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A-522-83
Linette Mavour (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Le Dain et Stone, juge sup pléant Lalande—Toronto, 9 mars; Ottawa, 17 mai 1984.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Immigration
Requérante détenue pour fins d'enquête L'enquête n'a pas eu lieu à la date à laquelle elle avait été reportée La détention n'a pas été examinée conformément à la Loi Le principe selon lequel il y a perte de compétence lors de poursuites pénales quand il ne se passe rien le jour auquel la comparution du prévenu a été renvoyée ne s'applique pas aux tribunaux administratifs L'arbitre a fait une offre de remise en liberté conditionnelle Il n'a pas outrepassé sa compétence L'art. 104(3) lui confère le pouvoir de fixer des conditions Demande rejetée Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(2)b),e),g), 104 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Compétence Cour d'appel fédérale Demande fondée sur l'art. 28 visant à examiner la décision de l'arbitre de remettre la requérante en liberté Requérante détenue en vue d'une enquête sous le régime de la Loi sur l'immigration L'arbitre a fait une offre temporaire de remise en liberté moyennant la consignation d'un montant en espèces et d'autres conditions Requérante remise en liberté Elle soutient que l'arbitre a outrepassé sa compétence La Cour rejette l'argument du ministre selon lequel la décision de l'arbitre n'est pas finale La décision prise en vertu de l'art. 104(3) épuise la compétence de l'arbitre La décision de l'arbitre est soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire parce qu'elle concerne la considération d'un critère légal ainsi que la liberté de la personne en cause et son droit d'être entendue La Cour est compétente mais la demande est rejetée au fond
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 104 Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 35(2), 37.
Immigration Requérante arrêtée à titre de personne visée par l'art. 27 de la Loi L'enquête n'a pas eu lieu à la date à laquelle elle avait été reportée L'examen de la détention prévu à l'art. 104(6) n'a pas eu lieu L'arbitre ne perd pas compétence L'arbitre a offert une remise en liberté moyen- nant certaines conditions Il n'a pas excédé sa compétence puisque l'art. 104(3) l'autorise à imposer des conditions La décision de remettre en liberté est susceptible d'être examinée par la Cour d'appel fédérale puisque cette décision de l'arbitre est finale, ayant pour effet d'épuiser pour le moment sa compétence La décision de remettre en liberté est soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire Loi sur l'immi- gration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(2)b),e),g), 104
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 35(2), 37.
Soupçonnée de faire partie de l'une des catégories visées aux alinéas 27(2)b),e) et g), la requérante a été arrêtée le 15 mars 1983, en application du paragraphe 104(2) de la Loi sur l'immigration de 1976. Son enquête devait avoir lieu le 22 mars mais à la date prévue l'arbitre a ajourné l'enquête jusqu'au 30 mars et a ordonné la prolongation de la détention de la requé- rante. Comme aucun agent chargé de présenter le cas n'était disponible le 30 mars, l'enquête n'a pu reprendre avant le 6 avril. La détention de la requérante n'a pas été examinée entre le 22 mars et le 6 avril. Le paragraphe 104(6) établit que les personnes détenues en vertu de la Loi doivent être amenées devant un arbitre au moins une fois tous les 7 jours, aux fins de révision des motifs justifiant une détention prolongée. On a soutenu, le 6 avril, que la requérante avait été illégalement détenue et que l'arbitre avait perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars. Bien qu'il ait rejeté ces arguments, l'arbitre a fait à la requérante une «offre» temporaire de la remettre en liberté après consignation d'une somme de 2 000 $ en espèces et moyennant certaines conditions relatives à sa présence à la reprise de l'enquête et à son lieu de résidence. L'argent ayant été déposé, la requérante a été remise en liberté. Une demande fondée sur l'article 28 a été présentée devant la Cour d'appel fédérale. La question de l'illégalité de la détention a été abandonnée mais on a soutenu (1) que l'arbitre a perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars et (2) qu'il a outrepassé sa compétence en faisant une «offre» de remise en liberté assortie d'un certain délai d'acceptation. On a soutenu au nom du Ministre que la Cour n'a pas compétence pour connaître de cette demande parce que l'ordonnance de remise en liberté rendue en vertu du paragraphe 104(3) n'était pas une décision au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale et que, de toute façon, elle n'était pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. À titre subsidiaire, on a fait valoir que la décision de l'arbitre n'était invalidée ni par une quelcon- que erreur de droit ni pour incompétence.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
La Cour était compétente pour connaître de cette demande. La décision est finale au sens l'entend la jurisprudence parce que la prise d'une décision en vertu du paragraphe 104(3) a pour effet d'épuiser, pour le moment, la compétence de l'arbi- tre. La décision de l'arbitre était soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Elle satisfait au critère établi par le juge Dickson dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers et Lybrand, [ 1979] 1 R.C.S. 495. Elle met en jeu la liberté de l'intéressée. Elle oblige en outre à prendre en considé- ration, non pas une question de politique au sens large mais un critère légal qui est l'examen d'un fait. Ce qui est plus impor tant, la Loi et le Règlement donnent à entendre que l'intéressée a le droit d'être entendue. L'article 37 du Règlement, qui prévoit que la personne en cause doit pouvoir présenter des arguments, s'applique clairement au présent cas.
Le principe qu'une cour d'instance inférieure peut perdre juridiction en raison d'une irrégularité de procédure, comme par exemple ne rien faire le jour auquel la comparution du prévenu a été renvoyée, s'applique aux poursuites pénales. Ce n'est pas un principe qu'il convient d'appliquer aux tribunaux administratifs qui exigent une latitude raisonnable pour ajour- ner et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. Le fait qu'il y ait détention ne permet pas d'appliquer ce principe aux présentes procédures. L'arbitre n'avait pas perdu sa compétence. Elle ne l'avait pas outrepassé non plus en faisant l'offre de remise en
liberté. Le paragraphe 104(3) de la Loi investit l'arbitre du pouvoir de remettre une personne en liberté «sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux circonstances».
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Krannenburg, [1980] 1 R.C.S. 1053; Trenholm v. The Attorney -General of Ontario, [1940] R.C.S. 301.
DÉCISION CITÉE:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.).
AVOCATS:
Brent Knazan pour la requérante. Michael W. Duffy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Knazan, Jackman & Goodman, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: La requérante demande, en vertu de l'article 28, l'examen et l'annulation de la décision de l'arbitre ordonnant sa mise en liberté en application du paragraphe 104(3) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52].
Soupçonnée de faire partie de l'une des catégo- ries visées aux alinéas 27(2)b),e) et g), la requé- rante a été arrêtée le 15 mars 1983, en application du paragraphe 104(2) de la Loi. Son enquête fut fixée au 22 mars. À la date prévue, l'arbitre a ajourné l'enquête jusqu'au 30 mars et a ordonné la prolongation de la détention de la requérante. (La requérante était également détenue en vue de sa comparution, prévue pour le 24 mars, pour répon- dre de poursuites criminelles; présumant qu'elle serait libérée sous caution à cette date, l'arbitre a ordonné que sa détention soit prolongée sous le régime de la Loi.) Comme aucun agent chargé de présenter le cas n'était disponible, l'enquête n'a pas pu reprendre le 30 mars. Elle reprit le 6 avril. La détention de la requérante n'a donc pas été exami née par un arbitre entre le 22 mars et le 6 avril.
À la reprise de l'enquête, le 6 avril, l'avocat de la requérante a soutenu que cette dernière avait été illégalement détenue parce que les motifs de sa détention prolongée n'avaient pas été révisés après l'ordonnance de détention du 22 mars, comme l'exige le paragraphe 104(6) de la Loi. Il a proposé à l'arbitre de reconnaître l'illégalité de la détention en permettant à la requérante de comparaître librement à l'enquête. Il a en outre fait valoir que l'arbitre avait perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars. L'arbitre a refusé de reconnaître que la détention était illégale comme le lui suggérait l'avocat et elle a affirmé avoir compétence pour décider si la requérante devait être détenue ou remise en liberté. A la suite d'une enquête plus approfondie, l'arbitre a «offert» à la requérante—son offre devant expirer le 12 avril à 16 heures—de la mettre en liberté après consigna- tion d'une somme de 2 000 $ en espèces et sous réserve des conditions suivantes: la requérante devait se présenter à la reprise de l'enquête le 21 avril; elle devait se présenter par la suite devant un arbitre ou un agent d'immigration supérieur à leur demande et ne devait avoir qu'une seule résidence dont l'adresse était précisée. La somme exigée ayant été déposée avant l'expiration du délai fixé par l'arbitre, la requérante a été remise en liberté.
À l'audition de la demande fondée sur l'article 28, l'avocat de la requérante a déclaré qu'il ne présentait aucun autre argument sur l'illégalité de la détention. Il a contesté la validité de la décision de l'arbitre par ce motif que faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars 1983, date à laquelle elle avait été reportée, l'arbitre n'avait plus compé- tence pour la poursuivre et elle n'avait donc plus compétence pour rendre une décision portant mise en liberté de la requérante en application du para- graphe 104(3) de la Loi. À titre subsidiaire, il soutient qu'en faisant une «offre» de mise en liberté assortie d'un certain délai d'acceptation, l'arbitre a outrepassé sa compétence ou autrement commis une erreur de droit.
Malgré la mise en liberté de la requérante, son avocat prétend que la validité de la décision de l'arbitre ne constitue pas une question théorique et que la requérante a un intérêt suffisant pour l'atta- quer puisque le gage consigné est confiscable si la requérante ne respecte pas les conditions fixées par l'arbitre. L'avocat du Ministre n'a pas contesté
vigoureusement cet argument et je ne crois pas qu'il faille trancher cette demande fondée sur l'ar- ticle 28 en présumant que les questions litigieuses ne présentent qu'un intérêt d'ordre théorique ou que la requérante n'a pas un intérêt suffisant pour les soulever.
L'avocat du Ministre fait valoir que la Cour n'a pas compétence pour connaître de la demande fondée sur l'article 28 parce que la décision ou ordonnance de mise en liberté de la requérante, prise en application du paragraphe 104(3) de la Loi, n'est pas une ordonnance ou décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], et que quand bien même elle serait une décision ou ordonnance au sens de cet article, elle n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire. À titre subsidiaire, il soutient que la conclu sion de la requérante, selon laquelle la décision de l'arbitre est invalide pour cause d'incompétence ou d'erreur de droit, est sans fondement.
Il faut examiner la question de la compétence de la Cour en tenant compte de l'ensemble de l'article 104, qui porte:
104. (1) Le sous-ministre ou un agent d'immigration supé- rieur peut, en se fondant sur des motifs raisonnables, émettre un mandat d'arrestation et de détention visant toute personne qui doit faire l'objet d'un examen ou d'une enquête ou qui est frappée par une ordonnance de renvoi, lorsqu'il estime que ladite personne constitue une menace pour le public ou qu'à défaut de cette mesure, elle ne se présentera pas à l'examen ou à l'enquête, ou n'obtempérera pas à l'ordonnance de renvoi.
(2) Tout agent de la paix au Canada, nommé en vertu d'une loi fédérale, provinciale ou d'un règlement municipal, et tout agent d'immigration peuvent, sans mandat, ordre ou directive à cet effet, arrêter et détenir ou arrêter et ordonner la détention
a) aux fins d'enquête, de toute personne soupçonnée, pour des motifs valables, de faire partie de l'une des catégories visées aux alinéas 27(2)b), e), f), g), h), i) ou j), ou
b) aux fins de renvoi du Canada, de toute personne frappée par une ordonnance de renvoi exécutoire,
au cas ils estiment que ladite personne constitue une menace pour le public ou qu'à défaut de cette mesure, elle ne se présentera pas à l'enquête ou n'obtempérera pas à l'ordonnance de renvoi.
(3) Au cas une personne doit faire l'objet d'une enquête ou d'un complément d'enquête ou est frappée par une ordon- nance de renvoi, un arbitre peut ordonner
a) sa mise en liberté, sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux circonstances et notamment du dépôt d'un gage ou d'un bon de garantie d'exécution;
b) sa détention s'il estime qu'elle constitue un danger pour le public ou qu'à défaut de cette mesure, elle ne se présentera pas à toutes les phases de l'enquête ou n'obtempérera pas à l'ordonnance de renvoi; ou
c) la fixation des conditions qu'il juge appropriées aux cir- constances et notamment le dépôt d'un gage ou d'un bon de garantie d'exécution.
(4) Celui qui a ordonné la détention d'une personne aux fins d'examen ou d'enquête en vertu du présent article, ou le gardien de ladite personne doit immédiatement aviser un agent d'immigration supérieur de la détention et de ses motifs.
(5) Dans les quarante-huit heures de la mise en détention d'une personne en vertu de la présente loi, un agent d'immigra- tion supérieur peut ordonner la mise en liberté de la personne détenue, sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux circonstances et notamment du dépôt d'un gage ou d'un bon de garantie d'exécution.
(6) Au cas l'examen, l'enquête ou le renvoi qui, en vertu de la présente loi, ont motivé la détention, n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures de celle-ci, la personne détenue doit être immédiatement amenée devant un arbitre aux fins de révision des motifs justifiant une détention prolongée; par la suite, la personne devra être amenée devant un arbitre aux mêmes fins, au moins une fois tous les sept jours.
(7) L'arbitre chargé de la révision prévue au paragraphe (6) doit ordonner la mise en liberté de la personne détenue, au cas il n'est pas convaincu qu'elle constitue une menace pour le public ni qu'elle se dérobera à l'examen, à l'enquête ou au renvoi, sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux circonstances et notamment du dépôt d'un gage ou d'un bon de garantie d'exécution.
(8) Après qu'un arbitre ait prononcé la mise en liberté d'une personne conformément à l'alinéa (3)a) ou au paragraphe (7), cet arbitre ou tout autre arbitre peut à tout moment ordonner qu'elle soit à nouveau mise sous garde et en détention, au cas il estime qu'elle constitue une menace pour le public ou qu'elle se dérobera à l'examen, l'enquête ou au renvoi.
L'avocat du Ministre prétend que la décision ou ordonnance, prise en application du paragraphe 104(3) et portant détention ou mise en liberté d'une personne, n'est pas une décision ou ordon- nance au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale parce qu'elle n'est ni définitive ni finale au sens retenu par la Cour dans différentes affai- res dont notamment Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.). Il prétend que la décision est accessoire à la compé- tence ou au pouvoir principal dévolu à l'arbitre et qu'il est possible de mettre fin à ses effets par suite de la révision des motifs justifiant le prolongement de la détention, révision qui doit être faite à inter- valles réguliers selon le paragraphe 104(6). Bien
que la décision de détenir une personne ou de la remettre en liberté puisse être prise au cours d'une enquête, comme en l'espèce, ce n'est pas dans ce cas une décision accessoire faisant partie du pro- cessus par lequel l'arbitre décide si une personne peut entrer au Canada ou y demeurer. Elle ne peut avoir d'effet sur la décision principale et n'est donc pas susceptible d'examen, dans le cadre de l'exa- men de la décision principale. Il s'agit de l'exer- cice d'un pouvoir légal, séparé et distinct du pou- voir de prendre une ordonnance de renvoi ou un avis d'interdiction de séjour. En outre, la décision est finale au sens l'entend la jurisprudence parce que, si les motifs de prolongation de la détention doivent être examinés de temps à autre et s'il est possible d'ordonner à nouveau la déten- tion d'une personne après l'avoir mise en liberté, la décision de détenir ou de remettre en liberté une personne, prise en vertu du paragraphe 104(3), a pour effet d'épuiser, pour le moment, la compé- tence de l'arbitre sur ce point et cette décision le lie ainsi que la personne intéressée. Par ces motifs, j'estime qu'il s'agit d'une décision ou ordonnance au sens de l'article 28.
Par ailleurs, la décision de remettre une per- sonne en liberté ou non, en est une qui, à mon avis, est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Elle satisfait aux critères de la décision judiciaire ou quasi judiciaire établi par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495. Elle a de graves conséquences car la liberté de l'intéressé est en jeu. Bien qu'elle comporte un élément discrétionnaire, à l'instar de la mise en liberté sous caution en matière pénale (décision qui a toujours été consi- dérée comme relevant de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal), elle oblige à prendre en considération, non pas une question de politique au sens large, mais un critère légal qui est l'exa- men d'un fait—puisqu'il faut examiner si la per- sonne en cause constitue un danger pour le public ou si, laissée en liberté, elle se dérobera à toutes les phases de l'enquête ou n'obtempérera pas à l'or- donnance de renvoi du Canada. Cette décision comporte un certain élément contradictoire en ce que la mise en liberté, ou les conditions qui y sont rattachées, peuvent faire l'objet d'une contestation pour le compte des autorités. En dernier lieu, et ce qui est le plus important, la Loi et le Règlement donnent à entendre que l'intéressé doit être entendu. Le paragraphe 104(6), qui prévoit la
révision des motifs justifiant la détention prolongée à certains intervalles, exige que l'on amène la personne ainsi détenue devant un arbitre. Lorsque la décision de remettre une personne en liberté est prise dans le cadre d'une enquête, elle est soumise au processus de l'enquête, y compris les droits que cela confère à l'intéressé en matière de procédure. L'article 37 du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172] prévoit expressément la tenue d'une enquête, comme suit:
37. (1) Lorsque l'enquête est ajournée ou lorsque l'arbitre rend une ordonnance de renvoi contre la personne en cause, l'agent chargé de présenter le cas doit, si la détention, ou le prolongement de la détention de cette personne est, à son avis, justifié, demander que l'arbitre ordonne la détention ou le prolongement de la détention de la personne en cause et informer l'arbitre des raisons de la demande.
(2) Lorsqu'une demande en vue de la détention ou du prolongement de la détention est faite suivant le paragraphe (1), la personne en cause ou son conseil doivent pouvoir répon- dre à la demande et présenter les arguments à ce sujet.
En l'espèce, l'agent chargé de présenter le cas a demandé à l'arbitre de prolonger la détention de la requérante et a présenté des arguments à l'appui. Il s'agit donc clairement d'un cas l'article 37 du Règlement s'applique.
Par ces motifs, je suis d'avis que la décision, prise par l'arbitre le 6 avril 1983, de remettre la requérante en liberté constituait une décision léga- lement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et que, par conséquent, la Cour avait compétence pour connaître de cette demande. Cela étant établi, il faut maintenant examiner la demande au fond.
L'argument de la requérante selon lequel l'arbi- tre n'avait plus compétence faute d'avoir repris l'enquête à la date prévue, soit le 30 mars 1983, s'appuie sur le principe énoncé par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans R. c. Krannenburg, [1980] 1 R.C.S. 1053, comme suit à la page 1055: «Il est reconnu depuis longtemps dans notre droit qu'une cour d'instance inférieure peut perdre juri- diction en raison d'une irrégularité de procédure, comme par exemple, lorsque le jour auquel la comparution du prévenu a été renvoyée ou auquel l'affaire a été ajournée se passe sans qu'il y ait d'audition ou de comparution, "sans que rien ne se fasse".» Ce principe, établi pour la première fois par la Cour suprême dans Trenholm v. The Attor- ney -General of Ontario, [1940] R.C.S. 301, a été retenu dans plusieurs autres affaires, mais pour
autant que j'ai pu le constater, il a toujours été appliqué par les juridictions répressives et aux poursuites pénales. L'avocat de la requérante n'a pu citer aucune décision et je n'en ai trouvé aucune, ce principe aurait été appliqué devant un tribunal administratif, qu'il exerce ou non des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires. À mon avis, ce n'est pas un principe qu'il convient d'appliquer aux tribunaux administratifs puisqu'ils doivent jouir d'une certaine latitude pour ajourner et reprendre les enquêtes qu'ils mènent. Cette lati tude ressort du paragraphe 35(2) du Règlement sur l'immigration de 1978 qui prévoit: «L'enquête ajournée selon le présent règlement ou le paragra- phe 29(5) de la Loi doit reprendre à l'heure et à l'endroit prescrits par l'arbitre présidant l'en- quête.» Je ne crois pas que la possibilité qu'il y ait détention justifie l'application du principe établi dans Krannenburg au cas l'on omet de repren- dre l'enquête à la date prévue après l'ajournement. Le paragraphe 104(6) de la Loi prévoit la révision régulière des motifs justifiant la prolongation de la détention et ce, indépendamment du progrès de l'enquête. Je suis donc d'avis que l'arbitre n'a pas perdu sa compétence faute d'avoir repris l'enquête le 30 mars 1983, date prévue pour la reprise de l'enquête.
A titre subsidiaire, la requérante soutient qu'en faisant une «offre» de mise en liberté assortie d'un délai d'acceptation fixé au 12 avril 1983 à 16 heures, l'arbitre a outrepassé sa compétence ou autrement commis une erreur de droit. En agissant ainsi, l'arbitre décidait de remettre la requérante en liberté en exigeant de cette dernière, entre autres, qu'elle constitue une caution ou un caution- nement en espèces dans un délai imparti. À mon avis, cette condition relevait de la compétence que l'arbitre tient du paragraphe 104(3) de la Loi, lequel l'investit du pouvoir de remettre une per- sonne en liberté «sous réserve des conditions qu'il juge appropriées aux circonstances».
Par ces motifs, je rejetterais la demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE STONE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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