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T-2812-84
Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd. et Société de Distribution Rossignol du Canada Ltée (requé- rantes)
c.
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, et J. C. Thivierge, sous-directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
et—
A. Brantz, R. Annan et H. Lalonde agissant à titre de représentants du directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, conformément à l'arti- cle 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (intimés)
et—
Procureur général du Canada (mis -en-cause)
Division de première instance, juge Denault— Montréal, 11 janvier; Ottawa, 22 février 1985.
Coalitions Perquisitions et saisies en vertu de l'art. /0 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions Documents remis après que des microfiches et des photocopies eurent été faites Plaintes portées en vertu de la Loi devant la Cour des sessions de la Paix L'arrêt récent de la Cour suprême du Canada Hunter et autres c. Southam Inc. a décidé que l'art. 10(1) et (3) de la Loi va à l'encontre de l'art. 8 de la Charte et que les perquisitions et saisies en vertu de ces articles sont abusives et nulles Les requérantes ont-elles droit à la restitution des photocopies, y compris celles dont la Couronne a besoin aux fins de sa poursuite? Le redressement recher- ché équivaut à déclarer que les documents sont irrecevables dans un procès devant une autre cour Les saisies et les perquisitions sont conformes au droit alors en vigueur, car elles ont été effectuées après l'entrée en vigueur de la Charte mais avant la décision de la Cour suprême Il n'y a pas d'autres circonstances particulières Interdire à la Couronne de faire usage des documents équivaudrait à lui interdire d'utiliser une preuve légalement obtenue dans une instance criminelle, ce qui est contraire aux principes du droit Il appartient au juge de la Cour des sessions de la Paix de décider si lesdits éléments de preuve sont »susceptibles de déconsidérer l'administration de la justice» La requête est rejetée et les intimés ont droit de conserver les documents nécessaires à la poursuite Dépens payables par les requé- rantes Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24(1),(2).
Droit constitutionnel Charte des droits Perquisition et saisie Perquisitions et saisies effectuées en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions après l'entrée en vigueur de la Charte mais avant que l'arrêt de la Cour suprême du Canada Hunter et autres c. Southam Inc. ne déclare contraires à la Charte les dispositions autorisant ces perquisitions et saisies Originaux remis après qu'on en eut fait des reproductions Plaintes portées en vertu de la Loi Les requérantes demandent la restitution de toutes les repro ductions y compris celles nécessaires à la poursuite Juge- ment n'ordonnant pas la restitution des photocopies nécessai- res à la poursuite parce que, mise à part la décision de la Cour suprême, on n'a pas démontré l'existence de circonstances particulières Il appartient au juge de la Cour des sessions de la Paix de décider si l'utilisation de la preuve est «suscepti- ble de déconsidérer l'administration de la justice. Dépens payables par les requérantes Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 8, 24(1),(2).
Des documents appartenant aux requérantes ont été saisis à la suite de perquisitions autorisées en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Ils ont été remis à leurs propriétaires après qu'on en eut fait des microfiches et des photocopies. Deux ans plus tard, une plainte en vertu de la Loi a été portée contre les requérantes devant un juge de la Cour des sessions de la Paix. Les requérantes ont plaidé non coupa- bles et présentent maintenant une requête devant la Cour fédérale pour que soient annulées les autorisations, les perquisi- tions et les saisies. Elles demandent en outre que toutes les copies des documents saisis leur soient remises et qu'il soit interdit aux intimés d'en faire usage. Dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour suprême du Canada a décidé que les perquisitions effectuées sous le régime des paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi étaient abusives, ces dispositions étant incompatibles avec l'article 8 de la Charte. La seule question en litige est de savoir si les requérantes ont droit à la restitution de toutes les copies des documents saisis, même celles dont la Couronne prétend avoir besoin aux fins de la poursuite.
Les requérantes soutiennent que lorsqu'une saisie a été annu- lée, le propriétaire a droit à la restitution des effets saisis et des reproductions qu'on en a faites et de demander un interdit sur l'utilisation des documents illégalement obtenus. Pour leur part, les intimés maintiennent que la restitution des effets saisis illégalement ne peut être ordonnée que si l'autorisation de perquisition ou la saisie elle-même comportent des vices de forme ou de fond et non pas uniquement parce que la Loi qui les permettait a été jugée inopérante par la Cour suprême du Canada.
Jugement: les perquisitions et les saisies sont nulles parce qu'elles sont incompatibles avec l'article 8 de la Charte et ordre est donné aux intimés de remettre les extraits et copies des documents saisis, sauf ceux qui sont nécessaires pour la pour- suite pénale. Dépens payables par les requérantes.
Bien que la Charte garantisse aux citoyens canadiens une protection accrue, son but n'est pas de perturber ou de paraly- ser le système juridique. Avant l'entrée en vigueur de la Charte, les tribunaux ordonnaient généralement la restitution des effets
à leurs propriétaires sauf s'ils étaient nécessaires aux fins de poursuites futures. Parmi les jugements pertinents, certains ont décidé que la Couronne ne pouvait profiter de perquisitions et de saisies illégales tandis que d'autres ont considéré qu'il fallait tenir compte des circonstances.
En l'espèce, on demande à la Cour non pas de décider de l'admissibilité d'un document devant une autre cour mais de prononcer un jugement déclaratoire ayant le même effet sans analyser, conformément au paragraphe 24(2) de la Charte, si leur utilisation est «susceptible de déconsidérer l'administration de la justice». Les perquisitions et les saisies effectuées en l'espèce ont été faites après l'entrée en vigueur de la Charte mais avant l'arrêt de la Cour suprême Hunter et autres c. Southam Inc. Les enquêteurs ont donc agi conformément avec le droit alors en vigueur. À part cette décision, on n'a pas démontré de circonstances particulières. Interdire à la Cou- ronne de faire usage des reproductions équivaudrait à lui interdire de déposer dans une instance criminelle une preuve légalement obtenue, ce qui est contraire aux principes du droit. L'affidavit des intimés selon lequel ils ont besoin de la preuve aux fins d'une poursuite criminelle justifie la Cour de rejeter cette requête. Le jugement rendu par la Cour fédérale dans l'affaire Jim Pattison Industries Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 954 (1"» inst.), vient étayer cette décision même si dans ce cas il s'agissait d'une saisie effectuée avant l'entrée en vigueur de la Charte. Il appartient au juge de la Cour des sessions de la Paix de décider si l'utilisation de la preuve ainsi obtenue est «susceptible de déconsidérer l'administration de la justice». Dépens payables par les requérantes.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 84 DTC 6467; 14 C.C.C. 97; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; Blackwoods Beverages Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159; 47 C.P.C. 294 (C.A. Man.); R. v. Rao (1984), 4 O.A.C. 162; 46 O.R. (2d) 80; 40 C.R. (3d) 1; 12 C.C.C. (3d) 97; R. c. Henry Caller Inc., jugement en date du 17 janvier 1985, Cour des sessions de la Paix de Montréal, C.S.P. 500-27-20425- 841, encore inédit; Jim Pattison Industries Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 954 (Ire inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Weigel and The Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 81 (B.R. Sask.); Re Trudeau and The Queen (1982), I C.C.C. (3d) 342 (C.S. Qc).
DÉCISIONS CITÉES:
Re Black and The Queen (1973), 13 C.C.C. (2d) 446 (C.S.C.-B.); Re Atkinson and The Queen (1978), 41 C.C.C. (2d) 435 (C.A.N.-B.); Re Butler and Butler and Solicitor -General of Canada et al. (1981), 61 C.C.C. (2d) 512 (C.S.C.-B.); Re Chapman and The Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65; 9 D.L.R. (4th) 244; 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A.); R. v. Noble (1984), 6 O.A.C. 11; 42 C.R. (3d) 209; Lewis c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC
6550; [1984] CTC 642 (C.F. Ire inst.); Re Gillis and The Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 545 (C.S. Qc).
AVOCATS:
Bruno J. Pateras pour les requérantes.
James L. Brunton pour les intimés et le
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Pateras et Iezzoni, Montréal, pour les requérantes.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés et le mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DENAULT: Les requérantes ont fait l'objet de perquisitions et de saisies de documents en août 1982, et une plainte comportant six chefs d'accusation a été portée le lei août 1984 en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23], devant la Cour des sessions de la Paix de Montréal.
Cette perquisition avait été dûment autorisée selon la procédure prévue aux paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Munis de cette autorisation, les intimés ont saisi 441 documents qu'ils ont ultérieurement retournés aux requérantes en septembre 1982, après en avoir fait des microfiches et des photoco pies. Les requérantes ont plaidé non coupables à la plainte portée contre elles devant la Cour des sessions de la Paix de Montréal et font maintenant une requête devant la Cour fédérale du Canada pour que soient annulées les autorisations, les per- quisitions et saisies, et elles demandent en consé- quence que toutes les microfiches ou photocopies des documents saisis leur soient remises et qu'il soit interdit aux intimés d'en faire usage.
Les requérantes basent leur requête sur la déci- sion rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145 qui a décidé que les dispositions pré- vues à l'article 10 de ladite Loi, étaient incompati bles avec l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et qu'en conséquence une fouille ou une perquisition ainsi effectuée sous ces paragraphes 10(1) et 10(3) est abusive.
Face à ce jugement de la Cour suprême, les intimés n'avaient évidemment pas d'autre choix que d'admettre l'illégalité des autorisations de per- quisitions datées du 9 et du 25 août 1982 et des saisies faites entre le 23 et le 26 août 1982. Leur procureur a donc admis que les saisies devaient être annulées. Il a de plus admis que la Cour avait le pouvoir inhérent d'ordonner la remise des docu ments aux requérantes, et que la requête, telle que faite, constituait la procédure appropriée; en un mot, il ne conteste pas la forme de la requête et admet même que c'est la procédure appropriée pour obtenir les conclusions recherchées. En consé- quence, il n'a pas objection à remettre les photoco pies des documents saisis à l'exception de 49 d'en- tre elles dont il a besoin, l'affidavit d'un des intimés à l'appui, pour servir de preuve éventuelle- ment dans la plainte portée contre les requérantes.
La seule véritable question en litige est de savoir si les requérantes ont droit à la remise de toutes les photocopies ou microfiches des documents illégale- ment saisis et en particulier celles dont la Cou- ronne prétend avoir besoin pour les fins de son accusation.
Les articles 8 et 24 de ladite Charte, pertinents à la présente affaire, se lisent comme suit:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
24. (I) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (l), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Selon le procureur des requérantes, la saisie étant annulée, les victimes d'une telle saisie abu sive ont droit à la remise des effets saisis et aux reproductions qu'on en a faites même si des pour-
suites judiciaires ont depuis été prises. De plus, les requérantes auraient droit de demander un interdit sur l'utilisation des pièces illégalement obtenues.
Selon le procureur des intimés, on ne doit per- mettre la remise des copies d'effets saisis illégale- ment qu'avec beaucoup de circonspection, surtout lorsqu'une plainte a été portée en justice; ainsi on peut ordonner la remise de ces biens si l'autorisa- tion de perquisition ou la saisie elle-même sont affectées de vices techniques ou de substance, ou si elles n'ont pas été exécutées de façon adéquate. Par ailleurs, il en serait autrement si rien n'affecte la perquisition ou la saisie telle quelle si ce n'est que la loi qui la permettait a été jugée inopérante par une décision de la Cour suprême du Canada.
Il faut mentionner que dans la présente cause, selon les admissions des parties, les documents autorisant la perquisition ne sont entachés d'au- cune erreur et la perquisition elle-même et la saisie se sont déroulées de façon normale. Le seul repro- che qu'on leur fait: les paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui les autorisaient ont été déclarés inopérants et incompatibles avec l'article 8 de la Charte.
Avant l'entrée en vigueur de la Charte cana- dienne des droits et libertés, quand des mandats de perquisition étaient annulés pour vice de fond ou de forme, les tribunaux considéraient générale- ment qu'il fallait remettre à son propriétaire les objets illégalement saisis sauf si on en avait besoin aux fins de poursuites ultérieures, que des plaintes aient alors été portées ou qu'on envisage seulement de le faire'.
Depuis l'entrée en vigueur de la Charte le 17 avril 1982, le citoyen canadien jouit maintenant d'une protection accrue bénéficiant de la garantie juridique que lui accorde l'article 8 contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il faut noter au départ, comme le faisait le juge en chef Monnin de la Cour d'appel du Manitoba dans
' Re Black and The Queen (1973), 13 C.C.C. (2d) 446 (C.S.C.-B.); Re Atkinson and The Queen (1978), 41 C.C.C. (2d) 435 (C.A.N: B.); Re Butler and Butler and Solicitor - General of Canada et al. (1981), 61 C.C.C. (2d) 512 (C.S.C.-B.).
l'affaire Blackwoods Beverages la page 166 W.W.R.] 2 :
[TRADUCTION] ... que la Charte n'était destinée ni à perturber ce qui constituait et continue de constituer un système juridique bien structuré ni à causer sa paralysie. La Charte est la loi suprême du pays; il faut l'appliquer et l'interpréter de la manière la plus libérale et la plus souple possible tout en respectant cependant le système judiciaire existant. La Charte crée des droits nouveaux qui sont pleinement exécutoires immé- diatement. Il ne faut toutefois pas déroger à la procédure ordinaire: dénonciation, audience préliminaire, renvoi au procès, procès et appels interjetés aux différents niveaux de juridictions d'appel. Au contraire, il faut suivre cet ordre pour assurer que l'administration de la justice soit régulière, efficace et rapide.
Si le citoyen est à l'abri des saisies abusives, il appartient aux tribunaux d'apprécier chaque cas à son mérite dans le cadre de l'article 24.
A cet égard, certaines décisions récentes ont abordé la question de la remise des objets illégale- ment saisis, de façon favorable tantôt à la victime de la saisie 3 , tantôt à la Couronne 4 . On a même adopté une position mitoyenne dans l'affaire Lewis 5 alors que le juge Walsh ordonnait à la Couronne de remettre les objets illégalement saisis mais dans un délai de cinq jours, lui accordant ainsi le temps de procéder légalement à une nou- velle saisie.
La position de ceux qui favorisent la remise des objets à leur auteur est résumée dans l'affaire Weigel par le juge Noble qui, après avoir revisé la jurisprudence antérieure à la Charte, déclare [aux pages 85-86-87]:
[TRADUCTION] Dans tous les cas mentionnés (et sans aucun doute, dans certains autres), la décision a été rendue avant l'entrée en vigueur de la Charte des droits. Le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives faisait partie du droit canadien avant l'adoption de la Charte; toutefois, on peut constater à l'examen des précédents
2 Blackwoods Beverages Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159; 47 C.P.C. 294 (C.A. Man.).
3 Re Chapman and The Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65; 9 D.L.R. (4th) 244; 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A.); Re Weigel and The Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 81 (B.R. Sask.); Re Trudeau and The Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 342 (C.S. Qc); Re Gillis and The Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 545 (C.S. Qc).
4 R. v. Noble (1984), 6 O.A.C. I I; 42 C.R. (3d) 209; Blackwoods Beverages, op. cit.; R. c. Henry taller Inc., C.S.P. Montréal 500-27-20425-841, juge Jean Sirois, jugement en date du 17 janvier 1985, encore inédit.
5 Lewis c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC 6550; [1984] CTC 642 (C.F. 1" inst.).
susmentionnés que même si les tribunaux semblaient admettre qu'ils étaient compétents pour annuler un mandat de perquisi- tion irrégulier, ils étaient incapables de s'entendre sur la ques tion de savoir s'il fallait retourner ou non à leur propriétaire les articles saisis en vertu d'un tel mandat. Dans certains cas, il appert que le tribunal a exercé son pouvoir d'appréciation en faveur de la Couronne et lui a permis, pour de simples raisons pratiques, de retenir les articles saisis. Dans d'autres cas (voir plus haut l'extrait tiré de l'affaire Butler), le tribunal n'a permis à la Couronne de garder les articles saisis illégalement que lorsqu'elle pouvait démontrer qu'ils constituaient des preu- ves pertinentes contre l'accusé. Le juge Moshansky a bien fait ressortir l'autre côté de la médaille quand il a conclu que la tendance à conférer à la Couronne le droit de conserver les articles saisis illégalement était déplorable et constituait une sorte de récompense pour un manquement aux exigences claires de l'al. 443(1)b). Quelle justification peut-on invoquer pour statuer d'une part que la délivrance d'un mandat de perquisi- tion ne respecte pas les règles, tout en affirmant d'autre part aux autorités concernées que tout est en ordre et qu'elles peuvent de toute manière utiliser les articles saisis comme preuves contre l'accusé? Peut-on dire que cette position mani- festement contradictoire encouragera les agents de police et les personnes ayant autorité pour agir à se conformer aux lois destinées à protéger les droits des citoyens? Je ne le pense pas.
A mon avis, il faut interpréter la Charte des droits de manière à ce que les pratiques suivies par les autorités policiè- res dans l'obtention de mandats de perquisition respectent les buts de la loi tels qu'ils sont énoncés à l'al. 443(1)b) et interprétés par les tribunaux. J'estime également que, si les citoyens doivent comprendre que l'art. 8 de la Charte leur accorde une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, il faut alors expliquer la position de certains tribunaux voulant que la Couronne puisse retenir les articles saisis en vertu d'un mandat de perquisition irrégulier. Autre- ment, les citoyens se demanderont sans aucun doute comment la police peut, d'un côté, agir illégalement envers eux et de l'autre, utiliser les preuves recueillies contre eux même si la perquisition était illégale.
À mon avis, maintenant que la Charte des droits est en vigueur, les tribunaux devraient tenir compte de son libellé clair et ne devraient pas permettre que la Couronne puisse retenir des documents saisis illégalement, même dans les cas lesdits documents ont déjà été présentés en preuve à une audience préliminaire sur une accusation portée contre l'accusé. Il ne faut pas sacrifier les droits d'un accusé juste pour faciliter la poursuite de ce dernier par la Couronne.
Ou, comme le dit d'une façon plus concise le juge Boilard dans l'affaire Trudeau à la page 349:
[TRADUCTION] À la lumière de l'art. 24 de la Charte, j'estime que le seul recours réel est, une fois que l'on juge que la saisie est illégale, d'ordonner que les objets saisis soient remis à leur possesseur légal.
Par ailleurs, les tenants de la thèse favorable à la rétention par la Couronne des pièces dont elle peut avoir besoin, donnent une interprétation moins drastique et beaucoup plus nuancée, laissant
au juge saisi de l'affaire au procès ou d'une demande en vertu du paragraphe 24(1) le soin d'évaluer les circonstances de celles-ci 6 .
Dans cette affaire, le procureur des requérantes a présenté sa requête sous le paragraphe 24(1) de la Charte. Il s'adresse à la Cour fédérale d'abord pour demander le redressement d'un tort causé à ses clientes par l'application de la Charte. Il demande que le tribunal estime convenable et juste, eu égard aux circonstances, d'ordonner la remise des photocopies de documents obtenus illé- galement et d'interdire aux intimés de faire usage de l'information qu'ils y ont obtenue. Le procureur des requérantes insiste donc pour qu'on traite de cette affaire strictement en vertu du paragraphe 24(1), c'est-à-dire sans analyser, conformément au paragraphe 24(2), si l'utilisation de ces documents est susceptible de «déconsidérer l'administration de la justice». Encore une fois, on ne demande pas de décider de l'inadmissibilité d'un document dans un procès devant une autre cour, mais on veut une forme de jugement déclaratoire qui équivaut au même effet.
À cette fin, il faut analyser les circonstances dans lesquelles on a porté atteinte au droit des requérantes et, si celles-ci sont jugées suffisam- ment graves, accorder une réparation convenable et juste. Comme on l'a dit au début, les parties ont convenu que les perquisitions et la saisie avaient été faites de façon adéquate et l'aveu d'illégalité de la part des intimés n'a été fait qu'à cause de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Sou- tham Inc. Il faut cependant préciser que lors de l'autorisation de la saisie en août 1982, la Charte était alors en vigueur (17 avril 1982) mais la décision de la Cour suprême dans l'affaire Sou- tham Inc. n'avait pas encore été rendue (septem- bre 1984) et les enquêteurs ont procédé suivant la loi alors en vigueur, en vertu d'une disposition dûment adoptée par le Parlement.
Sauf la décision rendue par la Cour suprême, aucune circonstance particulière n'a donc été démontrée par les requérantes; elles ont de plus plaidé que les intimés, officiers de la Couronne, devaient savoir que la Cour d'appel d'Alberta avait, en janvier 1983, conclu que les paragraphes
6 R. v. Rao (1984), 4 O.A.C. 162; 46 O.R. (2d) 80; 40 C.R. (3d) 1; 12 C.C.C. (3d) 97; Blackwoods Beverages, op. cit.; Henry Galler Inc., op. cit.
10(1) et 10(3) de la Loi étaient incompatibles avec l'article 8 de la Charte. Cet argument ne saurait être retenu, car il aurait fallu alors qu'ils présu- ment de la décision de la Cour suprême. Mais même en admettant la gravité de certaines circons- tances, serait-il convenable et juste, en guise de réparation, de refuser la preuve ainsi recueillie. Il est évident qu'en interdisant à la Couronne de s'en servir, cela équivaudrait à donner à la Couronne une interdiction de déposer dans une instance cri- minelle une preuve légalement obtenue, ce qui est contraire aux principes de droit.
En conséquence, même sans considérer le para- graphe 24(2) de la Charte, il m'apparaît que les requérantes n'ont démontré aucune circonstance particulière me justifiant d'accorder les conclu sions recherchées par le seul fait que la Cour suprême a récemment décidé qu'une telle autorisa- tion, perquisition et saisie étaient abusives.
Appelé à décider d'un problème semblable la saisie avait cependant eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Charte, l'Honorable juge Dubé a déclaré dans l'affaire Jim Pattison Industries Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 954 (1 r° inst.) [aux pages 960 et 961]:
Les demanderesses en l'espèce soutiennent évidemment que la question à trancher dans le cas présent n'est pas la recevabi- lité de la preuve, mais plutôt le pouvoir de la défenderesse d'utiliser les renseignements et les faits rapportés dans des documents admissibles, ce qui constitue une intrusion dans la vie privée et relève ainsi de la compétence exclusive de la Cour fédérale.
Je conviens que cette Cour a compétence pour rendre le jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses. Néan- moins, les tribunaux hésitent à rendre un jugement déclaratoire qui aura des répercussions directes sur le déroulement d'une action pénale dont un autre tribunal a été saisi. Il est admis en l'espèce que, à la suite d'une enquête préliminaire, les demande- resses ont été citées à procès devant la Cour suprême de l'Ontario, procès devant commencer le 11 février 1985. Des copies des documents saisis ont été déposées à l'enquête préli- minaire et le procureur de la Couronne les a alors mises à la disposition du juge présidant le procès, des avocats et du sténographe de la Cour.
L'affidavit des intimés à l'effet qu'ils ont besoin de la preuve recueillie dans une plainte déjà portée contre les requérantes justifie la Cour de rejeter cette requête. Il appartiendra au juge de la Cour des sessions de la Paix d'évaluer si les éléments de preuve ainsi recueillis sont «susceptible[s] de déconsidérer l'administration de la justice».
En conséquence, la Cour déclare les perquisi- tions et les saisies faites les 25 et 26 août 1982 aux places d'affaires des requérantes illégales, nulles, abusives et en violation de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, ordonne la remise des extraits ou photocopies de tous les documents alors saisis sauf ceux nécessaires à la poursuite pénale, soit les 49 documents apparais- sant à l'annexe E de l'affidavit de l'intimé André Brantz. Frais contre les requérantes.
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