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A-239-81
Sa Majesté la Reine, sur plainte du sous-procu- reur général du Canada (demanderesse)(appe- lante)
c.
Shaklee Canada Inc. (défenderesse)(intimée)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Urie—Cal- gary, 15 et 16 avril; Ottawa, 9 mai 1985.
Coalitions Vente pyramidale Interprétation de l'art. 36.3(1)b) de la Loi Appel interjeté du jugement de la Division de première instance refusant de prononcer l'ordon- nance de prohibition prévue par l'art. 30(2) de la Loi L'intimée verse des primes aux superviseurs même s'ils ne font pas directement partie de la chaîne de ventes Le distribu- teur qui devient superviseur cesse de relever de son superviseur
original Le superviseur original touche des primes repré- sentant un pourcentage des ventes de l'ancien distributeur Le juge de première instance a conclu que les primes étaient payées relativement à des ventes aux consommateurs ou utili-
sateurs ultimes Appel accueilli Le système entre dans la description de l'art. 36.3(1)b) et n'est pas visé par les excep tions prévues aux sous-alinéas (i), (ii) et (iii) Le droit à la prime s'ouvre lorsque le superviseur passe sa commande à Shaklee, non au moment les consommateurs font leurs commandes aux distributeurs ni au moment les distribu- teurs passent leurs commandes aux superviseurs En outre, les ventes effectuées par le superviseur au distributeur ne relèvent pas de l'exception prévue à l'art. 36.3(I)b)(iii) puisque le distributeur possède un droit de participation ultérieure au système à la suite de la vente Le volume d'achat du distributeur entre en ligne de compte dans la détermination de l'admissibilité du distributeur aux fonctions de superviseur, qui donnent droit à des primes sur le volume d'achat de ceux qu'il pourra recruter N'est pas pertinent le fait que le mal auquel le Parlement a voulu remédier en adoptant l'art. 36.3(1)b)(iii), c.-à-d. que des adhérents du système se trouvent dans l'impossibilité de se défaire des produits qu'ils ont ache- tés, ne se rencontre pas en l'espèce pour la raison que l'intimée s'est engagée à racheter ces produits à des conditions raison- nables Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 30(2), 36.3(1)6) (édicté par S.C. 1974- 75-76, chap. 76, art. 18), (2) (édicté, idem).
Coalitions Redressements Ordonnance de prohibition L'art. 30(4) confère à la Cour d'appel le pouvoir de rendre l'ordonnance que la Division de première instance aurait
rendre Les systèmes de vente pyramidale qu'interdit l'art. 36.3(1)b) sont foncièrement déloyaux ou trompeurs Un système qui rattache un gain financier à des personnes plutôt qu'à des produits comporte le risque d'être trompeur puis- qu'un nombre toujours croissant de vendeurs chercheront à accaparer le même marché, ce qui réduira les chances de toucher les primes Le programme de vente de Shaklee contrevient à l'art. 36.3(1)6) et 36.3(2) La Cour serait justifiée de prononcer l'ordonnance de prohibition L'infrac- tion étant continue de par sa nature, l'ordonnance de prohibi tion sera plus efficace que la poursuite Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art.
30(2),(4), 36.3(1)b) (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 18), (2) (édicté, idem), (3) (édicté, idem), 44(4), 46(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 23) - Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions, S.R.C. 1927, chap. 26, art. 31 (mod. par S.C. 1952, chap. 39, art. 3).
Coalitions Ventes pyramidales autorisées par des lois provinciales - L'art. 36.3(4) prévoit que l'art. 36.3 ne s'appli- que pas aux systèmes de vente pyramidale autorisés, notam- ment par un permis, conformément à une loi provinciale - Examen de la législation de l'Alberta, de la Colombie-Britan- nique, du Québec et de la Saskatchewan - L'intimée n'a pas démontré qu'une province ou qu'un territoire a autorisé, notamment par un permis, les activités définies à l'art. 36.3(1) - Alberta Franchises Act, R.S.A. 1980, chap. F-17, art. 1(1)(m) - The Pyramid Distribution Act, R.S.B.C. 1979,
chap. 351 Loi sur la protection du consommateur du Québec, L.Q. 1978, chap. P-40, art. 234, 235 - Pyramid Franchises Act, R.S.S. 1978, chap. P-50, art. 2(g) - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 36.3(1) (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 18), (4) (édicté, idem).
Droit constitutionnel - Partage des pouvoirs Le Parle- ment, en vertu de sa compétence législative en matière de droit criminel, était justifié d'adopter l'art. 36.3(1)b) et 36.3(2) - L'art. 36.3(1)b) vise à protéger les membres du public en empêchant qu'ils n'investissent des efforts et de l'argent pour recruter des participants à un système trompeur de vente pyramidale dans l'espoir de réaliser plus tard des profits -
Examen de la jurisprudence L'art. 36.3 est de par sa nature une loi pénale et non un empiètement déguisé sur la compé- tence provinciale en matière de propriété et de droits civils Le mal public visé par l'article y est clairement indiqué - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1), art. 91(2),(27), 92(13),(16) - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 36.3(1)b) (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 18).
Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance refusant de prononcer l'ordonnance de prohibition demandée par l'appelante. La défenderesse exerce ses activités dans les dix provinces du Canada et dans les Territoires du Nord-Ouest. Le consommateur commande les produits d'un distributeur, qui achète les produits de son superviseur, qui lui-même achète les marchandises de l'intimée. Le profit réalisé par le distributeur correspond à la différence entre le prix d'achat qu'il a payé et le prix de vente qu'il a effectivement reçu. Le profit du superviseur est calculé en fonction d'un pourcentage de l'ensemble des ventes de ses distributeurs. Des primes sont également payées à des superviseurs qui ne font pas directement partie de la chaîne de ventes. La personne désirant adhérer au système Shaklee doit, pour devenir membre, être parrainée par un superviseur; elle devient ensuite un distribu- teur. Pour devenir superviseur, le distributeur doit amener d'autres personnes à adhérer au programme à titre de distribu- teurs et maintenir un certain niveau de ventes parmi ses recrues. L'ancien distributeur qui devient superviseur cesse de relever de son superviseur original. Pour compenser cette dimi nution de profit, le superviseur original touche des primes représentant un pourcentage des ventes de son ancien distribu- teur. Le juge de première instance a conclu que la prime était payée relativement à «des ventes ... aux consommateurs ou
utilisateurs ultimes» du produit et, en tant que telle, tombait dans l'exception prévue au sous-alinéa 36.3(I)b)(iii). Il en arrivait à cette conclusion à cause de la disposition de l'engage- ment qui permet au distributeur de rompre ses liens avec la défenderesse et d'exiger que celle-ci rachète le produit qui lui reste. Il a conclu qu'il y aurait toujours un élément du volume d'achat de chaque distributeur qui se rapportera à son stock, donnant ainsi à un superviseur un avantage relativement à des ventes qui ne sont pas des ventes aux consommateurs ultimes, mais il a ajouté qu'il ne s'agissait que d'une conséquence de la fixation d'une période de temps particulière pour le calcul de la prime. Le mal auquel l'alinéa 36.3(1)b) visait à remédier était l'impossibilité éventuelle de certains participants d'écouler un produit qu'ils avaient payé. Le système de la défenderesse ne contient rien de tel puisqu'elle s'est engagée à racheter ses produits à des conditions raisonnables.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli et une ordonnance de prohibition devrait être prononcée.
Le droit du superviseur à la prime ne s'ouvre pas au moment les consommateurs font leurs demandes aux distributeurs ni au moment les distributeurs passent leurs commandes aux superviseurs. Ce droit s'ouvre lorsque le superviseur passe sa commande à Shaklee. La vente qui donne lieu au versement de la prime est celle de Shaklee aux superviseurs de premier, deuxième et troisième degré. De telles ventes ne sont pas des ventes aux consommateurs ou utilisateurs ultimes visées par l'exception prévue au sous-alinéa 36.3(l)b)(iii). En outre, les ventes effectuées par les superviseurs aux distributeurs ne relèvent pas de ce sous-alinéa pour la raison que le distributeur conserve un «droit actuel ou éventuel de participation ultérieure au système» à la suite de ces ventes. Le juge de première instance a omis d'examiner l'effet de ces mots. Le volume d'achat des articles que le superviseur vend aux distributeurs fait partie du volume d'achat du distributeur et celui-ci se voit conférer un droit éventuel de participation au système étant donné qu'il est tenu compte de ce volume d'achat pour détermi- ner l'admissibilité du distributeur aux fonctions de superviseur, celles-ci lui donnant un droit éventuel à une prime calculée sur le volume d'achat des superviseurs qu'il pourra recruter. En prenant sa décision, le juge de première instance a considéré le mal auquel le Parlement avait voulu remédier par l'adoption du sous-alinéa 36.3(1)b)(iii). Cette question n'est pas pertinente étant donné que le système en question tombe manifestement sous le coup de l'interdiction prévue à l'alinéa 36.3( 1)b) et n'est visé par aucune des exceptions énumérées aux sous-alinéas (i), (ii) ou (iii).
La Cour d'appel, conformément au pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 30(4) de rendre toute ordonnance que la Division de première instance aurait rendre, est justifiée de prononcer l'ordonnance de prohibition. Les systè- mes de vente pyramidale que vise l'alinéa 36.3(1)b) sont des pratiques foncièrement trompeuses. Un système qui rattache un gain financier à des personnes plutôt qu'à des produits com- porte le risque d'être trompeur et déloyal puisqu'il en résultera qu'un nombre toujours croissant de vendeurs du même produit chercheront à accaparer le même marché. Les chances de toucher les primes promises en seront diminuées. Le pro gramme de ventes Shaklee entre dans la description contenue à l'alinéa 36.3(1)b). En vertu du paragraphe 44(4), le procureur général aurait pu procéder par voie de plainte et demander une ordonnance de prohibition ou procéder par voie de poursuite
sous le régime du paragraphe 36.3(3). Il ne pouvait cumuler les deux recours. L'infraction étant de nature continue, une ordon- nance de prohibition réglera le problème de façon plus efficace qu'une poursuite.
L'intimée prétend que le paragraphe 36.3(4), qui déclare que les systèmes de vente pyramidale autorisés, notamment par un permis, conformément à une loi provinciale sont soustraits à l'application des dispositions de l'article 36.3, écarte l'applica- tion de cet article au programme de vente Shaklee. L'intimée prétend que si une province autorise, notamment par permis, l'existence du programme de vente à domicile de Shaklee, il s'ensuit que ce programme peut être mis en oeuvre partout au Canada sans contrevenir à l'article 36.3 de la Loi. L'intimée n'a toutefois pas démontré qu'une province ou un Territoire ait autorisé, par permis ou autrement, les activités définies au paragraphe 36.3(1). La portée du paragraphe 36.3(4) doit être restreinte aux méthodes qualifiées de systèmes de vente pyrami- dale par le paragraphe 36.3(1). A l'époque la plainte a été portée, seuls l'Alberta, la Saskatchewan, la Colombie-Britanni- que et le Québec avaient adopté des lois portant sur les ventes pyramidales. 11 ressortmanifestement de la définition de l'ex- pression «pyramid sales franchise« (franchise de ventes pyrami- dales) au paragraphe 1(1)(m) de la Franchises Act de l'Alberta que le texte de loi de l'Alberta ne vise pas les pratiques décrites au paragraphe 36.3(1). Il a été admis que le système Shaklee ne tombe pas sous le régime de la loi de la Colombie-Britanni- que. La Loi sur la protection du consommateur du Québec interdit de façon absolue les ventes pyramidales. La définition de l'expression «pyramid franchise. (franchise de ventes pyra- midales) contenue à la Pyramid Franchises Act de la Saska- tchewan révèle que le type de système que vise cette Loi comporte comme condition préalable l'obligation de payer des droits de franchise ou d'acheter des biens. Or, étant donné que le paragraphe 36.3(1) n'impose ni l'une ni l'autre de ces conditions à titre d'exigence essentielle, le système de ventes pyramidales autorisé par la Loi de la Saskatchewan est diffé- rent de celui qui est visé par le paragraphe 36.3(1) et n'englobe pas le système Shaklee.
L'intimée prétend que son entreprise, étant régie par des contrats sous seing privé, se rapporte à la propriété et aux droits civils, est une matière d'une nature purement locale ou privée et relève par conséquent de la compétence exclusive des provinces. L'appelante soutient que l'alinéa 36.3(1)b) et le paragraphe 36.3(2) ont été validement adoptés en vertu du pouvoir qu'a le Parlement fédéral de légiférer en matière criminelle. L'article 36.3 est «de par sa nature» une disposition pénale et non un «empiètement déguisé sur la compétence provinciale en matière de propriété et des droits civils». Le mal public qu'il vise y est clairement indiqué. Selon la jurisprudence, la compétence en matière de droit criminel justifie l'adoption de cet article. Dans l'arrêt Russell v. Reg. (1882), 7 App. Cas. 829 (P.C.), il a été déclaré que [TRADUCTION] «Les lois ... destinées à favoriser l'ordre ... publics, et rendant les contrevenants passibles de poursuite au criminel ... sont du domaine des méfaits publics plutôt que de celui des droits civils ... et se rattachent directe- ment au droit criminel.» Dans l'arrêt Proprietary Articles Trade Association v. Attorney -General for Canada, [1931] A.C. 310, le Conseil privé a conclu que le Parlement avait validement exercé sa compétence en matière pénale en rendant criminelles des coalitions qu'il entendait prohiber dans l'intérêt public lorsque les coalitions interdites s'exerçaient au détriment du public. Le juge Rand, dans l'arrêt Reference re Validity of
Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. I, a conclu qu'une cour est justifiée de rechercher une situation contre laquelle le législateur veut lutter, parce qu'elle s'oppose à l'intérêt public. Cette situation peut concerner les intérêts relevant du domaine social, économique ou politique. Le juge Dickson (tel était alors son titre) a déclaré dans l'arrêt Procu- reur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autres, [1983] 2 R.C.S 206; 3 D.L.R. (4th) 16, que l'histoire démontre que les lois canadiennes contre les coalitions relèvent traditionnellement du droit criminel. L'intimée prétend que l'article 36.3 ne comporte pas les caractéristiques d'une disposition pénale et que la réglementation de cette activité relève de la compétence provinciale. La jurisprudence n'étaye pas cette prétention. Dans l'arrêt Attorney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada, [ 1937] A.C. 368, le Conseil privé a statué que [TRADUCTION] «La seule limita tion des pouvoirs pléniers du Dominion dans la détermination de ce qui sera criminel ou non, c'est la condition que le Parlement ne doit pas, sous le couvert de légiférer réellement et essentiellement en matière criminelle, légiférer de façon à empiéter sur toute catégorie de sujets énumérés à l'art. 92.i Le fait que cette législation y porte atteinte en fait ne constitue pas une objection.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Goodyear Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The Queen, [1956] R.C.S. 303; Russell v. Reg. (1882), 7 App. Cas. 829 (P.C.); Proprietary Articles Trade Association v. Attorney -General for Canada, [1931] A.C. 310 (P.C.); Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. I, confirmé (sub nom. Canadian Federation of Agriculture v. Attorney - General for Quebec, (Renvoi sur la margarine) [1951] 1 A.C. 179 (P.C.)); Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autres, [1983] 2 R.C.S. 206; 3 D.L.R. (4th) 16; Attorney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 368 (P.C.); R. v. Perfection Creameries Ltd., [1939] 3 D.L.R. 185 (C.A. Man.); R. v. Standard Meats Ltd. (1973), 13 C.C.C. (2d) 194 (C.A. Sask.).
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada et autres c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307; 137 D.L.R. (3d) 1.
AVOCATS:
Ingrid Hutton, c.r. pour la demanderesse (appelante).
John Sproat et Judson Whiteside pour la défenderesse (intimée).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse (appelante).
Miller, Thomson, Sidgewick, Lewis & Healy, Toronto, pour la défenderesse (intimée).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: L'appelante interjette appel du jugement par lequel la Division de première instance [[1981] 2 C.F. 730] a refusé de prononcer l'ordonnance de prohibition prévue par le paragra- phe 30(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, (la Loi). Dans la plainte qu'elle a déposée, l'appelante allè- gue que l'intimée a, entre le 20 août 1977 et le 25 septembre 1980, en la ville d'Edmonton, en Alberta et ailleurs au Canada, incité ou invité des personnes à participer à un système de vente pyra- midale, en violation du paragraphe 36.3(2) [édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 18] de la Loi. A titre de mesure de redressement, l'appelante demandait à la Cour de rendre l'ordonnance visée au paragraphe 30(2) de la Loi pour interdire à l'intimée, à ses administrateurs, dirigeants, prépo- sés, mandataires, distributeurs, superviseurs et coordinateurs d'accomplir tout acte ou toute chose constituant une infraction ou tendant à la perpé- tration d'une infraction visée au paragraphe 36.3(2) de la Loi, en incitant ou invitant toute autre personne à participer à un système de vente pyramidale.
La preuve produite en Division de première instance consiste exclusivement en un exposé con joint des faits (aux pages 5 à 140 inclusivement du dossier d'appel). À l'ouverture de l'audition de l'appel, la Cour a, avec le consentement des deux parties, reçu en preuve un exposé conjoint des faits supplémentaire, conformément à la Règle 1102 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Cet exposé complémentaire visait à mettre à jour les faits énoncés dans l'exposé conjoint des faits original, car plus de quatre ans s'étaient écoulés depuis le dépôt de l'exposé original. Le juge de première instance a exposé en détail le système dont l'intimée se servait pour vendre ses produits. Il ne m'est donc pas nécessaire de les répéter, et il suffira que je récapitule en bref les faits de l'espèce.
La défenderesse, une filiale à part entière d'une société américaine, a été constituée en Alberta et exerce ses activités dans les dix provinces du Canada et dans les Territoires du Nord-Ouest. La commercialisation des produits Shaklee (qui com- prennent notamment des suppléments alimentai-
res, des appareils de nettoyage ménagers et des produits de beauté) se fait par voie de ventes à domicile. Règle générale, le distributeur prend la commande du consommateur pour commander ensuite les produits par l'entremise de son supervi- seur, qui les obtient de l'intimée. Le superviseur achète donc les produits demandés de l'intimée et les vend au distributeur qui, à son tour, se fait payer par le consommateur. Le profit réalisé par le distributeur correspond à la différence entre le prix d'achat qu'il a payé et le prix de vente qu'il a effectivement reçu. Le distributeur doit nécessaire- ment acheter les produits Shaklee de son supervi- seur; il ne peut les acheter directement de l'inti- mée. Le distributeur achète les produits à un prix réduit qui correspond au prix de détail conseillé diminué d'une remise moyenne de 33 %. Le distri- buteur dont le volume d'achat personnel atteint 150 $ dans un mois donné reçoit une prime. Le profit du superviseur est calculé en fonction d'un pourcentage calculé sur l'ensemble des ventes de tous ses distributeurs. (Un superviseur peut égale- ment réaliser un profit à partir de ses propres ventes à domicile.) Le total des ventes est désigné sous le nom de «volume d'achat» ou VA.
Différentes primes sont versées aux distributeurs et aux superviseurs en fonction des volumes des ventes. Ces primes ne font pas l'objet de l'infrac- tion reprochée. Celle-ci concerne plutôt les primes versées aux superviseurs qui ne font pas directe- ment partie de la chaîne de ventes. Le juge de première instance explique et illustre bien la
«chaîne de patronage» aux pages 145 148 du dossier d'appel [aux pages 733 et s. C.F.]. Voici, en résumé, comment fonctionne le système: La personne qui désire adhérer au système Shaklee doit d'abord être parrainée par un superviseur et, une fois acceptée, elle devient un distributeur. Pour devenir superviseur, le distributeur doit amener d'autres personnes à adhérer au pro gramme à titre de distributeurs et maintenir un certain niveau de ventes parmi ses recrues.
L'ancien distributeur qui devient superviseur cesse de relever de son superviseur original. Dès lors, le superviseur original ne fait plus partie de la chaîne des ventes de l'ancien distributeur. Il n'ac- cepte plus de commandes de son ancien distribu- teur et ne lui vend plus de produits. Étant donné que le profit du superviseur original est calculé à
partir du total des ventes de ses distributeurs, la disparition d'un distributeur de la chaîne du super- viseur se répercutera nécessairement sur le profit de ce dernier. Pour compenser cette diminution de profit, le superviseur original touche des primes qui varient entre 1 % et 6 % des ventes de ses anciens distributeurs. (Cette prime est calculée de façon à inclure également tous les distributeurs de l'ancien distributeur.) L'infraction que l'intimée aurait commise concerne ces primes. En effet, le superviseur original touche ces primes bien qu'il soit étranger aux commandes et à l'achat des produits et qu'il ne joue aucun autre rôle, sauf peut-être un rôle de surveillance, dans les ventes réalisées par l'ancien distributeur. En devenant distributeur, la personne intéressée est tenue d'acheter de son parrain un «Earnings Opportunity Kit» pour 12,50 $. Le contrat de distribution peut être résilié tant par le distributeur que par l'inti- mée. S'il est annulé dans les deux premiers mois, le «Earnings Opportunity Kit» peut être retourné à Shaklee qui rembourse intégralement le prix d'achat de 12,50 $. Tous les produits que le distri- buteur achète de Shaklee peuvent, dans le cas de résiliation, être retournés pour remboursement, lequel est de 90 % ou de 100 % selon que c'est le distributeur ou l'intimée qui met fin au contrat. Les distributeurs ne sont pas tenus de garder un stock disponible ni de verser des droits de partici pation pour adhérer au système.
La raison déterminante de la décision du juge de première instance est citée aux pages 148 et 149 du dossier d'appel [aux pages 737 739 C.F.]. En voici le texte:
Il n'est pas inutile de rappeler la définition de l'alinéa 36.3(1)b):
36.3 (1) ... «système de vente pyramidale» désigne
b) un système de vente ou de location d'un produit suivant lequel une personne vend ou loue un produit à une autre personne (la «seconde» personne) qui se voit conférer le droit de recevoir un rabais, une commission ou un autre avantage relativement à des ventes ou des locations du même produit ou d'un autre produit, qui ne sont pas
(i) des ventes ou des locations à la seconde personne,
(ii) des ventes ou des locations effectuées par la seconde personne, ni
(iii) des ventes ou des locations aux consommateurs ou utilisateurs ultimes du même produit ou de l'autre produit auxquelles ne s'attache aucun droit actuel ou éventuel de participation ultérieure au système.
Le scénario le plus simple, le plan de gratification spéciale appliqué à un superviseur ayant un superviseur de premier degré dans son groupe de parrainage, implique la vente d'un produit par une personne, la défenderesse, à une autre personne (la «seconde» personne), le superviseur. Il implique également que la seconde personne, le superviseur, se voit conférer «le droit de recevoir un ... avantage relativement à des ventes ... d'un autre produit, qui ne sont pas (i) des ventes ... à la» ni «(ii) des ventes ... effectuées par» le superviseur. Il semble toutefois que, indépendamment des ventes intermédiaires par le superviseur de premier degré à des distributeurs et par un distributeur à un autre, la prime est, en dernière analyse, payée relativement à «des ventes ... aux consommateurs ou utilisa- teurs ultimes» de cet autre produit et, en tant que telle, elle tombe dans l'exception prévue au sous-alinéa (iii).
J'en arrive à cette conclusion à cause de l'engagement qui lie chaque distributeur à la défenderesse et qui permet au distribu- teur de rompre ses liens avec la défenderesse à la fin de n'importe quel mois et d'exiger que celle-ci rachète les produits qui lui restent pour un prix non inférieur à 90% de celui qu'il a payé. Tant qu'un distributeur participe au programme, il est possible et même probable qu'il existe, de temps à autre, un élément de son VA personnel qui se rapporte à son stock et qui, en même temps, se reflète dans le VA de groupe. Strictement parlant, un superviseur ayant droit de recevoir une prime spéciale sur le VA de groupe de son superviseur de premier degré contenant ces éléments de VA personnel aurait le «droit de recevoir un ... avantage relativement à des ventes ... d'un autre produit, qui ne sont pas ... des ventes ... aux consomma- teurs ... ultimes», au sens du sous-alinéa 36.3(I)b)(iii). Il ne s'agit toutefois que d'une conséquence inévitable de la néces- sité de fixer une période de temps particulière pour le calcul de la prime. Il reste que le plan prévoit une base raisonnable de liquidation du stock du distributeur. Ainsi, tout compte fait, le VA personnel d'un distributeur, pendant la durée de sa partici pation au plan, est une somme qui a trait seulement à des produits vendus à quelqu'un qui est étranger au plan ou retenus pour son usage personnel. Dans les deux cas, la vente du produit qui donne lieu au VA de groupe sur lequel est fondée la prime spéciale est une vente à un «utilisateur ou consommateur ultime» au sens du sous-alinéa 36.3(1)b)(iii).
Si l'on s'en réfère uniquement au système de vente pyrami- dale défini par l'alinéa 36.3(1)b), il semble que ce que le Parlement a voulu éviter, c'est que des participants à un tel plan se trouvent, ayant acheté des produits, privés de la possibi- lité d'en disposer. C'est ce que vise le sous-alinéa 36.3(I)b)(iii). Or, le plan de la défenderesse ne contient rien de tel puisqu'elle s'est engagée à racheter ces produits à des conditions raisonna- bles. Je trouve dès lors inutile de me pencher sur les autres arguments avancés par les parties.
Pour ce qui est des autres primes spéciales prévues par le plan, ce raisonnement s'applique mutatis mutandis et le résul- tat est le même. La défenderesse pourra demander à la Cour de rendre un jugement sur la base de ces motifs.
Interprétation de l'alinéa 36.3(1 )b) de la Loi
L'appelante allègue que le juge de première instance a commis plusieurs erreurs en interpré-
tant l'alinéa 36.3(1)b)- [édicté par S.C. 1974- 75-76, chap. 76, art. 18].
Il aurait d'abord mal interprété les mots «... relativement à des ventes ... du ... produit ... qui ne sont pas ... (iii) des ventes ... aux consomma- teurs ou utilisateurs ultimes du ... produit ...» et aurait donc enlevé à ces mots toute leur significa tion, ce qui aurait eu pour effet de rendre l'alinéa 36.3(1)b) inopérant. Cette erreur d'interprétation l'aurait amené à conclure à tort que les primes versées par Shaklee à une «seconde personne» (un superviseur, par exemple) sur la base du chiffre mensuel du VA atteint par les superviseurs de premier, deuxième et troisième degrés de la «seconde personne» et leur groupe de ventes respec- tif concernaient des «ventes ... aux consomma- teurs ou utilisateurs ultimes du ... produit ...». L'appelante prétend que ce n'est pas parce que le montant de la prime est déterminé en fonction du «VA» des articles qui sont ultimement vendus aux consommateurs qu'il faut nécessairement en con- clure que la vente à l'égard de laquelle la prime est versée est une vente à un utilisateur ultime. Autre- ment dit, l'appelante prétend que l'alinéa 36.3(1)b) interdit les ventes internes entre les par ticipants au programme lorsque celui qui touche la prime n'est ni le vendeur ni l'acheteur. Pour déter- miner la valeur de cet argument, il est utile d'exa- miner le «scénario le plus simple» élaboré par le juge de première instance dans le passage précité, c'est-à-dire, l'application du plan de gratification spéciale à un superviseur ayant un superviseur de premier degré dans son groupe de parrainage. L'intimée vend le produit à une autre personne (la «seconde personne»), le superviseur. Suivant le sys- tème de l'intimée, le superviseur se voit conférer le droit de recevoir une prime spéciale de 6 % du VA du groupe du premier superviseur nommé à la tête de chacune de ses lignes de patronage. Il en va de même pour les primes de 3 % et 1 %. Le VA du groupe de chaque superviseur n'est établi qu'une fois que le superviseur a passé sa commande à l'intimée: le superviseur crée le VA du groupe en passant ses propres commandes. Le superviseur commande nécessairement ses produits pour l'une des fins suivantes: a) son usage personnel; b) pour ses propres ventes au détail; ou c) pour acheter les produits dont ses distributeurs ont besoin pour la revente.
Le droit du superviseur à la prime ne s'ouvre pas au moment les consommateurs font leurs com- mandes aux distributeurs ni au moment les distributeurs passent leurs commandes aux super- viseurs. Ce droit ne s'ouvre que lorsque le supervi- seur passe sa commande à Shaklee. Il semble donc évident que la vente qui donne lieu au versement de la prime est celle de Shaklee aux superviseurs de premier, deuxième et troisième degrés. Je suis par conséquent d'accord avec l'avocat de l'appe- lante pour dire que les ventes de Shaklee aux superviseurs de premier, deuxième et troisième degrés ne sont pas des ventes «aux consommateurs ou utilisateurs ultimes ...» visées par l'exception prévue au sous-alinéa 36.3(1 )b)(iii).
J'estime en outre, à l'instar de l'appelante, que les ventes effectuées par les superviseurs aux distri- buteurs selon le système Shaklee et dont nous avons déjà parlé ne relèvent pas de l'exception prévue au sous-alinéa (iii) de l'alinéa 36.3(1)b), parce que le distributeur qui achète un produit de son superviseur conserve un «... droit actuel ou éventuel de participation ultérieure au système...» à la suite de cette vente. Le VA des articles que le superviseur vend aux distributeurs fait partie du VA du distributeur et celui-ci se voit conférer un droit éventuel de participation au système étant donné qu'il est tenu compte de ce VA pour déter- miner l'admissibilité du distributeur aux fonctions de superviseur, celles-ci lui donnant un droit éven- tuel aux primes de 6%, 3% et 1 % calculées sur le VA des superviseurs qu'il pourra recruter. Ainsi que l'a fait observer l'avocat de l'appelante, il semble que le juge de première instance a omis d'examiner l'effet de la dernière partie du sous-ali- néa (iii) de l'alinéa 36.3(1)b) sur la partie du système Shaklee qui est contesté en l'espèce. Je fais allusion à l'expression «auxquelles ne s'attache aucun droit actuel ou éventuel de participation ultérieure au système». J'en suis venu à la conclu sion qu'il avait omis d'examiner la portée de ce passage car il ne fait pas mention de cette partie du sous-alinéa (iii) et que, pour les motifs déjà exposés, il ressort manifestement des faits admis de la présente espèce que le système conférait aux distributeurs un droit éventuel de participation ultérieure.
Les motifs du juge de première instance permet- tent de croire qu'il a conclu que le sous-alinéa
36.3(1)b)(iii) ne s'appliquait pas à l'espèce parce qu'en adoptant cette disposition, le Parlement visait notamment à éviter aux adhérents du sys- tème une cause de se trouver dans l'impossibilité de se défaire des produits qu'ils ont acheté, situa tion fâcheuse que le système de l'intimée ne peut entraîner puisqu'elle s'est engagée à racheter ces produits à des conditions raisonnables. En toute déférence, je ne puis convenir que cela suffise à soustraire le système en question à l'application de l'alinéa 36.3(1)b), si la preuve démontre qu'il tombe manifestement sous le coup de l'interdiction que prévoit cet alinéa et s'il n'est pas visé par aucune des exceptions énumérées aux sous-alinéas (i), (ii) et (iii) de l'alinéa 36.3(1)b). Pour les motifs que j'ai déjà exposés, j'estime que la partie du système Shaklee qui est attaquée n'est pas visée par les paragraphes (i), (ii) ou (iii). J'estime par contre qu'elle tombe sous le coup de l'interdiction générale formulée à l'alinéa 36.3(1)b). C'est pour- quoi l'engagement que prend l'intimée de racheter les produits, éliminant ainsi la possibilité du «sur- stockage», n'est pas un fait pertinent dès lors qu'il s'agit de déterminer si l'intimée a contrevenu aux dispositions des alinéas 36.3(1)b) et 36.3(2) de la Loi. Par ces motifs, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne statuant pas, suivant les faits de l'espèce, que l'intimée avait contrevenu aux dispositions du paragraphe 36.3(2) de la Loi, suivant les alléga- tions de la plainte (dossier d'appel, pages 1 et 2).
Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de prononcer une ordonnance de prohibition
Voici le libellé de la partie du paragraphe 30(4) de la Loi qui nous intéresse:
30....
(4) Lorsque la cour d'appel ... permet un appel, elle peut annuler toute ordonnance rendue par la cour d'où l'appel est interjeté et peut rendre toute ordonnance qu'à son avis la cour d'où l'appel est interjeté aurait pu ou aurait rendre. [C'est moi qui souligne.]
Le pouvoir que détient la Division de première instance de notre Cour dans les procédures de ce genre est précisé au paragraphe 30(2) de la Loi. Voici le libellé de la partie de ce paragraphe qui nous intéresse:
30....
(2) Lorsqu'il apparaît, à une cour supérieure de juridiction criminelle dans des procédures commencées au moyen d'une plainte du procureur général du Canada ... aux fins du présent article, qu'une personne a accompli, est sur le point d'accomplir ou semble devoir accomplir un acte ou une chose constituant une infraction visée par la Partie V, ou tendant à la perpétra- tion d'une telle infraction, la cour peut interdire la perpétration de cette infraction ou l'accomplissement ou la continuation, par cette personne ou toute autre, d'un acte ou chose constituant une telle infraction ou tendant à sa perpétration, ... [C'est moi qui souligne.]
L'appelante prétend que la Division de première instance aurait exercer le pouvoir discrétion- naire que lui confère le paragraphe 30(2) précité pour prononcer une ordonnance de prohibition conforme à celle que l'appelante demandait dans sa plainte (les parties ne contestent pas que le paragraphe 30(2) donne à la Division de première instance compétence pour agir). Je conviens que la Division de première instance a compétence, puis- que le paragraphe 46(1) [mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 76, art. 23] de la Loi dispose notam- ment que le procureur général du Canada peut entamer et diriger toutes poursuites ou autres pro- cédures prévues par l'article 30 devant la Division de première instance. Ce paragraphe dispose en outre que, aux fins de ces procédures, la Division de première instance «possède tous les pouvoirs et toute la juridiction d'une cour supérieure de juri- diction criminelle selon le Code criminel et selon la présente loi».)
L'appelante prétend en outre que la Cour devrait, en vertu des pouvoirs que lui confère le paragraphe 30(4) précité, rendre l'ordonnance de prohibition que la Division de première instance aurait rendre dans les circonstances. Tout en reconnaissant que le prononcé d'une ordonnance de prohibition sur le fondement du paragraphe 30(2) est une mesure discrétionnaire, l'avocate de l'appelante énumère un certain nombre de faits qui, selon elle, militent fortement en faveur de la délivrance d'une ordonnance de prohibition en l'es- pèce. On peut les résumer comme suit:
a) Les systèmes de vente pyramidale que vise l'alinéa 36.3(1)b) sont des pratiques foncièrement
trompeuses. En vertu de ce système, les ventes sont effectuées en fonction d'une progression géométri- que qui conduit très vite à une saturation du marché; chaque distributeur entre rapidement en concurrence avec les distributeurs qu'il parraine, non seulement pour obtenir la clientèle du consom- mateur ultime mais également pour recruter de nouveaux distributeurs. Suivant l'avocate de l'ap- pelante, il en résulte que, en règle générale, seuls les premiers adhérents au système ont la possibilité de toucher les primes applicables aux ventes faites aux recrues des recrues ou par elles, peu importe le marché considéré. Les derniers adhérents au sys- tème investissent leur temps, leurs efforts et leur argent à une étape la possibilité de toucher les primes promises ne saurait réellement exister. Pour cette raison, elle prétend que les systèmes visés par l'alinéa 36.3(1)b) sont foncièrement trompeurs. Puisque le système Shaklee est visé par l'alinéa 36.3(1)b), l'appelante prétend que les commentai- res susmentionnés s'appliquent à ce système.
b) Le système Shaklee existe depuis le mois d'août 1977 et il est fort probable qu'il continuera d'exister à moins qu'on y mette un frein. Le sys- tème a beaucoup de succès, du moins pour l'inti- mée. Il y a en ce moment au Canada environ 77,000 distributeurs. De ce nombre, 10,000 s'occu- pent activement de la vente des produits Shaklee, environ 20,000 vendent des produits Shaklee à temps partiel, environ 20,000 autres achètent des produits Shaklee principalement pour leurs besoins personnels et environ 27,000 sont inactifs et ne vendent pas présentement de produits Shaklee.
c) Les prétentions énoncées dans le programme de vente de Shaklee relativement à la possibilité de toucher des primes à la suite des ventes effectuées parmi les participants du système constituent un aspect important de la technique de recrutement. Suivant l'appelante, les faits démontrent que le système n'a répondu à l'attente que d'un nombre relativement restreint des 77,000 distributeurs qui y ont adhéré et que les recettes moyennes réalisées par ceux qui ont reçu la prime étaient de beaucoup inférieures à ce que le programme de vente de Shaklee laissait entrevoir.
d) Suivant l'argument de l'appelante, l'intimée a bénéficié de son offre de primes trompeuse, puis- que quelque 77,000 distributeurs ont adhéré à son système et ont probablement acheté suffisamment
de ses produits pour se familiariser avec eux et pour commencer à les vendre.
Comme l'avocate de l'appelante, j'estime que les systèmes de vente pyramidale prohibés par l'alinéa 36.3(1)b) sont intrinsèquement déloyaux ou trom- peurs, pour les motifs déjà avancés. Un système qui rattache un gain financier à des personnes plutôt qu'à des produits comporte le risque possible d'être trompeur et déloyal puisque, si le système réussit, il en résultera inévitablement qu'un nombre toujours croissant de vendeurs du même produit chercheront à accaparer le même marché. Les chances de toucher les primes promises s'en trouveront presque certainement réduites d'autant.
Pour tous les motifs précités, et parce que j'en suis venu à la conclusion que, par sa conduite, l'intimée a contrevenu à alinéa 36.3(1)b) et au paragraphe (2) de la Loi, commettant de la sorte une infraction en vertu du paragraphe 36.3(3) de la Loi [édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 18], j'ai la conviction que, en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 30(4), la Cour serait justifiée à prononcer l'ordon- nance de prohibition demandée par l'appelante en Division de première instance. Il y a lieu de remar- quer que le paragraphe (2) de l'article 36.3 inter- dit l'existence du système en question puisqu'il dispose que: «Nul ne doit inciter ou inviter une autre personne à participer à un système de vente pyramidale». Voici le libellé du paragraphe (3) de l'article 36.3:
36.3.. .
(3) Quiconque contrevient au paragraphe (2) est coupable d'une infraction et passible,
a) après déclaration de culpabilité à la suite d'une mise en accusation, d'une amende à la discrétion du tribunal ou d'un emprisonnement de cinq ans, ou de l'une et de l'autre peine; ou
b) après déclaration sommaire de culpabilité, d'une amende de vingt-cinq mille dollars ou d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une et l'autre peine.
Par conséquent, il semble que le procureur géné- ral du Canada dispose, en l'espèce, de deux voies de recours. Il peut, comme il l'a fait, procéder par voie de plainte et demander une ordonnance de prohibition; il aurait également pu procéder par voie de poursuite sous le régime du paragraphe 36.3(3). Il ne pourrait toutefois pas cumuler les deux recours. Je fais cette précision en raison des
dispositions du paragraphe 44(4) de la Loi, dont le passage qui nous intéresse est libellé comme suit:
44. ...
(4) Lorsque le paragraphe 30(2) s'applique, le procureur général du Canada ... peut, à sa discrétion, procéder soit au moyen d'une plainte selon ledit paragraphe, soit au moyen d'une poursuite.
La Cour suprême du Canada s'est penchée sur une situation semblable dans l'affaire Goodyear Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The Queen, [1956] R.C.S. 303. Dans cette affaire, la Cour examinait la validité de l'article 31 de la Loi des enquêtes sur les coalitions de 1952 [S.R.C. 1927, chap. 26, mod. par S.C. 1952, chap. 39, art. 3] qui donnait à la Cour, en sus de son pouvoir d'infliger toute autre peine à la personne déclarée coupable, le pouvoir d'interdire la conti nuation ou la répétition de l'infraction dont la personne avait été déclarée coupable. Les appelan- tes s'étaient reconnues coupables à la suite d'une accusation de complot porté contre elles en vertu du Code criminel [S.R.C. 1927, chap. 36] et avaient été condamnées à une amende. Le juge de première instance avait ordonné la délivrance d'une ordonnance de prohibition en vertu de l'arti- cle 31. La Cour suprême du Canada a statué que la partie de l'article 31 sur laquelle le juge de première instance s'appuyait était intra vires. Voici ce que déclare le juge Rand aux pages 311 et 312 du recueil:
[TRADUCTION] Le recours à l'injonction et à la peine pour désobéissance s'explique sans aucun doute par l'expérience de ce genre d'infractions. Le fardeau de prouver la coalition et son mode de fonctionnement est une tâche qui, pour des raisons évidentes, est compliquée et demande beaucoup de temps, et le recours à la déclaration de culpabilité et à l'amende comme mode de sanction semble donner lieu à un état de choses se rapprochant sensiblement d'une tolérance périodique de l'illé- galité. L'impossibilité de rendre ces sanctions plus efficaces et de permettre qu'une infraction qui, de par sa nature, est continue, puisse relever du droit pénal par le biais d'une injonction qui en faciliterait la répression reviendrait en quel- que sorte à permettre au désordre avoué de faire échec à la volonté du législateur.
À mon avis, cette citation définit clairement la raison d'être de l'article 31 de la Loi de 1952 et du paragraphe 30(2) de la Loi actuelle. L'ordonnance de prohibition visée et autorisée par le paragraphe 30(2) sied mieux à ce genre d'infractions qui, de par leur nature, sont continues. Voilà un motif sérieux de plus qui explique pourquoi la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et
rendre une ordonnance de prohibition en vertu de ce paragraphe.
L'applicabilité du paragraphe 36.3(4) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
Voici le libellé du paragraphe (4) de l'article 36.3:
36.3.. .
(4) Le présent article ne s'applique pas aux systèmes de vente pyramidale autorisés, notamment par un permis, conformément à une loi provinciale.
L'avocat de l'intimée prétend que même si le système Shaklee est un système de «vente pyrami- dale» au sens du paragraphe 36.3(1), le paragra- phe (4) précité rend l'article 36.3 inapplicable au système incriminé. A son avis, le paragraphe 36.3(4) a pour effet de rendre inapplicable à l'inti- mée l'article 36.3 partout au Canada s'il est démontré que celle-ci est «autorisée, notamment par un permis» à exploiter son entreprise «confor- mément à une loi provinciale» dans l'une ou l'autre des provinces du Canada. Autrement dit, l'intimée prétend que si une province autorise ou permet l'existence du programme de vente à domicile de Shaklee, il s'ensuit que ce programme peut être utilisé partout au Canada, sans contrevenir à l'arti- cle 36.3 de la Loi. Il semble évident que la portée du paragraphe (4) doit être restreinte aux métho- des qualifiées par le paragraphe (1) de l'article 36.3 de systèmes de vente pyramidale. Par consé- quent, à moins que la législation provinciale traite des pratiques définies au paragraphe 36.3(1), on ne saurait dire qu'elle autorise, notamment par un permis, l'existence d'un système de vente pyrami- dale au sens du paragraphe 36.3(4). A l'époque la plainte a été portée, seulement quatre provinces (l'Alberta, la Saskatchewan, la Colombie-Britan- nique et le Québec) avaient adopté des lois portant sur les ventes pyramidales. Les permis délivrés à l'intimée dans les autres provinces et dans les Territoires du Nord-Ouest ne lui permettent pas et ne prétendent pas lui permettre de mettre sur pied des systèmes de vente pyramidale et n'ont pas été délivrés en application de lois qui concerneraient cette technique. Dans la plupart des provinces en question, les permis concernent la vente à domicile ou le droit de percevoir la taxe de vente au détail. Il n'existe pas de loi dans ces provinces ou dans les Territoires qui «autorise, notamment par un
permis» l'exploitation d'un système de vente pyra- midale. Cela m'amène à examiner les textes légis- latifs pertinents de l'Alberta, de la Colombie-Bri- tannique, de la Saskatchewan et du Québec. Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimée a, si j'ai bien compris, admis qu'il ressortait manifestement de la définition de l'expression «pyramid sales fran chise» (franchise de ventes pyramidales) au para- graphe 1(1) (m) de la Franchises Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, chap. F-17, que le texte de loi de l'Alberta ne visait pas les pratiques visées par le paragraphe 36.3(1), puisque la loi albertaine pré- voit que les franchises de ventes pyramidales visées par la loi doivent obliger les adhérents à payer des droits de franchise. Cela semble constituer une condition préalable à l'application de la loi alber- taine. Sauf erreur, l'avocat de l'intimée a égale- ment admis lors des débats que le système Shaklee ne relevait pas de la loi de la Colombie-Britanni- que applicable à la matière (The Pyramid Distri bution Act, R.S.B.C. 1979, chap. 351). On cons- tate, à la lecture des articles 234 et 235 de la Loi sur la protection du consommateur du Québec, L.Q. 1978, chap. P-40, que les ventes à système pyramidal sont formellement interdites dans cette province. Il ne nous reste plus à examiner que la législation de la Saskatchewan. L'avocat de l'inti- mée a affirmé énergiquement que la législation de la Saskatchewan s'appliquait au système Shaklee, et que ce dernier était conforme au paragraphe (4) de l'article 36.3 de la Loi étant donné que l'Admi- nistration de cette province avait exempté l'intimée de l'application des dispositions relatives aux permis contenues dans la loi de la Saskatchewan.
La loi de la Saskatchewan qui s'applique est la Pyramid Franchises Act, R.S.S. 1978, chap. P-50. La disposition 2(g) de la Loi donne de la franchise de ventes pyramidales («pyramid franchise») la définition suivante:
[TRADUCTION] 2. Les définitions suivantes s'appliquent à la présente Loi.
g) «franchise de ventes pyramidales» convention ou entente expresse ou implicite, orale ou écrite entre deux ou plusieurs personnes, suivant laquelle le franchisé est, après avoir payé des droits de franchise ou après avoir acheté des biens, investi du droit:
(i) d'offrir en vente, de vendre ou de distribuer des biens; et
(ii) de recruter une ou plusieurs personnes qui sont investies de droits identiques ou similaires, après avoir payé un droit de franchise ou après avoir acheté des biens;
suivant un plan ou système de commercialisation organisé, dirigé, prescrit ou contrôlé, pour la plus grande partie, par un franchiseur;
La lecture de cette définition révèle que le type de système de vente pyramidale que vise cette loi comporte comme condition préalable l'obligation de payer des droits de franchise ou d'acheter des biens. Or, étant donné que le paragraphe 36.3(1) n'impose ni l'une ni l'autre de ces conditions à titre d'exigence essentielle, il est, à mon sens, évident que le système de vente pyramidale autorisé par la loi de la Saskatchewan est tout à fait différent de celui qui est visé par le paragraphe 36.3(1). I1 s'ensuit, à mon avis, que la législation de la Saskatchewan n'englobe pas le système Shaklee. Par conséquent, si l'on acceptait l'argument de l'intimée selon lequel il suffit de démontrer qu'une province autorise ce genre de système de ventes ou le soumet à la délivrance d'un permis, ce dont je doute fort, l'argument que formule l'intimée au sujet de l'applicabilité du paragraphe (4) échoue, suivant les faits de l'espèce, parce qu'elle n'a pas démontré qu'une province ou qu'un territoire a autorisé, notamment par un permis, les activités définies au paragraphe (1) de l'article 36.3 sous le nom de systèmes de ventes pyramidales.
La question constitutionnelle
L'avocat de l'intimée prétend finalement qu'é- tant régie par des contrats sous seing privé l'entre- prise exploitée par l'intimée relève de la propriété et des droits civils dans la province, qu'elle est une matière d'une nature purement locale ou privée dans la province et que, par conséquent, elle relève de la compétence exclusive des provinces, confor- mément à la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, no 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1)] et notamment, conformé- ment à la rubrique (13) (La propriété et les droits civils dans la province) et à la rubrique (16) (Généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province) de l'article 92 de cette loi. D'autre part, l'appelante soutient que l'alinéa 36.3(1)b) et le paragraphe 36.3(2) de la Loi ont été validement adoptés en vertu du pouvoir qu'a le Parlement fédéral de légiférer en matière criminelle ou, de façon subsi-
diaire, de réglementer les échanges et le commerce et de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, conformément à l'arti- cle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Le pouvoir de légiférer en matière pénale
Avant d'entamer l'examen de la question de la compétence constitutionnelle du Parlement du Canada pour adopter les paragraphes attaqués, il me semble utile d'examiner la portée du texte législatif en question. Suivant les faits dont j'ai déjà discuté, j'estime que l'alinéa 36.3(1)b) vise à protéger les particuliers qui ont investi des efforts et de l'argent pour recruter des participants au système de vente pyramidale prohibé par cet alinéa dans l'espoir de réaliser plus tard des profits. Ainsi que nous l'avons déjà souligné, un système qui rattache le profit à une personne plutôt qu'à un produit comporte un élément potentiel de trompe- rie parce que si un système comme le système Shaklee réussit, il s'ensuivra inévitablement qu'un nombre toujours grandissant de vendeurs se feront concurrence dans un marché de plus en plus res- treint qui deviendra rapidement saturé en raison de la progression géométrique que comporte de façon implicite ce système. La question que sou- lève le présent débat est de savoir si l'interdiction de cette pratique relève du pouvoir de légiférer en matière pénale accordé au Parlement du Canada par le paragraphe 91(27) de la Loi constitution- nelle de 1867. Pour commencer, je reproduis la célèbre déclaration du juge Montague E. Smith dans l'arrêt Russell v. Reg. (1882), 7 App. Cas. 829 (P.C.), à la page 839:
[TRADUCTION] Les lois ... destinées à favoriser l'ordre, la sécurité et les bonnes moeurs publics, et rendant les contreve- nants passibles de poursuites au criminel et de peines, sont du domaine des méfaits publics plutôt que de celui des droits civils ... et se rattachent directement au droit criminel.
En 1931, le Conseil Privé s'est dit d'avis, dans l'arrêt Proprietary Articles Trade Association v. Attorney -General for Canada, [1931] A.C. 310, que le Parlement avait validement exercé sa com- pétence en matière pénale en rendant criminelles les coalitions qu'il entendait prohiber dans l'intérêt public lorsque les coalitions avaient joué ou étaient de nature à jouer au détriment ou à l'encontre de l'intérêt du public. La Cour a en outre statué que le Parlement avait validement exercé ses pouvoirs même si l'interdiction englobait des activités que
l'on ne considérait pas jusque comme criminel- les. Voici ce qu'a déclaré lord Atkin aux pages 323 et 324:
[TRADUCTION] ... et si le Parlement décide à bon droit que lesdites activités commerciales doivent être réprimées dans l'intérêt public, leurs Seigneuries ne voient pas pourquoi le Parlement ne pourrait pas en faire des crimes.
Le juge Rand a cité les commentaires de lord Atkin dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans le Reference re Validity of Sec tion 5(a) of the Dairy Industry Act, [ 1949] R.C.S. 1, confirmé par [1951], A.C. 179 (P.C.) (sub nom. Canadian Federation of Agriculture v. Attorney - General for Quebec, (Renvoi sur la margarine). Le juge Rand fait remarquer que, dans cette affaire, lord Atkin avait la page 49): [TRADUCTION] «... rejeté la notion selon laquelle les actes que vise le droit pénal doivent avoir un aspect moral». Le juge Rand poursuit à la page 49:
[TRADUCTION] Le crime est l'acte que la loi interdit et auquel elle attache une peine; les interdictions portant sur quelque chose, l'on peut toujours trouver à leur base une situation contre laquelle le législateur veut, dans l'intérêt public, lutter. La situation que le législateur a voulu faire cesser ou les intérêts qu'il a voulu sauvegarder peuvent être aussi bien du domaine social, que du domaine économique ou politique.
J'en viens maintenant à la décision qu'a rendue la Cour suprême du Canada en 1983 dans l'affaire Procureur général du Canada c. Transports Na- tionaux du Canada, Liée et autres, [1983] 2 R.C.S. 206; 3 D.L.R. (4th) 16. La question en litige dans cette affaire était celle de savoir si la Constitution donnait au procureur général du Canada la compétence pour porter des accusations et conduire des procédures relativement à des vio lations alléguées à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23 et ses modifications. Le juge Dickson (maintenant juge en chef) a étudié en détail la question de savoir si la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions relevait du droit criminel. La partie de ses motifs qui porte sur cette question s'ouvre sur le commen- taire suivant, à la page 250 R.C.S.; page 49 D.L.R.:
L'histoire démontre que les lois canadiennes contre les coali tions relèvent traditionnellement du droit criminel.
Il fait un survol historique de la question et souli- gne, à la page 254 [R.C.S.; à la page 52 D.L.R.]:
En 1952, le Parlement a ajouté à la Loi des enquêtes sur les coalitions de nouveaux articles autorisant les cours qui enten-
daient des accusations de coalition à rendre des ordonnances ayant pour effet d'interdire la continuation de coalitions ou de dissoudre des fusions, des trusts ou des monopoles, en sus de toute autre peine que la cour pouvait imposer à la suite d'une déclaration de culpabilité: 1952 (Can.), chap. 39, art. 3. Dans l'arrêt Goodyear Tire and Rubber Co. v. The Queen, 119561 R.C.S. 303, cette Cour a conclu que ces articles avaient été validement adoptés en vertu de la compétence en matière de droit criminel.
L'analyse que nous venons de faire démontre que tant cette Cour que le Conseil privé ont uniformément maintenu la législation contre les coalitions comme relevant du droit criminel.
L'avocat de l'intimée prétend toutefois que l'article 36.3 ne comporte pas les caractéristiques d'une disposition pénale et que dès qu'une activité com- merciale n'a pas les caractéristiques propres à une activité criminelle, cette activité ressortit à la com- pétence accordée aux provinces de légiférer en matière de propriété et de droits civils. L'avocat cite ensuite un certain nombre de lois de différen- tes provinces portant sur les causes de nullité des obligations contractuelles, notamment sur l'inca- pacité, les fausses déclarations, la violence, l'abus d'influence, l'erreur et l'illégalité. Il cite diverses lois provinciales sur la protection du consomma- teur, sur le redressement des opérations de prêt exorbitantes et sur le démarchage pour démontrer que les provinces avaient le pouvoir de légiférer sur les questions contractuelles et les pratiques de commerce qui, sans être de nature pénale, étaient jugées injustes ou contraires à l'ordre public, et pour prouver qu'elles ont exercé ce pouvoir. Par conséquent, l'intimée prétend que l'article 36.3 envahit le champ de compétence des provinces en matière de réglementation des contrats et des pra- tiques commerciales.
À mon avis, la jurisprudence pertinente n'étaye pas cette prétention lorsqu'on l'examine dans le présent contexte. Dans l'arrêt Attorney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 368, le Conseil privé a statué que l'article 498A du Code criminel s'insérait totalement dans les limites de la compétence du Parlement du Canada en vertu de la rubrique (27) de l'article 91: «Le droit criminel ...» L'article 498A rendait coupable d'un acte criminel toute personne qui défavorisait les concurrents d'un acheteur en accordant à ce dernier au moment de la vente, un rabais sur les produits achetés, tout en refusant ce même avantage à ses concurrents à
l'égard de marchandises de quantité et de qualité analogues. Cet article rendait également coupable d'un acte criminel la personne qui vendait des marchandises dans une région du Canada à des prix inférieurs à ceux qu'elle exigeait ailleurs au Canada, afin de supprimer la concurrence ou d'éli- miner un concurrent dans cette partie du Canada, ou qui vendait des marchandises à des prix dérai- sonnablement bas afin de supprimer la concur rence ou d'éliminer un concurrent. Parlant au nom de la Cour, lord Atkin a déclaré aux pages 375 et 376:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries estiment, avec le juge en chef, que la décision rendue par le Comité judiciaire dans l'affaire Proprietary Articles s'applique en l'espèce. ([1931] A.C. 310.) ... Cette décision repose sur le principe suivant: le seul critère permettant de distinguer le «mal., c'est l'intention de la législature de prohiber, dans l'intérêt public, l'acte ou l'omission décrétés criminels ... La seule limitation des pou- voirs pléniers du Dominion dans la détermination de ce qui sera criminel ou non, c'est la condition que le Parlement ne doit pas, sous le couvert de légiférer réellement et essentiellement en matière criminelle, légiférer de façon à empiéter sur toute catégorie de sujets énumérés à l'art. 92. Le fait que cette législation y porte atteinte en fait ne constitue pas une objec tion. Si on tente réellement de modifier le droit criminel, les droits civils préexistants pourront évidemment être affectés. Ordinairement, les modifications au droit criminel ont pour but d'enlever aux citoyens le droit de faire ce que, sans cette modification, ils pourraient légalement faire. Sans doute, le pouvoir plénier conféré par l'art. 91(27) ne prive pas les provinces du droit qu'elles possèdent en vertu de l'art. 92(15) d'assortir de sanctions pénales la législation qui relève de leur propre compétence. D'autre part, rien ne semble empêcher le Dominion, s'il le juge à propos dans l'intérêt public, d'étendre la législation criminelle, de façon générale, aux actes et omissions qui, jusqu'à présent, ne tombent que sous l'application de lois provinciales.
Dans l'arrêt R. v. Perfection Creameries Ltd., [1939] 3 D.L.R. 185, la Cour d'appel du Manitoba a cité et approuvé le passage précité du jugement de lord Atkin et a statué que le paragraphe 6(2) de la Loi de l'industrie laitière, S.R.C. 1927, chap. 45, qui interdisait la fabrication de beurre conte- nant plus de 16% d'eau ou moins de 80% de matières grasses constituait de par sa nature une disposition de droit criminel et non un empiète- ment déguisé sur la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils. De la même manière, la Cour d'appel de la Saskatchewan a, dans l'arrêt R. v. Standard Meats Ltd. (1973), 13 C.C.C. (2d) 194, statué qu'en interdisant notam- ment la vente d'aliments par des procédés faux, trompeurs ou mensongers, l'article 5 de la Loi des
aliments et drogues, S.R.C. 1970, chap. F-27, avait comme objectif de protéger le public. À la page 199, le juge en chef Culliton écrit:
[TRADUCTION] Ce n'est pas un article qui, à mon avis, crée un nouveau crime au sens propre du terme, mais bien une mesure pénale adoptée en vue d'empêcher l'intimée d'accomplir cer- tains actes qui, s'ils étaient permis, auraient pour effet de nuire au public. Pour reprendre les mots employés par le juge Cart- wright dans l'arrêt Beaver v. The Queen [(1957), 118 C.C.C. 129] précité, le Parlement a transformé une obligation civile personnelle en une obligation d'ordre public.
Si j'applique la jurisprudence précitée à la pré- sente espèce, je n'ai aucune hésitation à conclure que l'article 36.3 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est [TRADUCTION] «de par sa nature» une loi pénale et non un [TRADUCTION] «empiètement déguisé sur la compétence provin- ciale en matière de propriété et de droits civils». La lecture de l'article me convainc que le mal public qu'il vise y est clairement indiqué. Voila pourquoi l'adoption de cet article est pleinement justifiée sur le fondement du pouvoir que détient le Parlement du Canada en matière de droit criminel en vertu de la rubrique 27 de l'article 91.
Puisque j'en suis venu à la conclusion que le Parlement avait la compétence législative pour adopter l'article 36.3 en vertu de la rubrique (27) de l'article 91, il n'est plus nécessaire ni souhaita- ble d'examiner les arguments subsidiaires que l'ap- pelante a fait valoir au sujet du pouvoir législatif que détient le Parlement pour adopter l'article 36.3 en vertu de la rubrique 2 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (les échanges et le commerce) ou en vertu de son pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada en vertu de l'article 91. (Voir l'arrêt Pro- cureur général du Canada c. Transports Natio- naux du Canada, Ltée et autres, [ 1983] 2 R.C.S. 206, aux pages 255 et 256; 3 D.L.R. (4th) 16, aux pages 53 et 54; voir également Procureur général du Canada et autres c. Law Society of British Columbia et autre, [ 1982] 2 R.C.S. 307, aux pages 362 et 363; 137 D.L.R. (3d) 1, à la page 43.)
Pour tous les motifs ci-dessus, j'en suis venu à la conclusion qu'il y a lieu d'accueillir l'appel, de casser le jugement de la Division de première instance et de prononcer une ordonnance de prohi bition. L'appelante a également droit à ses dépens tant en notre Cour qu'en Division de première
instance. Pour ce qui concerne la forme de l'ordon- nance de prohibition, l'appelante a demandé qu'elle soit rédigée conformément au modèle pro- posé aux pages 2 et 3 du dossier d'appel. L'avocat de l'intimée ne s'est pas arrêté sur les détails qui devraient figurer à l'ordonnance de prohibition. Vu les circonstances, je suis d'avis d'ordonner à l'appe- lante de rédiger un projet de jugement approprié pour donner effet à la décision de la Cour et de demander que ce jugement soit prononcé confor- mément à la Règle 337(2)b) et à la Règle 324.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs. LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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