Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-83-84
Kraft Limited (appelante)
c.
Registraire des marques de commerce (intimé)
Division de première instance, juge Strayer— Ottawa, 17 septembre et 3 octobre 1984.
Marques de commerce Appel d'une décision du regis- traire des marques de commerce qui a rejeté la demande d'enregistrement de la marque de commerce «Breadwinners» pour fins d'emploi en liaison avec le fait d'«offrir des pro grammes de bons de réduction relativement à une gamme de produits alimentaires» Le registraire a conclu que les services décrits n'étaient pas des «services» au sens de la Loi et que, par conséquent, la demande ne satisfaisait pas aux exi- gences de l'art. 29a) de la Loi L'intimé soutient que les «services» ne sont pas couverts par l'art. 29a) s'ils ne sont qu'«accessoires» à la vente de biens L'appelante soutient que la distribution de bons aux consommateurs qui, grâce à ces bons, obtiennent des produits à prix réduit, constitue un «service» Aucun jugement canadien ne porte sur le sens du terme «services» figurant dans la Loi Appel accueilli Les décisions américaines, qui établissent des distinctions qui ne sont pas claires et aboutissent à des résultats contradictoires, ne sont pas convaincantes Renvoi à l'arrêt américain Ame- rican International Reinsurance Co., Inc. v. Airco, Inc., dans lequel il est recommandé que le terme «services» soit interprété de façon libérale En vertu de l'art. 2, la marque de commerce qui se rapporte à des services doit distinguer les services exécutés par une personne de ceux qui sont exécutés par d'autres Cette définition n'implique pas que les «servi- ces» à l'égard desquels est établie une marque de commerce se limitent à ceux qui ne sont pas «accessoires» à la vente de biens En l'absence de définition dans la Loi et de jurispru dence applicable, le registraire n'a aucune raison d'imposer une interprétation restrictive du terme «services» Le pro gramme de bons de réduction n'est pas une condition usuelle d'un contrat et n'est pas une chose que l'acheteur peut norma- lement s'attendre de recevoir avec l'achat de biens, de sorte qu'il ne fait pas partie de la vente des «marchandises» Le programme des bons de réduction est un «service» dans le contexte de la définition du terme «marque de commerce» Le fait d'offrir un programme de bons de réduction et d'em- ployer une marque de commerce pour le distinguer de ses autres activités ne porte pas préjudice au public ou à ses, concurrents Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 2, 29a), 36(1)a).
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
American International Reinsurance Co., Inc. v. Airco,
Inc., 571 F.2d 941; 197 USPQ 69 (C.C.P.A. 1978).
AVOCATS:
A. J. S. Davidson pour l'appelante. Barbara Mclsaac pour l'intimé.
PROCUREURS:
Angus J. S. Davidson, Ottawa, pour l'appe- lante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Il s'agit de l'appel d'une décision du registraire des marques de commerce rendue le 18 novembre 1983 par laquelle celui-ci a rejeté la demande faite par l'appelante sous le numéro 471,302 pour l'enregistrement de «Bread- winners» comme marque de commerce.
L'appelante a produit des éléments de preuve qui indiquent que depuis le mois de janvier 1979 au moins, elle emploie ce mot «Breadwinners» en liaison avec ses «programmes de bons de réduc- tion». Ces programmes consistent à faire imprimer dans les journaux, etc., des bons de réduction que le consommateur peut conserver et présenter chez les détaillants pour obtenir une diminution du prix à l'occasion de l'achat de certains produits de l'appelante Kraft Limited. Un bon de réduction donné est encaissable à l'achat d'un produit donné. L'appelante a établi par sa preuve qu'elle a employé le terme «Breadwinners» sur ces bons de réduction et dans la publicité de son programme de bons en liaison avec sa marque de commerce géné- rale «Kraft».
Le 12 juin 1981, l'appelante Kraft a demandé l'enregistrement de «Breadwinners» comme la marque de commerce de son programme de bons de réduction. Les services en liaison avec lesquels la marque était employée ont d'abord été décrits comme des [TRADUCTION] «services de mise en marché d'une gamme de produits alimentaires au moyen de programmes de bons de réduction». L'examinateur a conclu que cet énoncé n'était pas acceptable et la déclaration a été modifiée pour indiquer [TRADUCTION] «offrir des programmes de bons de réduction relativement à une gamme de produits alimentaires». L'examinateur a alors indi- qué que cet énoncé était toujours inacceptable mais que le bureau des marques de commerce serait disposé à envisager comme acceptable une déclaration des services ainsi rédigée: [TRADUC- TION] «des services de promotion des ventes dis-
pensés aux supermarchés et aux autres magasins de détail et qui offrent des programmes de bons de réduction relatifs à une gamme de produits ali- mentaires». Il faut remarquer de ce qui précède que l'examinateur semble avoir été d'avis que si les services étaient dispensés par la requérante [appe- lante], ils n'étaient pas fournis aux consomma- teurs. La requérante [appelante] a refusé de faire cette modification et en conséquence, le 18 novem- bre 1983, le registraire a ordonné le rejet de la demande.
La décision expose l'historique de la demande et s'étend sur les motifs du rejet, mais il m'apparaît clairement que le fondement juridique de la déci- sion y est énoncé au septième paragraphe: le regis- traire a conclu que les services tels que décrits ne sont pas des «services» au sens qu'envisage la Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10] et que la demande n'est pas conforme à l'alinéa 29a) de la Loi qui oblige la personne qui demande l'enregistrement d'une marque de com merce à produire une demande renfermant
29....
a) un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été employée ou il est projeté de l'employer;
Par conséquent, le registraire a conclu qu'il était tenu de rejeter la demande parce que l'alinéa 36(1)a) de la Loi l'exige lorsque la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 29.
La requérante [appelante], dans sa correspon- dance avec le bureau des marques de commerce, et son avocat dans cette Cour, ont fait valoir que le véritable motif du rejet par le registraire était qu'il n'acceptait pas la déclaration de la requérante [appelante] quant à la date du commencement de l'emploi de la marque. Ils prétendent que le regis- traire n'avait pas compétence pour rejeter la demande pour ce motif ou pour passer outre à la preuve de la requérante [appelante] à cet égard. Je ne trouve aucune preuve que le registraire a tran- ché la question pour ce motif. Sa lettre du 18 novembre 1983 n'en fait certes pas mention et à mon avis, elle établit clairement que le motif du rejet est que la déclaration de la requérante [appe- lante] ne décrit pas des services au sens que donne
à «services» la Loi sur les marques de commerce. Je vais donc limiter mon jugement à cette ques tion. Je tiens également à dire ici qu'à mon avis, le registraire avait compétence pour décider si la demande satisfaisait aux exigences de l'article 29 et comportait tous les renseignements que cet arti cle oblige à fournir. Je n'ai pas à décider si le registraire peut refuser de croire ces renseigne- ments et les rejeter en tout ou en partie s'il croit qu'ils ne sont pas vrais; il a au moins le pouvoir de décider s'ils sont suffisants sur le plan de la forme et c'est, à mon avis, ce que le registraire a fait en l'espèce.
Il reste donc la question essentielle de savoir quelle est la signification de «services» que men- tionne l'alinéa 29a) de la Loi sur les marques de commerce. Essentiellement, Kraft prétend que dans le sens ordinaire de ce mot, son programme de bons de réduction est un «service». Kraft pré- tend que le fait qu'elle profite de toute évidence de ce programme n'a aucune importance: la plupart des marques de commerce, lorsqu'elles sont employées en liaison avec des marchandises, tou- chent des opérations faites au profit du proprié- taire de la marque de. commerce. Kraft prétend en outre que son programme de bons de réduction n'est pas simplement accessoire à la vente de mar- chandises parce que le public ne s'attend pas nor- malement à ce que des bons de réduction seront disponibles pour l'achat de marchandises à rabais. Par conséquent, il ne faut pas considérer ces servi ces comme une chose purement accessoire à la vente de ses produits par Kraft.
Malheureusement, il semble y avoir bien peu de documentation utile quant à l'interprétation qu'il convient de donner au terme «services» qu'emploie la Loi sur les marques de commerce. En common law, une marque de commerce ne pouvait être enregistrée relativement à des services et ces mar- ques de commerce n'ont été introduites au Canada qu'avec la modification apportée en 1953 la Loi sur les marques de commerce [S.C. 1952-53, chap. 49]. Cette modification suivait un développe- ment semblable survenu aux États-Unis avec l'adoption du Lanham Act [chap. 540, 60 Stat. 427 (1946)] en 1946. Les avocats ne m'ont cité aucune jurisprudence canadienne quânt au sens du mot «services» qu'emploie la Loi sur les marques de commerce.
L'avocate du registraire a fait valoir une inter- prétation plutôt restrictive du terme «services». Elle reconnaît que rien dans la Loi ou la jurisprudence ne dicte une telle interprétation, mais elle prétend qu'il faut circonscrire ce concept pour permettre au registraire de déterminer quelles marques de commerce peuvent valablement être enregistrées relativement à des services. Elle m'a donc cité plusieurs autorités américaines à l'appui de la proposition que les «services» ne sont pas ceux que vise l'alinéa 29a) s'ils sont simplement accessoires notamment à la vente de marchandises. Elle a cité l'ouvrage de McCarthy, Trade Marks and Unfair Competition (1984, 2e éd.) aux pages 937 à 941 (Vol. I) et plusieurs décisions du bureau américain des brevets et marques de commerce et des tribu- naux américains qui y sont citées. J'ai examiné ces décisions mais je n'y trouve rien d'extrêmement convaincant. Elles font des distinctions qui sont loin d'être claires et les résultats sont assez contra- dictoires. J'en viens à peu près à la même conclu sion que celle qu'a tirée la Cour des appels des douanes et des brevets dans l'affaire American International Reinsurance Co., Inc. v. Airco, Inc., 571 F.2d 941; 197 USPQ 69 (1978), à la page 71, la Cour a fait remarquer ce qui suit concernant le Lanham Act:
[TRADUCTION] Il apparaît évident qu'on n'a jamais tenté de définir «services» simplement en raison du nombre incalculable des services que l'esprit de l'homme est capable d'inventer. Il faudrait par le fait même que ce terme soit interprété de façon libérale. Vu ce qui précède, chaque cas doit être tranché en regard de ses faits propres, en tenant compte comme il convient des précédents.
Il faut également remarquer que certaines des décisions du bureau américain des brevets et mar- ques de commerce semblent énoncer la politique autant que le droit et semblent avoir, dans une certaine mesure, subi l'influence de l'historique de l'adoption du Lanham Act, qui n'a certes rien à voir avec l'interprétation de Loi sur les marques de commerce.
Puisque les avocats n'ont pu fournir plus de documentation utile ni offrir un principe théorique pour trancher cette question, je vais partir des principes de base en citant la définition que donne de «marque de commerce» l'article 2 de la Loi qui prévoit notamment qu'elle signifie
2....
a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou en vue de distinguer des marchandises frabriquées, vendues,
données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou de services loués ou exécutés, par d'autres,
La première condition d'une marque de commerce qui se rapporte à des services est donc qu'elle
«distingue ... des services . exécutés par [une personne] de services . exécutés par d'autres...» C'est par cette définition que la Loi vient s'appli- quer aux marques de commerce relatives à des services. À mon avis, rien dans cette définition ne suppose que les «services» à l'égard desquels est établie une marque de commerce se limitent à ceux qui ne sont pas «accessoires» à la vente de biens. Kraft a fait valoir qu'elle offre un service en ce qu'elle distribue en grande quantité et au hasard des bons de réduction à des consommateurs qui, grâce à ces bons, peuvent se procurer ses produits à un prix réduit. Je ne vois pas de raison de dire qu'il ne s'agit pas d'un service et je ne trouve rien dans la Loi qui oblige le registraire à rejeter la définition que donne Kraft de ses servi ces: «offrir des programmes de bons de réduction relativement à une gamme de produits alimentai- res».
Je crois qu'on ne peut proposer de règles ou de critères généraux pour décider quels services la Loi vise; mais j'ai accordé beaucoup d'importance au fait que le programme de bons de réduction en l'espèce n'est pas une condition usuelle d'un con- trat et n'est pas une chose que l'acheteur peut normalement s'attendre de recevoir avec l'achat de biens. Si c'était le cas, on pourrait bien le considé- rer comme faisant partie de la vente de «marchan- dises» de la requérante [appelante]. Mais je peux prendre connaissance d'office du fait qu'il n'y a pas pour la plupart des marchandises un pro gramme de bons qui offre des rabais à l'achat. Je crois par conséquent qu'une marque telle «Bread- winners» peut faire la distinction entre le pro gramme de bons de réduction et la vente des produits Kraft. Également, ce mot, en particulier lorsqu'il est associé avec la marque de commerce connue Kraft, peut distinguer ce programme de bons des programmes de bons des autres fabri- cants. Il me semble par conséquent que le pro gramme de bons de réduction soit un «service» dans le contexte de la définition de «marque de commerce» qu'on trouve à l'article 2.
En résumé, lorsqu'il n'y a pas de définition dans la Loi et en l'absence de jurisprudence applicable, je ne vois pas pourquoi le registraire devrait impo- ser une interprétation restrictive au terme «servi- ces» qui a été ajouté à la Loi sur les marques de commerce en 1953. Si la requérante [appelante] choisit d'offrir un programme de bons de réduction et d'employer une marque de commerce pour le distinguer de ses autres activités, je ne vois pas en quoi elle porte préjudice au public ou à ses concur- rents. Si c'était le cas, on n'en a pas fait la preuve devant moi. Si rien ne justifie une interprétation restrictive, je ne vois pas pourquoi la décision de la requérante [appelante] d'employer cette marque pour ce programme ne devrait pas être acceptée et protégée par l'enregistrement. En outre, je dois ajouter que je ne vois aucune logique à la phraséo- logie que, comme l'a indiqué l'examinateur, le bureau des marques de commerce serait disposé à envisager comme acceptable, savoir «des services de promotion des ventes dispensés aux supermar- chés et aux magasins de détail et qui offrent des programmes de bons de réduction relatifs à une gamme de produits alimentaires». Cela signifie, je suppose, que le bureau est disposé à considérer ce programme comme un service offert aux détail- lants mais non aux consommateurs. Cependant, si la raison principale du refus de l'enregistrement est que le programme de bons de réduction n'est pas un service parce qu'il est «accessoire» à la vente des produits de la requérante, je ne vois pas pour- quoi cette raison de refuser l'enregistrement ne serait plus valable si on dit qu'il s'agit d'un service offert uniquement aux détaillants.
En conséquence, j'accueille l'appel et j'infirme la décision du registraire portant que l'énoncé des services que la requérante [appelante] définit comme «offrir des programmes de bons de réduc- tion relativement à une gamme de produits alimen- taires» n'est pas une définition de services au sens de la Loi sur les marques de commerce et n'est par conséquent pas conforme à l'alinéa 29a) de cette Loi. L'affaire sera renvoyée au registraire pour qu'il en décide en tenant compte de ce qui précède.
Conformément à la pratique établie, il n'y aura pas d'adjudiction de dépens contre le registraire ou en sa faveur.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.