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T-1477-84
Brenda J. Miller (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Reed—Winni- peg, 26 juin; Ottawa, 3 juillet 1985.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Intérêt L'argent reçu à titre de paiement rétroactif de salaire en vertu d'une convention collective constitue-t-il un «intérêt»? Dans sa déclaration, le contribuable a indiqué que la somme d'argent constituait un revenu tiré d'intérêts et l'a déduite en application de l'art. 110.1(1) Déduction refusée, la somme d'argent n'étant pas considérée comme un intérêt Critères permettant de qualifier une somme d'«inté- rêt» Il ne fait pas de doute que la somme payée a été calculée sur une base quotidienne et qu'elle avait le caractère d'une indemnité versée en contrepartie de l'usage de l'argent retenu Le droit à un principal est contesté Il n'est pas nécessaire qu'existent un droit conditionnel à un capital et une formule préétablie permettant de le calculer pour qualifier les sommes versées d'intérêt Ni la common law, ni l'art. 110.1(1), ni la jurisprudence n'établissent de telles exigences Appel accueilli Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 6(1)a), 12(1)c), 110.1(1),(2),(3) (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 70(1)) The Public Schools Act, L.R.M. 1970, chap. P-250, art. 376b), 391(8), 394.
La demanderesse, enseignante dans une école publique, avait droit, conformément à une sentence arbitrale prononcée en décembre 1980 et incorporée à une convention collective, au versement d'un salaire rétroactif au ler janvier 1980. La con vention prévoyait également que l'employeur paierait des inté- rêts calculés sur le salaire rétroactif net qui pourrait être versé à la demanderesse. Dans le calcul de son impôt pour l'année d'imposition 1980, la demanderesse a indu, au titre de revenu tiré d'intérêts, la somme de 62,51 $ qu'elle a reçue en applica tion de la convention collective. Elle a ensuite déduit cette somme en application du paragraphe 110.1(1) de la Loi. Ce paragraphe permet de déduire une somme maximale de 1 000 $ au titre de l'intérêt dans le calcul du revenu imposable. La Cour canadienne de l'impôt a statué que la somme de 62,51 $ ne constituait pas un intérêt et ne pouvait donc pas être déduite.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
Une somme d'argent ne saurait être qualifiée d'intérêt à moins de satisfaire à trois critères: (1) la somme payée doit être calculée sur une base quotidienne; (2) elle doit être calculée sur un principal ou sur un droit à ce principal; et (3) il doit s'agir d'une indemnité versée en contrepartie de l'usage d'un principal ou du droit à un principal.
Le respect du premier et du troisième critère n'est pas contesté. La défenderesse soutient que la deuxième condition n'a pas été remplie parce que, à l'époque en cause, aucun principal déterminé ou déterminable n'était à la demande- resse. Selon la défenderesse, le droit de la demanderesse à ce que son salaire de 1980 soit finalement déterminé ne constituait pas un droit conditionnel à un principal parce qu'il n'existait
pas, avant le début des négociations, une formule permettant de calculer le salaire de 1980. La position de la défenderesse repose sur la décision qu'a rendue la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Huston v. Minister of National Revenue, et celle qu'a rendue la Cour fédérale du Canada dans Perini, R. J., succes sion de c. La Reine. S'il avait existé une formule permettant de calculer cet intérêt au cas un capital serait finalement exigible, le paiement litigieux pourrait à juste titre être qualifié d'intérêt.
Aucun des éléments soulignés plus haut n'est une caractéris- tique essentielle de la notion d'intérêt. Ils n'ont pas leur source dans la common law. Il ne s'agit ni d'exigences aux fins du paragraphe 110.1(1) ni d'exigences découlant des décisions rendues dans les affaires Huston et Perini. Le fait que la somme soit déterminable selon une formule convenue d'avance (comme dans l'affaire Perini) ou qu'elle fasse l'objet de négo- ciations pendant la majeure partie de la période (comme en l'espèce) ne vient pas modifier le caractère de la somme qui a été finalement accordée à titre d'intérêt. Dans les deux cas, il s'agit d'une indemnité versée en contrepartie de la détention de sommes dues à la demanderesse; cette indemnité est payée en fonction d'un principal et est calculée sur une base cumulative. On ne peut prétendre qu'en faisant une distinction entre les décisions Perini et Huston, la Cour d'appel fédérale a voulu faire de l'existence d'un principal déterminable exigible au début de la période à laquelle se rapportaient les intérêts une condition essentielle de l'existence d'un intérêt. De plus, les causes Huston et Perini ne constituent pas des précédents établissant qu'il ne saurait s'agir d'intérêt, si la formule permet- tant de déterminer le montant de l'intérêt n'a pas été établie avant le début de la période à laquelle il se rapporte. Les parties sont libres de régir leurs rapports au moyen d'accords rétroac- tifs. Et, s'ils le font, il leur est loisible de prévoir le paiement d'intérêts sur la somme en souffrance au cours de la période en cause.
Les intérêts accordés avant jugement dans les cas de récla- mation de dommages-intérêts (particulièrement en matière de responsabilité délictuelle) présentent une situation analogue. Il ne fait pas de doute que Revenu Canada considère ces paie- ments comme des intérêts et les impose comme tels.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Reference as to the Validity of Section 6 of the Farm Security Act, 1944 of Saskatchewan, [1947] R.C.S. 394; Huston v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.É. 69; (1961), 61 DTC 1233; Perini, R. J., succession de c. La Reine (1982), 82 DTC 6080 (C.F. Appel).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney -General for Ontario v. Barfried Enterprises Ltd., [1963] R.C.S. 570; Riches v. Westminster Bank, Ltd., [1947] 1 All E.R. 469 (H.L.); Simpson v. The Executors of Bonner Maurice as Executor of Edward Kay (1929), 14 T.C. 580 (K.B.); Trollope & Colis, Ltd. and Holland & Hannen and Cubitts, Ltd., Trading as Nuclear Civil Constructors (a firm) v. Atomic Power Constructions, Ltd., [1962] 3 All E.R. 1035 (Q.B.).
AVOCATS:
Cy M. Fien et Celia Gorlick pour la
demanderesse.
Eric Atkinson pour la défenderesse. PROCUREURS:
Simkin, Gallagher, Winnipeg, pour la deman- deresse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED: Appel est interjeté du refus de la Cour canadienne de l'impôt de permettre à la demanderesse de déduire la somme de 62,51 $ de son revenu imposable pour l'année d'imposition 1980. On s'en doute bien, le montant lui-même n'est pas le motif du présent appel. Il s'agit d'un cas type qui soulève la question de la qualification de certaines sommes d'argent reçues à titre de paiement rétroactif de salaire en vertu d'une con
vention collective.
La convention collective régissant l'emploi de la demanderesse comme enseignante dans une école publique du Manitoba est venue à échéance le 31 décembre 1979, et les parties n'ont pu s'entendre sur les termes d'une nouvelle convention. La ques tion a été soumise à l'arbitrage exécutoire en octo- bre 1980'. Prononcée en décembre 1980, la sen tence arbitrale accordait à la demanderesse, pour l'année d'imposition 1980, une augmentation de 10,5 % par rapport à son salaire de 1979. L'article
24 de cette sentence est libellé comme suit:
[TRADUCTION] Le conseil d'arbitrage décide que les membres de l'association ont droit à des intérêts sur le salaire rétroactif pour la convention de 1980, compter de la date le salaire était dû. Ceux-ci seront calculés à partir du salaire net du membre (c'est-à-dire, le salaire brut moins les déductions au titre de l'impôt sur le revenu, de l'assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada) au taux de 8 % par année ou au taux moyen du crédit de la Division au cours de la période de 12 mois du 1" janvier 1979 au 31 décembre 1979, le moins élevé de ces deux taux étant applicable.
Le paragraphe 391(8) de la Public Schools Act du Mani- toba, L.R.M. 1970, chap. P-250, dispose qu'une sentence d'un conseil arbitral lie l'employeur et les employés, et l'article 394 prévoit la signature d'une convention collective qui fait suite à la sentence.
Une convention collective incorporant la sen tence arbitrale a été signée le 11 février 1981 avec effet rétroactif au ler janvier 1980. L'article 17 de cette convention prévoyait que l'employeur verse- rait:
[TRADUCTION] ... des intérêts sur le montant net de tout salaire rétroactif qui pourrait être versé à ses membres (c'est-à- dire, le salaire brut moins les déductions au titre de l'impôt sur le revenu, de l'assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada), intérêts devant être calculés à partir des dates ces sommes auraient été dues, jusqu'à la date de leur versement effectif.
Ces intérêts seront calculés au taux de 8 % par année ou au taux moyen du crédit de la Division [l'employeur] au cours de la période de douze mois du 1" janvier 1979 au 31 décembre 1979, le moins élevé de ces deux taux étant applicable.
Dans le calcul de son impôt pour l'année d'impo- sition 1980, la demanderesse a inclus, au titre de revenu tiré d'intérêts, la somme de 62,51 $ qu'elle a reçue en application de cet article. Elle a ensuite déduit cette somme en vertu du paragraphe 110.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1; 1974-75-76, chap. 26, art. 70(1))]. Sous réserve de certaines conditions qui ne s'appliquent pas en l'espèce, le paragraphe 110.1(1) permet de déduire une somme maximale de 1 000 $ au titre de l'intérêt dans le calcul du revenu imposable.
La demanderesse prétend que la somme de 62,51 $ constitue un intérêt déductible alors que la défenderesse soutient le contraire.
Il est admis que cette somme, si elle constitue un intérêt, continue de l'être même si elle est tirée d'un emploi. Les avocats de la demanderesse ont fait valoir que si on conclut que cette somme est un intérêt et relève donc de l'alinéa 12(1)c), elle ne peut être considérée comme un bénéfice provenant d'un emploi et est donc assujettie à l'alinéa 6(1)a). Ils fondent leur prétention sur la règle d'interpré- tation des lois selon laquelle on doit interpréter les dispositions de portée générale en tenant compte des dispositions ayant un caractère plus spécifique. On a fait observer que l'alinéa 12(1)c), qui men- tionne expressément l'intérêt, est plus spécifique que le concept plus général d'avantages tirés d'un emploi mentionné à l'alinéa 6(1)a). La défende-
resse ne conteste pas cette interprétation; les par ties reconnaissent que si la somme en cause consti- tue un intérêt, il s'agit d'un revenu tiré d'intérêts, lequel peut être déduit.
Il est admis que la Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas ce qu'est un intérêt et que les divers articles qui en traitent (12(1)c), 110.1(1), 110.1(2), 110.1(3) et s.) et qui sont censés exclure ou qui excluent des sommes à certaines fins à titre d'intérêt, ne sont pas d'une grande utilité. Il faut s'en remettre aux principes généraux d'interpréta- tion, aux définitions des dictionnaires et à la juris prudence. À cet égard, le sens usuel du terme «intérêt» est révélateur.
La défenderesse soutient que pour qu'une somme soit qualifiée d'intérêt, trois critères doi- vent être remplis: (1) l'intérêt doit être calculé sur une base quotidienne 2 ; (2) il doit être calculé sur un principal ou sur un droit à ce principal; et (3) il doit s'agir d'une indemnité versée en contrepartie de l'usage d'un principal ou du droit à un principal.
On s'entend généralement sur la nécessité de satisfaire à ces critères et sur le fait que les premier et troisième critères ont été remplis en l'espèce. Il ne fait pas de doute que la somme payée a été calculée sur une base quotidienne. Les parties reconnaissent que le paiement avait le caractère d'une indemnité versée en contrepartie de l'usage de l'argent retenu, même si l'avocat de la défenderesse soutient que si je constatais que le deuxième critère avait été effectivement rempli, le troisième ne le serait donc pas.
On a fait valoir que le deuxième critère n'a pas été respecté parce que, à l'époque en cause, aucun principal déterminé ou déterminable n'était à la demanderesse. Jusqu'en décembre 1980, la deman- deresse n'avait droit à aucune augmentation de salaire sur laquelle un intérêt pouvait être versé (le conseil d'arbitrage aurait pu accorder aux
2 Ce principe se fonde sur les arrêts Attorney -General for Ontario v. Barfried Enterprises Ltd., [1963] R.C.S. 570, la p. 575 et Riches v. Westminster Bank, Ltd., [1947] 1 All E.R. 469, à la p. 478 (H.L.).
employés un taux de rémunération inférieur au taux de rémunération temporaire qu'ils recevaient en 1979)'.
À l'appui de sa thèse, la défenderesse invoque la définition de l'intérêt qu'a donnée le juge Rand dans l'arrêt Reference as to the Validity of Section 6 of the Farm Security Act,_1944 of Saskatche- wan, [1947] R.C.S. 394, aux pages 411 et 412:
[TRADUCTION] L'intérêt est, décrit en termes généraux, le rendement, la contrepartie ou l'indemnité valant pour l'utilisa- tion ou la détention, par une personne, d'une somme d'argent qui appartient, au sens familier, à une autre personne ou qui lui est due. Il peut y avoir d'autres caractéristiques, mais elles sont sans importance en l'espèce. La relation entre l'obligation de payer intérêt et celle de rembourser le principal a été traitée dans nombre de décisions ... cette jurisprudence établit nette- ment que la première obligation—cela dépend de ses modali- tés—peut être indépendante de la seconde, ou que toutes deux peuvent être parties intégrantes d'une même obligation, ou que ledit intérêt peut n'être qu'un accessoire du principal.
Mais, aussi bien que l'obligation, la définition présuppose que l'intérêt porte sur un principal en espèces, ou sur une obligation de payer en espèces. En l'absence de cette relation structurale de fait et quelle que soit la base du calcul de la somme, nulle obligation de verser de l'argent ou de remettre des biens ne peut être présumée inclure une obligation de payer intérêt.
Je ne crois pas que les commentaires du juge Rand aient la portée que lui attribue la défende- resse. À mon sens, ils indiquent simplement que pour déterminer si une somme constitue un intérêt, il est essentiel d'examiner ce à quoi elle se rap- porte. Si elle est versée relativement à un «princi- pal en espèces, ou [à] une obligation de payer en espèces», il existe alors une relation structurale qui indique qu'il s'agit d'un intérêt. En l'espèce, la somme a été versée relativement à un principal, c'est-à-dire la portion du salaire de la demande- resse à laquelle elle est devenue admissible au cours de l'année 1980, mais qui ne lui a pas été versée durant cette période. A mon sens, la déci- sion du juge Rand ne règle pas la question que soulève la défenderesse.
Le point de vue de la défenderesse repose égale- ment sur son analyse de deux décisions portant sur l'intérêt en vertu de la Loi de l'impôt sur le
L'alinéa 376b) de la Public Schools Act du Manitoba, L.R.M. 1970, chap. P-250, prévoit que lorsqu'une convention collective est venue à échéance et que l'employeur n'a pas encore signé une nouvelle convention, il ne peut, sans l'assenti- ment des enseignants, réduire les taux de rémunération ou modifier toute autre modalité ou condition d'emploi tant qu'un nouvel accord n'aura pas été conclu ou qu'un conseil d'arbi- trage n'aura pas tranché la question.
revenu: la décision de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Huston v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.É. 69; (1961), 61 DTC 1233, et celle de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Perini, R. J., succession de c. La Reine (1982), 82 DTC 6080. Cette allégation est plus difficile à évaluer. Dans l'affaire Huston, le gouvernement canadien avait accordé aux contribuables une indemnité provenant d'une caisse de réclamation de guerre, à la suite de la confiscation, par les Allemands, d'un bien (une usine sise en Tchécoslovaquie), dont ils étaient propriétaires en 1939 et qui avait été par- tiellement détruite en 1945. Un des règlements régissant la fixation du montant de l'indemnité à accorder prévoyait le versement d'un intérêt de 3 % pour la perte du bien à compter du ler janvier 1946 jusqu'au moment le Conseil du Trésor a approuvé la demande d'indemnité (en l'espèce, le 10 octobre 1958). Le ministre du Revenu national a traité ce paiement de 3 % comme un revenu tiré d'intérêts tandis que le contribuable prétendait qu'il s'agissait d'un paiement à titre de capital. Souscrivant à cette prétention, le juge Thurlow [tel était alors son titre] a déclaré, à la page 74 R.C.E.; 1236 DTC:
[TRADUCTION] J'estime que les sommes en cause ne sont pas des revenus tirés de biens parce que nonobstant la portée excessive de la définition qu'on trouve dans la loi, les appelants, au cours de la période du 1«r janvier 1946 au 10 octobre 1958 à l'égard de laquelle les prétendus «intérêts» ont été calculés, ne possédaient pas un droit de propriété ou un droit reconnu par la loi ou en equity sur la somme à partir de laquelle les prétendus «intérêts» ont été calculés.
Et plus loin, à la page 76 R.C.É.; 1237 DTC, citant un extrait de la décision Simpson v. The Executors of Bonner Maurice as Executor of Edward Kay (1929), 14 T.C. 580 (K.B.), à la page 593, il écrit:
[TRADUCTION] A mon avis, cette somme doit son existence à la décision d'indemnisation, et on ne peut lui attribuer nul histori- que, nulle caractéristique préalable.
Il poursuit, à la page 78 R.C.É.; 1238 DTC:
[TRADUCTION] Pendant ce temps [du l ef janvier 1946 au 10 octobre 1958], les appelants n'avaient droit à aucun principal, aucun intérêt ne s'ajoutait à un quelconque principal, et les appelants n'ont pas été privés d'une somme à laquelle ils avaient droit. En vérité, jamais au cours de la période en cause ils n'ont eu droit à une indemnité pour leur perte, et ils n'avaient pas droit à des intérêts et ne subissaient pas de perte de revenu à l'égard de laquelle ils pouvaient réclamer des intérêts, sous forme de dommages-intérêts ou d'indemnité.
Je ne connais aucun précédent l'on aille jusqu'à conclure qu'une telle somme, que vous l'appeliez intérêt, dommages-inté- rêts, indemnité ou de tout autre nom, est un intérêt ou un revenu, alors que le «principal» ne portait pas d'intérêt pendant la période considérée, et que le contribuable n'avait aucun droit sur le «principal» pendant cette période. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Perini, le contribuable avait vendu la totalité des actions qu'il détenait dans une entreprise en acceptant un versement initial auquel pouvaient s'ajouter d'autres versements au cours des trois années subséquentes si l'entreprise réali- sait des bénéfices nets d'impôt. Dans l'éventualité ces versements deviendraient exigibles, le con- trat de vente prévoyait également que l'acheteur paierait un intérêt de 7 % sur les sommes dues à compter de la date de la conclusion de la vente jusqu'au paiement. Le Ministre a considéré que les versements de 7 % étaient un revenu tiré d'intérêts. Invoquant l'arrêt Huston, le contribuable a pour sa part soutenu que les sommes n'étaient pas un intérêt, mais des paiements à titre de capital. Voici comment la Cour d'appel fédérale a décrit, à la page 6082, l'argumentation du contribuable:
En substance, l'appelant soutient que même si elles sont appe- lées intérêts, même si elles sont calculées comme si elles étaient des intérêts et même si elles jouent le rôle d'un intérêt, ces sommes ne sauraient être considérées comme des intérêts faute de posséder une caractéristique fondamentale: celle d'être pro- duites jour par jour par un principal existant. Le montant principal à partir duquel la somme appelée «intérêt» devait être calculée n'existait pas tant qu'il n'avait pas été déterminé par un état financier vérifié établi à la fin de l'exercice. Jusqu'à ce moment, il n'y avait aucun principal susceptible de produire un intérêt. [C'est moi qui souligne.]
La Cour a statué qu'il s'agissait d'intérêts, décla- rant à la page 6084:
Dans la présente affaire, il existait au départ, à la date de la signature de la convention, l'obligation de payer un prix à déterminer d'après la formule énoncée dans le paragraphe 1.3 de la convention, mais les montants précis des autres verse- ments à effectuer éventuellement d'après les clauses (ii), (iii) et (iv) n'étaient pas déterminés à cette date. L'obligation de verser d'autres sommes en acquittement du prix d'achat en application de ces dispositions était une obligation conditionnelle ou éven- tuelle. Elle dépendait de deux conditions qui pourraient être ou ne pas être remplies: il devait y avoir des profits nets, impôts payés, déterminés par des états financiers vérifiés et le vendeur devait être en vie. Ni l'une ni l'autre de ces conditions n'était une certitude, ce qui suffisait à faire de l'obligation de verser des sommes additionnelles une obligation éventuelle.
Et à la page 6085:
En raison de la base sur laquelle le solde éventuel du prix devait être déterminé, le vendeur était obligé d'attendre le versement
du solde. Pour compenser cette attente, il était approprié de payer un intérêt. A mon avis, ce qui distingue la présente affaire de l'affaire Huston, c'est qu'il existe à la date de la signature de la convention une obligation conditionnelle, ou une obligation éventuelle, de régler le solde du prix d'achat, obliga tion que les parties étaient en droit de considérer, aux fins de l'intérêt, comme étant devenue absolue avec effet rétroactif. [C'est moi qui souligne.]
D'après la défenderesse, le principe qui se dégage de ces décisions est que pour toucher des intérêts, il faut à tout le moins posséder un droit conditionnel à un principal existant à l'époque à laquelle se rapporte l'intérêt. Elle soutient que ce droit conditionnel ne peut exister que si, au début de la période à laquelle l'intérêt se rapporte, il existe une formule qui permette de calculer le montant qui sera éventuellement versé à titre de principal, même si, à l'évidence, le montant lui- même ne peut être déterminé précisément à ce moment. Ainsi, en l'espèce, le fait que la demande- resse avait le droit à ce que soit finalement déter- miné son salaire de l'année 1980 ne constitue pas, selon la défenderesse, un droit conditionnel à un principal. S'il avait existé, avant le début des négociations, une formule permettant de calculer son salaire de l'année 1980, même s'il se pouvait qu'en fin de compte son salaire de 1980 soit infé- rieur à celui de 1979, la défenderesse n'aurait eu aucune hésitation à admettre qu'il existait un droit à un principal.
Par ailleurs, si j'ai bien compris l'argument de la défenderesse, si les parties s'étaient entendues avant le début des négociations de 1980 sur une clause régissant l'intérêt, la défenderesse admet- trait qu'il s'agirait du paiement d'un intérêt. S'il avait existé, au début de la période, une formule permettant de calculer l'intérêt au cas un prin cipal serait finalement exigible, la défenderesse aurait alors admis que les paiements pouvaient, à juste titre être, qualifiés d'intérêt. Si je comprends bien l'argument de la défenderesse il en serait ainsi même si, en l'espèce, le principal ne pouvait pas être déterminé au début de la période il était dû.
Je peux difficilement conclure que ces éléments sont des caractéristiques essentielles de la notion d'intérêt. Je ne crois pas qu'elles soient présentes dans la notion d'intérêt établie en common law ni qu'il s'agisse d'une exigence essentielle aux fins du paragraphe 110.1(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Je ne crois pas non plus qu'il s'agisse d'exigences nécessaires découlant des décisions rendues dans les affaires Huston et Perini.
Le droit de la demanderesse à ce que son salaire soit finalement déterminé est semblable au droit du contribuable dans l'affaire Perini à recevoir des versements au cas il y aurait des bénéfices nets d'impôt. Dans les deux cas, il était possible qu'au- cune somme additionnelle ne soit versée. La seule différence est que pour l'un, la somme était déter- minable selon une formule convenue avant la période durant laquelle l'argent était mais non payé, alors que pour l'autre, cette somme avait fait l'objet de négociations pendant la majeure partie de cette période. Je ne vois pas en quoi cela vient modifier le caractère de la somme qui a été finale- ment accordée à titre d'intérêt. Dans les deux cas, il s'agit d'une indemnité versée en contrepartie de la détention de sommes dues à la demanderesse; cette indemnité est payée en fonction d'un princi pal et elle est calculée sur une base cumulative.
Même si la Cour d'appel fédérale semble faire une distinction entre les décisions Perini et Huston pour le motif qu'un principal déterminable était au début de la période à laquelle se rapportait le paiement d'intérêts, je ne crois pas que la Cour ait voulu faire de cette distinction subtile une condi tion essentielle de l'existence d'un intérêt. Le point principal de la décision Huston était à l'évidence que les paiements en cause étaient des subventions, y compris l'intérêt qui était censé en faire partie. Dans cette affaire, le gouvernement n'était aucu- nement tenu de dédommager le contribuable. Dans la cause Perini et dans la présente affaire, un principal était en raison des liens commerciaux entre les parties. Dans les deux cas, il y avait une obligation de payer au contribuable une somme restant à déterminer, conformément à ces liens contractuels. Les sommes dues n'avaient pas le caractère d'une subvention. En l'espèce, le princi pal devant être payé était une somme due pour le travail effectué au cours d'une période déterminée.
De même, je ne crois pas que les causes Perini et Huston posent le principe que, pour qu'il y ait un intérêt, il faut que la formule permettant de déter- miner le montant de l'intérêt ait été établie avant le début de la période à laquelle il se rapporte. Les parties sont libres de régir leurs rapports au moyen d'accords rétroactifs: Trollope & Colis, Ltd. and
Holland & Hannen and Cubitts, Ltd., Trading as Nuclear Civil Constructors (a firm) v. Atomic Power Constructions, Ltd., [1962] 3 All E.R. 1035 (Q.B.). Et, s'ils le font, il leur est loisible de prévoir le paiement d'intérêts sur la somme en souffrance au cours de la période en cause. Selon moi, la situation du contribuable dans la présente cause est similaire à celle du contribuable dans l'affaire Perini.
Les intérêts accordés avant jugement dans les cas de réclamation de dommages-intérêts (particu- lièrement en matière de responsabilité délictuelle) présentent une situation analogue. Ils s'apparen- tent aux intérêts accordés par le conseil d'arbitrage dans la présente affaire. Le demandeur a droit à une somme indéterminable à partir de la date de la perpétration du délit ou de l'inexécution du con- trat. La formule permettant de déterminer le mon- tant des intérêts, ou même la réponse à la question de savoir si des intérêts seront accordés, ne sont pas connues au début de la période à laquelle se rapporte l'intérêt. C'est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Pourtant il ne fait pas de doute que Revenu Canada considère ces paiements comme des intérêts et les impose comme tels: bulletin d'interprétation IT-396R, paragraphe 12 (daté du 29 mai 1984). (Les bulletins d'inter- prétation ne font évidemment pas autorité et ne sont qu'un des facteurs à prendre en considéra- tion.)
Selon moi, la somme de 62,51 $ constitue vérita- blement un paiement d'intérêt. Les parties ont convenu que leurs rapports seraient régis par un accord rétroactif, ce qui impliquait la détention de sommes d'argent dues à la demanderesse pour laquelle celle-ci a finalement été dédommagée. Les parties et le conseil d'arbitrage ont considéré que le dédommagement versé constituait un intérêt. Il a été calculé sur une base cumulative et on a tenu compte soit du taux normal d'intérêt qui prévalait alors, soit des frais d'emprunt de l'employeur. Je ne vois pas pourquoi cette somme ne serait pas visée par le mot «intérêt» tel qu'il est utilisé à l'article 110.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'appel est donc accueilli.
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