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A-447-81
Morris Kruger, Emory Gabriel, Joseph Pierre et Louise Eneas (appelants) (demandeurs)
c.
La Reine (intimée) (défenderesse)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Stone-Van- couver, 26 et 27 novembre 1984; Ottawa, 18 mars 1985.
Indiens - Terres d'une réserve expropriées pour les besoins d'un aéroport - Expropriation empêchant présumément les Indiens d'exercer le droit de refuser de vendre ou de louer à des conditions convenables - Expropriation valable confor- mément à l'art. 48 de la Loi - Aucune cession requise Obligations de fiduciaire de la Couronne - Appel rejeté en raison de l'irrecevabilité de la demande - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, art. 19, 48, 50.
Couronne - Expropriation par le ministère des Transports de terres d'une réserve indienne pour les besoins d'un aéroport - Obligations de fiduciaire - Étude approfondie de l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, 11984] 2 R.C.S. 335 - Conflit d'intérêts - Obligations de la Couronne envers les Indiens et obligations de la Couronne envers la population canadienne - Appel rejeté.
Prescription - Expropriation par la Couronne de terres indiennes - Causes d'action ayant pris naissance en 1941 et en 1946 - Action intentée en 1979 - La demande en domma- ges-intérêts formée par les appelants est irrecevable selon la loi provinciale - Il n'existe aucun délai de prescription aux termes de l'art. 83 du Trustee Act si la demande (1) est fondée sur la fraude ou (2) vise à recouvrer des biens en fiducie - La demande ne fait partie d'aucune de ces deux catégories - Appel rejeté - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 38 - Limitatjon Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236, art. 3(3),(4), 6, 8(1), 9(1), 14(3) - Statute of Limitations, R.S.B.C. 1936, chap. 159, art. 38 - Trustee Act, R.S.B.C. 1936, chap. 292, art. 83.
Expropriation - Terres d'une réserve indienne - II n'y a pas eu de cession avant la prise obligatoire des terres - L'art. 48 de la Loi des Indiens de 1927 permettait-il l'expropriation? - L'art. 48 prévoyait des procédures d'expropriation par la Couronne fédérale et par d'autres organismes mentionnés à qui la loi conférait des pouvoirs de prise obligatoire de terres - L'aliénation découlant d'une expropriation n'est pas soumise aux conditions de cession ou d'abandon en vertu du début de l'art. 50 - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, art. 19, 48, 50 - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1) - Loi des expropriations, S.R.C. 1927, chap. 64, art. 2f) - L'acte des chemins de fer, 1868, 31 Vict., chap. 68, art. 37 - Acte refondu des chemins de fer, 1879, 42 Vict., chap. 9, art. 37 - Acte relatif aux Sauvages, 1880, 43 Vict., chap. 28, art. 31, 36, 37 - Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, chap. 43, art. 35, 38, 39 - Loi des sauvages, S.R.C. 1906, chap. 81, art. 46 (abrogé et remplacé par 1-2 Geo. V, chap. 14, art. 1).
Les faits de la présente affaire ont été résumés dans la note de l'arrêtiste ci-dessous. Il s'agit de savoir si l'article 48 de la Loi des Indiens de 1927 autorise la Couronne à exproprier des
terres d'une réserve; si tel est le cas, cette compétence a-t-elle été exercée de façon légitime? Y a-t-il eu manquement aux obligations de fiduciaire de la part de la Couronne? Aucune des parties n'a interjeté appel de la décision du juge de première instance selon lequel la Couronne était un fiduciaire envers les appelants.
L'article 48 de la Loi des Indiens de 1927 prévoit que nulle partie d'une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d'un ouvrage public sans le consentement du gouverneur en conseil, «mais toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi ... d'exproprier ... des terrains ... sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du gouverneur en conseil comme susdit ... exer- cer ce pouvoir». L'article 50 prescrit que, «Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ni affermée, avant d'avoir été cédée ou rétrocédée à la Couronne».
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Heald: L'obligation et le devoir de fiduciaire dont il est question dans l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, existent également dans une affaire comme la présente, malgré les différences entre les faits des deux affaires et la différence entre les dispositions législatives. Les déclarations que le juge Dickson (alors juge puîné) a formulées dans l'arrêt Guerin au sujet du rapport de fiduciaire n'ont pas été interpré- tées comme faisant autorité à l'appui de la proposition générale que le rapport de fiduciaire n'existe que si les Indiens ont cédé leurs terres à la Couronne. Selon le juge Dickson, «la norme de conduite que comporte cette obligation est à la fois plus géné- rale et plus exigeante que les conditions de n'importe quelle autre cession». Comme le disait le juge Dickson dans l'arrêt Guerin, en examinant la nature du titre indien: «Le droit qu'ils ont ... est un droit en common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif». En l'espèce, l'obligation fiduciaire était continue, découlait du projet d'expropriation des terres et devait exister pendant toute la durée des négociations au sujet de l'indemnité à verser relativement aux lots A et B.
Étant donné que la Couronne a une obligation de fiduciaire envers les Indiens, la question du conflit d'intérêts se pose clairement dans ce cas-ci. De toute évidence, deux Ministères du gouvernement canadien ne s'entendaient pas sur la façon de traiter les occupants indiens du lot A. La preuve a incontesta- blement montré que les fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes ont fait preuve de diligence lorsqu'il s'est agi de défendre au mieux les intérêts des occupants indiens. Par ailleurs, le ministère des Transports désirait vivement acquérir les nouvelles terres dans l'intérêt des transports aériens. En droit, il est clair qu'aune personne qui se charge d'une tâche pour le compte d'une autre doit agir exclusivement au bénéfice de cette dernière». Il est clair également qu'il incombe au fiduciaire d'établir que le bénéficiaire avait à sa disposition tous les renseignements pertinents dont le fiduciaire avait connais- sance. En se fondant sur ces principes, il est impossible de conclure que la Couronne fédérale a agi «exclusivement au bénéfice» des Indiens. La recommandation proposée par les fonctionnaires des Affaires indiennes d'accepter le bail de 10 ans consenti à l'origine par les Indiens n'a pas été retenue pour
le motif que le loyer demandé par les Indiens n'était pas raisonnable. Le ministère des Transports n'a présenté aucune preuve en vue de démontrer que le loyer annuel n'était pas raisonnable. D'ailleurs, aucune évaluation n'a été produite à l'appui du règlement final de 115 $ l'acre qui privait les Indiens de tous leurs droits sur ces biens-fonds. Selon certaines preuves, des propriétés semblables avaient été vendues plusieurs années auparavant au prix de 200 à 300 $ l'acre. On peut clairement déduire du dossier que, lorsqu'il s'est agi pour le gouverneur en conseil de prendre une décision finale, l'opinion du ministère des Transports l'a emporté sur l'opinion et les recommandations du ministère des Affaires indiennes. Quel que soit le motif suffisant et valable qu'ait eu le ministère des Transports pour exiger les biens-fonds, cette circonstance ne dégageait pas la Couronne fédérale de l'obligation de fiduciaire qu'elle avait envers les Indiens.
Le conflit d'intérêts qui existe dans les négociations en vue d'acquérir le lot A existe également en ce qui concerne l'acqui- sition du lot B. Le fait que la valeur du bien-fonds avait initialement été fixée à 55 $ l'acre, que le ministère de la Défense nationale et celui des Transports en avaient eu la possession pendant à peu près 18 mois sans verser aux Indiens quelque acompte, à valoir sur l'indemnité, et qu'ils avaient abordé d'une façon plutôt nonchalante les négociations se rap- portant à l'indemnité, alors qu'ils étaient si empressés de pren- dre possession des terres et de priver ainsi les Indiens de leurs moyens de subsistance, montre qu'ils se préoccupaient peu du bien-être des Indiens. Il n'est pas possible de conclure que la Couronne fédérale avait exclusivement agi au bénéfice des Indiens. De plus, la Couronne a négligé de divulguer aux Indiens tous les faits pertinents. La non-divulgation de l'opinion du sous-ministre de la Justice a été considérée comme illustrant l'attitude des préposés de la Couronne autres que les fonction- naires de la direction des Affaires indiennes. S'il avait existé quelque preuve dans le dossier que les représentations et les plaidoyers formulés par les Affaires indiennes pour le compte des Indiens avaient été minutieusement examinés et bien pesés, et si une offre de règlement reflétant ces représentations avait été faite, les choses auraient été vues sous un autre angle.
En ce qui concerne la question de la prescription de l'action, contrairement à ce qui s'est produit dans l'affaire Guerin, les causes d'action auraient pu être découvertes si les appelants avaient fait preuve d'une diligence raisonnable à l'époque celles-ci ont pris naissance. Il s'ensuit que le délai de prescrip tion prévu à l'article 38 du Statute of Limitations de la Colombie-Britannique qui était en vigueur au moment les causes d'action ont pris naissance (en janvier 1941 dans le cas du lot A et en février 1946 dans celui du lot B) aurait expiré bien avant que la poursuite ait été engagée en 1979.
Toutefois, selon l'article 83 du Trustee Act de la Colombie- Britannique, l'action intentée par le bénéficiaire contre un fiduciaire n'est pas sujette à prescription (1) lorsqu'elle est fondée sur quelque fraude ou abus frauduleux de confiance ou (2) lorsqu'elle a pour but le recouvrement d'un bien détenu en fiducie. Les appelants ne peuvent pas se prévaloir du moyen d'appel se rapportant à la première catégorie, car ils ont abandonné toute prétention de dol qu'articulaient les écritures. En ce qui concerne la seconde catégorie, la question a été étudiée dans l'affaire McLellan v. Milne & Magee, [1937] 3 D.L.R. 659 (C.S. Ont.) dans laquelle il a été jugé relativement à un article de la loi ontarienne sur la prescription dont le
libellé était presque identique à celui de l'article 83, qu'une action en vue d'obtenir un jugement obligeant un avocat à indemniser son client par suite d'un manquement à son obliga tion de fiduciaire ne constitue pas une action en recouvrement d'un bien détenu en fiducie. Pareille demande se rapprochait énormément de la demande subsidiaire d'indemnisation présen- tée par les appelants. La décision rendue dans l'affaire McLel- lan s'appliquait en l'espèce.
En outre, compte tenu des dispositions transitoires du Limi tation Act de la Colombie-Britannique de 1975, qui était en vigueur au moment l'action a été intentée en 1979, la demande des appelants est en tout état de cause irrecevable. Si le paragraphe 14(3) de la loi de 1975 s'appliquait, le délai de prescription aurait expiré le 1«' juillet 1977, presque deux ans avant la date du dépôt de la présente demande. Les articles 8 et 9 de cette loi ont également pour effet de rendre la présente action irrecevable.
Le juge Urie: La question de savoir si l'article 48 de la Loi des Indiens de 1927 confère à la Couronne le pouvoir d'expro- prier des terres d'une réserve reçoit une réponse affirmative. Le paragraphe 48(1) envisage deux formes distinctes d'expropria- tion, soit le cas l'expropriation est effectuée par le gouverne- ment fédéral et celui elle est effectuée par d'autres organis- mes en vertu du pouvoir de prise obligatoire qui leur est conféré par la loi. Cela est démontré par l'emploi du mot «mais» au paragraphe 48(1). En utilisant ce mot en 1911, le Parlement visait à établir une distinction entre la position des compagnies ou autorités qui étaient mentionnées et celle de la Couronne en assurant l'application, aux fins de la Loi des Indiens, des formalités d'expropriation établies dans leurs lois constitutives et en autorisant le gouverneur en conseil à ne consentir à l'expropriation des terres d'une réserve que si certaines condi tions étaient remplies. Étant donné qu'à part les compagnies et les autorités municipales ou locales s'étant vu conférer pareil pouvoir d'expropriation par le gouvernement fédéral ou par un gouvernement provincial, le seul organisme détenant un pouvoir d'expropriation était la Couronne fédérale, la partie du para- graphe 48(1) précédant le mot «mais» doit donc se rapporter à la Couronne fédérale.
En outre, l'article 50 n'exige pas que les terres d'une réserve soient cédées ou abandonnées par les Indiens à la Couronne dans tous les cas elles doivent lui être transmises. L'article 50 s'applique clairement au cas les terres d'une réserve doivent être «vendue[s], aliénée[s] [ou] affermée[s]». Le terme «aliénée» n'englobe pas l'expropriation des terres d'une réserve par la Couronne comme le soutenaient les appelants. Compte tenu du contexte, le terme n'est pas utilisé dans un sens technique ni ne s'applique aux faits de l'espèce. De toute façon, le début de l'article 50, qui est rédigé en ces termes: «Sauf dispositions contraires de la présente Partie», n'assujettit pas l'aliénation découlant d'une expropriation effectuée conformé- ment à l'article 48 aux prescriptions relatives à la cession ou à l'abandon.
La deuxième question est de savoir si le pouvoir d'expropria- tion a été exercé légitimement. Les appelants ont soutenu que les tribunaux pouvaient examiner la façon dont l'expropriation s'était déroulée parce que l'intimée ne répondait pas au critère du «but primordial» énoncé dans l'affaire Warne v. The Pro vince of Nova Scotia, Akerley, Jamerson, Henry and Kinsman (1970), 1 N.S.R. (2d) 150 (C.S.N.-E). Selon ce critère, si
l'expropriation vise primordialement à encourager un complot destiné à causer un préjudice au propriétaire de l'immeuble exproprié, l'expropriation est alors soumise au contrôle judi- ciaire. En l'espèce, il n'existe aucune preuve à l'appui de la prétention des appelants selon lesquels les représentants du Ministère auraient délibérément acquis les biens-fonds des Indiens de préférence à ceux de non-Indiens parce que leur prix en serait moins élevé.
Quant au manquement de la Couronne à son devoir de fiduciaire, il fut admis, sans qu'une décision soit rendue à ce sujet, que les règles s'appliquant aux conflits d'intérêts dans le cas des cestuis que trust s'appliquaient également aux fiduciai- res. Sur la base de cette hypothèse, il a été statué que la Couronne n'avait pas manqué à son obligation de fiduciaire par suite du conflit imputé entre deux de ses Ministères, soit le ministère des Mines et Ressources, direction des Affaires indiennes, et le ministère des Transports. Il ressort de la preuve documentaire que les fonctionnaires des Affaires indiennes ont représenté les Indiens avec énergie. Par ailleurs, les fonctionnai- res du ministère des Transports avaient, envers la population canadienne dans son ensemble, y compris les Indiens, l'obliga- tion de ne pas «dépenser les deniers publics d'une manière désavantageuse». Le fait que la décision finale ait pu ne pas satisfaire tout à fait les Indiens ne veut pas dire qu'il y a eu manquement au devoir de fiduciaire, ni qu'il existait un conflit d'intérêts devant être réglé en leur faveur.
Les autres obligations de la Couronne l'ont empêchée de se plier entièrement aux exigences de la bande indienne ou de se retirer complètement des négociations. La Couronne était tenue d'assurer au mieux la protection des intérêts de tous ceux dont ses représentants étaient responsables. Le gouverneur en conseil est devenu l'arbitre final. Les appelants ont décidé de ne pas s'adresser à la Cour de l'Échiquier mais ont accepté les offres de la Couronne. Il était difficile de voir comment ils auraient pu contester à bon droit, après tant d'années, les règlements qu'ils avaient acceptés.
Les appelants prétendent également que l'intimée n'a pas apporté toute l'attention dont on est en droit de s'attendre d'un fiduciaire, car elle n'a pas tenu compte de la «valeur et [de] l'importance particulières» des lots A et B pour les Indiens. Il ressort clairement du dossier que les fonctionnaires à tous les échelons de la hiérarchie étaient bien au courant de leurs obligations respectives et les ont remplies du mieux possible.
Enfin, les appelants reprochent aux fonctionnaires des Affai- res indiennes de ne pas avoir mis la bande au courant de l'opinion du sous-ministre de la Justice, soit que le lot B ne pouvait pas être exproprié. La meilleure preuve recevable en l'absence d'un témoignage de vive voix était un rapport rédigé par l'agent des Affaires indiennes. Il a été jugé qu'il n'y avait pas eu dissimulation de renseignements. De toute façon, étant donné que l'expropriation était valable, la cession était superflue.
Quant à la prescription de l'action, les appelants, invoquant à leur appui l'arrêt Guerin, ont soutenu que le manquement découlant de la non-divulgation de l'opinion du sous-ministre de la Justice constituait une fraude en equity. Cette allégation a été rejetée. Le dossier a montré à plusieurs reprises la sincérité complète dont ont toujours fait preuve les fonctionnaires des Affaires indiennes envers les Indiens.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; McLellan v. Milne & Magee, [1937] 3 D.L.R. 659 (C.S. Ont.); Point v. Dibblee Construction Co. Ltd., et al., [1934] O.R. 142 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Meek v. Parsons et al. (1900), 31 O.R. 529 (C. div.); Masters v. Madison County Mutual Ins. Co. (1852), 11 Barb. 624 (N.Y. App. Div.); Warne v. The Province of Nova Scotia, Akerley, Jamerson, Henry and Kinsman (1970), 1 N.S.R. (2d) 150 (C.S.N.-E.); Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563 (C.A.); Buttle v. Saunders, [1950] 2 All E.R. 193 (Ch. D.); Calder et al. c. Le Procureur Général de la Colombie- Britannique, [1973] R.C.S. 313; City of Edmonton v. Hawrelak and Sun-Alta Builders Ltd. et al., [1972] 2 W.W.R. 561, confirmé à [1973] 1 W.W.R. 79 (C.S. Alb.).
AVOCATS:
W. J. Worrall et K. S. Campbell pour les appelants (demandeurs).
W. B. Scarth, c.r. et T. B. Marsh pour l'inti- mée (défenderesse).
PROCUREURS:
Worrall, Scott & Page, Vancouver, pour les appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (défenderesse).
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Les trois jugements ci-inclus totalisent 104 pages de manuscrit. L'arrêtiste a décidé de publier la présente affaire en version abrégée. Les parties suivantes des motifs des jugements font l'objet d'un résumé: l'exposé des faits pré- senté par le juge Urie; l'examen de la preuve effectué par le juge Urie pour déterminer si les fonctionnaires des Affaires indiennes ont tenu compte de la «valeur et [de] l'importance particu- lières» des lots A et B pour les Indiens; les motifs de jugement exprimés par le juge Stone; l'examen de la preuve auquel procède le juge Heald, dans ses motifs de jugement, au sujet de l'acquisition des lots A et B.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'occasion de prendre connaissance des motifs de jugement rédigés par mon collègue, le juge Urie. Je souscris à son avis que l'article 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, autorise l'intimée à exproprier les terres d'une réserve indienne. Comme lui, je crois égale- ment que l'article 50 de la Loi, édictant que les parties d'une réserve qui sont «vendue[s], alié- née[s] [ou] affermée[s]» doivent être cédées ou abandonnées à la Couronne, ne s'applique pas aux expropriations effectuées en vertu de l'article 48 étant donné qu'il commence en ces termes: «Sauf dispositions contraires de la présente Partie». Puis- que les articles 48 et 50 figurent tous deux dans la Partie I de la Loi, il est clair, à mon avis, que les dispositions de l'article 50 ne s'appliquent pas dans ce cas-ci. S'il n'en était pas ainsi, il m'aurait été difficile de conclure que l'expropriation d'une terre de la réserve par la Couronne ne constitue pas une aliénation au sens de l'article 50. Toutefois, pour les motifs ci-dessous exprimés, il est inutile de statuer d'une façon définitive sur la question.
À mon sens, l'un des principaux points en litige se rapporte à la nature de l'obligation de fiduciaire que l'intimée, la Couronne, avait envers les appe- lants et à la question de savoir si compte tenu des faits, il y a eu manquement à pareille obligation.
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, le savant juge de première instance [(1981), 125 D.L.R. (3d) 513 (C.F. i ie inst.)] a jugé que la Couronne agissait à titre de fiduciaire pour le compte des appelants et aucune des parties n'a contesté en appel cette conclusion. Ceci étant, il importe d'examiner la nature et les caractéristiques de l'obligation. Je souscris à l'avis de mon collègue, le juge Urie, que le jugement récemment rendu (le lei novembre 1984) par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Guerin [Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335] est parti- culièrement pertinent et mérite d'être examiné à fond. Le sommaire reprend comme suit les motifs du juge Dickson (alors juge puîné), s'exprimant en son propre nom, et au nom des juges Beetz, Choui- nard et Lamer [aux pages 336 et 337]:
Le droit que les Indiens ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la Proclamation royale de 1763, ni par le par. 18(1) de la Loi sur
les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif. Le droit des Indiens se distin- gue surtout par son inaliénabilité et par le fait que Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit.
La nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la Loi relativement à l'aliénation de leurs terres imposent à Sa Majesté une obligation d'equity, exécutoire en justice, d'utiliser ces terres au profit des Indiens. Des lois fédérales successives dont l'actuelle Loi sur les Indiens prévoient l'inaliénabilité générale des terres des réserves indiennes, sauf dans le cas d'une cession à Sa Majesté. L'exigence d'une cession vise à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. En confirmant au par. 18(1) de la Loi sur les Indiens la responsabilité historique qui incombe à Sa Majesté de protéger les droits des Indiens dans les opéra- tions avec des tiers, le Parlement a conféré à Sa Majesté le pouvoir discrétionnaire de décider elle-même ce qui est vrai- ment le plus avantageux pour les Indiens. Lorsqu'une loi, un contrat ou peut-être un engagement unilatéral impose à une partie l'obligation d'agir au profit d'une autre partie et que cette obligation est assortie d'un pouvoir discrétionnaire, la partie investie de ce pouvoir devient un fiduciaire. L'equity vient alors exercer un contrôle sur ce rapport en imposant à la partie en question l'obligation de satisfaire aux normes strictes de conduite auxquelles le fiduciaire est tenu de se conformer.
Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens confère à Sa Majesté un large pouvoir discrétionnaire relativement aux terres cédées. En la présente espèce, l'acte de cession confirme l'existence de ce pouvoir discrétionnaire dans la clause qui prévoit la cession des terres à Sa Majesté. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, une bande indienne cède son droit à Sa Majesté, cela fait naître une obligation de fiduciaire qui impose des limites à la manière dont Sa Majesté peut exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte des Indiens. Les mandataires de Sa Majesté ont promis à la bande de louer les terres en cause à certaines conditions précises et, après la cession, ils ont conclu un bail dont les conditions étaient différentes et beaucoup moins avantageuses. L'acte de cession n'autorisait pas Sa Majesté à ignorer les conditions verbales qui, selon ce que la bande avait cru comprendre, seraient incluses dans le bail. Après que les mandataires de Sa Majesté eurent amené la bande à céder ses terres en lui faisant entendre qu'elles seraient louées à certaines conditions, il serait déraisonnable de permettre à Sa Majesté d'ignorer tout simple- ment ces conditions. L'equity ne sanctionnera pas une conduite peu scrupuleuse de la part d'un fiduciaire qui doit faire preuve d'une loyauté absolue envers son commettant. En signant, sans consultation, un bail beaucoup moins avantageux que celui promis, Sa Majesté a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande et elle doit donc réparer le perte subie par suite de ce manquement.
Il existe entre les faits de l'affaire Guerin et ceux de la présente affaire certaines différences dont il importe de faire mention. En effet, dans l'affaire Guerin, la bande avait cédé les terres de la réserve à la Couronne pour que ces dernières soient louées à un club de golf. Les conditions du
bail signé par la Couronne étaient beaucoup moins favorables que celles qu'avaient approuvées la bande à l'assemblée tenue à ce sujet. Dans la présente instance, les biens-fonds désignés sous le nom de lot A, d'une superficie de quelque 154,3 acres, ont été expropriés par la Couronne. Aucun acte de cession n'a été obtenu des Indiens avant cette expropriation, ni à aucun moment. De plus, les biens-fonds désignés sous le nom de lot B, lesquels comprennent 120 acres supplémentaires, ont également été expropriés par la Couronne à une date ultérieure. En ce qui concerne le lot B, un acte de cession a été obtenu des Indiens après l'expropriation. En outre, il existe certaines diffé- rences entre le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, qui s'appliquait dans l'af- faire Guerin, et l'article 19 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, soit la loi qui nous intéresse dans la présente instance. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149 et modifi cations, édicte ce qui suit:
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.
L'article 19 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, édicte ce qui suit:
19. Toutes les réserves affectées à des Indiens, ou à une bande d'Indiens, ou possédées en fiducie pour eux, sont censées être affectées et possédées pour les mêmes objets qu'elles l'étaient jusqu'à présent, mais elles sont assujéties aux disposi tions de la présente Partie.
Notons que les dispositions de l'article 18 de la Loi de 1952 sont plus précises que celles de l'arti- cle 19 de la Loi de 1927. Toutefois, je crois que pareille différence ne peut pas influer sur l'applica- bilité, dans la présente espèce, des déclarations qui ont été faites dans l'arrêt Guerin. Je souscris à la déclaration formulée par le juge Hall dans l'arrêt Calder et al. c. Le Procureur Général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, à la page 390, selon laquelle le «titre aborigène indien ne dépend d'aucun traité, ni d'aucune ordonnance du pouvoir exécutif ou disposition législative». Cet avis a été confirmé par le juge Dickson dans l'arrêt Guerin, à la page 379 de ses motifs, dans lesquels, examinant la nature du titre indien, il déclare ce qui suit: «Le droit qu'ils ont sur leurs terres est un
droit en common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pou- voir exécutif.» Par conséquent, je conclus que la différence entre les dispositions légales s'appli- quant dans l'affaire Guerin et celles qui s'appli- quent dans la présente instance n'influent aucune- ment sur l'applicabilité, dans la présente affaire, des motifs exprimés et du jugement rendu dans l'arrêt Guerin.
De même, je suis d'avis que les différences existant entre les faits des deux affaires n'influent pas sur la valeur persuasive des motifs rendus dans l'affaire Guerin lorsqu'il s'agit de les appliquer à la présente affaire. Dans la présente affaire, il y a eu deux expropriations. Dans un cas, il n'y a pas eu cession. Dans l'autre, l'acte de cession a été signé après l'expropriation. Toutefois, je ne crois pas que les déclarations que le juge Dickson a formulées au sujet du rapport de fiduciaire existant entre la Couronne et les Indiens puissent être interprétées comme faisant autorité à l'appui de la proposition générale que le rapport de fiduciaire n'existe que si les Indiens ont cédé leurs terres à la Couronne. Comme l'a fait remarquer le juge Urie, il est vrai que ces commentaires ont été formulés par le savant juge dans le contexte de cette affaire, soit d'une cession des terres de la réserve à la Cou- ronne à certaines conditions. Toutefois, à la page 389, le juge Dickson a formulé les commentaires suivants:
Bien que l'existence de l'obligation de fiduciaire que Sa Majesté a envers les Indiens dépende de la nature du processus de cession, la norme de conduite que comporte cette obligation est à la fois plus générale et plus exigeante que les conditions de n'importe quelle autre cession. Dans la présence [sic] instance, l'aspect pertinent de la norme de conduite requise est défini par un principe analogue à celui qui sous-tend la doctrine de l'exception promissoire ou reconnue en equity. Sa Majesté ne peut promettre à la bande qu'elle louera ses terres à certaines conditions précises, incitant ainsi la bande à modifier sa situa tion juridique en cédant lesdites terres, et ensuite simplement ignorer cette promesse au détriment de la bande. Voir, par exemple, les affaires Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd., [1947] K.B. 130; Robertson v. Minis ter of Pensions, [ 1949] 1 K.B. 227 (C.A.)
En signant, sans consultation, un bail beaucoup moins avan- tageux que celui promis, Sa Majesté a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande. Elle doit donc réparer la perte subie par suite de ce manquement.
Par conséquent, à mon sens, il est clair que l'obligation et le devoir de fiduciaire dont il est question dans l'arrêt Guerin existeraient également dans une affaire comme celle-ci; de plus, dans ce cas-ci, pareille obligation et pareil devoir étaient continus, c.-à-d. qu'ils découlaient du projet d'ex- propriation des terres de la réserve et qu'ils devaient exister pendant toute la durée des négo- ciations précédant les expropriations et par la suite, en particulier au cours des pourparlers entre la Couronne et les Indiens au sujet de l'indemnité à verser à ceux-ci relativement aux lots A et B.
Quels sont donc les paramètres de ce rapport de fiduciaire? Tenant compte du fait que l'equity vient exercer un contrôle sur le rapport en impo- sant au fiduciaire l'obligation de satisfaire aux normes strictes de conduite auxquelles il est tenu de se conformer et «ne sanctionnera pas une con- duite peu scrupuleuse de la part d'un fiduciaire qui doit faire preuve d'une loyauté absolue envers son commettant», (voir les motifs du juge Dickson, à la page 389), j'examinerai maintenant les faits.
L'ACQUISITION DU LOT A
Par le décret 1036 daté du 29 juillet 1938, la Colombie-Britannique cédait à la Couronne fédé- rale la réserve indienne 1 de Penticton (dans laquelle se trouvent les lots A et B) [TRADUC- TION] «en fiducie, à l'usage et au profit des Indiens». En septembre 1938, la municipalité de Penticton a demandé aux Indiens de lui louer à peu près 72,56 acres, dans la réserve 1 de Penticton, en vue d'y établir un aéroport munici pal. L'agent des Indiens a signé le bail au nom des occupants indiens du bien-fonds en question. Les occupants indiens ont également apposé leur signa ture au bail, ainsi que les représentants de la municipalité de Penticton. Le loyer s'élevait en moyenne à 6,50 $ l'acre par an; d'autres avantages dont il sera question en détail ci-dessous étaient également stipulés. Chaque bail était d'une durée de cinq ans et pouvait être reconduit, au gré de la municipalité, pour des périodes additionnelles de cinq ans, jusqu'à concurrence d'un maximum de vingt-cinq années en tout. La direction des Affai- res indiennes, à Ottawa, n'a pas sanctionné les baux en question par suite de l'intervention du ministère des Transports qui voulait acquérir le bien-fonds en vue d'y établir un aéroport. Dans une lettre datée du 6 décembre 1939, le sous-
ministre des Transports a informé le directeur des Affaires indiennes, à Ottawa, qu'il serait néces- saire d'acquérir d'autres terres étant donné que les Transports se proposaient de construire un aéro- port plus grand avec des pistes plus longues. Lesdi- tes terres, d'une superficie de 154,3 acres, sont connues sous le nom de lot A.
Le juge Heald a examiné la preuve en ce qui concerne le lot A. Cette preuve était constituée surtout de lettres de l'agent des Affaires indien- nes, du commissaire des Indiens pour la Colom- bie-Britannique et du directeur des Affaires indiennes. Le juge s'est reporté à une recomman- dation présentée au Conseil par le ministre des Munitions et des Approvisionnements et conte- nant la déclaration suivante: «(les négociations] ont échoué, parce que les Indiens demandaient un loyer exorbitant; conformément à l'avis du sous-ministre de la Justice, l'expropriation desdits biens-fonds ... est maintenant envisagée». Dans un rapport envoyé à Ottawa, le commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique exposait un certain nombre de faits à l'appui de l'opinion que «la somme de 10 $ l'acre qu'ils réclament ne pourrait pas être considérée comme exorbitante».
Le 16 novembre 1940, le décret C.P. 6594 a été passé en vue d'exproprier une terre d'une superfi- cie de 0,52 acres, soit la partie du lot A qui n'avait pas déjà été expropriée.
Le 26 janvier 1941, le décret C.P. 659, et par la suite, des décrets modificateurs, autorisaient, rela- tivement aux biens-fonds faisant partie du lot A, le versement aux Indiens de la somme de 115 $ l'acre. La recommandation au Conseil, qui aurait été formulée par le ministre suppléant des Muni tions et des Approvisionnements, conformément à l'avis du directeur des Transports aériens, auquel souscrivait le sous-ministre adjoint des Transports, énonce que les Indiens concernés ont consenti à accepter l'indemnité en question.
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, les dépositions présentées à l'audience ne permettaient pas vraiment d'établir les conditions dans lesquel- les les lots A et B avaient été expropriés. Je crois moi aussi qu'il faut se fonder principalement sur la preuve documentaire en vue de connaître les faits pertinents. J'ai fait mention de la preuve documen- taire se rapportant à l'acquisition du lot A qui,
selon moi, est pertinente. Cette preuve me permet de tirer les conclusions suivantes:
1. Les négociations initiales qui ont eu lieu entre les Indiens et la ville de Penticton, en 1938, se rapportaient à la location de 72,56 acres pendant au plus 25 ans.
2. Lorsque le ministère des Transports s'est inté- ressé aux terres en décembre 1939, il envisageait de les acquérir soit par location soit par achat. De plus, il voulait acquérir une plus grande étendue de terre (153,8 acres).
3. Au cours des négociations qui ont eu lieu entre les Indiens et l'agent, M. Barber, ce dernier et son supérieur en C.-B., le major MacKay, ont présumé que le ministère des Transports souhaitait louer les biens-fonds en question.
4. En juillet 1940, les Indiens ont convenu, de mauvais gré, de donner à bail les 153,8 acres en question (soit le lot A) pour un terme de dix ans moyennant un loyer annuel de 10 $ l'acre, en foi de quoi ils ont signé un acte de cession. En recom- mandant que le ministère des Transports accepte cette proposition, le major MacKay, directeur des Affaires indiennes pour la Colombie-Britannique, a entre autres déclaré ce qui suit: [TRADUCTION]: «À mon avis, le loyer exigé n'est pas exorbitant».
5. Le 13 août 1940, un décret a été passé en vue d'autoriser l'expropriation du lot A, conformément à la recommandation du ministre des Munitions et des Approvisionnements, à laquelle souscrivait le sous-ministre des Transports. Ce décret énonçait entre autres ce qui suit: [TRADUCTION] "Que des négociations ont eu lieu, avec l'aide de la direction des Affaires indiennes du ministère des Mines et des Ressources, pour la location des terrains requis, mais que ces négociations n'ont pas abouti, au loyer élevé que demandent les Indiens".
6. Le 22 août 1940 ou vers cette époque, le ministère des Transports, par l'entremise du minis- tère des Affaires indiennes, a offert la somme de 100 $ l'acre en échange du lot A, mais il a en même temps proposé une solution de rechange possible, soit un bail d'une durée de 21 ans moyen- nant un loyer annuel de 5 $ l'acre.
7. Le 27 août 1940, l'agent, M. Barber, a soumis cette proposition aux Indiens concernés. Parmi les huit Indiens assistant à l'assemblée, un seul a
consenti à accepter l'offre de 100 $ l'acre. Tous les autres ont refusé catégoriquement d'accepter pareille offre. Il ne semble pas avoir été question de l'autre bail proposé lors de l'assemblée.
8. Le 28 août 1940, le major MacKay a présenté le point de vue des Indiens à ses supérieurs, à Ottawa. Dans sa lettre il mettait l'accent sur les points suivants:
a) Selon le bail qui devait être conclu avec la municipalité de Penticton, moyennant un loyer de 6,50 $ l'acre, cette dernière s'engageait à défricher, à niveler et à ensemencer la terre de façon à obtenir du fourrage, et à autoriser les Indiens à couper les foins. Les Indiens se trouvaient donc à bénéficier d'un avantage très important, en plus du loyer annuel.
b) Cent cinquante-trois acres étaient expropriés, alors que le bail avec la ville de Penticton ne visait que 72 acres, laissant les parcs à fourrage aux éleveurs indiens. Les 153 acres du lot A, expro- priés par le ministère des Transports, couvrent presque entièrement la portion utile des terres de certains des occupants indiens, les privant ainsi d'une bonne partie de leurs moyens de subsistance.
c) En ce qui concerne les évaluations du lot A, en 1920 l'agent des Indiens, M. Ball, a évalué celui-ci à 200 $ l'acre; en 1932, le chemin de fer de Kettle Valley a payé 300 $ l'acre pour des terres similai- res du voisinage; le ministère provincial des Tra- vaux publics a exproprié des terres de moins bonne qualité le long du lot A, aux fins de la construction d'une route, au prix de 250 $ l'acre en 1929, et à un prix encore plus élevé en 1932.
d) À l'origine, on croyait que le lot A était presque entièrement composé de terre sablonneuse, mais il a par la suite été établi que le sable ne constituait qu'une couche superficielle de quelque trois ou quatre pouces sous laquelle se trouvait de la très bonne terre, suffisamment arrosée par des sources souterraines pour permettre d'obtenir de bonnes récoltes de fourrage.
e) Étant donné qu'il était situé à proximité de Penticton, le lot A avait une valeur supérieure à celle qu'avaient de simples terres agricoles.
9. En octobre 1940, la suite de nouvelles
négociations avec les Indiens, l'agent, M. Barber, a
signalé que certains d'entre eux étaient prêts à régler l'affaire contre la somme de 100 $ l'acre; de plus, il a recommandé que la somme de 110 $ l'acre leur soit offerte.
10. Le décret du 26 janvier 1941 et d'autres décrets subséquents autorisaient un règlement moyennant le versement de la somme de 115 $ l'acre, relativement au lot A.
À mon avis, étant donné que la Couronne a une obligation de fiduciaire envers les Indiens, la ques tion du conflit d'intérêts se pose clairement dans ce cas-ci. De toute évidence, deux Ministères du gou- vernement canadien ne s'entendaient pas sur la façon de traiter les occupants indiens du lot A. La preuve semble incontestablement montrer que les fonctionnaires de la direction des Affaires indien- nes ont fait preuve de diligence lorsqu'il s'est agi de défendre au mieux les intérêts des occupants indiens. D'autre part, le ministère des Transports était anxieux d'acquérir les nouvelles terres dans l'intérêt des transports aériens. Cette situation a entraîné l'existence de considérations incompati bles les unes avec les autres. Par conséquent, en sa qualité de fiduciaire des Indiens, la Couronne fédé- rale faisait face à un conflit d'intérêts. En droit, il est clair que [TRADUCTION] «une personne qui se charge d'une tâche pour le compte d'une autre doit agir exclusivement au bénéfice de cette dernière, sans tenir compte de ses propres intérêts» et que [TRADUCTION] «Selon la règle établie en equity, personne ne peut laisser son devoir entrer en con- flit avec son intérêt»'. Ceci étant, on ne saurait reprocher à la Couronne fédérale d'avoir manqué à son obligation de fiduciaire envers les Indiens en invoquant l'existence de considérations incompati bles entre les différents ministères du gouverne- ment.
Il semble également clair que [TRADUCTION] «dans la mesure le bénéficiaire de la fiducie agit en pleine connaissance de cause, la vente de son droit à un fiduciaire constitue un contrat valide». Toutefois, dans ces conditions, [TRADUCTION] «il incombe au fiduciaire d'établir que le bénéficiaire
' Les extraits précités figurent aux pp. 618 et 619 du Law of Trusts In Canada, Waters, 1974. Voir au même effet l'arrêt City of Edmonton v. Hawrelak and Sun-Alta Builders Ltd. et al., [1972] 2 W.W.R. 561, le juge Kirby, aux pp. 583 592 inclusivement (confirmé par [1973] 1 W.W.R. 179 (C.S. Alb.)).
avait de fait à sa disposition tous les renseigne- ments pertinents dont le fiduciaire avait connais- sance», (le fait que ni le fiduciaire ni le bénéficiaire n'ont connaissance de certains renseignements per- tinents ne semble avoir aucune importance) [TRA- DUCTION] «et les tribunaux veillent méticuleuse- ment à s'assurer que le bénéficiaire n'aurait pu être privé d'aucun avantage» 2 .
Si je me fonde sur les principes précités, et si je les applique aux faits de la présente espèce, il m'est impossible de conclure que la Couronne fédérale a agi [TRADUCTION] «exclusivement au bénéfice» des Indiens en acquérant le lot A. Les Indiens ne voulaient pas se séparer de leur terre, à l'exception des 72 acres qu'ils avaient initialement convenu de louer à la municipalité de Penticton, et ce, pour des raisons logiques et légitimes. Toutefois, ils ont finalement, de mauvais gré toutefois, consenti à un bail de dix ans. Or, les fonctionnaires des Affaires indiennes recommandaient cette solution, mais il n'a pas été tenu compte de leur avis pour le motif que le loyer demandé par les Indiens n'était pas raisonnable. Le ministère des Transports n'a pré- senté aucune preuve en vue de montrer que le loyer annuel n'était pas raisonnable. En fait, toute la preuve versée au dossier est à l'effet contraire. La situation est la même relativement au règlement final de 115 $ l'acre qui privait les Indiens de tous leurs droits sur ces biens-fonds. Aucune évaluation n'a été produite à l'appui de ce chiffre. D'autre part, selon certaines preuves, des propriétés simi- laires avaient été vendues plusieurs années aupara- vant au prix de 200 à 300 $ l'acre.
À mon avis, la conclusion inéluctable à tirer du dossier est la suivante: lorsqu'il s'est agi pour le gouverneur en conseil de prendre une décision finale, l'opinion du ministère des Transports l'a emporté sur l'opinion et les recommandations du ministère des Affaires indiennes. Sans doute, le ministère des Transports avait un motif suffisant et valable en vue d'exiger les biens-fonds en ques tion le plus tôt possible à ses fins, mais cette circonstance ne dégageait pas la Couronne fédé- rale de l'obligation de fiduciaire qu'elle avait envers les Indiens. Par conséquent, il ne m'est pas difficile de conclure que la Couronne fédérale n'a
2 Les extraits précités figurent à la p. 636 du Law of Trusts in Canada, Waters, 1974.
pas établi, comme il lui incombait de le faire, que le marché qu'elle avait conclu n'avait privé les Indiens d'aucun avantage.
Par conséquent, en ce qui concerne l'acquisition du lot A, je crois que la Couronne a manqué à son devoir de fiduciaire.
L'ACQUISITION DU LOT B
Le juge Heald a procédé à un examen exhaustif de la preuve en ce qui concerne le lot B. Il a mentionné les évaluations «indépendantes» au montant de 6 831 $ et de 6 810 $ obtenues par le sous-ministre des Transports et celle au montant de 16 958 $ obtenue par les Affaires indiennes. Dans une lettre adressée au ministère des Trans ports, le ministère des Affaires indiennes a sou- tenu que «les Indiens ... ont droit l'indemnité], compte tenu du bouleversement complet du mode de vie de leur collectivité et de ce qu'il leur en coûtera pour s'établir dans un endroit qui leur permettra de reprendre complètement ce mode de vie. En raison de leur race, ils feront face à une certaine opposition et cette opposition se reflé- tera, lorsqu'il s'agira de s'établir dans les collecti- vités blanches disponibles, dans le prix qu'ils devront payer en vue d'acquérir des terres ou propriétés ayant pour eux une valeur et une utilité aussi grandes que celles qu'ils ont été forcés de quitter et d'abandonner.» Pour ces motifs, on indiquait que «l'indemnité initialement demandée par notre agent, M. A.H. Barber, un homme avisé et compétent, soit 28 328 $, n'est pas exorbi- tante, à notre avis». La lettre concluait que, si le ministère des Transports était prêt à augmenter le montant de son offre jusqu'à concurrence de la somme de 25 000 $, «nous tenterons d'obtenir l'assentiment des Indiens». Le sous-ministre des Transports a répondu qu'une dépense de 25 000 $ ne pouvait pas être justifiée et qu'il tenterait d'obtenir du Conseil le pouvoir d'expro- prier.
Le 20 janvier 1944, l'agent des Indiens informait le commissaire que ces «gens ont été très patients et semblent avoir compté sur moi en vue d'en arriver à un règlement qui serait juste pour eux ... ils veulent cet argent et accepteraient un prix ridiculement bas s'ils se voyaient offrir des chèques immédiatement; or cette situation est loin d'être juste pour un représentant». L'agent
signalait la possibilité pour les Indiens de devoir payer des frais s'ils n'obtenaient pas gain de cause en cas d'arbitrage ou de poursuite en justice.
Le 28 janvier 1944, dans une lettre au ministère des Affaires indiennes, à Ottawa, le commissaire demandait si la revendication pouvait être réglée pour la somme de 15 000 $ plus 15 %, soit 16 500 $. «Ces suggestions sont formulées en désespoir de cause, les Indiens étant privés de leurs moyens de subsistance depuis un an, alors qu'en les menaçant d'avoir recours à l'arbitrage, le ministère des Transports rend tout règlement impossible, sauf à ses propres conditions. Aupa- ravant, personne, y compris le chemin de fer du C.P., le West Kootenay Power & Light Company et les ministères fédéral et provincial des Travaux publics, n'avait contesté les évaluations de ce bien-fonds, lesquelles s'élevaient dans certains cas à plus de 400 $ l'acre, le prix variant habituel- lement entre 250 et 300 $.»
Le 24 février 1945, les Affaires indiennes envoyaient une lettre à l'agent des Indiens en lui proposant que «nous puissions obtenir 15 000 $ en s'arrangeant à l'amiable» et en l'exhortant à réunir les Indiens pour en arriver à une entente qui éviterait que la Cour de l'Échiquier soit saisie de l'affaire. L'agent a répondu qu'il était impossible de réunir ces gens en vue de tenir une assemblée et qu'il y avait peu de chances d'en arriver à quelque entente satisfaisante. Mais le 9 janvier 1946, l'agent a informé les Affaires indiennes à Ottawa qu'il avait rencontré les Indiens et que ceux-ci accepteraient un règlement immédiat de 15 000 $. Le ministère des Transports a accepté cette offre. En conséquence, l'agent a rencontré les Indiens le ler février 1946. Le vote fut de 18 en faveur de la cession et de 9 à l'encontre. Dix-huit Indiens étaient absents, dont 10 se trouvaient aux États-Unis. Dans son rapport aux Affaires indien- nes, l'agent formulait l'opinion suivante: «Je serais d'avis que cette assemblée fut fort difficile; je ne doute pas que, si tous les membres de la bande avaient été présents, ou si la cession était à nouveau proposée, qu'elle serait refusée.» Un décret ordonnant la cession et établissant le mon- tant de l'indemnité à 15 000 $ a été passé immédiatement.
Me fondant sur la preuve documentaire précitée concernant l'acquisition du lot B, je tire les conclu sions suivantes:
1. En juillet 1942, le ministère de la Défense nationale a décidé d'agrandir l'aéroport de Pentic- ton de façon que ce dernier puisse servir de terrain d'atterrissage en cas d'urgence aux fins du système de défense de la côte Ouest. A cette fin, il a été décidé d'exproprier une superficie additionnelle d'environ 120 acres (le lot B) appartenant aux Indiens de Penticton. La Défense nationale éva- luait le coût d'acquisition du lot B à 50 $ l'acre.
2. La Défense nationale ou les Transports, ou encore les deux, ont demandé au ministère des Affaires indiennes de faire des démarches auprès des Indiens relativement à l'acquisition du lot B. Les Affaires indiennes les ont assurés [TRADUC- TION] «de leur entière collaboration», tout en veil- lant en même temps aux intérêts des Indiens.
3. Sans qu'une procédure d'expropriation ait été engagée et sans que les Indiens aient signé un acte de cession ou accordé quelque autorisation, les Transports ont entrepris les travaux sur le lot B en septembre 1942. Entre-temps les fonctionnaires des Affaires indiennes ont systématiquement demandé aux Transports à quel moment les Indiens pouvaient s'attendre à un règlement relati- vement au lot B. Des renseignements ont été demandés aux Transports en novembre 1942, mais en vain. En décembre 1942, les Indiens étaient anxieux de recevoir au moins une avance avant la Noël. Le Ministère a de nouveau fait la sourde oreille.
4. Finalement, en mai 1943, les Transports ont présenté deux évaluations relatives au lot B. Dans les deux cas, ce dernier était évalué à environ 6 800 $.
5. En novembre 1943, les Affaires indiennes ont obtenu une évaluation du lot B, au montant de 16 958,75 $. Toutefois, les fonctionnaires des Affaires indiennes n'étaient pas prêts à accepter ce chiffre. Ils ont souligné que les Indiens avaient le droit d'être indemnisés par suite du bouleverse- ment complet de leur mode de vie et de ce qu'il leur en coûterait pour établir de nouveau le groupe ailleurs. Sur cette base, l'agent, M. Barber, a fixé la valeur du lot B à 28 328 $, ses supérieurs propo- sant de faire un compromis et d'offrir la somme de 25 000 $.
6. Les Transports ont sommairement rejeté l'of- fre le 4 décembre 1943, et ont fait remarquer ce qui suit: [TRADUCTION] «Étant donné que nous ne saurions justifier cette dépense, il a été recom- mandé au Conseil d'autoriser l'expropriation du bien-fonds en question, et s'il nous est impossible de régler le différend à l'amiable, de permettre le renvoi de l'affaire à l'arbitrage.» Le décret autori- sant l'expropriation a été passé le 20 décembre 1943.
7. Le 28 janvier 1944, le commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique a suggéré, dans son compte rendu à l'Administration centrale à Ottawa, la possibilité d'un règlement pour une somme d'environ 16 000 $ à 18 000 $. Puis il a ajouté ce qui suit: [TRADUCTION] «Ces suggestions sont formulées en désespoir de cause, les Indiens étant privés de leurs moyens de subsistance depuis un an, alors qu'en les menaçant d'avoir recours à l'arbitrage, ce qu'il tarde de faire, le ministère des Transports rend tout règlement impossible sauf à ses propres conditions.» Il faisait ensuite remar- quer ce qui suit: [TRADUCTION] «Auparavant, per- sonne, y compris le chemin de fer du C.P., West Kootenay Power & Light Company et les ministè- res fédéral et provincial des Travaux publics, n'avait contesté les évaluations de ce bien-fonds, lesquelles s'élevaient dans certains cas à plus de 400 $ l'acre, le prix variant habituellement entre 250 et 300 $.» Il faisait églement mention de [TRA- DUCTION] «l'attitude mesquine du ministère des Transports». De plus, il faisait remarquer que la situation, relativement au lot B, montre clairement qu'il importe de s'entendre sur un prix ferme avant de permettre à l'expropriant d'accéder à la pro- priété expropriée et de l'utiliser.
8. Le 9 mars 1944, à peu près 18 mois après que les Transports eurent pris possession du lot B et eurent entrepris les travaux de construction, une avance de 6 500 $ a finalement été versée.
9. Le 4 mai 1944, l'agent, M. Barber, a tenu une assemblée avec les Indiens; ces derniers ont forte- ment critiqué M. Barber et le ministère des Affai- res indiennes [TRADUCTION] «pour avoir permis l'expropriation des biens-fonds avant que la ques tion de l'indemnité ait été réglée».
10. Le 24 février 1945, les Affaires indiennes, à Ottawa, ont envoyé à M. Barber une lettre dans
laquelle ils exprimaient l'avis que les Transports seraient probablement prêts à régler le différend à l'amiable pour la somme de 15 000 $, mais que si la question était soumise à la Cour de l'Échiquier, ils (les Transports) n'offriraient pas pareille somme mais offriraient plutôt [TRADUCTION] «une somme d'environ 7 000 ou 8 000 $». On a demandé à M. Barber de voir de quelle façon les Indiens réagiraient à un règlement au montant de 15 000 $.
11. Après avoir rencontré les Indiens, M. Barber a répondu le 14 mars 1945. Il a signalé que sept des occupants indiens avaient retenu les services d'un avocat de Vancouver et qu'ils comptaient sur lui en vue d'obtenir une indemnité plus élevée par suite de la demande présentée à la Cour de l'Échi- quier. M. Kruger, le huitième réclamant, a déclaré être prêt à accepter le règlement si une indemnité globale de 15 000 $ était versée en échange du lot B.
12. Le 7 janvier 1946, lors d'une assemblée tenue dans la réserve, après [TRADUCTION] «une discussion longue et parfois orageuse», les Indiens ont consenti à accepter la somme de 15 000 $ à la condition que le différend soit réglé dans les plus brefs délais.
13. Les Transports ont alors donné leur accord et demandé aux Affaires indiennes de veiller à obtenir l'acte de cession requis de la bande indienne.
14. Par conséquent, M. Barber a convoqué une autre assemblée de la bande le lei février 1946, en vue d'obtenir la cession. Après une vive discussion qui a soulevé de nombreuses objections, 18 mem- bres ont voté en faveur et 9 membres ont voté contre la signature d'un acte de cession. M. Barber a fait remarquer que bien que les membres pré- sents à l'assemblée aient en majorité voté en faveur de la cession, cela ne constituait toujours pas un vote majoritaire de la bande étant donné que 46 membres avaient droit de vote. Il a de plus fait remarquer que si tous les membres de la bande avaient été présents à l'assemblée, il n'avait pas [TRADUCTION] «le moindre doute» que la cession aurait été refusée. Selon M. Barber, le méconten- tement des Indiens était en grande partie attribua- ble au fait qu'ils ne comprenaient pas pourquoi une cession était nécessaire à l'égard du lot B alors
qu'elle n'avait pas été requise à l'égard du lot A. De plus, ils ne pouvaient pas comprendre pourquoi il fallait céder les biens-fonds, puisqu'ils n'en avaient plus la possession depuis trois ans et puis- qu'on les avait à maintes reprises informés que le gouvernement les avait expropriés.
15. Le 5 février 1946, un décret a été passé en vue d'ordonner la cession et de fixer l'indemnité. Dans ce décret, il était pour la première fois mentionné que le sous-ministre de la Justice avait exprimé l'opinion que les terres des Indiens ne pouvaient pas être expropriées en vertu de la Loi des expropriations [S.R.C. 1927, chap. 64] mais que le transfert pouvait uniquement être effectué au moyen d'un acte de cession en bonne et due forme.
À mon avis, l'examen des négociations en vue d'acquérir le lot B montre clairement qu'il existait un conflit d'intérêts entre les deux Ministères du gouvernement canadien, comme cela avait été de toute évidence le cas lors des négociations relatives au lot A. Les Affaires indiennes ont vaillamment tenté de défendre au mieux les intérêts des Indiens. D'autre part, la Défense nationale et les Trans ports étaient anxieux d'acquérir le lot B et d'agrandir l'aéroport. Le fait que la valeur du bien-fonds avait initialement été fixée à 50 $ l'acre seulement, que ces Ministères avaient eu posses sion de celui-ci pendant à peu près 18 mois sans verser aux Indiens quelque acompte, à valoir sur l'indemnité, et qu'ils avaient abordé d'une façon plutôt nonchalante les négociations se rapportant à l'indemnité, alors qu'ils étaient si empressés de prendre possession des terres et de priver ainsi les Indiens de leurs moyens de subsistance, montre leur indifférence au sort des Indiens. La preuve montre clairement que les Transports avaient décidé de ne pas tenir compte des opinions bien pesées des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes quant à la valeur du bien-fonds et ne s'étaient pas vraiment efforcés de régler le diffé- rend. En effet, ils s'étaient contentés d'exproprier, puis de négocier. Le commissaire MacKay a décrit la situation d'une façon particulièrement éloquente en disant que ses suggestions étaient formulées «en désespoir de cause», puisque les Transports cher- chaient à retarder les choses, ce qui empêchait un règlement juste. Il a également qualifié l'attitude des Transports de «mesquine». Ainsi, après avoir
été privés du lot B et sans moyens de subsistance pendant plus de trois ans et demi, et après avoir reçu seulement 6 500 $ à valoir sur l'indemnité, une minorité des Indiens ayant droit de vote ont approuvé la cession.
Ceci étant, est-il possible de conclure que la Couronne fédérale avait exclusivement agi au bénéfice des Indiens en négociant l'acquisition du lot B et en établissant l'indemnité à verser? Je ne le crois pas. De même, je ne suis pas convaincu que tous les faits pertinents aient été complètement divulgués aux Indiens. La preuve montre qu'ils ont été tenus dans l'ignorance pendant de longues périodes. Leurs terres leur ont été enlevées, et aucune offre d'indemnisation n'a été faite dans un délai raisonnable. On peut comprendre leur confu sion, compte tenu de la façon dont ces questions ont été traitées. On leur a dit que leur bien-fonds était exproprié, puis qu'ils devraient néanmoins signer un acte de cession relativement au lot B mais non relativement au lot A. Étant donné qu'il incombe à la Couronne d'établir que les Indiens avaient à leur disposition tous les renseignements pertinents dont elle avait connaissance, je n'hésite aucunement à conclure que celle-ci n'a pas pré- senté une preuve suffisante à cet égard. A mon avis, le fait que l'opinion précitée que le sous- ministre de la Justice a exprimée aux autres fonc- tionnaires de la Couronne, soit que le bien-fonds des Indiens ne pouvait être pris qu'au moyen d'un acte de cession et non par voie d'expropriation, montre qu'il y a eu non-divulgation. Etant donné que je souscris à l'avis de mon collègue le juge Urie que les expropriations étaient valides au point de vue juridique, je fais mention de la non-divulga- tion non pas en vue de montrer qu'elle constituait, en droit, un obstacle aux actions de la Couronne, mais en vue de montrer l'attitude des préposés de la Couronne autres que les fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes. Ils ne se préoccu- paient aucunement du bien-être des Indiens, sem- ble-t-il, et laissaient le ministère des Affaires indiennes se charger de protéger les intérêts de ces derniers. C'était peut-être une attitude défenda- ble pour les fonctionnaires des autres ministères, étant donné que leurs propres intérêts devaient primer, vu l'urgence que suscitait l'état de guerre. Toutefois, le gouverneur en conseil ne saurait man- quer à son obligation de fiduciaire envers les Indiens en se fondant sur l'existence d'autres inté-
rets primordiaux et sur d'autres considérations. S'il avait existé quelque preuve dans le dossier que les représentations et les plaidoyers formulés par les Affaires indiennes pour le compte des Indiens avaient été minutieusement examinés et bien pesés, et si par la suite, une offre de règlement reflétant ces représentations avait été faite, j'aurais vu les choses sous un autre angle. A défaut de pareille preuve, je conclus que, comme dans le cas du lot A, la Couronne a manqué à son devoir de fidu- ciaire relativement à l'acquisition du lot B.
LA PRESCRIPTION ET LE MANQUE DE DILIGENCE
À mon avis, en ce qui concerne le lot A, la Couronne a manqué à son devoir de fiduciaire au plus tard vers le mois de janvier 1941, lorsque les décrets ont été passés en vue d'autoriser le verse- ment d'une indemnité de 115 $ l'acre. En ce qui concerne le lot B, elle a manqué à son devoir de fiduciaire au plus tard vers le mois de mars ou d'avril 1946, lorsque l'indemnité de 15 000 $ a été payée aux Indiens. La demande a été produite le 23 mars 1979, soit 38 et 33 ans respectivement après que la cause d'action eut pris naissance.
Le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e supp.), chap. 10] édicte ce qui suit: «les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur ... dans une province s'appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province». Le paragraphe 38(2) édicte que: «les règles de droit relatives à la prescription des actions désignées au paragraphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou contre la Couronne».
Par conséquent, il importe d'examiner la législa- tion provinciale qui était en vigueur en Colombie- Britannique en matière de prescription à l'époque qui nous intéresse. Le Statute of Limitations qui était en vigueur en 1941 et en 1946, années au cours desquelles les causes d'action ont pris nais- sance, figure au chap. 159, R.S.B.C. 1936. En vertu de cette loi, le délai de prescription applica ble aux actions immobilières est de vingt ans. Toutefois, l'article 38 de cette loi édicte ce qui suit: [TRADUCTION] «Dans tous les cas od une fraude a été cachée, le droit de quelque personne d'intenter une poursuite en equity en vue de recouvrer tout
bien-fonds ou loyer dont cette personne, ou l'au- teur de son droit, peut avoir été privée par suite de pareille fraude est réputé avoir pris naissance à l'époque elle aurait prendre connaissance de pareille fraude ou la découvrir, ou à l'époque où, en faisant preuve d'une diligence raisonnable, elle aurait pu le faire, et non auparavant». Contraire- ment à ce qui s'est produit dans l'affaire Guerin, les causes d'action, dans la présente instance, auraient pu être découvertes si les appelants avaient fait preuve d'une diligence raisonnable à l'époque celles-ci ont pris naissance. Si j'inter- prète la preuve de la façon la plus favorable aux appelants, les dates importantes en vertu de cet article seraient le mois de janvier 1941 l'égard du lot A, et le mois de février 1946 à l'égard du lot B. Par conséquent, dans les deux cas, si le Statute of Limitations de la Colombie-Britannique de 1936 était mis en application, le délai de prescription aurait expiré bien avant que la poursuite eût été engagée.
Toutefois, l'article 83 du Trustee Act, R.S.B.C. 1936, chap. 292 3 , restreint l'application du Statute of Limitations de 1936. Selon cet article et la common law, l'action intentée par le bénéficiaire contre un fiduciaire n'est pas sujette à prescription (1) lorsqu'elle est fondée sur quelque fraude ou abus frauduleux de confiance ou (2) lorsqu'elle a pour but le recouvrement d'un bien détenu en fiducie.
3 Ledit article 83 édicte ce qui suit:
[TRADUCTION] 83. (1.) Les dispositions suivantes s'appli-
quent à toute action ou autre procédure intentée contre un fiduciaire ou un ayant droit, sauf lorsque pareille action ou procédure est fondée sur quelque fraude ou abus frauduleux de confiance auquel le fiduciaire participait ou dont celui-ci avait connaissance, ou a pour but le recouvrement d'un bien détenu en fiducie, ou les produits de celui-ci que le fiduciaire détient encore ou qu'il a reçus et convertis à son usage personnel:—
a.) Tous les droits et privilèges conférés par quelque loi sur la prescription doivent être exercés de la même façon et dans la même mesure que s'il s'agissait de droits et de privilèges dans quelque action ou autre procédure dans laquelle le fiduciaire ou son ayant droit n'aurait pas agi en cette qualité:
b.) Si l'action ou autre procédure a pour but le recou- vrement d'une somme d'argent ou de quelque autre bien, et si aucune loi existante sur la prescription ne s'appli- que à elle, le fiduciaire ou son ayant droit peut invoquer la prescription comme fin de non-recevoir de la même façon et dans la même mesure que s'il s'agissait d'une action en recouvrement d'une créance découlant de la
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Compte tenu de l'avis exprimé dans l'arrêt Guerin que le gouvernement fédéral n'agissait pas à titre de fiduciaire mais qu'il avait certaines obligations en vertu desquelles il avait des devoirs semblables à ceux d'un fiduciaire, il n'est pas certains que le Trustee Act de la Colombie-Britan- nique s'applique à la Couronne fédérale. Toutefois, dans l'affaire Guerin, la question de la fiducie implicite ne se posait pas étant donné qu'il n'y avait pas enrichissement sans cause de la Cou- ronne. Dans la présente instance, selon mon inter- prétation des faits, il y a eu enrichissement sans cause d'un autre organisme de la Couronne fédé- rale, ce qui aurait bien pu donner lieu à une fiducie implicite. Étant donné que la loi de la Colombie- Britannique s'applique expressément à pareille fiducie, je suppose, aux fins du présent examen, que la Couronne fédérale peut être considérée comme un «fiduciaire» au sens de l'article 83. Il reste à savoir si la demande des appelants fait partie de l'une des deux classes précitées. En ce qui concerne la première classe, le juge de première instance a déclaré ce qui suit dans ses motifs la page 519): «Les demandeurs, à l'instruction, ont expressément abandonné toute prétention du dol qu'articulaient les écritures.» Par conséquent, les appelants ne peuvent pas se prévaloir de ce moyen d'appel. La seconde classe se rapporte aux actions en recouvrement d'un bien détenu en fiducie. Dans leur exposé de demande, les appelants ont demandé le recouvrement de leur bien, et subsi- diairement une indemnité fondée sur un manque- ment à l'obligation de fiduciaire. Étant donné qu'à mon avis, comme je l'ai ci-dessus fait remarquer,
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réception d'une somme d'argent, mais de façon néan- moins que le délai de prescription s'écoule à l'égard d'une femme mariée ayant un droit de possession pour son propre usage, qu'une restriction soit apportée ou non à l'anticipation, mais ne s'écoule pas à l'égard de quel- que bénéficiaire à moins que celui-ci n'ait un droit de possession et tant que pareil droit n'existe pas.
(2.) Un bénéficiaire contre lequel un moyen de défense valable pourrait être invoqué en vertu du présent article, ne doit pas, par suite d'une ordonnance ou d'un jugement obtenu par quelque autre bénéficiaire, profiter d'un avantage plus impor tant ou d'un avantage autre que celui qu'il aurait pu obtenir s'il avait intenté pareille action ou autre procédure et si un moyen prévu par le présent article avait été invoqué.
(3.) Le présent article ne doit s'appliquer qu'aux actions ou autres procédures intentées après le premier janvier 1906 et ne doit pas priver quelque exécuteur ou administrateur d'un droit ou moyen de défense dont il pourrait se prévaloir en vertu d'une loi existante sur la prescription.
la procédure d'expropriation est incontestablement valide dans la présente instance, les appelants ne peuvent se prévaloir d'une action en vue de recou- vrer la possession du bien détenu en fiducie lui- même. Il reste à savoir si la demande subsidiaire d'indemnisation présentée par les appelants peut être considérée comme une action en «recouvre- ment d'un bien détenu en fiducie» au sens de l'article 83. La Cour suprême de l'Ontario a étudié la question dans l'affaire McLellan v. Milne & Magee 4 , dans laquelle il a été jugé, relativement à un article de la Loi ontarienne sur la prescription dont le libellé était presque identique à celui de l'article 83, qu'une action en vue d'obtenir un jugement obligeant un avocat à indemniser son client par suite d'un manquement à son obligation de fiduciaire ne constitue pas une action en recou- vrement d'un bien détenu en fiducie. Dans la présente instance, pareille demande se rapproche énormément de la demande subsidiaire. Étant donné que je partage l'avis du juge McTague, j'ai conclu que la demande subsidiaire d'indemnisation présentée par les appelants ne peut pas être consi- dérée comme une action en «recouvrement d'un bien détenu en fiducie». Pour tous les motifs préci- tés, je suis d'avis que le Statute of Limitations de 1936 de la C.-B., modifié par le Trustee Act de 1936, n'autorisait pas les appelants à intenter leur action en 1979.
Toutefois, même si je commets une erreur en tirant la conclusion précitée, soit que les disposi tions de l'article 83 du Trustee Act de 1936 de la Colombie-Britannique n'ont pas l'effet d'empêcher quelque délai de prescription de commencer à s'écouler, je crois que compte tenu des dispositions transitoires du Limitation Act de la Colombie-Bri- tannique de 1975 5 , qui était en vigueur au moment l'action a été intentée en 1979, la demande des appelants est en tout état de cause irrecevable. Cette loi est entrée en vigueur le 1°r juillet 1975. Le paragraphe 14(3) édicte ce qui suit:
14....
(3) Si, relativement à une cause d'action qui a pris naissance avant l'entrée en vigueur de la présente Loi, le délai de pres cription établi dans la présente Loi est plus court que celui qui s'appliquait antérieurement à la cause d'action et doit expirer le 1" juillet 1977 ou auparavant, le délai de prescription s'appli- quant à cette cause d'action est le plus court des deux délais suivants:
4 [1937] 3 D.L.R. 659 (C.S. Ont.), à la p. 671, le juge McTague.
5 Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236.
a) deux années à compter du 1" juillet 1975, ou
b) le délai de prescription qui s'appliquait antérieurement à la cause d'action.
En supposant que le Trustee Act de 1936 s'ap- plique et qu'aucun délai de prescription établi dans ladite loi ne s'applique à la présente demande, il semblerait que ce soit le délai établi à l'alinéa 14(3)a) de la loi de 1975 qui s'applique dans la présente espèce. Par conséquent, aux termes du paragraphe 14(3) de la loi de 1975, le délai de prescription aurait expiré le 1 ®r juillet 1977, pres- que deux ans avant la date de la production de la présente demande.
D'autre part, si les dispositions transitoires du Limitation Act de 1975 ne s'appliquent pas, il est probable que les dispositions des articles 8 et 9 de cette loi auraient l'effet de rendre la présente action irrecevable. Le paragraphe 8(1) se rapporte à la [TRADUCTION] «prescription finale» et édicte ce qui suit:
[TRADUCTION] 8. (1) Sous réserve du paragraphe 3(3), mais nonobstant ... l'interruption ou la suspension du délai en vertu de l'article 6 ... aucune action à laquelle s'applique la présente Loi ne doit être intentée après l'expiration d'un délai de trente ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance ...
(Le libellé de l'article 6 dudit Limitation Act de 1975 est semblable à celui de l'article 83 du Trus tee Act de 1936.) Étant donné que je ne crois pas que les exceptions mentionnées dans le paragraphe 3(3) s'appliquent dans la présente espèce (puisque les expropriations étaient valides, il ne s'agit pas d'une affaire de trouble de jouissance) et étant donné qu'au moins trente-trois années se sont écoulées entre le moment la cause d'action a pris naissance et celui la demande a été pro- duite, je conclus que conformément au paragraphe 8(1) du Limitation Act qui était en vigueur au moment l'action a été intentée, la présente demande est irrecevable. De plus, le paragraphe 9(1) de la loi de 1975 édicte qu'à l'expiration du délai de prescription fixé par la loi, la cause d'ac- tion est éteinte.
Pour tous les motifs précités, je suis malheureu- sement d'avis que la demande des appelants est irrecevable. Ceci étant, il est inutile d'examiner le moyen de défense fondé sur le manque de diligence qu'a invoqué l'intimée.
Par conséquent, à mon avis, l'appel devrait être rejeté avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Il s'agit d'un appel formé contre la décision rendue par le juge Mahoney rejetant une action découlant de l'expropriation, à deux reprises, de terres d'une réserve indienne. Il a été soutenu que la défenderesse n'avait pas fait preuve de l'attention, des soins et de la prudence requis d'un fiduciaire. Les demandeurs ont tenté d'obte- nir une déclaration à cet effet ainsi que des dommages-intérêts.
Le ministère des Transports voulait acquérir le lot A aux fins d'établissement d'un aéroport, car ce lot se trouvait dans une vallée qui était l'un des rares endroits de cette région montagneuse les avions de la Trans -Canada Air Lines pouvaient atterrir en toute sécurité en cas de mauvais temps. Les Indiens avaient déjà convenu de louer 72,56 acres de terrain pour un aéroport municipal au prix de 6,50 $ l'acre par année en plus d'une autre contrepartie. Le Ministère avait besoin de 153,8 acres. L'agent des Indiens, qui menait les négociations pour le compte de ceux-ci, a informé son supérieur qu'ils n'étaient pas d'accord pour louer une plus grande superficie. L'agent a toute- fois réussi à les convaincre de louer le terrain requis pour une période de 10 ans au prix de 10 $ l'acre. Les Indiens voulaient obtenir un loyer plus élevé étant donné que les terres requises com- prenaient une bonne partie des parcs à fourrage et des pâturages. Le Ministère a décidé d'expro- prier le lot A et d'offrir 100 $ l'acre à titre d'indem- nité. Le décret C.P. 659, sanctionné le 29 janvier 1941, fixait l'indemnité à 115 $ l'acre et, selon le libellé du document, les Indiens en étaient satis- faits. L'indemnité a été, de fait, acceptée par les Indiens.
Le ministère de la Défense nationale pour l'air avait besoin du lot B, c'est-à-dire 120 acres addi- tionnels, en vue de servir de terrain d'atterrissage d'urgence pour le système de défense de la côte Ouest. Les travaux ont commencé sur le lot 8 en
septembre 1942, avant que le terrain soit expro- prié ou acquis d'une autre façon. Les Indiens se sont opposés à la prise de possession du terrain avant le paiement de l'indemnité. Des négocia- tions ont eu lieu. L'expropriation a été complétée en février 1944. En mai, les Indiens ont rejeté une offre de paiement provisoire à titre d'indemnité. Le 9 janvier 1946, l'agent des Indiens faisait ,savoir qu'ils accepteraient une somme de 15 000 $ si celle-ci leur était versée immédiate- ment et dans le but d'éviter un litige. Le 14 janvier, le sous-ministre des Transports informait les Affaires indiennes que l'offre de règlement était acceptée. Mais le l er février, l'agent des Indiens, sur les ordres de ses supérieurs, convo- quait une réunion afin d'obtenir le consentement de la bande à la cession du lot B. Vingt-huit des 46 personnes qui avaient le droit de voter y ont assisté, et le vote fut le suivant: 18 en faveur de la cession, 9 contre elle et 1 abstention'. L'agent a fait remarquer que la proposition de cession aurait été défaite si tous les membres de la bande avaient été présents. ll a également indiqué que les Indiens ne parvenaient pas à comprendre pourquoi on leur demandait de céder un terrain qui leur avait été enlevé 3 ans auparavant. Il a ajouté qu'il avait été embarrassant pour lui de leur demander d'accepter que le Ministère vende ce terrain qui avait été supposément exproprié. La cession a été acceptée par la Couronne, et l'in- demnité a été versée. La raison pour laquelle on aurait demandé à l'agent d'obtenir une cession était que le ministère de la Justice avait émis l'opinion que les terres des Indiens ne pouvaient pas faire l'objet d'une expropriation.
Les Indiens soutiennent que l'exécution de la cession ne constituait pas une acceptation du manquement de la part de la Couronne à ses obligations de fiduciaire, car ils n'étaient pas au courant de l'illégalité de l'expropriation. Il était impossible de donner un consentement bien informé à un manquement qui n'était pas rapporté pleinement par un fiduciaire en défaut. Il a été signalé que seul le lot B a fait l'objet d'une cession. Les Indiens allèguent qu'en ayant recours à l'expropriation, le ministère des Trans ports privait les Affaires indiennes de leur arme principale, c'est-à-dire du droit de refuser de vendre ou de louer l'immeuble si ce n'est â des conditions convenables. Il a été soutenu que la
Couronne avait ainsi manqué à ses obligations de fiduciaire envers les Indiens.
II
LES POINTS EN LITIGE
Dans leur exposé des faits et du droit, les appe- lants définissent comme suit les points en litige: [TRADUCTION] 1. L'art. 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chapitre 98, confère-t-il à l'intimée (ci-après appelée la «Cou- ronne») le droit d'exproprier des terres situées dans une réserve? Nous soutenons que non.
2. Si l'art. 48 de la Loi des Indiens autorise la Couronne à exproprier les terres d'une réserve, pareil pouvoir a-t-il été exercé d'une façon légitime dans la présente espèce? Les appe- lants soutiennent ici encore qu'il faudrait répondre à cette question par la négative. Toutefois, une question fondamentale qui s'est posée dans les motifs du savant juge de première instance est celle de savoir si le tribunal peut statuer sur la légitimité de l'exercice de pareil pouvoir. Les appelants soutien- nent qu'il le peut.
3. Compte tenu de la conclusion du savant juge de première instance que la Couronne agissait à titre de fiduciaire pour le compte des appelants (conclusion qu'aucune des parties n'a contestée lors de l'appel), la Couronne a-t-elle manqué à son obligation, et ce, quels que soient les pouvoirs d'expropriation qu'elle pourrait de prime abord avoir? Les appelants soutien- nent que oui, et ce, même si le présent tribunal conclut à l'existence d'un pouvoir d'expropriation et juge que pareil pouvoir a été exercé conformément aux dispositions pertinentes. Les appelants adoptent cette position parce que les biens-fonds en litige sont non seulement soumis aux dispositions légales générales se rapportant aux terres situées dans les réserves, mais également aux règles particulières relatives aux biens détenus en fiducie en Colombie-Britannique. Par conséquent, la Couronne est soumise aux règles interdisant à un fiduciaire d'acquérir pour son propre compte un bien détenu en fiducie ou de se mettre dans une situation susceptible d'entraîner un conflit entre ses intérêts personnels et ses obligations de fiduciaire.
4. Si la Couronne a manqué à son devoir de fiduciaire, les appelants y ont-ils consenti, de façon à dégager celle-ci de toute responsabilité à leur égard? Nous soutenons que non.
III
LES PLAIDOIRIES
1. L'article 48 de la Loi des Indiens
Étant donné que les prétentions de l'avocat des appelants quant à la portée et à l'applicabilité de l'article 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, mettent dans une certaine mesure en cause l'article 50 de cette Loi, il est bon de citer les deux articles en question.
48. Nulle partie d'une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d'un chemin de fer, d'une route, d'un ouvrage public ou d'un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le
consentement du gouverneur en son conseil, niais toute compa- gnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d'exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi à l'égard de toute réserve ou partie d'une réserve.
2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la bande, et l'exercice de ce pouvoir et l'expropriation des terres ou l'acquisition d'un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation et le versement de l'indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l'arrêté en conseil qui fait preuve du consente- ment du gouverneur en son conseil, être régis par les prescrip tions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires.
3. Chaque fois qu'un arbitrage a lieu, le surintendant général nomme l'arbitre de la part des Indiens et agit pour eux en toute chose relative au règlement de cette indemnité.
4. La somme adjugée dans chaque cas est versée au ministre des Finances pour l'usage de la bande d'Indiens au profit de laquelle la réserve est affectée, et au profit de tout Indien qui y a fait des améliorations, ou lésé.
50. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ni affermée, avant d'avoir été cédée ou rétrocédée à la Couronne pour les objets de la présente Partie; mais le surintendant général peut donner à bail, au profit de quelque Indien, sur sa demande, la terre à laquelle celui-ci a droit, sans cession ni abandon, et il peut, sans qu'il y ait eu abandon, disposer de la manière la plus avantageuse possible pour les Indiens des graminées sauvages et du bois mort sur pied ou du chablis.
2. Le gouverneur en son conseil peut établir des règlements autorisant le surintendant général, sans qu'il y ait abandon, à donner à bail les droits de surface dans une réserve indienne, aux termes et conditions qui peuvent être jugés convenables dans l'intérêt des Indiens, seulement pour l'étendue qui peut être nécessaire à l'exploitation minière des métaux précieux par tout individu par ailleurs autorisé à extraire ces métaux, lesdits termes devant assurer à un occupant de terre une indemnité pour tout dommage qui peut y être causé, suivant que le surintendant général le décide.
L'avocat des appelants a soutenu avec véhé- mence que la Loi des Indiens de 1927 ne confère pas à la Couronne le pouvoir d'exproprier les terres d'une réserve. Il a affirmé que l'article 48 empêche toute appropriation coercitive, aux fins d'un «ouvrage public», sans le consentement préalable du gouverneur en conseil. Selon son interprétation de l'article, ce dernier édicte que si pareil consente- ment a été obtenu, «toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré
par une loi, soit fédérale, soit provinciale» d'expro- prier des terrains peut exproprier les terrains d'une réserve, si elle respecte les conditions du consente- ment. L'avocat n'a trouvé dans l'article aucune disposition expresse ou implicite conférant à la Couronne, par opposition aux compagnies ou aux autorités détenant un pouvoir d'expropriation en vertu de la loi, le pouvoir de prendre les terres d'une réserve.
De plus, a-t-il soutenu, même si la Couronne a le droit d'exproprier un bien-fonds par suite du con- sentement, elle ne peut le faire que conformément à la Loi des expropriations, S.R.C. 1927, chap. 64, soit aux fins d'un «ouvrage public», au sens de l'alinéa 2f) de cette Loi, lequel ne comprend pas les aéroports. La définition donnée est la suivante:
2. En la présente loi, à moins que le contexte ne s'y oppose, l'expression
j) «ouvrage public» ou «travaux publics» signifie et com- prend les barrages, travaux hydrauliques, privilèges hydrauliques, ports, quais, jetées, docks ou bassins et ouvrages qui ont pour but d'améliorer la navigation de toutes eaux, les phares et les balises, les glissoires, digues, caissons, barrages flottants et autres ouvrages qui ont pour but de faciliter le flottage du bois, les ponts et chaussées, les édifices publics, les lignes de télégra- phes, les chemins de fer de l'Etat, les canaux, les écluses, les cales sèches, les fortifications et autres travaux de défense, et tous les autres immeubles appartenant actuellement au Canada, et aussi les ouvrages et immeu- bles acquis, construits, prolongés, agrandis, réparés ou améliorés aux frais du Canada ou pour l'acquisition, la construction, la réparation, le prolongement, l'agrandis- sement ou l'amélioration desquels des deniers publics sont votés et affectés par le Parlement, et tout ouvrage nécessaire à quelqu'une de ces fins—mais non les tra- vaux pour lesquels des deniers sont votés à titre de subvention seulement;
En ce qui concerne ce dernier argument, le savant juge de première instance, après avoir cité au long l'alinéa 2f) et avoir mis l'accent sur le passage ci-dessus souligné, a déclaré ce qui suit la page 515]:
La portion de la définition que j'ai soulignée peut, de toute évidence, être séparée des ouvrages particuliers énumérés aupa- ravant; on ne cherche pas à la restreindre à des ouvrages semblables à ceux-là. Le libellé des décrets pertinents, les pièces P-44, quant au lot «A», et P-46, quant au lot «B», montre clairement que des fonds publics ont été votés et retenus pour cet achat. La Loi de l'aéronautique, S.R.C. 1927, chap. 3 [maintenant S.R.C. 1970, chap. A-3] portait:
3. Il incombe au ministre
c) De construire et maintenir tous les aérodromes et sta tions ou postes d'aéronautique de l'Etat, y compris toutes les installations, machines et tous les bâtiments nécessaires à leur équipement et entretien efficaces;
Les aéroports constituaient donc à l'époque en cause des ouvra- ges publics que visait la Loi des expropriations. D'ailleurs, une jurisprudence ultérieure montre clairement qu'une fois un ter rain exproprié, comme l'ont été les lots «A» et «B», selon la procédure du dépôt des actes pertinents au bureau d'enregistre- ment conformément à l'art. 9 de la Loi des expropriations, il ne peut être mis en doute qu'ils ont été expropriés pour un «ouvrage public))...
Je souscris à ce raisonnement et à cette conclu sion; il est donc inutile d'étudier la question plus à fond.
Je me pencherai maintenant sur la question plus difficile du paragraphe 48 (1) de la Loi des Indiens à laquelle l'avocat n'a pas accordé autant d'impor- tance en première instance que devant le présent tribunal, me semble-t-il. À première vue, l'argu- ment dont nous venons de faire mention a un poids considérable, particulièrement lorsqu'il est tenu compte du paragraphe (2). Notons les termes «En ce cas», qui figurent au début du paragraphe et qui se rapportent de toute évidence à un cas prévu par le paragraphe (1). De prime abord, il s'agirait du cas «toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi .. . d'exproprier ou d'utiliser des terrains ... avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit» (c'est moi qui souligne) exercerait pareil pouvoir en expropriant quelque réserve ou partie de réserve. Les termes «comme susdit» doivent se rapporter au début du paragraphe, qui est rédigé en ces termes: «Nulle partie d'une réserve ne peut être expropriée pour les besoins ... d'un ouvrage public ... sans le consentement du gouverneur en son conseil». En ce qui nous concerne, la seule restriction à laquelle est soumis l'organisme «expropriant», aux termes de l'article, est que l'ex- propriation doit être effectuée aux fins d'un «ouvrage public». Il n'est fait mention des organis- mes particuliers détenant «le pouvoir conféré par une loi ... d'exproprier» qu'après le terme «mais».
Si l'interprétation que proposent les appelants est la bonne, pourquoi le législateur juge-t-il néces- saire de limiter dans le reste du paragraphe le caractère général des quatre premières lignes en faisant mention des organismes autres que la Cou- ronne qui ont un pouvoir d'expropriation? A coup
sûr, il entendait ainsi établir une distinction entre pareils organismes ou compagnies et la Couronne, ceux-ci pouvant être soumis aux «termes et condi tions» imposés par le consentement. De cette façon, l'interprétation suivante du paragraphe donnée par le juge de première instance semble être bien fondée et exacte:
La disposition fondamentale du par. 48(1) porte qu'aucune appropriation coercitive ne peut être effectuée sans le consente- ment requis; le reste du paragraphe élargit plutôt qu'il ne restreint cette exigence, établissant clairement que le consente- ment peut être donné à toute autorité privée ou publique et qu'il peut être conditionnel. Ce serait bien étrange en vérité si, selon le par. 48(1), le gouverneur en conseil, sans l'agrément de la bande lors de la cession d'un bien-fonds de la réserve, pouvait consentir qu'une autre autorité exproprie ces terrains mais ne pouvait donner cet agrément lorsque l'autorité expropriante est la Couronne du Canada elle-même.
Bien sûr, les dispositions d'une loi devraient être interprétées selon le contexte dans lequel elles s'inscrivent. Ceci étant, il importe de tenir compte du paragraphe (2) de l'article 48. Non seulement le paragraphe en question commence-t-il en ces termes: «En ce cas», ce qui peut uniquement se rapporter au paragraphe (1) mais encore les quatre dernières lignes dudit paragraphe font men tion de la fixation de l'indemnité à verser par suite de l'expropriation, laquelle doit «être régi[e] par les prescriptions applicables à des procédures simi- laires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires» (c'est moi qui souligne). Ce sont les organismes dont il est fait mention dans la dernière partie du para- graphe (1) et qui détiennent un pouvoir légal d'expropriation. Comment l'interprétation donnée par le juge de première instance à l'égard du paragraphe (1) est-elle touchée par la portée res- treinte des prescriptions figurant dans le paragra- phe (2) relativement à la fixation de l'indemnité?
Pour répondre plus facilement à cette question, il est à mon avis nécessaire d'examiner la suite des événements qui ont mené à l'adoption de l'article 48. Cette disposition est apparue pour la première fois à l'article 37 de L'acte des chemins de fer, 1868 [31 Vict., chap. 68]. Le libellé de cet article était très différent de celui de l'article ici à l'étude. Il a été reproduit presque textuellement dans l'Acte refondu des chemins de fer, 1879, 42 Vict., chap. 9, art. 37.
Dans l'Acte relatif aux Sauvages, 1880, 43 Vict., chap. 28, figurait l'article 31, qui différait de
l'article 37 de l'Acte des chemins de fer de 1879, comme en font foi les passages soulignés de l'arti- cle en question ci-dessous énoncé:
31. Si un chemin de fer ou une route passe, ou des travaux publics se font sur une réserve appartenant à une bande de Sauvages ou possédée par elle, ou s'ils y causent quelque dommage, ou si une réserve reçoit quelque dommage de l'exé- cution d'un acte du parlement ou de la législature d'une province, il sera payé une indemnité à cette bande, de la manière qui est prescrite relativement aux terres ou aux droits d'autres personnes. Dans tous les cas un arbitrage sera possible, le Surintendant-Général nommera l'arbitre de la part des Sauvages et agira pour eux en toute chose relative au règlement de cette idemnité; et la somme adjugée dans chaque cas sera remise au Receveur-Général pour l'usage de la bande de Sauvages au profit de laquelle la réserve est affectée, et pour le profit de tout Sauvage qui y aura fait des améliorations.
Pour la première fois, les Indiens acquéraient le droit d'être indemnisés non seulement lorsque des chemins de fer traversaient leur réserve, mais éga- lement lorsque des «routes ou travaux publics» y étaient construits. Notons que la loi prévoyait la désignation d'un arbitre et le versement d'une indemnité. Soulignons que les articles 36 et 37 prévoyaient les cas dans lesquels les terres d'une réserve devaient être cédées ou abandonnées avant de pouvoir être vendues, aliénées ou affermées. Ce sont les articles qui étaient en vigueur avant l'adoption de l'article 50 de la Loi des Indiens de 1927 précité.
Dans les Statuts révisés du Canada de 1886 [chap. 43], l'article 31 est devenu l'article 35 [de l'Acte des Sauvages] (reproduisant presque tex- tuellement le texte de la Loi de 1880) et les articles 36 et 37 sont devenus les articles 38 et 39. Par une modification apportée en 1886, les termes soulignés ont été ajoutés à l'article 35, qui est devenu l'article 46 des Statuts révisés du Canada de 1906 [chap. 81].
46. Aucune portion d'une réserve ne peut être prise pour un chemin de fer, une route ou des travaux publics sans le consen- tement du gouverneur en conseil; et, si une réserve éprouve quelque dommage par suite de l'exécution d'une loi du parle- ment ou de la législature d'une province, il est payé une indemnité à cette bande, de la manière qui est prescrite relati- vement aux terres ou aux droits d'autres personnes.
2. Dans tous les cas un arbitrage a lieu, le surintendant général nomme l'arbitre de la part des sauvages et agit pour eux en toute chose relative au règlement de cette indemnité.
3. La somme adjugée dans chaque cas est remise au ministre des Finances pour l'usage de la bande de sauvages au profit de
laquelle la réserve est affectée, et pour le profit de tout sauvage qui y a fait des améliorations.
Il importe de noter deux choses. En premier lieu, les termes soulignés sont semblables à ceux qui figurent dans toutes les versions subséquentes de la Loi et en particulier dans les quatre premières lignes de l'article 48 de la Loi des Indiens de 1927, et ce, même si le reste de ce dernier article est très différent. En second lieu, les paragraphes (2) et (3) sont semblables aux paragraphes (3) et (4) de la Loi de 1927.
L'article 46 a été abrogé en 1911 et remplacé par l'article 1 suivant, figurant dans 1-2 Geo. V, chap. 14:
46. Nulle partie d'une réserve ne doit être prise pour les besoins d'un chemin de fer, d'une route, d'un ouvrage public ou d'un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consen- tement du Gouverneur en conseil, mais toute compagnie ou toute autorité municipale ou provinciale possédant le pouvoir statutaire, soit fédéral soit provincial, de prendre et d'utiliser des terres ou quelque intérêt dans des terres, sans le consente- ment du propriétaire, peut, avec le consentement du Gouver- neur en conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir statutaire à l'égard de toute réserve ou partie d'une réserve, et dans tout pareil cas une indemnité doit être versée aux sauvages de la bande, et l'exercice de ce pouvoir et la prise des terres ou d'un intérêt dans des terres, ainsi que la détermination et le versement de l'indemnité doivent, à moins de dispositions con- traires dans l'arrêté du conseil qui fait preuve du consentement du Gouverneur en conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compa- gnie, ou cette autorité municipale ou provinciale dans des cas ordinaires.
Notons que plusieurs modifications ont été apportées:
(1) tout ce qui vient après le terme «mais», à la quatrième ligne, est entièrement nouveau;
(2) l'emploi du terme «mais» plutôt que de la conjonction «et»;
(3) l'inclusion, après la virgule, des termes sui- vants; «et dans tout pareil cas une indemnité doit être versée aux sauvages de la bande», jusqu'à la fin de l'article.
Selon moi, ces modifications sont importantes pour les raisons suivantes:
(1) l'emploi du terme «mais» par le législateur était destiné à établir une distinction, relativement aux conditions s'appliquant aux organismes autres que la Couronne auxquels la loi conférait un pouvoir
d'expropriation en assurant l'application, aux fins de la Loi des Indiens, des formalités d'expropria- tion établies dans leurs lois constitutives et en autorisant le gouverneur en conseil à ne consentir à l'expropriation, par ces organismes, des terres d'une réserve que si certaines conditions étaient remplies. Les versions antérieures de l'article ne conféraient aucun pouvoir restrictif de ce genre. Étant donné qu'à part les compagnies et les autori- tés municipales ou locales s'étant vu conférer pareil pouvoir d'expropriation par le gouvernement fédéral ou par un gouvernement provincial, le seul organisme détenant un pouvoir d'expropriation était la Couronne fédérale, les quatre premières lignes du paragraphe doivent se rapporter à celle-ci;
(2) la dernière partie du paragraphe, traitant de l'indemnisation, et commençant par «et dans tout pareil cas», vise de toute évidence les autorités auxquelles la loi confère le pouvoir «de prendre et d'utiliser des terres ... sans le consentement du propriétaire».
À mon avis, l'examen de l'article 46 nous aide énormément à interpréter l'article 48 de la Loi de 1927. Les remarques que j'ai faites au sujet de l'article 46 s'appliquent également à l'article 48, étant donné qu'à l'exception de ce dont je ferai ci-dessous mention, son libellé est semblable. De plus, selon cette interprétation, l'importance du paragraphe (2) de l'article 48 précité devient plus évidente. Le libellé de ce paragraphe est semblable à celui de l'article 46 après les termes «et dans tout pareil cas», sauf que la conjonction «et» n'y figure pas. En fait, l'article 46 a simplement été divisé en deux paragraphes. Étant donné qu'à mon sens, il est clair que les termes «et dans tout pareil cas» de l'article 46 s'appliquaient uniquement aux organis- mes détenant un pouvoir d'expropriation en vertu de la loi, il devait sûrement en être ainsi après l'adoption de la nouvelle numérotation, de façon à assurer une interprétation compatible du paragra- phe en question.
Mon opinion que c'est l'interprétation à donner au paragraphe (1) de l'article 48 est ren- forcée par le fait que le libellé des paragraphes (3) et (4) de cet article était semblable à celui des paragraphes (2) et (3) de la version de 1906 de la Loi des sauvages et semble être demeuré tel dans les paragraphes (2) et (3) de l'article 46 de la Loi
modificative de 1911, étant donné que seul le paragraphe (1) a été abrogé et remplacé dans cette dernière Loi. Puisque ces paragraphes s'appliquent «dans tous les cas un arbitrage a lieu», ils sembleraient s'appliquer aux compagnies et autori- tés auxquelles la loi confère un pouvoir d'expro- priation et dont les lois constitutives prévoient l'arbitrage. Je n'ai trouvé dans la Loi des Indiens de 1927 aucun article prévoyant l'arbitrage, et les parties n'en ont invoqué aucun. Ceci étant, il semble que deux formes distinctes d'expropriation
aient été envisagées par le paragraphe (1) de l'article 48, soit le cas l'expropriation est effec- tuée par le gouvernement fédéral et celui elle est effectuée en vertu d'autres pouvoirs conférés par la loi.
En outre, à mon avis, contrairement aux préten- tions de l'avocat des appelants, l'article 50 précité n'exige pas que les terres d'une réserve soient cédées ou abandonnées par les Indiens à la Cou- ronne dans tous les cas elles doivent lui être transmises. L'article 50 s'applique clairement aux cas les terres d'une réserve doivent être «ven- due[s], aliénée[s] [ou] affermée[s]». À mon sens, les terres en question doivent être cédées ou aban- données à la Couronne si cette dernière se propose de les vendre ou de les louer à un tiers. Cela lui permet ainsi d'assurer le respect de ses obligations envers les Indiens. L'avocat a reconnu que c'était peut-être vrai, mais que l'emploi du terme «alié- née» engloberait l'expropriation des terres d'une réserve par la Couronne.
Je ne souscrits pas à cet avis. Compte tenu du contexte, le terme «aliénée» n'est pas utilisé dans un sens technique, et ne s'applique pas aux faits de l'espèce. À cet égard, dans l'arrêt Meek v. Parsons et al. (1900), 31 O.R. 529 (C. div.), le juge en chef Armour, citant l'arrêt Masters v. Madison County Mutual Ins. Co. (1852) 11 Barb. 624 (N.Y. App. Div.), a déclaré ce qui suit la page 533]:
[TRADUCTION] Le terme «aliéner» a dans le langage juridi- que un sens particulier; or, un transfert de bien immobilier, à défaut de cession de titre, ne constitue pas une aliénation du bien en question. Quelle que soit la forme que peut prendre la vente, si le titre n'est pas cédé à l'acquéreur, l'«immeuble» n'est pas aliéné.
Ceci étant, il aurait été possible de soutenir le contraire si les faits avaient été autres, mais dans la présente instance, étant donné que le début de l'article 50 est rédigé en ces termes, soit: «Sauf
dispositions contraires de la présente Partie», l'alié- nation (dans la mesure une expropriation cons- titue une aliénation au sens strict du terme) décou- lant d'une expropriation effectuée conformément à l'article 48 (qui est inclus dans «la présente Partie») n'était pas soumise aux prescriptions rela tives à la cession ou à l'abandon qui auraient autrement pu s'appliquer. Par conséquent, à mon avis, l'article 50 ne s'applique pas lorsque les terres de la réserve sont expropriées conformément à l'article 48 de la Loi des Indiens.
L'avocat des appelants a invoqué l'arrêt Point v. Dibblee Construction Co. Ltd., et al., [1934] O.R. 142 (H.C.), aux pages 151 et 152, l'appui de ses prétentions. Le passage sur lequel il s'appuyait est le suivant:
[TRADUCTION] C'est la Couronne qui est propriétaire des biens-fonds affectés par traité ou autrement à l'usage d'une bande indienne particulière. Les Indiens ont sur ceux-ci un droit personnel de la nature d'un usufruit, qui dépend du vouloir du souverain. Ils n'ont sur les biens-fonds aucun droit de propriété: Attorney -General for Quebec v. Attorney -General for Canada, [1921] 1 A.C. 401; Reg. v. St. Catharines Milling and Lumber Co. (1885), 10 O.R. 196, confirmé dans (1886), 13 A.R. 148, (1887), 13 S.C.R. 577, (1889), 14 App. Cas. 46. Pour un exposé sur les terres publiques de l'Ontario et la ligne de conduite canadienne relativement aux questions indiennes, voir le jugement bien connu que le juge Boyd a rendu, dans 10 O.R., à la p. 203, et le Report on the Affairs of the Indians in Canada (1842), annexe E.E.E. des journaux de l'Assemblée législative de la province du Canada, vol. 4. Les terres situées sur l'île de Cornwall appartiennent à Sa Majesté le Roi du Canada (l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 Vict., chap. 3 (Imp.), voir: 91(24); The King v. Easterbrook, [1929] R.C.E. 28, confirmé dans [1931] S.C.R. 210). C'est la raison pour laquelle aucune cession ni aucun abandon de quelque réserve ou partie d'une réserve par les Indiens à quelque personne autre que Sa Majesté ne sont valides (art. 50 à 54). Ceci étant, comment la prérogative de la Couronne de disposer de ses propres biens peut-elle être entravée? Aucune disposition de quelque loi ne doit influer, de quelque façon que ce soit, sur les droits de Sa Majesté, de ses hoirs et de ses successeurs, à moins qu'il n'y soit expressément mentionné que Sa Majesté est liée (Loi de l'interprétation, S.R.C. 1927, chap. 1, art. 16).
Selon l'interprétation que je donne à la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, aucune restriction n'est apportée à cette prérogative. Les dispositions de l'art. 48, selon lesquelles nulle partie d'une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d'un chemin de fer, d'une route, d'un ouvrage public ou d'un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du gouverneur en son conseil, et selon lesquelles l'expropriation par toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi est réglementée, se rapportent de toute évidence au cas l'on s'empare de l'immeuble ou on le retire à la réserve, la propriété de celui-ci étant alors transmise par la Couronne à la compagnie, ou à l'autorité municipale ou locale concernée. [C'est moi qui souligne.]
Au lieu d'appuyer l'interprétation donnée par les appelants au paragraphe 48(1), ce passage, à mon sens, semble appuyer l'interprétation donnée par le juge de première instance, avec lequel, comme j'en ai ci-dessus fait mention, je suis d'accord.
Compte tenu de tous les motifs précités, le pre mier moyen d'appel devrait, à mon avis, être rejeté.
2. La question de l'expropriation
Selon l'avocat des appelants, il s'agit ici de savoir si, en admettant que l'article 48 de la Loi des Indiens autorise la Couronne à exproprier les terres d'une réserve, pareil pouvoir a été exercé d'une façon légitime dans la présente espèce. Selon cet argument, le tribunal a le droit d'examiner non seulement le but exprès de l'expropriation mais également la raison véritable pour laquelle le bien- fonds a été exproprié. L'avocat a soutenu que le but primordial des expropriations n'était pas celui dont il est fait mention dans le décret C.P. 3801 (la construction d'un ouvrage public à Penticton, soit un aéroport) ou dans le décret C.P. 9696 (l'agrandissement de l'aéroport de Penticton en tant qu'ouvrage public), mais plutôt d'obliger les bénéficiaires d'une fiducie (la bande indienne de Penticton) à remettre les lots A et B à des prix qui feraient l'affaire du fiduciaire, et ce, même s'ils ne convenaient pas aux bénéficiaires. L'avocat a sou- tenu dans son exposé que [TRADUCTION] «s'il avait été nécessaire d'exproprier les biens-fonds aux fins de l'établissement d'un aéroport, la Couronne aurait pu exercer son pouvoir en expropriant des terres n'appartenant pas aux Indiens, de l'autre côté de la rivière. Toutefois, le prix qu'elle aurait été obligée de payer à l'égard de pareils biens- fonds aurait été plus élevé que celui auquel elle espérait obtenir les terres de la réserve.» Pareil motif, a-t-il affirmé, ne répond pas au critère du «but primordial», et le présent tribunal peut donc examiner la façon dont la Couronne a exercé son pouvoir, s'il en est, en vue d'exproprier les terres de la réserve. Le critère sur lequel il s'appuyait a été établi dans une décision rendue par la Division de première instance de la Cour suprême de la Nou- velle-Écosse dans l'affaire Warne v. The Province of Nova Scotia, Akerley, Jamerson, Henry and Kinsman (1970), 1 N.S.R. (2d) 150, aux pages 152 et 153.
Avant d'examiner cette décision, il importe de signaler que je n'ai trouvé dans le dossier aucune preuve directe ou indirecte permettant d'attribuer à la Couronne le motif mentionné par les appe- lants. La preuve versée au dossier montre tout au plus qu'ayant conclu qu'il ne pouvait plus espérer négocier avec la direction des Affaires indiennes des évaluations qu'il lui serait possible de justifier quant aux lots A et B, et compte tenu du besoin urgent, dans le cas du lot B, d'agrandir les pistes de l'aéroport aux fins de la défense, le ministère des Transports a décidé que le seul recours qui lui restait était celui d'exproprier les biens-fonds. Mais cet état de fait est bien différent du motif imputé à l'intimée, soit que les représentants du Ministère auraient délibérément acquis les biens- fonds des Indiens de préférence à ceux de non- Indiens parce que leur prix en serait moins élevé. Comme je l'ai dit, je n'ai pu trouver aucune preuve à l'appui de pareille prétention. De fait, il existe une preuve abondante que l'expropriant voulait acquérir les terrains en question parce qu'ils étaient particulièrement propices aux fins auxquel- les ils étaient requis.
J'étudierai maintenant la décision Warne. À mon sens, le principal passage de cette décision est celui qui figure à la page 152 du recueil; le juge en chef de la Division de première instance, Cowan, après avoir examiné certains arrêts portant sur le pouvoir d'un tribunal d'examiner la façon dont un ministre a exercé le pouvoir d'expropriation qui lui a été conféré par la loi, déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] Toutefois, à mon avis, le pouvoir discrétion- naire dont il est fait mention dans les arrêts précités a été exercé conformément à la loi à l'étude. Si l'expropriation vise primordialement à encourager un complot destiné à causer un préjudice au propriétaire de l'immeuble exproprié, l'acte du ministre est, à mon avis, soumis au contrôle judiciaire.
Dans la présente espèce, je n'ai pas pu trouver la moindre preuve que le «but primordial» de l'expro- priation était celui d'encourager un «complot des- tiné à causer un préjudice au propriétaire de l'im- meuble». Sans aucun doute, n'ayant pas été en mesure de négocier ce qu'il jugeait être un prix acceptable, le ministère des Transports a obtenu l'autorisation d'exproprier les biens-fonds. Cela a eu l'effet de restreindre les choix qui s'offraient aux Indiens, en ce sens qu'ils ne pouvaient plus décider de ne pas vendre ou louer leurs terrains. Ils
devaient se contenter de négocier l'indemnité à être versée. Toutefois, il y a un écart considérable entre pareil état de fait et l'attribution au Minis- tère du but primordial imputé par les appelants.
Étant donné que c'est le seul critère sur lequel se sont appuyés les appelants, parmi les cinq critè- res établis dans la décision Warne, il est inutile d'examiner plus à fond la question de la pertinence de cette décision. Par conséquent, le second moyen d'appel doit, à mon avis, être rejeté.
3. Manquement à l'obligation de fiduciaire
L'argument des appelants selon lequel l'intimée a manqué à son devoir de fiduciaire envers la bande de Penticton, se présente sous trois aspects:
a) Même s'il existait entre la bande et l'intimée un rapport de fiduciaire obligeant cette dernière à gérer les terres occupées par les Indiens à leur profit plutôt qu'un rapport avec un cestui que trust, les règles applicables aux fiducies en matière de conflits d'intérêts sont, comme il en a été fait mention, également applicables aux fiduciaires. Par conséquent, étant donné qu'une personne char gée d'une fiducie manque à son devoir si elle gère un bien dans son propre intérêt plutôt que dans celui du cestui que trust, il en va de même pour le fiduciaire à l'égard des bénéficiaires, soit, en la présente espèce, les Indiens de la bande de Penticton;
b) L'intimée n'a pas fait preuve de la diligence requise d'un fiduciaire, du fait qu'en fixant l'in- demnité, ses représentants ont omis de tenir compte de la valeur et de l'importance particuliè- res des lots A et B pour la bande et ses occupants;
c) En omettant de s'assurer que les Indiens de la bande de Penticton avaient été mis au courant de l'opinion qu'elle avait obtenue, selon laquelle les terres de la réserve ne pouvaient pas être expro- priées mais pouvaient uniquement être acquises si elles étaient cédées par les Indiens, la Couronne a manqué à l'obligation qu'elle avait en tant que fiduciaire de divulguer tous les renseignements nécessaires.
Avant de me prononcer sur ces arguments, je voudrais signaler que le jugement de première instance, en date du 9 juillet 1981, a été rendu
avant que la Cour suprême du Canada se soit prononcée dans l'affaire Guerin et autres c. La Reine et autre (le 1e' novembre 1984, [1984] 2 R.C.S. 335), qui sera ci-dessous désignée sous le nom de l'affaire Guerin. Pour se rendre compte de son importance relativement aux trois arguments ci-dessus mentionnés, il importe d'examiner minu- tieusement cet arrêt.
Les faits sont énoncés comme suit dans le som- maire du jugement la page 335]:
Une bande indienne a cédé des surplus de terre de grande valeur à Sa Majesté pour que celle-ci les loue à un club de golf. Cependant, les conditions du bail consenti par Sa Majesté étaient beaucoup moins favorables que celles approuvées par la bande à l'assemblée de la cession. L'acte de cession ne men- tionne ni le bail ni les conditions approuvées par la bande. Les fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes ne sont pas retournés devant la bande pour qu'elle approuve les nouvelles conditions. En fait, ils ont caché des renseignements utiles à la bande et à un évaluateur chargé de déterminer si le loyer proposé était adéquat. Le juge de première instance a conclu que Sa Majesté avait manqué à ses obligations de fiduciaire en signant le bail et il a accordé des dommages-intérêts calculés à la date du procès en fonction de la perte du revenu qu'on aurait pu raisonnablement s'attendre à tirer d'autres utilisations possi bles des terres. La Cour d'appel fédérale a infirmé ce jugement et rejeté l'appel incident visant à faire augmenter le montant des dommages-intérêts.
Aux pages 375 et 376 de ses motifs de jugement, le juge Dickson (alors juge puîné), s'exprimant en son propre nom et au nom des juges Beetz, Choui- nard et Lamer (tous les autres juges étant d'accord quant à l'issue), avait ceci à dire au sujet des obligations de la Couronne envers les Indiens:
... j'estime que les obligations de Sa Majesté envers les Indiens ne peuvent se définir comme une fiducie. Cependant, cela ne signifie pas que Sa Majesté n'a envers les Indiens aucune obligation exécutoire dans sa façon d'utiliser leurs terres.
À mon avis, la nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la Loi relativement à l'aliénation de leurs terres imposent à Sa Majesté une obligation d'equity, exécutoire en justice, d'utiliser ces terres au profit des Indiens. Cette obliga tion ne constitue pas une fiducie au sens du droit privé. Il s'agit plutôt d'une obligation de fiduciaire. Si, toutefois, Sa Majesté manque à cette obligation de fiduciaire, elle assumera envers les Indiens exactement la même responsabilité qu'aurait impo sée une telle fiducie.
Le rapport fiduciaire entre Sa Majesté et les Indiens découle du concept du titre aborigène, autochtone ou indien. Cepen- dant, le fait que les bandes indiennes possèdent un certain droit sur des terres n'engendre pas en soi un rapport fiduciaire entre les Indiens et Sa Majesté. Pour conclure que Sa Majesté est fiduciaire, il faut aussi que le droit des Indiens sur les terres soit inaliénable, sauf dans le cas d'une cession à Sa Majesté.
Il est interdit à une bande indienne de céder son droit directement à un tiers. La vente ou la location de terres ne peut avoir lieu qu'à la suite d'une cession et c'est alors Sa Majesté qui agit au nom de la bande. C'est dans la Proclamation royale de 1763 que Sa Majesté a pour la première fois endossé cette responsabilité qui lui est encore reconnue dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions. L'exigence d'une cession et la responsabilité qui en découle ont pour effet d'imposer à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte envers les Indiens. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Dickson a alors examiné la nature du titre indien sur les terres de la réserve et a conclu qu'il n'était pas tout à fait juste de considérer que les Indiens étaient en quelque sorte bénéficiaires ou détenaient un droit personnel de la nature d'un usufruit. En effet, à la page 382, il déclare ce qui suit:
Les Indiens ont le droit, en common law, d'occuper et de posséder certaines terres dont le titre de propriété est finale- ment détenu par Sa Majesté. Bien que leur droit n'équivaille pas, à proprement parler, à un droit de propriété à titre bénéficiaire, sa nature n'est pas définie complètement par la notion d'un droit personnel. Il est vrai que le droit sui generis des Indiens sur leurs terres est personnel en ce sens qu'il ne peut être transféré à un cessionnaire, mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu'il est cédé, a pour effet d'imposer à Sa Majesté l'obligation de fiduciaire particulière d'utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné qu'à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d'induire en erreur. [C'est moi qui souligne.]
Il importe de noter que dans les passages préci- tés de son jugement, le juge Dickson déclare que «L'exigence d'une cession ... [a] pour effet d'im- poser à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte», que le droit des Indiens «lorsqu'il est cédé, a pour effet d'imposer ... l'obligation de fiduciaire particulière» et que «Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit», (c'est moi qui souligne). A la page 383, il déclare ce qui suit: «Dans le présent pourvoi, l'importance de ce concept [l'obligation de fiduciaire] repose sur l'exi- gence qu'il y ait eu «cession» pour que des terres indiennes puissent être aliénées» (c'est moi qui souligne). Enfin, à la page 385, il déclare ce qui suit: «Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, une
bande indienne cède son droit à Sa Majesté, cela fait naître une obligation de fiduciaire qui impose des limites à la manière dont Sa Majesté peut exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte des Indiens» (c'est moi qui souligne).
D'après ce qui précède, il est clair que les décla- rations du juge Dickson, dans l'arrêt Guerin, s'ap- pliquaient dans ce cas-là à un rapport de fidu- ciaire, puisque les Indiens avaient cédé leurs biens-fonds à la Couronne à certaines conditions que cette dernière a modifiées sans les consulter et sans obtenir leur approbation. Ce n'est pas le cas dans la présente espèce. Néanmoins, aux fins du présent appel, je veux bien reconnaître que le principe énoncé par le juge Dickson s'applique. Lorsque la Couronne a exproprié les terres de la réserve, soit les lots A et B, il semble que la chose ait eu l'effet de créer le même genre d'obligation fiduciaire envers les Indiens que si les terres de ces derniers avaient été cédées. Dans le cadre de son obligation générale de gérer les biens-fonds au profit des Indiens, la Couronne était ici entre autres tenue de s'assurer qu'une juste indemnité serait versée aux Indiens par suite de la perte de leurs biens-fonds, tout comme dans l'affaire Guerin elle était tenue de s'assurer que les conditions de location des biens-fonds cédés étaient celles qu'avaient acceptées les Indiens. En sa qua- lité de fiduciaire, la Couronne a toute latitude à cet égard; dans la mesure elle fait preuve d'honnêteté et de diligence, et elle agit dans l'intérêt des Indiens, il ne peut y avoir manque- ment.
Avant d'examiner les arguments fondés sur l'inexécution imputée de l'obligation de fiduciaire, j'aimerais faire remarquer qu'il n'existe pour ainsi dire aucun témoignage à l'appui de l'affirmation que la Couronne a manqué à son devoir. Des deux témoins que les appelants ont cités en vue d'établir lesdites affirmations, un témoin seulement, Louise Gabriel, était suffisamment âgé pour avoir pu prendre part aux assemblées de la bande se rap- portant à l'expropriation des biens-fonds aux fins de la construction d'un aéroport. Mais en sa qua- lité de femme, elle n'avait pas le droit d'assister aux assemblées de la bande ou de voter sur les questions soulevées. Or, la situation est demeurée telle jusqu'à la fin des années 40, soit après que les
événements qui nous intéressent se sont produits. De plus, elle n'occupait ni le lot A ni le lot B, et ce, bien que son mari eût acquis par succession un droit sur certains biens composés entre autres du lot A. Elle était uniquement en mesure de déposer que l'expropriation avait à bien des égards boule- versé la vie de la bande.
Le second témoin cité relativement à cette ques tion, Morris Kruger, est l'un des appelants dans la présente espèce et est actuellement chef de la bande; il est au début des années 40 et ne se rappelle donc aucun des événements ayant eu lieu lors de l'expropriation.
Aucun des occupants encore vivants à l'époque du procès, s'il en est, n'a été assigné. L'agent des Indiens, M. Barber, était décédé, de sorte que les affirmations doivent être établies au moyen de la preuve documentaire.
J'examinerai maintenant les arguments fondés sur l'inexécution imputée de l'obligation de la Cou- ronne en sa qualité de fiduciaire.
a) En admettant, sans toutefois le décider, que les règles s'appliquant aux conflits d'intérêts dans le cas des cestuis que trust s'appliquent aux fiduciai- res, les conclusions du savant juge de première instance sont particulièrement pertinentes. À la page 519 de ses motifs, il déclare ce qui suit:
Les demandeurs, à l'instruction, ont expressément abandonné toute prétention de dol qu'articulaient les écritures.
Parmi les conditions de la fiducie, il y a le par. 48(1) de la Loi des Indiens. Le législateur fédéral ne peut avoir voulu que le gouverneur en conseil se borne à ne prendre en compte que les meilleurs intérêts de la bande intéressée en décidant de donner ou non son agrément à l'expropriation d'un bien-fonds d'une réserve. Il est rarement du meilleur intérêt d'un occupant d'être dépossédé ou d'un propriétaire d'être privé de son bien contre sa volonté. Manifestement, en l'espèce, ce n'était pas dans le meilleur intérêt de la bande.
L'obligation de la défenderesse envers la bande, en tant que fiduciaire, n'était nullement la seule dont elle avait à tenir compte. La preuve démontre clairement que les fonctionnaires responsables de l'exécution de la Loi des Indiens recomman- daient de louer alors que les responsables de l'aéroport deman- dèrent finalement l'expropriation. Le gouverneur en conseil était en droit de décider. Ce faisant il ne manquait nullement à son devoir de fiduciaire.
La défenderesse, en tant que fiduciaire, avait aussi l'obliga- tion d'obtenir une indemnité suffisante au nom de la bande. Vu que le délai de révision judiciaire de l'indemnité payée et acceptée est écoulé depuis longtemps, il n'y a plus grand chose à dire sur le sujet.
Je souscris à ces conclusions. La Couronne n'a pas manqué à son obligation de fiduciaire par suite du conflit imputé entre deux de ses Ministères, soit le ministère des Mines et Ressources, direction des Affaires indiennes, et le ministère des Transports. De fait, le dossier renferme de nombreuses lettres mettant en particulier en cause l'agent des Indiens et son supérieur, le commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique, lesquelles montrent qu'ils représentaient les Indiens de Penticton d'une façon articulée et énergique et avec ardeur. Leur supérieur à Ottawa, le secrétaire de la direction des Affaires indiennes, avait également défendu vigoureusement l'opinion des Indiens quant à l'in- demnité qui devrait être versée aux fins de la location, de l'achat ou de l'expropriation des biens- fonds. De fait, leur opinion a influé sur celle des hauts fonctionnaires du ministère des Transports avec lesquels ils traitaient puisque ceux-ci ont aug menté le montant des indemnités initialement offertes par suite de l'expropriation. En effet, la somme de 15 000 $ était beaucoup plus rapprochée de la somme fixée dans le rapport indépendant d'évaluation qu'avaient obtenu les appelants que de celles dont il était fait mention dans les évalua- tions obtenues par l'intimée. De plus, comme l'a signalé le juge de première instance, les fonction- naires du ministère des Transports, dans l'exercice de leurs fonctions, avaient également, non pas directement envers les Indiens, mais envers la population canadienne dans son ensemble, y com- pris les Indiens, l'obligation de ne pas dépenser les deniers publics d'une manière désavantageuse. Il a finalement fallu prendre une décision qui, malheu- reusement, ne correspondait peut-être pas tout à fait à l'idée que les Indiens se faisaient de la valeur de leurs biens-fonds pour eux, et ce, même si, comme je l'ai ci-dessus signalé, l'indemnité s'éle- vait au montant qu'ils avaient initialement pro- posé. (Voir la lettre rédigée par M. Barber, le 9 janvier 1946.) Cela ne veut pas dire qu'il y a eu manquement au devoir de fiduciaire, ni qu'il exis- tait un conflit d'intérêts devant être réglé en faveur des Indiens sans tenir compte des obligations des fonctionnaires du ministère des Transports. Bref, compte tenu de l'ensemble des circonstances, je ne comprends pas comment il est possible de soutenir qu'il existait un conflit d'intérêts empêchant la direction des Affaires indiennes de fixer l'indem- nité à la satisfaction de la bande indienne.
b) En ce qui concerne le second argument précité, je suis certain que les fonctionnaires des Affaires indiennes connaissaient parfaitement la «valeur et l'importance particulières» des lots A et B pour les Indiens.
Le juge a mentionné certaines lettres qui démontraient que les fonctionnaires des Affaires indiennes étaient conscients de l'importance des lots A et B pour la bande et que cela avait été communiqué avec insistance au sous-ministre des Transports.
Bref, sans examiner en détail l'ensemble de la preuve, il est possible de constater, en consultant le dossier, que les fonctionnaires à tous les échelons de la hiérarchie étaient bien au courant de leurs obligations respectives et les ont remplies du mieux possible. On pourrait avec raison leur reprocher le retard injustifié dans le paiement de l'indemnité, mais je ne crois pas que ce manquement suffise à invalider l'expropriation.
c) En ce qui concerne le défaut imputé des fonc- tionnaires des Affaires indiennes de mettre la bande au courant de l'opinion du sous-ministre de la Justice, soit que le lot B ne pouvait pas être exproprié, le juge de première instance a conclu ce qui suit [aux pages 519 et 5201:
J'admets que les demandeurs actuels ignorèrent cet avis jusqu'à ce que les recherches qui ont mené à l'introduction de l'action le découvre, mais la preuve administrée ne m'a pas convaincu que ceux présents à l'assemblée n'en furent pas informés. Dans son rapport relatif à cette assemblée, l'agent des Affaires indiennes, Alfred H. Barber, décédé en 1960, a écrit, pièce P-49, ce qui suit:
[TRADUCTION] Je serais d'avis que cette assemblée fut fort difficile; je ne doute pas que, si tous les membres de la bande avaient été présents, ou si la cession était à nouveau proposée, qu'elle serait refusée.
Les Indiens ne parvenaient pas à comprendre pourquoi on leur demandait de céder ces lots alors que le terrain leur avait été enlevé depuis trois ans et qu'on leur avait à plu- sieurs reprises dit que le gouvernement l'avait exproprié. Il faut aussi remarquer, à juste titre, qu'aucune cession ne leur avait été demandée pour le terrain exproprié antérieurement. On comprendra ma position, fort difficile en somme, je leur demandais d'accepter que le Ministère vende ce terrain après leur avoir dit, depuis trois ans, qu'il avait été exproprié et sans possibilité de retour.
Plusieurs interprétations de ce texte sont possibles; cependant, d'après l'ensemble de la preuve administrée, la sympathie cons- tante de Barber pour la position de la bande et ses intérêts est si apparente que je ne puis concevoir qu'il ne lui ait pas transmis à
l'assemblée toute information pertinente dont il ait eu connais- sance. Il n'est pas certain qu'il ait connu l'avis mais je dois juger, d'après la preuve administrée, qu'on n'a pas démontré que l'information n'avait pas été transmise.
Il suffit de dire qu'à mon avis, il s'agissait d'une déduction raisonnable, compte tenu des faits dont le juge avait connaissance. Malheureusement, il était tout simplement impossible de citer comme témoin M. Barber, qui est maintenant décédé, ou l'un des Indiens ayant de fait assisté à l'assemblée tenue relativement à la question de la «cession». La meilleure preuve est celle qui figure dans le rap port de M. Barber dont il est fait mention dans l'extrait précité des motifs du juge de première instance; ce rapport, en date du 4 février 1946, a été rédigé peu après l'assemblée. Ayant minutieu- sement lu les nombreux comptes rendus de M. Barber, et puisqu'il est passablement évident qu'il était plein de compréhension à l'égard des Indiens et avait de la sympathie pour eux, je puis unique- ment conclure qu'il aurait divulgué tous les rensei- gnements connus relativement à la cession requise. Dans la lettre que le directeur des Affaires indien- nes a envoyée à M. Barber le 18 janvier 1946 en vue de lui ordonner de convoquer une assemblée de la bande aux fins de l'étude de la question de la cession, il est fait mention d'un télégramme ne figurant pas dans le dossier. Je puis uniquement présumer qu'il a du être informé des motifs de la cession, de façon à être en mesure d'en discuter intelligemment. Et bien sûr comme l'a souligné le savant juge de première instance, la charge d'éta- blir l'omission imputée de divulguer l'existence de l'opinion, omission à l'égard de laquelle il existe un commencement de preuve si la preuve est bien pesée, incombe à la partie qui l'invoque. Or, les appelants n'ont pas établi pareille omission.
D'ailleurs, même s'il n'en était pas ainsi, la cession était à la fois superflue et invalide, étant donné que la propriété avait déjà été expropriée le 17 février 1944 et que, comme je l'ai conclu, l'expropriation des terres de la réserve avait été effectuée conformément à l'article 48 de la Loi des Indiens de 1927. A cet égard, je souscris à la conclusion du juge de première instance.
Par conséquent, à mon avis, les trois arguments invoqués par les appelants à l'appui d'un manque- ment à l'obligation de fiduciaire n'ont pas été démontrés.
Avant de passer à autre chose, je me dois de revenir à la critique fondamentale que les appe- lants ont formulée à l'égard de la façon dont la Couronne avait géré les terres de la réserve, criti que dont j'ai fait mention au début des présents motifs, soit que l'expropriation empêchait effecti- vement les Indiens de se prévaloir de leur droit de refuser de vendre, ou encore de négocier des condi tions de location ou un prix de vente acceptables. Il ne leur restait, a-t-on dit, qu'à régler le différend en acceptant une indemnité ne correspondant peut- être pas à la valeur qu'avaient pour eux les biens- fonds ou à demander à la Cour de l'Échiquier de statuer sur la question. Le dossier montre claire- ment que les Indiens avaient été informés tant par leur agent que par leurs propres conseillers juridi- ques qu'une poursuite en justice risquait non seule- ment d'être coûteuse, mais était également suscep tible de retarder encore plus le paiement de l'indemnité. Il est certain que les expropriations entraînaient pareilles conséquences.
Toutefois, de l'avis des représentants de la Cou- ronne au ministère des Transports, d'autres fac- teurs contradictoires entraient en ligne de compte. En premier lieu, à l'origine, il était important d'établir un aérodrome plus grand destiné à per- mettre l'atterrissage des avions commerciaux en cas d'urgence dans une région montagneuse les terrains propices étaient rares. En second lieu, par la suite, il était tout au moins aussi important d'établir un aérodrome encore plus grand aux fins de la défense de l'Ouest en temps de guerre.
Ceci étant, il s'agit de déterminer si du fait que ces questions contradictoires ont été réglées, quant aux lots A et B, avec le consentement des Indiens, à des conditions qui constituaient clairement des compromis ne satisfaisant pleinement ni l'un ni l'autre des organismes de la Couronne concernés, la Couronne a manqué au devoir de fiduciaire qu'elle avait envers les Indiens, leur donnant ainsi droit aux réparations demandées dans la présente instance. Pour les motifs que j'ai ci-dessus expri- més et pour les motifs dont je ferai ci-dessous mention, je ne le crois pas.
En réalité, ils ont accepté les paiements quoique de mauvais gré. Les sommes versées correspon- daient aux évaluations indépendantes soumises aux deux parties, lesquelles ont été effectuées après de longues négociations et après que l'agent des
Indiens et d'autres hauts fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes eurent fait main- tes démarches pour le compte des Indiens. Selon les prétentions des appelants, la Couronne aurait pu, dans ces conditions, réussir à échapper à l'ac- cusation d'avoir manqué à son devoir de fiduciaire uniquement si dans chaque cas, elle s'était entière- ment pliée à leurs exigences ou si elle s'était complètement retirée des négociations. Or, par suite de ses autres obligations, il lui était impossi ble de le faire. Dans ces conditions, la Couronne était tenue d'assurer au mieux la protection des intérêts de tous ceux dont ses représentants étaient responsables. Le gouverneur en conseil est devenu l'arbitre final. Toutefois, en fin de compte, si les appelants avaient été si mécontents des expropria tions et des offres de la Couronne, ils auraient pu demander à la Cour de l'Échiquier de trancher le litige. Mais pour une raison ou une autre, ils en ont décidé autrement. Ils ont accepté les offres de la Couronne; or, dans le cas du lot B du moins, l'offre correspondait au montant qu'ils avaient proposé. Je ne vois donc pas comment ils pourraient main- tenant contester à bon droit, après tant d'années, les règlements qu'ils avaient acceptés.
IV
LE LIMITATION ACT ET LE MANQUE DE DILI GENCE
Étant donné que j'ai conclu qu'aucun des moyens d'appel ne peut être retenu, il est, stricte- ment parlant, inutile d'examiner la prétention de la Couronne que la demande de la bande est irrecevable par suite de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale 6 et du Limitation Act, R.S.B.C.
6 38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d'action a pris naissance.
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions désignées au para- graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou contre la Couronne.
1979, chap. 236, par. 3(4) 7 , puisque plus de six années se sont écoulées entre la date à laquelle la cause d'action a pris naissance et le 23 mars 1979, soit la date à laquelle la poursuite a été engagée. Néanmoins, je traiterai succinctement des préten- tions qui pourraient prendre de l'importance, s'il était jugé que j'ai commis une erreur en statuant sur l'une quelconque des questions de fond.
La Couronne a reconnu que le fait que l'exis- tence d'une cause d'action a frauduleusement été cachée pendant la durée du délai de prescription empêche celui-ci de s'écouler lorsqu'en faisant preuve d'une diligence raisonnable, les demandeurs auraient pu découvrir pareille cause si elle ne leur avait pas été cachée. Toutefois, lors de l'audience, l'avocat des appelants a informé le tribunal que le moyen invoqué avait été abandonné en première instance.
Toutefois, invoquant à son appui l'arrêt Guerin, l'avocat des appelants a soutenu que le manque- ment découlant de l'omission de divulguer l'opi- nion du sous-ministre de la Justice constituait une fraude en equity. Aux termes de l'arrêt Kitchen [Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563 (C.A.)] que le juge Dickson a cité dans l'arrêt Guerin, à la page 390 de ses motifs de jugement, il s'agissait d'une [TRADUCTION] «con- duite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre».
À mon sens, dans la présente espèce, le compor- tement de la Couronne ne constituait pas une fraude en equity. Comme il a déjà été jugé, je ne crois pas que l'existence de l'opinion juridique ait été cachée à M. Barber, ni qu'il ait de son côté omis sciemment ou non de divulguer l'existence de celle-ci à la bande.
Pareil procédé n'aurait absolument pas été digne de M. Barber ou de ses supérieurs. Le dossier
7 [TRADUCTION] 3. ...
(4) Est irrecevable toute autre poursuite dont il n'est pas expressément fait mention dans la présente loi ou dans quelque autre loi et qui est engagée après l'expiration d'un délai de six ans suivant la date à laquelle la cause d'action a pris naissance.
montre à maintes reprises la sincérité complète dont ont toujours fait preuve ces fonctionnaires des Affaires indiennes envers les Indiens, de sorte que l'omission de divulguer des renseignements perti- nents presque à la fin de l'expropriation du lot B aurait dénoté un changement complet d'attitudes. Ceci étant, il m'est presque impossible de conclure que les fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes ont manifestement agi d'une façon si peu scrupuleuse qu'il y aurait eu fraude en equity.
De plus, il importe de noter qu'il existe dans le dossier une preuve documentaire abondante mon- trant que, bien avant que l'opinion juridique de la Couronne ait été connue, certains membres de la bande, et entre autres probablement tous les occu pants, s'étaient informés de leurs droits auprès de leurs propres avocats. Je ne puis imaginer qu'un avocat ait omis d'étudier la question de la légalité de l'expropriation, et ce, même s'il avait initiale- ment été consulté quant au montant seulement de l'indemnité demandée. L'étude de la question l'au- rait de toute évidence obligé à envisager la possibi- lité que seul un acte de cession en bonne et due forme serait valide. En pareil cas, les Indiens n'ont pas été surpris d'apprendre, au début de 1946, que la Couronne exigeait la cession des biens-fonds en vue d'effectuer le transfert. Si cela est exact, la poursuite devant la Cour de l'Échiquier aurait pu être engagée, et aurait peut-être être engagée, comme les occupants indiens et les fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes envisageaient de le faire. Mais les Indiens ont décidé, de mauvais gré toutefois, de régler le différend. Puis, quelque trente-trois années plus tard, ils ont voulu faire annuler le règlement en invoquant que le Limita tion Act ne s'appliquait pas parce qu'il y avait fraude en equity. Comme je l'ai dit, je ne crois pas qu'il y ait eu fraude au sens strict ou fraude en equity dans ce cas-ci. Par conséquent, étant donné que la demande n'a pas été formée dans le délai prescrit par la loi, elle aurait pu être rejetée pour ce motif.
Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de statuer sur la question du manque de diligence.
V
DOMMAGES-INTÉRÊTS
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat des appelants invoque un certain nombre d'argu-
ments fondés sur l'idée que le montant des dom- mages-intérêts à fixer aiderait le tribunal à statuer sur les questions de fond. Puisque je ne retiens aucun de ces arguments, et étant donné que l'appel est rejeté sans qu'il soit nécessaire de fixer les dommages-intérêts, il est inutile d'examiner ici lesdits arguments.
VI
CONCLUSION
Puisque les appelants ne m'ont pas convaincu que le savant juge de première instance a commis une erreur fondamentale dans le jugement dont ils ont interjeté appel, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le juge Stone a souscrit à la décision du juge Urie ainsi qu'aux motifs y afférents.
Quant à l'indemnité se rapportant au lot 8, la question était de savoir si les Affaires indiennes avaient agi légitimement en offrant un montant de
15 000 $ au lieu de porter l'affaire devant les tribunaux.
La théorie de l'obligation fiduciaire énoncée récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Guerin devra être étudiée en détail et précisée dans chaque arrêt à venir. Cette théorie s'appliquait cependant dans ce cas-ci, même si les faits étaient passablement différents. Rien dans la décision rendue par le juge Dickson dans l'affaire Guerin n'empêchait de se reporter aux règles de droit auxquelles sont soumis les fidu- ciaires en vue de décider si le ministère des Affaires indiennes a assumé son obligation de fiduciaire en acceptant le règlement à l'amiable. ll avait agi prudemment en raison des faits suivants:
(1) les évaluations variaient de 6 800 $ à
16 958 $; (2) une poursuite en justice occasionne des frais judiciaires; (3) une telle poursuite entraîne des délais; (4) l'issue d'une contestation judiciaire n'est pas certaine.
Comme l'a dit le juge Wynn-Parry dans l'arrêt Buttle v. Saunders, [1950] 2 All E.R. 193 (Ch. D.), à la page 195, même si les fiduciaires ont l'obliga- tion d'obtenir le meilleur prix possible au nom des bénéficiaires, il ne s'ensuit pas que «la simple
présentation d'une meilleure offre à un moment donné, même si elle est faite à la fin des négocia- tions, [doive] obliger les fiduciaires à accepter l'offre plus avantageuse et à résilier l'offre exis- tante». Ils pourraient bien suivre le proverbe: «Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.» Il n'était pas certain, ni même probable, qu'une somme nette supérieure à celle qui était offerte serait obtenue.
Le juge Stone a préféré s'abstenir de formuler des commentaires au sujet des questions se rap- portant à la prescription et à la théorie du manque de diligence étant donné qu'il était inutile de /e faire.
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