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A-1627-83
La Reine (appelante)
c.
Paul E. Graham (intimé)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Marceau— Ottawa, 21 mars et 7 mai 1985.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Pertes agricoles Appel de la conclusion tirée par le juge de première instance, selon laquelle la préoccupation majeure du contribuable, était l'agriculture Le contribuable avait un emploi à temps plein, mais consacrait plus de temps à l'éle- vage porcin qu'à son emploi Le contribuable a investi dans la ferme, son salaire, ses économies, ses emprunts et le revenu tiré de ses cultures commerciales Référence faite à l'extrait de l'arrêt Moldowan c. La Reine, [19781 1 R.C.S. 480, aux termes duquel «déterminer si une source de revenu est la principale "source" de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif» Le contribuable avait le droit de déduire toutes les pertes agricoles et n'était pas visé par la limite de 5 000 $ par année d'imposition prévue à l'art. 31 Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 31 (mod. par S.C. 1973-74, chap. 14, art. 7; 1979, chap. 5, art. 9), 248(1) Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, chap. 97, art. 10 Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, chap., 52, art. 13.
(Voir le résumé des données factuelles rédigé par l'arrêtiste.)
La question est de savoir si l'intimé avait le droit de réclamer la déduction des pertes provenant de son exploitation agricole, ou s'il n'avait le droit de déduire, au titre de ses pertes, que 5 000 $ par année d'imposition, ainsi que le prévoit l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Urie (avec l'appui du juge Mahoney): Le juge de première instance en est venu à la conclusion que l'intimé faisait partie de la première des trois catégories d'agriculteurs énumérées dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, et qu'il avait le droit de déduire la totalité de ses pertes agricoles de ses deux sources de revenu. Pour en arriver à cette conclusion, le juge ne s'est pas fondé sur un principe erroné et n'a pas commis d'erreur dans son appréciation des faits ni dans les conclusions qu'il a tirées de ceux-ci. L'appelante a prétendu que l'intimé ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que l'agriculture constitue sa principale source de revenu. La pré- tention de l'appelante fait abstraction de la déclaration faite par le juge Dickson dans l'arrêt Moldowan, au sujet de la «principale source» de revenu, selon laquelle ce qui distingue la «principale source» de revenu du contribuable, c'est l'expecta- tive raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. Une fois admise l'existence d'une expectative raisonnable de profit, il faut alors procéder à l'analyse «[des] habitudes et [de la] façon coutumière de travailler» du contribuable. Cela impli- que une appréciation objective et relative des faits. Le juge de première instance connaissait le processus à deux étapes. Il a apprécié, de façon objective, les éléments de preuve et l'impor-
tance relative de chacune des sources de revenu. Il en est venu à la conclusion que l'accumulation des faits inusités l'avait per- suadé que la préoccupation majeure de l'intimé était l'agricul- ture, mais qu'il tirait un revenu d'un emploi secondaire. La Cour d'appel ne devrait intervenir que si le juge de première instance a tiré des conclusions de fait erronées et n'a pas appliqué les bonnes règles de droit.
Le juge Marceau (dissident): L'appel devrait être accueilli. L'article 31 n'est pas d'application facile et son sens n'est pas tout fait à clair. Les trois données factuelles pertinentes sont: (1) l'intimé occupait un emploi à temps plein qu'il détenait depuis plusieurs années, mais il s'était sérieusement mis à l'agriculture; (2) son intention était d'y aller lentement, mais il était déterminé à construire une entreprise solide et rentable; (3) il ne pouvait s'attendre à réaliser un profit avec une entreprise de la taille de celle qu'il avait alors, ni même s'attendre à en retirer de véritables bénéfices s'il lui donnait une expansion et un rendement optima.
L'article 3 porte que le revenu imposable d'un contribuable est son revenu total diminué des pertes provenant de toutes ses sources de revenu. Une source de revenu demeure une source de revenu en dépit du fait que le contribuable a pu en subir une perte. Suivant le principe établi à l'article 3, les personnes qui exercent des activités agricoles devraient se diviser en deux groupes: celles pour qui l'agriculture est un passe-temps, qui ne comptent pas en tirer un profit et dont les dépenses agricoles constituent des «frais personnels ou de subsistance» non déducti- bles, et celles dont les pertes subies dans l'exercice de leurs activités agricoles sont déductibles de leur revenu total. L'arti- cle 31 s'écarte de la règle générale de la déductibilité lorsque les pertes agricoles ont été subies par des contribuables pour qui l'agriculture est une source de revenu sans être la seule. Ceux qui exercent des activités agricoles en vue d'en tirer un profit immédiat ou éventuel doivent de nouveau être divisés entre ceux pour qui l'agriculture ou une combinaison de l'agriculture et de quelqu'autre source constitue la «principale source de revenu» et ceux pour qui elle ne l'est pas. Cela n'est pas facile à déterminer, le sens de l'expression «principale source de revenu» et du mot «combinaison», n'étant pas clair. En l'espèce, on ne peut considérer que le contribuable tire de l'agriculture sa principale source de revenu. On ne peut comparer les différen- tes sources de revenu en vue de déterminer la principale source de revenu, sans tenir compte de la capacité présente de chacune d'entre elles à produire des profits. Pour que cette qualification ait une portée pratique, il ne faut retenir que les attentes réelles et actuelles plutôt que les simples projets et les objectifs à long terme. Le contribuable doit pouvoir compter sur cette source dès maintenant pour obtenir au moins une partie du revenu dont il a besoin pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
La définition que donne l'arrêt Moldowan de l'agriculteur de la première catégorie, s'applique facilement à la personne pour qui l'agriculture constitue le «centre de son travail habituel», et ce, sans égard au revenu qu'il peut espérer en tirer. Toutefois, un homme qui occupe un emploi à temps plein ne fait pas de l'agriculture «le centre de son travail habituel». La deuxième partie de la définition précise que l'agriculteur dont il est question est celui qui considère «l'agriculture» comme son «gagne-pain». Une personne qui occupe un emploi à temps plein ne peut raisonnablement considérer «l'agriculture» comme son «gagne-pain» avant que son entreprise soit à tout le moins
capable de lui rapporter des bénéfices. La notion de «personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure« ne vise pas simplement les activités physiques, mais des activités lucratives concrètes.
Le concept selon lequel il ne faudrait pas faire perdre à une personne son droit de déduire la totalité de ses frais d'établisse- ment, ne peut s'appliquer à une période de plusieurs années durant lesquelles le contribuable entend construire lentement une entreprise qui viendra à produire des revenus importants.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Moldowan c. La Reine, [ 1978] 1 R.C.S. 480.
DÉCISIONS CITÉES:
Stein et autres c. «Kathy K. et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; Jaegli Enterprises Ltd. et autre c. Taylor et autres, [1981] 2 R.C.S. 2.
AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre, c.r. et Deen C. Olsen pour
l'appelante.
William G. D. McCarthy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
McCarthy & Phillips, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La seule question que soulève le présent appel du jugement rendu par le juge Cat- tanach en Division de première instance [(1983), 83 DTC 5399] est celle de savoir si l'intimé avait le droit, dans le calcul de son revenu imposable pour les années d'imposition 1977, 1978 et 1979, de réclamer la déduction des pertes provenant de son exploitation agricole ou s'il n'avait le droit de déduire, au titre de ces pertes, que 5 000 $ pour chacune des années d'imposition, ainsi que le pré- voit l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par S.C. 1973-74, chap. 14, art. 7; 1979, chap. 5, art. 9)] («la Loi»).
Ainsi qu'on l'a soutenu, la solution du présent litige dépend de la réponse qu'il faut donner à la question de savoir si, ainsi que l'affirme l'intimé,
celui-ci tombe sous le coup de la première des trois catégories d'agriculteurs que prévoit la Loi et qu'a définies le juge Dickson (maintenant juge en chef), aux pages 487 et 488 de l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 de la Cour suprême du Canada ou s'il appartient à la deuxième catégorie, comme l'a soutenu l'avocat de l'appelante. Le juge de première instance en est venu à la conclusion que l'intimé faisait partie de la première catégorie et qu'il avait le droit de déduire la totalité de ses pertes agricoles de la combinaison de ses deux sources de revenu, en l'occurrence, l'agriculture, sa «préoccupation majeure» et son emploi, son «intérêt subsidiaire».
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Voici le résumé de l'exposé détaillé des faits rédigé par le juge Urie.
Fils d'agriculteur, l'intimé travaillait à temps plein à l'Hydro-Ontario. Il était mécanicien de machines fixes. Ayant toujours rêvé de faire de l'agriculture, il a obtenu sa mutation à une cen- trale électrique située en région rurale. Il a acheté une ferme et a commencé à faire de l'élevage de porcs en 1975. En règle générale, il travaillait 11 heures par jour à sa ferme, 8 heures à la centrale et ne dormait que 5 heures. Les témoignages entendus lors du procès ont établi que l'intimé était un bourreau de travail et un agriculteur inno- vateur. L'intimé occupait, en réalité, deux emplois à temps plein.
A l'époque en cause, l'intimé gagnait environ 30 000 $ par an à l'Hydro. Il investissait tout son argent dans la ferme. Sur une période de cinq ans, les pertes annuelles qu'a subies l'intimé de l'agriculture ont varié entre 5 418 $ en 1975 et 12 702 $ en 1979. L'appelante a prétendu que la principale source de revenu de l'intimé n'était ni l'agriculture ni une combinaison de l'agriculture et d'une autre source de revenu; elle a émis l'hypo- thèse que l'intimé se consacrait à l'agriculture pendant ses moments de loisir. Ainsi que l'a fait remarquer le juge Cattanach, ces «moments de loisir» représentaient plus du double des heures que l'intimé passait à son lieu de travail.
Le juge Urie a longuement cité le juge Dickson dans l'arrêt Moldowan, dans lequel celui-ci souli- gne que «déterminer si une source de revenu est la principale "source" de revenu d'un contribua-
ble suppose un test à la fois relatif et objectif». Il ne s'agit pas, à son avis, d'une simple question de proportion.
Le juge de première instance en est venu à la conclusion que l'intimé avait changé de travail en demandant sa mutation en région rurale. Il a investi tout son capital dans la ferme, a travaillé d'arrache-pied et a fait produire des bénéfices avant amortissement considérables qui n'ont tou- tefois pas suffi à contrebalancer les dépenses d'établissement qu'il avait engagées pour acheter de la machinerie et des terres. Le juge de pre- mière instance en est venu à la conclusion que la préoccupation majeure du demandeur était l'agri- culture et que son emploi à l'Hydro ne constituait qu'un emploi secondaire.
Le juge Urie a statué que la preuve appuyait les conclusions de fait tirées par le juge de première instance et s'est dit d'avis de ne pas les modifier.
Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de droit? Pour trancher cet aspect de l'ap- pel, il ne faut pas oublier que l'avocat de l'appe- lante a admis que l'exploitation agricole de l'in- timé constituait une «entreprise» au sens de la Loi et que celui-ci avait une expectative raisonnable d'en tirer un profit. Toutefois, en dépit de cette admission, l'avocat de l'appelante a avancé que pour déterminer si l'article 31 s'appliquait, il était nécessaire, pour reprendre l'expression employée par le juge Dickson dans l'arrêt Moldowan, de déterminer si la source de revenu en cause, l'agri- culture, était «la principale source de revenu» du contribuable, en appliquant un «test à la fois relatif et objectif». Suivant l'avocat de l'appelante, l'appli- cation de ce critère permet de dire que [TRADUC- TION] «même si les activités agricoles de l'intimé sont pour lui un mode de vie, elles ne constituent pas sa principale source de revenu» étant donné:
a) l'absence de profits;
b) la différence entre les revenus tirés de son emploi et les pertes provenant de son exploitation agricole;
c) l'évolution des bénéfices avant amortissement réalisés au cours des années en cause;
d) le rendement maximum que l'intimé pouvait donner à son exploitation;
e) le fait que l'intimé n'a effectué aucun changement dans sa profession qui puisse démontrer que l'agriculture constituait sa principale expectative de revenu.
L'avocat de l'appelante prétend que, même si l'agriculture est de façon subjective la préoccupa- tion majeure de l'intimé, celui-ci ne pouvait objec- tivement s'attendre raisonnablement à ce qu'elle constitue sa principale source de revenu, ni dans les années d'imposition en question, ni dans les années subséquentes.
Je rejette cette interprétation et ce, notamment en raison des motifs qu'a donnés le juge de pre- mière instance lorsqu'il s'est prononcé sur les hypothèses formulées par le Ministre pour établir les cotisations en litige. En outre, il me semble que l'avocat fait alors abstraction de ce que le juge Dickson a déclaré au sujet de la «principale source de revenu», à la page 486 de la décision Moldo- wan, précitée. Par souci de commodité, je repro- duis à nouveau cet extrait:
Ce qui distingue la principale «source» de revenu du contribua- ble, c'est l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité pré- sente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raison- nables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas. [C'est moi qui souligne.]
Une fois admise l'existence d'une expectative raisonnable de bénéfices en provenance de l'exploi- tation agricole (ce que la preuve justifie de façon objective), il faut alors procéder, pour établir la «principale source de revenu» du contribuable, à l'analyse de «ses habitudes et [de] sa façon coutu- mière de travailler», en se servant de critères inspi- rés de ceux formulés par le juge Dickson dans les deux dernières phrases de la citation reproduite ci-dessus. Cela implique nécessairement une appréciation objective et relative des faits. Les motifs du juge Cattanach démontrent à l'évidence que celui-ci connaissait bien le processus à deux étapes qui devait être suivi pour déterminer la «principale source» de revenu et qu'il savait que ce processus l'obligeait à apprécier objectivement les éléments de preuve et l'importance relative de chacune des sources de revenu. Il s'est acquitté de cette tâche avec un soin minutieux ainsi que le démontrent les extraits tirés des pages 5406 et suivantes de ses motifs de jugement. Il en est venu à la conclusion que l'accumulation des faits plutôt inusités que révélait la preuve dans cette affaire
l'avait persuadé que la principale préoccupation de l'intimé «est l'agriculture, mais [qu'] il a un revenu tiré d'un emploi secondaire». Pour en arriver à cette conclusion, le juge a manifestement appliqué les principes énoncés par le juge Dickson. En appliquant ainsi ces principes aux éléments de preuve de l'espèce, le juge ne s'est pas fondé sur un principe erroné et n'a pas commis d'erreur dans son appréciation des faits ni dans les conclusions qu'il a tirées de ceux-ci. Ceci étant dit, il convient de rappeler que le juge de première instance a eu l'avantage inestimable d'entendre les témoins, d'observer leur comportement et d'apprécier leurs témoignages. Étant donné que le juge de première instance devait essentiellement apprécier les faits et y appliquer les règles de droit appropriées, la Cour d'appel ne devrait intervenir que s'il a tiré des conclusions de fait erronées et n'a pas appliqué les bonnes règles de droit'. Je suis d'avis que la preuve justifiait pleinement les conclusions qu'a tirées le juge de première instance, qu'il n'a commis aucune «erreur manifeste et dominante» en appréciant les faits et qu'il ne s'est pas mépris sur l'application des règles de droit appropriées. Par conséquent, c'est à bon droit que le juge a statué que l'intimé appartenait à la première des trois catégories d'agriculteurs visées par le paragraphe 31(1) de la Loi et qu'il avait le droit de déduire toutes les pertes agricoles qu'il avait subies dans le calcul de son revenu imposable pour les années d'imposition en litige. Étant donné les circons- tances exceptionnelles de la présente espèce, je ne crois pas que l'autre source de revenu de l'intimé, en l'occurrence, son emploi à l'Hydro-Ontario, l'empêchait de le faire.
Je suis par conséquent d'avis de rejeter l'appel avec dépens.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (dissident): L'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui concerne le droit d'un contribuable qui exploite une entreprise
' Voir: Stein et autres c. .Kathy K. et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; Jaegli Enterprises Ltd. et autre c. Taylor et autres, [1981] 2 R.C.S. 2.
agricole de déduire aux fins de l'impôt les pertes agricoles qu'il peut subir, constitue depuis long- temps une des particularités de notre législation fiscale (il correspond à l'ancien article 13 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148 et ses modifications). Son interprétation a été abon- damment débattue dans les recueils de jurispru dence et a donné lieu à une foule de décisions de la part des tribunaux. Et il a finalement fait l'objet, en 1978, d'une analyse fouillée de la part du juge Dickson (maintenant juge en chef), dans la cause bien connue Moldowan c. La Reine, [ 1978] 1 R.C.S. 480. On aurait pu croire qu'après tout ce long cheminement, son sens exact serait désormais pleinement éclairci et la disposition qu'il renferme devenue facilement applicable. Pourtant, tel n'est pas le cas pour moi, car la façon dont je comprends la règle à la lumière de la décision de la Cour suprême, lorsque je l'applique aux faits clairement établis de l'espèce, m'amène à une conclusion dif- férente de celle qu'ont tirée les juges Urie et Mahoney. Je me sens tenu, en toute déférence, de me dissocier de la conclusion de mes collègues selon laquelle le présent appel serait mal fondé. 11 rhi'importe d'insister que mon désaccord ne résulte pas d'une perception différente des faits. Il est possible que je n'accorde pas à chacun des diffé- rents aspects des faits en litige la même impor tance que celle que le juge de première instance peut leur avoir donnée, mais j'accepte toutes les principales conclusions qu'il en a tirées. Si je consi- dérais que le présent appel ne soulevait qu'une simple question de fait, je ne me serais certaine- ment pas senti obligé d'exprimer ma dissidence. Mon désaccord procède essentiellement, du moins tel que je le vois, d'une perception différente des règles de droit en cause. Voilà pourquoi je me sens obligé de l'exprimer.
Les faits sont exposés en détail dans les motifs du juge de première instance, et ils ont été soigneu- sement passés en revue par le juge Urie. Il serait évidemment inutile de les relater encore une fois au complet. J'ai besoin cependant d'insister à nou- veau sur les faits saillants de la preuve pour en tirer une formulation correcte, à mon sens, de la question qui se pose.
Au cours des années 1977, 1978 et 1979, l'in- timé était employé à temps plein à l'Hydro-Onta- rio. Il travaillait à l'Hydro-Ontario depuis près de
vingt ans et le certificat de mécanicien de machi nes fixes de classe I qu'il avait obtenu grâce à sa formation et à ses études lui avait permis d'assu- mer des responsabilités tant sur le plan opération- nel que sur le plan administratif. Au cours des années 1977, 1978 et 1979, l'intimé se livrait également à des activités agricoles. Fils d'agricul- teur, il avait toujours caressé le rêve de retourner à l'agriculture. Pour réaliser ce rêve, en 1966 il avait obtenu de son employeur d'être muté en région rurale où, deux ans plus tard, il avait acheté une propriété en vue de mettre sur pied et d'exploiter une entreprise d'élevage porcin. La maison et les granges qui se trouvaient sur la propriété avaient besoin de réfection et l'intimé voulait faire les travaux lui-même; de plus, l'achat de matériaux s'imposait et il voulait assumer ces dépenses uni- quement avec la partie de son salaire qu'il pouvait mettre de côté. Il avait donc retarder son projet, mais en 1977, l'entreprise était lancée pour de bon.
Il peut y avoir discussion quant au nombre exact d'heures que l'intimé a consacrer à son entre- prise d'élevage porcin depuis sa mise sur pied, mais suivant son témoignage durant la saison des récol- tes au cours de laquelle il pouvait se libérer de ses responsabilités à l'Hydro-Ontario, il passait le plus clair de son temps à faire de l'agriculture; et le reste de l'année, il s'arrangeait pour consacrer à l'agriculture une part importante de son temps, tôt le matin et tard le soir, tout en travaillant de façon régulière à l'Hydro-Ontario, suivant un cycle de trois quarts rotatifs de huit heures. Le sérieux et la bonne foi dont a fait montre l'intimé dans sa détermination à construire une entreprise solide, son application et sa compétence comme agricul- teur et sa capacité exceptionnelle de travail ne font, suivant la preuve, tout simplement aucun doute.
Au cours des années 1977, 1978 et 1979, l'in- timé a subi, dans l'exploitation de son entreprise agricole, des pertes de beaucoup supérieures à 5 000.$, puisqu'elles se chiffraient respectivement à 10 727 $, 10 017 $ et 12 702 $. Les chiffres exacts ne sont évidemment d'aucune importance particulière, mais il est, à mon avis, absolument fondamental de ne pas oublier que, suivant la preuve, ces pertes étaient tout à fait inévitables. Il a en effet été établi: a) qu'au 1er janvier de cha-
cuve des trois années en cause, l'intimé comptait dans son bétail 13, 18 et 28 truies et qu'il n'en a jamais eu plus que 31 (page 57 de la transcrip tion); b) que pendant toute la période considérée, ses granges ne pouvaient contenir plus de 40 truies et que les granges ne pouvaient pas être agrandies; c) que même portée à son rendement maximal, l'entreprise ne pouvait, dans les années en ques tion, rapporter aucun bénéfice important, l'intimé ayant lui-même reconnu qu'une entreprise d'éle- vage de 40 truies n'était [TRADUCTION] «probable- ment pas» viable (page 146 de la transcription). Après avoir parlé du maximum de 39 truies qu'a atteint l'entreprise du demandeur, le juge de pre- mière instance ajoute la page 5403):
Ce nombre de truies et celles qu'il a possédées auparavant ne suffisaient pas pour donner à sa famille le niveau de vie qu'il désirait. Pour atteindre ce niveau, il a jugé opportun de conti- nuer de travailler à l'Hydro-Ontario, ayant atteint le maximum de 40 truies sur le terrain familial exproprié en 1982, et pour pouvoir atteindre l'objectif de 64 truies à la nouvelle ferme.
En septembre 1983, au moment du procès, l'intimé était installé sur une nouvelle ferme qui permettait l'élevage d'un nombre beaucoup plus élevé de truies que celui qu'il avait auparavant et qui avait été expropriée en 1982. Je présume qu'en formu- lant la remarque précitée, le juge visait les projets à long terme que nourrissait l'intimé et qui s'éten- daient bien au-delà de 1979. Si on ne l'applique qu'aux années 1977, 1978 et 1979 en cause, cette observation est certainement trompeuse. Mon appréciation des témoignages m'amène à conclure que, durant cette période, l'intimé ne pouvait d'au- cune façon s'attendre à ce que son entreprise lui. rapporte des bénéfices.
Un sommaire des trois paragraphes dans les- quels j'ai exposé à nouveau les faits met, à mon avis, en lumière les trois volets de la situation réelle qui devra être appliquée au droit. Au cours des années en question, l'intimé occupait toujours l'emploi à temps plein qu'il détenait depuis plu- sieurs années à l'Hydro-Ontario, mais il s'était sérieusement mis à l'agriculture. Son intention était d'y aller lentement, mais, fort de ses aptitudes et de son expérience, il était déterminé à cons- truire, avec les ans, une entreprise solide et renta- ble. Cependant, au cours de ces années-là, non seulement ne pouvait-il s'attendre à réaliser un profit avec une entreprise de la taille de celle qu'il
avait alors, mais, encore ne pouvait-il s'attendre à en retirer de véritables bénéfices, même en lui donnant une expansion et un rendement optima.
Examinons maintenant la loi.
L'objet et le sens général de l'article 31 de la Loi (sur lequel le sous-ministre s'est fondé pour établir la cotisation qui a été annulée par le jugement porté en appel) sont suffisamment clairs. Cet arti cle empêche, dans certaines circonstances, le con- tribuable qui exploite une entreprise agricole de déduire, dans le calcul de son revenu imposable pour une année donnée, la totalité des pertes agri- coles qu'il a pu subir au cours de cette année. Il ne peut alors déduire que le montant maximum de 5 000 $, et reporter la partie de la perte non absor- bée uniquement sur l'année précédente et sur les cinq années suivantes, en la déduisant du revenu qu'il aura tiré de l'agriculture au cours de ces années. Le problème que soulève l'article 31 est de déterminer comment il s'inscrit dans l'économie de la loi et de comprendre dans quelles circonstances il devait s'appliquer, son libellé étant simplement:
31. (1) Lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, aux fins des articles 3 et I11, ses pertes, si pertes il y a, pour l'année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être .. .
Il convient ici de rappeler que les règles de droit relatives au droit du contribuable de déduire, dans le calcul de son revenu imposable pour une année donnée, les pertes qu'il a pu subir au cours de cette année ont été complètement modifiées en 1952. Avant 1952, pour être déductibles, les pertes devaient se rattacher directement ou «avoir un rapport avec» ce qu'on nommait jusqu'en 1948 d'industrie ou affaire principale, le commerce, la profession ou la vocation» [Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, chap. 97, art. 10] du contribuable, et, après 1948, la «principale source de revenu» [Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, chap. 52, art. 13] du contribuable. Depuis 1952, la déductibilité des pertes n'est plus soumise à cette condition générale. L'article 3 de la Loi porte maintenant que le revenu d'un contri- buable est son revenu total provenant de toutes sources, qu'il s'agisse d'une entreprise, d'un emploi, d'un bien ou d'une autre source et que son revenu imposable correspond à son revenu total diminué des pertes provenant de toutes ses sources
de revenu. Il s'ensuit manifestement que, suivant l'économie actuelle de la Loi, une source de revenu demeure pour un contribuable une source de revenu en dépit du fait qu'il a pu en subir une perte au cours de l'année. Ainsi donc, si l'agricul- ture constitue une source de revenu pour le contri- buable, les pertes provenant de l'agriculture devraient normalement pouvoir être déduites de façon intégrale et inconditionnelle. Et, l'agricul- ture constituera manifestement une source de revenu pour un contribuable s'il s'agit pour lui d'une entreprise, de telle sorte qu'il est impossible de qualifier les dépenses qu'il engage pour l'exploi- ter de «frais personnels ou de subsistance» non déductibles suivant le sens donné à cette expression par la disposition interprétative du paragraphe 248(1) de la Loi qui se lit comme suit:
248.(1)...
«frais personnels ou de subsistances comprend
a) les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, et non entretenus dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise,
Ainsi donc, suivant le principe établi à l'article 3 de la Loi, les personnes qui exercent des activités agricoles devraient normalement se diviser en deux groupes seulement: ceux pour qui l'agriculture n'est pas une entreprise mais un passe-temps, qui ne comptent pas tirer un profit de leurs activités agricoles et dont les dépenses agricoles doivent simplement être traitées comme des «frais person- nels ou de subsistance» non déductibles, et les autres dont les pertes subies dans l'exercice de leurs activités agricoles sont déductibles de leur revenu total au même titre que toute autre perte d'entreprise. L'article 31 vise manifestement à s'écarter quelque peu de la règle générale de la déductibilité lorsque les pertes agricoles ont été subies par des contribuables pour qui l'agriculture est une source de revenu sans être la seule. La catégorie des «véritables agriculteurs», c'est-à-dire ceux qui exerçent des activités agricoles non pas comme loisir mais en vue d'en tirer un profit immédiat ou éventuel, devra être de nouveau divi- sée entre ceux pour qui l'agriculture ou une combi- naison de l'agriculture et de quelqu'autre source constitue la «principale source de revenu» et ceux pour qui elle ne l'est pas.
Ainsi, deux déterminations successives sont nécessaires pour établir si les pertes agricoles d'un contribuable seront non déductibles, partiellement déductibles ou entièrement déductibles de ses autres sources de, revenu. En ce qui concerne la première détermination, laquelle repose sur les notions d'entreprise et d'expectative de profit, voici ce qu'a déclaré le juge Dickson dans l'arrêt Mol- dowan, précité (aux pages 485 et 486):
Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. A mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive.
Il est inévitable qu'une détermination qui exige la prise en considération d'un si grand nombre de facteurs soit parfois difficile. Elle n'en demeure pas moins, à mon sens, une détermination de base, ayant en vue deux groupes tout à fait opposés; soit ceux qui font de l'agriculture comme passe-temps et pour leur agrément et ceux qui en font de façon sérieuse en vue d'en tirer un profit. Les caractéris- tiques des deux groupes sont si différentes que le rôle de chaque facteur dans cette qualification s'en trouve d'autant simplifié. Ainsi, le programme que se fixe une personne pour mettre sur pied une entreprise agricole, y compris le délai qu'elle s'ac- corde pour réaliser son expectative de profit, ne peut avoir aucune incidence sur la détermination du groupe auquel elle appartient, à moins qu'elle ait formulé son programme de telle façon qu'on puisse douter de sa parole lorsqu'elle affirme que l'agriculture n'est pas pour elle une distraction ou un passe-temps. Je ne crois pas que toute personne bien au courant des faits aurait de la difficulté en l'espèce à se rendre compte que l'intimé ne faisait pas de l'agriculture comme passe-temps. C'est évi- demment la deuxième détermination exigée par l'article 31 qui pose véritablement un problème, non pas tellement parce qu'elle implique une sous- division, mais pour la raison assez évidente que le critère donné par le législateur est imprécis. Qu'est-ce qui fait qu'une source de revenu est la principale parmi celles qu'un contribuable peut avoir, et quel sens doit-on donner au mot «combinaison»?
Pour répondre à ces deux questions, le juge Dickson a formulé les observations suivantes dans l'arrêt Moldowan, précité la page 486):
Déterminer si une source de revenu est la principale «source» de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu'il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale «source» de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonna- ble de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analy ser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modifi cation de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas.
Voici ce qu'il ajoute, à la page 487, après avoir évoqué les règles de droit contenues à la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu de 1917:
On ne retrouve pas le mot «rapport» à l'art. 13 de la présente Loi. Comme l'a dit le président Thorson dans un obiter dictum, dans Simpson c. Le ministre du Revenu national [[ 19 6 1 1 C.T.C. 174], rien ne justifie pareille limitation. Je partage ce point de vue. Voir également Dorfman c. Le ministre du Revenu national, précité, à la p. 154 et Bert James c. Le ministre du Revenu national [[1973] C.T.C. 457], à la p. 464.
Il est clair que le mot «combinaison» utilisé à l'art. 13 ne vise pas la simple addition des deux sources de revenu d'un contri- buable. En ce cas en effet, un contribuable pourrait combiner les pertes provenant de son exploitation agricole et sa plus importante source de revenu, constituant de ce fait sa principale source. Je ne pense pas que ce soit la bonne interprétation du par. 13(1). En réalité, cela signifierait que la limite prévue à cet article ne serait jamais applicable et que, dans chaque cas, le contribuable pourrait déduire l'intégralité des pertes provenant de son exploitation agricole.
Il restait toutefois à préciser ce qui constituait une "principale source" et ce qu'il fallait entendre par
«combinaison». C'est alors que le juge en chef a exposé sa définition des trois catégories d'agricul- teurs que la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble, savoir (aux pages 487 et 488):
(1) le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;
(2) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une
entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;
(3) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe- temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploita tion agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.
Il poursuit en écrivant:
Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la l fe catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie: le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à $5,000. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit perti- nente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale «source» de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la I" catégorie unique- ment parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une per- sonne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.
La présente espèce concerne un homme dont les capacités et le dévouement comme agriculteur sont exceptionnels et, en ce sens, il s'agit d'une affaire extraordinaire. La situation qu'elle présente n'est cependant certes pas unique et la question qu'elle soulève dépasse les faits qui lui sont propres. Je crois que l'avocat de l'appelante avait raison de présenter la cause comme une cause type. La question générale qui se pose est la suivante: peut-on considérer qu'un employé à plein temps, qui monte une entreprise agricole sans quitter son emploi, tire de l'agriculture sa principale source de revenu, au sens de l'article 31 de la Loi, avant même d'être en mesure d'exploiter une entreprise susceptible de lui rapporter un bénéfice? La lec ture de l'arrêt Moldowan et les conclusions que j'en tire sur l'intention du législateur me convain- quent que la réponse à la question ne peut être que négative.
J'ai souligné précédemment que pour détermi- ner si quelqu'un fait de l'agriculture non un passe- temps mais une entreprise, il ne faut pas se laisser vraiment influencer par la rentabilité présente de
ses activités agricoles, ni par le temps qu'il lui faudra mettre pour que l'entreprise qu'il bâtit atteigne une certaine maturité ni par l'éloignement du moment il prévoit réaliser des profits. Mais je ne vois tout simplement pas comment on peut comparer les différentes sources de revenu d'un individu en vue de déterminer laquelle d'entre elles est la principale en omettant de tenir compte, de la même manière, de la capacité présente de chacune d'entre elles à produire des profits. Évidemment, les attentes de l'intéressé entrent en ligne de compte, mais pour que la détermination ait une certaine portée pratique, seules ses attentes réelles et actuelles sont à retenir, non ses simples projets et ses objectifs à long terme. Le contribuable doit pouvoir compter sur cette source, non dans un avenir éloigné mais dès maintenant, pour obtenir au moins une partie du revenu dont il a besoin pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
Il est vrai que la définition que le juge Dickson donne de l'agriculteur de la première catégorie dans l'arrêt Moldowan précité, s'appliquerait spontanément à la personne pour qui l'agriculture constitue «le centre de son travail habituel», et ce, sans égard au revenu qu'il peut espérer en tirer. La définition évidemment doit s'appliquer à celui qui se consacre entièrement à l'agriculture et pour qui l'agriculture constitue la seule source de revenu ou la seule activité lucrative courante. Mais je ne crois pas qu'on puisse considérer qu'un homme qui occupe un emploi à temps plein fait néanmoins de l'agriculture «le centre de son travail habituel» au sens cette expression est employée dans la définition. De plus, le juge Dickson précise, dans la deuxième partie de sa définition, que l'agriculteur dont il est question est celui qui considère «l'agri- culture» comme son «gagne-pain» et, je ne vois pas comment un homme qui, tout en occupant un emploi à temps plein, monte et exploite une entre- prise agricole, peut raisonnablement considérer «l'agriculture» comme son «gagne-pain» avant que son entreprise soit à tout le moins capable de lui rapporter des bénéfices. Il est également vrai que le juge Dickson parle de la «personne dont l'agri- culture est la préoccupation majeure» mais, il me semble que dans le contexte elle est utilisée, cette expression ne vise pas simplement les activi- tés physiques (auquel cas, il serait en tout état de cause douteux qu'une personne ait une autre préoccupation majeure que son emploi à plein
temps), mais les activités immédiatement lucrati- ves. Soutenir le contraire équivaudrait simplement à revenir au concept qui n'a plus cours appliqué par la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, soit le concept de l'«industrie principale». Finalement, je n'oublie pas que le juge Dickson termine ses remarques en soulignant qu'il ne faut pas faire perdre à une personne son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement. Mais, je ne crois pas que le concept des frais d'établissement puisse s'étendre à une période de plusieurs années durant lesquelles le contribuable entend construire lentement, par voie d'accroissement, d'expansion et d'acquisitions graduels, une entreprise qui vien- dra éventuellement à produire des revenus appréciables.
La raison d'être de la limite fixée par l'article 31 à la déductibilité des pertes agricoles est extrême- ment difficile à expliquer, étant donné qu'elle doit manifestement s'appliquer non seulement aux «personnes pour qui l'agriculture n'est qu'un passe- temps» et qui de toute façon auraient de la diffi culté à démontrer que l'agriculture constitue pour elles une source de revenu, mais également et même au premier chef, à certains agriculteurs sérieux et appliqués qui font de l'agriculture une entreprise. Il faut évidemment présumer que la raison d'être de la disposition est d'empêcher les abus qui, dans ce domaine, seraient plus difficiles à déceler. Il n'en demeure pas moins qu'aucune limite analogue ne semble avoir été fixée à la déductibilité de tout autre type de pertes d'entre- prise. L'opinion que j'ai sur la nature et la portée de cette limite me laisse d'autant plus désolé et j'aurais voulu ne pas me sentir obligé de la retenir. Malheureusement, la signification que j'accorde aux mots employés dans l'article ne me permet pas d'appuyer la conclusion du juge de première ins tance suivant laquelle cette disposition ne s'appli- querait pas en l'espèce.
Je suis par conséquent d'avis d'accueillir l'appel, de casser le jugement de la Division de première instance et de rétablir les nouvelles cotisations du Ministre.
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