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A-703-84
Alistair MacBain (appelant) (requérant) c.
Sidney N. Lederman, Wendy Robson et Peter Cumming, Commission canadienne des droits de la personne et Kristina Potapczyk et procureur général du Canada (intimés) (intimés)
A-704-84
Alistair MacBain (appelant) (demandeur) c.
Commission canadienne des droits de la personne et Sidney N. Lederman, Wendy Robson et Peter Cumming, et procureur général du Canada (inti- més) (défendeurs)
A-996-84
Alistair MacBain (requérant) c.
Commission canadienne des droits de la personne, Sidney N. Lederman, Wendy Robson, Peter Cum ming, Kristina Potapczyk, et procureur général du Canada (intimés)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone— Toronto, 12, 13 septembre; Ottawa, 7 octobre 1985.
Droits de la personne Le Tribunal a conclu que la plainte d'actes discriminatoires fondés sur le sexe était fondée Procédure prévue par la Loi pour statuer sur les plaintes Cette procédure suscite-t-elle une crainte raisonnable de par- tialité? Avant de constituer le Tribunal, la Commission a conclu que la plainte avait été «prouvée» Lien entre le poursuivant (la Commission) et le juge (le Tribunal) Sous le régime de la Loi, il n'existe pas d'indépendance en matière d'administration ni en matière de décision Critère de la personne bien renseignée.. Les statistiques du Tribunal ne sont utiles qu'en cas d'allégation de partialité réelle Le juge Collier a eu raison de conclure qu'il y avait crainte raisonnable de partialité L'incidence de la Déclaration des droits a changé par suite du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Singh qui a été rendu après la décision du juge Collier suivant laquelle la Déclaration est inefficace, n'étant qu'un simple outil d'interprétation La décision du Tribunal est annulée, l'appelant s'étant vu dénier le droit, garanti par la Déclaration canadienne des droits, à une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 7a),b), 10a), 35, 36, 39, 40, 41 Déclaration cana- dienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb), 2e), 5(2).
Déclaration des droits Audition impartiale selon les principes de la justice fondamentale La Partie III et l'art. 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne contre- viennent-ils à ce droit? Dans ses motifs dans l'arrêt Singh, le juge Beetz a réhabilité la Déclaration La Déclaration n'est pas qu'un simple outil d'interprétation La Déclaration ne prévoit pas de redressement en cas de violation de ses dispositions Les dispositions incompatibles sont déclarées inopérantes: Drybones Aucune situation d'urgence La primauté du droit n'est pas en péril Le principe de l'état de nécessité susceptible de faire échec à la Déclaration ne s'appli- que pas Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb), 2e), 5(2) Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 39.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Droits de la personne Crainte raisonnable de partialité La Commis sion a fait enquête et a jugé la plainte fondée La Commis sion a constitué un tribunal et a agi à titre de poursuivant Indépendance judiciaire Séparation des pouvoirs Les membres des tribunaux sont nommés cas par cas La Commission (le poursuivant) est en mesure de choisir son «juge» Distinction faite avec l'arrêt R. v. Valente (No. 2) Le juge Collier a correctement appliqué le critère de la «per- sonne raisonnable et sensée» formulé dans l'affaire Crowe Les statistiques du Tribunal ne sont pas pertinentes étant donné qu'il n'est pas question, en l'espèce, de partialité réelle Le juge de première instance a raison quant au sens du mot «substantiate» («fonder») Distinction faite avec l'arrêt Cac- camo On plaide que le redressement ne devrait pas anéantir la Loi Les motifs de commodité administrative ne l'empor- tent pas sur les principes de justice naturelle La demande est accueillie et la décision du Tribunal est annulée.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires L'art. 39(1),(5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est déclaré inopérant en matière d'actes discriminatoires fondés sur le sexe parce qu'il viole le droit à une audition impartiale garanti par la Déclaration canadienne des droits Le jugement déclaratoire ne porte que sur une partie de la Loi et ne vise que l'appelant/requérant Il n'en résulte pas de chaos juridique Les décisions antérieures des tribunaux ne sont pas touchées: Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 39 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art, lb), 2e), 5(2).
Un tribunal des droits de la personne, constitué en vertu de l'article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, a jugé fondée la plainte d'actes discriminatoires fondés sur le sexe en matière d'emploi qui avait été déposée contre l'appelant/ requérant. Voici de quelle façon la plainte a été traitée, confor- mément à la procédure prévue par la Loi (articles 32 et suivants). La plainte a d'abord été déposée auprès de la Com mission qui l'a alors confiée à un enquêteur. Au terme de son enquête, l'enquêteur a soumis un rapport à la Commission qui, convaincue que la plainte était fondée, a adopté une résolution entérinant ledit rapport. La Commission a ensuite constitué, à partir d'une liste de membres potentiels, un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte. La Commission a comparu devant le Tribunal, présenté des éléments de preuve et fait des représentations, agissant en fait à titre de poursuivant.
Le Tribunal a conclu que la plainte était fondée et a rendu une ordonnance en conséquence, en plus d'accorder une indemnité spéciale à la plaignante.
Dès le départ, l'appelant/requérant a contesté la procédure elle-même, affirmant que le mécanisme de poursuite et de décision applicable aux plaintes suscitait une crainte raisonna- ble de partialité. S'appuyant principalement sur cet argument, l'appelant/requérant s'est adressé à la Division de première instance de la Cour fédérale afin d'obtenir un bref de prohibi tion ainsi qu'un jugement déclaratoire portant que la Partie I11 de la Loi (qui comprend l'article 39) était incompatible avec l'article 7 et l'alinéa 1 Id) de la Charte, et que la Partie Ill et l'article 39 de la Loi étaient inopérants puisqu'ils le privaient du droit à l'audition impartiale de sa cause que prévoit l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
Le juge de première instance a conclu qu'il y avait crainte raisonnable de partialité, mais a néanmoins rejeté les deux procédures, jugeant la Charte inapplicable et la Déclaration des droits inefficace dans la mesure elle n'est qu'un simple outil d'interprétation.
Cette décision fait présentement l'objet de deux appels, portant des numéros de greffe différents et visant chacun une procédure en particulier. Le requérant conteste la décision du Tribunal des droits de la personne au moyen d'une demande fondée sur l'article 28.
Comme la résolution dans laquelle la Commission a conclu que la plainte était fondée n'a été remise en question dans aucune des procédures, la conclusion prise contre MacBain relativement à sa conduite à l'égard de la plaignante demeure valide.
La question fondamentale de chacune des trois procédures repose sur l'allégation voulant que le mécanisme de poursuite et de décision applicable à la plainte ait suscité une crainte raisonnable de partialité. Aucune preuve de partialité réelle n'a été apportée.
Arrêt: l'appel visant le bref de prohibition devrait être rejeté, cette question étant devenue théorique; la demande fondée sur l'article 28 devrait être accueillie et la décision du Tribunal annulée; l'appel visant le jugement déclaratoire devrait être accueilli et un jugement déclaratoire portant que les paragra- phes 39(1) et (5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont inopérants en ce qui concerne la plainte en litige devrait être rendu.
Le juge de première instance a fondé sa conclusion selon laquelle il y avait crainte raisonnable de partialité sur le fait que déjà, avant la constitution du Tribunal, la Commission avait décidé que le bien-fondé de la plainte avait été «prouvé». Il ne s'agissait pas là, toutefois, de la seule raison pour laquelle on a conclu de la sorte en l'espèce. La crainte de partialité résulte également du fait qu'il existe un lien direct entre la personne agissant à titre de poursuivant relativement à la plainte (la Commission) et l'instance décisionnelle (le Tribunal), dans la mesure c'est le poursuivant qui a constitué le Tribunal. Ce lien laisse facilement redouter une influence ou une dépendance quelconque. Même si la Loi exigeait seulement de la Commis sion qu'elle décide si la preuve est suffisante pour justifier la constitution d'un tribunal, il existerait quand même une crainte raisonnable de partialité.
Il est assez facile d'établir une distinction avec l'arrêt Valente (No. 2). Tout d'abord, la nomination des juges des cours provinciales est permanente alors que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit la nomination, cas par cas, de «juges» temporaires. Cela place le «juge» dans une situation de dépendance en ce qui a trait à sa carrière et permet au poursuivant (la Commission) de choisir tel «juge» (les membres du tribunal) pour instruire telle affaire. Ensuite, il faut distin- guer entre l'indépendance en matière d'administration—qui n'existe pas totalement à l'heure actuelle—et l'indépendance en matière de décision qui exige que la «gérance des rôles» relève uniquement du «pouvoir judiciaire». On ne trouve ni cette indépendance en matière d'administration ni cette indépen- dance en matière de décision dans le mécanisme prévu par la Loi.
Il ressort clairement des motifs du juge de première instance que ce dernier n'a pas omis d'appliquer correctement la partie du critère formulé dans l'affaire Marshall Crowe qui a trait à la «personne bien renseignée».
On ne peut se servir du nombre de plaintes que les tribunaux ont jugé non fondées pour établir qu'il ne peut y avoir crainte de partialité, car de telles statistiques ne seraient pertinentes que s'il était question de partialité réelle plutôt que de crainte de partialité.
Eu égard à ce qu'on appelle la «présomption de stabilité dans l'usage de la terminologie», rien ne permet de prétendre que le juge de première instance a fait erreur en concluant que le mot «substantiated» («fondé»), tel qu'il est utilisé aux paragraphes 36(3) et 41(1), veut dire «prouvé» dans les deux cas.
La situation dans l'arrêt Caccamo est bien différente de celle qui nous intéresse la Commission, après avoir conclu que la plainte est fondée, choisit les juges à temps partiel chargés d'instruire la plainte et vient soutenir, lors de l'instruction, que la décision qu'elle a prise plus tôt était la bonne.
Les remarques du juge Wilson dans le récent arrêt Singh répondent à l'argument voulant que quel que soit le redresse- ment accordé, il ne devrait pas «anéantir la Loi». Dans ses remarques, elle a dit douter que des «considérations utilitaires» puissent constituer une limite aux droits énoncés dans la Charte. Étant donné la nature constitutionnelle ou quasi consti- tutionnelle des droits prévus à la Charte et la Déclaration des droits, droits qui constituent un élément essentiel du présent cas, cette opinion du juge s'applique en l'espèce.
Dans ses motifs de jugement dans l'arrêt Singh, le juge Beetz a réhabilité la Déclaration canadienne des droits en écartant le principe établi par la jurisprudence antérieure à l'affaire Singh et suivant lequel la Déclaration n'est qu'un simple outil d'interprétation.
Le présent cas remplit les deux conditions nécessaires pour pouvoir conclure qu'il y a eu violation de l'alinéa 2e): I) les droits et obligations de l'appliquant/requérant doivent être défi- nis par un tribunal fédéral et 2) il n'a pas eu droit à «une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale».
Bien que la Déclaration des droits ne traite pas expressément des conséquences découlant de la violation de ses dispositions, il est constant qu'il ne peut y avoir de droit sans redressement. De plus, la Cour suprême du Canada a établi, dans l'arrêt Drybo- nes, que les dispositions incompatibles d'une loi peuvent être
déclarées inopérantes. Toutefois, ce redressement doit se limiter aux faits particuliers de l'espèce.
Comme il n'y a pas, en l'espèce, de situation d'urgence et que la primauté du droit n'est pas mise en péril (voir le Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba), le principe de l'état de nécessité ne s'applique pas en l'espèce de façon à empêcher l'application de la Déclaration ou à priver l'appelant/requérant du redressement qui s'ouvre par ailleurs à lui en vertu de la Déclaration.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369 (communément appelé l'affaire Crowe); Giffels & Vallet of Can. Ltd. v. The King ex rel. Miller, [1952] 1 D.L.R. 620 (H.C. Ont.); Crawford v. Spooner (1846), 18 E.R. 667 (P.C.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; R. v. Hayden (1983), 3 D.L.R. (4th) 361 (C.A. Man.); Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Re McGavin Toastmaster Ltd. et al. and Powlowski et al. (1973), 37 D.L.R. (3d) 100 (C.A. Man.)
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Valente (No. 2) (1983), 2 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.); Caccamo c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 1 C.F. 366; (1977), 75 D.L.R. (3d) 720 (C.A.); Renvoi: Droits linguistiques au Mani- toba, [1985] 1 R.C.S. 721; 59 N.R. 321.
DÉCISIONS CITÉES:
Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209 (C.A.); Re Latimer (W.D.) Co. Ltd. et al. and Bray et al. (1974), 6 O.R. (2d) 129 (C.A.); Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; Procureur général du Canada et autre c. Canard, [1976] 1 R.C.S 170; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
AVOCATS:
P. Genest, c.r. et S. John Page pour l'appelant.
Robert Rueter pour les intimés Sidney N. Lederman, Wendy Robson, Peter Cumming. R. G. Juriansz et J. Hendry pour l'intimée Commission canadienne des droits de la personne.
Mary F. Cornish pour l'intimée Kristina Potapczyk.
James J. Carthy, c.r. et Robert E. Hawkins pour l'intimé le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour l'appelant.
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les intimés Sidney N. Lederman, Wendy Robson, Peter Cumming.
Commission canadienne des droits de la per- sonne, Ottawa, pour l'intimée Commission canadienne des droits de la personne.
Cornish & Associates, Toronto, pour l'inti- mée Kristina Potapczyk.
Weir & Foulds, Toronto, pour l'intimé le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Les présents motifs s'appli- quent à trois procédures différentes intentées devant cette Cour qui a ordonné, du consentement de toutes les parties, qu'elles soient plaidées ensemble.
La procédure à la base du dossier A-703-84 est un appel interjeté contre un jugement de la Division de première instance [MacBain c. Com mission canadienne des droits de la personne, [1984] 1 C.F. 696] qui a rejeté, sans adjuger de dépens, la demande de l'appelant visant un bref de prohibition. La procédure du dossier A-704-84 est un appel interjeté d'un jugement de la Division de première instance [idem] qui a rejeté, avec dépens, la demande de jugement déclaratoire de l'appelant présentée dans la déclaration amendée de l'appelant déposée relativement à cette action. La procédure à la base du dossier A-996-84 est une demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] qui attaque une décision rendue par les intimés Lederman, Robson et Cumming en qualité de membres d'un Tribunal des droits de la personne (le Tribunal) constitué en vertu de l'article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33] (la Loi).
Chacune des trois procédures procède d'une plainte déposée auprès de la Commission cana- dienne des droits de la personne (la Commission) par l'intimée Potapczyk. Cette plainte alléguait que l'appelant/requérant Alistair MacBain (Mac- Bain) avait commis à son égard des actes discrimi-
natoires fondés sur le sexe alors qu'elle était son employée et qu'il avait ainsi contrevenu aux ali- néas 7a), 7b) et 10a) de la Loi. Après le dépôt de la plainte, la Commission a, en vertu de l'article 35 de la Loi, nommé un enquêteur. Celui-ci a effectué une enquête au sujet de cette plainte et a par la suite fait part de ses conclusions à la Commission conformément à l'article 36 de la Loi. Les disposi tions pertinentes des articles 35 et 36 sont les suivantes:
35. (1) La Commission peut désigner la personne (ci-après dénommée «d'enquêteur») chargée d'enquêter sur une plainte.
36. (1) L'enquêteur doit, le plus tôt possible après la fin de l'enquête, présenter son rapport à la Commission.
(2) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue
a) qu'il est préférable que le plaignant épuise les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts, ou
b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement,
elle doit renvoyer la plainte à l'autorité compétente.
(3) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue
a) que la plainte est fondée, qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv), elle peut accepter le rapport; ou
b) que la plainte n'est pas fondée ou qu'il y a lieu de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv), elle doit rejeter la plainte.
(4) Après réception du rapport d'enquête prévu au paragra- phe (1), la Commission
a) doit informer par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3); et
b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).
Le 22 novembre 1983, la Commission a adopté une résolution dans laquelle, en vertu du pouvoir qui lui était conféré par le paragraphe 36(3) de la Loi', elle a conclu que la plainte portée par Potapczyk contre MacBain était fondée. Cette décision n'a été remise en question dans aucune
' Cette Cour a décidé que la Commission exerce une fonction judiciaire lorsqu'elle rend une telle décision. Voir: Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209 (C.A.).
des procédures actuellement soumises à l'apprécia- tion de la Cour. En conséquence, la conclusion prise contre MacBain relativement à sa conduite à l'endroit de Potapczyk continue de s'appliquer. La Commission a également résolu de constituer un tribunal chdigé d'examiner la plainte et a autorisé le président à ce faire. C'est le paragraphe 39(1) de la Loi qui confère le pouvoir de constituer un tel tribunal.
Les articles 39, 40 et 41 sont ainsi libellés:
39. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la personne (ci-après dénommé, à la présente Partie, le «tribunal") chargé d'examiner la plainte.
(2) Le tribunal se compose de trois membres au maximum.
(3) Les fonctions de commissaire ou d'employé de la Com mission et, pour une plainte donnée, celles d'enquêteur ou de conciliateur sont incompatibles avec les fonctions de membre du tribunal.
(4) Les membres du tribunal ont droit, pour l'exercice de leurs fonctions, à la rémunération et aux indemnités de dépen- ses prévues au règlement de la Commission.
(5) La Commission choisit, sur une liste établie par le gouverneur en conseil, les membres du tribunal.
40. (1) Le tribunal doit, après avis conforme à la Commis sion, aux parties et, à sa discrétion, à tout intéressé, examiner l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il doit donner à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l'intermédiaire d'un avocat.
(2) En comparaissant devant le tribunal et en présentant ses éléments de preuve et ses arguments, la Commission doit adopter l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte.
(3) Pour la tenue de ses audiences en vertu de la présente Partie, le tribunal a le pouvoir
a) d'assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents et pièces qu'il juge nécessaires à l'examen complet de la plainte, au même titre qu'une cour supérieure d'archives;
b) de faire prêter serment; et
c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.
(4) Par dérogation à l'alinéa (3)c), le tribunal ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires.
(5) Par dérogation au paragraphe (2), le conciliateur n'est un témoin ni compétent ni contraignable devant le tribunal.
(6) Les audiences du tribunal sont publiques, mais le tribunal peut, dans l'intérêt public, ordonner le huis clos pour tout ou partie de leur durée.
(7) Les témoins assignés à comparaître en vertu du présent article peuvent, à la discrétion du tribunal, recevoir les frais et indemnités accordés aux témoins assignés devant la Cour fédé- rale du Canada.
41. (1) A l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu'il juge non fondée.
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la Commission relativement à l'objet général de ces mesures; celles-ci peuvent comprendre l'adoption d'une proposition relative à des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux visés au paragraphe 15(1);
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna- ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge- ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu
a) que la personne a commis l'acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou
b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l'acte discriminatoire,
peut ordonner à la personne de payer à la victime une indem- nité maximale de cinq mille dollars.
(4) Le tribunal qui, à l'issue de son enquête, juge fondée une plainte portant sur l'emploi d'un handicapé physique, tout en reconnaissant l'impossibilité en raison d'un handicap de cette nature d'accéder aux locaux ou d'utiliser normalement les installations de l'auteur de l'acte discriminatoire, doit le men- tionner et faire les recommandations qu'il estime indiquées dans son ordonnance; le tribunal ne peut toutefois pas rendre une ordonnance en vertu des paragraphes (2) ou (3).
Après que la Commission eut décidé d'établir le bien-fondé de la plainte et de constituer un tribu nal, une liste restreinte des membres possibles a été préparée pour le président de la Commission. Le président a personnellement choisi les intimés Lederman, Robson et Cumming pour constituer le Tribunal chargé d'examiner la plainte portée contre MacBain. En décembre 1983, environ cent personnes composaient la liste établie par le Gou- verneur en conseil à partir de laquelle, conformé- ment au paragraphe 39(5) de la Loi, devaient être choisis les membres des tribunaux. Le président, témoignant le 13 décembre 1983 devant le Comité permanent de la Justice et des questions juridiques de la Chambre des communes, a déclaré qu'en 1982, seulement vingt-six de ces membres possi bles avaient été choisis pour constituer des tribunaux.
Le 9 avril 1984, le Tribunal a commencé à tenir son audience relativement à la plainte portée contre MacBain. La Commission y comparaissait comme poursuivante. Entre temps, le 30 mars 1984, MacBain avait intenté, en Division de pre- mière instance de cette Cour, une action visant un jugement déclaratoire statuant, entre autres, que la Partie III de la Loi (qui comprend l'article 39) était incompatible avec l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Le 21 juin 1984, MacBain a déposé une déclaration amendée dans laquelle il demandait que le jugement déclaratoire qu'il avait sollicité relativement à la Partie III et à l'article 39 statue également qu'il y avait incompatibilité avec l'article 7 de la Charte. La déclaration amendée demandait également qu'il soit déclaré que la Partie III et certaines parties de l'article 39 de la Loi étaient inopérantes parce qu'elles suppri- maient, restreignaient ou enfreignaient le droit de MacBain à une audition impartiale prévu à l'ali- néa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (la Déclaration) [S.R.C. 1970, Appendice III].
Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, MacBain sollicitait également un bref de prohibition qui interdirait au Tribunal de procéder à l'audition de la plainte portée contre lui, s'appuyant pour cette
requête sur les mêmes moyens que pour la demande de jugement déclaratoire. Le 29 mars 1984, MacBain avait demandé par écrit que l'au- dience qui devait commencer le 9 avril 1984 soit ajournée jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les procédures qu'il avait entreprises en Division de première instance. La requête pour ajournement a été rejetée par le Tribunal le 9 avril, à l'ouverture de l'audience. Il a aussi refusé de suspendre ses procédures jusqu'à ce qu'il ait été décidé de la requête pour bref de prohibition. Le Tribunal a ensuite entendu la plainte en l'absence de Mac- Bain et de son avocat, qui s'étaient retirés de l'audience. Lors des audiences tenues devant le Tribunal, la Commission, conformément à l'article 40, a agi à titre de poursuivante relativement à la plainte portée contre MacBain.
La requête pour bref de prohibition et la demande de jugement dans l'action ont été enten- dues ensemble par le juge Collier les 7 et 8 mai 1984. Le 9 mai 1984, le juge énonçait ses motifs du jugement. Au moment ont été entendues les requêtes faites devant le juge Collier, le Tribunal n'avait entendu qu'une partie de la preuve et avait ajourné ses auditions à une date indéterminée. Le Tribunal a tenu ses audiences les 17 et 18 mai 1984. À la reprise des audiences, l'avocat de Mac- Bain a demandé qu'il y ait ajournement jusqu'à ce que décision ait été rendue sur l'appel interjeté du jugement du juge Collier. Après avoir rejeté cette requête, le Tribunal a entendu le reste de la preuve en l'absence de MacBain et de son avocat, qui s'étaient également retirés de cette audience. Comme la Commission, le Tribunal a conclu que la plainte portée contre MacBain par Potapczyk était fondée. Il a rendu l'ordonnance suivante, en date du 23 juillet 1984:
a) Que le mis en cause, Alistair MacBain, cesse d'enfreindre l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne de la manière énoncée ci-avant et qu'il s'abstienne désormais de commettre les mêmes infractions ou d'autres semblables à l'égard de ses employées;
b) Que le mis en cause, Alistair MacBain, verse à la plaignante, Kristina Potapczyk, une indemnité de 1 500 $ en vertu du paragraphe 41(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Décision du Tribunal, dossier conjoint, vol. I, pages 62 et 63 .
CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ
La question fondamentale de chacune des trois procédures actuellement entreprises devant la
Cour repose sur l'allégation voulant que le méca- nisme de poursuite et de décision applicable à la plainte a suscité chez MacBain une crainte raison- nable de partialité. Tous reconnaissent que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a eu aucune preuve de partialité réelle. A la fois devant la Division de première instance et devant cette Cour, les questions débattues avaient pour fondement la crainte raisonnable de partialité. Devant cette Cour, l'avocat de l'appelant/requérant a soutenu la validité de cette conclusion. Fondamentalement, son argumentation était la suivante: en l'espèce, conformément au mécanisme prévu dans la Loi, la Commission a tenu une enquête, a conclu que la plainte était fondée et a ensuite agi à titre de poursuivante relativement à cette plainte. Cette même Commission a également désigné les mem- bres du Tribunal qui a entendu la cause et a rendu une décision défavorable à l'appelant/requérant. Une telle façon de procéder viole le principe vou- lant que nul ne soit juge en sa propre cause, puisqu'on ne peut dire qu'il y ait une différence significative entre être son propre juge et choisir les juges dans sa propre cause. Par conséquent, cette manière de procéder est, en soi, irrégulière; elle suscite une crainte raisonnable de partialité, violant par les principes de justice naturelle.
Les avocats se sont tous entendus pour dire que, dans l'examen de la question de la crainte raison- nable de partialité, le critère à appliquer était celui qu'a énoncé M. le juge de Grandpré dans l'affaire Crowe'. La partie pertinente de ses motifs est la suivante:
La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et prati- que. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?»
Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l'on retrouve dans la jurisprudence, qu'il s'agisse de «crainte raisonnable de partialité», «de soupçon raisonnable de partialité», ou «de réelle probabilité de partialité». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement
2 Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395.
d'accord avec la Cour d'appel fédérale qui refuse d'admettre que le critère doit être celui d'aune personne de nature scrupu- leuse ou tatillonne».
Telle est la façon juste d'aborder la question mais il faut évidemment l'adapter aux faits de l'espèce. La question de la partialité ne peut être examinée de la même façon dans le cas d'un membre d'un tribunal judiciaire que dans le cas d'un membre d'un tribunal administratif que la loi autorise à exercer ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son expérience ainsi que de celle de ses conseillers techniques.
Le juge Collier, après avoir examiné les faits ainsi que l'économie de la Loi et après avoir étudié le critère énoncé dans l'affaire Crowe, précitée, a conclu la page 707):
... face à l'ensemble de la procédure prévue par la loi et adoptée en regard de cette plainte précise, la réaction d'une personne raisonnable et sensée serait de dire: il y a quelque chose qui ne va pas ici; la plainte portée contre moi a été déclarée fondée; maintenant, cette plainte va être entendue par un tribunal constitué par l'organisme qui a déclaré que la plainte est fondée; ce même organisme va comparaître contre moi dans cette instance et réclamer qu'on conclue que la plainte est fondée.
Il ressort clairement de la lecture attentive-des `motifs du juge de première instance que, à son point de vue, le problème le plus grave ayant trait au mécanisme prévu à la Loi est l'exigence selon laquelle la Commission doit déterminer au départ si une plainte «est fondée» («substantiated») (para- graphe 36(3)), alors que le Tribunal doit, au cours de ses délibérations, décider de la même ques tion—à savoir si la plainte est fondée (paragraphes 41(1) et (2)). II a souligné que les deux paragra- phes (du texte anglais) employaient le mot «subs- tantiate» et qu'à son avis ce mot devait recevoir le même sens dans les deux paragraphes. Il a défini le mot «substantiate» comme ayant le sens de «prove» («prouver») et a appliqué cette définition à chacun des deux paragraphes. Selon lui, la crainte raison- nable de partialité provenait de ce que la Commis sion avait, avant la constitution du Tribunal, déjà décidé que le bien-fondé de la plainte portée contre MacBain avait été «prouvé». Le juge de première instance a clairement exprimé que sa conclusion sur la crainte de partialité reposait sur la disposi tion exigeant que la plainte soit jugée bien fondée, et que si la Loi avait simplement exigé que la Commission soit convaincue que la preuve justi- fiait une audience, il n'existerait aucune crainte de partialité. Ceci découle du passage suivant de ses motifs (page 707):
S'il n'y avait pas les dispositions qui prévoient que la Com mission juge la plainte fondée, il n'y aurait pas ce sentiment d'inquiétude, et on ne pourrait se plaindre non plus. Ni si la procédure en l'espèce exigeait simplement que la Commission soit convaincue que la preuve écrite ou testimoniale justifie que le tribunal tienne une audition et rende une décision.
Avec déférence, je ne suis pas d'accord avec le juge de première instance pour dire que l'apprécia- tion du bien-fondé de la plainte soit le seul facteur dont il faille tenir compte lorsqu'on étudie la ques tion de la crainte de partialité. À mon avis, une autre raison pour laquelle il y a crainte de partia- lité dans la présente affaire est qu'il existe un lien direct entre la personne agissant à titre de poursui- vante relativement à la plainte (la Commission) et l'instance décisionnelle (le Tribunal). À mon avis, ce lien permet de redouter une influence ou une dépendance quelconques. Après avoir étudié une affaire et décidé que la plainte était fondée, le «poursuivant» choisit le tribunal qui entendra la cause. Mon opinon est que même si la Loi exigeait seulement que la Commission décide si la preuve est suffisante pour justifier la constitution d'un tribunal, il existerait encore une crainte raisonna- ble de partialité.
À mon avis, la situation caractérisant la pré- sente affaire est assez différente de la question qu'a tranchée la Cour d'appel de l'Ontario dans la décision R. v. Valente (No. 2) (1983), 2 C.C.C. (3d) 417. S'y posait la question de l'indépendance de juges nommés par la province d'Ontario. Tous reconnaîtront que, dans notre système, l'indépen- dance judiciaire est un principe fondamental de l'administration de la justice. Ce principe est appuyé par une tradition de séparation des pou- voirs. Toutefois, pour des raisons pratiques, l'indé- pendance absolue est présentement impossible. La raison en est que le gouvernement du Canada, comme les gouvernements des provinces, exerce sur le judiciaire une tutelle administrative qui, quoique d'étendue variable, est très importante. Je parle du pouvoir de contrôle administratif et finan cier des juges qui est présentement dévolu à l'exé- cutif du gouvernement fédéral et de la plupart des gouvernements provinciaux. C'est de cette zone nébuleuse la séparation des pouvoirs n'est pas absolue que la Cour d'appel de l'Ontario a traité dans l'affaire Valente (No. 2), précitée, pour con- clure que le principe de l'indépendance avait été respecté.
Je vois au moins deux différences importantes entre le système de nomination des juges provin- ciaux en Ontario, qui a été examiné dans l'affaire Valente (No. 2), précitée, et le système utilisé par la Commission en vertu de la présente Loi. Tout d'abord, en ce qui concerne la plupart des juridic- tions de ce pays, la nomination des juges est permanente' alors que la Loi prévoit la nomina tion, cas par cas, de «juges» temporaires.
À la page 107 de son étude, le juge en chef Deschênes dit:
L'indépendance nécessaire à la fonction judiciaire s'accom- mode mal d'une nomination durant bon plaisir ou durant une période qui conditionne la nomination durant bonne conduite.
L'éxécutif suspend ainsi une épée de Damoclès sur la tête du nouveau juge. Celui qui accepte d'être nommé pour un an est vraisemblablement intéressé à faire carrière dans la magistra- ture, mais cette carrière dépend du bon vouloir du Prince. Le juge sous probation n'est donc pas indépendant et il y a péril que ses décisions soient colorées par ses plans d'avenir. Com ment pourrait-il juger contre un gouvernement dont ale bon plaisir» régit sa nomination? Et comment pourrait-il adopter, dans des litiges privés, l'attitude que la loi et sa conscience lui dictent mais qui pourrait déplaire aux puissants du jour?
Par ailleurs quels critères un gouvernement appliquera-t-il pour décider, après un an, que tel juge mérite d'être nommé en permanence?
En conséquence, il recommandait fortement l'abo- lition du système de nomination des juges «durant bon plaisir» ou «sous probation». Cette critique du système des nominations «sous probation» et «durant bon plaisir» s'applique avec encore plus de force au système des affectations cas par cas qu'u- tilise la Loi. À tout le moins, le poursuivant ne devrait pas avoir le pouvoir de choisir son «juge» à partir d'une liste de «juges» temporaires. C'est toutefois exactement ce qui se passe lorsque la Commission choisit les membres du tribunal qui entendront une affaire déterminée.
La seconde importante distinction factuelle qui s'impose entre de l'affaire Valente et l'espèce a trait à la distinction qui doit être faite entre l'indé- pendance en matière d'administration (qui, ainsi que nous l'avons vu, n'existe pas totalement à l'heure actuelle) et l'indépendance en matière de décision qui, selon moi, constitue un composant essentiel de l'indépendance judiciaire et de la
Les seules exceptions notées par le juge en chef Deschênes dans son étude sur l'administration judiciaire autonome des tribunaux [Martres chez eux]—septembre 1981, sont le Yukon, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve.
bonne administration de la justice. L'indépendance en matière de décision comprend nécessairement des questions telles la préparation des rôles, la décision sur l'ordre d'appel des causes, l'affecta- tion des juges aux diverses causes et la désignation des salles d'audience. Le juge en chef Deschênes classe ces éléments sous le titre «Gérance des rôles». Voici d'ailleurs ses commentaires (voir Des- chênes précité, à la page 130):
Il s'agit d'éléments qui conditionnent l'intégrité du proces- sus judiciaire lui-même. Qu'on en laisse le contrôle à des tiers, fonctionnaires du gouvernement ou autres, et l'on verra bientôt un juge particulier affecté à une cause particulière, pour des motifs inavouables. L'indépendance de la magistrature exige absolument qu'elle et elle seule, gère et contrôle le mouvement des causes au rôle d'audience et l'affectation des juges qui les entendront.
À mon avis, ces commentaires sont particulière- ment pertinents en ce qui concerne la constitution d'un tribunal en vertu de cette Loi. Face à un mécanisme se retrouvent les deux caractéristi- ques répréhensibles examinées par le juge en chef Deschênes, précité, c'est sans aucune hésitation que j'en viens à la conclusion qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profon- deur, de façon réaliste et pratique, concluerait qu'il y a, en l'espèce, crainte raisonnable de partialité en vertu du présent mécanisme.
L'avocat de la Commission s'est attaqué aux conclusions du savant juge de première instance concernant la crainte raisonnable de partialité en alléguant que le juge Collier n'avait pas correcte- ment appliqué le critère formulé dans l'arrêt Crowe. Plus précisement, il a soutenu que le juge de première instance avait omis cette partie du critère Crowe portant sur la question de savoir si la personne raisonnable et sensée était bien informée. Je ne suis pas d'accord avec son argument. Je suis convaincu, après avoir lu les motifs du juge Col lier, que ce dernier a bel et bien appliqué le critère Crowe. A la page 707, M. le juge Collier annonce clairement sa conclusion de la façon suivante: «Si on garde à l'esprit le critère formulé dans l'arrêt Marshall Crowe. ..» Il est juste de souligner que plus loin, aux pages 28 et 29 du dossier d'appel, le juge, lorsqu'il fait allusion à «une personne raison- nable et sensée», ne mentionne pas la qualité sup- plémentaire que doit également posséder cette per- sonne, soit celle d'être «bien renseignée». À mon avis, toutefois, il n'a pas, en appliquant le critère Crowe, perdu de vue cette exigence supplémentaire
puisqu'il applique le critère d'une personne raison- nable et sensée la page 707 C.F.) «face à l'ensemble de la procédure prévue par la loi et adoptée en regard de cette plainte précise». Selon moi, il ressort clairement de cet extrait qu'aux yeux du juge Collier, une «personne bien rensei- gnée» était une personne connaissant bien le méca- nisme prévu dans la loi ainsi que la façon dont il s'appliquait dans le traitement de la plainte en litige. En conséquence, je ne crois pas que le juge ait appliqué incorrectement le critère Crowe. L'avocat de la Commission a ensuite analysé les diverses affaires instruites par les tribunaux consti- tués en vertu de la Loi. Son analyse révèle qu'entre 1979 et 1984, environ la moitié des tribunaux ainsi constitués ont jugé non fondées les plaintes qui leur étaient soumises. En toute déférence, je ne vois pas en quoi ces statistiques sont pertinentes. À mon avis, elles ne le seraient que si il était question de partialité réelle et non de crainte de partialité.
L'avocat a également prétendu que M. le juge Collier a fait erreur en concluant que le mot «substantiate» utilisé aux paragraphes 36(3) et 41(1) voulait dire, dans les deux cas, «prouvé».
Comme je l'ai souligné plus tôt aux présents motifs, je ne crois pas que la question de l'appré- ciation du bien-fondé de la plainte soit le seul facteur à prendre en considération lorsqu'on s'in- terroge sur la crainte de partialité. Cela étant dit, je m'empresse d'ajouter qu'à mon avis, le juge Collier a eu raison de conclure que le mot «subs- tantiate» a le même sens au pararaphe 36(3) qu'au paragraphe 41(1). Si j'en viens à cette conclusion, c'est que selon moi, comme ce mot est utilisé dans deux articles de la Loi qui font partie intégrante de la même procédure de règlement des plaintes, il faut au départ présumer qu'un mot a partout le même sens. M. Driedger, dans son ouvrage Cons truction of Statutes, Second Edition, affirme, à la page 93:
[TRADUCTION] Il existe un autre principe à l'intention des rédacteurs et, partant, des lecteurs, savoir, lorsqu'un même mot est utilisé, il devrait recevoir le même sens et, inversement, lorsqu'on utilise des mots différents, on devrait leur attribuer des sens différents. (Ce principe a été appelé «présomption de stabilité dans l'usage de la terminologie« par lord Simon dans l'affaire Black -Clawson International Ltd. v. Papierwerke Wadlhof-Aschaffenburg A.G., [1975] 1 All E.R. 810, la p. 847).
De même, dans l'arrêt Giffels & Vallett of Can. Ltd. v. The King ex rel. Miller, [1952] 1 D.L.R. 620 (H.C. Ont.), à la page 630, le juge Gale a déclaré:
[TRADUCTION] Même s'il est vrai qu'un mot peut prendre des sens différents à l'intérieur d'une même loi, voire d'un même article, n'oublions pas qu'il faut d'abord présumer qu'un mot a le même sens partout il est utilisé dans une loi ...
Pour donner effet à cet argument, il faudrait lire l'alinéa 36(3)a) de la Loi comme si le mot «subs- tantiated» («fondée») n'y était pas et qu'on y trou- vait plutôt les mots suivants: [TRADUCTION] «qu'un examen de la plainte est justifié». Les tribu- naux ont résisté à cette pratique qui consiste à ajouter ou à supprimer des mots dans une loi. Lord Brougham, dans Crawford v. Spooner (1846), 18 E.R. 667 (P.C.), a bien exposé la raison de cette résistance lorsqu'il a dit la page 6701:
[TRADUCTION] Il faut interpréter la Loi à partir de ses termes mêmes. Il faut se garder d'en extirper ce qui a peut-être été l'intention du législateur; on ne peut venir en aide au législateur qui a mal formulé sa loi; on ne peut ajouter ni corriger, ni suppléer, par interprétation, aux imperfections ...
Pour ces motifs, je ne vois aucun fondement venant appuyer cet argument de l'avocat de la Commis sion.
Je vais maintenant examiner les arguments soumis par l'avocat représentant les membres du Tribunal. Celui-ci s'est appuyé sur la décision de cette Cour dans Caccamo c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 1 C.F. 366; (1977), 75 D.L.R. (3d) 720, pour répondre aux arguments des avocats de MacBain selon qui le mécanisme prévu dans la Loi, tel qu'il est appli- qué en l'espèce, laisse planer une crainte raisonna- ble de partialité. Dans l'affaire Caccamo, on a prétendu qu'il y avait crainte raisonnable de par- tialité dans le cas d'un enquêteur spécial désigné pour tenir une enquête en vertu de la Loi sur l'Immigration [S.R.C. 1970, chap. I-2] en vue de déterminer si l'appelant Caccamo devait être expulsé. La décision d'expulser l'appelant reposait présumément sur le fait que les tribunaux de l'On- tario ainsi que la Cour suprême du Canada avaient statué qu'il était membre de la Mafia et, partant, membre d'une catégorie de personnes inadmissi- bles, c'est-à-dire membre d'un groupe qui travaille ou incite au renversement du régime, des institu-
tions ou des méthodes démocratiques, tels qu'ils s'entendent au Canada, et sur le fait qu'avant le début de l'enquête, un journal avait rapporté les propos du Directeur de l'information du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration affirmant que le Ministère devait considérer la Mafia comme une organisation vouée au renversement. La Cour a conclu que dans un tel cas, l'enquêteur spécial ne serait pas jugé inhabile du seul fait qu'il tombe, comme tous les autres fonctionnaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, sous la direction et l'autorité du sous-ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, comme c'était le cas du Directeur de l'information ayant fait à la presse les déclarations dont on se plaignait. La Cour s'est dite d'avis que dans la mesure l'article du journal révélait simplement que le Ministère avait, en raison de l'opinion qu'il entretenait quant aux activités de l'appelant, entamé des procédures d'expulsion contre ce dernier, rien ne laissait entendre que le Ministère imposait son opinion à l'enquêteur spécial. Ce dernier était toujours tenu de décider, à la lumière de la preuve, si l'appelant était sujet à l'expulsion. À mon avis, il est facile, à la lumière des faits de l'arrêt Caccamo, précité, de distinguer ce cas de celui qui nous intéresse. Dans Caccamo, rien ne laissait supposer que le Minis- tère avait, avant le début l'enquête, adopté la position bien arrêtée que les allégations formulées contre l'appelant étaient fondées. L'article ne fai- sait qu'énoncer la position qu'allait adopter le Ministère à l'enquête spéciale. Voilà une situation bien différente du présent cas la Commission, après avoir décidé que la plainte est fondée, choisit les juges à temps partiel chargés d'instruire la plainte et vient soutenir, lors de l'instruction, que la décision qu'elle a prise plus tôt était la bonne. Ce mécanisme auquel a recours la Commission revient à faire justifier après coup, par des juges qu'elle a elle-même choisis, une décision qu'elle a déjà prise.
L'avocat du procureur général a commencé ses plaidoiries en reconnaissant ouvertement que [TRADUCTION] «Nous sommes en présence d'une apparence de partialité» qui [TRADUCTION] «pour- rait mériter redressement». Il a poursuivi en insis- tant pour que le redressement qui pourrait être accordé ne vienne pas [TRADUCTION] «anéantir la Loi». Il a ensuite souligné qu'en l'espèce, il est question d'un tribunal administratif et non d'un
tribunal au sens traditionnel. Il a prétendu que dans ces circonstances, la procédure énoncée dans la Loi devrait être examinée [TRADUCTION] «à travers les yeux d'une personne renseignée, procé- dant à un examen réaliste et pratique de ce tribu nal et de ses attributions.» Il s'est ensuite attaché à préciser en détail les nombreuses caractéristiques du mécanisme prévu par la Loi. En toute défé- rence, il me semble que cette analyse élude le problème puisqu'elle ne pose pas la question de savoir si le droit de l'intimé à la justice fondamen- tale a été respecté en vertu de ce mécanisme. Certaines des caractéristiques mentionnées par l'avocat s'apparentent à des «considérations utili- taires» telles que l'importance du rôle, les coûts, l'efficacité et la commodité. A cet égard, j'estime pertinentes les remarques formulées par le juge Wilson dans Singh et autres c. Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Le savant juge traitait alors des limites imposées à l'article 7 de la Charte par l'article 1 de ce même document. Aux pages 218 et 219, elle dit douter que des «considérations utilitaires» puissent consti- tuer une limite aux droits énoncés dans la Charte. Elle poursuit en affirmant:
Les garanties de la Charte seraient certainement illusoires s'il était possible de les ignorer pour des motifs de commodité administrative. Il est sans doute possible d'épargner beaucoup de temps et d'argent en adoptant une procédure administrative qui ne tient pas compte des principes de justice fondamentale, mais un tel argument, à mon avis, passe à côté de l'objet de l'art. 1. Les principes de justice naturelle et d'équité en matière de procédure que nos tribunaux ont adoptés depuis longtemps et l'enchâssement constitutionnel des principes de justice fonda- mentale à l'art. 7 comportent la reconnaissance implicite que la prépondérance des motifs de commodité administrative ne l'em- porte pas sur la nécessité d'adhérer à ces principes.
Comme les droits constitutionnels et quasi consti- tutionnels prévus à la Charte et à la Déclaration constituent un élément essentiel du présent cas, j'estime que ces exposés du droit sont pertinents à la question dont nous traitons.
Pour tous les motifs susmentionnés, j'en suis venu à la conclusion que le juge Collier n'a pas fait erreur en décidant qu'il y a, en l'espèce, crainte raisonnable de partialité.
L'APPLICATION DE LA DÉCLARATION DES DROITS
Les dispositions de la Déclaration canadienne des droits pertinentes à l'examen des questions que soulèvent les présentes procédures sont l'alinéa 2e) et le paragraphe 5(2) qui sont ainsi rédigés:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les princier de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
5....
(2) L'expression .loi du Canada», à la Partie I, désigne une loi du Parlement du Canada, édictée avant ou après la mise en vigueur de la présente loi, ou toute ordonnance, règle ou règlement établi sous son régime, et toute loi exécutoire au Canada ou dans une partie du Canada lors de l'entrée en application de la présente loi, qui est susceptible d'abrogation, d'abolition ou de modification par le Parlement du Canada.
Lors de l'instruction devant le juge Collier, l'avo- cat de MacBain a soutenu avec insistance que l'alinéa 2e) de la Déclaration s'appliquait au pré- sent cas, mais son argument n'a pas été retenu. Les motifs pour lesquels le juge Collier a refusé d'ap- pliquer la Déclaration se trouvent à la page 709. Je cite ci-dessous les passages pertinents de ces motifs:
La Déclaration canadienne des droits ne fait pas partie de la Constitution canadienne. Elle n'a produit dans le passé que des résultats malheureux et futiles ...
On dit que pour MacBain, la Déclaration peut s'appliquer: en l'espèce la Commission a appliqué la Loi canadienne sur les droits de la personne de manière à créer une crainte raisonna- ble de partialité; il ne peut y avoir une audition impartiale; si la Commission a l'intention de constituer un tribunal, elle doit d'abord s'abstenir de déclarer la plainte fondée. M' Genest ne m'a pas demandé de déclarer sans effet les dispositions perti- nentes de la loi. 11 a fait valoir que je dois simplement conclure qu'en l'espèce, l'application de la loi par la Commission est contraire aux restrictions qu'énonce l'alinéa 2e) de la Déclara- tion canadienne des droits.
C'est à regret, avec des doutes et des hésitations, que je conclus qu'on ne peut utiliser de cette manière la Déclaration canadienne des droits. Je ne puis non plus, compte tenu des faits en l'espèce, conclure que les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont sans effet.
Pour ma défense, j'avance que la Déclaration canadienne des droits est une loi incommode. C'est tout ce que c'est: une loi. Elle n'a pas véritablement de dents; c'est, telle que je la conçois, un instrument d'interprétation des lois, et non un instrument qui empêche la violation des droits.
En toute déférence, je suis d'accord avec l'éva- luation que le juge Collier a fait de l'état du droit en ce qui concerne la Déclaration à la date il a prononcé ses motifs de jugement dans la présente affaire. Depuis lors, cependant, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Singh, précitée. Je pense qu'il est juste de souli- gner que l'une des conséquences de cet arrêt de principe a sans doute été d'insuffler une vigueur nouvelle à la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, j'estime qu'il est nécessaire d'exa- miner cette décision assez en détail. Le juge Wilson, parlant alors pour elle-même, le juge en chef et le juge Lamer, a formulé les commentaires suivants relativement à la Déclaration en général, à la page 185 de ses motifs.
Il ne peut y avoir de doute que cette loi continue de s'appliquer pleinement et que les droits qu'elle confère sont expressément préservés par l'art. 26 de la Charte. Cependant, étant donné que j'estime que la présente situation relève de la protection constitutionnelle que fournit la Charte canadienne des droits et libertés, je préfère fonder ma décision sur la Charte.
D'autre part, le juge Beetz, parlant alors pour lui-même ainsi que pour les juges Estey et Mcln- tyre, a conclu que les procédures d'examen du statut de réfugié au sens de la Convention énon- cées dans la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] étaient incompatibles avec l'ali- néa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. À la page 224 de ses motifs, le juge Beetz a déclaré:
Ainsi, la Déclaration canadienne des droits conserve toute sa force et son effet, de même que les diverses chartes des droits provinciales. Comme ces instruments constitutionnels ou quasi constitutionnels ont été rédigés de diverses façons, ils sont susceptibles de produire des effets cumulatifs assurant une meilleure protection des droits et des libertés. Ce résultat bénéfique sera perdu si ces instruments tombent en désuétude. Cela est particulièrement vrai dans le cas ils contiennent des dispositions qu'on ne trouve pas dans la Charte canadienne des droits et libertés et qui paraissent avoir été spécialement con- çues pour répondre à certaines situations de fait comme de celles en cause en l'espèce.
À mon avis, cet exposé écarte le principe formulé par le juge Collier (tel qu'il est établi dans la jurisprudence antérieure à l'affaire Singh) et sui- vant lequel la Déclaration n'est qu'un simple outil d'interprétation. À la page 226 de ses motifs, le juge Beetz semble avoir adopté l'argument de l'avocat de l'appelant selon lequel deux éléments doivent être établis pour pouvoir conclure qu'il y a eu violation de l'alinéa 2e): premièrement, il faut établir que les «droits et obligations» d'une partie
doivent être définis par un tribunal fédéral; et, deuxièmement, que la partie en cause n'a pas eu droit à «une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale». Relative- ment au premier volet du critère, le juge Beetz a déclaré, à la page 228:
Quoi qu'il en soit, il me semble évident que l'al. 2e) a une portée plus large que la liste des droits énumérés à l'art. 1 et désignés comme «droits de l'homme et libertés fondamentales», tandis qu'à l'al. 2e), ce que protège le droit à une audition impartiale, c'est la définition des «droits et obligations» d'une personne quels qu'ils soient et dans tous les cas le processus de définition relève de l'autorité législative du Parlement du Canada. Il est vrai que la première partie de l'art. 2 parle «des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes», mais l'al. 2e) protège un droit fondamental, savoir le «droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale», pour la définition des droits et des obligations d'une personne, qu'ils soient fondamentaux ou non. Je suis d'avis que comme l'a fait valoir M' Coveney, il est possible d'appliquer l'al. 2e) sans se référer à l'art. 1 et que le droit garanti par l'al. 2e) n'est nullement limité par la notion «d'ap- plication régulière de la loi» mentionnée à l'al. l a).
Appliquant maintenant cette façon de voir au présent cas, j'estime que la Loi impose à MacBain l'obligation de ne pas poser d'actes discriminatoi- res à l'endroit de ses employés. Pour sa part, MacBain affirme qu'il a respecté cette condition, alors que de leur côté, la Commission et la plai- gnante, Mlle Potapczyk, soutiennent le contraire. Par conséquent, il semble clair que le Tribunal qui fut constitué en l'espèce était chargé de définir les obligations de MacBain en vertu de la Loi. Le premier volet du critère, tel qu'il est formulé plus haut, a donc, selon moi, été respecté.
Pour ce qui est du second volet du critère, si mes conclusions précitées concernant la crainte raison- nable de partialité sont fondées, il s'ensuit néces- sairement que MacBain n'a pas eu droit à une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale. Même si en l'espèce on n'a ni allégué ni établi être en présence d'un cas de partialité réelle, soulignons que l'apparence d'in- justice constitue également, en droit, un cas de partialité°. Le présent cas offre certaines similitu- des avec l'affaire Re McGavin Toastmaster Ltd. et al. and Powlowski et al. (1973), 37 D.L.R. (3d) 100 décidée par la Cour d'appel du Manitoba.
° Voir Re Latimer (W.D.) Co. Ltd. et al. and Bray et al. (1974), 6 O.R. (2d) 129 (C.A.), à la page 137, par le juge d'appel Dubin.
Même si le mécanisme prévu au Human Rights Act [S.M. 1970, chap. 104] du Manitoba, dont il était question dans cette affaire, est quelque peu différent, je trouve pertinent l'exposé suivant du juge d'appel Hall, au nom de la majorité, à la page 119:
[TRADUCTION] La Commission et sa loi habilitante protègent tout autant les droits du plaignant que ceux de la personne contre qui la plainte est portée, et ne serait-ce que pour ce motif, la justice exigeait de la Commission qu'elle exerce une vigilance consommée relativement à la procédure à suivre pour statuer sur les plaintes.
Tout comme dans l'arrêt McGavin précité, il est aussi question, en l'espèce, d'une législation sur les droits de la personne dont la nature même exige une «vigilance consommée» vis-à-vis la procédure à suivre. Dans le présent cas, l'économie de la loi et la procédure prescrite par cette dernière relative- ment à la constitution du Tribunal contreviennent à la justice fondamentale, car la procédure en question ne permet pas d'exercer cette «vigilance consommée» dont fait état le juge d'appel Hall et à laquelle on peut raisonnablement s'attendre lors- que les droits d'individus sont en jeu.
Avant de laisser l'arrêt Singh, je tiens à souli- gner qu'en appliquant la Déclaration à une loi qui lui était postérieure, le juge Beetz a expressément repoussé toute suggestion voulant que la Déclara- tion ne s'applique qu'aux lois qui la précédaient. À la page 236 de ses motifs, il a déclaré:
... je ne vois pas de motif de ne pas appliquer le principe énoncé dans l'arrêt Drybones à une disposition adoptée après la Déclaration canadienne des droits. Voici le par. 5(2):
(2) L'expression «loi du Canada», à la Partie I, désigne une loi du Parlement du Canada, édictée avant ou après la mise en vigueur de la présente loi, ou toute ordonnance, règle ou règlement établi sous son régime, et toute loi exécutoire au Canada ou dans une partie du Canada lors de l'entrée en application de la présente loi, qui est susceptible d'abroga- tion, d'abolition ou de modification par le Parlement du Canada.
LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS
Lors de l'instruction du présent appel, l'argu- mentation de l'avocat de MacBain a porté princi- palement sur l'alinéa 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits. Il a prétendu que si la Cour souscrivait à ses arguments sur l'alinéa 2e), il deviendrait inutile de se demander si l'article 7 ou le paragraphe 11d) de la Charte trouvent quelque application dans le présent cas. Il a néanmoins soumis, dans son argumentation principale et dans
son exposé de faits et de droit, certains arguments concernant ces dispositions de la Charte. Toute- fois, pendant que l'avocat du procureur général du Canada nous soumettait son argumentation, l'avo- cat de MacBain nous a informés qu'il ne deman- dait pas à la Cour de se prononcer sur l'applicabi- lité de quelque article de la Charte. En conséquence, la Cour n'a pas entendu d'autres arguments sur cette question de la part des avocats des intimés. Je n'ai donc pas l'intention d'exami- ner, en l'espèce, la question de l'applicabilité de la Charte.
REDRESSEMENTS
Ayant conclu que le mécanisme de décision prévu à la Loi canadienne sur les droits de la personne est intrinsèquement partial, violant par l'alinéa 2e) de la Déclaration, je dois donc m'inter- roger sur le redressement approprié eu égard à toutes les circonstances des présentes procédures. La Déclaration canadienne des droits, tout comme son équivalent aux États-Unis, ne traite pas expréssement des conséquences découlant de la violation de ses dispositions. Sur ce point, il y a contraste frappant avec la Charte qui, elle, aborde cette question avec clarté et lui accorde une impor tance sans précédent. Je fais ici référence au para- graphe 52(1) de la Charte qui prévoit que sont «inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.» De même, il faut également mentionner le paragraphe 24(1) de la Charte qui confère à «un tribunal compétent» le pouvoir d'ac- corder la réparation qu'il estime «convenable et juste eu égard aux circonstances.» Toutefois, le mutisme de la Déclaration à cet égard n'implique pas, selon moi, qu'il soit impossible d'en assurer l'application, car il est constant qu'il ne peut y avoir de droit sans redressement. De plus, la juris prudence pertinente appuie cette façon de voir la question. Dans R. c. Drybones, [ 1970] R.C.S. 282, à la page 294, le juge Ritchie, s'exprimant alors pour la majorité de la Cour suprême du Canada, a cité les premiers mots de l'article 2 de la Déclara- tion qui sont ainsi rédigés:
Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer ... (Les soulignés sont du juge Ritchie.)
Ensuite, le juge Ritchie a poursuivi en déclarant:
Il me semble qu'il faut donner à ces mots un sens plus réaliste; à mon avis, ils indiquent très clairement que l'art. 2 veut dire, et signifie effectivement que, si une loi du Canada ne peut être «raisonnablement interprétée et appliquée» sans sup- primer, restreindre ou enfreindre un des droits ou libertés reconnus et proclamés dans la Déclaration, une telle loi est inopérante «à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Décla- ration canadienne des droits».
Je crois qu'il y a une distinction à faire entre une déclaration des tribunaux à l'effet qu'un article ou une partie d'un article d'une loi est inopérant et l'abrogation d'un tel article et qu'il faut restreindre la déclaration aux circonstances de l'affaire elle est faite. La situation me paraît analogue à celle d'une loi provinciale valide dans un champ autrement inoccupé qui devient inopérante par suite d'une loi fédérale en conflit.
Même si, postérieurement à l'arrêt Drybones précité, la Cour suprême du Canada n'a, à ma connaissance, déclaré aucune autre loi inopérante en vertu de la Déclaration jusqu'à sa décision dans l'affaire Singh précitée, elle n'en a pas moins réaffirmé à maintes reprises le principe énoncé dans Drybones pour ce qui est du redressement prévu en cas de violation des dispositions de la Déclarations. L'extrait suivant tiré de la décision du juge Laskin [tel était alors son titre] dans Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889, à la page 899, n'est qu'une autre illustration du point de vue de la Cour suprême du Canada sur les conséquences du non-respect de la Déclaration:
... il faudrait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi (par opposition à une compétence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard ... (C'est moi qui souligne.)
Outre l'affaire Singh précitée, il existe au moins une autre décision récente des tribunaux canadiens ayant rendu inopérant un texte de loi fédéral qui supprimait des droits protégés par la Déclaration. Je fais référence ici à la décision de la Cour d'appel du Manitoba dans R. v. Hayden (1983), 3 D.L.R. (4th) 361, le juge d'appel Hall, parlant alors au nom de la Cour, a conclu qu'un article de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap. 1-6] concernant l'état d'ébriété sur une réserve était inopérant parce qu'il enfreignait l'alinéa 1 b) de la Déclaration. Voici en quels termes était formulé le
5 Voir par exemple: Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; Procureur général du Canada et autre c. Canard, [1976] I R.C.S. 170; R. c. Burnshine, [ 1975] I R.C.S. 693; Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349.
redressement proposé par le juge Beetz, dans l'ar- rêt Singh, aux pages 239 et 240:
Pour les sept causes en l'espèce, je suis d'avis de déclarer inopérants tous les mots du par. 71(1) de la Loi sur l'immigra- tion de /976, qui suivent les mots:
«La Commission, ... sans délai». (C'est moi qui souligne.)
Il importe de souligner qu'en dépit de la remarque susmentionnée du juge Beetz, le mot «inopérant» qui apparaît dans les motifs de jugement pronon- cés par la Cour suprême du Canada ne se retrouve pas dans son jugement. Ce point sera examiné plus loin aux présentes.
Comme l'a dit le juge Ritchie dans l'affaire Drybones précitée, une autre caractéristique du redressement accordé en vertu de la Déclaration est qu'il faut particulariser, dans une certaine mesure, une conclusion décrétant que des disposi tions législatives sont inopérantes. Tarnopolsky écrit ce qui suit au sujet de l'article 2 et de l'affaire Drybones dans la deuxième édition revue et corri- gée de son ouvrage The Canadian Bill of Rights (1975) (aux pages 140 et 141):
[TRADUCTION] Il semble donc que le Parlement avait, en adoptant le premier paragraphe de l'article 2, l'intention que lui prête la majorité de la Cour suprême, savoir que les tribunaux doivent déclarer «inopérante» toute loi qui contrevient à la Déclaration canadienne des droits.
Ce doit être dans le but de limiter l'effet de sa décision aux circonstances particulières de l'affaire que l'on a précisément choisi le terme «inopérante» au lieu des mots «nulle» ou «invalide».
Le juge Beetz a souscrit à ce point de vue dans l'affaire Singh car sa déclaration se limitait préci- sement aux «sept causes en l'espèce la demande de statut de réfugié au sens de la Convention a été décidée au fond sans audition quelle qu'elle soit.» (Motifs du juge Beetz, à la page 237).
Les restrictions énoncées plus haut en ce qui a trait aux redressements accordés en cas de viola tion de la Déclaration doivent être comparées aux tendances qui émergent relativement aux redresse- ments accordés en vertu de la Charte. Dans l'af- faire Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2
R.C.S. 145, la page 170, la Cour suprême du Canada a conclu que certains paragraphes de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23] étaient incompatibles avec les dispositions de l'article 8 de la Charte et
«par conséquent, inopérants.» Dans l'arrêt Singh, Madame le juge Wilson, examinant alors l'appli- cation de la Charte, a jugé que le paragraphe 52(1) exigeait «une déclaration que le par. 71(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 est inopérant dans la mesure il est incompatible avec l'art. 7.» (Page 221 des motifs). De plus, conformément aux dispositions plus générales de l'article 24 de la Charte, elle a ordonné l'annulation des décisions de cette Cour et de la Commission d'appel de l'immigration et le renvoi des sept affaires devant cette dernière «pour qu'elle procède à une audition sur le fond conformément aux principes de justice fondamentale énoncés précédemment.» (Page 222 des motifs).
Il n'est pas sans intérêt, à la lumière de l'analyse qui précède, d'examiner le jugement formel de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Singh pré- cité. Après avoir accueilli les pourvois, infirmé les décisions de la Cour et de la Commission d'appel de l'immigration et renvoyé les revendications du statut de réfugié à la Commission pour qu'elle procède à une audition sur le fond conformément aux principes de justice fondamentale, la Cour a de plus déclaré, entre autres la page 184], que:
Les appelants ont droit à un jugement déclaratoire portant que le par. 71(1) de la Loi sur l'Immigration de 1976, sous sa forme actuelle, ne s'applique pas à eux. (C'est moi qui souligne.)
Il serait présomptueux de ma part de tenter d'ex- pliquer ou de justifier l'utilisation de ces différen- tes expressions (»inoperative»; «of no force and effect»; et «has no application»). Quoi qu'il en soit, un tel exercice serait bien inutile étant donné mon opinion sur la question. Puisqu'on a régulièrement réaffirmé, comme je l'ai souligné plus tôt, que le défaut de se conformer à la Déclaration doit donner lieu à un jugement déclaratoire portant que les dispositions législatives contestées sont inopé- rantes, je me propose de suivre cette approche dans le choix du redressement approprié en l'espèce.
LE REDRESSEMENT APPROPRIÉ EN L'ESPÈCE
J'estime que le redressement approprié en l'es- pèce est un jugement déclaratoire en faveur de MacBain portant que les paragraphes (1) et (5) de l'article 39 de la Loi sont inopérants en ce qui concerne la plainte que Kristina Potapczyk a dépo- sée contre lui. Dans son action en jugement décla- ratoire, MacBain a également demandé une décla-
ration portant que toute la Partie III de la Loi est inopérante. Cette Partie renferme les articles 31 à 48 inclusivement. Je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire ou approprié de donner une telle ampleur au jugement déclaratoire en question, compte tenu de l'opinion exprimée par le juge Beetz dans l'arrêt Singh, aux pages 235 et 236:
Il y a probablement plus d'un moyen de corriger les lacunes constitutionnelles de la Loi sur l'Immigration de 1976. Il n'entre pas dans les attributions de cette Cour de rédiger la Loi. Ce n'est pas non plus de son pouvoir. Si la Constitution l'exige, cette Cour et d'autres cours peuvent procéder à des opérations drastiques sur les dispositions législatives défectueuses, mais non à des opérations d'embellissement ou de reconstruction ...
Pour les motifs énoncés plus haut, je conclus à la lumière des faits de l'espèce que la partie préjudi- ciable du mécanisme de traitement des plaintes prévu par la loi est la constitution du Tribunal par la Commission puisque cette dernière est aussi la partie plaignante. Cette situation regrettable est aggravée par le fait qu'en l'espèce la Commission a procédé à la constitution du Tribunal après avoir conclu, aux termes du paragraphe 36(3), que la plainte en question était fondée. Comme il est souligné plus haut, la conclusion originale de la Commission selon laquelle la plainte déposée par Potapczyk contre MacBain était fondée n'est pas à proprement parler mise en doute dans les présentes procédures, et par conséquent demeure inchangée. J'estime qu'une déclaration selon laquelle les para- graphes (1) et (5) de l'article 39 sont inopérants en ce qui concerne la plainte en cause suffira à remé- dier aux lacunes constitutionnelles de la loi dans les circonstances de l'espèce.
L'avocat de la plaignante a soutenu que si l'on concluait à la violation des dispositions du para- graphe 2e) de la Déclaration, la plaignante pour- rait se trouver privée de tout recours, ce qui met- trait en péril son droit de voir sa plainte jugée. Le redressement que je propose ne produit pas un tel résultat. La décision de la Commission selon laquelle, aux termes du paragraphe 36(3) de la Loi, la plainte était fondée, reste inchangée. Le remède à apporter aux lacunes des paragraphes (1) et (5) de l'article 39 est une question qui ressortit au Parlement. En élaborant ce redresse- ment, je me suis bien efforcé de limiter les «opéra- tions» nécessaires au strict minimum, étant donné qu'il appartient au Parlement et non aux tribunaux de légiférer (sauf lorsqu'il y a violation d'un instru-
ment quasi constitutionnel, comme c'est le cas en l'espèce). D'autre part, MacBain se plaindra peut- être que même si cette décision a pour effet d'an- nuler l'ordonnance que le Tribunal a prononcée contre lui, il n'en reste pas moins que subsiste toujours la décision de la Commission concluant que la plainte dont il fait l'objet est fondée. À cela, je répondrais qu'il aurait pu attaquer cette conclu sion de la Commission par voie de demande fondée sur l'article 28, mais il n'en a rien fait. De plus, j'estime inutile de déclarer inopérant le paragraphe (3) de l'article 36 dans le but d'attaquer la partie du mécanisme prévu par la Loi qui est contraire a l'alinéa 2e) de la Déclaration en ce qui concerne les faits en cause.
Je suis également conscient du fait que cette décision pourra avoir un certain effet sur d'autres plaintes déposées devant la Commission dans le cadre desquelles cette dernière a constitué ou s'ap- prête à constituer des tribunaux sous le régime actuel de la Loi. Cette considération me convainc davantage que les jugements déclaratoires pronon- cés en vertu de la Déclaration devraient se limiter strictement aux parties de textes législatifs par ailleurs valides qui doivent nécessairement être déclarées inopérantes afin de régler les points liti- gieux dans un cas particulier.
LE PRINCIPE DE L'ÉTAT DE NÉCESSITÉ
Pour terminer, j'estime nécessaire de rechercher si le principe de l'état de nécessité s'applique ou non de façon à rendre la Déclaration inapplicable à la situation en cause. L'exposé déposé par l'avo- cat de la plaignante fait état succintement de ce principe dans les termes suivants (Exposé de l'inti- mée Kristina Potapczyk, paragraphe 35, aux pages 7 et 8):
[TRADUCTION] ... même si chacune des personnes admissibles à faire partie du tribunal est susceptible d'être récusée pour partialité (on vise ici la sélection elle-même), la loi doit s'appli- quer nonobstant cette récusation possible. Si l'on admet la position de l'appelant, il ne se trouverait personne sur la liste des membres éventuels du tribunal pour échapper à la récusa- tion fondée sur la crainte raisonnable de partialité.
À l'appui de cette thèse, on a cité la décision de cette Cour dans l'affaire Caccamo c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 1 C.F. 366; (1977), 75 D.L.R. (3d) 720 aux pages 725 et 726. L'arrêt Caccamo repose sur deux motifs: premièrement, sur le principe de l'état de
nécessité, et deuxièmement, sur le fondement selon lequel les faits en cause ne justifiaient pas une crainte raisonnable de partialité. Plus haut dans les présents motifs, j'ai établi une distinction entre l'affaire Caccamo et l'espèce relativement à la question de la crainte raisonnable de partialité. Je me propose maintenant de discuter de l'affaire précitée en fonction du principe de l'état de néces- sité. Tout d'abord, je doute sérieusement que l'ar- rêt Caccamo ait une force persuasive et détermi- nante, étant donné l'arrêt Singh précité. J'en arrive à cette conclusion parce que le juge Beetz a qualifié la Déclaration d'instrument quasi consti- tutionnel à la page 224 de l'arrêt Singh, cité plus haut, et parce qu'il dit en outre à la page 239 du même arrêt que le principe appliqué dans l'arrêt Drybones est toujours valide. Dans l'arrêt Drybo- nes, la majorité des juges de la Cour a statué que les mots au début de l'article 2 de la Déclaration indiquent très clairement que l'article veut dire, et signifie effectivement que, si une loi du Canada ne peut être «raisonnablement interprétée et appli- quée» sans supprimer, restreindre ou enfreindre un des droits ou libertés reconnus et proclamés dans la Déclaration, une telle loi est inopérante «à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits» 6 .
Étant donné cet exposé clair et dépourvu de toute ambiguïté sur la primauté des droits conférés par la Déclaration, je doute de l'applicabilité de l'arrêt Caccamo en raison de l'évolution de notre jurisprudence depuis que cet arrêt a été rendu.
Quoi qu'il en soit, la Cour suprême du Canada a récemment étudié la question du principe de l'état de nécessité dans l'arrêt Renvoi: Droits linguisti- ques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; 59 N.R. 321. L'article 23 de la Loi de 1870 sur le Mani- toba [33 Vict., chap. 3 (Can.) [S.R.C. 1970, Appendice II, No. 8], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 2] prévoit que les actes de la législature seront imprimés et publiés en anglais et en français. Après l'entrée du Mani- toba dans la Confédération, les lois de cette pro
6 Ce résumé du fondement de l'arrêt Drybones est tiré du sommaire du recueil. Le texte intégral se trouve à la page 294 des motifs du juge Ritchie, qui ont été reproduits plus haut.
vince n'ont pas été imprimées ni publiées en fran- çais. En 1890, la législature du Manitoba adoptait l'Official Language Act [An Act to Provide that the English Language shall be the Official Lan guage of the Province of Manitoba, S.M. 1890, chap. 14], sous le régime duquel l'anglais était la langue officielle du Manitoba et les lois de cette province n'avaient à être imprimées et publiées qu'en anglais. En 1979, cette loi a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada. La législature du Manitoba a alors adopté la Loi sur l'application de l'article 23 de l'Acte du Manitoba aux textes législatifs [S.M. 1980, chap. 3 (S207)]. On tentait par cette Loi de contourner les effets de la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1979. L'anglais demeurait la langue dominante. On a demandé à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur le caractère impératif de l'article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, et sur l'effet de cet article sur la validité des lois du Manitoba, dans l'éven- tualité ou le caractère impératif de l'article en question serait reconnu. La Cour suprême a statué que l'article 23 était impératif et que toutes les lois du Manitoba depuis l'entrée de cette province dans la Confédération, qui n'avaient pas été adoptées, imprimées et publiées en anglais et en français étaient invalides. Pour éviter à cette province un désastreux vide juridique, la Cour a décidé que les Ibis en question seraient réputées temporairement valides pendant le délai minimum requis pour qu'elles soient traduites puis adoptées de nouveau, et enfin imprimées et publiées. Pour atteindre ce résultat, la Cour a invoqué le «principe de l'état de nécessité». Après avoir étudié un certain nombre de situations analogues qui s'étaient présentées dans différents pays, la Cour, à la page 763 R.C.S.; 368 N.R., a énoncé ce principe comme suit dans le contexte de la situation linguistique au Manitoba:
... une cour peut temporairement considérer comme valides et opérantes des lois entachées d'un vice d'ordre constitutionnel afin de préserver la primauté du droit ... en situation d'ur- gence, lorsqu'il est impossible d'observer la Constitution, la Cour peut permettre au gouvernement de surseoir temporaire- ment à cette observance afin de protéger la société et de maintenir, autant que possible, une situation normale. Le souci primordial est de protéger la primauté du droit.
Pour ce qui est de savoir si la décision Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba est applicable à l'espèce, je tiens à souligner que la situation en
cause est remarquablement différente de celle qui se présentait au Manitoba. Comme l'a fait remar- quer la Cour aux pages 766 et 767 R.C.S.; 372 N.R. de l'arrêt précité:
... la province du Manitoba se trouve dans une situation d'urgence: toutes les lois de la législature du Manitoba, appa- remment abrogées, périmées ou actuelles l'exception des lois récentes qui ont été adoptées, imprimées et publiées dans les deux langues), sont et ont toujours été invalides et inopérantes, et la Législature est dans l'impossibilité d'adopter de nouveau immédiatement dans les deux langues ces lois unilingues.
En l'espèce, il y aura simplement une déclaration portant qu'une partie des dispositions de la Loi concernée est inopérante dans la mesure elle s'applique à l'appelant/requérant. L'espèce ne rap- pelle en rien le «chaos juridique» dont a parlé la Cour suprême du Canada dans l'affaire du Mani- toba. Le jugement déclaratoire en l'espèce ne tou- chera qu'une partie d'une loi. Il s'adresse unique- ment à l'appelant/requérant dans la présente affaire et, il est possible, à des parties dans d'au- tres affaires dont les faits sont identiques à ceux de l'espèce. À mon avis, ce jugement déclaratoire ne nuira pas à la validité des décisions déjà rendues par les tribunaux constitués sous le régime actuel. Je dis cela étant donné les commentaires aux pages 767 et 768 R.C.S.; 373 N.R. du Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, que voici:
Les droits, obligations et autres effets qui ont découlé de lois apparemment abrogées ou périmées, du fait que l'on se soit fié aux actes d'officiers publics ou à la validité juridique présumée de corps publics ou privés, sont exécutoires et à tout jamais incontestables par application du principe de la validité de facto. C'est également le cas des droits, obligations et autres effets qui ont découlé de lois apparemment abrogées ou péri- mées et qui sont sauvés par l'application de principes comme ceux de la chose jugée et de l'erreur de droit.
Pour les motifs énoncés plus haut, je conclus que le principe de l'état de nécessité, tel qu'il a été appliqué dans l'affaire Caccamo, ne peut s'appli- quer aux faits de l'espèce de façon à priver l'appe- lant/requérant du redressement qui s'ouvre par ailleurs à lui en vertu de la Déclaration des droits.
CONCLUSION
Pour tous les motifs énoncés plus haut, je con- clus qu'il conviendrait de disposer comme suit des trois actions en cause:
a) Dossier A-703-84 - Puisque l'objet de cette action est devenu théorique, l'appel devrait être
rejeté. Je n'adjugerais aucun dépens dans cet appel.
b) Dossier A-996-84 - J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision rendue par les intimés Lederman, Robson et Cumming, en leur qualité de membres du Tri bunal des droits de la personne constitué en vertu de l'article 39 de la Loi.
c) Dossier A-704-84 - J'accueillerais l'appel avec dépens aussi bien en appel que devant la Division de première instance, et je rendrais un jugement déclaratoire portant que les paragraphes (1) et (5) de l'article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont inopérants en ce qui concerne la plainte déposée contre l'appelant/ requérant Alistair MacBain par l'intimée Kristina Potapczyk.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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