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T-2600-83
Marcel Pilon et Donald Tyler, détenus du péniten- cier de Millhaven (requérants)
c.
Donald Yeoman, commissaire du service correc- tionnel (intimé)
Division de première instance, juge McNair— Ottawa, 26 janvier et 30 avril 1984.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Pénitenciers
Certiorari et mandamus Transferement de détenus d'un pénitencier à sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité maximale sans qu'ils aient eu l'occasion de se faire entendre
Aucun déni de l'obligation fondamentale d'agir équitable- ment car les détenus avaient été informés et rien dans la loi n'impose l'obligation de tenir une audition complète Requête rejetée Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3), 29(3) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18.
Droit constitutionnel Charte des droits Garanties juridiques Transferement de détenus d'un pénitencier à sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité maximale Les restrictions nécessaires et raisonnables aux droits pendant une incarcération légitime sont autorisées par l'art. 1 de la Charte
Sauf violation manifeste d'un droit garanti par la Constitu tion, il n'appartient pas, en règle générale, aux tribunaux d'examiner les décisions en matière de sécurité prises par des directeurs d'établissements Le transferement des requérants ne constituait pas une atteinte à leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne et ne constituait pas une détention ou un emprisonnement arbitraire Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3). 29(3).
Pénitenciers Transfèrement de détenus d'un pénitencier à sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité maximale sans qu'ils aient eu l'occasion de se faire entendre Aucun man- quement à l'obligation d'agir équitablement car les détenus ont été dûment informés et rien dans la loi n'impose l'obligation de tenir une audition complète Les restrictions nécessaires et raisonnables aux droits pendant une incarcération légitime, comme le transfèrement pour des raisons de sécurité, sont autorisées par l'art. 1 de la Charte Sauf violation manifeste d'un droit garanti par la Constitution, il n'appartient pas aux tribunaux, en règle générale, d'examiner les décisions en matière de sécurité prises par des directeurs d'établissements
Le transferement ne viole pas les art. 7 et 9 de la Charte Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3), 29(3) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
À la suite d'un accroissement alarmant de la violence à l'établissement à sécurité moyenne de Collins Bay, les requé- rants ont été identifiés comme ayant une mauvaise influence sur l'ensemble de la population carcérale et ont été transférés à
l'établissement à sécurité maximale de Millhaven. Les requé- rants allèguent que les transfèrements contreviennent aux arti cles 7 et 9 de la Charte et en outre violent les principes d'équité dans la procédure. Par conséquent, ils demandent un bref de certiorari annulant leur transfèrement et un bref de mandamus ordonnant leur retour à Collins Bay.
La seule question qui se pose est de savoir s'il y a eu un manquement à une obligation évidente d'équité dans la procé- dure en ce qui a trait au transfèrement des requérants à un établissement à sécurité maximale, étant donné, surtout, que les requérants n'ont pas eu l'occasion de se faire entendre.
Jugement: La requête est rejetée. L'obligation d'agir équita- blement dans un cas précis doit être définie par renvoi aux dispositions législatives qui forment le cadre dans lequel s'appli- que le processus administratif. Il n'y a rien dans la Loi les règlements applicables qui impose l'obligation de tenir une audition complète avant un transfèrement. En outre, les requé- rants ont été pleinement informés de leur transfèrement et des raisons de celui-ci conformément à la directive applicable du commissaire.
Les restrictions et les limites imposées aux droits des détenus pour des raisons de sécurité, comme le transfèrement à une institution plus sécuritaire, sont permises en vertu de l'article 1 de la Charte. Cette cour n'est pas d'accord avec la position du juge McDonald dans l'affaire Soenen v. Dir. of Edmonton Remand Centre (1983), 35 C.R. (3d) 206 (B.R. Alb.) selon laquelle la Charte des droits et libertés doit être interprétée dans un sens absolu indépendamment de l'article 1. Sauf violation manifeste d'un droit garanti par la Constitution, il convient toujours d'appliquer le principe selon lequel il n'appar- tient pas aux tribunaux, en règle générale, de mettre en doute le jugement du directeur d'un établissement quant à ce qui peut ou non être nécessaire pour maintenir la sécurité dans un pénitencier. La décision administrative de transférer les requé- rants ne constituait pas, dans les circonstances, une atteinte à leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne garanti par l'article 7 de la Charte. L'exécution du transfère- ment ne constitue pas non plus une détention ou un emprison- nement arbitraire au sens de l'article 9. Par conséquent, il n'y avait aucune obligation d'accorder aux requérants une audition en ce qui a trait à leur transfèrement.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Regina v. Cadeddu (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; 105 D.L.R. (3d) 745; Re Anaskan and The Queen (1977), 76 D.L.R. (3d) 351 (C.A. Ont.); Re Maltby et al. and Attorney - General of Saskatchewan et al. (1983), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.).
DECISION ÉCARTÉE:
Soenen v. Dir. of Edmonton Remand Centre (1983), 35 C.R. (3d) 206 (B.R. Alb.).
AVOCATS:
Fergus O'Connor pour les requérants. J. Pethes pour l'intimé.
PROCUREURS:
Fergus J. O'Connor, Kingston (Ontario), pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une requête pré- sentée par les requérants en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] en vue d'obtenir un bref de certiorari annulant leur transfèrement d'un péni- tencier à sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité maximale et un bref de mandamus ordon- nant leur retour à l'établissement à sécurité moyenne d'où ils ont été transférés. Les moyens invoqués sont que les transfèrements contrevien- nent aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et, à titre subsidiaire, qu'ils violent les principes d'équité dans la procédure. Cela revient simplement à dire que les requérants n'ont pas eu l'occasion de se faire entendre en ce qui a trait à leur transfèrement.
La requête est appuyée par les affidavits des requérants. L'objet de chacun de ceux-ci est essen- tiellement le même. En opposition, on a présenté les affidavits de Kenneth H. Payne, directeur de l'établissement à sécurité moyenne de Collins Bay et de John C. Ryan, directeur de l'établissement à sécurité maximale de Millhaven. La requête a été entendue sur la base de ces affidavits et de l'argu- mentation présentée par les avocats.
Les requérants étaient détenus au pénitencier de Collins Bay qui est un établissement à sécurité moyenne. Vers la fin d'août 1983, la violence s'était accrue de façon alarmante dans ce péniten- cier. Bien qu'ils affirment le contraire, les requé- rants n'étaient pas des prisonniers modèles et la division de la sécurité de Collins Bay avait identi- fié un certain nombre de détenus comme ayant une mauvaise influence sur l'ensemble de la population carcérale. Les requérants avaient été identifiés comme tels. On a procédé ensuite à la ségrégation des suspects, mais cette mesure n'est pas en litige
dans la requête. Le transfèrement des détenus identifiés comme suspects, dont les requérants, à un établissement à sécurité maximale était consi- déré comme un moyen de rétablir la sécurité.
Après consultations et examen de la situation, ces détenus, et notamment les requérants, ont été transférés au pénitencier à sécurité maximale de Millhaven. Le transfèrement des requérants et des autres détenus suspects a été exécuté en vertu d'un mandat officiel revêtu de la signature de F. Luciani, administrateur régional adjoint du pro gramme pour les détenus en sa qualité de fonction- naire agissant sous les ordres du commissaire en vertu du paragraphe 13(3) de la Loi sur les péni- tenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6]. Le mandat était daté du 8 septembre 1983. À la même date, chacun des requérants a reçu une note de service confirmant qu'ils avaient été avertis en personne des motifs de leur transfèrement, et notamment du motif formulé de la façon suivante au paragraphe 3 de ladite note de service:
[TRADUCTION] 3. Vous êtes transféré à l'établissement de Millhaven en raison de votre comportement dans l'établisse- ment vous êtes détenu. Cette mesure a pour but de mainte- nir le bon ordre et la sécurité de cet établissement. Vous pourriez également faire l'objet d'un transfèrement dans une autre région.
Le transfèrement de Collins Bay à l'établisse- ment à sécurité maximale de Millhaven a eu lieu le 9 septembre 1983.
Les requérants soutiennent maintenant que le motif indiqué dans la note de service est un motif insuffisant pour justifier le transfèrement. Ils sou- tiennent en outre qu'on leur a refusé le droit d'être entendus. Toutefois, rien n'indique dans la preuve qu'ils aient jamais demandé une audition. Telles sont essentiellement les questions en litige.
L'affidavit de M. Payne indique que le taux de violence à l'établissement de Collins Bay a sensi- blement diminué à la suite du transfèrement à Millhaven des onze détenus suspects. Cela n'a pas été réfuté. Certains éléments de preuve indiquent que le nombre d'incidents violents survenus à l'éta- blissement de Millhaven de janvier à septembre 1983 a largement dépassé celui de toute l'année 1982. On ne peut rien en déduire qui puisse impli- quer les requérants car ils ne sont arrivés à l'éta- blissement que vers la mi-septembre.
Chaque requérant déclare dans son affidavit que le transfèrement lui a causé un préjudice. Tous deux manifestent de l'appréhension, de la peur et de l'anxiété à l'égard de ce qu'ils prétendent être un milieu de vie dangereusement explosif à Mill - haven. Les deux requérants se fondent à ce sujet sur leur expérience précédente de détention au pénitencier de Millhaven. Cette affirmation est contredite dans une certaine mesure par l'affidavit de John C. Ryan, le directeur du pénitencier de Millhaven, qui souligne que le soi-disant «code de conduite» des détenus en matière d'actes de vio lence est le même à Collins Bay. De toute évi- dence, si quelqu'un cherche des ennuis il peut facilement en trouver.
Les requérants soutiennent en outre que le transfèrement entraîne la perte de certains des avantages dont ils jouissaient à Collins Bay. Cette allégation est réfutée en grande partie par l'affida- vit du directeur de Millhaven. De toute façon, leurs craintes et leurs préoccupations relatives aux avantages perdus sont des affirmations intéressées et des opinions subjectives concernant des à-côtés de la question à l'étude. Je suis d'avis que la seule question qui se pose en l'espèce est simplement de savoir s'il y a eu un manquement à une obligation évidente d'équité dans la procédure en ce qui a trait au processus de prise de décision qui a entraîné le transfèrement des requérants à un éta- blissement à sécurité maximale.
Voici le texte de l'alinéa 9 de l'affidavit de M. Kenneth H. Payne directeur du pénitencier de Collins Bay:
[TRADUCTION] 9. L'agent des services correctionnels, M. Troyer, a avisé verbalement les requérants Marcel Pilon et Donald Tyler des motifs de leur transfèrement. De plus, il a donné aux requérants Marcel Pilon et Donald Tyler un avis écrit en date du 8 septembre 1983 qui indiquait que les deux requérants étaient transférés à l'établissement de Millhaven pour préserver le bon ordre et la sécurité de l'établissement de Collins Bay. Une copie certifiée de l'avis écrit donné par l'agent des services correctionnels Troyer est joint à l'affidavit de Marcel Pilon comme pièce «A». Un avis semblable a été remis au requérant Donald Tyler le 8 septembre 1983. J'ai signé chaque avis.
Une copie de la lettre datée du 7 septembre 1983 adressée par son avocat, Fergus J. O'Connor, au directeur de Collins Bay est annexée à son affidavit comme pièce «A».
En introduction, M. O'Connor indique qu'il a interrogé Tyler le 6 septembre 1983, puis souligne dans sa lettre la plainte du requérant concernant la ségrégation (qui n'est pas en litige) et la crainte que suscite son transfèrement à Millhaven, men- tionnant ensuite l'allégation du requérant selon laquelle ni la ségrégation ni le transfert ne sont justifiés. La lettre se termine par le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] D'un point de vue strictement juridique, je dois insister sur le fait que la ségrégation exercée à l'égard de M. Tyler doit être motivée. En ma qualité de conseiller juridi- que de M. Tyler, je vous demande de me donner ces raisons dans les meilleurs délais. De même si vous envisagez un transfè- rement, je vous demande respectueusement de tenir compte des aspects positifs de la conduite de M. Tyler. Ce jeune homme purge une peine d'emprisonnement à perpétuité et un transfère- ment à Millhaven retardera certainement de plusieurs années la possibilité d'une libération conditionnelle.
En espérant vous lire bient8t, je vous remercie de votre attention. [C'est moi qui souligne.]
M. Payne n'a pas daigné répondre. La lettre corrobore le fait que les requérants avaient été informés avant le 6 septembre 1983 par l'agent des services correctionnels Troyer des motifs du trans- fèrement prévu. Il est important de noter égale- ment que, à ce stade, les requérants ne deman- daient pas les motifs du transfèrement prévu ni ne cherchaient à obtenir une audition à ce sujet.
Le paragraphe 13(3) de la Loi sur les péniten- ciers dit:
13....
(3) Lorsqu'une personne a été condamnée ou envoyée au pénitencier, le commissaire ou tout fonctionnaire agissant sous les ordres de ce dernier peut, par mandat revêtu de sa signa ture, ordonner que la personne soit incarcérée dans un péniten- cier quelconque au Canada ou y soit transférée, que cette personne ait été ou non reçue dans le pénitencier approprié désigné dans les règles établies sous le régime du paragraphe (2).
La Loi donne au gouverneur en conseil le pou- voir d'édicter des règlements relatifs, notamment, à la discipline et à la direction judicieuse du Service, à la garde des détenus et, de façon géné- rale, à la réalisation des objets de la Loi.
Sous réserve également de la Loi et de tout règlement édicté sous le régime de celle-ci, le commissaire peut établir des règles, connues sous le nom de directives du commissaire, pour les fins suivantes:
29....
(3) ... concernant l'organisation, l'entraînement, la disci pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
Les directives ont une vaste portée. Il est vrai que ces directives n'ont pas force de loi, mais il est tout aussi vrai qu'elles doivent être considérées comme formulant les lignes directrices en matière d'action administrative relativement à la question particulière qui est à l'étude.
Voici le texte de l'article 18 de la directive du commissaire 260:
18. Lorsqu'un détenu doit être transféré à la suite d'une décision administrative, sans en avoir lui-même fait la demande, il doit être informé de l'intention de le transférer, si les exigences de la sécurité le permettent. De plus, on doit lui accorder quarante-huit (48) heures pour présenter des raisons qui justifieraient une nouvelle étude de son cas. Il doit recevoir par écrit les raisons de la décision finale.
La contestation du transfèrement se fonde essentiellement sur l'allégation de déni de justice naturelle et d'équité en vertu de la notion générale de devoir d'agir équitablement dans de telles cir- constances. Ils soutiennent que les principes de justice fondamentale exigent, dans le cas d'un transfèrement, qu'on donne au détenu les motifs du transfèrement d'une manière suffisamment pré- cise pour lui permettre d'y répondre, qu'on lui donne l'occasion d'y répondre et qu'on tienne compte de la réponse pour prendre la décision. De plus, ou de manière subsidiaire, ils invoquent les articles 7 et 9 de la Charte et allèguent que la décision de les transférer d'un pénitencier à sécu- rité moyenne à un établissement à sécurité maxi- male constitue une atteinte à la sécurité de leur personne et constitue une détention ou un empri- sonnement arbitraire. J'ai examiné les autorités citées par les avocats et, à mon avis, il n'est pas nécessaire d'expliquer en détail les principes juridi- ques applicables que je rappellerai seulement en termes très généraux.
Tous les aspects de l'affaire soulèvent la simple question de savoir si, d'après les faits de l'espèce, l'administration carcérale a agi de manière équita- ble à l'égard des requérants qui prétendent avoir été lésés par la décision administrative de les trans- férer à un établissement à sécurité maximale sans que leur soit donnée la possibilité de se faire entendre.
Je traiterai tout d'abord de l'équité dans la procédure.
La loi établit clairement que la décision admi nistrative de transférer un détenu d'un établisse- ment pénitentiaire à un autre relève de l'exercice de fonctions administratives en matière de disci pline dans lesquelles un tribunal ne devrait interve- nir qu'en cas de violation flagrante de l'obligation fondamentale d'agir équitablement. Dans ce con- texte, aucune règle de droit n'exempte nécessaire- ment l'exercice de ces pouvoirs disciplinaires de transfèrement du contrôle par certiorari. L'obliga- tion d'agir équitablement dans un cas précis doit être définie par renvoi aux dispositions législatives qui forment le cadre dans lequel s'applique le processus administratif. S'ils examinent la ques tion sous cet angle, les tribunaux chargés du con- trôle des décisions administratives sont moins sus- ceptibles de succomber à la tentation de substituer leur jugement rétrospectif à celui du décideur administratif et ainsi d'assumer arbitrairement les fonctions législatives ou administratives.
Je ne trouve rien dans la Loi ou les règlements qui impose l'obligation de tenir une audition com- plète avant de prendre la décision administrative de transférer un détenu d'un établissement à un autre. L'article 18 de la directive prescrit un code de procédure qui exige que le détenu soit informé de la décision administrative de le transférer si les exigences de la sécurité le permettent et qu'il lui soit accordé quarante-huit heures pour présenter des raisons qui justifieraient une nouvelle étude de son cas. La directive conclut en disant que les détenus doivent recevoir par écrit les raisons de la décision finale. La directive n'exige pas que l'avis initial de l'intention de transférer soit donné par écrit, elle exige simplement que le détenu soit informé. À la suite d'un tel avis, le détenu a quarante-huit heures pour présenter des raisons qui justifieraient une nouvelle étude de son cas. L'option est donnée au détenu et son exercice est laissé à son choix. Qu'il choisisse ou non de l'exer- cer, les raisons de la décision finale doivent lui être communiquées par écrit. Rien dans cela ne suggère l'existence d'une obligation quelconque qui impo- serait, au nom de l'équité procédurale, la tenue d'une audition comme condition préalable à la décision de transférer un détenu.
D'après la preuve, je suis convaincu que les requérants ont été pleinement informés avant le 6 septembre 1983 de l'intention de les transférer. Dès lors il leur appartenait de prendre l'initiative. Ils n'ont pas demandé d'audition. On leur a donc donné par écrit les raisons de la décision finale de les transférer le 8 septembre 1983 et, le jour suivant, ils ont été transférés à Millhaven. L'admi- nistration de la prison a informé les requérants de la décision administrative de les transférer, comme elle était tenue de le faire, et les requérants avaient la possibilité d'y répondre mais ne l'ont pas fait. À mon avis, l'administration de la prison n'était pas obligée de prendre l'initiative de tenir une audition pour montrer son respect de l'équité fondamentale. Par conséquent, ce moyen échoue.
Il faut maintenant examiner les moyens fondés sur les articles 7 et 9 de la Charte. Encore une fois, je ne propose pas de donner des explications détail- lées sur le droit applicable.
À mon avis, le juge Sirois a énoncé le principe approprié qui doit être appliqué dans les affaires carcérales dans lesquelles sont alléguées des viola tions de la Charte, dans l'affaire Re Maltby et al. and Attorney -General of Saskatchewan et al. (1983), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.), à la page 655:
[TRADUCTION] L'incarcération légitime des requérants à titre de détenus en détention préventive comporte nécessaire- ment des restrictions raisonnables aux droits dont ils jouissaient auparavant dans une société libre et démocratique. Ces restric tions' sont sans aucun doute le genre de restrictions raisonnables que les rédacteurs de la Charte canadienne des droits et libertés prévoyaient lorsqu'ils ont déclaré à l'article 1: »la Charte ... garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables...» (C'est moi qui souligne.) L'établissement peut et doit certainement imposer des restric tions et des limites aux droits des requérants pour qu'une sécurité suffisante assure qu'ils demeureront en détention et qu'ils ne constitueront pas un danger pour eux-mêmes, pour les autres détenus ou pour le personnel.
Dans ce cas, les requérants étaient des détenus en détention préventive par opposition à des déte- nus condamnés mais, à mon avis, le principe s'ap- plique avec plus de force encore à ces derniers.
En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec le juge McDonald qui dit que les droits et libertés garantis par la Charte doivent être interprétés dans un sens absolu, indépendamment de l'article 1, si c'est ce qu'il veut dire dans l'affaire Soenen v.
Dir. of Edmonton Remand Centre (1983), 35 C.R. (3d) 206 (B.R. Alb.).
J'estime que les droits inscrits dans la Charte sont toujours assujettis à l'article 1 et que la seule distinction pouvant être envisagée porterait sur le fardeau de la preuve et non sur une question de fond. Sauf violation manifeste d'un droit garanti par la Constitution, il convient d'appliquer le prin- cipe selon lequel il n'appartient pas aux tribunaux, en règle générale, de mettre en doute le jugement du directeur d'un établissement quant à ce qui peut ou non être nécessaire pour maintenir la sécurité dans un pénitencier: voir Regina v. Cadeddu (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; 105 D.L.R. (3d) 745; et Re Anaskan and The Queen (1977), 76 D.L.R. (3d) 351 (C.A. Ont.).
Je suis convaincu, d'après la prépondérance des probabilités et l'ensemble de la preuve, que la décision administrative de transférer les requérants à un établissement à sécurité maximale ne consti- tuait pas, dans les circonstances, une atteinte à leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne au sens de l'article 7 de la Charte. Pour la même raison, je juge que ce qui a été fait en exécution du transfèrement ne peut être inter- prété, même avec beaucoup d'imagination, comme une détention ou un emprisonnement arbitraire au sens de l'article 9. Qui plus est, la preuve ne suggère nullement la partialité et rien n'indique que celui qui a pris la décision a agi de façon arbitraire ou malhonnête.
Par conséquent je suis d'avis que le directeur de l'établissement de Collins Bay n'était pas obligé d'accorder aux requérants une audition en ce qui a trait à la décision administrative de les transférer au pénitencier de Millhaven. Ce moyen échoue également.
Par ces motifs, je rejette la requête, mais sans dépens.
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