Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2395-83
Gerald Russell et Norman Semmens (requérants) c.
Peter Radley, président du tribunal disciplinaire de l'établissement de Collins Bay (intimé)
Division de première instance, juge Muldoon — Ottawa, 8 novembre 1983 et 23 janvier 1984.
Droit constitutionnel Charte des droits Pénitenciers Infractions à la discipline Requérants accusés en vertu de l'art. 39c),i) et k) du Règlement Le président du tribunal disciplinaire a ajourné les auditions sine die Requêtes visant à faire interdire à l'intimé de poursuivre les auditions sur des infractions à la discipline Les requérants font valoir leur droit d'être jugés dans un délai raisonnable comme le prévoit l'art. 11b) de la Charte et allèguent que le tribunal n'était ni indépendant ni impartial, contrairement à l'art. 11d) L'intimé soutient que le terme «infraction» à l'art. 11 ne vise pas une «infraction disciplinaire» Mise en question de l'applicabilité de la Charte Le devoir de la Cour est d'appliquer la loi suprême du Canada et non de s'y dérober La plupart des restrictions apportées par une règle de droit aux droits et libertés des détenus sont justifiées pour assurer la protection de la société Les requérants ont légitimement perdu leur droit à la liberté garanti par l'art. 7 Les infractions dont parle l'art. 11 visent les infractions à la discipline Les requérants conservent les droits énoncés à l'art. 11a),b),c),g),h),i) L'art. 11e) et f) ne s'applique pas dans le cas d'infractions à la discipline L'art. 11d) confère aux requérants le droit à des auditions équitables mais non publiques Une telle restriction est justifiée pour des raisons de sécurité et par le fait que le tribunal disciplinaire est un tribunal et non une cour Le président jouit de l'indépen- dance d'un membre de la profession juridique et d'une per- sonne nommée par le gouverneur en conseil pour présider un tribunal disciplinaire En tant que tribunal administratif le tribunal disciplinaire n'a pas à faire preuve de la même indépendance totale dont jouissent les cours Étant donné qu'on n'a pas invoqué de faits relatifs à la partialité, on ne peut conclure au manque d'impartialité Les mesures disci- plinaires doivent être rapides Les requérants n'ont pas été jugés dans un délai raisonnable comme l'exige l'art. 11d) Bref de prohibition accordé et accusations annulées Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2, 6, 7, 11, 12, 24 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 29 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 44) Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 38 (mod. par DORS/80-209, art. 2), 38.1 (ajouté par idem, art. 3 et mod. par DORS/81-940, art. 1), 39 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18 Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, art. 120 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. Ib), 2j).
Pénitenciers Infractions à la discipline Détenus accu- sés en vertu de l'art. 39c),i) et k) du Règlement Requêtes
visant à faire interdire à l'intimé de poursuivre les auditions sur les infractions à la discipline ajournées sine die Les requérants avaient-ils le droit d'être jugés dans un délai raisonnable comme le prévoit l'art. 11b) de la Charte des droits? Y a-t-il absence d'indépendance et d'impartialité de la part de l'intimé en violation de l'art. 11d)? Les «infrac- tions disciplinaires» sont-elles visées par les «infractions» dont parle l'art. 11? La protection de la société justifie la plupart des restrictions apportées aux droits et libertés des détenus Les requérants ont légitimement perdu leur droit à la liberté garanti par l'art. 7 Le terme «infraction» à l'art. 11 comprend «infraction disciplinaire» Les requérants con- servent les droits énoncés à l'art. 11a),b),c),g),h),i) L'art. 11e) et f) ne s'applique pas dans le cas d'infractions à la discipline Les auditions sur les infractions à la discipline doivent être équitables mais non publiques La sécurité des établissements pénaux et le fait que le tribunal disciplinaire est un tribunal et non une cour justifient une telle limitation Étant donné qu'on n'a pas invoqué de faits relatifs à la partialité, on ne peut conclure au manque d'impartialité En tant que tribunal administratif, le tribunal disciplinaire n'a pas à faire preuve de la même indépendance totale dont jouissent les cours Le président jouit de l'indépendance d'un membre de la profession juridique et d'une personne nommée par le gouverneur en conseil pour présider un tribunal discipli- naire Les mesures disciplinaires doivent être rapides Les requérants n'ont pas été jugés dans un délai raisonnable comme l'exige l'art. 11d) Bref de prohibition accordé et accusations annulées Charte canadienne des droits et liber- tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 2, 6, 7, 11, 12, 24 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 29 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 44) Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 38 (mod. par DORS/80-209, art. 2), 38.1 (ajouté par idem, art. 3 et mod. par DORS/81-940, art. 1), 39 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Les requérants sollicitent des ordonnances de prohibition qui interdiraient au président d'un tribunal disciplinaire de poursui- vre les auditions concernant des accusations portées en vertu de l'article 39 du Règlement. Des rapports d'infractions et des «avis de l'accusation» ont été préparés et des dates fixées pour les auditions. Lorsqu'ils ont comparu devant le président du tribunal, les requérants ont demandé que les accusations soient cassées au motif que ce dernier n'était pas indépendant. Le président du tribunal a ajourné les auditions sine die, la ques tion de l'indépendance et de l'impartialité du tribunal faisant l'objet d'une demande pendante devant la Cour fédérale. Cependant, il n'a pas été averti au moment opportun du retrait de cette demande. Les requérants font valoir: (1) qu'en retar dant les auditions, le président du tribunal les a privés de leur droit d'être jugés dans un délai raisonnable, conformément à l'alinéa 11b) de la Charte, et a ainsi manqué à son obligation d'agir équitablement imposée par la common law et a porté atteinte à leur système de défense; (2) que le président ne constitue pas un tribunal indépendant au sens de l'alinéa 11d) de la Charte et n'est donc pas compétent; (3) qu'il existe une crainte raisonnable de partialité empêchant d'affirmer que le président du tribunal est indépendant du Service correctionnel canadien; (4) que la Directive du commissaire 213, qui
donne les lignes à suivre relativement à la discipline des déte- nus, ne garantit pas aux requérants un procès équitable au sens de l'alinéa 11d) de la Charte parce que le tribunal n'est pas habilité à contraindre les témoins à comparaître, que deux membres du personnel ont droit d'être présents à l'audition afin de conseiller le tribunal alors qu'aucun représentant du détenu n'a droit d'y assister et parce qu'elle exige que la cause soit entendue par une personne désignée par le directeur de l'éta- blissement; (5) finalement, qu'ils ont été privés du droit à la liberté ou à la sécurité garanti par l'article 7 de la Charte. L'intimé soutient que les requérants ne sont pas des «inculpés» étant donné que le terme «infraction» à l'article I 1 de la Charte exclut les «infractions disciplinaires» et, par conséquent, qu'au- cun des droits garantis par l'article 11 ne devrait leur être accordé. Il faut déterminer si les dispositions de la Charte s'appliquent et, advenant que ce soit le cas, si les requérants ont établi leur droit à un redressement.
Jugement: une ordonnance de prohibition est accordée et les accusations sont annulées.
On ne peut jamais répondre sans faire de nuance à la question de savoir si la Charte est applicable ou non dans des circonstances particulières. Étant donné que la Charte est enchâssée dans la Constitution, elle fait partie de la loi suprême du Canada; le devoir de la Cour est donc d'appliquer cette loi suprême plutôt que s'y dérober et il lui faut écarter l'idée que, lorsque la totalité du texte d'une disposition ne peut s'appliquer de façon appropriée, aucune partie de cette disposition n'est applicable. Les seules restrictions que l'on peut apporter aux droits garantis dans cette loi sont celles dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
On ne peut retenir l'argument de l'intimé portant que le terme «infraction» utilisé à l'article 11 exclut les infractions disciplinaires. Ce terme désigne un comportement (une mau- vaise conduite coupable) défini et prohibé par une règle de droit et qui, s'il est établi, dans les faits, hors de tout doute raisonna- ble, rend le contrevenant passible en vertu de la loi d'une amende, d'un emprisonnement ou d'une autre peine. Selon cette norme, les infractions à la discipline définies dans le Règlement sur le service des pénitenciers constituent des «infractions» au sens de l'article 11 de la Charte.
Reconnus coupables d'infractions pour lesquelles ils ont été condamnés à l'emprisonnement, les requérants ont légitime- ment perdu leur droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte. Cependant, ils ne doivent pas être punis ni être confinés dans «une prison au sein d'une prison», sauf conformément aux principes de justice fondamentale, à moins que la justification de la privation d'une telle liberté puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Bien que les requé- rants soient détenus, leur droit à la vie et à la sécurité de leur personne sont et demeurent tout aussi évidents que ceux de n'importe quelle autre personne. De même, ils conservent les droits énoncés aux alinéas 1 la),b),c),g),h) et i). Les alinéas I 1 e) etf) ne s'appliquent pas en l'espèce.
Dans le contexte carcéral, il existe certaines limites apportées aux droits des détenus dont la justification peut se démontrer. Le principe selon lequel un inculpé a le droit «d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi» est sans aucun doute applicable à des détenus comme les
requérants. La Directive du commissaire est conforme à ce principe, la loi en question étant constituée par les parties du Règlement portant sur la discipline en prison et prévoyant la tenue d'auditions sommaires.
L'audition doit être équitable, mais il n'est pas nécessaire qu'elle soit publique. Permettre au public d'assister à ce genre d'audition irait à l'encontre des exigences des alinéas 29(1)a) et b) et du paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers, du paragraphe 38(1) du Règlement et de la Directive du commis- saire, dont le but est de préserver la sécurité des établissements et de régir la discipline des détenus. En outre, l'alinéa 11d) de la Charte prévoit manifestement qu'une infraction alléguée peut être jugée par une personne ou un groupe de personnes autre qu'une cour de justice. Lorsqu'il s'agit d'une cour, comme c'est clairement le cas à l'article 24 de la Charte, le texte anglais emploie le mot «court». Le texte français ne fait aucune distinction et utilise le mot «tribunal» en ce qui concerne les deux sortes d'institutions. La Charte n'a pas rendu invalide la caractérisation faite par la Cour suprême du Canada qui a établi que la personne qui préside un tribunal disciplinaire conformément au Règlement constitue un tribunal administra- tif fédéral; au contraire, il semble que les rédacteurs de l'article 11 de la Charte en aient tenu compte. Étant donné que les infractions à la discipline sont jugées par un tribunal qui n'est pas une cour, il n'est pas nécessaire que l'audition soit publique.
L'alinéa 38.1(2)b) du Règlement qui oblige le président du tribunal à «consulter, en la présence du détenu accusé, deux fonctionnaires désignés par le chef de l'institution» ne contre- vient pas à l'exigence d'impartialité. Ce ne sont pas les deux fonctionnaires qui déterminent la culpabilité ou l'innocence mais bien le président du tribunal. Il n'y a rien de fondamenta- lement inéquitable dans une telle situation.
La dernière exigence est que l'audition soit tenue «par un tribunal indépendant et impartial». Pour ce qui est des détenus, rien ne s'oppose à ce que le chef de l'établissement ils purgent leur peine soit chargé de la discipline, tant que les procédures sont équitables. Toutefois, en prévoyant la nomina tion d'aune personne pour présider un tribunal disciplinaire», en particulier lorsque cette personne jouit de l'indépendance d'un membre du barreau qui n'est pas lié au Service correctionnel, comme c'est le cas de l'intimé, le gouverneur en conseil a augmenté considérablement l'indépendance et l'apparence d'in- dépendance de la personne chargée de se prononcer sur des infractions à la discipline. Aucune norme n'oblige le «tribunal» disciplinaire à faire preuve de la même indépendance totale dont jouissent les cours. En raison de la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, selon laquelle le président de la cour martiale permanente constituait un tribunal indépendant et impartial, on ne peut que conclure que l'intimé n'était pas indépendant. Tel qu'il est constitué, le tribunal administratif en cause ne soulève pas de crainte raisonnable au sujet de l'indépendance de l'in- timé, ou de toute autre personne exerçant les mêmes fonctions, dans l'esprit de personnes bien renseignées étudiant la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. En l'absence de toute allégation de partialité de la part des requérants ou de tout aveu à cet effet par le président du tribunal, il faut conclure que le tribunal était impartial.
Les mesures disciplinaires dans les prisons doivent être rapi- des et efficaces. Cette idée de rapidité se concrétise dans l'alinéa 11b) qui assure aux requérants le droit d'être jugés et d'être condamnés ou acquittés dans un délai raisonnable. Le délai raisonnable en ce qui concerne un procès sur des infrac tions à la discipline sera nécessairement très court dans la plupart des cas puisque toutes les personnes dont la présence est requise au cours des procédures, à l'exception du président du tribunal disciplinaire, sont incarcérées «à l'intérieur des murs» de l'établissement. C'est le fait que les personnes dont la présence est nécessaire se trouvent habituellement à l'intérieur de l'établissement qui distingue l'enquête, la mise en accusation et la décision relatives à une infraction à la discipline de celles portant sur une infraction commise à l'extérieur de l'établisse- ment. Lorsqu'il s'agit d'un détenu accusé d'une infraction à la discipline, «être jugé dans un délai raisonnable» signifie être jugé beaucoup plus rapidement qu'il est raisonnable ou même possible de le faire dans le cas d'une personne accusée d'une infraction criminelle en vertu de lois fédérales ou provinciales. En l'espèce, les requérants n'ont pas été jugés dans un délai raisonnable, et en ajournant les auditions pour une période indéterminée, l'intimé a involontairement rendu cela impossi ble. Il n'est ni nécessaire ni souhaitable, compte tenu des circonstances, d'imputer une faute à l'intimé ni même aux requérants. Par conséquent, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, les requérants ont invoqué à juste titre les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale et il y a lieu de leur accorder des ordonnances de prohibition.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602; 50 C.0 C. (2d) 353; MacKay c. La Reine, [ 1980] 2 R.C.S. 370; 54 C.C.C. (2d) 129.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Regina v. Altseimer (1982), 38 O.R. (2d) 783 (C.A.); Re Davidson et un Comité de discipline de la prison des femmes et autre (1981), 61 C.C.C. (2d) 520 (C.F. 1" inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Regina v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Regina v. Institutional Head of Beaver Creek Correc tional Camp, ex parte MacCaud, [1969] 1 C.C.C. 371 (C.A. Ont.); Martineau et autre c. Le Comité de disci pline des détenus de l'Institution de Matsqui (N° 1), [1978] 1 R.C.S. 118; 33 C.C.C. (2d) 366; Howard c. Président du tribunal disciplinaire des détenus de l'éta- blissement de Stony Mountain, jugement en date du 1" septembre 1983, Division de première instance de la Cour fédérale, T-1112-83, encore inédit; Regina v. Miller (1982), 39 O.R. (2d) 41; 29 C.R. (3d) 153 (C.A.); Regina v. Valente (N° 2) (1983), 2 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.); Committee for Justice and Liberty, et autres c. L'Office national de l'énergie, et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; 68 D.L.R. (3d) 716.
AVOCATS:
Fergus J. O'Connor pour les requérants. J. Pethes pour l'intimé.
PROCUREURS:
Correctional Law Project, Kingston, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Les deux requérants ont choisi de joindre leurs plaintes respectives dans la présente demande; chacun sollicite une ordonnance de prohibition qui interdirait au président du tribu nal disciplinaire de l'établissement de Collins Bay, Peter Radley, avocat, de poursuivre les auditions les concernant l'un ou l'autre et actuellement pen- dantes devant lui.
Les auditions en cause portent sur les accusa tions suivantes:
1. En ce qui concerne Gerald Russell,
[TRADUCTION] (i) une accusation en vertu de l'al. 39 i) du Règlement sur le service des pénitenciers (ci-après appelé le Règlement) d'avoir eu «de la contrebande en sa possession» le
13 mai 1983, 9 h 30; la formule intitulée Rapport de l'infraction d'un détenu et avis de l'accusation (ci-après le rapport) contient la description suivante: «Ont été trouvés au cours d'une inspection de routine de la cellule du détenu, les articles de contrebande suivants: 1 rallonge avec contrôle à distance, une installation électrique, 1 moteur électrique, 2 aiguilles à tatouage plus 1 bec de plume fin, 1 boîte de bois, 1 boîte de métal, 1 boîte de carton contenant des dessins»; le nom de l'agent témoin de l'infraction est inscrit au rapport; l'infraction y est qualifiée de «grave»; et il y est noté qu'une copie du rapport a été remise au détenu à 12 h 45 le 31 mai 1983, et que la date proposée pour l'audition devant un tribunal disciplinaire a été fixée à 13 h, le 25 mai 1983; et
(ii) une accusation en vertu de l'al. 39 k) du Règlement d'avoir commis un «acte propre à nuire au bon ordre de l'institution» à 19 h 30, le 22 juillet 1983; le rapport contient la description suivante: «Semblait sous l'effet de boissons alcooliques»; le nom de l'agent témoin de l'infraction y est inscrit; l'infraction y est qualifiée de «grave»; et il y est noté qu'une copie du rapport a été remise au détenu à 13 h le 27 juillet 1983, et que la date proposée pour l'audition devant un tribunal disciplinaire a été fixée à 13 h, le même jour.
2. En ce qui concerne Norman Semmens,
[TRADUCTION] (1) une accusation en vertu de l'al. 39 c) du Règlement de ne pas avoir «travaillé de son mieux» le 23 juillet 1983, 8 h; le rapport contient la description suivante: «Ne s'est pas présenté au travail» la ferme laitière]; le nom de l'agent témoin de l'infraction y est inscrit; l'infraction y est qualifiée de «grave»; et il y est noté qu'une copie du rapport a été remise au détenu à 11 h 20 le 27 juillet 1983, et que la date proposée pour l'audition devant un tribunal disciplinaire a été fixée à 13 h, le 3 août 1983; et
(ii) une accusation en vertu de l'al. 39 k) du Règlement d'avoir commis un «acte propre à nuire à la discipline ou au
bon ordre de l'institution» le 22 juillet 1983, 22 h 30; le rapport contient la description suivante: «Le détenu Sem- mens, matricule 6746, semblait sous l'effet de boissons alcoo- liques. Semmens avait de la difficulté à marcher et son élocution n'était pas la même que d'habitude»; le nom de l'agent témoin de l'infraction y est inscrit; l'infraction est qualifiée de «grave» [Disposition prise contre le détenu— Confiné dans sa cellule]; et il y est noté qu'une copie du rapport a été remise au détenu à 11 h 25 le 27 août [sic] 1983, et que la date proposée pour l'audition devant un tribunal disciplinaire a été fixée à 13 h, le 3 août 1983.
Les deux rapports sur Semmens contiennent la mention «adj.» (ajournement)—«sine die», et le deuxième révèle que l'audition avait antérieure- ment été reportée à [TRADUCTION] «13 h, le 7 septembre 1983 pour discuter avec le Q.C.L.P.» ce qui signifie sans aucun doute le représentant du Correctional Law Project de l'Université Queen. En ce qui concerne les deux accusations portées contre Russell et qui font l'objet d'un examen dans la présente demande, il est évident que les `dates d'audition proposées étaient assez optimistes compte tenu des dates auxquelles les copies des rapports respectifs lui ont effectivement été remises.
Des documents qui sont censés être des affida vits ont été déposés au nom des requérants et apparemment signés par chacun d'eux; deux de ces documents ont été déposés au nom de l'intimé et vraisemblablement signés par lui. Chacun de ces affidavits a été assermenté par [TRADUCTION] «un commissaire, etc.», mais le sens de cette mention n'est pas certain; est attaché à la deuxième page de l'affidavit du requérant Russell, un morceau de papier sur lequel paraissent le dernier paragraphe de sa déclaration, un visa et les signatures du témoin déposant et d'aun commissaire, etc.» Que ces documents soient ou non des affidavits, leur nature et leur authenticité n'ont pas été mises en doute à l'audition; c'est pourquoi ils seront consi- dérés, avec hésitation toutefois, comme des affida vits pour les fins seulement de la présente demande.
Étant donné l'importance des points soulevés dans la présente demande, il est préférable de ne pas viser à la concision et de faire un examen approfondi et détaillé des questions. Dans le même esprit, bien que les requérants et l'intimé aient présenté des versions très ressemblantes des événe- ments en cause, il y a lieu, à mon avis, d'examiner en détail les déclarations de chacun.
Voici ce que Gerald Russell a déclaré dans son affidavit:
[TRADUCTION] 3. Le 31 mai 1983, j'ai reçu avis d'une accusa tion portant que le 13 mai 1983, j'avais eu de la contrebande en ma possession en violation de l'alinéa 39 i) du Règlement sur le service des pénitenciers.
4. Au mois de juin 1983, on m'a d'abord demandé de comparaî- tre devant M. Peter Radley, avocat, en sa qualité de président du tribunal disciplinaire de l'établissement de Collins Bay, relativement à l'accusation mentionnée plus haut. J'ai alors demandé un ajournement afin de pouvoir consulter un avocat. M. Radley a ajourné l'audition.
5. Le 27 juillet 1983, j'ai reçu avis d'une accusation portant que, le 22 juillet 1983, je paraissais avoir été sous l'effet de boissons alcooliques.
6. En juillet 1983, j'ai comparu devant M. Peter Radley, en sa qualité de président du tribunal disciplinaire de l'établissement de Collins Bay, relativement aux deux accusations mentionnées ci-dessus.
7. Au moment de ma comparution, j'ai demandé que les accusations soient cassées parce que le président du tribunal n'était pas indépendant.
8. M. Radley a alors ajourné l'audition jusqu'à nouvel ordre. Aucune date n'a été fixée pour la nouvelle audition.
9. Je n'ai reçu jusqu'à maintenant aucun avis portant qu'une date avait été fixée pour l'audition de ces accusations.
10. Je n'ai, à aucun moment, présenté de plaidoyer en ce qui concerne ces accusations.
11. J'ai été informé, et je le crois, que le président du tribunal n'est pas habilité à contraindre des témoins à comparaître. S'il l'était, je pourrais prouver, à l'aide de témoins, que je suis innocent des accusations portées.
12. En raison du laps de temps écoulé, je ne suis plus certain que les témoins aptes à prouver mon innocence pourront encore comparaître ou se rappellent exactement les événements en cause.
13. De toute façon, j'ignore si les témoins viendraient déposer à ma décharge sans y être contraints.
14. Je crois que je peux opposer une bonne défense quant au fond de chaque accusation.
L'intimé Peter Radley a déclaré en ce qui con- cerne les plaintes de Gerald Russell:
[TRADUCTION] 4. Le 15 juin, j'ai présidé un tribunal discipli- naire à l'établissement de Collins Bay. À cette date, le requé- rant Gerald Russell a comparu' devant moi relativement à une accusation de possession de contrebande en violation de l'alinéa 39 i) du Règlement sur le service des pénitenciers. Une copie
authentique du Rapport de l'infraction d'un détenu, relatif à ladite infraction pour possession de contrebande, est jointe aux présentes comme pièce «C» de mon affidavit.
5. Lorsque le requérant Gerald Russell a comparu devant moi le 15 juin 1983, il a demandé un ajournement afin de pouvoir consulter un avocat au sujet de l'accusation de contrebande; j'ai agréé sa demande.
6. Le requérant Gerald Russell a ensuite comparu devant moi le 6 juillet 1983 et a plaidé non coupable à ladite accusation. Le requérant Gerald Russell a alors soulevé la question de mon indépendance en ma qualité de président. J'ai ajourné l'audition sur l'accusation de possession de contrebande au motif qu'une demande concernant l'indépendance de Roy B. Conacher, per- sonne désignée également par le Solliciteur général du Canada pour présider des tribunaux disciplinaires, était pendante devant la Cour fédérale du Canada.
7. Le requérant Gerald Russell a comparu devant moi le 13 juillet 1983 et a demandé un ajournement en raison de la demande pendante concernant Roy B. Conacher.
8. Le 27 juillet 1983, le requérant Gerald Russell a comparu devant moi relativement à l'accusation de possession de contre- bande et à l'accusation d'avoir commis un acte propre à nuire au bon ordre de l'institution en violation de l'alinéa 39 k) du Règlement sur le service des pénitenciers. Une copie authenti- que du Rapport de l'infraction d'un détenu, relatif à la deuxième accusation, est jointe aux présentes comme pièce «D» de mon affidavit.
9. Le 27 juillet 1983, le requérant Gerald Russell a demandé que l'audition sur les deux accusations soit ajournée en raison de la demande pendante concernant Roy B. Conacher. J'ai accueilli sa demande.
10. Le requérant Gerald Russell devait comparaître devant moi le 3 août 1983 relativement aux deux accusations; toutefois, il ne restait pas assez de temps pour traiter des deux accusations et M. Russell n'a pas été amené devant moi.
11. Le requérant Gerald Russell a comparu devant moi, relati- vement aux deux accusations, le 10 août 1983. J'ai alors ajourné l'audition sur les deux accusations pour une période indéterminée, en attendant la décision sur la demande concer- nant Roy B. Conacher.
12. J'ai été informé par Mario Dion, avocat pour le ministère du Solliciteur général, et je le crois, que la demande présentée à la Cour fédérale du Canada relativement à l'indépendance de Roy B. Conacher a été retirée le 10 août 1983 par le requérant, le procureur général du Canada. Je n'ai été avisé du retrait de cette demande que vers la mi-septembre 1983.
Voici ce que Norman Semmens a déclaré pour sa part:
[TRADUCTION] 4. En juillet 1983, j'étais détenu à l'établisse- ment de Frontenac, un nouveau concept de prison sans bar- reaux à sécurité minimale, communément appelée un «camp», et dirigée par le Service correctionnel canadien, dans la ville de Kingston, comté de Frontenac (Ontario).
5. En raison de mon bon rendement, j'ai été promu, le 25 juillet, de 3e à 5i dans mon travail et j'ai reçu une augmenta tion de salaire correspondante.
6. Le 27 juillet 1983, j'ai reçu des avis portant que, pour un incident survenu le 22 juillet 1983, j'étais accusé d'avoir été sous l'effet de boissons alcooliques et que, pour un incident survenu le 23 juillet 1983, j'étais accusé d'avoir omis de me présenter au travail.
7. Le 28 juillet 1983, j'ai été transféré de l'établissement de Frontenac à l'établissement de Collins Bay en raison des accu sations mentionnées ci-dessus.
8. Je suis incarcéré à l'établissement de Collins Bay depuis le 28 juillet 1983. A Collins Bay, mon salaire a été réduit au plus bas niveau de l'échelle salariale et j'ai été laissé sans travail jusqu'au 9 septembre, date à laquelle j'ai obtenu un emploi sur le terrain. Même si j'ai désormais un emploi, on me refuse l'autorisation de franchir les clôtures en raison des accusations pendantes contre moi.
9. Avant ce transfert, les projets concernant ma libération conditionnelle étaient bien établis. Une audience sur ma libéra- tion conditionnelle était prévue pour octobre et je prévoyais que je serais envoyé sans conditions au foyer de transition de St. Leonard à Brantford. Le 3 octobre, un représentant du foyer de transition m'a informé que je n'y serais pas accepté, en raison principalement de mon récent transfert à Collins Bay à la suite dés accusations pendantes contre moi. Mon agent de gestion de§ cas m'a informé que je devrais accepter de reporter l'au- dience sur ma libération conditionnelle car, dans les circons- tances, mes chances de l'obtenir étaient minces. J'ai donc accepté de reporter cette audience.
10. Le 24 août 1983, on m'a demandé de comparaître devant M. Peter Radley, avocat, en sa qualité de président du tribunal disciplinaire de l'établissement de Collins Bay, relativement aux deux infractions mentionnées plus haut. J'ai demandé et obtenu un ajournement jusqu'au 7 septembre 1983 afin de consulter un avocat.
11. Le 7 septembre 1983, j'ai comparu de nouveau devant M. Peter Radley, en sa qualité de président du tribunal discipli- naire de l'établissement de Collins Bay, relativement aux deux mêmes infractions.
12. Lors de cette comparution, j'ai informé M. Radley que je désirais être représenté par un avocat pendant l'audition et que je ne souhaitais pas qu'elle soit ajournée.
13. En réponse à ma demande, le président du tribunal m'a indiqué qu'il ordonnerait un ajournement car il était nécessaire de citer des témoins.
14. J'ai ensuite demandé que les accusations soient cassées parce que le président du tribunal n'était pas indépendant.
15. Le président m'a alors demandé si je comprenais ce que je faisais, et je lui ai répondu par l'affirmative. Il a déclaré qu'il m'avait posé cette question parce que l'audience devrait être ajournée pour attendre une décision judiciaire relative à cette question de l'indépendance.
16. J'ai ensuite informé M. Radley que M. Fergus O'Connor, avocat et directeur du Correctional Law Project ainsi que le comité des détenus de l'établissement de Collins Bay m'avaient signalé que cette affaire n'était plus pendante devant les tribunaux.
17. M. Radley m'a alors fait savoir qu'il n'avait reçu aucun document indiquant si une action était toujours pendante ou non devant les tribunaux relativement à cette question.
18. J'ai demandé un ajournement de deux semaines afin de prouver que les tribunaux n'étaient désormais plus saisis de cette question et afin de pouvoir trancher rapidement les litiges.
19. M. Radley a répondu que l'audition serait ajournée jusqu'à nouvel ordre, ce qui pouvait signifier, a-t-il expliqué, que l'ajournement pourrait être de deux semaines, de deux mois ou d'un an ou deux.
20. Je n'ai reçu jusqu'à maintenant aucun avis portant qu'une date a été fixée pour l'audition de ces accusations.
21. Je n'ai, à aucun moment, présenté de plaidoyer en ce qui concerne ces accusations.
22. J'affirme que je peux opposer une défense quant au fond de chaque accusation.
23. Une copie de la Directive du commissaire relative à la discipline est jointe aux présentes comme pièce «An de mon affidavit.
24. La Directive du commissaire prévoit au par. 12b que l'audition d'une cause doit être ouverte, dans la mesure du possible, dans les sept jours ouvrables qui suivent la date à laquelle l'infraction a été rapportée, à moins qu'une raison en justifie le délai. Elle prévoit en outre que, lorsque les circons- tances l'exigent, l'audition peut être ajournée au besoin.
25. J'ai été informé, et je le crois, que le président du tribunal n'est pas habilité à contraindre des témoins à comparaître. S'il l'était, je pourrais prouver à l'aide de témoins que je suis innocent des accusations portées.
26. En raison du laps de temps écoulé, je ne suis plus certain que les témoins aptes à prouver mon innocence pourront encore comparaître ou se rappellent exactement les événements en cause.
27. De toute façon, j'ignore si les témoins viendraient déposer à ma décharge sans y être contraints.
28. Le présent affidavit est présenté à l'appui d'une demande visant à interdire au président du tribunal de poursuivre l'audi- tion des accusations mentionnées plus haut, aux motifs que cela violerait mon droit à la tenue d'une audition dans un délai raisonnable et mon droit à être jugé équitablement par un tribunal indépendant et impartial, et que, de toute façon, cela serait contraire aux règles de l'équité procédurale.
L'intimé Peter Radley a déclaré en ce qui con- cerne les plaintes de Norman Semmens:
[TRADUCTION] 4. Le 24 août 1983, le requérant Norman Semmens a comparu devant moi, en ma qualité de président d'un tribunal disciplinaire à l'établissement de Collins Bay, relativement à deux accusations. La première accusation est d'avoir omis de travailler de son mieux en violation de l'alinéa 39 c) du Règlement sur le service des pénitenciers, et la seconde accusation est d'avoir commis un acte propre à nuire à la discipline ou au bon ordre de l'établissement en violation de l'alinéa 39 k) dudit Règlement. Des copies authentiques des Rapports de l'infraction d'un détenu relatifs aux deux accusa tions sont jointes aux présentes comme pièces «Cn et «D» de mon affidavit.
5. Lorsque le requérant Norman Semmens a comparu devant moi le 24 août 1983, il a demandé un ajournement quant aux deux accusations afin de pouvoir consulter un avocat. J'ai accueilli sa demande et ajourné l'audition sur les deux accusations.
6. Le requérant Norman Semmens a ensuite comparu devant moi le 7 septembre 1983, date à laquelle l'audition avait été remise à la demande dudit requérant; il a indiqué à ce moment-là qu'il désirait être représenté par un avocat dans toutes les procédures ultérieures et il a contesté mon indépen- dance. J'ai ajourné la cause pour une période indéterminée, conformément à la procédure suivie dans des cas antérieurs la question de l'indépendance avait été soulevée.
7. Le 28 septembre 1983, le requérant Norman Semmens était inscrit au rôle pour l'audition des deux accusations et j'ai alors reporté l'audition sur ces accusations en raison de ma décision antérieure d'ajourner l'affaire pour une période indéterminée.
8. Le requérant Norman Semmens devait comparaître devant moi le 5 octobre 1983, relativement aux deux accusations. Étant donné que je ne disposais pas de suffisamment de temps, le requérant Norman Semmens n'a pas été appelé à comparaî- tre devant moi.
9. Le 19 octobre 1983, le requérant Norman Semmens était de nouveau inscrit au rôle, à sa propre demande; toutefois, étant donné que les documents de la Cour fédérale du Canada m'avaient été remis le matin même, je ne l'ai pas fait amener devant moi.
Les requérants considèrent que les procédures, de même que les règles en vertu desquelles elles ont été prises, posent des problèmes multiples. En effet, ils font valoir les moyens suivants pour obte- nir l'ordonnance de prohibition:
[TRADUCTION] 1) En retardant les auditions des requérants, ledit président du tribunal a, en ce qui concerne chacune des quatre accusations, privé les requérants de leur droit d'être jugés dans un délai raisonnable, conformément à l'alinéa 11 b) de la Loi constitutionnelle de 1982, Partie 1 (ci-après appelée la Charte).
2) Subsidiairement au premier moyen, ledit président du tribu nal a manqué à son obligation d'agir équitablement imposée par la common law en retardant les auditions des requérants et en les ajournant pour une période indéterminée, et a ainsi, en ce qui concerne chacune des quatre accusations, porté atteinte au système de défense des requérants; il serait, par conséquent, inéquitable pour les requérants qu'il poursuive les auditions.
3) Ledit président ne constitue pas un tribunal indépendant au sens de l'alinéa 11 d) de la Charte et n'est donc pas compétent pour connaître des infractions.
4) Subsidiairement au troisième moyen, il existe une crainte raisonnable de partialité empêchant d'affirmer que ledit prési- dent est indépendant du Service correctionnel canadien; par conséquent, il serait injuste pour les requérants qu'il connaisse de l'une quelconque des quatre accusations.
5) La Directive du commissaire 600-7-03, qui donne des ins tructions au président du tribunal sur la tenue de l'audition, ne garantit pas aux requérants un procès équitable au sens de l'alinéa 11 d) de la Charte pour les raisons suivantes:
a) le tribunal n'est pas habilité à contraindre des témoins à comparaître;
b) deux membres du personnel ont droit d'être présents à l'audition afin de conseiller le tribunal alors qu'aucun repré- sentant du détenu n'a droit d'y assister;
c) bien que le Règlement prévoie que le Ministre peut nommer une personne pour présider un tribunal disciplinaire, la Directive exige que la cause soit entendue par une per- sonne désignée par le directeur de l'établissement;
d) toute autre raison que l'avocat peut faire valoir et que la Cour peut accepter.
6) Subsidiairement au cinquième moyen, les requérants se sont vu refuser leur droit prévu par la common law d'être traités de façon équitable, pour un ou plusieurs des motifs énoncés au paragraphe cinq.
7) En ce qui concerne l'accusation portée contre le requérant Gerald Russell à la suite d'un incident qui aurait eu lieu le 22 juillet 1983, le requérant n'a pas reçu un avis suffisamment détaillé de l'accusation pour lui permettre de porter toute son attention sur les événements qui ont donné lieu à l'accusation, et ce, en violation de la Directive du commissaire, de l'obliga- tion d'agir équitablement et du droit à un procès équitable garanti par la Charte.
8) Compte tenu des circonstances, autoriser la tenue d'une audition relative à l'une ou l'autre des quatre accusations équivaudrait à permettre de porter atteinte au droit à la liberté des requérants, ou subsidiairement, au droit à la sécurité de leur personne, contrairement aux principes de justice fonda- mentale et en violation de l'article 7 de la Charte.
Il faut d'abord déterminer si cette partie [Partie I] de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] appelée la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) est applicable compte tenu des événements et des questions de droit soulevées dans la présente demande. Si elle ne l'est pas, ou dans la mesure elle ne l'est pas, les requérants demandent à la Cour de déterminer s'il existe encore des droits découlant de la common law et antérieurs à la Charte qu'ils peu- vent articuler afin d'obtenir l'ordonnance de prohi bition qu'ils sollicitent.
La question de savoir si la Charte est applicable ou non est évidemment trop compliquée pour que l'on puisse y répondre simplement par l'affirmative ou par la négative. L'article 1 de la Charte garan- tit que «les droits et libertés qui y sont énoncés .. . ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Il découle de la règle d'interprétation usuelle, appli cable en l'espèce, qu'il incombe à la partie qui cherche à restreindre ces libertés et ces droits pertinents en limitant leur application ou leurs effets, de démontrer qu'il existe une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la
justification peut se démontrer dans le cadre d'une telle société. Il n'est certainement pas déraisonna- ble d'appliquer une telle règle entre les parties opposées; toutefois, elle n'empêche pas la Cour de rendre la décision qui peut être nécessaire pour interpréter la Charte dans des procédures l'on en demande l'application.
Les requérants, qui purgent des peines d'empri- sonnement, se trouvent confinés dans une société très particulière qui n'est ni libre ni démocratique. Il s'agit d'une société dans une société. Le Canada, une société libre et démocratique, se protège comme toutes les autres sociétés, qu'elles soient libres et démocratiques ou totalitaires, contre ceux qui commettent des infractions graves prévues dans ses lois pénales en enfermant les contreve- nants dans des prisons. Tout comme les droits et libertés garantis par nos traditions constitutionnel- les et notre Charte visent à protéger nos citoyens de la tyrannie éventuelle de l'État, qui constitue depuis toujours le défaut marquant de la race humaine, le droit pénal et les autres lois prévoyant des sanctions pénales visent à protéger nos citoyens de la tyrannie résultant de l'anarchie criminelle qui, depuis toujours, constitue l'autre défaut mar- quant de notre espèce. Tant qu'on n'aura pas trouvé ni imaginé une méthode plus appropriée et plus humaine de traiter les criminels, il sera possi ble de démontrer que la plupart des restrictions apportées à leurs droits et libertés par le droit pénal sont justifiées pour assurer la protection de notre société et servir d'éléments de dissuasion.
Cependant, ni nos traditions constitutionnelles ni notre Charte ne revêtent un caractère si répres- sif qu'elles enlèvent indifféremment aux détenus des prisons tous leurs droits et leurs libertés. C'est à raison, toutefois, que les requérants sont privés de la plénitude de leurs droits et même, de certai- nes des libertés fondamentales proclamées dans la Charte. Il est sûrement plus facile de justifier, dans la société carcérale que dans la société cana- dienne en général, l'existence de restrictions à la liberté de la presse et des autres moyens de com munication, et à la liberté de réunion pacifique et d'association garanties par l'article 2. De même, il est facile de justifier que les détenus des prisons soient privés de la liberté de circulation énoncée à l'article 6. Ainsi, bien qu'il soit évident que les droits des détenus à la vie et à la sécurité de leur
personne, prévus à l'article 7, sont tout aussi invio- lables que ceux des autres personnes, ceux-ci sont privés de leur droit à la liberté après décision à cet effet sur le fondement d'une preuve hors de tout doute raisonnable; il faut présumer que cette déci- sion a été prise conformément aux principes de justice fondamentale, à moins qu'il ne soit prouvé qu'il en a été autrement. À l'autre extrémité de la gamme des niveaux d'applicabilité, il ressort nette- ment que le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, garanti par l'article 12, est avant tout un droit appartenant au prisonnier, bien qu'on emploie dans cette disposi tion le terme «chacun».
On ne peut donc jamais répondre sans faire de nuance à la question de savoir si la Charte est applicable ou non dans des circonstances particu- lières. Il ressort clairement de la structure et du texte de la Charte que son intention véritable est que certains des droits et libertés s'appliquent à toutes les personnes en tout temps, que d'autres s'appliquent seulement à des personnes qui se trou- vent dans une situation ou des conditions particu- lières, comme l'indique l'article 11, et que d'autres puissent être restreints par des limites que l'on peut justifier comme, par exemple, dans le cas la privation de liberté est le traitement ou la peine habituelle pour un comportement de nature crimi- nelle. Cette façon de concevoir les principes d'ap- plicabilité des dispositions de la Charte s'accorde avec l'opinion incidente et éminemment sage qu'exprimait le juge Zuber dans Regina v. Altseimer':
[TRADUCTION] ... il est peut-être approprié de faire remar- quer que la Charte n'est pas destinée à transformer notre système juridique ni à paralyser l'application de la loi. Des interprétations déraisonnables de la Charte, qui fait partie de la loi suprême de ce pays, ne peuvent que la banaliser et diminuer
le respect qu'elle méritez.
Cette façon de voir est également compatible avec l'opinion incidente du juge Dickson dans une déci- sion de la Cour suprême rendue avant l'adoption de la Charte, Martineau c. Le Comité de disci pline de l'Institution de Matsqui (No 2) 3 , il a déclaré:
' (1982), 38 O.R. (2d) 783 (C.A.).
2 Ibid., à la p. 788.
3 [1980] 1 R.C.S. 602; 50 C.C.C. (2d) 353.
Le principe de la légalité doit régner à l'intérieur des murs d'un pénitencier 4 .
Étant donné que la Charte est enchâssée dans la Constitution, elle fait partie de la loi suprême du Canada. Par conséquent, le devoir de la Cour est de l'appliquer en toutes circonstances, ou d'en appliquer les dispositions qui peuvent raisonnable- ment l'être, même si, dans les mêmes circons- tances, certaines de ses dispositions ne peuvent être raisonnablement appliquées de façon simultanée. Ce devoir signifie qu'il faut appliquer la loi suprême du Canada plutôt que s'y dérober, et qu'il faut écarter l'idée que, lorsque la totalité du texte d'une disposition ne peut s'appliquer de façon appropriée, aucune partie de cette disposition n'est applicable.
L'avocat de l'intimé soutient que les faits révélés en l'espèce n'entraînent pas l'application des dispo sitions de l'article 11 de la Charte car celui-ci s'applique à «Tout inculpé», expression qui, selon lui, ne peut viser une personne accusée d'avoir commis une infraction disciplinaire prévue à l'arti- cle 39 du Règlement sur le service des péniten- ciers 5 . Ce Règlement a été adopté en vertu de l'article 29 de la Loi sur les pénitenciers 6 , dont voici le texte:
RÈGLEMENTS ET RÈGLES
29. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
a) relatifs à l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'ef- ficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service;
b) relatifs à la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus;
b.l) fixant les indemnités qui peuvent être payées en vertu de l'article 28.1 et leur mode de paiement;
b.2) pour définir, aux fins de l'article 28.1, le mot «conjoint» et l'expression «enfant à charge»;
b.3) relatifs à l'inventaire, à la gestion et à la dévolution de la succession des détenus; et
e) relatifs, de façon générale, à la réalisation des objets de la présente loi et l'application de ses dispositions.
(2) Le gouverneur en conseil peut, dans tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1) sauf son alinéa b), prévoir une amende d'au plus cinq cents dollars ou un empri- sonnement d'au plus six mois, ou à la fois l'amende et l'empri- sonnement susdits, à infliger sur déclaration sommaire de cul- pabilité pour la violation de tous semblables règlements.
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com-
4 Ibid., R.C.S. à la p. 622, C.C.C. à la p. 373.
5 C.R.C., chap. 1251.
6 S.R.C. 1970, chap. P-6 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 44).
missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
Il faut souligner que le paragraphe (3) de cet article de la Loi sur les pénitenciers délègue au commissaire aux services correctionnels le droit d'adopter des règles relatives à la discipline des détenus, compatibles avec la Loi et ses règlements d'application. Le requérant Semmens et l'intimé ont joint à leurs affidavits une copie des règles actuelles, intitulées «Directives relatives à la disci pline des détenus». Une copie de ces règles, con- nues sous le nom de Directives du commissaire, est annexée aux présents motifs*.
Voici les articles du Règlement sur le service des pénitenciers qui contiennent des dispositions relati ves aux mesures disciplinaires, au tribunal discipli- naire et aux infractions commises par les détenus:
Mesures disciplinaires
38. (1) Il incombe au chef de chaque institution de maintenir la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette institution.
(2) Un détenu n'est puni que
a) sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire désigné par le chef de l'institution; ou
b) sur l'ordre d'un tribunal disciplinaire.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine ou de la réduction de peine méritée, ou des deux;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une période d'au plus trente jours;
(i) avec l'imposition pendant la totalité ou une partie de cette période d'un régime alimentaire sans variété, mais assez soutenant et sain, ou
(ii) sans régime alimentaire;
c) de la perte de privilèges.
Tribunal disciplinaire
38.1 (1) Le Ministre peut nommer une personne pour prési- der un tribunal disciplinaire.
(2) La personne nommée selon le paragraphe (1) doit
a) diriger l'audition;
b) consulter, en la présence du détenu accusé, deux fonction- naires désignés par le chef de l'institution;
* L'arrêtiste a choisi de ne pas publier la Directive du commissaire 213 et l'annexe «A» s'y rapportant compte tenu de la longueur de ce document: ce dernier compte environ 23 pages.
c) déterminer l'innocence ou la culpabilité du détenu accusé qui comparaît devant elle; et
d) à la suite d'un verdict de culpabilité, ordonner l'imposition de la peine qu'elle juge appropriée, conformément au présent règlement.
(3) La rémunération de la personne nommée conformément au paragraphe (1) doit être de $250 pour chaque jour elle préside un tribunal disciplinaire; à cette somme s'ajoutent les frais de voyages déterminés conformément à la directive du conseil du Trésor concernant les voyages.
Infractions commises par un détenu
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonc- tionnaire du pénitencier;
b) se livre, ou menace de se livrer, à des voies de fait sur la personne d'un autre;
c) refuse de travailler ou ne travaille pas de son mieux;
d) laisse son travail sans la permission d'un fonctionnaire du pénitencier;
e) endommage la propriété de l'État ou la propriété d'une autre personne;
f) gaspille délibérément de la nourriture;
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce soit;
h) délibérément désobéit ou omet d'obéir à quelque règle- ment ou règle régissant la conduite des détenus;
i) a de la contrebande en sa possession;
j) se livre à la contrebande avec toute autre personne;
k) commet un acte propre à nuire à la discipline ou au bon ordre de l'institution;
I) commet un acte dans l'intention de s'évader ou d'aider un autre détenu à s'évader;
m) donne ou offre un pot-de-vin ou une récompense à qui que ce soit dans un but quelconque;
n) enfreint quelque règlement, règle ou directive établis en vertu de la Loi; ou
o) tente de commettre l'un quelconque des actes mentionnés aux alinéas a) à n).
Afin de déterminer si les manquements à la discipline prohibés par l'article 39 du Règlement sur le service des pénitenciers constituent des infractions qui entraînent l'application des disposi tions de l'article 11 de la Charte, il faudrait exami ner certaines de leurs caractéristiques. Pour com- mencer, les manquements à la discipline sont qualifiés d'infractions. Certaines de ces infractions à la discipline, comme les voies de fait, la corrup tion et l'évasion d'une garde légale, constituent des infractions criminelles d'application générale. La possession d'objets introduits illégalement et le fait de se livrer à la contrebande pourraient constituer une infraction criminelle s'il s'agissait de biens ou
de substances dont la possession est interdite par des lois pénales d'application générale. Aucune prescription n'est prévue comme c'est le cas dans les dispositions du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] sur les déclarations sommaires de culpabilité et dans les lois provinciales sur les poursuites sommaires. Il faut aussi remarquer l'ab- sence de classification des infractions en fonction des règles de procédure à suivre ou de leur gravité réelle. En fait, à part l'alinéa 38.1(2)b), il n'y a pas de disposition relative à la procédure. Il est vrai que les paragraphes 38(3) et (4) du Règlement parlent d'infractions «flagrantes ou graves», mais sans préciser les infractions visées ni définir les circonstances dans lesquelles elles peuvent être ainsi qualifiées. Aucun appel du verdict de culpa- bilité ou de non-culpabilité, ou de la peine imposée par un tribunal disciplinaire n'est prévu.
Certains de ces éléments des infractions à la discipline sont visés par les Directives du commis- saire. D'abord, les Directives reprennent, en con- formité avec le Règlement, le terme «infraction». Voici ce que le paragraphe 9, intitulé INFRAC TIONS AU CODE CRIMINEL, prévoit en ce qui concerne les infractions à la discipline qui consti tuent des infractions criminelles:
9. ...
S'il advient qu'un détenu commette une infraction grave ou flagrante au Code criminel du Canada, le directeur de l'établissement en informera officiellement les autorités loca les responsables de l'application de la loi, à moins que les circonstances justifient d'agir autrement. Le directeur de l'établissement peut, dans ces cas-là, ordonner que le ,détenu soit mis en isolement administratif en attendant sa comparu- tion devant un tribunal extérieur (RSP 2.30 (1)a)) [sic], s'il considère qu'une telle mesure est justifiée.
Alors que le Règlement sur le service des péni- tenciers ne prévoit aucune prescription, la Direc tive du commissaire porte ce qui suit à son para- graphe 12 intitulé L'AUDITION DES INFRACTIONS GRAVES OU FLAGRANTES:
12. ...
b. L'audition d'une cause doit être ouverte, dans la mesure du possible, dans les sept jours ouvrables qui suivent la date à laquelle l'infraction a été rapportée, à moins qu'une raison en justifie le délai, mais elle peut, lorsque les circonstances l'exigent, être ajournée au besoin.
Il n'y a toujours pas de disposition fixant le délai dans lequel un rapport d'infraction à la discipline doit être dressé ou une accusation portée; toutefois, le paragraphe 10 des Directives, intitulé MESURES
QUE L'AGENT TÉMOIN D'UNE INFRACTION DEVRA PRENDRE, exige que le «fonctionnaire ... témoin de ce qu'il considère comme un acte répréhensible ... [prenne], selon les circonstances, une ou plu- sieurs des mesures suivantes»:
10....
f. il dressera un rapport au sujet de cette infraction sur la formule PEN 1324, intitulée «Rapport de l'infraction d'un détenu et avis de l'accusation».
Le paragraphe 11 des Directives, intitulé RAP PORTS D'INFRACTIONS, exige aussi ce qui suit:
11....
a. Les rapports d'infractions seront soumis à un agent désigné par le directeur de l'établissement, lequel décidera de la nécessité d'une enquête plus approfondie ainsi que de la catégorie de l'infraction dont il s'agit. Le principal agent de sécurité de service devra être immédiatement informé des infractions graves ou flagrantes afin qu'il puisse agir sur-le-champ si cette infraction nuit à la sécurité de l'établissement.
La Directive est évidemment un ensemble de règles que le commissaire est habilité par la loi à établir (dans la mesure elles sont intra vires) pour l'administration des membres du Service' tout au moins. Il ressort clairement de la Directive que, si des mesures ne sont pas prises immédiate- ment, il faut néanmoins agir dans un délai raison- nable. Bien que la Directive du commissaire ne soit pas une «loi» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], car «Ce n'est pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à établir des directives, mais en qualité d'administrateur» 8 , on estimait, même avant l'adoption de la Charte, que les déte- nus avaient droit à ce que les Directives soient appliquées équitablement et en conformité avec les principes de justice naturelle».
L'article 38 du Règlement sur le service des pénitenciers met à part les «infractions flagrantes ou graves à la discipline» et prévoit, au paragraphe (4), des peines sévères dont la justification, en ce qui concerne le maintien de la discipline dans la société spéciale et isolée que forment les détenus des pénitenciers, semble pouvoir se démontrer dans
' Regina v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp, ex parte MacCaud, [1969] 1 C.C.C. 371 (C.A. Ont.).
8 Martineau et autre c. Le Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui (N° 1), [1978] 1 R.C.S. 118, la p. 129; 33 C.C.C. (2d) 366, la p. 374.
Martineau (N° 2), précité, note 3, R.C.S. à la p. 629, C.C.C. à la p. 378.
un pays libre et démocratique le Parlement a renoncé, en matière pénale, à l'application de la peine de mort et de la peine du fouet. Ce n'est toutefois pas le Règlement mais les Directives du commissaire qui sont censées classer les infractions en deux catégories, les infractions «légères» et les infractions «graves ou flagrantes». Le paragraphe 38(1) du Règlement impose au chef de chaque établissement la responsabilité de maintenir la dis cipline parmi les détenus; en ce qui concerne la classification d'une infraction pour laquelle une accusation est portée ou l'évaluation de sa gravité, voici ce que prévoit le paragraphe 7 des Directives du commissaire intitulé DÉTERMINATION DE LA CATÉGORIE D'INFRACTIONS:
7. ...
a. En dépit des critères qui aident à établir si une infraction est grave/flagrante ou légère, c'est au directeur de l'établis- sement, ou au fonctionnaire désigné par lui, qu'il incombe de déterminer la catégorie d'infractions. Chaque cas sera étudié selon ses propres mérites et à la lumière des circons- tances qui entourent l'incident.
C'est donc le directeur d'un établissement ou le fonctionnaire désigné par lui qui, dans chaque cas, détermine la catégorie de chaque infraction, con- formément au pouvoir délégué par le Règlement sur le service des pénitenciers et la Loi sur les pénitenciers. Le paragraphe 5c des Directives du commissaire prévoit que la personne nommée, le cas échéant, pour présider un tribunal disciplinaire devra être assignée «pour entendre les causes et imposer les peines dans tous les cas d'infractions graves ou flagrantes». Le président d'un tribunal disciplinaire n'est pas spécifiquement investi du pouvoir de convertir une accusation pour une infraction flagrante ou grave en une accusation pour une infraction légère, et de déclarer le détenu coupable de cette dernière, après audition des cir- constances d'une infraction alléguée; il est possible toutefois qu'un tel pouvoir puisse découler d'une application encore inconnue de l'alinéa 38.1(2)d) du Règlement.
À la lumière des dispositions de la loi, des règlements et des directives, l'avocat de l'intimé soutient qu'aucun des requérants n'est un «inculpé» et qu'aucun des droits garantis par l'article 11 de la Charte ne doit leur être accordé. Il cite la
décision du juge Toy dans Regina v. Mingo et al. 10 il a été jugé:
[TRADUCTION] À mon avis, lorsque les auteurs de la nou- velle Charte ont employé le terme «infraction» seul par opposi tion à «infraction criminelle», ils n'ont fait que prévoir une protection égale pour tous les citoyens canadiens contre les violations de leurs droits découlant des lois provinciales et des lois fédérales, pour ce qui concerne les prohibitions d'ordre public par opposition aux prohibitions d'ordre privé. Pour éta- blir ce qui constitue une infraction, il faut examiner les disposi tions légales et déterminer, en ce qui a trait aux lois fédérales, si l'allégation est soumise à une cour compétente pour connaître d'un acte criminel ou d'une infraction punissable après déclara- tion sommaire de culpabilité. Dans le cas de lois provinciales, il faut déterminer si l'allégation est soumise à une cour compé- tente pour connaître d'une infraction qui peut entraîner une mise en accusation en vertu des dispositions du Offence Act, R.S.B.C. 1979, chap. 305. Un examen rapide de plusieurs lois provinciales et de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, et de ses règlements d'application, suffit à me convaincre que les législatures provinciales de même que le Parlement ont prévu dans leur législation des procédures relati ves à la discipline interne en plus de créer des «infractions» qui relèvent exclusivement des tribunaux publics compétents".
Avec tout le respect à un juriste chevronné, cette analyse semble faire dépendre la caractérisa- tion d'une faute alléguée de la nature du tribunal compétent pour se prononcer sur cette allégation. La même réserve est faite relativement à la carac- térisation de l'«infraction» par le juge Nitikman, un autre juriste chevronné, dans l'arrêt Howard c. Président du tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain 12 ; dans ce cas toutefois, une telle réserve ne s'applique pas à la conclusion que, dans des procédures relatives à des questions disciplinaires, l'inexistence du droit à la présence d'un avocat ne va pas de soi mais est plutôt une question de pouvoir discrétionnaire. Il n'existe aucune réserve de ce genre à l'article 11 ni ailleurs dans la Charte. En fait, c'est plutôt le contraire. Ainsi, on peut opposer à la proposition selon laquelle les seules infractions visées par l'ar- ticle 11 sont celles qui sont «soumises à une cour compétente pour connaître d'un acte criminel ou d'une infraction punissable après déclaration som- maire de culpabilité», le simple fait que l'article 11 ne mentionne nulle part le terme «cour». Il parle
10 (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.).
" Ibid., à la p. 36.
12 Jugement en date du 1" septembre 1983, Division de
première instance de la Cour fédérale, T-1112-83, encore
inédit.
seulement d'«un tribunal indépendant et impartial» et de «la justice militaire».
«Tribunal» est un terme générique dont le champ comprend le terme «cour». Ainsi, dans ce sens générique, toutes les cours de justice sont des tribunaux mais tous les tribunaux ne sont pas des cours de justice. En fait, l'alinéa 11d) de la Charte prévoit manifestement qu'une infraction alléguée peut être jugée par une personne ou un groupe de personnes autre qu'une cour de justice. Lorsqu'il s'agit d'une cour, comme c'est clairement le cas à l'article 24 de la Charte, le texte anglais emploie le mot court («a court of competent jurisdiction» et «Where . .. a court concludes»). Le texte français de la Charte ne fait aucune distinction et utilise le mot «tribunal» en ce qui concerne les deux sortes d'institutions. Bien avant la rédaction et l'adoption de la Charte, la Cour suprême du Canada" a catégoriquement établi que la personne qui préside un tribunal disciplinaire conformément au Règle- ment sur le service des pénitenciers constitue un tribunal administratif fédéral qui est sujet à con- trôle par voie de certiorari (et donc aussi par voie de bref de prohibition) en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. La Charte n'a pas rendu cette caractérisation invalide; au contraire, il semble que les rédacteurs de l'article 11 de la Charte en aient tenu compte.
Il semble maintenant certain qu'étant donné que la Charte est enchâssée dans la Constitution, les infractions visées par l'article 11 sont celles créées par les lois fédérales, provinciales et municipales comme l'indique Regina v. Mingo et al. 14 . De même, il semble qu'il ne fait également aucun doute que le terme «infraction» à l'article 11 exclut un délit ou un tort. Que signifie donc le terme «infraction»? Il désigne certainement un comporte- ment (une mauvaise conduite coupable) défini et prohibé par une règle de droit et qui, s'il est établi, dans les faits, hors de tout doute raisonnable, rend le contrevenant, reconnu coupable, passible en vertu de la loi, d'une amende, d'un emprisonne- ment ou d'une autre peine. Selon cette norme, les infractions à la discipline définies dans le Règle- ment sur le service des pénitenciers sont certaine- ment des infractions au sens de l'article 11 de la Charte.
13 Martineau (N° 2), précité, note 3.
14 Précité, note 10.
Il incombe à la Cour de statuer en appliquant la loi suprême du Canada dans la mesure il est possible de le faire, mais en ne restreignant les droits garantis qui y sont énoncés que dans des limites dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'ar- ticle 11 de la Charte n'a pas pour but de paralyser les pénitenciers par une judiciarisation excessive des procédures relatives à des questions disciplinai- res. Le juge Cattanach de la Cour fédérale, avec une sagesse qui transcende la proclamation de la Charte mais ne la contredit pas, a expliqué la nécessité de garder un contrôle ferme sur les déte- nus, lorsqu'il a fait observer dans Re Davidson et un Comité de discipline de la prison des femmes et autre 15 :
La nature même de la prison fait que la direction doit pouvoir prendre des décisions exécutoires immédiatement, déci- sions qui, en cas de désobéissance des détenus, amèneront nécessairement des poursuites et l'imposition de sanctions. Cela est essentiel et doit être courant. La désobéissance aux ordres légitimes doit à cet égard être sanctionnée rapidement et effica- cement. Si les pouvoirs et l'autorité de la direction sont contes tés et l'effet dissuasif de la certitude d'une sanction rapide supprimée, ce sera le chaos.
Ainsi il a fréquemment été dit que l'intervention des tribu- naux dans cette activité courante est aussi impensable que dans le cas du sergent-major sur le champ de Mars ou de l'officier commandant exerçant sommairement son pouvoir de discipline dans la salle de rapport.
Cela correspond à mon avis aux mesures disciplinaires que doit prendre sommairement le directeur d'un pénitencier ou, maintenant, le président d'un tribunal disciplinaire nommé selon l'article 38.1 du Règlement sur le service des pénitenciers; cela fait partie du management 16 .
Dans le même esprit, le juge Pigeon, en pronon- çant le jugement de la majorité dans Martineau (N° 2) 17 , a donné cet avertissement:
... il sera essentiel de garder à l'esprit les exigences de la discipline carcérale, tout comme il est essentiel de garder à l'esprit les exigences de l'administration efficace de la justice pénale lorsqu'on traite de demandes de certiorari avant le procès ... Il est particulièrement important de n'accorder ce redressement que dans des cas d'injustice grave et de bien veiller à ce que ces procédures ne servent pas à retarder le châtiment mérité au point de le rendre inefficace, sinon de l'éviter complètement 18 .
'8 (1981), 61 C.C.C. (2d) 520 (C.F. 1'° inst.).
18 Ibid., à la p. 534.
" Précité, note 3.
18 Ibid., R.C.S. à la p. 637, C.C.C. à la p. 360.
Dans le même arrêt, le juge Dickson a fait le commentaire suivant:
La nature même d'un établissement carcéral requiert que des décisions soient prises «sur-le-champ» par les fonctionnaires et le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue ... Il ne s'agit pas de savoir s'il y a eu une violation des règles carcéra- les, mais plutôt s'il y a eu une violation de l'obligation d'agir équitablement compte tenu de toutes les circonstances 19 .
Le juge Toy dans Regina v. Mingo et al. 20 , a exprimé une opinion semblable sur les réalités constantes de la discipline dans les prisons:
[TRADUCTION] Un examen des infractions à la discipline prévues à l'art. 39 de l'actuel Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, me convainc que ces infractions et la possibilité de rendre une décision rapide sur celles-ci sont des moyens complémentaires dont les chefs des établissements ont besoin pour y maintenir la discipline, au profit non seulement du personnel mais aussi des autres détenus et du détenu fautif 21 .
Les droits et libertés proclamés en avril 1982 n'ont pas fait disparaître les réalités de la disci pline en milieu carcéral, même si certains droits peuvent désormais avoir une incidence sur cel- les-ci. Par exemple, les alinéas a),b) et c) de l'article 11 peuvent parfaitement s'appliquer aux détenus accusés d'infractions à la discipline, alors que ce n'est pas le cas pour les alinéas e) et J). Les alinéas g),h) et i) ne soulèvent pas de problèmes.
L'alinéa 11d) mérite d'être analysé car il sem- blerait que dans le contexte carcéral, il existe certaines limites dont la justification peut se démontrer. Le principe selon lequel un inculpé a le droit «d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi» est cer- tainement applicable à des détenus se trouvant dans la situation des requérants. En fait, les Direc tives du commissaire sont conformes à ce principe, la loi en question étant constituée par les parties du Règlement sur le service des pénitenciers por- tant sur la discipline en prison et prévoyant la tenue d'auditions sommaires.
L'expression «à l'issue d'un procès public et équitable» ne pose pas de problèmes en ce qui concerne l'obligation du respect de l'équité au cours de l'audition. Cette dernière doit être équita- ble, mais il n'est pas nécessaire qu'elle soit publi- que car elle est dûment tenue en milieu carcéral
19 Ibid., R.C.S. à la p. 630, C.C.C. à la p. 379.
20 Précité, note 10.
21 Ibid., à la p. 34.
les allées et venues du public sont prohibées. Les infractions à la discipline sont jugées par un tribu nal qui n'est pas une cour, et c'est que la distinction entre vraiment en jeu. Si l'organe chargé de trancher était une cour, l'audition devrait alors être publique à moins que la loi n'autorise qu'elle soit tenue à huis clos.
L'avocat des requérants a cependant allégué que le tribunal disciplinaire, par sa composition même, était fondamentalement partial parce que l'alinéa 38.1(2)b) du Règlement oblige son président à «consulter, en la présence du détenu accusé, deux fonctionnaires désignés par le chef de l'institution». Si la présence de ces deux fonctionnaires est une condition pour que le tribunal soit constitué selon les règles, il n'est toutefois pas nécessaire de souli- gner que ce ne sont pas les deux fonctionnaires qui déterminent la culpabilité ou l'innocence. Comme l'a noté à ce sujet le juge Cattanach dans Re Davidson et un Comité de discipline de la prison des femmes et autre 22 :
En l'espèce, la présidente du tribunal disciplinaire était avo- cate. Elle était assistée de deux membres de la direction que je comparerais aux assesseurs des affaires d'amirauté en Cour fédérale 23 .
Le juge Cattanach a estimé que cette situation n'avait rien d'inéquitable. Par conséquent, bien qu'en l'espèce il faille respecter l'obligation impo sée par la Charte de tenir une audition équitable, la disposition relative à la présence obligatoire de deux fonctionnaires de la prison ne transgresse pas une telle obligation.
La dernière exigence est que l'audition soit tenue «par un tribunal indépendant et impartial». Il est certain que toute cour devant laquelle une personne est accusée d'une infraction en vertu du Code criminel, d'une loi provinciale ou d'un règle- ment municipal doit être à la fois indépendante et impartiale. Jusqu'à maintenant, il n'a jamais été statué qu'une cour créée et fonctionnant en vertu de lois fédérales ou de lois provinciales manquait d'indépendance. Il arrive que des juges refusent d'entendre certaines affaires parce qu'ils ne sont pas eux-mêmes certains de leur propre impartialité ou que celle-ci est mise en doute comme cela peut se produire si la cause concerne un ami intime, un adversaire, un ancien associé ou un membre de la
22 Précité, note 15.
23 Ibid., à la p. 535.
famille du juge. En l'espèce, les requérants n'allè- guent pas que l'intimé est partial et ils n'ont avancé aucun fait relatif à sa partialité. Il faut donc conclure, en l'absence de toute allégation de partialité ou de tout aveu à cet effet, que l'intimé est impartial.
On peut exposer brièvement de quelle manière la Charte entre en jeu dans la situation des requé- rants. Reconnus coupables d'infractions pour les- quelles ils ont chacun été condamnés à une peine d'emprisonnement, les requérants ont légitime- ment perdu leur droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte. Cependant, ils ne doivent pas être privés de la liberté qui est accordée aux détenus en général, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas être punis ni être confinés dans [TRADUCTION] «une prison au sein d'une prison» 24 , sauf conformé- ment aux principes de justice fondamentale, à moins évidemment que la justification de la priva tion d'une telle liberté puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. L'appli- cation adéquate et impartiale du processus discipli- naire de la prison ne révèle rien qui soit en conflit avec les principes de justice fondamentale. Bien que les requérants soient détenus, leur droit à la vie et à la sécurité de leur personne, compte tenu toutefois des conditions plus hasardeuses de la vie en prison, sont et demeurent tout aussi évidents que ceux de n'importe quelle autre personne. De même, ils conservent les droits énoncés aux alinéas a),b),c),g),h) et i) de l'article 11 de la Charte. Aucun des droits des requérants soulignés plus haut n'a été violé ni réduit au cours des procédures disciplinaires en cause. Le fait d'être accusé d'avoir commis une infraction à la discipline n'en- traîne pas l'application des alinéas e) (mise en liberté) et f) (procès avec jury) de l'article 11, du moins en l'espèce.
Les droits accordés au détenu par l'alinéa 11d) peuvent être restreints par une règle de droit 25, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer. Ainsi, au cours de procédures disciplinaires, un détenu n'a pas droit à une audition publique car permettre au public
24 Regina v. Miller (1982), 39 O.R. (2d) 41; 29 C.R. (3d) 153 (C.A.); demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada accordée le l er novembre 1982.
25 La Loi sur les pénitenciers (note 6) et le Règlement sur le service des pénitenciers (note 5).
d'assister à de telles procédures irait totalement à l'encontre des exigences des alinéas 29(1)a) et b) et du paragraphe (3) de la Loi, du paragraphe 38(1) du Règlement et des Directives du commis- saire, dont le but est de préserver la sécurité des établissements et de régir la garde, le traitement et la discipline des détenus. Les dangers pour la sécurité constituent à eux seuls une raison suffi- sante pour refuser l'admission, à ces auditions, du public ou de journalistes.
Pour ce qui est des détenus, en particulier, rien ne s'oppose à ce que le chef de l'établissement ils purgent leur peine soit chargé de la discipline, tant que les procédures sont équitables. Malgré cela, il est possible que l'on considère que le chef d'un établissement n'est pas suffisamment indé- pendant lorsqu'il doit se prononcer sur des infrac tions alléguées, flagrantes ou graves. En prévoyant la nomination d'«une personne pour présider un tribunal disciplinaire», en particulier lorsque cette personne jouit de l'indépendance d'un membre du barreau. qui n'est pas lié au service des péniten- ciers, le gouverneur en conseil a augmenté considé- rablement l'indépendance et l'apparence d'indé- pendance de la personne chargée de se prononcer sur des infractions à la discipline. Aucune norme n'oblige le «tribunal» disciplinaire, qui est en réa- lité un tribunal administratif remplissant une fonc- tion administrative, à faire preuve de la même indépendance totale dont jouissent les cours.
Pour appliquer l'alinéa 11d) de la Charte, il faut déterminer si le «tribunal» en question est une cour ou un tribunal administratif. La décision de la Cour suprême du Canada dans MacKay c. La Reine 26 est utile à cet égard. Un membre des forces armées a été jugé par une cour martiale permanente, au Canada, en vertu de l'article 120 de la Loi sur la défense nationale 27 et a été reconnu coupable de trafic de stupéfiants et de possession de stupéfiants. Il prétendait que les alinéas lb) et 2f) de la Déclaration canadienne des droits 28 rendaient inopérant l'article 120 de la Loi sur la défense nationale parce que celui-ci le pri- vait de l'égalité devant la loi et, plus précisément, d'une audition publique et impartiale par un tribu-
26 [1980] 2 R.C.S. 370; 54 C.C.C. (2d) 129.
27 S.R.C. 1970, chap. N-4.
28 S.R.C. 1970, Appendice III.
nal indépendant et non préjugé.. En confirmant la condamnation, la majorité des juges de la Cour suprême ont conclu que ni l'alinéa l b) ni l'alinéa 2f) de la Déclaration canadienne des droits n'étaient violés. Selon eux, l'accusé n'a pas été privé d'une audition par un tribunal indépendant et non préjugé parce que le président de la cour martiale permanente était membre des forces armées canadiennes et du service du juge-avocat général. Lorsqu'on met en balance cette conclusion de la Cour et la situation et la position de l'intimé en l'espèce, on peut difficilement conclure qu'une personne nommée pour présider un «tribunal» dis- ciplinaire n'est pas indépendante même si, dans ce cas, le degré d'indépendance n'est pas identique à celui d'une véritable cour. Cette question de l'indé- pendance au sens de l'alinéa 11d) de la Charte a été examinée par la Cour d'appel de l'Ontario dans Regina v. Valente (No 2) 29 , mais elle concernait alors la Cour provinciale de l'Ontario (Division criminelle) et non un tribunal remplissant des fonctions administratives, comme c'est le cas en l'espèce.
Il est clair que l'indépendance de l'intimé et de toute autre personne nommée pour présider un tribunal disciplinaire deviendrait plus évidente si le chef de l'établissement était obligé de les appeler à siéger à tour de rôle, sans que leur choix soit laissé à sa discrétion, à partir d'une liste qui, une fois établie, présenterait toujours le même ordre d'ap- parition, même en cas d'indisponibilité de l'une des personnes. Toutefois, il n'est pas nécessaire de judiciariser le tribunal ou ses procédures afin d'as- surer une indépendance suffisante aux tribunaux disciplinaires des prisons pour qu'ils restent valide- ment constitués compte tenu de l'alinéa 11d) de la Charte. Pour paraphraser le juge de Grandpré 3 o, ce tribunal administratif, tel qu'il est constitué, ne soulève certainement pas de crainte raisonnable au sujet de l'indépendance de l'intimé, ou de toute autre personne exerçant les mêmes fonctions, dans l'esprit de personnes bien renseignées étudiant la question en profondeur, de façon réaliste et prati- que. L'intimé constituant et présidant le tribunal disciplinaire était indépendant et, comme je l'ai souligné plus haut, il était impartial.
29 (1983), 2 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.).
3o Dans Committee for Justice and Liberty, et autres c. L'Office national de l'énergie, et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394; 68 D.L.R. (3d) 716, la p. 735.
Ainsi, étant donné que ce tribunal administratif particulier, le tribunal disciplinaire, et ses procédu- res n'échappent pas à l'application de l'article 11 de la Charte mais le font entrer en jeu selon un schème bien particulier, l'un ou l'autre des requé- rants a-t-il établi son droit à un redressement en vertu d'une des dispositions de cet article?
Il serait difficile d'être en désaccord avec l'idée que, dans les prisons, les mesures disciplinaires doivent être rapides et efficaces. Cette proposition inclut certainement le respect de l'équité procédu- rale et l'existence d'une preuve hors de tout doute raisonnable. Le pouvoir de tenir une audition com- porte sans aucun doute, lorsqu'il faut se prononcer sur une infraction alléguée, celui d'assurer la pré- sence devant le tribunal disciplinaire des membres du personnel du pénitencier et des détenus dont l'inculpé peut raisonnablement avoir besoin pour établir, sans redondance, les faits qu'il veut invo- quer en défense. C'est une conséquence néces- saire de l'obligation de tenir une audition équitable et, si les requérants ont raison de craindre qu'il subsiste un doute réel à ce sujet, il faudrait alors que ce qui est maintenant implicite soit énoncé avec précision dans la loi ou le Règlement. Il n'appartient évidemment pas à la Cour de légifé- rer; elle doit plutôt interpréter les lois et, lorsqu'el- les comportent, comme en l'espèce, des implica tions nécessaires, il incombe à la Cour de le déclarer.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, les procédu- res disciplinaires doivent être appliquées rapide- ment. Cette idée se concrétise en fait dans l'alinéa 11b) qui assure aux requérants le droit d'être jugés, et d'être condamnés ou acquittés, dans un délai raisonnable. Le délai raisonnable en ce qui concerne un procès sur ces infractions à la disci pline sera nécessairement très court dans la plu- part des cas, puisque toutes les personnes dont la présence est requise au cours des procédures, à l'exception du président du tribunal disciplinaire, travaillent quotidiennement dans l'établissement ou sont incarcérées «à l'intérieur [de ses] murs». L'établissement dans lequel l'infraction a été com- mise est le lieu approprié pour les procédures qui doivent se terminer avant que les membres du personnel dont la présence est nécessaire partent en vacances, ou que les détenus dont on a besoin soient transférés ou libérés. Il ne sera pas toujours
possible d'agir aussi rapidement; toutefois, la loi, en prévoyant que le délai pour juger un accusé doit être «raisonnable», permet une certaine souplesse pour les cas exceptionnels il est tout simplement impossible d'expédier une affaire avec la rapidité habituelle.
C'est le fait que les personnes dont la présence est nécessaire se trouvent habituellement à l'inté- rieur même des murs de l'établissement qui distin- gue l'enquête, la mise en accusation et la décision relatives à une infraction à la discipline, de celles portant sur une infraction commise à l'extérieur de l'établissement. Dans ce dernier cas, les suspects, la personne finalement inculpée et les témoins, perdus dans la grande masse du public, peuvent quitter la municipalité, la province ou même le pays, et ceux qui sont portés à le faire et qui veulent faire échouer ou retarder l'enquête, peu- vent se cacher n'importe dans le monde entier et disperser ou détruire des preuves. Dans ce cas, l'application régulière de la loi consiste en un processus judiciaire qui n'est pas tenu devant un tribunal administratif. C'est ainsi que, lorsqu'il s'agit d'un détenu accusé d'une infraction à la discipline, «être jugé dans un délai raisonnable» signifie être jugé beaucoup plus rapidement qu'il est raisonnable ou souvent même possible de le faire dans le cas d'une personne accusée d'une infraction criminelle en vertu de lois fédérales ou provinciales d'application générale.
Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, les requérants n'ont pas été jugés dans un délai raisonnable et, finalement, en ajournant les auditions pour une période indéterminée, l'intimé a involontairement rendu cela impossible. Il faut espérer que de telles circonstances ne se représen- teront plus, ou du moins, pas souvent. Après coup, on peut dire qu'il aurait été préférable que l'intimé n'ait pas considéré que la contestation de l'indé- pendance et de l'impartialité du tribunal nécessi- tait un ajournement, ou qu'il ait été rapidement informé du retrait de la demande de mandamus présentée à la Cour contre le président d'un autre tribunal disciplinaire, M. Conacher. On peut dire, après coup, qu'il aurait été préférable, que l'intimé procède à l'audition des causes des requérants avec toute la rapidité voulue. Il n'est ni nécessaire ni souhaitable, compte tenu des circonstances de l'es- pèce, d'imputer une faute à l'intimé ni même aux
requérants. Une fois que sera résolue la question de l'application de la loi aux infractions à la discipline, ce genre de circonstances ne devraient pas entrer en jeu dans les causes à venir. Toutefois, on ne peut faire disparaître les faits révélés en l'espèce; ils ont réellement empêché les requérants, des inculpés, d'être jugés dans un délai raisonna- ble. Par conséquent, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, les requérants ont invoqué à juste titre les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale et il y a lieu de leur accorder les ordonnances de prohibition deman- dées et d'interdire à Peter Radley, et à toute autre personne autorisée par la loi à tenir une audition sur les accusations portées contre les requérants et mentionnées dans leur avis de requête, de tenir des auditions sur lesdites accusations. En fait, les accu sations sont annulées même si les requérants cher- chaient à obtenir un bref de prohibition et non un certiorari, car un bref de prohibition produit, dans les circonstances, le même effet.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.