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T-4039-81
La Reine (demanderesse)
c.
François St-Aubin (défendeur)
Division de première instance, juge Rouleau— Montréal, 25 et 26 janvier; Ottawa, 30 mai 1984.
Compétence Procédure de mise en cause Le défendeur et son complice ont été reconnus coupables par une cour criminelle d'avoir obtenu frauduleusement le versement, en vertu du programme de stabilisation des prix, de sommes d'argent pour des oignons jaunes de semis, et chacun a été condamné à rembourser sa part du montant reçu Le défen- deur, poursuivi en Cour fédérale pour le montant total, cher- che à mettre en cause son complice par voie d'un avis à tierce partie Procédure de mise en cause rejetée pour absence de compétence car elle ne constitue pas un simple incident de l'action principale, mais une nouvelle instance qui ne respecte pas l'exigence voulant qu'elle doive soulever des questions relevant du droit fédéral Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 663(2)h).
Preuve Fin de non-recevoir fondée sur un jugement pénal Jugements et ordonnances Chose jugée La Couronne cherche à obtenir dans une action intentée en Cour fédérale le remboursement de sommes d'argent obtenues frauduleuse- ment, en vertu du programme de stabilisation des prix, pour des oignons jaunes de semis Le défendeur a été reconnu coupable par une cour criminelle et a été condamné à rem- bourser les sommes obtenues Le défendeur soutient que l'ordonnance rendue en cour criminelle est de nature civile et constitue chose jugée Si on applique l'arrêt R. v. Groves, il n'y a pas chose jugée car les parties ne sont pas les mêmes et la réclamation pour dommages est un recours civil tandis que la sanction criminelle ne l'est pas Le but de l'art. 663(2)h) est la réhabilitation et la dissuasion Cependant, le montant versé dans des poursuites pénales est crédité au défendeur Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 663(2)h).
Pratique Procédure de mise en cause Le défendeur et son complice ont été reconnus coupables d'avoir obtenu frau- duleusement le versement, en vertu du programme de stabili sation des prix, de sommes d'argent pour des oignons jaunes de semis, et chacun a été condamné à rembourser sa part du montant reçu Le défendeur, poursuivi en Division de pre- mière instance pour le montant total, cherche à mettre en cause son complice par voie d'un avis à tierce partie Procédure de mise en cause rejetée pour absence de compé- tence car elle ne constitue pas un simple incident de l'action principale, mais une nouvelle instance qui ne satisfait pas à l'exigence qu'elle doive soulever des questions relevant du droit fédéral Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 663(2)h).
Le défendeur et son complice ont été reconnus coupables par une cour criminelle d'avoir obtenu frauduleusement le verse- ment, en vertu du programme de stabilisation des prix, de sommes d'argent pour des oignons jaunes de semis. Chacun a été condamné à rembourser sa part du montant reçu. Le défendeur est maintenant poursuivi en Cour fédérale pour le remboursement du montant total.
Il requiert la mise en cause de son complice afin que celui-ci rembourse sa part à la Couronne et allège ainsi le fardeau du défendeur. Il allègue aussi que l'ordonnance rendue en cour criminelle est de nature civile, constituant chose jugée relative- ment à la présente action.
Arrêt: l'action est accueillie et la procédure de mise en cause est rejetée.
L'argument relatif à la chose jugée est rejeté. Il a été jugé dans des décisions antérieures, notamment dans R. v. Groves, qu'une ordonnance de remboursement dans le cadre d'une sanction criminelle n'est pas de nature civile puisqu'elle vise la réhabilitation et la dissuasion. En outre, en l'espèce, les parties ne sont pas les mêmes et les recours sont de nature très différente. Cependant, le montant versé par l'accusé en exécu- tion de l'ordonnance criminelle lui serait crédité.
Comme l'a décidé la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958), la procédure contre le tiers est une instance indépendante et non un simple incident de l'action principale, et l'on doit l'isoler afin de savoir si le droit fédéral s'applique. Le défendeur ne peut donc mettre en cause son complice car le remède recherché est de nature purement civile et doit être traité par une cour provinciale.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
R. v. Groves (1977), 79 D.L.R. (3d) 561 (H.C. Ont.); R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695; McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654.
AVOCATS:
S. Barry pour la demanderesse. Manon Bourbonnais pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Blanchard, Vinet, Plante & Bourbonnais,
Valleyfield (Québec), pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ROULEAU: En vue de stabiliser le prix des oignons jaunes de semis produits au Canada en 1977, l'Office de stabilisation des prix agricoles créa un programme aux termes duquel on payait aux producteurs une certaine somme d'argent par livre d'oignons produits.
Le défendeur fit donc parvenir à l'Office une demande de paiement alléguant la vente de 972 200 livres d'oignons jaunes de semis et y
annexant de fausses pièces justificatives en ce que le prétendu acheteur Jean Roy Transport n'existe pas.
C'est ainsi qu'un montant de 18 374,58 $ a été versé au défendeur et, de ce montant, il versa à son complice Jean Roy, suite à une entente qu'ils avaient entre eux, la somme de 12 000 $. Le com- plot fut mis à jour et il s'ensuivit une condamna- tion en cour criminelle le 19 janvier 1981, doublée d'une ordonnance de remboursement d'une somme de 6 374,58 $ à la personne lésée, soit Sa Majesté la Reine aux droits du Canada. Quant à Roy, il fut condamné à payer le résidu, soit la somme de 12 000 $ qu'il n'a toujours pas acquittée.
La demanderesse a ensuite déposé une action en Cour fédérale en réclamation de la somme de 12 000 $, soit la différence entre le montant de 18 374,58 $ que le défendeur a reçu sans droit et la somme de 6 374,58 $ qu'il était tenu de rembour- ser selon l'ordonnance du 19 janvier 1981 rendue en cour criminelle. C'est ainsi que le défendeur requiert la mise en cause de M. Jean Roy afin que celui-ci rembourse sa part à la Couronne et allège ainsi son fardeau. Il ajoute au surplus pour sa défense que l'ordonnance rendue en Cour crimi- nelle en est une de nature civile constituant chose jugée relativement à la présente action.
Cet argument a été analysé par la jurisprudence et il a été déterminé qu'une ordonnance de rem- boursement dans le cadre d'une sanction criminelle n'était pas de nature civile puisqu'elle n'avait pour objectif que de décourager la commission d'actes criminels en impliquant l'accusé en opposition avec lui-même, la victime et la société, lui faisant ainsi prendre conscience de ses responsibilités de façon constructive.
L'alinéa 663(2)h) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] précise que le but d'une telle ordonnance est d'«assurer la bonne conduite de l'accusé et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction...» Plus précisément, dans R. v. Groves (1977), 79 D.L.R. (3d) 561 (H.C. Ont.), à la page 570, le juge O'Driscoll déclare:
L'article 663, lorsqu'on l'interprète comme un tout et qu'on porte une attention particulière à son alinéa h) qui fait allusion aux «telles autres conditions raisonnables que la cour considère souhaitables pour assurer la bonne conduite de l'accusé et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou de commettre d'autres infractions», donne tout lieu de penser que
l'intention du Parlement, quand il a adopté l'alinéa 663(2)e) ainsi que les autres alinéas, était à la fois d'assurer la réhabili- tation du contrevenant et de mettre en application les principes de dissuasion et de protection du public, qui constituent tous des buts légitimes de l'imposition de sentences.
Il ajoute de plus la page 571] qu'il n'y a pas chose jugée quand la victime choisit de se faire dédommager en prenant un recours civil. Cepen- dant, le montant versé par l'accusé en exécution de l'ordonnance criminelle lui serait crédité et c'est à cela que se limiterait l'interaction des deux cours. D'ailleurs, dans le cas qui nous occupe, bien que la cause d'action soit de même source, les parties ne sont pas les mêmes et la substance du recours est bien différente; en effet, en matière de réclama- tions pour dommages, que le tort soit attribuable à une simple négligence ou à des manoeuvres crimi- nelles, le remède recherché est une compensation pécuniaire en réparation de la faute, et une telle compensation est du domaine purement civil.
En cours d'instance, le défendeur a tenté de mettre en cause Jean Roy pour que celui-ci paie sa part des dommages. Il s'agit, quant à cette ques tion, de se demander si un recours purement civil entre deux individus peut être traité de manière accessoire en Cour fédérale alors même que la cause d'action principale est de la compétence de la Cour fédérale.
Cette question a été étudiée dans l'arrêt de la Cour suprême R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695. Dans cette cause, la défenderesse, Sa Majesté la Reine, a produit contre Fuller en Cour fédérale un «avis à la tierce partie» qui réclamait, en vertu de son contrat avec cette dernière une indemnisation pour sa responsabilité envers Foundation Company of Canada Limited et également une contribution en vertu de The Negligence Act de l'Ontario [R.S.O. 1970, chap. 296].
Pour le juge Pigeon, la question était de savoir si le litige soulevé par l'avis à la tierce partie relevait du droit fédéral. Selon lui, la procédure contre le tiers est une nouvelle instance et non un simple incident de l'action principale et l'on doit isoler cette procédure afin de savoir si le droit fédéral s'y applique. Dans McNamara Construction (Wes- tern) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a jugé qu'on ne pouvait intenter en Cour fédérale une action pour inexécution du contrat de
construction parce que c'était aux tribunaux pro- vinciaux d'en décider. La réclamation contre Fuller découle de lois provinciales ne pouvant être invoquées en Cour fédérale. Toujours selon le juge Pigeon la page 713]:
Par conséquent, je ne vois aucun fondement à l'application de la doctrine du pouvoir accessoire qui est limitée à ce qui est vraiment nécessaire à l'exercice efficace de l'autorité législative du Parlement. Si l'on estime souhaitable d'être en mesure d'invoquer une loi provinciale sur la négligence contributive qui n'est susceptible d'application que devant les cours de la pro vince, la solution appropriée est de rendre possible l'exercice de ce droit de la manière prévue à la règle générale de la Constitu tion du Canada, c'est-à-dire devant la cour supérieure de la province.
En conclusion, St-Aubin ne peut mettre en cause Jean Roy, toute incidente que soit cette question, car le remède recherché est de nature purement civil et doit être traité dans une cour provinciale.
D'autre part, quant à la réclamation de la Cou- ronne, elle doit être accordée selon ses conclusions, l'ordonnance criminelle ne constituant en rien chose jugée quant au présent litige.
Action accordée avec dépens.
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