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CEA-1-85
Jack Gold (demandeur) (requérant) c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse) (intimée)
Juge Addy—Ottawa, 18 et 30 avril 1985.
Preuve Divulgation de renseignements Opposition à divulgation fondée sur le motif de préjudice à la sécurité nationale Attestation disant que chaque document a été examiné Documents numérotés et examinés sous des rubri- ques particulières relatives à la sécurité nationale Demande rejetée Attestation considérée comme adéquate et complète Toute autre description pourrait révéler d'importants ren- seignements Déséquilibre entre deux intérêts publics en jeu où, d'une part, on exige la non-divulgation afin de protéger la sécurité nationale et, d'autre part, on exige la divulgation en vue de permettre la poursuite d'une action en dommages-inté- rêts Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.2 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4).
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Demande, en vertu de l'art. 36.2, d'examen de la décision sur une opposition à divulgation fondée sur le motif de préjudice à la sécurité nationale Action en dommages-intérêts au stade de la communication de pièces Le requérant ne connaissait pas la nature des éléments de preuve demandés, ni ne savait si les renseignements demandés étaient pertinents parce qu'ils lui seraient utiles ou seraient utiles à l'intimée Application de la règle établie dans l'affaire Goguen c. Gibson. /19831 1 C.F. 872; confirmée par [19831 2 C.F. 463 (C.A.), selon laquelle les renseignements demandés doivent être essentiels à la cause, et non être simplement confirmatoires, et le point ne pourrait être prouvé autrement que par la divulgation Ajustement des intérêts publics Distinction faite avec l'arrêt Fletcher Timber Ltd. v. Attorney -General. 119841 1 NZLR 290 (C.A.), qui porte sur la divulgation de renseignements au stade de la communication La charge de la preuve incombant aux requérants qui cherchent à obtenir des éléments de preuve pour les fins d'un litige civil est plus grande que celle dans les affaires criminelles Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.2 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4).
Il est demandé, en vertu de l'article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada, l'examen de la décision sur une opposition à la divulgation de renseignements, fondée sur le motif que la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale. En formu- lant sa demande, le demandeur vise à obtenir des renseigne- ments documentaires qui pourraient prouver ou étayer une action en dommages-intérêts découlant d'une conspiration à laquelle des préposés de la Couronne auraient participé. L'ac- tion est au stade de la communication générale. Le requérant ne connaissait pas la nature des éléments de preuve demandés. Il est dit dans l'attestation que chaque document a été soigneu- sement examiné. Les documents ont été numérotés et examinés sous des rubriques particulières relatives à la sécurité nationale.
Jugement: la demande doit être rejetée.
L'attestation est adéquate et complète. Il ne s'agit pas d'une attestation on cherche à couvrir un groupe de documents relevant d'une certaine catégorie sans qu'il y ait un examen de chaque document. Décrire davantage les documents pourrait révéler d'importants renseignements. La Cour n'est pas requise d'examiner les documents étant donné l'existence de ce déséqui- libre aussi évident entre les intérêts publics en jeu, où, d'une part, on exige la non-divulgation afin de protéger la sécurité nationale et, d'autre part, on exige la divulgation en vue de permettre la poursuite d'une action en dommages-intérêts.
Il n'y a pas lieu à examen parce que les renseignements doivent servir non pas d'éléments de preuve à l'instruction, mais simplement pour fins de communication générale dans le but de savoir si certains éléments de preuve utiles sont disponibles. Le requérant n'est pas à même d'indiquer qu'il demande un élé- ment de preuve particulier dont il a absolument besoin pour prouver sa cause. Il ne peut donc convaincre la Cour que le point qu'il désire prouver au moyen des éléments de preuve confidentiels ne pourrait être établi d'une autre manière. La règle selon laquelle l'élément de preuve particulier demandé doit être absolument essentiel à la cause du requérant, et non être simplement confirmatoire, et la Cour doit être convaincue que le point ne saurait être prouvé autrement que par la divulgation des renseignements demandés a été établie dans l'affaire Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872; confirmée par [1983] 2 C.F. 463 (C.A.).
Pour étayer la prétention que les renseignements devraient être divulgués ou examinés au stade de la communication, on ne peut s'appuyer que sur une seule décision, savoir l'arrêt Fletcher Timber Ltd. v. Attorney -General, [1984] 1 NZLR 290 (C.A.). Il se distingue de l'espèce sur plusieurs points. Dans la mesure l'affaire Fletcher établit une règle selon laquelle le fardeau de la preuve incombe à la Couronne, cette règle va à l'encontre de la législation canadienne et de la jurisprudence anglaise à cet égard. Le requérant fait valoir que, parce que dans les affaires civiles la charge de la preuve incombe au demandeur, la règle posée dans l'affaire Goguen selon laquelle la personne qui s'oppose à une attestation d'opposition fondée sur la sécurité nationale doit d'abord établir qu'elle a absolu- ment besoin d'un élément de preuve particulier ne s'applique pas aux requérants dans les affaires civiles. Puisque les affaires civiles visent normalement un dédommagement monétaire, alors que dans les affaires criminelles ce sont la réputation et la liberté des particuliers qui sont en jeu, la charge de la preuve devrait incomber davantage aux requérants qui cherchent à obtenir des éléments de preuve pour les fins d'un litige civil.
Lorsqu'il y a eu divulgation de renseignements à une per- sonne considérée comme un danger en matière de sécurité, faite au cours d'une entrevue sur l'objet même d'une loyauté sur le plan de la sécurité, on n'a pas donné l'avertissement de ne pas divulguer les renseignements, ceux-ci ne peuvent être limi tés en vertu de l'article 36.2 de la Loi.
Il y a à examiner si la Couronne peut être poursuivie en dommages-intérêts pour complot. La Cour s'est abstenue de statuer sur la question puisqu'elle n'en était pas saisie.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872; confirmée par [1983] 2 C.F. 463 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fletcher Timber Ltd. v. Attorney -General, [1984] 1 NZLR 290 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Kevork c. La Reine, [ 1984] 2 C.F. 753. AVOCATS:
Dougald Brown pour le demandeur (requé- rant).
I. Whitehall, c.r., D. Rennie et D. Akman pour la défenderesse (intimée).
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le demandeur (requérant).
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse (intimée).
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran- çais par
LE JUGE ADDY: Le demandeur, qui poursuit la Couronne en dommages-intérêts, a, en vertu de l'article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, édicté par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 111, art. 4, demandé l'examen de la décision sur une opposition à la divulgation de renseignements par un certain John Michael Shoe maker, premier sous-solliciteur général adjoint du Canada. L'attestation d'opposition à la divulgation des renseignements se fonde sur le motif que la divulgation porterait atteinte à la sécurité natio- nale. Peu de temps avant l'audience, une attesta tion modifiée en date du 29 mars 1985 a été délivrée en vue d'écarter toute opposition à la divulgation de ce qui avait déjà été communiqué oralement au requérant au cours de deux entre- tiens avec lui ainsi que toute opposition ou réponse faite par le demandeur au cours de ces entretiens.
On a indiqué que la raison pour laquelle ces questions avaient été incluses dans la première attestation était de limiter le préjudice que pour- rait causer une nouvelle divulgation de ce qui avait été dit. On a estimé à l'époque qu'il y avait danger que la nature, le type et la forme mêmes des questions posées révèlent des questions qui pour-
raient compromettre la sécurité nationale. J'ac- cepte cette explication de la raison pour laquelle on a estimé que la première attestation devrait soustraire ces questions à une nouvelle divulgation. Compte tenu de l'attestation modifiée et de la déclaration de l'avocat de l'intimée selon laquelle il ne s'opposait plus à la divulgation documentaire de ce renseignement particulier, j'ordonne qu'on signifie sur-le-champ au requérant les documents modifiés qui doivent comporter ces questions. Toute déclaration ou remarque quant à l'attitude ou à la conduite du requérant au cours de ces deux entretiens doivent y figurer également.
Toute divulgation à une personne qui est consi- dérée comme constituant un danger en matière de sécurité dans la mesure cette personne ne peut obtenir une cote de sécurité au-dessus du niveau confidentiel et lorsque, comme en l'espèce, la divulgation est faite au cours d'une entrevue offi- cielle avec cette personne sur l'objet même d'une loyauté sur le plan de la sécurité, et que l'agent de sécurité qui a eu une entrevue avec elle, ou toute autre personne, ne lui a pas, soit avant soit après l'entrevue, déconseillé de divulguer les renseigne- ments reçus, j'estime que ces renseignements ne peuvent plus être considérés comme secrets ou susceptibles d'être davantage limités en vertu de l'article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada. Mon ordonnance repose sur la conclusion que, dans les circonstances, cet article ne saurait en droit être tenu pour applicable. En conséquence, même si une attestation modifiée n'avait pas été délivrée, j'aurais quand même ordonné la divulga- tion.
En formulant sa demande, le demandeur vise uniquement à obtenir des renseignements docu- mentaires se trouvant en la possession de l'intimée et qui pourraient, d'une façon ou d'une autre, prouver ou étayer une action en dommages-inté- rêts ou conduire à d'autres sources de renseigne- ments ou éléments de preuve susceptibles d'établir l'existence d'une conspiration ourdie, semble-t-il, contre lui, à laquelle des préposés de la Couronne auraient pu participer dans l'exercice de leurs fonctions.
Malgré que les avocats des deux parties ont prétendu que la Couronne peut être poursuivie en dommages-intérêts pour complot et qu'un tel procès peut, en droit, être intenté avec succès, j'ai
des doutes sur la question. Toutefois, puisqu'il ne s'agit pas d'une question dont je suis saisi, je vais, uniquement pour les fins de la présente demande, m'abstenir de statuer sur la question et examiner le fond de la demande en tenant pour acquis que l'action est tout à fait fondée.
L'action n'est qu'au stade de la communication générale des pièces avant l'instruction. L'avocat du requérant a avoué bien candidement qu'il n'avait aucune idée de ce que pourrait être la nature des éléments de preuve se trouvant en la possession de l'intimée, ni précisément de ce qu'il pourrait espé- rer obtenir. Il savait seulement que les documents ou une partie des documents à la divulgation des- quels on s'est opposé étaient apparemment perti- nents pour les fins de la communication en raison de l'affidavit produit à cette fin par l'intimée. Bien entendu, il n'a même pu dire si les renseignements demandés étaient pertinents parce qu'ils lui seraient utiles ou parce qu'ils pourraient être utiles à la défenderesse [intimée].
Bien que dans ce cas particulier la Couronne soit partie à l'action dans le contexte de laquelle la preuve est demandée et que l'attestation ait été délivrée par un de ses préposés, il ne fait aucun doute que l'attestation est authentique.
Il est clairement dit dans l'attestation elle-même que chaque document a été soigneusement exa- miné. Les documents ont été numérotés de 1 à 150 et examinés sous cinq rubriques particulières un risque à la sécurité nationale a été jugé possible, savoir: sources humaines et techniques d'informa- tion, cibles, méthodes et stratégies opérationnelles et administratives, télécommunications et systèmes des messages chiffrés et, finalement, rapports avec des organismes étrangers. On a jugé que certains documents relevaient de deux ou plusieurs des cinq catégories. De toute évidence, il ne s'agit pas d'une attestation où, comme cela arrive souvent, on cher- che simplement à couvrir un groupe de documents relevant d'une certaine catégorie sans qu'il y ait examen de chaque document.
Je ne souscris pas à l'argument selon lequel les documents doivent être décrits autrement que par un nombre, car il semble clair qu'une description indiquant la date, la nature du document, l'identité de l'auteur ou du destinataire et le contenu pour-
rait bien divulguer des renseignements très impor- tants à une personne compétente et informée. Je considère donc l'attestation comme adéquate et complète.
Devant une telle attestation et devant deux inté- rêts publics en jeu où, d'une part, on exige la non-divulgation afin de protéger une question aussi vitale que la sécurité nationale et, d'autre part, on exige la divulgation de renseignements en vue essentiellement de permettre la poursuite d'une action en dommages-intérêts, il m'est difficile de concevoir un ensemble de circonstances la cour serait requise de juger opportun d'examiner les documents couverts par l'attestation, étant donné l'existence de ce déséquilibre aussi évident entre les deux intérêts publics à servir.
De plus, il existe plusieurs obstacles préliminai- res qui, à mon avis, empêchent un tel examen. En premier lieu, les renseignements doivent servir non pas d'éléments de preuve à l'instruction, mais sim- plement pour fins de communication générale dans le but de savoir si certains éléments de preuve utiles sont disponibles. En second lieu, le requérant n'est pas à même de dire ni d'indiquer qu'il demande un élément de preuve particulier dont il a absolument besoin pour prouver sa cause. En fait, il ne dispose d'aucune preuve réelle de complot et cherche à obtenir des éléments de preuve en exa- minant les documents à la divulgation desquels on s'est opposé ou certaines parties d'autres docu ments qui ont été cachées. Par conséquent, il n'est pas non plus en mesure de convaincre la Cour qu'il a satisfait à l'autre condition essentielle selon laquelle le point qu'il désire prouver au moyen des éléments de preuve confidentiels ne pourrait être établi d'une autre manière.
Le juge en chef Thurlow, siégeant à titre de juge désigné dans l'affaire Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872, a clairement établi la règle selon laquelle l'élément de preuve particulier demandé doit être absolument essentiel à' la cause du requérant, et non être simplement confirmatoire et la Cour doit également être convaincue que le point ne saurait être prouvé autrement que par la divulgation des renseignements demandés. Cette règle a été confir- mée par la Cour d'appel dans [1983] 2 C.F. 463.
L'affaire Goguen, qui, tant en première instance qu'en appel, a fait un examen approfondi de la
jurisprudence anglaise, y a souscrit en adoptant la procédure en deux étapes que la Cour doit suivre dans des demandes telles que la présente. Un nouvel examen de la règle de droit applicable en la matière ne servirait aucune fin utile. J'ai appliqué ces principes dans l'affaire récente Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753.
Je ne saurais concevoir que le législateur ait voulu qu'un plaideur puisse toujours recourir à l'article 36.2 aux fins d'une communication géné- rale ou même au stade d'une communication géné- rale de documents dans une action civile lorsque la sécurité nationale est en jeu.
Pour étayer sa prétention que les renseignements devraient être divulgués ou du moins que le docu ment devrait être examiné, l'avocat du requérant ne peut s'appuyer que sur une seule décision, savoir l'arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle- Zélande Fletcher Timber Ltd. v. Attorney -Gene ral, [1984] 1 NZLR 290.
Bien que l'affaire Fletcher porte sur la divulga- tion de renseignements au stade de la communica tion, elle se distingue nettement de l'espèce au moins sur les points suivants:
1. L'attestation ne faisait pas mention de docu ments particuliers mais simplement d'une catégo- rie de documents;
2. Elle ne précisait pas les motifs pour lesquels les documents ont été jugés préjudiciables à l'intérêt public;
3. Bien plus, l'intérêt public en cause concernait la protection de certains renseignements confidentiels fournis à la Couronne et ne portait nullement sur la sécurité nationale. En fait, la loi sur laquelle repose l'arrêt, à savoir la loi officielle dite Official Information Act 1982, lois de la Nouvelle-Zélande 1982, vol. 3, 156, prévoit que, lorsqu'il est question de sécurité nationale, l'attestation est définitive et ne peut donc être mise en question par la Cour (voir l'article 6). À cet égard, elle ressem- ble à l'ancien paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] qui a été abrogé et remplacé par l'article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada.
Finalement, dans la mesure l'affaire Fletcher pourrait être interprétée comme établissant la règle selon laquelle le fardeau de preuve incombe,
non pas au requérant, mais à la Couronne dans des cas tels que l'espèce, j'estime que cette règle va à l'encontre de la législation canadienne et de la jurisprudence anglaise à cet égard.
Je ne souscris pas à l'argument de l'avocat du requérant qui prétend que, parce que dans les affaires civiles, la charge de la preuve incombe au demandeur alors que, dans les affaires criminelles, cette charge appartient à la Couronne, la règle posée dans l'affaire Goguen, précitée, selon laquelle la personne qui s'oppose à une attestation d'opposition fondée sur la sécurité nationale doit d'abord établir qu'elle a absolument besoin d'un élément de preuve particulier, ne s'applique pas aux requérants dans les affaires civiles. Au con- traire, je suis persuadé que, puisque les affaires civiles visent normalement un dédommagement monétaire alors que dans les affaires criminelles ce sont la réputation et la liberté des particuliers qui sont en jeu, la charge de la preuve devrait incom- ber davantage aux requérants qui cherchent à obtenir des éléments de preuve pour les fins d'un litige civil.
Pour les motifs invoqués ci-dessus, la demande est rejetée, mais, dans les circonstances et étant donné que l'attestation initiale contestée était d'une portée trop grande, je n'adjuge pas de dépens.
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