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T-1292-84
Julie Dalton (demanderesse) c.
Commission canadienne des droits de la personne, Canadian Pacific Airlines Limited, Brotherhood of Railway and Airline Clerks, System Board of Adjustment No. 435 et Bianca Perruzza (défende- resses)
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 21 septembre 1984; Vancouver, 18 octo- bre 1984.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Droits de la personne La Commission canadienne des droits de la personne a approuvé, en vertu de l'art. 38 de la Loi, un accord par lequel le syndicat, la compagnie et la défenderesse Perruzza ont accepté la modifi cation de la liste d'ancienneté Des tierces parties touchées par le réajustement de la liste d'ancienneté n'ont été avisées ni de la plainte ni des modalités de l'accord ni de l'approbation de la Commission La compagnie et le syndicat ne peuvent modifier rétroactivement les listes d'ancienneté sans que les employés y participent Si la clause relative à l'ancienneté de la convention collective est nulle, il est logique de décrire ce qui s'est passé par la suite comme l'adoption par la compagnie et le syndicat d'une pratique qui consiste à attribuer l'ancien- neté à partir des règles préexistantes L'art. 46 de la Loi fait de l'inobservation d'un accord approuvé par la Commission une infraction criminelle La participation de la Commission fait de la procédure de négociation et de règlement sous sa tutelle quelque chose de qualitativement différent des négocia- tions normales entre un employeur et un syndicat La Commission dispose d'une procédure flexible On doit con- cevoir un mécanisme permettant aux tierces parties touchées par une décision de faire valoir leurs droits communs Il sera rendu une ordonnance interdisant à la compagnie et au syndicat de donner suite à la liste d'ancienneté révisée en vertu de l'accord approuvé par la C.C.D.P. L'accord est déclaré nul parce qu'il a été conclu sans tenir compte des règles de justice naturelle Loi canadienne sur les droits de la per- sonne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 38, 46.
Lois Interprétation Application rétrospective de la Loi canadienne sur les droits de la personne La Commission canadienne des droits de la personne a conclu que les listes d'ancienneté de CP Air constituaient un acte discriminatoire fondé sur l'âge, et elle a approuvé un accord modifiant les listes d'ancienneté établies antérieurement à l'actuelle conven tion collective Présomption réfutable du caractère non rétrospectif des lois Une loi rétrospective omet en cause une opération consommée et modifie ses conséquences, bien que la modification n'ait d'effet que pour l'aveniro En l'espèce, l'acte discriminatoire n'est pas consommé dans le passé Le recours constant à une liste d'ancienneté qui, en soi, a un caractère discriminatoire équivaut à une succession ou à une répétition d'actes discriminatoires Cela diffère des effets continus d'un acte discriminatoire isolé car le demandeur subit
à chaque occasion différents types de préjudice La conduite reprochée constitue un acte discriminatoire interdit par la Loi
La mesure prise par la Commission pour redresser la situation ne constitue pas une application rétrospective de la Loi.
Droits de la personne Compétence de la Commission canadienne des droits de la personne Application rétrospec- tive de la Loi canadienne sur les droits de la personne La présomption du caractère non rétrospectif des lois s'applique à toutes les lois à moins qu'elle ne soit réfutée La Commis sion a conclu que les listes d'ancienneté de CP Air consti- tuaient un acte discriminatoire, et elle a approuvé un accord modifiant le classement selon l'ancienneté sur la base d'une application rétro-active de la nouvelle convention collective Une loi rétrospective »met en cause une opération consommée et modifie ses conséquences, bien que la modification n'ait d'effet que pour l'avenir» La situation en l'espèce n'est pas un acte discriminatoire consommé dans le passé Le recours constant à une liste d'ancienneté qui, en soi, a un caractère discriminatoire équivaut à une succession ou à une répétition d'actes discriminatoires La conduite reprochée constitue un acte discriminatoire interdit par la Loi La mesure prise par la Commission pour redresser la situation ne constitue pas une application rétrospective de la Loi Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3, 7b), 9(1)c), 10, 35, 38.
Droits de la personne Compétence de la Commission canadienne des droits de la personne Immixtion dans les droits acquis La Commission a approuvé un accord modi- fiant des listes d'ancienneté La présomption de non-immix- tion dans les droits acquis ne s'applique que lorsque la loi est ambiguë La Loi n'est pas ambiguë quant au pouvoir de la Commission d'ordonner le réajustement des listes d'ancienneté
L'inclusion des art. 16, 32(7), 42(2), 48 et 65 interdisant expressément de porter atteinte à certains types de droits acquis révèle l'intention du législateur d'accorder à la Com mission un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les autres droits qui ne bénéficient pas d'exemption Loi cana- dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 16, 32(7), 42(2), 48, 65.
Droits de la personne La Commission canadienne des droits de la personne a approuvé une liste d'ancienneté révisée
Le texte de l'accord n'autorise pas le réajustement de l'ancienneté, ainsi qu'il ressort de la liste d'ancienneté révisée
L'accord exige »une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'application rétroactive de l'article 7.08 de la convention 22» L'article 7.08 exige qu'on se serve de l'âge pour établir l'ancienneté des employés engagés avant la date d'entrée en vigueur de la convention et que, par la suite, on procède par sélection au hasard Si l'on interprète littéralement l'accord, il est sans effet La demanderesse n'a pas invoqué cet argument, mais la Cour est tenue de l'examiner puisque, en vertu de l'art. 46, l'inobservation des conditions d'un accord qu'a approuvé la Commission constitue une infraction crimi- nelle Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap 33, art. 46.
L'ancienneté des employés qui avaient été embauchés le même jour par CP Air dépendait, en vertu d'une clause négo- ciée de la convention collective, de leur date de naissance. En octobre 1982, cette clause a changé, ce qui fait que l'ancienneté
reposait sur une sélection au hasard. La défenderesse Perruzza a déposé une plainte portant que la détermination de l'ancien- neté constituait un acte de distinction illicite fondé sur l'âge. A la suite d'une enquête faite par la Commission, l'employée, le syndicat et la compagnie ont conclu un accord portant modifi cation des listes d'ancienneté. En vertu de l'article 38 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a approuvé l'accord. Ni la demanderesse ni les autres employés dont les droits d'ancienneté se trouveraient touchés par le réajustement de la liste d'ancienneté n'ont été avisés de la plainte, de l'accord et de l'approbation de la Commission. La demanderesse, dont l'ancienneté a été modifiée par le réajuste- ment de la liste, sollicite un jugement déclarant que l'approba- tion par la Commission du réajustement des listes d'ancienneté est sans effet, et une injonction interdisant au syndicat et à la compagnie d'adopter la liste révisée. La demanderesse fait valoir que la Commission ne peut approuver les accords qui nécessitent le réajustement des listes d'ancienneté établies avant l'entrée en vigueur des dispositions applicables de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne. Agir ainsi revient à appliquer la loi de façon rétrospective. La demanderesse sou- tient également que les droits d'ancienneté sont des droits acquis qui ne peuvent être écartés par de nouvelles dispositions législatives, à moins d'une disposition expresse du Parlement. Il est allégué en dernier lieu que la Commission ne saurait approuver un accord sans aviser les tierces parties dont les intérêts seraient touchés ni leur donner l'occasion de se faire entendre.
Jugement: il sera rendu une ordonnance interdisant la mise en application de la liste d'ancienneté révisée. Il sera également rendu un jugement déclarant que les termes de l'accord n'auto- risent pas le réajustement de l'ancienneté, ainsi qu'il ressort de la liste d'ancienneté révisée, et que l'accord est nul parce qu'il a été conclu sans tenir compte des règles de justice naturelle.
Une loi rétrospective est celle qui «met en cause une opéra- tion consommée et modifie ses conséquences, bien que la modi fication n'ait d'effet que pour l'avenir». Le fait qu'un réajuste- ment de la liste n'a d'effet que pour l'avenir ne signifie pas qu'il n'y a pas application rétrospective de la loi. En l'espèce, il n'existe pas d'acte discriminatoire qui a été consommé dans le passé. Chaque fois qu'une décision en matière d'emploi est prise sur la base de l'ancienneté, il y a discrimination fondée sur l'âge. Il existe une succession ou répétition d'actes discrimina- toires qui constitue une pratique discriminatoire interdite par la Loi. La mesure prise par la Commission pour redresser la situation ne saurait être considérée comme une application rétrospective de la Loi.
La présomption de non-immixtion dans les droits acquis n'entre en jeu que lorsque la loi est ambiguë. Les droits d'ancienneté ressemblent suffisamment à des droits acquis pour être visés par ce principe de l'interprétation législative. Toute- fois, la Loi n'est pas si ambiguë à ce sujet au point de permettre l'application de ce principe. L'inclusion des articles 16, 32(7), 42(2), 48 et 65 interdisant expressément de porter atteinte à certains types de droits acquis révèle l'intention de législateur d'accorder à la Commission un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les autres droits qui ne bénéficient pas d'exemption.
Si la clause dans la convention collective relative aux droits d'ancienneté est nulle parce que contraire à l'ordre public, le réajustement de la liste d'ancienneté constituait l'adoption par
la compagnie et le syndicat d'une pratique qui consiste à attribuer l'ancienneté à partir des règles préexistantes. Donc, il n'y a pas eu de vide permettant à la compagnie et au syndicat de conclure un accord réajustant la liste d'ancienneté sans aviser la demanderesse et sans son consentement. Bien que, dans certaines circonstances, les syndicats puissent signer, au nom de leurs membres, des ententes relatives à des actions en justice, ou modifier une convention collective au moyen d'une lettre d'entente, il est exagéré d'affirmer que la compagnie et le syndicat à l'instance pouvaient modifier rétroactivement les listes d'ancienneté sans que les employés y participent. L'ab- sence d'une condition écrite dans les statuts du syndicat ne signifie pas qu'un vote de ratification n'est pas nécessaire avant qu'une convention collective ne devienne exécutoire. La partici pation de la Commission, qui, en approuvant les accords, les a transformés en actes instrumentaires, la violation de ceux-ci constituant une infraction criminelle, dans le processus de négociation et de règlement change la nature de ce qui pourrait être, sans cela, strictement un processus de négociation. La Commission dispose d'une procédure flexible. Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'entendre chaque personne séparément, on doit concevoir un mécanisme permettant aux tierces parties dont les intérêts seraient touchés de faire valoir leurs droits.
L'accord exige «une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'application rétroactive de l'article 7.08 de la convention 22». L'article 7.08 exige qu'on se serve de l'âge pour établir l'ancienneté des employés engagés avant la date d'entrée en vigueur (31 octobre 1982). L'application rétroactive de cet article ne change rien, puisque l'âge était utilisé avant le 31 octobre 1982. L'accord n'exige nullement le réajustement de la liste d'ancienneté. Il faut tenir compte de ce moyen de défense fondamental même si les parties ne l'ont pas invoqué. En vertu de l'article 46 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'inobservation des conditions d'un accord qu'a approuvé la Commission constitue une infraction criminelle. Cela exige une formulation précise de l'accord, et il faut s'en tenir strictement au texte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Steel v. Union of Post Office Workers, [1978] 1 W.L.R. 64 (Employment Appeal Tribunal); Province of Manitoba v. Manitoba Human Rights Commission, et al. (1983), 25 Man. R. (2d) 117 (C.A.); B.C. Distillery Co. Ltd. and Group of Seagrams Employees and Distillery, Brewery, Winery, Soft Drink and Allied Workers Union, Local 604, [1978] 1 Canadian LRBR 375 (B.C.L.R.B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.); Quarles v. Philip Morris, Inc., 279 F. Supp. 505 (E.D. Va., 1968); Local 189, United Papermakers and Paperworkers, AFL-CIO, CLC v. U.S., 416 F. 2d 980 (5th Cir., 1969); Labelle et autre c. Air Canada (1982), 4 C.H.R.R. D/1311, Décision 266, (C.C.D.P.); Commission onta- rienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; Re Bakery and Con fectionery Workers' Int'l Union, Local 322, and Canada
Bread Co. Ltd. (1970), 22 L.A.C. 98 (Ont. L.R.B.); Hawkesbury & District Genera! Hospital and CUPE, Locals 1967 and 2474; Re Renee Guerin et al.; Re CUPE; Re Nicole Drouin et al., [1984] OLRB Rep. February 259; Magold et al. and Intl Brotherhood of Boilermakers, Iron Ship Builders, Blacksmiths, Forgers and Helpers et al., [1976] 1 Canadian LRBR 392; McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718.
DÉCISIONS CITÉES:
Franks v. Bowman Transportation Co., 424 U.S. 747 (5th Cir., 1976); Starey v. Graham, [1899] 1 Q.B. 406; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; McCar- thy c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 309 (C.A.).
AVOCATS:
George A. Lane pour la demanderesse.
Russell G. Juriansz pour la Commission canadienne des droits de la personne, défende- resse.
K. F. Braid pour Canadian Pacific Airlines, défenderesse.
Personne n'a comparu pour le compte de la défenderesse Brotherhood of Railway and Airline Clerks, System Board of Adjustment No. 435, et de la défenderesse Bianca Perruzza.
PROCUREURS:
Keyser, Mason, Coleman, McTavish & Lewis, Mississauga, pour la demanderesse. Russell G. Juriansz, avocat général, Commis sion canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la Commission canadienne des droits de la personne, défenderesse.
K. F. Braid, conseiller régional intérimaire, contentieux de Canadian Pacific, Toronto, pour Canadian Pacific Airlines, défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED: Au début, on a pensé que cette affaire portait uniquement sur deux questions: (1) la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne pour approuver les accords portant modification du classement selon l'ancien- neté des employés pour le motif que l'entente en vigueur constitue un acte discriminatoire en raison
de l'âge; (2) la question de savoir si, en pareils cas, la Commission est tenue d'aviser les personnes dont le classement selon l'ancienneté se trouverait touché par une telle ordonnance, et d'accorder à celles-ci la possibilité de se faire entendre. Une troisième question, qui était pertinente, s'est déga- gée au cours du débat: l'interprétation appropriée de l'accord en question en l'espèce.
Voici les faits: de 1960 jusqu'à l'entrée en vigueur, le 31 octobre 1982, de la convention collective 22, l'ancienneté des employés qui avaient été embauchés le même jour par CP Air dépendait de leur date de naissance. (Il était d'usage d'embaucher, le même jour, un certain nombre d'employés pour faciliter le fonctionne- ment des programmes de formation des nouveaux employés.) L'utilisation de la date de naissance a été adoptée en vertu d'une clause des conventions collectives négociées par la défenderesse Brother hood of Railway and Airline Clerks, System Board of Adjustment No. 435 (BRAC) et la défenderesse CP Air. La première convention de ce genre a été négociée en 1959-1960 (convention 11), et la clause pertinente prévoyait:
[TRADUCTION] Au cas plus d'un employé appartenant au même groupe d'ancienneté auraient la même date d'ancienneté, l'employé le plus ancien figurera le premier sur la liste d'an- cienneté; advenant un nombre égal d'années de service, l'em- ployé le plus âgé figurera le premier sur la liste d'ancienneté.
Cette clause a été en grande partie reprise dans toutes les conventions ultérieures jusqu'à la con vention 22 d'octobre 1982. L'article 7.08 de cette convention est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Au cas plus d'un employé appartenant à la même classification d'ancienneté auraient la même date d'an- cienneté, l'employé ayant travaillé le plus longtemps sera consi- déré comme le plus ancien; advenant un nombre égal d'années de service, l'employé le plus âgé sera considéré comme le plus ancien.
La détermination du classement selon l'ancienneté des employés qui sont engagés après la signature de la convention 22, qui appartiennent à la même classification d'ancienneté et qui ont le même nombre d'années de service sera faite selon le processus de sélection au hasard.
L'ancienneté sert à déterminer plusieurs aspects de l'emploi: la possibilité de faire des heures sup- plémentaires, l'endroit de travail, le travail par roulement, les dates de congés payés, l'ordre selon lequel s'effectuent les mises à pied.
La défenderesse Bianca Perruzza a été engagée le 4 mai 1981. Étant la plus jeune du groupe
engagée le même jour, elle a été classée dernière sur la liste d'ancienneté. Sa mise à pied était prévue pour le mois de novembre 1982, avant les autres employés embauchés le même jour, mais qui étaient plus âgés qu'elle. (En fait, elle n'a été mise à pied qu'en janvier 1983, parce qu'elle a choisi de quitter Toronto pour travailler à Vancou- ver et de «supplanter» un employé moins ancien qui y travaillait, au lieu d'être mise à pied au mois de novembre.) Le 10 février 1983, elle a saisi la Commission des droits de la personne d'une plainte portant que la détermination de l'ancienneté et la mise à pied qui en découle constituaient un motif de distinction illicite fondé sur l'âge. Le paragra- phe 3(1) et l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2 et 3) prévoient:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
L'alinéa 9(1)c) (mod., idem, art. 4) et l'article 10 (mod., idem, art. 5) sont également pertinents:
9. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa- tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une conven tion collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'associa- tion, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou,
d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em- ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
La Commission a enquêté sur la plainte en vertu de l'article 35 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et il en est résulté un accord auquel ont souscrit les trois défenderesses CP Air, BRAC et Bianca Perruzza. L'accord stipulait:
[TRADUCTION] 1. En consultation avec le bureau régional de l'Ouest de la Commission canadienne des droits de la personne, BRAC établira une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'appli- cation rétroactive de l'article 7.08 de la convention 22, et présentera ladite liste à CP Air pour que celle-ci l'adopte.
2. CP Air adoptera la liste d'ancienneté révisée mentionnée au paragraphe 1) ci-dessus.
3. Au cas od la révision indiquée aux paragraphes 1) et 2) ci-dessus attribuerait à Bianca Perruzza un rang d'ancienneté plus élevé que celui qu'elle occupe actuellement, CP Air et BRAC partageront le remboursement du salaire qu'elle a perdu en raison de son ancienneté antérieure inférieure.
Le 4 avril 1984, la Commission a approuvé cet accord en vertu de l'article 38 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission, le syndicat et la compagnie conviennent tous que l'accord exige un réajustement de la liste d'ancien- neté, non seulement en ce qui a trait à la défende- resse Bianca Perruzza (c.-à-d. un reclassement par tirage au sort entre les personnes engagées le même jour qu'elle, soit le 4 mai 1984) mais aussi pour ce qui est de l'ancienneté de toutes les person- nes engagées au cours des années, lorsqu'on se fonde sur l'âge pour déterminer l'ancienneté des personnes engagées le même jour.
Ni la demanderesse ni les autres employés dont l'ancienneté se trouverait touchée par le réajuste- ment de la liste d'anciennété n'ont été avisés de la plainte déposée par Bianca Perruzza, des modali- tés de l'accord auquel le syndicat et la compagnie ont souscrit et de l'approbation de la Commission. La demanderesse a été mise au courant de l'accord en lisant un article publié dans le journal du syndicat et intitulé «Seniority Sweepstakes».
La demanderesse Julie Dalton a été engagée le 20 mai 1980. À l'époque, elle était classée deuxième, sur le plan de l'ancienneté déterminée selon l'âge, dans le groupe des onze employés engagés ce jour. À la suite du réajustement, elle sera classée cinquième pour ce qui est de l'ancien- neté. Elle sollicite un jugement déclarant que la décision par laquelle la Commission canadienne
des droits de la personne a approuvé le réajuste- ment de la liste d'ancienneté est sans effet, et une injonction interdisant au syndicat et à la compa- gnie d'adopter la liste d'ancienneté établie en vertu de cette décision.
Bien qu'une seule personne soit nommée comme demanderesse dans la présente action, il s'agit d'un cas type qui va déterminer également les droits de tous les autres employés dont l'ancienneté est alté- rée par la décision de la Commission.
Révision de la liste d'ancienneté—Application rétrospective de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
La demanderesse fait valoir que la Commission canadienne des droits de la personne ne peut exiger, par voie de consultation et de négociation, ni approuver les accords qui nécessitent le réajuste- ment des listes d'ancienneté établies avant le 1 °r mars 1978 (la date d'entrée en vigueur des disposi tions applicables de la Loi sur les droits de la personne). Elle allègue qu'agir ainsi revient à appliquer la loi de façon rétrospective et à porter atteinte aux droits acquis.
Dans l'arrêt Latif c. La commission canadienne des droits de la personne et autre, [1980] 1 C.F. 687, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question de l'application rétrospective de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est dit ceci aux pages 702 705:
L'avocat du requérant se fonde sur l'esprit de la loi en cause aussi bien que sur certaines de ses dispositions pour soutenir dans son plaidoyer que la Loi s'applique rétroactivement aux actes discriminatoires consommés avant son entrée en vigueur. Il ne me convainc pas qu'il faille y voir une intention aussi claire et sans équivoque du législateur ... Le fait que la loi vise un but dans l'ensemble louable ou souhaitable ne suffit pas à anéantir la règle de non-rétroactivité ... En l'espèce, la Loi n'a pas les mêmes effets [que la Loi portant réforme du droit de la famille 1978 de l'Ontario] ... Son application n'est pas fonc- tion d'un état juridique ... mais vise un comportement que la loi stigmatise, avec pour résultat de faire obstacle ou de faire échec à ce qui constituait auparavant l'exercice légitime de la liberté de contracter.
Il s'ensuit qu'à mon avis, on ne saurait dire que le législateur avait l'intention de donner à cette Loi une application rétroac- tive aux actes discriminatoires consommés avant son entrée en vigueur.
Dans l'affaire Latif, un employé a prétendu avoir été renvoyé de son travail en partie en raison de sa religion et de son origine nationale. La Commission a refusé de connaître de la plainte, parce que le renvoi avait eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Loi.
J'aimerais tout d'abord faire quelques commen- taires au sujet de l'argument de la Commission selon lequel un réajustement de la liste d'ancien- neté n'a pas d'effet rétroactif, parce qu'il ne vise pas à annuler toutes les décisions antérieures en matière d'emploi qui concernent la liste d'ancien- neté. Cela est sans doute vrai, mais le point liti- gieux n'est pas abordé; il s'agit de savoir si le réajustement des listes constitue une application rétrospective et non rétroactive de la Loi sur les droits de la personne. (Voir Driedger, Construc tion of Statutes, 2e éd., pages 185 et s. pour une explication de la différence entre l'application rétroactive et rétrospective des lois.) De même, le fait qu'un réajustement de la liste n'a d'effet que pour l'avenir ne signifie pas qu'il n'y a pas applica tion rétrospective de la loi. Dans l'ouvrage de Driedger susmentionné, à la page 186, une loi rétrospective est celle qui [TRADUCTION] «met en cause une opération consommée et modifie ses conséquences, bien que la modification n'ait d'effet que pour l'avenir». Certes, on invoque un argument solide en disant que tel est l'effet du réajustement de la liste en l'espèce.
La Commission soutient toutefois que, en l'es- pèce, exiger que la liste d'ancienneté soit réajustée pour l'avenir ne saurait équivaloir à une applica tion rétrospective de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce que la situation qu'elle vise à redresser n'est pas un acte discriminatoire consommé dans le passé. Selon elle, chaque fois qu'une décision en matière d'emploi est prise sur la base de la liste d'ancienneté (travail par roule- ment, dates de vacances, possibilité de faire des heures supplémentaires), il y a discrimination fondée sur l'âge. Cela constitue, allègue-t-on, un acte discriminatoire interdit par Loi. Cet argument a beaucoup de poids.
On a cité deux décisions américaines pour étayer l'idée que l'application d'une loi aux inci dents discriminatoires actuels n'est pas une appli cation rétrospective de la loi. Il est vrai que les deux décisions en question, Quarles v. Philip
Morris, Inc., 279 F. Supp. 505 (E.D. Va., 1968), et Local 189, United Papermakers and Paperwor- kers, AFL-CIO, CLC v. U.S., 416 F. 2d 980 (5th Cir., 1969), sont d'une utilité incertaine dans le contexte canadien. Elles portent toutes deux sur des actes discriminatoires fondés sur la race qui se sont produits avant la Civil Rights Act of 1964 [78 Stat. 241]. Dans ces affaires, il s'agissait d'inter- préter la loi américaine de 1964, intitulée Civil Rights Act of 1964. Cette loi a été conçue pour remédier à des situations passées; elle devait avoir un effet rétrospectif; elle ne régularisait que les systèmes d'ancienneté authentiques (c'est-à-dire ceux qui reposent sur la nécessité commerciale). De plus, ces deux décisions portaient sur l'ancien- neté de département et non sur l'ancienneté d'en- treprise. Toutefois, la façon de régler le problème adoptée par les tribunaux américains dans ces affaires-là est utile pour le raisonnement sur lequel on se fonde.
Avant la promulgation de la Civil Rights Act of 1964, les sociétés défenderesses dans les deux affaires citées ci-dessus avaient l'habitude de divi- ser leur personnel en créant des départements de Blancs et des départements de Noirs. Après l'en- trée en vigueur de cette loi, cette pratique était défendue, mais il était toujours interdit aux Noirs de postuler, sur un pied d'égalité, les emplois autrefois destinés aux Blancs et ce, en raison des règles du privilège de l'ancienneté de département qui ont été reprises. Dans les deux cas, il s'agissait, d'après les tribunaux, d'une discrimination actuelle. Voici le raisonnement adopté par la Cour dans l'affaire Local 189 susmentionnée, à la page 988:
[TRADUCTION] Par conséquent, rien ne permet de conclure qu'un système d'ancienneté peut à première vue sembler neutre si l'effet inévitable de lier le système au passé est de porter atteinte au droit actuel des employés de ne pas faire l'objet de discrimination fondée sur la race ...
Et à la page 994:
[TRADUCTION] Lorsqu'un employeur adopte un système qui reporte nécessairement les incidents discriminatoires au pré- sent, il s'agit d'une discrimination continue, à moins que ces incidents ne répondent à un besoin de sécurité et d'efficacité.
Une autre décision américaine qu'on peut citer est Franks v. Bowman Transportation Co., 424 U.S. 747 (5th Cir., 1976).
La décision Steel v. Union of Post Office Wor kers, [1978] 1 W.L.R. 64, est peut-être plus
importante. La loi examinée dans cette affaire était la Sex Discrimination Act 1975 du Royaume-Uni, Stats. U.K. 1975, chap. 65. Avant le mois de septembre 1975, les postières n'étaient pas autorisées à obtenir un statut permanent; elles ne pouvaient travailler qu'à titre d'employées tem- poraires. On a par la suite supprimé cette incapa- cité. En mars 1976, la demanderesse Steel a solli- cité un itinéraire vacant. Sa demande a été rejetée parce qu'elle n'avait pas l'ancienneté nécessaire pour le poste. On a offert le poste à un employé moins ancien, mais qui a acquis le statut perma nent avant elle. (La demanderesse a été une employée temporaire de novembre 1961 à septem- bre 1975.) Le tribunal d'appel [en matière d'em- ploi] saisi de l'affaire a dit à la page 67:
[TRADUCTION] Il est certain que la Sex Discrimination Act 1975 n'a pas d'effet rétroactif; mais certains actes discrimina- toires peuvent revêtir un caractère continu et, à notre avis, c'est respecter l'esprit de la Loi que de lui conférer une portée aussi grande que possible pour écarter les effets permanents d'une discrimination passée.
L'arrêt Province of Manitoba v. Manitoba Human Rights Commission, et al. (1983), 25 Man. R. (2d) 117, rendu par la Cour d'appel du Manitoba, est également d'une certaine utilité. Cette décision portait sur The Human Rights Act of Manitoba, S.M. 1974, chap. 65 et sur le concept de [TRADUCTION] «l'infraction continue» qu'on y trouve (paragraphe 19(1)). Le plaignant alléguait que sa retraite obligatoire à l'âge de 65 ans consti- tuait une infraction continue parce que cette loi continuait à l'empêcher de trouver un emploi en raison de son âge. La Cour a jugé qu'une retraite obligatoire à une date précise ne constituait pas une [TRADUCTION] «infraction continue». Voici ce qu'elle entend par infraction continue, à la page 121:
[TRADUCTION] Il découle de la jurisprudence qu'une viola tion continue (ou un grief, un acte discriminatoire, une infrac tion ou une cause d'action continus) est celle qui provient d'une succession (ou d'une répétition) de violations séparées (ou d'actes, d'omissions, de cas de discrimination, d'infractions ou d'actions séparés) ayant le même caractère (ou du même genre). Ce raisonnement devrait, à mon avis, s'appliquer à la notion d'«infraction continue» sous le régime de la loi. Pour qu'il y ait «infraction continue», il doit y avoir une succession ou une répétition d'actes discriminatoires distincts ayant le même caractère. Il doit exister des actes discriminatoires actuels qu'on pourrait considérer comme des violations distinctes de la loi, et non simplement un acte discriminatoire isolé qui peut avoir des effets ou conséquences continus.
À mon avis, le recours constant, à une liste d'ancienneté qui, en soi, a un caractère discrimina- toire pour rendre des décisions en matière d'em- ploi, équivaut à une succession ou à une répétition d'actes discriminatoires. Cela diffère des effets continus d'un acte discriminatoire isolé (par exem- ple la retraite obligatoire à une date précise) car le demandeur subit à chaque occasion différents types de «préjudice» (le travail par équipes dans des conditions moins favorables, l'inscription anti- cipée sur la liste de mise à pied temporaire). De plus, on doit se rappeler que la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit «les actes discri- minatoires». (Ce n'est pas le concept d'infraction continue qu'on trouve dans la loi manitobaine qui doit être interprété.) La version condensée du Oxford English Dictionary, éd. de 1971, définit le mot «practice» (pratique) comme étant [TRADUC- TION] «la manière habituelle de faire quelque chose ou l'accomplissement de quelque chose», «une façon habituelle d'agir», «le fait de faire quelque chose continuellement ou à maintes repri ses». J'estime que la conduite reprochée en l'espèce est visée par le concept d'acte discriminatoire, et la mesure prise par la Commission pour redresser la situation ne saurait donc être considérée comme une application rétrospective de la Loi.
Révision de la liste d'ancienneté—Atteinte aux droits acquis?
La demanderesse fait valoir en second lieu que les droits d'ancienneté sont des droits acquis ou établis qui ne peuvent être écartés par de nouvelles dispositions législatives, à moins d'une disposition expresse du Parlement.
Tout d'abord, il convient de faire remarquer que la présomption selon laquelle une loi n'a pas d'effet rétrospectif ne revient pas à présumer qu'elle n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits acquis: voir Driedger (précité) surtout aux pages 187 et 196. De plus, la présomption de non-immixtion dans les droits acquis n'entre en jeu que lorsque la loi est ambiguë, alors que la présomption du carac- tère non rétrospectif des lois est une présomption applicable à toutes les lois, à moins qu'elle ne soit réfutée.
La Commission soutient que les droits d'ancien- neté en question ne sont pas des droits acquis, mais que leur existence à un moment donné dépend de la clause alors en vigueur dans la convention col-
lective; elle allègue que les droits d'ancienneté ne sont pas déterminés par la convention collective en vigueur au moment de l'engagement de l'employé. À l'appui de cet argument, elle invoque particuliè- rement le texte de l'article 7.08 de la convention 22 (précité). Il y est dit que l'âge sera le facteur déterminant pour les employés engagés avant l'en- trée en vigueur de la convention 22, mais que par la suite on procédera par sélection au hasard. Il est allégué que si la convention collective ne devait que déterminer l'ancienneté des employés engagés pendant la durée de la convention, il n'aurait pas alors été nécessaire de faire mention, dans la convention 22, de la détermination de l'ancienneté selon l'âge des employés engagés avant cette convention.
Il ne s'agit pas nécessairement d'une preuve que les droits ne sont pas des droits acquis ou établis selon le concept utilisé dans les règles d'interpréta- tion législative. Il est admis que les listes d'ancien- neté établies avant 1960, année on a utilisé pour la première fois l'âge comme critère, n'ont pas été révisées conformément à la convention 11 de 1960, même si la clause d'ancienneté y figurant ne faisait pas état du maintien de la liste établie sous les régimes antérieurs. Il va sans dire que la com- pagnie et le syndicat ont conservé la liste établie à ce moment-là.
De plus, le fait que les clauses de la convention collective puissent être modifiées dans l'avenir ne change nullement le caractère établi (ou acquis) des droits. L'avocat de la Commission a soutenu que le classement selon l'ancienneté de tous les employés pourrait être modifié par voie de négo- ciation entre la compagnie et le syndicat sans le consentement des employés. J'aborderai cet argu ment d'une façon plus détaillée puisqu'il se rap- porte également à la question de l'avis. Mais il suffit de dire que je ne suis pas du tout persuadée qu'une telle modification puisse se faire sans que le syndicat ait au moins obtenu un vote de ratifica tion de ses membres. La preuve et l'argumentation relatives au pouvoir du syndicat étaient moins que satisfaisantes. Le syndicat a choisi de ne pas com- paraître, bien qu'il ait été désigné comme partie défenderesse.
C'est un lieu commun de dire que ce qui consti- tue un droit acquis (appelé parfois droit existant) est difficile à définir. Je remarque que, dans l'ou-
vrage Craies on Statute Law (7e éd., 1971) la
page 399, on trouve la définition suivante tirée de l'arrêt Starey v. Graham, [1899] 1 Q.B. 406, la page 411:
[TRADUCTION] ... un droit particulier qu'un individu a acquis, d'une façon ou d'une autre, et que certaines personnes possèdent, alors que d'autres n'en ont pas.
Pour ce qui est de la nature des droits d'ancien- neté, la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique s'est penchée sur cette ques tion dans l'affaire B.C. Distillery Co. Ltd. and Group of Seagrams Employees and Distillery, Brewery, Winery, Soft Drink and Allied Workers Union, Local 604, [1978] 1 Canadian LRBR 375, aux pages 381 et 382:
[TRADUCTION] Le principe de l'ancienneté vise à établir une norme simple, précise et objective pour la sélection des employés postulant le même emploi, et donc à réduire le contrôle arbitraire et le favoritisme personnel dans ces prises de décisions, ainsi que les effets néfastes possibles sur le moral des employés ... Ces questions font que les syndicats et les employeurs négocient prudemment, et, lorsqu'il s'agit de rela tions ouvrières complexes, les clauses d'ancienneté peuvent occuper plusieurs pages dans une convention collective. Juridi- quement parlant, les droits d'ancienneté des employés reposent sur le contrat que le syndicat a négocié. En cas d'annulation de la convention, ces droits prendraient fin. C'est pour cette raison qu'un syndicat peut revendiquer le même pouvoir étendu de modifier le texte de la disposition portant sur l'ancienneté, comme lorsqu'il négocie l'ensemble des avantages économiques.
Mais cette revendication repose sur un point de vue superfi- ciel concernant la nature de l'ancienneté en tant qu'institution sociale. Cela revient à dire que les clauses d'ancienneté en vigueur ont un caractère beaucoup plus contraignant que les autres clauses contractuelles. Cela explique bien les raisons pour lesquelles:
... L'ancienneté permet à un employé d'acquérir, par son travail, des droits précieux, de capitaliser son travail et d'obtenir plus qu'un salaire journalier pour sa production continue. Lorsque l'ancienneté détermine le droit à l'avance- ment, elle permet à l'employé de réclamer de meilleurs postes lorsque ceux-ci sont disponibles; lorsque l'ancienneté déter- mine l'ordre dans lequel doivent s'effectuer les mises à pied, elle protège l'employé contre le chômage. L'ancienneté ne garantit pas que les postes vacants plus élevés seront comblés ni qu'un poste sera disponible; mais en donnant la priorité à l'employé le plus ancien lorsqu'il faudra choisir qui sera promu et qui conservera son emploi, l'ancienneté confère à un employé un droit d'une valeur pratique importante. Comme le professeur Aaron l'a souligné, «plus que toute autre disposition de la convention collective ... l'ancienneté touche la sécurité matérielle de l'individu, objet de la conven tion», et, naturellement, on l'a considérée comme l'un des biens le plus précieux de l'employé. L'ancienneté peut être l'atout le plus important d'un employé qui compte de lon- gues années de service.
Summers and Love, «Work Sharing as an Alternative to Layoffs by Seniority, (1976), 124 U. of Pa. L.R. 893, la p. 902.
Les employés de l'entreprise connaissent leur rang sur la liste d'ancienneté. Ils croient qu'ils ont accédé à ce rang en raison de leurs longues années de service. Ils espèrent fermement que ce rang restera tel quel. Supposons alors que le syndicat et l'em- ployeur négocient une modification à cette clause, modification qui a pour effet d'intervertir les rangs sur la liste d'ancienneté. Quelle sera la réaction normale de l'employé touché par cette modification apportée à la convention? Il estime que les parties l'ont simplement privé d'un bien précieux pour le donner à un autre employé ...
C'est pour ces raisons pragmatiques qu'on ne saurait prétendre, du point de vue du droit, que parce que le syndicat et l'em- ployeur ont librement négocié les clauses d'ancienneté initiales, ils sont également en mesure de modifier à volonté cette clause en vigueur.
À mon avis, les droits d'ancienneté ressemblent suffisamment à des droits acquis pour être visés par le principe de l'interprétation législative selon lequel lorsqu'une loi est ambiguë quant à son effet voulu, elle doit être interprétée de manière à ne pas écarter ces droits.
La Commission elle-même a, à plusieurs repri ses, reconnu que le fait de modifier le classement selon l'ancienneté pour faire droit à une plainte peut porter atteinte aux droits des tierces parties. Dans l'affaire Labelle et autre c. Air Canada (1982), 4 C.H.R.R. D/1311, Décision 266, le Tri bunal des droits de la personne a refusé d'accorder aux plaignants le rang d'ancienneté auquel ils se seraient classés s'il n'y avait pas eu discrimination. Les demandeurs se sont plaints à la Commission, alléguant qu'on avait refusé de les embaucher en raison d'un handicap physique qui n'était pas une exigence professionnelle normale. Le Tribunal des droits de la personne a jugé la plainte fondée, a ordonné le paiement d'une indemnité aux plai- gnants pour pertes de salaire, mais voici ce qu'il a dit au sujet de l'ancienneté la page D/1313]:
Le tribunal reconnaît le bien-fondé d'émettre une ordon- nance qui a l'effet de placer le plaignant dans la position il se trouverait, n'eût été de l'acte discriminatoire. L'ordonnance toutefois doit affecter le plaignant et le mis-en-cause et non des tierces personnes non impliquées. Nous acceptons donc les soumissions de Marchand et ne faisons pas d'ordonnance quant à l'ancienneté.
En l'espèce, le rapport des enquêteurs a égale- ment mentionné la décision de la Commission concernant deux autres plaintes (goberge et Bennie), semblables à celle de la défenderesse Bianca Perruzza. Ce rapport dit notamment:
[TRADUCTION] Point de vue de la compagnie
La Commission a approuvé le règlement d'une plainte anté- rieure semblable («Roberge c. Canadian Pacific Air« [sic]) on n'a pas révisé rétroactivement la liste d'ancienneté applicable.
Conclusions du rapport d'enquête
La plainte de Roberge ne devrait pas être interprétée comme limitant la portée du règlement en l'espèce. En fait, l'affaire Roberge a établi le principe important selon lequel la Commis sion voulait intervenir pour réviser l'ancienneté (l'ancienneté de Roberge par rapport à d'autres employés engagés le même jour a été révisée, bien que ce ne fût pas selon la formule du choix fait au hasard) en vue d'obtenir un règlement équitable.
Il convient de souligner que la Commission a décidé qu'une plainte antérieure semblable à l'espèce (Bennie c. Canadian Pacific Air [sic] et Bennie c. B.R.A.C.—décision rendue en septembre 1983) était fondée et qu'elle y a fait droit, même si les mesures de redressement prises par les intimés ne compor- taient pas une révision rétroactive de l'ancienneté de la plai- gnante ou des autres employés figurant sur la liste ... Il convient de faire remarquer que dans l'affaire Bennie on a cité, comme motif additionnel à l'appui de sa recommandation, la décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Labelle et Cla- veau c. Air Canada. Le Tribunal a envisagé d'ordonner une révision rétroactive de l'ancienneté, qui constitue l'un des redressements qu'il pouvait accorder pour remédier aux actes discriminatoires dont sont coupables les parties en cause, mais il n'a pas retenu cette solution parce qu'une telle ordonnance toucherait «les tierces parties étrangères au litige. Il est allégué que l'espèce présente diffère de l'affaire soumise au Tribunal, dans la mesure l'ancienneté n'était pas en soi le point en litige soulevé dans l'affaire Labelle et Claveau. En l'espèce, l'ancienneté est au centre du litige. Il ne s'agit pas d'un remède accessoire.
Le fait que la Commission ait, dans des cas antérieurs semblables, refusé d'ordonner le réajus- tement des listes d'ancienneté ne signifie pas qu'elle n'en a pas le pouvoir. Après lecture de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je ne saurais conclure qu'elle est ambiguë à ce sujet au point de permettre l'application du principe d'in- terprétation législative qui interdit de porter atteinte aux droits acquis. Il ressort clairement de la loi que la Commission doit avoir ce pouvoir.
Le paragraphe 42(2) de la Loi prévoit que le Tribunal des droits de la personne ne peut, lors- qu'il tente de débouter ou d'indemniser une per- sonne se plaignant d'un acte discriminatoire, rendre une ordonnance exigeant
42. (2) ...
a) le retrait d'un employé d'un poste qu'il a accepté de bonne foi; ou
b) l'expulsion de l'occupant de bonne foi de locaux, moyens d'hébergement ou logements.
L'article 16 prévoit:
16. Les dispositions des caisses ou régimes de pension, des régimes d'assurance et des fonds d'assurance protégeant les droits acquis avant l'entrée en vigueur de la présente Partie ou maintenant le droit aux prestations de pension ou autres accu- mulées avant cette date ne peuvent servir de fondement à une plainte, déposée en vertu de la Partie III, portant qu'un employeur a commis des actes discriminatoires.
Voir également les articles 32(7), 48 et 65. L'in- clusion de ces articles interdisant expressément de porter atteinte à certains types de droits acquis révèle l'intention du législateur d'accorder à la Commission des droits de la personne un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les autres droits qui ne bénéficient pas d'exemption.
Il est intéressant de souligner que le Human Rights Code de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1979, chap. 186, paragraphe 8(3), exclut expressément de son champ d'application les régi- mes fondés sur l'ancienneté. Aucune exclusion expresse de ce genre ne se trouve dans la Loi fédérale.
Je conclus que l'argument de la demanderesse sur ce point ne saurait être accueilli.
Avis aux tierces parties dont les droits seraient touchés?
Il se pose la question de savoir si la Commission peut approuver un accord tel que celui examiné en l'espèce sans que les tierces parties dont les droits d'ancienneté seraient touchés par un tel réajuste- ment en reçoivent avis ou aient la possibilité de se faire entendre. Il convient de souligner que, une fois un accord approuvé par la Commission, qui- conque ne se conforme pas aux conditions de l'accord est coupable, en vertu de l'article 46 de la Loi, d'une infraction criminelle:
46. (1) Est coupable d'une infraction quiconque:
a) ne se conforme pas aux conditions approuvées et certifiées par la Commission en vertu de l'article 38;
Je ne comprends pas pourquoi l'avocat a fait valoir que la Commission n'était pas soumise aux règles ordinaires de la justice naturelle et à l'obli-
gation d'agir équitablement en matière administra tive énoncées dans des décisions telles que Nichol- son c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311. L'arrêt de la Cour d'appel fédérale McCarthy c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 309, qui est d'une importance particulière, a décidé qu'un employé avait droit à un avis et à la possibilité de se faire entendre avant la radiation de son nom de la «liste d'admissibilité» à l'avance- ment. Si je comprends bien, les défenderesses sou- tiennent toutefois qu'il suffisait en l'espèce de donner avis au syndicat et de le faire participer aux négociations. Elles allèguent que la compagnie et le syndicat auraient pu parvenir à l'accord portant réajustement de la liste d'ancienneté sans le concours de la Commission et auraient ainsi pu modifier les droits de la demanderesse sans l'aviser et sans obtenir son consentement.
Cet argument se fonde sur la prémisse que l'article 7.08 de la convention collective 22 est nul parce que contraire à l'ordre public. On a cité l'arrêt de la Cour suprême Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202. La Cour y a jugé qu'une clause d'une convention collective pré- voyant la retraite obligatoire est nulle parce que contraire à l'ordre public la page 213). Cette clause va à l'encontre de The Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318. Je souligne que The Ontario Human Rights Code diffère de la Loi canadienne sur les droits de la personne car il crée des infractions absolues, alors que la Loi fédérale n'en crée pas. Je ne veux pas dire par que, étant donné cette différence, les contrats soumis à la Loi fédérale sont, dans une moindre mesure, nuls parce que contraires à l'ordre public. Toutefois, si la clause en question est nulle, je crois qu'il est logique de décrire ce qui s'est effective- ment passé par la suite comme l'adoption par la compagnie et le syndicat d'une pratique (même si ce n'était pas en vertu d'une condition valable de la convention collective) qui consiste à attribuer l'an- cienneté à partir des règles préexistantes. Il ne suffit donc pas de dire, comme la Commission semble le prétendre, qu'il y a eu un vide après l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que les listes d'ancienneté devaient, à partir de ce moment-là, être considé- rées comme inexistantes.
On s'est appuyé sur la décision Re Bakery and Confectionery Workers' Int'l Union, Local 322, and Canada Bread Co. Ltd. (1970), 22 L.A.C. 98 (Ont. L.R.B.), pour avancer l'idée qu'une société et un syndicat peuvent modifier une convention collective au moyen de lettres d'entente échangées au cours de la convention (les lettres ont servi dans ce cas à clarifier une disposition ambiguë de la convention). On s'est fondé sur la décision rendue par la Commission des relations de travail de l'Ontario dans l'affaire Hawkesbury & District General Hospital and CUPE, Locals 1967 and 2474; Re Renee Guerin et al.; Re CUPE; Re Nicole Drouin et al., [ 1984] OLRB Rep. February 259 pour prétendre qu'un syndicat peut régler un procès et lier par le fait même ses membres. Je ne doute pas que, dans certaines circonstances, les syndicats puissent signer, au nom de leurs mem- bres, des ententes relatives à des actions en justice. Je ne doute pas non plus qu'une lettre d'entente entre un syndicat et une société puisse clarifier une disposition ambiguë d'une convention collective et être qualifiée de modification à une convention collective. Mais, à mon avis, il est exagéré d'affir- mer qu'une application de ces principes permet de conclure que la compagnie et le syndicat à l'ins- tance pouvaient modifier rétroactivement les listes d'ancienneté sans que les employés y participent.
On a invoqué la décision rendue par la Commis sion des relations de travail de l'Ontario dans Magold et al. and Int'l Brotherhood of Boilerma- kers, Iron Ship Builders, Blacksmiths, Forgers and Helpers et al., [1976] 1 Canadian LRBR 392, pour dire que la ratification officielle d'une con vention collective n'est pas nécessaire pour que celle-ci lie ses membres. On a fait mention de l'arrêt de la Cour suprême McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718 pour affirmer qu'un employé assujetti à une convention collective n'a plus le droit de négocier individuelle- ment ni de conclure un contrat d'engagement avec son employeur.
Pour répondre à la Commission qui a cité ces décisions, l'avocat de la demanderesse a fait valoir que quelle que soit la situation existante dans ces cas, le syndicat défendeur à l'instance n'avait nul- lement le pouvoir de signer un accord pour modi fier les droits d'ancienneté des employés sans qu'il y ait au moins un vote de ratification. Il a prétendu
que le syndicat avait toujours l'habitude de sou- mettre les conventions collectives éventuelles à la ratification des membres—ce fait n'a pas été men- tionné dans l'exposé conjoint des faits déposé par les parties. L'avocat de la Commission s'est appuyé d'autre part sur le fait que les statuts du syndicat ne contiennent aucune condition expresse exigeant la tenue d'un vote de ratification avant qu'une convention collective ne devienne exécutoire. J'ai du mal à apprécier ces arguments. Ainsi qu'il a été souligné, le syndicat a choisi de ne pas se faire représenter dans les présentes procédures, et on a laissé à la Commission le soin de faire valoir les droits et obligations du syndicat. En tout état de cause, je ne suis pas disposée à conclure, sur la seule base de l'absence d'une condition écrite dans les statuts du syndicat, qu'un vote de ratification n'était pas nécessaire. Compte tenu des faits de l'espèce, il s'agit d'une preuve trop peu convain- cante.
Même si le syndicat pouvait assujettir ses mem- bres à un tel accord, je ne suis toutefois pas persuadée qu'il s'agit d'une réponse à la ques tion de savoir si la Commission est tenue d'aviser les tierces parties. (Je ferai remarquer en passant que la Commission a avancé le curieux argument selon lequel les droits de la demanderesse Julie Dalton n'ont pas été touchés en l'espèce, en ajou- tant que l'accord a modifié uniquement les droits de la défenderesse Bianca Perruzza.) À mon avis, le fait pour la Commission d'avoir participé au processus de négociation et de règlement en utili- sant ses pouvoirs de persuasion modifie complète- ment la nature de ce qui pourrait être strictement un processus de négociation entre la compagnie et le syndicat. Je ferai remarquer qu'un réajustement de la liste d'ancienneté de tous les employés figu- rait à l'ordre du jour pour que la compagnie et le syndicat en discutent dans les négociations qui ont conduit à la convention collective d'octobre 1982. On n'y a pas souscrit.
À mon sens, la participation de la Commission qui, en approuvant les accords, les a transformés en actes instrumentaires, la violation de ceux-ci constituant une infraction criminelle, fait de la procédure de négociation et de règlement sous sa tutelle quelque chose de qualitativement différent des négociations normales qui se déroulent à la table de négociation entre un employeur et un
syndicat. Je ne pense pas qu'il suffise alors de chercher dans les rapports entre la compagnie, le syndicat et les employés la réponse à la question de l'obligation de la Commission de donner avis aux tierces parties concernées.
Si la prétention de la Commission est fondée, un membre du syndicat, celui qui dépose une plainte (en l'espèce, c'est Bianca Perruzza), est alors en droit de faire des observations relatives à ses droits non pas sous le couvert du syndicat, mais les autres membres du syndicat (en l'espèce, c'est la deman- deresse Julie Dalton), dont les droits sont égale- ment touchés par une décision de la Commission, n'ont pas droit de le faire. Il s'agit d'une consé- quence étrange pour ne pas dire plus.
La Commission des droits de la personne dispose d'une procédure flexible. Fournir aux tierces par ties touchées par une décision comme en l'espèce l'occasion de se faire entendre ne signifie pas qu'il y a obligation d'entendre chaque employé séparé- ment. Mais on doit concevoir un mécanisme leur permettant de faire valoir leurs droits communs.
Texte de l'accord approuvé par la Commission
Toutes les parties présument que l'accord approuvé par la Commission exige au moins un réajustement de toutes les listes d'ancienneté datant de 1960, de sorte que, parmi les employés à temps plein engagés le même jour, l'ancienneté est attribuée selon le processus de sélection au hasard.
La liste réajustée, qui est en preuve et que la demanderesse conteste, va même plus loin, et la Commission admet que, à certains égards, elle ne relève pas de sa compétence. La Commission fait remarquer que la liste est une liste provisoire; les consultations avec ladite Commission concernant son contenu obligatoire n'étaient pas terminées lorsque la demanderesse a intenté son action.
La liste réajustée remonte à 1950. La Commis sion admet qu'il s'agit d'une erreur et que la liste devrait être révisée de manière à ne pas remonter avant 1960. Antérieurement à 1960, des facteurs autres que l'âge ont été utilisés pour déterminer l'ancienneté de personnes engagées le même jour: l'heure du jour ils ont commencé à travailler; les notes qui leur ont été attribuées dans les tests passés à la fin de leurs programmes de formation.
La liste a également été réajustée dans la mesure elle se rapporte à l'ancienneté de quel- ques employés qui ont obtenu un emploi à temps plein chez CP Air en débutant comme employés à temps partiel. La compagnie a comme politique d'offrir des possibilités d'emploi à temps plein aux employés à temps partiel avant de recourir à des candidats venant de l'extérieur pour combler les postes vacants. Ces postes étaient offerts aux employés à temps partiel selon l'ordre de leur ancienneté. Ainsi donc, parmi les employés à temps partiel engagés le même jour, on embau- chait la personne la plus âgée.
Un employé à temps partiel qui acceptait un emploi à temps plein figurait sur la liste d'ancien- neté des employés à temps plein à partir d'une date choisie arbitrairement. Il n'est pas nécessaire de décrire la méthode de calcul utilisée. Il suffit de dire que, entre deux employés à temps partiel engagés le même jour, l'un finissait par avoir l'ancienneté d'un employé à temps plein avant l'autre simplement parce qu'il était choisi plus tôt pour travailler à temps plein en raison de son âge.
La Commission a fait valoir devant la Cour que l'accord n'exigeait pas ce réajustement de la liste d'ancienneté, qu'il s'agissait d'une application rétrospective de la loi, ce que la Commission n'était pas autorisée à faire. Elle a indiqué qu'on procéderait à une révision de la liste provisoire de manière à maintenir l'ancienneté initiale des ex- employés à temps partiel.
Puisque la Commission voulait faire une telle concession, la demanderesse a demandé que toute ordonnance que je pourrais rendre élimine au moins cet aspect de la liste. Étant donné ma conclusion sur la question de l'avis, la totalité de la liste sera, bien entendu, déclarée nulle, mais je ne saurais m'empêcher de dire que j'ai bien du mal à comprendre le point de vue de la Commission. Je constate qu'il y a peu de différence entre la situa tion des employés à temps plein et celle des ex- employés à temps partiel. Dans les deux cas, un employé obtient la priorité sur la liste d'ancienneté en raison de son âge. Dans les deux cas, ce privi- lège une fois accordé fait que les employés conti- nuent à bénéficier d'avantages au cours de leur emploi actuel. La seule différence est que dans un cas, les employés ont tous été engagés le même jour à titre d'employés à temps plein, alors que
dans l'autre, les employés ont tous été embauchés le même jour en tant qu'employés à temps partiel. Dans le cas des employés à temps partiel, il est vrai que les dates arbitraires à partir desquelles ils obtiennent le statut d'employés à temps plein seront vraisemblablement différentes, alors que dans le cas des employés à temps plein, la date sera la même. Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'une différence importante puisque, en fin de compte, c'est le classement selon l'ancienneté qui importe, et non la date à partir de laquelle il prend effet, que cette date soit attribuée arbitrairement ou non.
En tout cas, le texte de l'accord convenu me pose un problème plus fondamental. Il exige
[TRADUCTION] ... une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'application rétroactive de l'article 7.08 de la convention 22
L'article 7.08 exige qu'on se serve de l'âge pour établir l'ancienneté des employés engagés avant la date d'entrée en vigueur de la convention 22 (31 octobre 1982) et que, par la suite, on procède par sélection au hasard. Ainsi donc, l'application rétroactive de cet article ne change rien puisque, en tout cas, l'âge était utilisé avant le 31 octobre 1982. De toute évidence, ce n'était pas l'inten- tion des parties à l'accord, mais c'est ce qui résulte d'une interprétation littérale du texte. L'accord n'exige nullement le réajustement de la liste d'an- cienneté qui se fait actuellement.
Cet argument ne faisait pas partie de la preuve présentée par la demanderesse, et j'ai donc exa- miné dans quelle mesure je devrais interpréter l'accord conformément à l'intention des parties, même si la formulation stricte ne révèle pas cette intention. Je suis particulièrement consciente du fait que si l'on interprète littéralement le texte de l'accord, il est totalement sans effet—en fait il n'a pas de sens. Il me semble néanmoins qu'il faille s'en tenir au texte même ou tenir compte de ce moyen de défense fondamental même si les parties ne l'ont pas invoqué. En vertu de l'article 46 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'inobservation des conditions d'un accord qu'a approuvé la Commission constitue une infraction criminelle. À mon sens, cela exige une formulation précise de l'accord, et il faut s'en tenir strictement au texte.
En conséquence, je rends une ordonnance inter- disant à la compagnie et au syndicat de donner suite à la liste d'ancienneté révisée dans la mesure cette disposition est prise en vertu de l'accord approuvé par la Commission des droits de la personne.
Je rends également un jugement déclarant que les termes de l'accord n'autorisent pas le réajuste- ment de la liste d'ancienneté, ainsi qu'il ressort de la liste d'ancienneté révisée, et que dans la mesure l'accord devait modifier les droits d'ancienneté de la demanderesse Julie Dalton, il est nul parce qu'il a été conclu sans tenir compte des règles de justice naturelle.
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