantie prévue à l'article 7 exige effectivement que le requé- rant ait toutes les possibilités raisonnables de se faire représen- ter par un avocat à une audition portant sur la révocation. La présence d'avocat dans une affaire aussi grave est un facteur important pour assurer l'équité de la procédure.
Pour ce qui est des auditions futures concernant la révocation de la libération conditionnelle du requérant, il n'appartient pas à la Cour d'ordonner à la Commission ou à des organismes fédéraux ou provinciaux en cause d'assurer la représentation par avocat à ces auditions. Mais si, dorénavant, la Commission procède à des auditions et n'est pas à même de démontrer qu'elle a pris des mesures pour donner au libéré conditionnel toute possibilité raisonnable de retenir les services d'un avocat, ses procédures pourront être attaquées pour déni d'équité.
L'argument du requérant selon lequel la justice fondamen- tale impose, quant au fond, un critère de l'équité des règles doit être rejeté. Il ressort de l'historique de l'article 7 qu'il vise uniquement à garantir la justice ou l'équité sur le plan de la procédure. On a délibérément évité l'expression «l'application régulière de la loi» de l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits pour employer l'expression «justice fondamentale» de l'alinéa 2e). La Cour suprême du Canada a interprété cette expression comme ayant un contenu procédural, et on peut supposer que la Charte a ultérieurement employé cette expres sion dans ce sens.
Ni une injonction ni des dommages-intérêts ne peuvent être accordés dans la présente procédure. Celle-ci n'a pas été conçue comme une action ni ne peut convenir à une action. Quant au bref d'habeas corpus, il est bien établi que, à de rares excep tions près, la Division de première instance de la Cour fédérale ne saurait décerner un bref d'habeas corpus. L'article 24 de la Charte ne modifie pas cette situation puisqu'il autorise seule- ment un tribunal compétent à accorder la réparation qu'il a déjà le pouvoir d'accorder.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS CITÉES:
Starr c. Commission nationale des libérations condition- nelles, [1983] 1 C.F. 363 (1' » inst.); Morgan c. La Commission nationale des libérations conditionnelles, [1982] 2 C.F. 648 (C.A.); Couperthwaite c. Commission
nationale des libérations conditionnelles, [1983] 1 C.F. 274 (1" inst.); R. v. Caddedu; R. v. Nunery (1982), 32 C.R. (3d) 355 (H.C. Ont.); Re Mason and the Queen (1983), 43 O.R. (2d) 321 (H.C.); Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C. (2d) 555 (C.F. 1" inst.); Noonan c. La Reine du chef du Canada et autre, jugement en date du 17 mars 1983, Division d'appel de la Cour fédérale, A-277-83, non publié; Re Morgan and the Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 436 (C.A. Man.); Truscott v. Dir. of Mountain Institu tion (1983), 33 C.R. (3d) 121 (C.A.C.-B.); Oag c. La reine et autres; R. c. Moore, [1983] 1 R.C.S. 658; 41 O.R. (2d) 271; 33 C.R. (3d) 97.
AVOCATS:
Lucinda Vandervort pour le requérant. L. P. MacLean pour les intimés.
PROCUREURS:
Lucinda Vandervort, Saskatoon, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le requérant à l'instance est un détenu du pénitencier de la Saskatchewan, à Prince Albert. Il demande essentiellement un bref d'habeas corpus accompagné d'un bref de certio- rari pour faire annuler une ordonnance qu'a rendue le 6 octobre 1982 la Commission nationale des libérations conditionnelles; cette ordonnance révoquait sa libération conditionnelle de jour et a eu pour effet de maintenir son emprisonnement.
Sans entrer dans les détails, il convient de souli- gner quelques faits saillants concernant les antécé- dents du requérant. Le 22 janvier 1971, il a été condamné en Colombie-Britannique à quatre ans de pénitencier pour viol et à une peine concurrente de quatre mois pour avoir illégalement détenu une femme dans l'intention d'avoir des relations sexuelles avec elle. Le 25 octobre 1973, il a obtenu une libération sous surveillance obligatoire. Le 15 août 1974, la Commission nationale des libérations conditionnelles a révoqué cette libération sous sur veillance obligatoire. Le 25 octobre 1974, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba l'a déclaré coupable de viol et de voie de fait sur une femme et de voie de fait sur une autre, ainsi que de possession d'un couteau ou d'une imitation d'un
couteau à une fin dangereuse pour l'ordre public. Ces infractions ont toutes eu lieu à Winnipeg ou aux environs, le 25 mai 1974. Il a été condamné à 12 ans d'emprisonnement pour le viol et à 5 ans d'emprisonnement pour chacun des autres chefs d'accusation, ces dernières peines devant être pur gées simultanément avec la peine de 12 ans. Par la suite, la Cour d'appel du Manitoba a rejeté les appels interjetés à la fois des condamnations et des sentences.
Le 17 août 1982, le requérant a été libéré de l'établissement manitobain de Rockwood, ayant obtenu une libération conditionnelle de jour. Entre-temps, alors qu'il était détenu, il s'était marié en 1975, et il a eu deux enfants. Sa femme a également une fille, Diana Lee, qui avait environ douze ans en 1982. Mme Latham et les trois enfants vivaient à Winnipeg. Depuis sa libération condi- tionnelle de jour, le requérant y a passé la majeure partie de son temps, et était à la recherche d'un emploi.
Le 2 septembre 1982, une voisine des Latham a fait part à la police municipale de Winnipeg de ses inquiétudes au sujet du bien-être de Diana Lee Latham, la belle-fille du requérant. La police a interrogé Diana Lee. Celle-ci a dit en effet qu'elle avait peur du requérant et qu'il lui avait dit au moins à deux reprises qu'il avait envie de la violer. La police a alors interrogé la mère de la fille, Mme Latham, qui a dit qu'elle était au courant de cette situation, qu'elle en avait discuté avec son mari et que, à son avis, cela ne se reproduirait pas. Plus tard dans la journée, la police a rencontré M. et M me Latham ensemble. M. Latham n'a pas nié une grande partie de ce qui avait été allégué, mais a assuré la police que Diana était en parfaite sécu- rité. Victor Bergen, son agent de libération condi- tionnelle, a alors téléphoné, et il a été convenu entre eux que Latham retournerait volontairement à Rockwood.
Selon Latham, il a compris que s'il retournait volontairement à Rockwood, la Commission ne révoquerait pas sa libération conditionnelle, et qu'il désirait éviter une telle révocation, qui aurait automatiquement pour effet d'annuler quelque 1 800 jours de réduction méritée de peine auxquels il avait droit et qui seraient déduits de sa peine actuelle. Selon M. Bergen, l'agent de libération conditionnelle du requérant, il a dit au téléphone à
Latham de retourner à Rockwood ce soir-là, et si Latham ne s'exécutait pas, il ferait décerner un mandat d'arrestation et de suspension. En tout cas, Latham est effectivement retourné à Rockwood le soir du 3 septembre 1982, mais le mandat a néan- moins été délivré ce jour-là et signifié à Latham le 7 septembre. Latham demeure incarcéré depuis.
Le 10 septembre 1982, un agent de libération conditionnelle a interrogé Latham qui a signé, le même jour, une demande pour une audition posté- rieure à la suspension. L'audition a été tenue le 6 octobre conformément aux articles 20 et 20.1 du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, ajouté par DORS/81-318.
D'après Latham, il a vainement tenté d'obtenir un conseiller juridique pour l'audition. Il a été assisté par M. Epp, aumônier de la prison. Les détails de cette audition seront examinés plus loin; il suffit de dire qu'à la fin de l'audition, les mem- bres de la Commission, composée de Denis Chis- holm et Dorothy Betz, ont révoqué la libération conditionnelle de jour de Latham. La Commission a par la suite confirmé cette révocation lors d'un réexamen de la décision fait en vertu de l'article 22 du Règlement.
En 1983, le requérant a sollicité de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (il était alors incarcéré à Prince Albert) un bref d'habeas corpus. Le 27 octobre 1983, le juge Sirois a rejeté la requête au motif qu'il s'agissait en réalité d'une contestation de l'ordonnance de révocation rendue par la Commission nationale des libérations condi- tionnelles. À son avis, la procédure appropriée consistait à demander à cette Cour de décerner un bref de certiorari.
Le requérant a demandé, dans ses conclusions, diverses formes de redressement: l'habeas corpus; un certiorari pour annuler la décision; une injonc- tion provisoire ordonnant sa libération en atten dant une décision finale sur l'affaire et, semble-t-il, des dommages-intérêts.
Je suis persuadé que ni une injonction ni des dommages-intérêts ne peuvent être accordés dans cette procédure. Bien indépendamment de toute autre contrainte judiciaire, cette procédure n'a pas été conçue comme une action; la procédure ne convient pas non plus à une action. Il n'existe pas non plus d'autres redressements provisoires que
cette Cour accorde normalement, comme le bref d'habeas corpus ou la suspension de l'ordonnance de révocation. J'ai considéré la demande essentiel- lement comme une demande de bref de certiorari; bien entendu, je vais examiner encore la question du bref d'habeas corpus ou du redressement équivalent.
Compétence pour révoquer la libération condition- nelle de jour
Dans ses conclusions, le requérant fait valoir que parce qu'il s'était livré le 3 septembre 1982, il a mis fin à sa propre libération conditionnelle de jour, et il n'y avait plus rien que la Commission puisse révoquer. Par conséquent, elle n'avait pas compétence pour rendre une ordonnance de révo- cation sous le régime de l'article 16 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 29]. Son avocate, à qui l'affaire n'a été confiée que trois jours avant l'audi- tion devant cette Cour, n'a pas insisté sur cet argument que je crois sans fondement. Certes, il est possible de faire valoir que la libération condi- tionnelle ne saurait être révoquée si elle n'est pas encore en vigueur' ou n'est plus en vigueur. Mais, en l'espèce, la libération conditionnelle était tou- jours en vigueur, parce que le fait pour Latham de se livrer ne pouvait avoir pour effet juridique de mettre fin à la libération conditionnelle. En vertu de l'article 6 [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 23] de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, la Commission a compétence exclusive pour révoquer la libération conditionnelle ou mettre fin à la libération condi- tionnelle de jour.
Équité ou exigences de la Charte dans l'audition postérieure à la suspension
Il est maintenant clair que les exigences de l'équité de common law s'appliquent à de telles auditions 2 . L'incidence de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
' Voir, p. ex., Starr c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1983] 1 C.F. 363 (1" inst.).
2 Morgan c. La Commission nationale des libérations condi- tionnelles, [1982] 2 C.F. 648 (C.A.); Couperthwaite c. Com mission nationale des libérations conditionnelles, [1983] 1 C.F. 274 (1' 0 inst.).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] sur ces auditions a été, jusqu'ici, moins clairement définie 3 .
Selon le requérant, il y a déni d'équité et des exigences de la Charte, parce qu'on ne l'a ni suffisamment informé des motifs amenant la Com mission à examiner la révocation de sa libération conditionnelle de jour, ni autorisé à assister à la majeure partie de l'audition, ni informé qu'il avait droit à un avocat.
Pour ce qui est du premier point, je crois qu'il est bien fondé. Il est vrai que dans les conversa tions qu'il a eues avec la police chez lui le 3 septembre 1982, Latham était parfaitement au courant des faits allégués contre lui par sa belle- fille, Diana Lee. Il s'est rendu compte que s'il ne quittait pas la maison de son propre gré, la Chil- dren's Aid emmènerait sa belle-fille (en fait, elle a été emmenée temporairement malgré qu'il soit retourné volontairement en prison). Mais, à partir de là, on n'a fait que conjecturer qu'il était au courant des motifs précis de révocation. Le mandat d'arrestation et de suspension de la libération con- ditionnelle, lancé le 3 septembre 1982 et qui lui a été signifié à l'établissement le 7 septembre 1982, invoquait la raison suivante pour la suspension de la libération conditionnelle de jour: [TRADUC- TION] «pour prévenir la violation des modalités d'une libération conditionnelle». Le [TRADUC- TION] «Rapport d'infraction» daté également du 3 septembre et qui lui a été envoyé donnait aussi le motif de la suspension: [TRADUCTION] «Pour pré- venir la violation des modalités d'une libération conditionnelle». Sous la rubrique [TRADUCTION] «Sommaire (Comment l'infraction est survenue)», il est dit simplement: [TRADUCTION] «Affaire rela tive à la protection de la jeunesse mettant en cause Latham et sa belle-fille, au sujet de laquelle la police a demandé notre intervention». Il faut inter- préter ceci comme une explication de la raison pour laquelle la suspension était nécessaire «pour prévenir la violation des modalités d'une libération conditionnelle». Toutefois, si l'on examine le certi- ficat de libération conditionnelle en date du 16 août 1982, on voit qu'aucune condition n'y était précisée, si ce n'est les directives quant à l'endroit
3 Voir, p. ex., R. v. Caddedu; R. v. Nunery (1982), 32 C.R. (3d) 355 (H.C. Ont.).
il devait se présenter pour la surveillance des libérés conditionnels et aux périodes d'entrée en vigueur de la libération. Rien ne précise le genre de conversation que le détenu devait éviter d'avoir avec les membres de sa famille.
Aucune autre source de renseignements sur les motifs de suspension ou de révocation possible n'a été portée à la connaissance de Latham avant l'audition tenue par la Commission le 6 octobre. Je suis persuadé qu'à cette audition, il n'a pas été informé, ou ne l'a été que bien peu, à ce sujet, jusqu'à ce que la décision ait été prise. La preuve semble montrer clairement que tout juste avant de rencontrer Latham et Epp, les membres de la Commission ont rencontré l'agent de libération conditionnelle et l'agent de classement. Cette dis cussion, selon l'affidavit de M. Chisholm, portait [TRADUCTION] «sur les renseignements confiden- tiels donnés par la police». Lorsque Latham et Epp ont comparu devant la Commission, Latham, selon son propre témoignage, a exprimé des regrets devant la Commission pour avoir encore causé des ennuis à sa famille. D'après Latham, il a alors demandé quels renseignements la Commission était en train d'examiner, et on lui a dit simple- ment que la formation avait tout ce dont elle avait besoin. La seule preuve directe de l'audition dépo- sée par les intimés consistait dans l'affidavit de M. Chisholm, qui disait simplement que [TRADUC- TION] «Au commencement de l'audition, les préoc- cupations de la Commission ont été divulguées à Latham et à son conseiller, et on a donné à Latham la possibilité de répondre à ces préoccupa- tions.» À mon avis, cela ne suffit vraiment pas pour établir que Latham a convenablement été informé de la nature des allégations qu'examinait la Com mission. L'affidavit du requérant prouve très préci- sément que lorsqu'il a demandé à M. Chisholm quels renseignements la Commission avait, ce der- nier a répondu: [TRADUCTION] «Nous sommes tout à fait satisfaits des renseignements que nous avons reçus; en fait, c'est plus que suffisant.» Devant cette preuve précise, je ne suis pas disposé à considérer les vagues euphémismes de M. Chis- holm comme une preuve que des renseignements clairs ont été portés à la connaissance de M. Latham.
Après cette brève rencontre, qui a, semble-t-il, duré cinq ou dix minutes tout au plus, on a
demandé à Latham et à Epp de se retirer. Les agents sont restés avec les membres de la Commis sion pendant qu'ils prenaient une décision. Puis on a fait entrer Latham et Epp pour les informer de cette décision, qui était de révoquer sa libération conditionnelle de jour.
Après cette audition, la Commission nationale des libérations conditionnelles a, dans sa lettre en date du 20 octobre 1982, officiellement avisé le requérant de sa décision de révoquer la libération conditionnelle de ce dernier. Voici les motifs donnés:
[TRADUCTION] En dépit d'une longue période de libération graduelle et de traitement thérapeutique, le comportement du sujet (déviance sexuelle) est absolument inacceptable; étant donné les délits graves de voies de fait d'ordre sexuel qu'il a commis, on le considère comme présentant un très grand danger pour la collectivité, et on voit que la révocation de la libération conditionnelle de jour s'impose.
Par la suite, la Commision a, sous le régime de l'article 22 du Règlement, réexaminé la décision portant révocation. Le 19 janvier 1983, elle a envoyé au requérant une lettre portant qu'elle avait décidé de confirmer cette décision. La lettre énonce notamment:
[TRADUCTION] Dans ce cas particulier, on a procédé à la suspension et à la révocation subséquente pour protéger la société.
À mon avis, la procédure adoptée en l'espèce par la Commission nationale des libérations condition- nelles ne répondait pas aux normes d'équité qu'exi- geait la situation. Certes, la libération condition- nelle n'est pas un droit, mais un privilège, et, par conséquent, sa révocation n'exige pas de suivre le processus de type judiciaire qu'on associe plus communément avec le concept de justice naturelle. Néanmoins, elle exige effectivement que l'on appli- que les règles de l'équité 4 . En déterminant les conditions d'équité dans une situation donnée, j'es- time qu'il est nécessaire d'examiner les conséquen- ces que cela entraîne pour la personne qui a, semble-t-il, fait l'objet d'un déni d'équité. En l'es- pèce, la conséquence directe pour le requérant était la privation de sa liberté pour une durée allant de deux ans et demi à cinq ans. Au moment de l'audition, si sa libération conditionnelle de jour n'avait pas été révoquée, il aurait au moins bénéfi-
Morgan c. La Commission nationale des libérations condi- tionnelles, précitée, note 2.
cié d'une liberté partielle jusqu'en avril 1983, date à laquelle il aurait eu droit à une libération sous surveillance obligatoire au lieu de purger sa sen tence en prison jusqu'à la date d'expiration, soit le 29 novembre 1987. Au lieu de cela, une fois que sa libération conditionnelle de jour eut été révoquée le 6 octobre 1982, il est retourné en prison et a perdu la réduction méritée de peine qui autrement lui aurait permis d'être libéré en avril 1983. Il doit maintenant y demeurer jusqu'au 24 octobre 1985 au moins, date à laquelle il aura droit, s'il continue de bénéficier d'une réduction, à une libération sous surveillance obligatoire. Une décision si lourde de conséquences doit sûrement être prise en tenant compte de l'équité.
En l'espèce, le déni d'équité découle principale- ment du défaut d'informer suffisamment le requé- rant des motifs pour lesquels la révocation était envisagée et de lui donner la possibilité de répon- dre aux allégations dont la Commission devait apparemment tenir compte. L'article 16 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus autorise la révocation soit lorsqu'il y a violation des modali- tés d'une libération conditionnelle soit pour «proté- ger la société». Comme je l'ai déjà indiqué, le certificat de libération conditionnelle du 12 août 1982 ne prévoyait aucune modalité directement pertinente à la situation. Toutefois, le mandat d'arrestation et de suspension de la libération con- ditionnelle de jour en date du 3 septembre 1982 déclare que la libération conditionnelle a été sus- pendue pour empêcher la violation des modalités d'une libération conditionnelle. Le «Rapport d'in- fraction» portant la même date, qui lui a égale- ment été envoyé, a utilisé le même langage mais, comme il a été indiqué ci-dessus, on y fait mention, dans le sommaire de la violation de la libération conditionnelle, d'une «Affaire relative à la protec tion de la jeunesse mettant en cause Latham et sa belle-fille ...». Ce sont les allégations écrites données au requérant avant l'audition. Selon les motifs écrits donnés par la Commission après l'au- dition, tant le 20 octobre 1982 que le 19 janvier 1983, sa décision visait à «protéger la société..
Bien qu'il puisse y avoir un chevauchement important entre les raisons de la révocation repo- sant sur une violation des modalités de la libéra- tion conditionnelle dans le passé et celles s'ap- puyant sur la nécessité de protéger la société, elles
sont différentes du point de vue de leur orientation dans le temps et de l'importance relative de divers facteurs. En vue de se préparer pour une audition en matière de révocation, il importerait que le requérant à l'instance sache sur quoi portent prin- cipalement les préoccupations de la Commissions. En conséquence, le requérant a été insuffisamment informé des motifs d'une révocation possible, ce qui constitue une injustice à cet égard. C'est égale- ment une injustice que de ne pas préciser davan- tage, à son intention, la nature des renseignements recueillis par la Commission, afin de lui permettre de les commenter.
L'avocat de la Commission a fait mention des exigences de la Commission quant au caractère de confidentialité et des dispositions de l'article 17 du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, qui prévoient que la Commission n'est pas tenue de révéler au détenu des renseignements «visés par les alinéas 54a) à g) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne» [S.C. 1976-77, chap. 33]. Bien qu'il n'ait pas expressé- ment rattaché les renseignements détenus en l'es- pèce à une partie quelconque des alinéas 54a) à g), il m'apparaît que les seuls alinéas qui puissent s'appliquer seraient les alinéas c), d) et e) qui décrivent les renseignements susceptibles:
54....
c) d'entraîner la divulgation de renseignements recueillis par tout ou partie d'une institution gouvernementale constituée en organisme d'enquête,
(i) sur la sécurité nationale,
(ii) au cours d'enquêtes sur la détection ou la prévention du crime en général, ou
(iii) au cours d'enquêtes sur l'application des lois du Parlement;
d) dans le cas d'un individu condamné pour infraction à une loi du Parlement,
(i) d'avoir de graves conséquences sur son programme pénitentiaire, sa libération conditionnelle ou sa surveillance obligatoire,
(ii) d'entraîner la divulgation de renseignements qui, à l'origine, ont été obtenus expressément ou implicitement sous le sceau du secret, ou
(iii) de causer, à lui ou à quiconque, des dommages, corporels ou autres;
e) d'entraîner la divulgation de renseignements personnels concernant un autre individu;
S Morgan c. La Commission nationale des libérations condi- tionnelles, ibid.
(L'article 54 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a maintenant été remplacé par cer- tains articles de la Loi sur la protection des ren- seignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, mais il était applicable à l'époque de l'audition en question en l'espèce.)
Tout d'abord, il convient de souligner qu'il n'ap- paraît pas qu'on ait en l'espèce invoqué les disposi tions actuelles de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont l'article 54 exigerait un décret ministériel pour l'exemption de la divulgation de renseignements y mentionnés. L'article 17 du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus ne fait qu'introduire par renvoi la descrip tion de certains renseignements indiqués dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est peut-être discutable que ce Règlement constitue en soi une justification suffisante pour ne pas divul- guer de renseignements à une personne qui a for- mulé une demande appropriée, sous le régime de la Partie IV de cette Loi, de «renseignements géné- raux» la concernant et contenus dans des banques de données gouvernementales. En l'espèce, je n'ai pas à examiner cette question, puisque rien n'indi- que que le requérant ait fait une telle requête. De plus, la Loi en question a maintenant été rempla- cée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme il a été indiqué.
Il apparaît que le paragraphe 17(3) du Règle- ment sur la libération conditionnelle de détenus apporte une limite juridiquement efficace à toute condition de divulgation posée par l'équité de common law. Cela n'aurait pas pour effet, à mon avis, de limiter le droit que le libéré conditionnel tient de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 7 dispose:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Indiscutablement, la «liberté» du libéré condition- nel est en jeu lorsqu'on le menace de révocation de la libération conditionnelle 6 . À mon avis, la justice fondamentale exige une équité procédurale qui corresponde à l'intérêt touché. C'est pour la même raison que la common law n'exigerait pas en l'es- pèce un processus plus judiciaire qu'on associe normalement au concept de «justice naturelle»;
6 R. v. Caddedu; R. v. Nunery, précitée, note 3.
l'article 7 ne l'exigerait pas non plus. Mais elle exige l'équité, et l'équité exige au moins qu'on donne, à la personne que visent les allégations examinées par un tribunal pour décider s'il y a lieu de priver cette personne de sa liberté, les grandes lignes de ces allégations. Une loi qui prétend opérer même cette privation ne constitue pas une limite raisonnable au sens de l'article 1 de la Charte des droits garantis par son article 7. L'arti- cle 17 du Règlement sur la libération condition- nelle de détenus ne devrait donc pas s'appliquer de manière à nier ce droit. Puisque ni la preuve ni le débat ne me prouvent en l'espèce que l'article 17 ait été invoqué pour cette fin, il me suffit de dire qu'il ne saurait, en vertu de la Charte, être ainsi invoqué. Je n'ai pas non plus à examiner les modi fications apportées par la nouvelle Loi sur la pro tection des renseignements personnels, qui pré- voient le contrôle judiciaire du refus de fournir à un individu ces renseignements personnels le con- cernant, ni celles apportées à la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] (voir S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe III), qui élargis- sent le fondement du contrôle judiciaire du refus par le gouvernement de divulguer des renseigne- ments devant les cours et les autres tribunaux.
Les mêmes considérations s'appliquent générale- ment au refus de la possibilité, pour le requérant, d'être présent au cours d'une majeure partie de l'saudition» 7 . Puisque le requérant était disponible et attendait à l'extérieur, rien, si ce n'est l'obliga- tion de respect de la confidentialité, ne justifie de l'exclure de l'audition. De prime abord, il m'appa- raît que cette exclusion équivalait aussi à un déni d'équité. Il appartient à la Commission des libéra- tions conditionnelles de démontrer, dans des procé- dures à venir, qu'il existe une loi qui limite ce droit, par ailleurs garanti sous le régime de l'arti- cle 7 de la Charte, et que, dans son application, cette loi représente une limite raisonnable de ce droit.
Le requérant fait également valoir qu'il y a eu déni d'équité parce que la Commission ne l'a pas avisé qu'il avait droit à un avocat. Il invoque l'alinéa 10b) de la Charte, qui prévoit que:
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
7 Re Mason and the Queen (1983), 43 O.R. (2d) 321 (H.C.).
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;
Ma conclusion est que cette garantie ne s'applique pas aux faits en l'espèce. Bien que les avocats n'aient cité aucune jurisprudence sur ce point, il m'apparaît que cet alinéa vise le cas d'une pre- mière arrestation ou détention. L'expression «en cas d'arrestation ou de détention» confirmerait cette idée. Autrement, dans le contexte de l'empri- sonnement, les autorités seraient continuellement et quotidiennement tenues d'informer les détenus de leur droit à un avocat.
J'estime toutefois que la garantie prévue à l'arti- cle 7 de la Charte exige qu'un libéré conditionnel ait toutes les possibilités raisonnables de se faire représenter par un avocat à une audition portant sur la révocation. L'importance de l'issue à son égard, du moins dans un cas comme en l'espèce, signifie qu'une procédure équitable exige qu'il ait droit à un avocat s'il le désire et s'il peut en trouver un qui soit disposé à le représenter. On devrait lui accorder suffisamment de temps pour qu'il puisse faire son possible en vue d'atteindre ce but.
Compte tenu des éléments de preuve produits en l'espèce, je ne suis pas persuadé que la Commis sion ait, de quelque façon, refusé à Latham le droit à un avocat. Il a tenté de trouver un avocat pour le représenter, mais ses efforts n'ont pas abouti. I1 a, paraît-il, aussi consenti à ce que l'audition soit tenue plus tôt que prévu. Par conséquent, je ne rejetterais pas la décision de la Commission en l'espèce parce qu'elle n'a pas avisé le requérant de son droit à un avocat ou parce qu'elle lui a refusé ce droit.
Toutefois, cela ne veut pas dire que la Commis sion peut rester indifférente devant la question de savoir si un libéré conditionnel a un avocat dans de telles circonstances. Elle doit assurer une procé- dure d'audition qui soit équitable, et la présence d'un avocat dans une affaire aussi grave sera un facteur important pour assurer l'équité de la pro- cédure. Malgré que l'avocate du requérant ait insisté pour que j'ordonne à la Commission, ou à des organismes fédéraux ou provinciaux en cause, d'assurer la représentation par avocat dans toute audition future concernant la révocation de la libération conditionnelle du requérant, je ne pense pas que la Cour ait le pouvoir de le faire. Mais si, dorénavant, la Commission procède à des auditions
ayant des conséquences aussi graves, et n'est pas à même de démontrer qu'elle a pris des mesures pour donner au libéré conditionnel toute possibilité raisonnable de retenir les services d'un avocat, ses procédures pourront, à mon avis, être attaquées pour déni d'équités.
L'article 20 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus et l'article 7 de la Charte
L'avocate du requérant fait valoir que l'article 20 [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 31 ] de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, qui prévoit l'annulation automatique de la réduction de peine méritée et prévue par la loi, sur révocation de la libération conditionnelle pour quelque raison que ce soit, va à l'encontre de la justice fondamentale et viole, par conséquent, l'article 7 de la Charte. Cet argument part du principe que la «justice fondamentale», mentionnée à l'article 7, impose, quant au fond, un critère de la justesse ou de l'équité des règles, et non simplement un critère quant aux procédures par lesquelles il peut être porté atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Elle soutient donc qu'une annulation totale de la réduc- tion, quelle qu'en soit la durée, pour tout motif permettant la révocation de la libération condition- nelle, est [TRADUCTION] «draconienne» et va donc à l'encontre de la justice fondamentale.
Je ne connais aucune jurisprudence qui me lie quant à cette interprétation de l'article 7 de la Charte, et je la rejette. Il ressort de l'historique de l'article 7 qu'il vise à garantir uniquement la jus tice ou l'équité sur le plan de la procédure. Le texte peut-être plus large de la disposition compa rable figurant dans la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, alinéa la), qui faisait mention de «l'application régulière de la loi», a, à l'évidence, été délibérément évité. Le langage utilisé à l'alinéa 2e) de la Déclaration, qui parlait de «justice fondamentale», a plutôt été employé. La Cour suprême 9 a interprété cette expression comme ayant un contenu procédural, et on peut supposer que la Charte a ultérieurement employé cette expression dans ce sens. En fait,
e Voir Morgan c. La Commission nationale des libérations
conditionnelles, précitée, note 2, à la p. 656.
9 Duke c. La Reine, [ 1972] R.C.S. 917, la p. 923.
donner à cette expression un contenu de fond laisserait entendre que les corps législatifs et les gouvernements qui ont adopté la Charte étaient disposés à laisser aux tribunaux le soin de trancher initialement les questions telles que l'opportunité de l'avortement ou de la peine capitale, ou la durée appropriée des peines d'emprisonnement. C'est autant lancer un défi à l'histoire.
Recours disponibles
On m'a demandé non seulement d'annuler la décision portant révocation de la Commission, mais aussi de délivrer un bref d'habeas corpus pour la libération immédiate du requérant. I1 apparaît maintenant bien établi que, à de rares exceptions près qui ne sont pas pertinentes en l'espèce, la Division de première instance de la Cour fédérale ne saurait décerner un bref d'habeas corpus 10 . L'article 24 de la Charte ne modifie pas non plus, à mon avis, cette situation, puisqu'il autorise seulement un «tribunal compétent» à accorder la réparation qu'il a déjà le pouvoir d'ac- corder, mais à l'accorder selon les nouveaux motifs (prévus par la Charte). Cette situation est quelque peu anormale, puisque le requérant a tout d'abord sollicité un bref d'habeas corpus de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, qui a décidé qu'elle ne pouvait accorder un tel redressement nécessitant le contrôle judiciaire d'un office fédé- ral. Toutefois, cette Cour peut convenablement statuer sur le fond par voie de certiorari. Lorsque l'ordonnance est annulée, rien ne justifie de détenir le requérant, puisque la suspension de sa libération conditionnelle de jour n'est plus en vigueur ". Puis- qu'en avril 1983, il était en droit d'être libéré sous surveillance obligatoire, il devrait maintenant être libéré, et la Commission des libérations condition- nelles ne saurait s'appuyer sur un comportement antérieur à la libération pour suspendre de nou- veau, en vertu de l'article 16 de la Loi 12 , sa libération conditionnelle.
1 ° Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C. (2d) 555 (C.F. I n inst.); Noonan c. La Reine du chef du Canada et autre, jugement en date du 17 mars 1983, Division d'appel de la Cour fédérale, A-277-83, non publié.
" Re Morgan and the Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 436 (C.A. Man.); Re Mason and the Queen, précitée, note 7.
12 Truscott v. Dir. of Mountain Institution (1983), 33 C.R. (3d) 121 (C.A.C.-B.), approuvée dans Oag c. La Reine et autres; R. c. Moore, [1983] 1 R.C.S. 658; 41 O.R. (2d) 271; 33 C.R. (3d) 97.
Conclusion
Je conclus donc qu'il y a lieu de délivrer un bref de certiorari pour évoquer devant cette Cour la décision rendue le 6 octobre 1982 par la Commis sion nationale des libérations conditionnelles, con- firmée par la suite par celle-ci et portant révoca- tion de la libération conditionnelle de jour du requérant, et d'ordonner l'annulation de ladite décision et de toutes ordonnances ou de tous man- dats en découlant. Le requérant a droit aux dépens.
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