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T-757-85
Affaire intéressant la Loi sur l'immigration de 1976
Et un appel formé par Baldev S. Kahlon devant la Commission d'appel de l'immigration, conformé- ment à la Loi sur l'immigration de 1976
Et Inder Singh Kahlon, Mohinder Kaur Kahlon et Parminderjit Kaur Kahlon
Division de première instance, juge McNair— Vancouver, 22 avril; Ottawa, 29 août 1985.
Déclaration des droits Audition impartiale Visas de visiteur refusés aux membres de la famille du requérant parce qu'ils ne sont pas réputés être des visiteurs de bonne foi Ils demandent à entrer au Canada pour témoigner devant la Commission d'appel de l'immigration au sujet du rejet de demandes de résidence permanente L'appel soulève une question de crédibilité Les règles de la Commission permet- tent aux parties de convoquer des témoins Le refus de délivrer les visas contrevient à l'art. 2e) de la Déclaration des droits qui interdit l'interprétation de lois de manière à priver une personne d'une audition impartiale Le requérant a été privé de la possibilité, en matière de procédure, de plaider adéquatement son appel L'adoption de la Charte a indiqué que l'attitude restrictive à l'égard de la Déclaration canadienne des droits doit être réexaminée L'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [19851 1 R.C.S. 177; 58 N.R. I est appliqué Déclaration canadienne des droits, S.R.C. /970, Appendice III, art. 2e) Règles de la Commis sion d'appel de l'immigration, C.R.C., chap. 943, art. 13.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Immigration Mandamus Demande visant à obtenir un mandamus ordonnant au Ministre d'autoriser les membres de la famille du requérant d'entrer au Canada afin de témoigner devant la Commission d'appel de l'immigration Le requérant invoque l'art. 7 de la Charte et l'art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits Les droits constitutionnels enchâssés dans ces dispositions législatives étendent-ils la portée du bref de man- damus L'intimé soutient que l'ordonnance de mandamus équivaut à rendre obligatoire la prise d'une décision adminis trative dans un sens particulier Demande accueillie Des décisions récentes de la Cour suprême du Canada ont atténué la distinction qui existe entre le domaine quasi judiciaire et l'exercice de fonctions purement administratives L'applica- tion des principes de justice naturelle et d'équité varie selon les circonstances de chaque cas Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e) Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18.
Droit constitutionnel Charte des droits Liberté et sécurité Demande visant à obtenir un mandamus pour contraindre le Ministre à accorder des visas aux membres de la famille du requérant afin qu'ils puissent témoigner à l'audi- tion de la Commission d'appel de l'immigration sur le rejet des demandes de résidence permanente Aucune preuve de
menace réelle ou probable à l'intégrité physique ou au bien- être du requérant L'art. 7 ne s'applique pas Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Immigration Demande visant à obtenir un mandamus obligeant le Ministre à accorder des visas de visiteur aux membres de la famille du requérant afin qu'ils puissent témoi- gner pendant l'audition de l'appel interjeté à l'encontre du rejet des demandes de résidence permanente L'appel sou- lève une question de crédibilité Le refus d'accorder le visa est fondé sur des considérations inappropriées et non pertinen- tes Délivrance d'une ordonnance de mandamus Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 9(1), 55, 79(1)b).
Il s'agit d'une requête introductive d'instance visant l'obten- tion d'un bref de mandamus enjoignant au Ministre d'accorder des visas de visiteur au père, à la mère et à la soeur du requérant. La demande de visas a été rejetée pour le motif que les requérants n'étaient pas réputés être des visiteurs de bonne foi au Canada. La demande de résidence permanente de la famille du requérant avait été précédemment rejetée parce que l'on n'avait pas établi que la fille était une personne à charge. La déclaration statutaire du père concernant la date de nais- sance de sa fille a été rejetée parce qu'elle était «non officielle, invérifiable et intéressée». Le requérant soutient que l'appel soulève une question de crédibilité, de sorte qu'il est important que sa famille comparaisse en personne devant la Commission d'appel de l'immigration. Il invoque l'article 7 de la Charte et l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits pour établir que le Ministre est tenu d'admettre les membres de sa famille à cette fin. La question en litige consiste à décider si les droits constitutionnels enchâssés dans cette disposition législative con- fèrent au bref de mandamus une portée plus étendue qu'aupa- ravant. Le requérant soutient qu'il a le droit de plaider son appel en présentant la meilleure preuve, c'est-à-dire en permet- tant aux témoins de comparaître en personne de façon à ce que la Commission puisse examiner la question de crédibilité en jugeant de leur comportement. Le requérant s'appuie sur l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [19851 1 R.C.S. 177; 58 N.R. 1. L'intimé soutient que la délivrance d'un bref de mandamus équivaudrait à rendre obli- gatoire l'exercice de pouvoirs discrétionnaires en matière admi nistrative dans un sens particulier, contrairement au principe général qui veut qu'un mandamus peut être délivré lorsqu'une obligation d'intérêt public doit être exécutée, mais qu'il ne peut dicter une conclusion particulière. L'article 13 des Règles de la Commission d'appel de l'immigration confère aux parties à un appel le droit de citer des témoins à comparaître.
Jugement: la demande est accueillie.
L'article 7 de la Charte ne s'applique pas. Rien dans la négation du droit revendiqué de faire témoigner les membres de la famille au cours de l'audition de l'appel ne contrevient à l'article 7 en privant le requérant de son droit à la «sécurité de sa personne». En l'absence de preuves à l'effet contraire, et mis à part les inquiétudes et les anxiétés normales imputables à la séparation, on ne peut présumer que l'article 7 peut englober toute menace réelle probable à l'intégrité physique ou au bien-être du requérant.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits interdit d'interpréter les lois de manière à priver une personne d'aune audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale. L'affaire Singh a donné un souffle et un sens nouveaux à la Déclaration canadienne des droits. Le juge Beetz a invoqué l'alinéa 2e) pour conclure que les dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 qui nient le droit à une audition étaient inopérantes. Le juge Wilson a souligné que l'adoption de la Charte a clairement indiqué aux tribunaux que toute attitude restrictive qu'ils ont adoptée à l'égard de la Déclara- tion canadienne des droits devrait être réexaminée. Elle ajoute que la distinction entre l'activité administrative dans le domaine quasi judiciaire et l'exercice de fonctions purement administratives avait été presque éliminée par les décisions rendues dans les affaires Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602 et Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735. Dans la cause Matsqui, on a déclaré que l'application des principes de justice naturelle et d'équité variera selon les circonstances de chaque cas. Le juge Wilson a cité en l'approuvant le principe tiré de l'arrêt Duke c. la Reine, [1972] R.C.S. 917, selon lequel l'alinéa 2e) signifie que le tribunal appelé à se prononcer sur les droits d'une personne «doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu'il doit donner à l'accusé l'occasion d'exposer adéquatement sa cause.. Elle a fait remarquer qu'un tribunal pourrait difficilement satisfaire aux exigences de la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d'observations écrites, des conclusions en matière de crédibilité.
Le refus d'accorder les visas a privé le requérant d'un recours en matière de procédure et de la possibilité raisonnable de plaider adéquatement son appel, de sorte que cela équivaut à nier son droit à une audition impartiale conformément aux principes de justice fondamentale. Le refus de délivrer les visas constitue l'exercice arbitraire d'un pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations inappropriées et non pertinentes. Le motif de refus était le "présumé" jugement initial selon lequel les personnes à qui l'entrée a été refusée n'étaient pas des visiteurs de bonne foi. On n'a pas tenu compte des conséquences que cela pourrait avoir sur l'audition impartiale de l'appel. La raison alléguée n'avait aucune valeur.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S 177; 58 N.R. 1; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Duke c. la Reine, [1972] R.C.S. 917.
DÉCISION EXAMINÉE:
Vardy c. Scott et autres, [1977] 1 R.C.S. 293; (1976), 66 D.L.R. (3d) 431.
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
AVOCATS:
Guy Riecken pour le requérant. Mitchell Taylor pour l'intimé.
PROCUREURS:
John Taylor & Associates, Vancouver, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une requête intro- ductive d'instance présentée par le requérant, sur le fondement de l'article 18 de Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], afin d'obtenir un bref de mandamus aux conditions et pour les motifs énoncés comme suit dans son avis de requête:
[TRADUCTION]
1. En vue d'exposer les raisons pour lesquelles un bref de mandamus ne devrait pas être signifié au ministre de l'Emploi et de l'Immigration, lui enjoignant de délivrer des visas de non-immigrant à Inder Singh Kahlon, à Mohinder Kaur Kahlon et à Parminderjit Kaur Kahlon afin de leur permettre d'entrer au Canada, ou de les autoriser de quelque autre manière à y entrer, afin qu'ils puissent témoigner lors de l'appel formé par ledit Baldev S. Kahlon devant la Commission d'appel de l'immigration.
2. En vue d'obtenir le redressement résultant.
3. En vue d'être remboursé de ses frais dans la présente action.
M. Baldev S. Kahlon est un nouveau citoyen canadien habitant à North Delta (Colombie-Bri- tannique) qui souhaite que son père, sa mère et sa sœur, qui sont de Khanowal (Inde), viennent le rejoindre au Canada. Il a parrainé leur demande de résidence permanente à titre de personnes appartenant à la catégorie de famille, demande qui a été rejetée par un fonctionnaire de l'immigration à New Delhi. L'appel formé par M. Kahlon devant la Commission d'appel de l'immigration en sa qualité de parrain est en instance.
Le 19 mars 1985, le père et la mère du requé- rant, Inder Singh Kahlon et Mohinder Kaur Kahlon, et sa soeur, Parminderjit Kaur Kahlon, ont déposé, sur le fondement du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], des demandes de visas au Haut Commissariat du Canada afin d'entrer au
Canada à titre de visiteurs pour témoigner à l'au- dition de l'appel de M. Kahlon devant la Commis sion d'appel de l'immigration. L'agent des visas a rejeté leurs demandes pour le motif que les requé- rants [TRADUCTION] «n'étaient pas réputés être des visiteurs de bonne foi au Canada».
L'appel découle d'une demande de résidence permanente présentée en 1983 qui avait été rejetée pour le motif que l'on n'avait pas établi que la fille était une personne à charge au sens de la Loi et du Règlement, c'est-à-dire qu'elle était âgée de moins de 21 ans. La déclaration statutaire du père selon laquelle sa fille est née le 20 septembre 1964 a été rejetée sommairement parce qu'elle était [TRA- DUCTION] «non officielle, invérifiable et intéres- sée». Le requérant soutient que l'appel soulève d'abord et avant tout la question de sa crédibilité, de sorte qu'il est essentiel que son père, sa mère et sa soeur soient admis temporairement au Canada afin de comparaître en personne devant la Com mission d'appel de l'immigration. Par conséquent, il soutient que le Ministre est tenu de les admettre temporairement et invoque à l'appui de sa préten- tion, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III].
La question en litige est de savoir si les droits constitutionnels enchâssés dans ces dispositions législatives confèrent au bref de mandamus une portée plus étendue qu'auparavant en habilitant la Cour à contraindre le Ministre à permettre à ces personnes de séjourner temporairement au Canada afin qu'elles puissent témoigner lors de l'appel en matière d'immigration.
L'avocat du requérant, Riecken, soutient que l'article 7 de la Charte et l'alinéa 2e) de la Décla- ration canadienne des droits confèrent à son client le droit de pouvoir plaider son appel en présentant la meilleure preuve, et que cela ne peut se faire qu'en contraignant le Ministre à permettre aux membres de sa famille de séjourner temporaire- ment au Canada à titre de visiteurs dans le but de témoigner lors de l'appel, nonobstant le fait que leurs témoignages peuvent être recueillis en Inde au moyen d'une commission ou de lettres rogatoi- res ou par une forme quelconque d'interrogatoire
spécial. Tout en reconnaissant l'utilité virtuelle de ces procédures, il prétend qu'elles sont inadéquates dans la mesure le litige porte sur une question de crédibilité que la Commission d'appel de l'im- migration doit pouvoir examiner en jugeant du comportement des témoins. Mc Riecken accorde beaucoup d'importance à une récente décision de la Cour suprême du Canada Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; 58 N.R. 1.
Il va sans dire que l'avocat de l'intimé, Taylor, conteste ce point de vue. Il prétend d'abord qu'on ne peut avoir recours à un mandamus pour exiger qu'un visa de visiteur soit délivré aux trois membres de la famille parce que cela équivaudrait à rendre obligatoire l'exercice de pouvoirs discré- tionnaires en matière administrative dans un sens particulier. Selon lui, la cause Singh porte sur les droits des réfugiés au sens de la Convention et ne s'applique donc pas à l'espèce. Il prétend en outre que si le témoignage des membres de la famille est à ce point important pour l'appel du parrain, rien n'empêche qu'il soit recueilli en Inde sur bande magnétoscopique ou au moyen d'une commission rogatoire. Sa dernière objection porte que les trois membres de sa famille à qui les visas ont été refusés ne sont pas directement partie à la présente demande, et que ce seul motif justifie le rejet de la demande. À mon sens, il s'agit d'une objection de forme dénuée de tout fondement véritable.
Le point capital de l'affaire est exposé avec justesse dans les derniers paragraphes de l'affidavit de M. Kahlon, qui sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] 10. Je crois que pour les fins de mon appel devant la Commission d'appel de l'immigration, les témoigna- ges de Inder Singh Kahlon, Mohinder Kaur Kahlon et Parmin- derjit Kaur Kahlon constituent la meilleure preuve concernant la question principale de l'appel, à savoir l'âge exact de Parmin- derjit Kaur Kahlon, et que l'absence d'une telle preuve nuirait à mon appel.
11. J'ai préparé le présent affidavit à l'appui de ma demande visant à obtenir une ordonnance de la Cour enjoignant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de permettre à mon père, à ma mère et à ma soeur susmentionnés d'être admis temporairement au Canada afin d'y témoigner.
En principe, un mandamus peut être délivré lorsqu'une obligation d'intérêt public doit être exé- cutée, mais il ne peut dicter une conclusion parti- culière. Il peut servir à remédier à l'exercice arbi- traire ou illicite d'un pouvoir discrétionnaire accordé par la Loi, qui se fonde sur des considéra- tions inappropriées ou non pertinentes.
Voici comment le juge Dickson [tel était alors son titre] a résumé la question dans la cause Vardy c. Scott et autres, [1977] 1 R.C.S. 293, la page 301; (1976), 66 D.L.R. (3d) 431, la page 437:
Un mandamus ne sera émis que si la personne ou l'organisme visé a l'obligation non discrétionnaire de faire ce que l'ordon- nance lui enjoint de faire. En l'espèce, la requête déposée par l'appelant n'indique pas la source du droit à appliquer ... [C'est moi qui souligne.]
Le requérant fonde son appel sur l'alinéa 79(1)b) de la Loi sur l'immigration de 1976. La source du droit en cause, et à plus forte raison celle de l'obligation que l'on cherche à faire respecter est prévue à l'article 13 des Règles de la Commis sion d'appel de l'immigration, C.R.C., chap. 943, qui prévoit:
13. (1) Les parties à un appel peuvent faire entendre des témoins sous serment ou au moyen d'une déclaration solennelle.
(2) Les dépenses d'un témoin sont à la charge de la partie qui l'a convoqué.
Les dispositions législatives reconnaissent le droit de faire entendre des témoins au cours d'un appel en matière d'immigration, et ce droit entre en conflit avec l'exercice d'une fonction exécutive ou administrative relativement au concept général de justice fondamentale.
Dans l'affaire Singh, précitée, les appelants ont invoqué leurs droits de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, droits qui leur ont été niés sans qu'ils aient pu se faire entendre. La Cour était divisée quant aux motifs pour les- quels elle a accueilli l'appel. Madame le juge Wilson, en son nom et au nom du juge en chef Dickson et du juge Lamer, a statué que les requé- rants pouvaient revendiquer la protection prévue à l'article 7 de la Charte qui garantit que «Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fon- damentale» et que l'expression «sécurité de sa per- sonne» doit englober tout autant la protection contre la menace d'un châtiment corporel ou de souffrances physiques que la protection contre le châtiment lui-même. La Cour a jugé qu'un réfugié au sens de la Convention a le droit, en vertu de l'article 55 de la Loi sur l'immigration de 1976, de ne pas «être renvoyé dans un pays sa vie ou sa liberté seraient menacées ...» et que la négation d'un tel droit correspond à une atteinte à la «sécu- rité de sa personne» au sens de l'article 7 de la
Charte. Même si à ce stade les appelants ne pou- vaient invoquer les droits de réfugié au sens de la Convention, compte tenu des conséquences virtuel- les de la négation de ce statut, ils étaient en fait des personnes «craignant avec raison d'être persé- cutées» et avaient donc droit à une audition de façon à ce que leur statut soit déterminé conformé- ment aux exigences de la justice fondamentale.
Le juge Beetz, en son nom et au nom des juges Estey et McIntyre, a statué que la procédure d'examen et la procédure de réexamen du statut de réfugié au sens de la Convention violaient l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits qui garantit aux appelants le droit à «une audition impartiale de sa cause, selon les principes de la justice fondamentale», même si ces principes n'exi- gent pas toujours la tenue d'une audition. Le con- tenu de la notion de justice fondamentale sur le plan de la procédure dans un cas donné dépend de la nature des droits en cause reconnus par la loi et de la gravité des conséquences pour les personnes concernées. Des menaces à la vie ou à la liberté de la part d'une puissance étrangère sont des facteurs pertinents en ce qui concerne le genre d'audition justifié dans les circonstances.
L'article 7 de la Charte s'applique-t-il en l'es- pèce? Je ne le crois pas. Je ne vois pas en quoi la négation du droit revendiqué de faire témoigner les membres de sa famille au cours de l'audition de l'appel contreviendrait à l'article 7 et priverait le requérant de son droit à la «sécurité de sa per- sonne». Tout en reconnaissant l'étroitesse des liens qui l'unissent à sa famille et son désir louable d'être réuni avec ses parents, j'estime que même en entendant l'expression «sécurité de personne» de l'article 7 de la Charte dans son sens le plus large, on ne peut présumer qu'en l'absence d'une preuve convaincante à l'effet contraire et mis à part les inquiétudes et les anxiétés normales imputables à la séparation, elle puisse englober toute menace réelle ou probable à l'intégrité physique ou au bien-être du requérant. Par conséquent, l'argu- ment fondé sur l'article 7 de la Charte est irrecevable.
En toute logique, il faut maintenant examiner l'application de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, qui dispose:
2. Toute loi du Canada ... doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un
quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
L'affaire Singh a donné un souffle et un sens nouveaux à la Déclaration canadienne des droits. Le juge Beetz a invoqué l'alinéa 2e) pour conclure que les dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 qui nient le droit à une audition étaient inopérantes.
Dans ses motifs, Madame le juge Wilson a souligné que l'adoption de la Charte a clairement indiqué aux tribunaux que toute attitude restric tive qu'ils ont adoptée à l'égard de l'application de la Déclaration canadienne des droits devrait être réexaminée.
Elle a en outre fait remarquer que la distinction qui existait auparavant entre l'activité administra tive dans le domaine quasi judiciaire et l'exercice de fonctions purement administratives s'était lar- gement atténuée en raison de la portée considéra- ble de deux décisions récentes de la Cour suprême du Canada: Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602 et Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [ 1980] 2 R.C.S. 735.
Dans l'arrêt Matsqui le juge Dickson a fait remarquer que «les principes de justice naturelle et d'équité ont mûri ces dernières années» et, après avoir passé en revue les sources appuyant ce point de vue, il a déclaré, à la page 622:
Les sources que j'ai mentionnées indiquent que l'application d'une obligation d'agir équitablement assortie d'un contenu procédural ne dépend pas de la preuve d'une fonction judiciaire ou quasi judiciaire. Même lorsque la fonction s'avère adminis trative à l'analyse, les cours peuvent intervenir dans un cas approprié.
Il a ensuite prononcé les conclusions suivantes, à la page 630:
A mon avis, il est erroné de considérer la justice naturelle et l'équité comme des normes distinctes et séparées et de chercher à définir le contenu procédural de chacune. Dans Nicholson, le juge en chef a parlé d'une «notion d'équité, moins exigeante que la protection procédurale de la justice naturelle traditionnelle». L'équité ne comporte le respect que de certains principes de justice naturelle. Le professeur de Smith (3' éd. 1973, p. 208) a lucidement exprimé le concept d'une obligation d'agir équitablement:
[TRADUCTION] Cela signifie en général l'obligation de res- pecter les principes élémentaires de justice naturelle à une fin limitée, dans l'exercice de fonctions qui, à l'analyse, ne sont pas judiciaires mais administratives.
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas ... [C'est moi qui souligne.]
Même si sa décision dans l'affaire Singh concer- nait principalement l'application de la Charte, Madame le juge Wilson a traité de la notion d'équité dans la procédure en examinant de manière générale le concept de justice fondamen- tale et en citant avec approbation le principe sui- vant énoncé par le juge en chef Fauteux dans l'arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, la page 923:
En vertu de l'art. 2(e) de la Déclaration des droits, aucune loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer de manière à le priver d'une «audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale». Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant, dans l'ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu'il doit donner à l'accusé l'occasion d'exposer adéquatement sa cause.
Le juge Wilson a fait ces commentaires impor- tants, aux pages 213 et 214 de l'affaire Singh:
Je ferai cependant remarquer que, même si les auditions fondées sur des observations écrites sont compatibles avec les principes de justice fondamentale pour certaines fins, elles ne donnent pas satisfaction dans tous les cas. Je pense en particu- lier que, lorsqu'une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d'audition. Les cours d'appel sont bien cons- cientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et elles sont donc très peu disposées à réviser les conclusions des tribunaux qui ont eu l'avantage d'entendre les témoins en personne: voir l'arrêt Stein c. Le navire .Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802, aux pp. 806 à 808 (le juge Ritchie). Je puis difficilement concevoir une situation un tribunal peut se conformer à la justice fonda- mentale en tirant, uniquement à partir d'observations écrites, des conclusions importantes en matière de crédibilité. [C'est moi qui souligne.]
La Commission d'appel de l'immigration est maître de sa procédure, mais elle a néanmoins choisi de garantir dans un texte de loi le droit d'une partie de faire entendre des témoins pendant l'audition d'un appel en matière d'immigration. Le requérant revendique ce droit pour le motif que le véritable point en litige dans l'appel porte sur une question de crédibilité qui ne peut être tranchée convenablement que si des témoins sont entendus à l'audience. Ce fait est indiscutable, mais la Loi sur l'immigration de 1976 refuse à ces témoins d'en-
trer au Canada. Le Ministre et ses fonctionnaires prétendent que ceux-ci ne sont pas réputés être des visiteurs de bonne foi au Canada. Je ne peux concevoir une situation la bonne foi soit plus évidente que celle des personnes demandent à séjourner temporairement dans un pays afin de témoigner dans un appel, spécialement lorsque l'objet du litige est la détermination ultime de leurs droits. Leur bonne foi aurait-elle été plus évidente s'ils avaient demandé des visas de congé ou de vacances? Je ne le crois pas.
Le point véritable en litige est bien sûr le droit de M. Kahlon de faire entendre les membres de sa famille comme témoins pendant l'audition de l'ap- pel. La question qui se pose est la suivante: le refus d'accorder au père, à la mère et à la soeur du requérant des visas de visiteur a-t-il privé ce der- nier d'un recours en matière de procédure et de la possibilité raisonnable de plaider adéquatement son appel, de sorte que cela équivaut dans les circonstances, à nier son droit à une audition impartiale, qui lui est reconnu par les principes de la justice fondamentale et par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits? J'estime que oui.
De plus, je considère que dans les circonstances en l'espèce, le refus d'accorder des visas n'est rien de plus que l'exercice arbitraire d'un pouvoir dis- crétionnaire fondé sur des considérations inappro- priées et non pertinentes. Le motif avoué de refus était le "présumé" jugement initial selon lequel les personnes à qui l'entrée a été refusée n'étaient pas des visiteurs de bonne foi au Canada. Même si cela n'a pas été dit, il faut en déduire que ce jugement découle du fait que les personnes à qui l'entrée a été refusée voulaient témoigner lors de l'appel du requérant en matière d'immigration. On ne semble pas avoir tenu compte des conséquences que cela pourrait avoir sur l'audition impartiale de l'appel. Compte tenu des circonstances, j'estime que la raison alléguée n'avait aucune valeur ou qu'elle ne constituait pas un motif suffisant pour empêcher l'exercice du contrôle judiciaire.
Pour ces motifs, la requête est accordée et une ordonnance de mandamus sera délivrée. Le requé- rant aura droit à ses dépens.
ORDONNANCE
1. Une ordonnance de mandamus est par les pré- sentes rendue, enjoignant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration d'accorder des visas de visiteur à Inder Singh Kahlon, Mohinder Kaur Kahlon et Parminderjit Kaur Kahlon afin de leur permettre de séjourner au Canada et de témoigner à l'audi- tion de l'appel en matière d'immigration de leur parrain, le requérant en l'espèce, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, ou d'autoriser lesdites personnes à séjourner au Canada aux fins susmentionnées en vertu d'un permis du Ministre ou de tout autre moyen auto- risé par la Loi.
2. Le requérant aura droit aux dépens de la pré- sente requête dès que ceux-ci auront été taxés.
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