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A-985-84
Ajit Kaur Brar (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone— Winnipeg, 28 mai; Ottawa, 25 juin 1985.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Demande tendant à l'annulation du rejet par la Commission d'appel de l'immigration de l'appel formé à l'en- contre du refus de faire droit à la demande de droit d'établis- sement des membres d'une famille pour absence de compétence En vertu de l'art. 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, seul un citoyen canadien peut interjeter appel La requérante était immigrante reçue Demande rejetée L'art. /5 de la Charte, qui garantit l'égalité devant la loi, ne s'applique pas aux questions qui ont pris naissance avant son entrée en vigueur Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 79(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. /0, art. 28 Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 32(2).
Déclaration des droits L'art. 2e) consacre le droit d'une personne de ne pas être privée d'une audition impartiale La demande de droit d'établissement a été rejetée parce que les personnes appartenant à la catégorie de la famille n'ont pas satisfait aux exigences de la Loi ou des règlements comme le prévoit l'art. 79(/)b) de la Loi sur l'immigration de 1976 Le rejet de la demande n'a pas porté atteinte aux droits de la requérante Il n'y a pas eu .définition de ses droits» au sens de l'art. 2e) lui donnant droit à une audition impartiale par voie d'appel Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e) Loi sur l'immigration de /976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 79(/)a),b) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-/72, art. 41(/)a) Décla- ration canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 26.
Déclaration des droits L'art. /b) consacre le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi En vertu de l'art. 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, seul un citoyen canadien peut interjeter appel L'art. 79(2) respecte le critère de l'objectif fédéral régulier Il s'applique sans distinction à tous ceux qui ne sont pas citoyens canadiens Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 26.
Immigration Pratique La Commission d'appel de l'immigration a rejeté l'appel formé à l'encontre du rejet de la demande de droit d'établissement des membres de la famille de la requérante, celle-ci n'étant pas citoyenne canadienne
comme l'exige l'art. 79(2) de la Loi sur l'immigration Le seul élément de preuve déposé auprès de la Commission est une lettre du Greffier de la citoyenneté canadienne, non- appuyée par une déclaration assermentée, dans laquelle celui-ci déclare que la requérante n'est pas citoyenne cana- dienne Les Règles exigent que, sauf si, de l'avis de la Commission, des circonstances justifient de le faire d'une autre manière, les preuves reçues à l'appui d'une requête soient soumises par voie d'affidavit ou de déclaration solennelle écrite La Commission a adopté l'opinion requise, même si elle n'apparaît pas à la lecture du dossier Il est préférable de fonder une décision sur un moyen de preuve assermenté Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (procédures d'appel), DORS/81-419, règle 20 Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 26(2) Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 79(2).
La requérante s'est vue refusée le droit de parrainer la demande de droit d'établissement de sa famille et a interjeté appel devant la Commission d'appel de l'immigration. L'intimé a sollicité une ordonnance portant que la Commission n'avait pas compétence pour le motif qu'en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, seul un citoyen canadien peut interjeter appel à la Commission. La demande de l'intimé était appuyée par une lettre du Greffier de la citoyenneté canadienne indiquant que la requérante n'était pas citoyenne canadienne. La Commission a accueilli la demande et a rejeté l'appel après une audition les témoins étaient exclus et où, à l'exception de la lettre du Greffier, la Commission n'avait devant elle aucun document. La requérante cherche à obtenir l'annulation des décisions de la Commission. Elle soutient qu'en raison du paragraphe 15(1) de la Charte ou des alinéas lb) ou 2e) de la Déclaration canadienne des droits, le paragraphe 79(2) doit être déclaré invalide en ce qu'il lui refuse, à titre d'immigrante reçue, le droit d'interjeter appel.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
La règle 20 des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (procédures d'appel) exige que, sauf si, «de l'avis de la Commission, des circonstances justifient de le faire d'une autre manière», les preuves reçues par la Commission à l'appui d'une requête doivent être soumises par voie «d'affidavit ou de déclaration solennelle écrite». Rien n'indique que la Commis sion était d'avis qu'elle était en présence de circonstances la justifiant de déclarer la lettre recevable. Bien qu'il soit préféra- ble d'établir, au moyen d'un élément de preuve assermenté, le fait essentiel sur lequel la Commission s'est fondée pour con- clure qu'elle n'avait pas compétence, il apparaît néanmoins qu'elle a effectivement adopté l'opinion requise. La requérante n'était, de fait, qu'immigrante reçue.
Le paragraphe 15(1) de la Charte, qui garantit l'égalité devant la loi et la protection égale de la loi, ne s'applique pas car la question en litige a pris naissance avant le 17 avril 1985, date à laquelle l'article 15 est entré en vigueur.
L'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits recon- naît «le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi». L'alinéa 2e) prévoit que «nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ... comme ... privant une per- sonne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale...» La requérante fait valoir
que les mots «le droit de l'individu» et le droit «d'une personne» s'appliquent à elle, même si elle n'est pas citoyenne canadienne.
La demande de droit d'établissement a été rejetée pour le motif que les personnes appartenant à la catégorie de la famille n'ont pas satisfait aux exigences de la Loi ou des règlements, comme le prévoit l'alinéa 79(1)b) de la Loi sur l'immigration de 1976. Le rejet de la demande n'a pas porté atteinte aux droits de la requérante. Il n'y a donc pas eu «définition de ses droits» au sens de l'alinéa 2e) lui donnant droit à une audition impartiale par voie d'appel.
On ne peut se servir de l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits pour invalider une loi fédérale visant un objectif fédéral régulier: R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'immigration, [1976] 1 R.C.S. 376. En l'espèce, le «critère de l'objectif fédéral régulier» est respecté. La requérante jouissait uniquement du statut d'immigrante reçue et ce statut n'emporte pas avec lui tous les droits et protections accordés à un citoyen. Malgré le désavantage manifeste dont est victime la requérante en vertu de la loi par rapport à la situation d'un répondant qui est citoyen canadien, le paragraphe 79(2) n'est pas invalide parce qu'il vise un objectif fédéral régulier et s'applique sans distinc tion à tous ceux qui ne sont pas citoyens canadiens.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'immigration, [1976] I R.C.S. 376.
DÉCISION EXAMINÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] I R.C.S. 177; (1985), 58 N.R. I.
DÉCISIONS CITÉES:
Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] I R.C.S. 183; MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; La Reine c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Procureur général du Canada c. Lave!!; Isaac c. Bédard, [1974] R.C.S. 1349.
AVOCATS:
Wasyl Troszko pour la requérante. Barbara Shields pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jerrold L. Gunn & Associates, Winnipeg, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: La requérante, une résidente de Winnipeg, a, quelque temps avant le 10 août 1983, parrainé la demande de droit d'établisse- ment au Canada de son père, de sa mère et de ses deux sœurs, tous des citoyens de l'Inde. La demande a été rejetée par un agent d'immigration le 10 août 1983.
Peu après, la requérante a produit un «Avis d'appel» à l'encontre du refus auprès de la Com mission d'appel de l'immigration. En novembre de la même année, l'intimé a présenté une demande à la Commission en vue d'obtenir «une ordonnance portant que la Commission n'a pas compétence» sur cette question pour le motif qu'en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], seul un [TRADUCTION] «citoyen canadien peut interjeter appel à la Com mission d'appel de l'immigration». La demande était appuyée d'une lettre datée du 17 octobre 1983 adressée au Centre d'immigration du Canada de Winnipeg par le Greffier de la citoyenneté canadienne. La lettre est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] L'examen qui a été fait des dossiers de l'Enre- gistrement de la citoyenneté du Secrétariat d'État à la lumière des renseignements fournis n'a pas permis de découvrir un dossier au nom de Brar, Ajit Kaur, née le 05-10-59, qui se serait vue accorder la citoyenneté canadienne ou délivrer un certificat de naturalisation ou dont la demande à cette fin serait pendante.
Après une audience qui s'est tenue le 30 juillet 1984, la Commission s'est penchée sur la demande et l'a accueillie. Aucun témoin n'a été assigné et, hormis le dossier que renferme le dossier d'«appel», rien n'indique que la Commission avait devant elle quelque document autre que la lettre du Greffier de la citoyenneté canadienne. Cette lettre n'était ni insérée ni annexée à un affidavit ou autre déclara- tion assermentée. Après avoir accueilli la demande, la Commission a, le même jour, rejeté l'appel [TRADUCTION] «pour absence de compé- tence».
La requérante nous soumet deux demandes con- formément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]. Dans celle portant le de greffe A-984-84, elle nous demande d'examiner et d'annuler l'ordonnance de la Commission rejetant son appel. Dans la présente
demande, elle sollicite l'examen et l'annulation de l'ordonnance de la Commission faisant droit à la demande de l'intimé. Par souci de commodité, les présents motifs de jugement s'appliqueront égale- ment à la demande portant le de greffe A-984-84. Une copie de ces motifs sera déposée et ces derniers constitueront mes motifs de jugement tant dans cette demande que dans la présente affaire.
La requérante n'a soulevé aucune objection quant au caractère suffisant de la lettre du 17 octobre 1983 en tant qu'élément de preuve. Cepen- dant, durant l'audition, la Cour elle-même s'est demandée si la Commission avait eu raison de recevoir cette lettre en preuve compte tenu des dispositions de la règle 20 des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (procédures d'appel) [DORS/81-419] exigeant que sauf si, «de l'avis de la Commission, des circonstances justi- fient de le faire d'une autre manière», les preuves reçues par la Commission à l'appui d'une requête doivent être soumises par voie d'«affidavit ou de déclaration solennelle écrite». Rien dans le dossier qui nous a été soumis ne laisse voir de façon non équivoque que la Commission était d'avis qu'elle était en présence des circonstances nécessaires la justifiant de déclarer la lettre recevable en preuve pour ce motif. Bien qu'à mon avis, il soit préféra- ble d'établir, au moyen d'un élément de preuve assermenté', le fait essentiel sur lequel la Commis sion s'est fondée pour conclure qu'elle n'avait pas compétence, il apparaît néanmoins évident qu'elle a effectivement adopté l'opinion requise et ainsi permis que la lettre soit présentée en preuve, même si cette opinion n'apparaît pas à la lecture du dossier. En outre, il ressort des autres arguments qui nous ont été soumis que la requérante n'était, de fait, qu'immigrante reçue et non citoyenne canadienne.
L'attaque lancée par la requérante contre l'or- donnance de la Commission comporte trois volets reposant sur la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et sur la Décla- ration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appen- dice III]. Elle soutient que nous devrions, en nous
' Voir également le paragraphe 26(2) de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10.
appuyant sur le paragraphe 15(1) de la Charte ou sur les alinéas 1 b) ou 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits, déclarer le paragraphe 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 invalide en ce qu'il lui refuse, à titre d'immigrante reçue, le droit d'interjeter appel de la décision de l'agent d'immi- gration ayant rejeté la demande de droit d'établis- sement au Canada des membres de sa famille. Le paragraphe 79(2) de la Loi est ainsi rédigé:
79....
(2) Au cas de rejet, en vertu du paragraphe (I), d'une demande de droit d'établissement parrainée par un citoyen canadien, celui-ci peut interjeter appel à la Commission en invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que des considérations humanitaires ou de compas sion justifient l'octroi d'une mesure spéciale.
La Commission détenait en vertu du paragraphe (3) du même article, le pouvoir d'accueillir ou de rejeter l'appel et, aux termes du paragraphe (4), le Ministre, lorsqu'il a été avisé que l'appel a été accueilli, doit faire poursuivre l'examen de la demande par un agent d'immigration ou un agent des visas. «Cette demande sera accueillie s'il est établi que le répondant et la personne appartenant à la catégorie de la famille satisfont aux exigences de la présente Loi et des règlements, autres que celles qui ont fait l'objet de la décision de la Commission.»
Relativement à l'argument fondé sur la Charte, il suffit de signaler que le paragraphe 15(1) con- cernant l'égalité devant la loi de même que l'éga- lité de bénéfice et la protection égale de la loi ne s'applique pas car la question en litige a pris naissance bien avant le 17 avril 1985, date à laquelle cet article de la Charte est entré en vigueur. Conformément au paragraphe 32(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], «l'article 15 n'a d'effet ...» qu'à cette date.
Les arguments fondés sur les dispositions de la
Déclaration canadienne des droits 2 exigent un examen plus minutieux. Les alinéas 1 b) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits sont ainsi rédigés:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs- tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
La requérante insiste sur les mots «le droit de l'individu» apparaissant à l'alinéa 1 b) et sur le droit d'«une personne» en vertu de l'alinéa 2e) de ne pas être privée du droit à une audition impar- tiale de sa cause, dispositions qui, suivant son interprétation, s'appliquent à elle, même si elle n'est pas citoyenne canadienne.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits a fait l'objet d'un commentaire de la part du juge Beetz qui parlait alors pour trois des six juges qui ont tranché l'affaire Singh et autres c. Minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 58 N.R. 1, une décision récente de la Cour suprême du Canada. Le savant juge s'est dit d'accord dans cette affaire la page 224 R.C.S.; à la page 7 N.R.) pour consentir à la Déclaration canadienne des droits et aux diverses chartes des droits provinciales le statut d'«instru- ments constitutionnels ou quasi constitutionnels ... susceptibles de produire des effets cumulatifs assurant une meilleure protection des droits et des libertés». Quant à la portée de l'alinéa 2e) en
2 11 faut lire la Déclaration en tenant compte de l'obligation imposée par l'article 26 de la Charte suivant laquelle le fait que la présente Charte garantit certains droits et libertés «ne consti- tue pas une négation des autres droits ou libertés qui existent au Canada».
particulier, le juge Beetz a fait remarquer la page 228 R.C.S.; aux pages 12 et 13 N.R.):
Quoi qu'il en soit, il me semble évident que l'al. 2e) a une portée plus large que la liste des droits énumérés à l'art. 1 et désignés comme «droits de l'homme et libertés fondamentales», tandis qu'à l'al. 2e), ce que protège le droit à une audition impartiale, c'est la définition des «droits et obligations» d'une personne quels qu'ils soient et dans tous les cas le processus de définition relève de l'autorité législative du Parlement du Canada. Il est vrai que la première partie de l'art. 2 parle «des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes», mais l'al. 2e) protège un droit fondamental, savoir le «droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale», pour la définition des droits et des obligations d'une personne, qu'ils soient fondamentaux ou non. Je suis d'avis que comme l'a fait valoir Me Coveney, il est possible d'appliquer l'al. 2e) sans se référer à l'art. 1 et que le droit garanti par l'al. 2e) n'est nullement limité par la notion «d'ap- plication régulière de la loi» mentionnée à l'al. la).
En conséquence, la procédure d'examen et de réexamen des revendications du statut de réfugié des appelants comporte la définition de droits et d'obligations à l'égard desquels les appe- lants ont droit, en vertu de l'al. 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits, à une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale. Il s'ensuit également que cette affaire peut être distinguée de celles un simple privilège a été refusé ou révoqué comme, par exemple, dans les affaires Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] I R.C.S. 376, et Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570.
Je ne vois rien dans le dossier du présent cas qui laisse supposer que la demande de droit d'établis- sement a été rejetée au motif «que le répondant ne satisfait pas aux exigences des règlements» comme le prévoit l'alinéa 79(1)a) de la Loi. Si cela avait été le cas, l'agent d'immigration qui a examiné la demande aurait dû, en vertu de l'alinéa 41(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78- 172] «donner au répondant ... un résumé des renseignements sur lesquels se fondent les raisons de son rejet». Il semble plutôt que la décision du 10 août 1983 ait été prise en tenant pour acquis que les personnes appartenant à la catégorie de la famille qui faisaient l'objet de la demande de droit d'établissement n'ont pas «satisfait ... aux exigen- ces de la présente Loi ou des règlements» comme le prévoit l'alinéa 79(1)b) de la Loi. En conséquence, je suis d'avis que même si la requérante possédait indéniablement un intérêt personnel dans le sort de la demande de droit d'établissement, le rejet de cette demande n'a pas, à strictement parler, porté atteinte à ses droits en tant que répondant. Il n'y a donc pas eu «définition de ses droits» au sens de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits lui donnant droit à une audition impartiale de sa cause par voie d'appel.
La pertinence de l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits s'avère une question beau- coup plus difficile. N'eut été des dispositions du paragraphe 79(2) de la Loi, la requérante aurait pu en appeler auprès de la Commission du rejet de la demande de droit d'établissement. Elle avait elle-même obtenu le statut d'immigrante reçue au Canada et cherchait, au moyen du parrainage, à réunir sa famille au pays. Il semble clair qu'un «appel» à la Commission aurait, dans les faits, équivalu à une audition et à un réexamen complets de la preuve dont disposait l'agent d'immigration lorsqu'il a pris sa décision le 10 août 1983. Si la requérante avait été citoyenne canadienne, le pro- cessus d'appel lui aurait donné accès à l'ensemble de la preuve prise en considération à ce moment et lui aurait permis de contre-interroger tous les témoins de l'intimé, de présenter des éléments de preuve' et de faire des représentations. Il apparaît inutile d'insister sur les avantages qu'un tel proces- sus offrirait afin de déceler une erreur et de la corriger.
L'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits a fait l'objet d'examen dans des affaires antérieures, plus particulièrement par la Cour suprême du Canada. En est émergé le principe suivant lequel cette disposition ne peut servir à invalider une loi fédérale visant un objectif fédéral régulier. Voilà me semble-t-il la conclusion mani- feste tirée par les juges de la majorité dans R. c. Burnshine, [ 1975] 1 R.C.S. 693 et par la Cour, à l'unanimité, dans Prata c. Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'immigration, [ 1976] 1 R.C.S. 376. Dans cette dernière affaire, le requérant a soutenu que l'article 21 de la Loi sur l'immigration [S.R.C. 1970, chap. I-2] était incompatible avec l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits dans la mesure cet article obligeait la Commission à rejeter son appel en vue d'obtenir que l'on surseoie, pendant un délai supplémentaire (conformément à l'article 15 de la Loi), à l'exécu- tion de l'ordonnance d'expulsion le visant si le Ministre et le Solliciteur général avaient, dans un certificat produit auprès de la Commission, déclaré
3 L'alinéa 35(2)c) des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (procédures d'appel) autorise une partie à un appel à convoquer des témoins.
qu'à leur avis, fondé sur les rapports de sécurité ou de police criminelle qu'ils ont reçus et étudiés, «il serait contraire à l'intérêt national» pour la Com mission d'accorder le sursis. Dans sa conclusion suivant laquelle l'article 21 n'était pas incompati ble avec l'alinéa l b), le juge Martland a déclaré la page 382) au nom de la Cour:
On a prétendu que l'application de l'art. 21 avait privé l'appelant du droit à l'«égalité devant la loi» reconnu par l'al. b) de l'art. 1 de la Déclaration canadienne des droits. Il résulterait de cette proposition que le Parlement ne pourrait empêcher que l'art. 15 vise des personnes qui, selon la Couronne, ne devraient pas avoir la permission, compte tenu de l'intérêt national, de demeurer au Canada parce qu'elles seraient alors traitées diffé- remment de celles qui sont autorisées à demander le bénéfice du privilège de l'art. 15. Le but recherché par l'art. 21 est évident et il vise un objectif fédéral régulier. Cette Cour a décidé que l'al. b) du par. (I) de la Déclaration canadienne des droits n'exige pas que toutes les lois fédérales doivent s'appli- quer de la même manière à tous les individus. Une loi qui vise une catégorie particulière de personnes est valide si elle est adoptée en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier (R. v. Burnshine (1974), 44 D.L.R. (3d) 584).
La Cour suprême a réitéré depuis cette position, d'abord dans l'arrêt Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183 et ensuite, de façon majoritaire, dans MacKay c. La Reine, [ 1980] 2 R.C.S. 370. Cependant, dans une décision anté- rieure, La Reine c. Drybones, [ 1970] R.C.S. 282, la Cour suprême a jugé que le fait de poser un acte discriminatoire fondé sur la race est répréhensible car il prive la victime de son droit à l'égalité devant la loi ou, comme l'a dit le juge Ritchie dans l'arrêt Bliss la page 192), de son droit au «principe d'égalité de traitement dans l'administra- tion et l'application de la loi devant les tribunaux ordinaires du pays». (Voir également Procureur général du Canada c. Lavell; Isaac c. Bédard, [ 1974] R.C.S. 1349, la page 1366).
Il peut sembler qu'étant donné que la requérante se voit privée par la loi, à titre d'immigrante reçue, d'un droit d'appel qui, pour la première fois, incluait le droit de faire examiner la demande de droit d'établissement pour des considérations humanitaires ou de compassion, elle se trouve donc à être privée de l'égalité de traitement dans l'admi- nistration et l'application de la loi. Toutefois, à la lumière des décisions de la Cour suprême dont nous avons discuté plus haut, y compris la décision Praia en particulier, il m'est difficile de conclure que le critère de l'«objectif fédéral régulier» n'est pas respecté en l'espèce. La requérante jouissait
uniquement du statut d'immigrante reçue au Canada et ce statut n'emportait évidemment pas avec lui tous les droits et protections accordés à un citoyen, notamment le droit de ce dernier de demeurer au pays tant et aussi longtemps qu'il jouit de la citoyenneté. Par conséquent, malgré, le désavantage manifeste dont est victime la requé- rante en vertu de la Loi par rapport à la situation d'un répondant qui serait citoyen canadien, il ne semble pas, compte tenu de l'évolution du droit à ce jour, que les dispositions du paragraphe 79(2) seraient jugées invalides si l'on tient compte du fait qu'elles visent un objectif fédéral régulier et qu'el- les s'appliquent sans distinction à tous ceux qui ne sont pas citoyens du Canada. Si cela est exact, cette Cour n'a alors d'autre choix que d'appliquer de la loi telle qu'elle existe. Toute modification devrait émaner d'une autorité supérieure.
Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais la présente demande.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris aux présents motifs.
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